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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 1er octobre 2024

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 18 h 30 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, le problème grandissant des feux de forêt au Canada et les effets de ces incendies sur les industries de la foresterie et de l’agriculture, ainsi que sur les communautés rurales et autochtones, à l’échelle du pays.

La sénatrice Paula Simons (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Je suis la sénatrice Paula Simons et je préside la séance de ce soir.

Avant d’aller plus loin, j’aimerais demander à tous les sénateurs et autres participants en personne de consulter la carte sur leur table pour prendre connaissance des directives visant à prévenir les incidents de rétroaction audio. Il s’agit essentiellement de ne pas trop vous pencher près du microphone si vous portez un casque. Cela protégera la santé auditive de nos interprètes et des autres participants.

Je voudrais commencer par souhaiter la bienvenue aux membres du comité et à nos témoins, ainsi qu’aux personnes qui suivent cette réunion sur le Web.

[Français]

Bienvenue à tous et à tous les Canadiens qui nous regardent sur sencanada.ca.

[Traduction]

Je suis une sénatrice de l’Alberta, du territoire visé par le Traité no6, et je suis la vice-présidente de ce comité. J’aimerais demander aux sénateurs autour de la table de se présenter.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur McNair : John McNair, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Burey : Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

La vice-présidente : Aujourd’hui, le comité poursuit son étude du problème grandissant des feux de forêt au Canada et des effets de ces incendies sur les industries de la foresterie et de l’agriculture.

Nous recevons ce soir Mme Jennifer Baltzer, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les forêts et le changement mondial à l’Université Wilfrid-Laurier, qui est avec nous dans la salle; Mme Sonja Leverkus, professeure à l’Université de l’Alberta, et scientifique des écosystèmes et spécialiste des brûlages dirigés chez Shifting Mosaics Consulting et Northern Fire WoRx Corporation, qui se joint à nous par vidéoconférence; M. Jack Thiessen, éleveur, gestionnaire de pâturages, gestionnaire de brûlages dirigés chez Thiessen Bros Ranch, qui comparaît également par vidéoconférence; et M. Brian Wiens, directeur général de Canada Wildfire (Partenariat canadien pour la science des feux de forêt), ici présent. Je vous souhaite à tous les quatre la bienvenue et je vous remercie de votre présence en personne et en ligne.

Vous disposez de cinq minutes chacun pour nous présenter vos observations préliminaires. Je lèverai une main pour vous signaler qu’il vous reste une minute et les deux mains pour vous indiquer que vous n’avez plus de temps.

La parole est à vous, madame Baltzer, pour commencer cette soirée.

Jennifer Baltzer, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les forêts et le changement mondial, Université Wilfrid-Laurier, à titre personnel : Merci, madame la présidente et membres du comité, de m’avoir invitée à m’adresser à vous aujourd’hui.

Je suis honorée d’avoir l’occasion de me joindre à vous pour discuter des sujets importants que vous avez ciblés aux fins de votre étude, des sujets qui ont un impact sur tous les Canadiens.

Je m’appelle Jennifer Baltzer. Je suis titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les forêts et le changement mondial à l’Université Wilfrid-Laurier. Depuis plus de 25 ans, je m’efforce de comprendre les effets du changement climatique sur les forêts du monde entier. Je me concentre actuellement sur les perturbations induites par le réchauffement climatique, y compris les incendies de forêt, sur l’évolution de ces perturbations et sur leurs répercussions sur les forêts canadiennes et les personnes qui en dépendent. Je travaille dans les forêts boréales du Nord du Canada dont le réchauffement est parmi les plus rapides de la planète. Aujourd’hui, je veux vous présenter certains résultats de recherche relatifs à l’intensification de l’activité des incendies dans les forêts canadiennes.

Je tiens à souligner l’importance des incendies pour les forêts canadiennes. Le Canada est dominé par des forêts boréales, lesquelles se sont incroyablement bien adaptées pour survivre aux incendies de forêt habituels. Le feu fait partie intégrante de ces écosystèmes et est essentiel à leur fonctionnement et à leur renouvellement, ainsi qu’au maintien de la biodiversité qui protège les moyens de subsistance et les cultures dans tout le Canada.

La difficulté principale vient du fait que le climat du Canada se réchauffe deux fois plus vite que celui de la planète. Dans le Nord du pays, le réchauffement est encore plus rapide, trois à quatre fois plus rapide que celui du reste du monde. Cela se traduit par des conditions plus chaudes et plus sèches dans les forêts canadiennes, ce qui en accroît d’autant l’inflammabilité.

Des conditions extrêmes, comme celles que nous avons connues en 2023, ont entraîné des incendies de forêt extraordinairement étendus et intenses qui se sont propagés plus rapidement que jamais sur notre territoire. Les zones humides et les jeunes forêts, qui servaient auparavant de coupe-feu naturels, n’ont pas toujours pu remplir cette fonction en raison de la sécheresse extrême et des conditions météorologiques propices aux incendies. Un nombre exceptionnel d’incendies ont couvé pendant les mois d’hiver et se sont ravivés au début de l’année 2024. Nous pouvons nous attendre à ce que ces conditions deviennent plus fréquentes à mesure que le climat continue à se réchauffer et à s’assécher. Cette évolution de l’activité des incendies met en danger les collectivités et les écosystèmes, comme nous avons pu le constater lors de la saison des incendies de 2023 et à nouveau lors de celle de 2024.

Il est urgent de prendre des mesures concrètes de réduction des émissions au Canada et dans le monde pour ralentir les changements dans l’activité des feux de forêt au Canada. Il faut prévoir que le nombre d’incendies dans les forêts canadiennes va continuer d’augmenter pendant un certain temps encore en raison de l’inertie face au climat qui se réchauffe, mais nous devons redoubler d’efforts pour inverser cette tendance. Les incendies de forêt de 2023 en Alberta et au Québec et les incendies de forêt extrêmes faisant rage pendant plusieurs années en Colombie-Britannique ont tous été directement attribués au réchauffement climatique. Ces liens sont irréfutables.

Dans le contexte du réchauffement climatique, il est souvent question d’une hausse de 1,5 °C. Au cours de l’été 2023, la planète a été pour la première fois plus chaude de 1,5 °C qu’à l’ère préindustrielle. La saison des incendies de forêt qui en a résulté au Canada n’était pas attendue avant le milieu du siècle tout au moins. L’été 2023 a été une sorte de boule de cristal quant à ce que l’avenir nous réserve dans le scénario optimal de réchauffement. Une action climatique forte doit devenir une véritable priorité.

Au niveau mondial, la forêt boréale stocke environ deux fois plus de carbone que ce qu’on retrouve actuellement dans l’atmosphère. Environ 90 % de ce carbone se trouve dans le sol. L’une des principales préoccupations est de savoir si la forêt boréale continuera à servir de puits de carbone d’importance mondiale malgré l’intensification des incendies. Le carbone libéré par les feux de forêt de 2023 au Canada représentait environ quatre fois les émissions annuelles du pays dans son ensemble. La quantité de carbone libérée au cours de ces années de grands incendies sort vraiment de l’ordinaire.

Il faut par ailleurs savoir si le vieux carbone séquestré depuis des centaines, voire des milliers d’années, restera séquestré. Les incendies à intervalles rapprochés, comme ceux de 2023, entraînent une perte de ce carbone existant, ce qui tarit encore davantage le puits de carbone de la forêt boréale. Autrement dit, l’intensification des incendies influe sur la fonction essentielle de stockage du carbone des forêts canadiennes. Cette boucle de rétroaction positive entre le réchauffement et les incendies est très préoccupante.

Les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas les seules à poser problème. Nous nous souvenons tous de la couche de fumée qui a recouvert une grande partie du pays pendant l’été 2023. Ce phénomène n’affecte pas uniquement les personnes et les animaux. Les cultures et les forêts ont besoin de la lumière du soleil pour croître. La fumée des incendies de forêt libère diverses substances chimiques qui ont un impact sur la productivité de ces plantes et même sur leurs chances de survie. La fumée des incendies de forêt et les émissions qui y sont associées ont donc une incidence négative sur la productivité des cultures et des forêts. Comme ces éléments vont généralement de pair avec la sécheresse et la chaleur, les répercussions négatives sont plus grandes encore.

Les récents incendies ont entraîné des changements dans la façon dont les forêts se régénèrent. L’intensité des feux et le court intervalle les séparant altèrent les processus de régénération des forêts. Nous constatons régulièrement que les conifères cèdent la place aux feuillus, en passant par exemple de l’épicéa au tremble, ou que les forêts ne parviennent pas à se régénérer et se transforment en zones arbustives ou en prairies. Ces changements ont des conséquences majeures sur les services rendus par la terre, notamment pour ce qui est de la qualité de l’eau, du stockage du carbone et de l’habitat des espèces sauvages. Ces mutations de la couverture terrestre affectent également l’industrie forestière, que ce soit en raison des coûts supplémentaires des interventions sylvicoles, lorsque le feu modifie la trajectoire souhaitée de régénération de la forêt, ou de la nécessité de modifier radicalement les opérations forestières pour miser davantage sur des espèces qui résistent bien aux incendies.

Bien que l’atténuation du changement climatique soit la solution à long terme, à court terme, les interventions de gestion telles que les coupes d’éclaircie, les brûlages dirigés et la réintroduction des pratiques de brûlage autochtones pourraient toutes contribuer à réduire les charges de combustible — pas partout, étant donné l’immensité des forêts du Canada, mais dans des endroits critiques. Certaines de ces interventions nécessitent des efforts considérables d’éducation et de sensibilisation pour que le public prenne conscience du rôle essentiel du feu dans la protection de la valeur de ces forêts et qu’il souscrive à ces pratiques. Parmi les autres mesures d’adaptation suggérées, il y aurait l’incorporation de réserves de précaution dans la planification de la gestion forestière pour tenir compte de l’imprévisibilité de l’approvisionnement en bois à long terme étant donné l’augmentation des incendies de forêt tout en améliorant simultanément d’autres services écosystémiques importants.

Merci.

La vice-présidente : Nous allons maintenant entendre Mme Leverkus.

Sonja Leverkus, professeure, Université de l’Alberta, scientifique des écosystèmes et spécialiste du brûlage dirigé, Shifting Mosaics Corporation et Northern Fire WoRx Corporation, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de vous faire part de mes réflexions sur le feu.

Je m’appelle Sonja Leverkus et je m’adresse à vous depuis Fort Nelson, dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique, sur le territoire visé par le Traité no 8 et les terres de la nation des Kaska que nous nous efforçons de gérer tous ensemble de façon responsable. Je suis titulaire d’un doctorat avec spécialisation en écologie du feu, et je détiens de nombreux titres professionnels, de spécialiste des brûlages dirigés jusqu’à chef d’équipe en passant par chef de brûlage. Je dirige également une équipe de pompiers forestiers de type 3.

Depuis près de 10 ans, mon équipe, composée principalement d’Autochtones, et moi-même formons des Canadiens pour la lutte contre les incendies de forêt. Le printemps dernier, nous avons ainsi formé 150 personnes, éleveurs et Autochtones. Dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique, nous avons mis en place un important programme de lutte contre les incendies de forêt s’appuyant notamment sur des unités de protection des infrastructures, soutenues par la formation et la recherche sur les incendies, grâce aux partenaires de la Peace River Forage Association, entre autres, comme mon collègue Jack Thiessen.

L’incendie du lac Parker, G90267, s’est déclaré le 10 mai 2024, à 15 heures, et continue de brûler à moins de cinq minutes de ma maison. J’ai dirigé la première équipe de gestion des incidents en milieu rural du Nord-Est de la Colombie-Britannique, et je suis demeurée sur place pour défendre une quarantaine de membres de notre collectivité lorsque d’autres ont été évacués. Ainsi, je peux vous faire bénéficier non seulement des avancées scientifiques et des résultats de recherche sur les incendies de forêt, mais aussi de l’expérience et des connaissances que j’ai acquises sur le terrain.

Je crois que vous m’avez invitée à comparaître devant vous aujourd’hui pour témoigner des problèmes croissants liés aux incendies de forêt au Canada. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’en dire davantage sur le nombre d’incendies de forêt, la fumée qui s’infiltre dans nos poumons, les incendies qui perdurent et le fait que des incendies brûlent depuis plus d’un an et demi ici même dans ma collectivité. Je préférerais me concentrer sur ce que nous pouvons faire ensemble, sur ce que vous pourriez peut-être faire de votre côté, et sur ce que cela représente pour les Canadiens.

Je vous soumets donc les six points clés suivants, en partant de la base.

Parlons d’abord des équipes d’intervention. À l’heure actuelle, les équipes contractuelles de type 3 n’ont pas de garantie d’emploi. Ainsi, nous devons nous entraîner, revêtir notre équipement, être présents et dénombrés tout au long de l’été sans savoir si nous serons déployés, généralement jusqu’à l’après-midi ou la soirée précédant le moment où l’on nous demande d’être à la bordure du feu. Rien qu’en Colombie-Britannique, il y a plus de 1 200 pompiers contractuels comme nous. La garantie d’emploi ferait une énorme différence pour les pompiers des zones rurales et isolées.

Deuxièmement, les documents de formation du gouvernement devraient être mis à la disposition d’instructeurs certifiés comme moi, capables d’enseigner et de former les Canadiens ainsi que d’améliorer le programme de formation au fur et à mesure. Il est très important de continuer à offrir du financement pour les collectivités rurales et éloignées de tout le pays.

Il est également primordial pour ces collectivités que l’on finance de façon adéquate l’équipement de lutte contre les incendies de forêt. Il faut ainsi prévoir des fonds pour l’entretien, la réparation et le remplacement de l’équipement. Jack Thiessen et moi-même pourrons vous en dire davantage à ce sujet. À ce titre, il convient de fournir des masques appropriés pour protéger la santé des pompiers, de prévoir des espaces d’air pur pour les gens des collectivités rurales pendant les incendies et d’offrir des incitatifs pour l’achat de filtres à air domestiques. Il faut en outre veiller à ce que nous continuions à avoir de l’électricité et que nous puissions compter sur un système de secours permettant une production suffisante d’électricité en cas de forte fumée et de lignes électriques tombées au sol, brûlées ou encore en feu.

Mon quatrième point concerne les équipes de gestion des incidents en milieu rural. On doit contribuer, notamment du point de vue financier, à la mise en place de telles équipes dans toutes les régions du pays, en utilisant le Nord-Est de la Colombie-Britannique comme projet pilote. Il convient également de permettre à ces équipes rurales de collaborer avec les ressources provinciales ou territoriales et de travailler sous leur direction tactique et opérationnelle afin d’assurer des interventions sûres, efficaces et appropriées dans l’interface entre les zones urbaines et sauvages et sur l’ensemble du territoire.

Cinquièmement, en ce qui concerne la résistance à la propagation des incendies, il faut financer et permettre — via l’approbation des plans de brûlage dirigé lorsque des autorisations sont nécessaires — le recours à des brûlages bénéfiques dans l’ensemble du territoire et, lorsque la situation s’y prête, à des coupe-feu à l’échelle du paysage et à des mesures de protection autour des collectivités rurales et des valeurs à risque, avec notamment la prise en compte des valeurs culturelles, écologiques, industrielles et hydrologiques. Ne vous mettez pas en travers du chemin des gens qui procèdent à des brûlages dirigés sur le territoire.

Mon dernier point concerne la ruralisation des incendies de forêt. Nous entrons dans notre quatrième année de sécheresse dans le Nord. Le feu qui se trouve à moins de 25 kilomètres au nord de ma maison continuera probablement à brûler tout l’hiver, comme nous l’a dit Mme Baltzer. Comme nous en avons fait la preuve cette année, l’équipe locale et la collectivité peuvent grandement soutenir les efforts d’intervention en situation d’urgence, et nous n’avons pas peur de rester sur place et de défendre nos acquis. Je parle ici des équipes de gestion des incidents en milieu rural qui travaillent avec les gouvernements provinciaux et territoriaux pour réussir brillamment à protéger nos communautés et nos proches.

Nous ne sommes pas assez nombreux pour faire face aux incendies de forêt que nous connaissons actuellement et dont nous continuerons d’être témoins au Canada en cette véritable « ère du feu ». Nous, les habitants du Nord, avons démontré cette année ce qu’il était possible de faire en puisant tous ensemble au fond de nos ressources.

Avec du financement, une certification pour des opérations sécuritaires, la reconnaissance et l’inclusion des différents intervenants, le recours au brûlage approprié au moment qui convient et des ressources techniques adéquates avec le soutien de nos équipes aériennes, je crois que nous pouvons être mieux préparés pour ce qui arrivera inévitablement à nos portes si ce n’est pas dans les prochaines semaines, tout au moins dans les prochains mois ou lors de la saison des incendies de 2025.

Mahsi’cho. Wuujo asaana laa.

La vice-présidente : C’est exactement le temps que vous aviez. Merci.

Monsieur Thiessen, vous avez la parole pour les cinq prochaines minutes.

Jack Thiessen, éleveur, gestionnaire de pâturages, gestionnaire de brûlages dirigés, Thiessen Bros Ranch, à titre personnel : Honorables sénateurs, c’est un grand honneur et un privilège de pouvoir vous parler de la gestion de ce formidable territoire dont Dieu nous a confié l’intendance.

J’exploite un ranch le long de la rivière Blueberry, au point milliaire 81 de la route de l’Alaska, en direction de Fort Nelson, à une heure au nord-ouest de Fort St. John. Nous élevons quelque 1 100 têtes de bétail sur environ 14 000 acres de terres.

Nous utilisons les brûlages dirigés pour gérer les plantes ligneuses envahissantes, pour augmenter la superficie et la qualité des pâturages et pour limiter les incendies de forêt sur nos terres. Notre plan consiste à brûler de 800 à 1 000 acres chaque printemps. Nous nous efforçons de brûler tôt dans l’année, alors qu’il y a encore du gel dans le sol ou que la couche d’humus est encore humide, afin de ne pas brûler cette couche ou les racines de l’herbe. Notre objectif est de fournir des protéines végétales de haute qualité, transformées naturellement par nos vaches. C’est grâce à l’herbe que cela peut se faire.

Le brûlage est un élément essentiel de la gestion de nos terres. Cette pratique, qui nous a été transmise par les Premières Nations et les générations d’éleveurs qui nous ont précédés, joue également un rôle clé non seulement dans l’atténuation des incendies de forêt, mais aussi dans leur contrôle.

En 2016 et 2023, nous avons eu d’importants incendies de forêt qui ont menacé notre ranch et notre propriété familiale. Lorsque le feu a traversé la rivière pour passer des terres de la Couronne à nos terres, nous avons été en mesure d’arrêter ces incendies grâce à nos pratiques de gestion, avec l’aide du Service des forêts.

Le programme de pâturage que nous avons instauré a également joué un rôle essentiel dans la réduction et la gestion des charges de combustible.

En 2023, nous avons effectué des brûlages dirigés plus tôt dans l’année. Lorsque l’incendie s’est intensifié, nous avons pu placer le bétail dans ces aires de brûlage dont l’herbe commençait à repousser et qui constituaient pour nous une très bonne zone tampon. Les incendies de forêt avaient commencé quelques semaines plus tôt, et même s’il a été possible de les arrêter avant qu’ils n’atteignent cette zone de brûlis, nous comptions sur elle pour servir de coupe-feu en cas de besoin et de refuge pour l’équipement et le bétail. Nous avions également des vaches dans différents champs et lopins de terre où nous avions réduit la charge de combustible en faisant paître les animaux et en créant des coupe-feu naturels par le brûlage.

Les feux de forêt ont un effet et des répercussions. Pour nous, le coût de la lutte contre ces incendies est énorme, et le temps nécessaire est épuisant. Lorsqu’un feu brûle par lui-même, les conditions sont extrêmes. Si nous brûlons à un moment où nous arrivons à contrôler le feu, nous pouvons le gérer. Pour faire un brûlage dirigé, nous essayons de laisser un chaume d’au moins deux pouces aux racines de l’herbe, car brûler les racines de l’herbe et la couche supérieure de l’humus détruit notre sol.

Lorsqu’un feu brûle à l’état sauvage, les conditions sont extrêmes, ce qui brûle les arbres, l’herbe et aussi la terre de culture et les racines de l’herbe — c’est le plus dévastateur pour nous en tant qu’éleveurs. L’érosion menace alors le territoire. La quantité de ressources naturelles gaspillées lors d’un incendie de forêt est énorme.

Il y a certaines choses que je voudrais proposer et que nous pouvons faire, selon moi. En tant qu’éleveurs, nous pouvons proposer aux Canadiens une chose qui peut leur être très utile : la présence de bétail dans le paysage. Nous pouvons réduire considérablement le nombre d’incendies de forêt et leur intensité, en particulier dans les zones agricoles, au moyen de brûlages dirigés et de pâturage. Grâce aux clôtures virtuelles dont nous disposons aujourd’hui, nous pouvons placer du bétail dans l’environnement et réduire considérablement les combustibles requis pour éteindre les incendies de forêt.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous parler.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Nous utilisons tellement le terme anglais « grassroots » en politique que nous oublions parfois qu’il s’agit d’une réalité. Je vous remercie.

Monsieur Wiens, c’est à vous.

Brian Wiens, directeur général, Canada Wildfire (Partenariat canadien pour la science des feux de forêt) : Merci beaucoup. Je suis ravi de participer à la réunion d’aujourd’hui, et je suis encouragé de voir le travail de votre comité. C’est un privilège d’y participer.

J’ai récemment déménagé de l’Alberta à l’Ontario. Je vis et travaille sur un territoire imprégné de la riche histoire des Premières Nations du Sud de l’Ontario et de la péninsule du Niagara, où je vis. On y trouve notamment les Hatiwendaronk, les Haudenosaunee et les Anishinabe, y compris la Première Nation des Mississaugas de Credit.

En guise de contexte, Canada Wildfire compte sur des partenariats entre le monde universitaire et les opérations pour former les étudiants en menant des recherches prioritaires et en aidant à faire passer ces découvertes à l’étape suivante. Ce travail comprend la gestion des fonds de recherche, le soutien à la planification, l’organisation de la formation, la coordination des séminaires, les médias sociaux et une variété d’autres occasions de publication.

Lors de mon premier cycle, j’ai commencé à travailler en tant que technicien en météorologie pour l’Alberta Forest Service, ce qui m’a conduit à une carrière au Service météorologique du Canada, sous l’égide d’Environnement et Changement climatique Canada.

Au cours des cinq dernières années où j’ai travaillé pour le gouvernement fédéral, j’ai été directeur du Service canadien des forêts, ou SCF, et j’ai joué un rôle clé dans l’élaboration du mémoire au Cabinet et de la présentation au Conseil du Trésor qui ont résulté à l’engagement pris dans le budget de 2019 pour une science des feux de forêt.

En 2020, j’ai pris la direction du Partenariat canadien pour la science des feux de forêt, que nous avons abrégé à Canada Wildfire parce que le nom se prononce un peu mieux. Le travail comprend la gestion d’un réseau de recherche stratégique du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, ou CRSNG.

Je voudrais commencer par quelques bonnes nouvelles, et je trouve important de noter que nous sommes arrivés au mois d’octobre et que la saison des incendies touche à sa fin. Il y a actuellement un peu plus de 400 incendies actifs au Canada, dont certains se trouvent apparemment encore dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique. Cinquante-six d’entre eux restent hors de contrôle. Les autres sont en cours d’extinction ou sont considérés comme maîtrisés. Cela signifie que les nuits sont plus longues et plus fraîches, que l’humidité est plus élevée et que les risques d’éclairs sont moindres.

L’un des aspects dont on ne parle pas beaucoup est l’importance des professionnels du feu pour soutenir la première ligne. La ligne de front est absolument essentielle, et nous comptons énormément sur ces gens. Il s’agit notamment d’analystes en incendies, d’équipes de gestion des incidents et de coordinateurs de la logistique opérationnelle. Leur travail est fondé sur la science des feux et des opérations, et ils utilisent les connaissances universitaires en conjonction avec leur expérience pour améliorer leur capacité à faire leur travail. Ce groupe est de plus en plus demandé, mais beaucoup d’entre eux sont en fin de carrière. Des initiatives telles que le réseau stratégique Canada Wildfire du CRSNG font partie d’une communauté grandissante de chercheurs universitaires qui crée un nouveau cadre de professionnels en incendies.

L’autre bonne nouvelle, c’est que de nombreux gouvernements reconnaissent l’importance des changements constatés du côté des feux à mesure que le climat évolue. C’est pourquoi le gouvernement fédéral et un certain nombre de gouvernements provinciaux investissent pour tenter de contrer certains de ces enjeux.

Il y a aussi des nouvelles moins réjouissantes. La première — au risque d’être un peu répétitif —, c’est qu’il n’y a pas de solution miracle. Une série d’activités, idéalement coordonnées, doivent se poursuivre et s’intensifier dans certains secteurs.

Par ailleurs, il y a tellement d’activité — c’est une bonne chose — que les découvertes et les applications ne parviennent pas toujours en temps voulu aux utilisateurs. On est de plus en plus conscient de l’importance que revêtent l’échange et la gestion des connaissances. Or, trop souvent, il manque de ressources pour s’assurer que l’information est produite, traduite et livrée aux personnes qui peuvent l’utiliser et la faire passer à l’étape suivante du processus.

Et puis, encore une fois — c’est un peu répétitif —, le changement climatique continuera d’exacerber les défis que posent les feux à l’échelle du paysage, ce qui va entraîner une augmentation des demandes en matière de réponse, de prévention et d’atténuation.

Je vous remercie.

La vice-présidente : Je vous remercie tous infiniment. C’était fascinant.

Comme nous avons réuni deux groupes en un seul ce soir, nous avons plus de temps pour les questions. Je vais demander à chaque sénateur de limiter les questions et les réponses à cinq minutes. Nous aurons sans doute le temps pour un deuxième tour, alors je vous prie de tenir le coup.

Le sénateur McNair : Je remercie les personnes qui sont ici ce soir pour témoigner. Merci de votre incidence sur la compréhension des changements climatiques et aussi, je pense, de votre participation active à la résolution du problème.

Chacun d’entre vous a dit beaucoup de choses, mais je commencerai par Mme Baltzer. Vous avez dit que la saison des feux de forêt de 2023 a été la pire de notre histoire, et vous avez parlé d’émissions quatre fois plus importantes. Dans l’un de vos articles, j’ai lu qu’une étude récente montre que les incendies de forêt ont produit plus d’émissions de carbone que la combustion de combustibles fossiles dans l’ensemble des pays du monde, sauf trois : l’Inde, la Chine et les États-Unis.

Je crois savoir que votre travail est axé sur les fondements écologiques, et vous avez dit qu’il y a eu une perte de résilience écologique, ce qui rend vos propos très clairs — pour moi, du moins. Au cours des dernières années, avec les feux dormants qui brûlent continuellement... Vous évitez maintenant le terme « feux zombifiés »; nous devons utiliser « feux dormants », mais ils ne s’éteignent jamais complètement. Mme Leverkus en a également parlé. Je pense que vous avez étudié l’effet à long terme sur les écosystèmes forestiers, le cycle de l’eau, que nous avons étudié sur les échantillons de sol, l’habitat de la faune sauvage, que nous comprenons, mais aussi sur l’empreinte carbone ou le stockage du carbone.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces feux dormants? Existe-t-il un moyen d’y remédier? Y a-t-il des techniques de prévention ou d’atténuation, ou bien continuent-ils à brûler indéfiniment, comme Mme Leverkus a dit que c’était le cas dans sa région?

Mme Baltzer : Merci de la question. Je pense que cela dépend des conditions de l’année à venir et de la quantité de neige accumulée au cours de l’hiver entre deux saisons de feux de forêt. Étant donné la modeste quantité de neige accumulée l’hiver dernier dans la majeure partie de l’Ouest canadien, la teneur en humidité du sol est plus faible que d’habitude.

La durée des feux de forêt est tributaire de divers facteurs. Chose certaine, l’été dernier, dans les Territoires-du-Nord-Ouest — je travaille principalement dans les Territoires-du-Nord-Ouest et au Yukon —, des feux couvants qui ne s’étaient pas rallumés au printemps ont tout de même persisté tout l’été. Mme Leverkus a décrit des phénomènes similaires. Lorsque les conditions sèches perdurent, certains feux hivernants peuvent se prolonger pendant des années.

Au sujet des mesures à prendre, les méthodes qui ont été déployées après les feux hivernants de 2023 près des zones peuplées étaient les mêmes que celles employées partout au Canada pour les feux dormants qui risquaient de causer des dommages dans les communautés. Des mesures ont été prises pendant l’hiver pour activer ces feux. Toutefois, bon nombre d’entre eux sont indétectables parce qu’ils brûlent sous la neige et que nous n’avons pas nécessairement les outils permettant de détecter la fumée qui traverse le couvert neigeux. De nombreux feux hivernants sont impossibles pour nous à détecter. Dans certains cas, les feux se trouvent dans des régions éloignées où ce serait trop compliqué de nous rendre par des moyens raisonnables.

J’espère avoir répondu à votre question.

Le sénateur McNair : Oui. Merci.

Le problème avec ces feux, si j’ai bien compris votre article, c’est qu’ils empêchent la régénération des forêts en raison de la combustion constante, entre autres facteurs.

Mme Baltzer : Un des problèmes potentiels, ce sont les changements observés dans la régénération des forêts. Les analyses que nous avons réalisées sur le terrain aux sites où se trouvent des feux hivernants dans les Territoires-du-Nord-Ouest et en Alaska indiquent que ces feux favorisent les changements de composition des forêts. Nous n’avons pas observé de problème systématique de régénération des forêts, mais plutôt des changements — par exemple le remplacement des épinettes par des trembles — qui favorisent la transformation des forêts de conifères en forêts de feuillus dans une grande partie de l’Amérique du Nord.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : J’essaie de comprendre. Je vais poser mes questions en français. J’ai notamment des questions sur la prévention. Quels sont les différents types d’actions qu’on peut prendre en matière de prévention? J’essaie de comprendre surtout ce que vous appelez le « brûlage dirigé ». J’espère que je l’ai bien traduit. Monsieur Thiessen, vous avez parlé de « brûlage dirigé ». Je ne suis pas une experte, alors j’essaie de comprendre comment cela fonctionne. Est-ce qu’on essaie d’isoler un territoire, et quelles peuvent être les conséquences de cette façon de faire sur le plan de la prévention?

La question s’adresse à M. Thiessen, s’il veut approfondir un peu le sujet, mais nos autres témoins peuvent y répondre aussi.

[Traduction]

M. Thiessen : Je peux en parler un peu et peut-être que Mme Leverkus pourrait en parler également.

Les brûlages dirigés ont pour objet d’enlever les matières combustibles. Je peux parler des mesures que nous avons prises dans notre localité, qui est la proie de feux de forêt depuis des années. Les habitants des trois réserves qui s’y trouvent faisaient des brûlages bien avant notre arrivée. Ils brûlaient continuellement de grandes superficies de prairie pour agrandir les habitats des espèces sauvages et assurer la sécurité des communautés. Lorsqu’ils sont arrivés dans la région, mes parents ont fait la même chose.

Voyons maintenant ce qui se passe lorsque nous enlevons les matières combustibles. Dans le cas de feux de forêt aux comportements extrêmes de 2016 et de ceux encore pires en 2023, lorsque les feux ont atteint les superficies où des brûlages dirigés avaient été effectués, certaines de ces superficies ont brûlé de toute façon, mais à une intensité équivalant probablement à 25 % de l’intensité des feux qui ont brûlé aux endroits où la gestion des pâturages et des résidus n’avait pas été effectuée. Nous avons réussi, en collaboration avec le Service des forêts, de faire reculer ces feux hors de la zone en question et de les éteindre.

Nous pouvons faire la même chose avec les hectares de pâturage du bétail où nous voulons conserver un couvert d’herbacées. En enlevant une proportion de 50 % à 70 % du couvert et en ne laissant qu’une épaisseur de 4 à 6 pouces de chaume, nous pouvons réduire grandement l’intensité du feu, le cas échéant.

La sénatrice Petitclerc : Merci. Vos commentaires sont très instructifs.

Nous sommes aux prises avec une crise climatique — comme vous l’avez dit, la crise ne va pas disparaître — et nous devons déterminer si nous agissons en prévention ou en réaction à ces feux. J’essaie de me faire une image des différentes approches possibles. Évidemment, le climat n’est pas le même dans toutes les provinces. J’essaie surtout de me faire une idée des mesures de prévention qui pourraient être prises par opposition aux mesures prises en réaction aux événements.

Connaissons-nous ces mesures?

Mme Baltzer : Un énorme défi que nous avons au Canada est l’étendue des forêts à gérer.

Prenons par exemple les Territoires-du-Nord-Ouest, dont la majeure partie ne compte pas de routes, ce qui rend impossible d’y conduire sur place des activités de gestion des forêts. Ces activités peuvent être menées à des endroits considérés comme particulièrement importants. Les gens avec qui je travaille ont discuté de la possibilité de se concentrer sur les endroits où se trouvent des stocks particulièrement élevés de carbone. Nous pourrions y réaliser des opérations de gestion pour essayer de maintenir le carbone dans le sol ou de soutenir les communautés en réduisant la quantité de matières combustibles à proximité afin de ralentir les feux qui s’approchent des communautés les années où se produisent de nombreux feux de forêt.

Voilà des exemples de mesures préventives que nous pourrions prendre.

La sénatrice Marshall : Ma question s’adresse à Mme Baltzer.

Lorsque des feux se produisent, quel type d’analyse est réalisé? De toute évidence, les changements climatiques contribuent aux feux de forêt, mais des analyses sont-elles effectuées pour en quelque sorte chiffrer la contribution des changements climatiques et la contribution des arbres ravagés par la tordeuse des bourgeons de l’épinette qui auraient dû par ailleurs être coupés?

Quelles analyses sont-elles effectuées après le passage des feux de forêt? Ces analyses permettraient de mieux déterminer les mesures à prendre pour protéger les forêts au pays. Où en est la réflexion à ce sujet?

Mme Baltzer : Dans les zones où se fait la gestion des terres, nous pouvons recenser les infestations de ravageurs et savoir où se fait la gestion des forêts et où surviennent les feux. Nous sommes donc en mesure d’évaluer les différents facteurs et le rôle joué par chacun d’eux lorsque nous évaluons les conséquences des feux.

La sénatrice Marshall : À quel point vos analyses sont-elles détaillées? Pouvez-vous établir par exemple que les feux étaient attribuables à 44 % aux changements climatiques, et à 16 %, à la tordeuse? Obtenez-vous ce niveau de détail ou en restez-vous à des constats plus généraux?

Mme Baltzer : Il est possible de calculer en pourcentage la contribution de chacun des facteurs. Habituellement, il y a d’énormes variations, ce qui complique un peu les choses. Le niveau d’incertitude est élevé en raison des particularités de chaque région, des conditions en général et des conditions de feu. Étant donné la grande diversité des facteurs, il n’existe pas de méthode universelle.

La sénatrice Marshall : Vous avez également parlé dans votre déclaration liminaire des effets de la fumée. Je pouvais voir la fumée des feux de la Colombie-Britannique lorsque je suis allée à Terre-Neuve-et-Labrador.

Les effets de la fumée sont-ils eux aussi analysés après le passage des feux?

Mme Baltzer : Parlez-vous des effets sur les êtres humains, sur les animaux ou sur les plantes?

La sénatrice Marshall : Je parle de tous les effets.

Mme Baltzer : Les répercussions de la fumée sur les êtres humains et la faune dépassent un peu mon domaine d’expertise. Un bon nombre de chercheurs se penchent sur le sujet.

La sénatrice Marshall : Nous recevrons peut-être des témoins qui pourront nous renseigner.

Ma prochaine question s’adresse à M. Wiens.

Vous avez dit quelque chose dans votre déclaration liminaire — je ne me rappelle pas quoi exactement —, mais êtes-vous en mesure de parler des bombardiers à eau? Savez-vous quelque chose sur l’état des bombardiers à eau qui sont utilisés dans les opérations d’extinction des feux de forêt, sur leur fonctionnement et sur leur conformité aux normes prescrites?

M. Wiens : Je peux en parler un peu, mais je pense que Mme Leverkus sera davantage en mesure de vous fournir une réponse définitive.

Les bombardiers à eau sont des engins spectaculaires bien connus du public. Ce sont également des appareils très coûteux dont l’utilisation se limite à un petit nombre de situations. Une fois que les feux de forêt sont devenus très intenses, ils ne permettent pas de transporter sur place de l’eau en quantité suffisante pour atténuer un tant soit peu les feux. Les bombardiers sont extrêmement efficaces pour une catégorie précise de problèmes. Ils servent parfois à prouver à la population que nous faisons quelque chose, mais leur utilisation peut aussi s’avérer un pur gaspillage de fonds publics.

Je vous ai décrit le contexte. Les bombardiers à eau que nous avons au Canada — le Canada est le chef de file incontesté dans le développement et l’application de la technologie — sont en très bon état. Les quelques appareils vieillissants ont connu une bonne cure de rajeunissement et plusieurs modifications — les systèmes d’avionique ont changé considérablement au cours des 50 dernières années.

La vice-présidente : J’aimerais donner à Mme Leverkus la chance de répondre à la question.

Mme Leverkus : Nous les appelons « avions-citernes », et non pas « bombardiers ». Je ne suis pas une experte, mais je pense que le Centre interservices des feux de forêt du Canada, ou CIFFC, de même que les agences provinciales et territoriales pourraient répondre à votre question.

Je suis moi aussi d’avis que le programme des avions-citernes au Canada est un programme phare, surtout pour les régions éloignées et rurales. Nous sommes privilégiés d’avoir obtenu le soutien d’un nombre aussi élevé d’aéronefs dans les Territoires-du-Nord-Ouest, au Yukon et dans le Nord des provinces de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.

C’est une excellente question, et je sais que plusieurs instituts de recherche se penchent sur les programmes d’avions-citernes de même que sur l’efficacité et les déplacements de ces appareils, la distance des bases — le nombre de kilomètres à parcourir pour se rendre aux feux — et les pratiques de ravitaillement.

Je vous suggérerais de vous adresser au CIFFC et aux agences provinciales et territoriales, qui pourraient certainement donner une réponse exhaustive.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup.

La sénatrice McBean : Madame Leverkus, vous avez parlé de la nécessité d’appliquer les bonnes techniques de brûlage au bon moment. C’est ce que le comité a appris entre autres dans un webinaire sur les feux que nous avons regardé assez récemment. Un monsieur du nom d’Edward Struzik y montrait des photos de Jasper en 1919 et en 1996. En 1919, la ville était entourée de prairies et de différentes essences d’arbres. Il y avait de vastes superficies non boisées. Ensuite, les campagnes de Smokey Bear ont sonné le glas des brûlages planifiés. Nous ne faisons plus de brûlages. La photo de 1996 montre une forêt assez dense qui était, paraît-il, très homogène.

Je suppose que la forêt des années 1990 — en présumant que c’était une forêt boréale — comportait d’énormes puits de carbone. Ces forêts sont nombreuses dans la région. Aujourd’hui, les feux de forêt qui surviennent témoignent de notre immense bêtise en matière de gestion des forêts.

Quelqu’un a aussi fait remarquer — c’était Mme Baltzer si je ne m’abuse — la hausse du nombre de feux dormants qui persistent un certain temps. J’essaie donc de déterminer si les feux qui surviennent sont tout simplement ravivés par la nature, auquel cas il faudrait les laisser brûler un peu et appliquer des mesures d’atténuation. Serait-ce plutôt le carbone qui est relâché parce que nous avons en quelque sorte « triché » en le stockant dans le sol? Dans quelle mesure la population contribue-t-elle au problème?

Mme Baltzer : La question s’adressait-elle à moi ou à Mme Leverkus?

La sénatrice McBean : La question s’adresse à vous deux.

Mme Baltzer : Madame Leverkus, voulez-vous commencer?

Mme Leverkus : Volontiers. Merci beaucoup de la question, sénatrice McBean.

Je dirais que la forme que prend le carbone change avec le temps. Les feux émettent du carbone au-dessus des étendues où ils passent, mais peu après, une quantité importante de carbone se retrouve aussi dans le sol où pousse le pâturage où paissent le bétail et divers animaux sauvages. Lorsque je pense au carbone et au cycle du carbone, je pense au cycle entier, et non pas à la journée à laquelle les feux ont brûlé et ont libéré du carbone dans l’atmosphère.

Pour revenir à votre question sur le rôle de l’être humain, la forêt boréale au Canada en est au stade du cycle du feu amorcé il y a 8 000 ans qui verra survenir des feux de forêt de grande ampleur. Nous sommes à l’ère du Pyrocène, ce moment de l’histoire de la Terre dominé par le feu.

Faut-il nous étonner de ce qui se produit dans la forêt boréale? Je ne pense pas que ce soit une surprise parce que nous sommes à une période de l’histoire marquée par le cycle du feu. Mme Baltzer pourrait vous donner plus de détails que moi sur le carbone.

Vous avez parlé de Jasper dans les années 1990, des pâturages et des grandes étendues ouvertes. M. Thiessen, de nombreux collègues et moi-même faisons au Canada un travail très important. Nous remettons en état le pâturage ou l’habitat de prairies ouvertes et nous faisons la promotion d’une mosaïque changeante de brûlages dirigés au moyen de la distribution spatiale des feux sur de grandes superficies. Ce que je constate à Fort Nelson, c’est un déplacement des biomes. Mme Baltzer a parlé d’une transition. Je vais lui céder la parole.

Mme Baltzer : Merci.

De toute évidence, les efforts de suppression des feux à Jasper que vous avez décrits — en présumant que les brûlages dans le but de préserver les prairies ont été suivis de mesures de suppression des feux qui ont rendu la forêt très dense et riche en biomasses — ont entraîné de graves problèmes sur le plan de la gestion des incendies qui laissent entendre également le grand rôle joué par l’être humain dans le contexte.

Les pratiques de gestion du feu sont employées un peu partout au Canada, mais pas dans la même mesure. Je vais vous parler des endroits où je travaille dans le Nord où la gestion du feu s’applique à des superficies beaucoup plus petites. Les opérations de suppression des incendies qui y sont menées n’ont pas du tout l’ampleur qu’elles ont ailleurs. Ces régions font partie des régions les plus riches en carbone de la planète, mais pas en raison des arbres. Si vous allez dans le Nord, vous verrez de petits arbres maigrichons qui ont assez mauvaise mine. En fait, ces arbres sont en santé, mais tout le carbone est enfoui dans le sol — environ 90 % du carbone. Le processus de stockage de carbone dans la forêt boréale se produit entre autres lorsque les feux consument une certaine quantité de carbone qui s’est accumulé dans le sol entre deux feux. Le carbone continue ensuite à s’accumuler à partir de la quantité restante. C’est comme une lasagne : de nouvelles couches de carbone s’empilent sur les anciennes. Ce sont ces mécanismes souterrains qui permettent aux forêts boréales peuplées de tout petits arbres de stocker autant de carbone que les forêts tropicales.

Nous commençons à atteindre ces couches. C’est là que le défi se pose, selon moi. Les feux ont changé : ils ne brûlent plus seulement les nouvelles couches de carbone; ils s’attaquent aussi aux plus vieilles couches et ils puisent dans nos réserves. Ce qui aggrave le problème, particulièrement dans les régions nordiques riches en carbone, c’est que souvent, le sol est formé de pergélisol. Bien entendu, le feu affecte la glace; ainsi, quand les incendies ravagent des régions recouvertes de pergélisol, le pergélisol fond. Le carbone qui était gelé et bien stocké dans le pergélisol est alors exposé à divers processus de décomposition. Il n’est plus nécessairement isolé de l’atmosphère comme il l’était auparavant.

De multiples problèmes se posent pour les zones les plus riches en carbone de nos forêts, et souvent, ces zones ne sont pas des endroits où poussent de grands arbres.

[Français]

La sénatrice Oudar : Merci à tous les témoins pour le travail qui se fait et qui va nous éclairer dans le cadre de notre mandat de comité sénatorial qui doit produire un rapport portant sur plusieurs aspects.

Je vous amène sur les effets des feux de forêt sur la population. La question s’adresse peut-être à vous, madame Baltzer, mais si jamais d’autres témoins veulent y répondre, c’est très bien aussi.

J’ai lu le rapport de Santé Canada sur la qualité de l’air et de l’eau. Le rapport sur les effets de la fumée des feux de forêt sur la santé humaine est sorti au mois de mai 2024. On se doute effectivement à la lecture du rapport qu’il y a des effets sur le taux de mortalité et de morbidité respiratoire et cardiovasculaire, de même que des effets sur la santé mentale.

Une chose étonnante sur laquelle je voudrais vous entendre, ce sont les effets sur la reproduction et le développement. Je m’intéresse plus particulièrement à la situation des femmes. J’aimerais vous entendre sur les constatations que nous avons par rapport à ces effets, notamment sur les femmes enceintes, sur ce qui concourt aussi, après la naissance, au faible poids des enfants. Quels sont les effets néfastes sur l’augmentation du stress maternel lorsque le feu de forêt arrive au deuxième ou au troisième trimestre de la grossesse?

Quand on lit l’étude, c’est inquiétant de constater tous ces effets. Lorsqu’on poursuit la lecture de l’étude, on s’aperçoit effectivement qu’il y a une iniquité au sein des populations touchées par ces feux de forêt; il y a notamment de la disproportion lorsqu’on pense aux communautés rurales ou autochtones.

Plus précisément, j’aimerais vous entendre sur ces points précis, si un des témoins a plus d’information sur les recherches qui ont été effectuées par rapport aux effets sur la reproduction et le développement.

[Traduction]

Mme Baltzer : Je vous remercie pour la question. Malheureusement, je suis loin d’être experte en santé humaine.

Beaucoup de personnes étudient la question des effets de la qualité de l’air sur la santé humaine, en particulier des urgentologues. Si cet enjeu vous intéresse, vous pourriez considérer la possibilité de convoquer des urgentologues; ils pourraient vous parler des données qu’ils ont recueillies relativement aux effets sur la santé qui ont été observés.

Mes observations au sujet de la fumée étaient plutôt liées à ses effets sur la productivité des secteurs de l’agriculture et de la foresterie. Si vous voulez que je vous en dise plus là-dessus, je le ferai volontiers. Malheureusement, je ne peux pas vraiment répondre à votre question, ou il ne conviendrait pas que j’y réponde.

[Français]

La sénatrice Oudar : Dans votre présentation, vous parliez des effets des feux de forêt sur la santé de la population; c’est ce qui m’a peut-être allumée — sans vouloir faire de jeu de mots — sur la question.

[Traduction]

Mme Baltzer : Je suis désolée de vous avoir induite en erreur. J’essayais d’attirer l’attention sur le fait que nous reconnaissons que la fumée a des effets sur les personnes et les animaux, mais que nous oublions parfois qu’elle a également une incidence sur la végétation, comme les cultures et les forêts. Je pensais à ces enjeux et à la perte de productivité qui est souvent associée à la réduction de lumière. La fumée provenant des feux de forêt dégage divers composés chimiques qui peuvent avoir une incidence sur la capacité des plantes à pousser et à produire des aliments et des biens forestiers utilisés par les humains.

Mme Leverkus : J’ajouterais à la réponse de Mme Baltzer que Mme Sarah Henderson a fait beaucoup de recherches dans le domaine. Elle a publié quelques articles qui portent sur les sujets abordés par la sénatrice. Elle travaille au sein de la division des services de santé environnementale du Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique. Je vous recommande fortement de vous informer auprès d’elle. J’ai assisté à de nombreuses conférences qu’elle a données. Elle a une connaissance approfondie du dossier et elle pourrait bien répondre à vos questions. C’est son domaine d’expertise.

La vice-présidente : Merci.

Mme Baltzer : La Dre Courtney Howard serait également excellente.

La vice-présidente : D’où vient la Dre Howard?

Mme Baltzer : Je pourrai vous fournir ces renseignements dans un instant. Son affiliation m’échappe.

Le sénateur Richards : Je vous remercie de votre présence. Monsieur Wiens, vous avez dit que la saison était terminée. Le 7 octobre marquera le 200e anniversaire du plus grand incendie à avoir eu lieu en Amérique du Nord : le grand feu de Miramichi. Durant ce feu épouvantable, 10 000 milles carrés ont brûlé en l’espace de 10 heures, et 250 personnes — des Autochtones et des Blancs — ont perdu la vie. Nous ne sommes donc pas sortis du bois.

La moitié du problème réside dans le fait que nous vivons dans les bois. Les trois tiers de la population canadienne vivent dans les bois. Le feu est dévastateur. Les gens qui vivent dans les bois vont être dévastés par le feu. Je n’essaie pas de minimiser l’importance de vos observations. Tout ce que je veux dire, c’est que nous vivons là. Jasper se trouvait dans les bois, et d’autres villes sont aussi situées dans les bois. Le problème persistera; voilà ce que je veux dire.

Ma question s’adresse à M. Thiessen. Quelles sont les solutions à court terme, mis à part l’élimination du bois mort et le brûlage dirigé? Que pouvons-nous faire d’autre? Avez-vous des suggestions?

M. Thiessen : Les solutions que je recommande particulièrement sont le brûlage dirigé et, bien entendu, la gestion des pâturages au moyen du bétail.

Permettez-moi de vous parler un peu de mon expérience du brûlage dirigé. J’ai grandi là où j’habite aujourd’hui. À l’époque, les conditions climatiques étaient certainement un peu différentes : c’était plus humide. Quand j’avais entre 9 et 12 ans, mon père remplissait nos poches d’allumettes et il collait du papier abrasif au pommeau de notre selle. Nous parcourions les affluents le long de prairies naturelles et nous y mettions le feu. Comme je l’ai dit durant ma déclaration préliminaire, nous faisions cela au début de l’année et nous laissions un chaume d’environ deux à quatre pouces. L’humus n’était pas brûlé. Cette pratique réduisait considérablement la charge de combustible.

Nous utilisions aussi des peuplements de conifères denses. Les peuplements d’épinettes nous servaient de pare-feu. Les épinettes ne brûlaient jamais en raison du taux d’humidité élevé. À l’époque, nous faisions les brûlages en mai. Si nous les faisions plus tôt, en mars ou en avril, les feux pourraient être très petits, ce qui réduirait considérablement le risque qu’ils deviennent hors de contrôle, et les peuplements d’épinettes pourraient continuer à servir de pare-feu.

D’autres solutions mécaniques s’offrent aussi à nous. Nous en avons employé à petite échelle, par exemple la coupe sélective. En utilisant des chevaux, nous sommes allés retirer un grand nombre d’arbres morts ou matures et nous avons laissé les autres. Cette pratique fonctionne aussi, surtout à petite échelle. Comme d’autres l’ont déjà dit, nous occupons un vaste territoire. Il y a beaucoup d’acres.

Le sénateur Richards : Je suis d’accord avec vous. Comme tout le monde, je cherche une solution. Elle sera difficile à trouver. Ce n’est pas que je ne crois pas que la planète se réchauffe; je le crois certainement. C’est évident que la planète se réchauffe.

Le problème réside dans l’endroit où vit la population canadienne. La seule solution serait de déménager. J’ai grandi dans une région où il y avait toujours des feux de forêt. J’en ai combattu deux quand j’avais 18 et 19 ans. J’ai vu des incendies à Doaktown et à Caraquet. J’ai grandi dans ces petites régions, et chaque année, il semble y en avoir au moins un ou deux. Je ne sais pas dans quelle mesure nous réussirons à les atténuer. J’espère que nous réussirons. Je ne l’ai pas encore vu.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup; c’est fascinant. En effet, vous l’avez bien dit, il n’y a pas une seule solution pour faire des progrès. Pour continuer sur ce que la sénatrice Petitclerc a dit, j’aimerais comprendre si les brûlages dirigés ne sont que pour les grands pâturages où il y a beaucoup d’herbes ou s’ils sont dirigés carrément dans la forêt pour brûler les arbres. Est-ce qu’on a des pourcentages? On parle de toutes sortes de choses à travers le Canada sans savoir quelles sont les méthodes utilisées, sans savoir ce qui fonctionne ou ce qui ne fonctionne pas. Est-ce qu’on a une idée? Est-ce que le brûlage dirigé est vraiment quelque chose qui se passe dans les grandes forêts ou seulement dans les endroits agricoles, comme nous l’a dit M. Thiessen?

Pourriez-vous m’expliquer dans des termes simples en quoi le brûlage dirigé est une méthode de prévention dans les forêts? Je comprends que ça raccourcit l’herbe dans les forêts, mais à part cela... J’essaie de comprendre, mais c’est un peu difficile.

[Traduction]

M. Wiens : Je peux donner une première réponse, et les autres pourront fournir plus de détails.

Il ne faut pas oublier qu’il y a toujours eu des feux de forêt. Les Territoires-du-Nord-Ouest sont un exemple de région où très peu de mesures de prévention ou de gestion des forêts ont été prises depuis de nombreuses années. Si l’on remonte dans le temps, on constate un cycle de rebrûlage — les arbres portent des cicatrices. En observant les cernes sur la coupe transversale d’un tronc, on voit des cicatrices, disons, tous les 20 ou 30 ans. Il y a des cicatrices. L’arbre continue de pousser, mais beaucoup des combustibles de toute petite taille — de la grosseur de mon petit doigt ou un peu plus grand — sont brûlés. Or comme l’incendie est d’intensité moyenne, les arbres ne meurent pas.

C’est un des types d’incendies que nous tentons de reproduire quand nous effectuons un brûlage dirigé dans une région pareille. Je n’ai pas de pourcentages à vous donner. Toutes ces solutions relèvent de ce qu’on appelle la « gestion du combustible ». Elles comprennent le brûlage du sous-étage et des prairies. Elles comprennent aussi l’éclaircie systématique, une pratique qui consiste à utiliser des scies à chaîne ou de l’équipement soit pour diminuer le nombre de grands arbres, soit pour éliminer une grande partie du sous-étage, puis à réduire ces matières en paillis, dans le but de modifier le comportement du feu.

Ce type de solution présente d’autres complications, mais les moyens sont nombreux. L’objectif principal n’est pas nécessairement d’éliminer les incendies, mais, avec un peu de chance, de faire en sorte qu’il soit possible de les contrôler.

La sénatrice Miville-Dechêne : Cette méthode fonctionne-t-elle, et savez-vous si elle est très répandue? S’agit-il du meilleur moyen de réduire l’intensité des incendies partout au Canada, ou y a-t-il d’autres solutions?

M. Wiens : Avant de passer le flambeau à quelqu’un qui voudrait donner une réponse plus détaillée, je dirais simplement que c’est un moyen parmi d’autres.

La vice-présidente : J’éviterais le mot « flambeau » dans ce contexte; « relais » est plus sûr. Madame Leverkus, voulez-vous répondre à la question?

Mme Leverkus : Oui, absolument. Je vous remercie pour la question.

La pratique des brûlages dirigés est utilisée à des endroits comme les terres privées de M. Thiessen et les terres publiques qu’il loue pour le pâturage, ainsi que sur de vastes territoires désignés où des feux sont allumés au cours du printemps et de l’automne. Il existe des programmes de brûlage dirigé qui prévoient un très long processus de planification. Il y a aussi des opérations d’allumage.

Dans le contexte de la suppression des feux de forêt durant l’été, les opérations d’allumage sont effectuées dans le but de brûler le combustible avant qu’un feu de forêt important atteigne une collectivité. L’allumage est aussi une mesure de suppression des feux de forêt.

Vous avez demandé si les brûlages dirigés sont utilisés seulement pour les pâturages ou si cette méthode est aussi employée dans les forêts. Je ne pense pas qu’il soit question de mettre le feu à toute la forêt boréale, mais on peut pratiquer le brûlage dirigé dans des espaces boisés déjà ouverts et gazonnés. Je ne dirais pas que nous sommes limités. Je ne recommanderais pas d’avoir recours à cette méthode dans un peuplement d’épinettes noires regorgeant de marécages. Il ne serait pas très utile de cibler un endroit pareil puisqu’une telle opération ne nous permettrait pas d’atteindre tous nos objectifs.

Quand on parle de brûlage dirigé, il y a toujours un plan. Il y a des objectifs. On tient compte des données météorologiques, d’indices divers et de différentes conditions, et on dresse des cartes.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que j’ai encore du temps?

La vice-présidente : Non, plus de temps, ce sera pour la prochaine fois.

[Traduction]

La sénatrice Burey : Je vous remercie d’être des nôtres et de nous renseigner sur cet enjeu très important. Je vais focaliser notre attention sur les interventions. Il a été question des ressources humaines, de la formation, de l’application des connaissances et du financement.

Selon un sondage récent mené par Abacus Data, trois Canadiens sur quatre appuient la création d’une nouvelle force nationale non militaire de lutte contre les feux de forêt qui pourrait être déployée partout au Canada, une idée proposée en 2023 par plusieurs spécialistes des feux de forêt.

Madame Leverkus, vous avez parlé de l’importance du financement et de la garantie d’emploi pour la main-d’œuvre locale.

Soutenez-vous la proposition de créer une force spécialisée de lutte contre les feux de forêt, qu’il s’agisse de la force recommandée ou d’un service qui appuierait les collectivités?

M. Wiens : Mme Leverkus a fait une observation intéressante que je tiens à réitérer : cette année et l’année dernière, beaucoup de ressources ont été sous-utilisées. Nous disposons de ressources que nous n’avons pas encore appris à mettre à profit, et une grande partie de ces ressources proviennent des communautés autochtones. Il y a des facteurs de nature administrative qui interviennent sur les déplacements des gens entre les provinces. Certains sont liés à la sécurité et ils ne sont pas dénués de fondement, mais les problèmes sont solubles et ils doivent être résolus. Ce serait un grand pas en avant.

Je ne sais pas vraiment s’il serait préférable de mettre sur pied un organisme central que de continuer à partager les ressources comme nous le faisons aujourd’hui, mais c’est une question qu’il faut examiner très attentivement, et il faut y trouver une réponse. Chaque année, des milliers de personnes pourraient nous aider à lutter contre les incendies, mais nous ne faisons pas appel à elles. Y a-t-il moyen de les mettre à contribution dans le cadre du système actuel ou faut-il créer un nouveau système? C’est la première question que je poserais.

Je ne rejetterais pas la proposition, mais je ne suis pas convaincu que ce soit la meilleure solution. On pourrait peut-être utiliser les systèmes déjà en place pour partager les ressources humaines entre les provinces et les pays de manière extrêmement efficace. Si l’on trouvait moyen de mobiliser les personnes qui attendent juste qu’on les appelle, les possibilités seraient énormes.

Mme Leverkus : D’après moi, il n’y a pas assez d’êtres humains au Canada pour lutter contre les incendies aujourd’hui, et il n’y en aura pas assez demain.

Je n’ai pas de réponse à donner sur la force de lutte contre les feux de forêt. Je sais qu’avec M. Thiessen, nous avons formé 150 personnes le printemps dernier — des éleveurs et des Autochtones. Ils sont équipés d’unités de protection structurelle, qui comprennent des tuyaux, des pompes et tout le matériel dont ils ont besoin pour se protéger. Nous avons seulement deux de ces unités de protection structurelle, qui coûtent 220 000 $ chacune, mais ensemble, nous avons réussi à recueillir les fonds nécessaires pour acheter ces unités et pour former tous les éleveurs. M. Thiessen a fait un travail remarquable pour rallier tout le monde.

Selon moi, c’est la voie de l’avenir. Les habitants des collectivités rurales et éloignées, comme les gens de Fort Nelson qui sont restés pour défendre la collectivité après que les autres habitants ont évacué la ville... M. Thiessen a vécu des situations semblables. Je pense qu’il faut fournir aux habitants des collectivités rurales et éloignées de la formation et de l’équipement; il faut leur apprendre les protocoles de sécurité appropriés. Cela m’amène à mon autre suggestion ou à mon autre souhait : on pourrait mettre sur pied des équipes de gestion des incidents en milieu rural. Ces équipes se composeraient de personnes comme nous qui sont prêtes à rester sur place et à défendre la collectivité. Elles recevraient une formation sur la sécurité et de l’équipement, et elles relèveraient directement du service des feux de forêt de la Colombie-Britannique, du gouvernement de l’Alberta ou du gouvernement territorial. Nous pouvons fournir beaucoup de soutien sur le terrain.

Nous avons de très bonnes ressources de type 1. Il s’agit des équipes de pompiers du gouvernement. Les ressources de type 2 et de type 3 sont les équipes contractuelles, comme la mienne. Nous n’avons tout simplement pas assez de personnel. Pendant 2 mois cette année, nous avions 450 personnes dans la collectivité de Fort Nelson, qui compte seulement 2 000 habitants. Nous avions 25 hélicoptères. Puis, à la fin du mois de juillet, tout le monde est parti vers le sud.

Je ne sais pas si des personnes dans la salle ont vécu l’expérience de passer près de perdre leur maison et leurs moyens de subsistance, et si elles sont restées sur place après que toutes les ressources ont été réaffectées. Il n’y a rien de mal à réaffecter les ressources quand il y a plus de gens et de problèmes dans le reste de la province, mais ceux d’entre nous qui demeurent sur place ont aussi besoin de ressources.

M. Thiessen : Bien qu’attirante, l’idée d’une armée de lutte contre les incendies de forêt me préoccupe aussi, car je pense qu’il est préférable que ces gens soient sur place, sur le terrain, tout près de l’incendie.

Cet été, nous avons eu un incident, alors qu’un incendie s’est déclaré dans plusieurs épinettes noires chez mon voisin. Ils se sont embrasés. Je pense que notre région est la seule où il existe une unité de pompiers parachutistes. En fait, nous étions les premiers sur les lieux de l’incendie, mais les pompiers parachutistes l’ont également vu, et ils ont sauté de l’avion en parachute.

Ensemble, les pompiers parachutistes du service des forêts et nous — les éleveurs — avons réussi à contenir et éteindre cet incendie cinq heures après qu’il se soit déclaré. Voilà le genre de ressources à notre disposition. Si nous pouvons former des gens sur place afin d’avoir des bottes sur le terrain, nous serons tout près, à trois ou quatre miles de l’incendie ou juste à côté.

Voilà ce qui nous permet d’intervenir rapidement et d’éteindre les incendies. Cela joue un rôle essentiel pour atténuer et stopper ces incendies, selon moi, au lieu d’intervenir après qu’ils ont ravagé 50, 100 ou 500 acres, disons.

La vice-présidente : Avant de commencer le deuxième tour, je vais me prévaloir de la prérogative de la présidence pour poser deux ou trois petites questions.

D’abord, monsieur Thiessen et madame Leverkus, vous arrive-t-il qu’on vous repousse en vous disant : « Enlevez-vous du chemin, vous augmentez le danger en étant ici. Nous sommes des professionnels, et vous, pas tant. »

M. Thiessen : Oui, j’ai fait face à de la résistance, c’est vrai. Cela nous est arrivé quelques fois, comme famille, mais nous avons d’excellentes relations avec les spécialistes de la gestion des incendies et l’équipe qui est à Fort St. John, où nous vivons.

Dans ces cas-là, ils ont appelé le chef de la lutte contre les feux de forêt. Puisque nous entretenons de si bonnes relations et que nous avons fait beaucoup pour le service des forêts, on nous donne toujours l’autorisation, et nous reprenons le travail.

La vice-présidente : Madame Leverkus, avez-vous un commentaire?

Mme Leverkus : Oui, et je ferai écho aux propos de M. Thiessen. J’entretiens d’excellentes relations avec le service de lutte contre les incendies de forêt de la Colombie-Britannique, les responsables de la lutte contre les incendies du secteur, le centre interservices des feux de forêt et les autorités provinciales.

Nous avons vraiment fait nos preuves cette année, ce qui, encore une fois, témoigne du fait que nous formons des gens depuis 10 ans. Nous sommes une équipe de lutte contre les incendies de forêt. Même si j’ai plusieurs initiales avant et après mon nom, je vais sur le terrain, dans le noir, sur le front. Nous travaillons avec toutes les équipes de lutte contre les incendies de forêt.

Les gens comprennent que même si nous travaillons avec acharnement pour changer les paradigmes des feux de forêt au Canada, nous joignons le geste à la parole. Je ne saurais dire assez de bonnes choses sur les représentants gouvernementaux avec qui nous avons travaillé.

Je dirai que c’était difficile, ce printemps. Ma maison a été évacuée. L’incendie était littéralement à cinq minutes de chez moi. Il a presque brûlé notre communauté. Il y a eu des pertes d’infrastructures. Mon équipe et moi avons passé 64 jours à combattre cet incendie à cinq minutes de chez moi. J’aurai d’autres observations, si vous avez d’autres questions à ce sujet.

La vice-présidente : J’ai une question pour M. Thiessen et Mme Baltzer. Nous venons de terminer une étude exhaustive et d’envergure sur la santé des sols, et je pensais que nous avions abordé tous les angles possibles. Le seul aspect dont nous n’avons jamais parlé, c’est ce qui arrive lorsque la couche arable brûle.

Pourriez-vous parler des répercussions économiques et agricoles à long terme lorsque la couche arable des terres agricoles et des terres d’élevage est incendiée? Monsieur Thiessen, je vais commencer par vous, puis nous passerons à Mme Baltzer, si c’est aussi dans votre domaine.

M. Thiessen : Je vais parler de ce que je connais. Je n’ai pas de connaissances scientifiques en particulier, mais j’ai l’expérience.

En 1953 — c’était un peu avant mon temps —, un important incendie de forêt a ravagé la majeure partie de la région où nous habitons, pas l’endroit où nous faisons de l’élevage, mais de nombreuses collectivités voisines. C’était au milieu de l’été. C’était un incendie d’une forte intensité. La majeure partie de la couche arable a brûlé. Vous pouvez voir la ligne de démarcation, ici, dans cette partie que j’ai exploitée avec mes parents, qui sont les pionniers qui ont ouvert cette terre après leur arrivée au pays. On voit une démarcation claire, à cet endroit.

J’ajouterai qu’en 2023, nous avons eu un incendie intense qui a brûlé une bonne partie de la couche arable. Plus tard, j’ai parcouru la région à cheval pour retrouver nos vaches, car les feux de forêt les avaient fait fuir. Nous avons essayé de rassembler le bétail. Nous avons eu seulement deux pouces de pluie. Dans les secteurs où nous n’avions jamais eu d’érosion, il y avait déjà environ 1,5 pied d’érosion dans certaines ravines où la terre arable est brûlée. Je pense que lorsque la couche arable brûle, c’est très destructeur pour l’environnement.

En outre, Agriculture et Agroalimentaire Canada et la Peace River Forage Association ont, dans notre région, un lotissement expérimental où l’on mène des essais de brûlage. Il s’agit d’un projet de trois ans auquel Mme Leverkus participe également. D’ailleurs, ils viendront sur les lieux demain pour faire des analyses de sol afin de déterminer les effets du feu sur notre sol.

Nous faisons du brûlage à divers endroits, parfois légèrement, parfois de façon plus intense. Nous faisons différentes choses. Nous faisons appel à des scientifiques qui font des essais pour voir où cela mène.

Mme Baltzer : Je tiens à féliciter M. Thiessen et Mme Leverkus du travail expérimental qu’ils font. La réponse, probablement, c’est que nous n’en savons pas assez sur les répercussions des incendies sur les terres agricoles.

Dans les forêts où je travaille, les répercussions peuvent être importantes là où le sol est brûlé en profondeur, en particulier sur les écosystèmes aquatiques. En effet, la chimie de l’eau peut être modifiée, ce qui a une incidence sur le fonctionnement des lacs et rivières, parfois sur de très courtes périodes, parfois à plus long terme. Lorsqu’on pense à la combustion du sol, il faut également penser aux interactions entre la terre et l’eau.

La vice-présidente : Merci. En plein dans les temps.

Le sénateur McNair : Madame Leverkus, parmi vos nombreux commentaires, deux m’ont particulièrement frappé. Vous avez parlé de « brûlages bénéfiques » avec grande passion — ma collègue, la sénatrice McBean, en a parlé —, et vous avez dit : « Ne vous mettez pas en travers du chemin des gens qui procèdent à des brûlages dirigés. »

En outre, vous avez dit à quelques reprises que vous n’avez pas peur de rester sur place et de défendre vos acquis.

Je pense aux témoignages que nous avons eus jusqu’à maintenant dans le cadre de l’étude du comité. Nous avons entendu des représentants du gouvernement, de l’Association canadienne des chefs de pompiers et de la Croix-Rouge, mais l’étude porte principalement sur la réponse aux feux de forêt. Ce groupe de témoins ainsi que le groupe précédent nous aident à mieux comprendre les causes de ces incendies de forêt.

Ma question, qui s’adresse à chacun de vous, est la suivante : selon vous, que devrions-nous retenir de cette étude, ou quel élément précis devrions-nous inclure dans notre rapport? Madame Leverkus, vous avez éloquemment énuméré quatre leçons dans votre rapport, et c’est peut-être tout, mais on pourrait en ajouter une cinquième : « Ne vous mettez pas en travers du chemin des gens qui procèdent à des brûlages dirigés. »

Madame Baltzer, avez-vous un commentaire?

Mme Baltzer : Oui, je vous remercie. À mon avis, il est essentiel, dans le rapport — je suis consciente qu’on dit qu’il n’existe pas de solution miracle, mais cette solution, c’est l’atténuation des changements climatiques —, d’insister sur la nécessité de mesures beaucoup plus énergiques pour l’atteinte de nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de collaborer avec d’autres pays pour agir plus rapidement face à l’urgence climatique.

Nous sommes arrivés à un point où nous ne pouvons plus attendre. En ce qui concerne les incendies de forêt sur ce territoire, il faut ralentir le réchauffement. C’est le premier point sur lequel il faut insister. C’est la principale solution.

Le sénateur McNair : La solution ou le début?

Mme Baltzer : Pour commencer à ralentir le réchauffement. C’est ce que je retiendrais, oui.

Le sénateur McNair : D’accord.

M. Wiens : Un des aspects, c’est peut-être devenu un slogan, c’est que toutes ces questions, quelles qu’elles soient, concernent l’ensemble de la société. Les brûlages dirigés sont un bon exemple. Il y a la physique, le processus physique, le processus en soi, mais cela comporte aussi un aspect social important. Les voisins ne sont pas contents lorsqu’on les enfume.

À cela s’ajoute la question de la santé. La fumée a de graves répercussions sur la santé. Cela fait actuellement l’objet de nombreuses études.

Je dirais que l’acceptabilité sociale est un aspect important. Si vous voulez abattre des arbres, brûler le sous-étage et faire une multitude de changements, l’aspect social est très important. En fait, il faut vendre l’idée, pour ainsi dire. On ne peut pas simplement aller là et dire que c’est la solution et qu’il faut le faire, point, car les gens seront alors extrêmement réticents.

Le sénateur McNair : Merci.

Madame Leverkus, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Leverkus : Outre les points que j’ai déjà mentionnés — et que j’aimerais voir inclus dans votre rapport comme suggestions —, je suis convaincue que le travail concerté, en collaboration, est une avenue à suivre. Je ne dis pas que nous voulons conquérir le monde, mais il y a au pays des gens qui choisissent de vivre dans des collectivités rurales et éloignées, sachant que cela comporte des risques. Beaucoup d’entre nous souhaitent vivement participer et aider. Si nous pouvons le faire en toute sécurité, et sous la direction des organismes provinciaux et territoriaux, ce sera un pas en avant très positif.

Je cède la parole à M. Thiessen.

M. Thiessen : Un des points que j’aimerais faire valoir ou voir dans votre rapport, c’est que mon approche à cet égard diffère légèrement de celle de la plupart des gens. L’élevage de bovins est mon gagne-pain. Je pense que nous pouvons apporter beaucoup à ce secteur. On observe en Colombie-Britannique une baisse du nombre de bovins sur les terres, et une réduction du nombre d’incendies sur les terres. J’aimerais que ces deux faits soient présentés non pas comme des choses qui vont sauver le monde, mais comme des choses qui changent certainement la donne pour la gestion de ces enjeux.

J’ai parlé des clôtures virtuelles. Dans le passé, il était difficile d’utiliser le bétail pour réduire la charge de combustible sur certaines terres de la Couronne où il y a beaucoup d’herbe, mais maintenant, grâce aux clôtures virtuelles qui se pointent à l’horizon — mon fils y travaille avec grande diligence —, nous pouvons protéger certaines de ces zones riveraines et zones à besoins spéciaux, et répondre à certaines préoccupations des populations autochtones et des Premières Nations. Nous pouvons faire beaucoup de choses.

J’exploite plus de 30 000 acres de pâturages. Donc, nous pouvons faire une différence dans un immense corridor. Notre région est constituée de grands ranchs. S’il était possible de créer un programme pour l’utilisation de clôtures virtuelles pour déplacer le bétail, gérer les zones spéciales et répondre aux préoccupations environnementales liées à la présence de bétail sur les terres, je pense que nous pourrions faire beaucoup de choses.

La vice-présidente : Je dois préciser que certains de nous ont eu l’occasion de visiter un ranch dans le sud de l’Alberta l’été dernier, où nous avons vu des clôtures virtuelles... Eh bien, nous ne les avons pas vues, mais nous avons compris leur fonctionnement. Serait-il utile que ceux qui n’étaient pas du voyage comprennent comment cela fonctionne? Grâce aux clôtures virtuelles, il n’est pas nécessaire d’installer des barbelés. Il s’agit d’une clôture invisible qui arrête le bétail et permet un pâturage plus intensif sur place. Cela donne un petit choc au bétail.

Sénatrice Petitclerc, j’ai dû vous interrompre au milieu d’une excellente discussion.

La sénatrice Petitclerc : Je pense avoir eu ma réponse à un autre moment, à moins que vous ne vouliez faire un commentaire. En toute franchise, je ne suis même pas certaine de me souvenir de ma question.

Mais si vous vous en souvenez, je serai ravie d’entendre la réponse.

M. Wiens : Selon ce que j’ai noté, elle portait sur certains des aspects sociaux du brûlage dirigé et ce genre de choses.

La sénatrice Petitclerc : Oui.

M. Wiens : Cela répondra peut-être à quelques questions. Une des choses les plus intéressantes, c’est que si la Dre Henderson vient vous parler, elle soulignera que les répercussions sur la santé — elle est épidémiologiste, alors elle étudie l’état de santé des gens qui vont à hôpital, à l’urgence — se manifestent très tôt, avec des niveaux de fumée relativement modestes. Si vous allez d’ici à ici, vous avez déjà une incidence sur la santé. Lorsque vous passez d’ici à ici, l’incidence est plus faible. C’est la première chose. Même des quantités relativement modestes de fumée ont une incidence importante sur la santé.

La fumée peut entraîner des risques dans les transports, par exemple. Il y a 30 ou 40 ans, on a enregistré de nombreux accidents en Alberta, entre Edmonton et Jasper, où la fumée a créé un brouillard, ainsi que dans le sud du Manitoba. Il y a eu de nombreux accidents graves et mortels en raison de la visibilité réduite par la fumée.

Donc, de ce point de vue, c’est très compliqué.

L’autre aspect, cependant, c’est qu’il existe des stratégies. Quelqu’un a mentionné l’idée de systèmes de ventilation et de filtration adéquats à l’intérieur. L’idée de créer des espaces sûrs où les gens pourraient s’abriter, pas tant du risque lié à la chaleur du brasier, mais plutôt de la fumée, a fait l’objet de discussions dans plusieurs communautés. Est-il possible de construire des centres communautaires, par exemple, dotés de systèmes de chauffage et de ventilation capables d’éliminer la fumée? C’est possible. Ce n’est pas très abordable, mais ce n’est pas très cher non plus. Il est assez facile de fabriquer des filtres efficaces.

En somme, c’est vraiment nuancé, mais au risque de le répéter, il faut une approche à l’échelle de la société. En outre, il faut créer un programme de communication efficace en amont pour faire connaître les avantages et expliquer aux gens pourquoi certaines mesures ont été prises pour les protéger et les mesures qu’ils peuvent prendre.

Mme Leverkus : Je vais essayer d’être brève.

En tant que responsables des feux dirigés, nous posons souvent la question suivante : « Comment préférez-vous la fumée? » Est-ce que vous préférez de courtes flambées à l’automne et au printemps, alors qu’il y a de bons vents et que la fumée se lève et se dirige ailleurs, ou préférez-vous respirer de la fumée et vous étouffer, comme le font les gens de Fort Nelson tout l’été? C’est une question que nous posons souvent.

Vous nous avez demandé dans quelle mesure nous pouvions aider à prévenir les feux, plutôt que d’y réagir et d’y répondre. Je crois que les feux dirigés sont la voie de l’avenir. Les feux dirigés et la gestion des pâturages que font M. Thiessen et beaucoup d’autres gens partout au pays avec leurs élevages et les feux représentent un processus écologique très important et une façon de réduire la taille de l’herbe. L’herbe alimente les feux, alors il faut voir la question selon ces deux angles.

Je crois aussi que l’on pourrait étudier de nombreux exemples en Colombie-Britannique, en Alberta et ailleurs au pays de gens qui ont recours aux feux dirigés sur leurs terres d’une bonne façon.

Est-ce que je crois que cela va permettre de régler tous les problèmes du pays? Peut-être pas, mais je crois que nous devons être préparés et être plus agressifs. Cela signifie que les gens vont voir de la fumée, mais sur de courtes périodes plutôt que pendant tout l’été.

La sénatrice Petitclerc : Je crois que ma prochaine question s’adresse à vous, madame Baltzer.

C’est une question simple. Nous avons parlé de prévention et d’intervention. Est-ce que nous avons un plan pour l’avenir? Je comprends que la réduction des urgences climatiques représenterait la situation idéale, mais est-ce que nous avons un quelconque plan pour la gestion des feux de forêt — sur le plan universitaire ou de la main-d’œuvre — ou est-ce que nous sommes en mode réaction?

Mme Baltzer : Je crois que M. Wiens serait plus en mesure de répondre à cette question...

La sénatrice Petitclerc : J’aimerais aussi savoir si l’on investit dans la recherche. C’est pourquoi ma question vous est adressée.

Mme Baltzer : Je vous remercie pour votre question.

Je dirais que l’on développe activement ce que l’on appelle des outils de prévision écologique, qui comprennent des modèles associés aux incendies et aux changements climatiques, et qui tiennent compte de la façon dont la couverture terrestre change en réaction à ces événements. Tous ces modèles donnent une idée aux décideurs de ce qui s’en vient. Ces outils sont essentiels. Des chercheurs du Service canadien des forêts travaillent à développer d’autres outils, en collaboration avec des universitaires de l’ensemble du pays.

La sénatrice Marshall : Ma question s’adresse à M. Thiessen. Vous nous parliez des mesures que vous prenez pour gérer votre propriété ou votre terre. Il doit y avoir des propriétés adjacentes. Est-ce que tout le monde fait comme vous? Est-ce qu’il y a aussi d’autres propriétaires aux alentours qui ne prennent aucune mesure?

Vous semblez avoir une bonne recette et je me demande si d’autres prennent les mêmes mesures que vous ou si certains ne font rien du tout.

M. Thiessen : Oui. Nous avons plusieurs voisins. Comme il y a de plus en plus de feux de forêt, ils me demandent de plus en plus de les aider à procéder à des feux dirigés afin de protéger les terres contre les incendies ou à tout le moins d’en réduire l’incidence. Nous le faisons de plus en plus.

Notre collectivité compte de nombreuses terres de la Couronne; elles sont dispersées un peu partout. Ces terres sont très propices aux incendies. Certaines ont brûlé en 2016 et d’autres en 2023. En gros, les feux de forêt ont transformé ces terres boisées qui comptaient de magnifiques grands conifères et des paysages feuillus en de véritables prairies. J’y suis allé à cheval il y a trois jours et l’herbe montait par-dessus mon pommeau de selle. Elle mesurait plus de six pieds. Si le prochain printemps est sec, l’herbe risque de brûler d’une façon ou d’une autre. La foudre s’abattra quelque part et la situation sera hors de contrôle.

Si l’herbe était brûlée dès qu’il n’y avait plus de neige — on peut même la brûler alors qu’il y a encore de la neige au sol, en enlevant la couche supérieure —, on pourrait changer radicalement le cours des quatre prochains mois.

La sénatrice Marshall : Quelle est la proportion des terres qui appartiennent à la Couronne? Est-ce une petite partie? Est-ce que ce sont plutôt d’autres propriétaires-agriculteurs, ou est-ce qu’une grande partie appartient à la Couronne?

M. Thiessen : Environ 80 % des terres appartiennent à la Couronne.

La sénatrice Marshall : C’est beaucoup. Merci. Cette information nous est utile.

[Français]

La sénatrice Oudar : Ma question sera brève, parce que j’aimerais entendre les quatre témoins sur cet enjeu.

Vous avez tous parlé de réduction. Cela m’amène au premier élément que la sénatrice Petitclerc a évoqué, c’est-à-dire la prévention.

Dans les documents que j’ai lus — vous me direz si c’est exact ou non —, on nous dit que 97 % des causes des feux sont d’origine humaine. Si j’avais à vous demander à chacun une mesure de prévention que l’on devrait inclure dans nos réflexions, quelle serait-elle? Qui veut répondre en premier sur la prévention? Si vous aviez à nous conseiller un élément sur lequel on devrait se pencher sur le plan de la prévention, quel serait-il?

[Traduction]

M. Wiens : Je vais commencer, et nous verrons où cela nous mènera. Les feux causés par la foudre représentent 90 % de la superficie brûlée au Canada, parce qu’ils ont tendance à être éloignés et difficiles à atteindre. Tout dépend de la saison, mais dans l’ensemble au Canada, environ la moitié des incendies sont d’origine humaine et l’autre moitié sont des incendies d’origine naturelle... C’est peut-être 55-45, mais c’est très près de 50-50. C’est un bon point de départ. Au printemps, quand il y a moins de foudre, les feux sont plutôt d’origine humaine. Au milieu de l’été, quand il y a plus de foudre, les feux sont plutôt d’origine naturelle.

Il ne faut pas oublier que les incendies d’origine humaine ne sont pas seulement attribuables aux gens qui jettent des cigarettes par la fenêtre, par exemple. Il y a toutes sortes d’activités humaines. Les feux peuvent être causés par des trains, des camions de transport ou une chaîne de traînage. Il s’agit parfois de négligence : d’une personne qui allume un feu et qui s’en va. Il est très rare — même si ce n’est pas impossible — qu’un incendie soit d’origine criminelle. Les causes humaines constituent une catégorie très vaste, mais il y a des mesures que nous pouvons prendre pour les réduire. C’est l’une des sources d’allumage que nous pouvons réduire. La plupart de ces incendies ont tendance à se produire là où les gens se trouvent, alors ils les remarquent plus tôt et sont en mesure de réagir plus tôt. Il est essentiel de réagir rapidement pour les éteindre.

M. Thiessen : L’éducation est très importante en ce sens. Au cours des 25 dernières années, notre mentalité à l’égard du feu a changé de façon radicale.

Les gens allument des feux de camp et font leurs affaires. Toutefois, on leur a enseigné que si les choses tournaient mal, ils ne pouvaient rien faire. Si un feu fait cinq pieds de diamètre, par exemple, une personne peut facilement l’éteindre avec ses pieds ou sa veste si les niveaux de carburant sont gérables. Souvent, on leur dit qu’ils ne peuvent rien faire en cas d’incendie. Je pense qu’avec un peu d’éducation, même les personnes qui se trouvent dans la forêt pourront changer les choses. On n’évitera peut-être pas un grand nombre d’incendies, mais on pourra en éviter certains, et toutes les mesures d’atténuation sont bonnes. L’éducation est essentielle dans ce domaine.

Mme Leverkus : Je dirais qu’il faut brûler l’herbe ou y faire brouter le bétail, avoir des équipes formées et de l’équipement, comme des pompes, des boyaux et du soutien aérien, surtout pour les régions rurales et éloignées. Il faut être prêts, car les feux reviendront.

Mme Baltzer : Pour ajouter à la question de l’éducation, Mme Leverkus et M. Thiessen ont parlé de l’acceptation des outils utilisés pour gérer ou ralentir les feux sur les terres dans leur région. Toutefois, des préoccupations demeurent dans de nombreuses régions à l’égard de certains des outils.

Il y a un important volet éducatif à mettre en œuvre pour aider à mieux comprendre le rôle de certains de ces outils de gestion afin de contribuer à ralentir l’empiétement des incendies sur les communautés, voire l’empêcher. Il y a encore beaucoup de travail à faire à cet égard. Il faudrait plus de ressources pour communiquer efficacement ces renseignements dans les collectivités très dispersées.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question qui est un peu hors des sentiers battus et qui m’a été inspirée par le sénateur Richards, qui disait que nous vivons sous les arbres. J’ai toujours cru qu’on était un pays privilégié pour affronter les changements climatiques, justement parce qu’on a des arbres, contrairement à d’autres pays désertiques ou qui ont peu d’arbres. On vous entend. Tout cela est assez dramatique. On parle des feux et de ce qui va mal. Est-ce tout de même une sécurité d’avoir autant d’arbres dans notre pays, à un moment où le climat se réchauffe à ce point? Cela devient-il un danger pire encore que de ne pas avoir d’arbres?

[Traduction]

Est-ce que c’est logique? Est-ce que vous avez compris? Je sais que nous ne pouvons pas changer notre pays, mais nous en parlons en des termes très négatifs. Il me semble que si la planète se réchauffe, il vaut mieux vivre sous les arbres; c’est un peu mieux... J’essaie de trouver un équilibre.

Mme Baltzer : Vous avez tout à fait raison. Les forêts sont un élément essentiel du refroidissement de la planète. Elles font un travail énorme. L’eau qui s’écoule de ces forêts contribue à refroidir tout le système. Nous le savons. Nous savons que dans les villes où il y a plus d’espaces verts, il y a des endroits plus frais. Vous avez tout à fait raison; ces forêts font un travail très important pour aider à refroidir la planète.

Le problème se pose lorsque ces forêts deviennent très sèches et qu’il fait très chaud. Nous avons de nombreuses forêts. Je ne pense pas que quiconque suggère qu’il serait préférable de ne pas en avoir.

La sénatrice Miville-Dechêne : Non, ce n’est pas ce que nous disons.

Mme Baltzer : Le défi consiste à trouver des moyens d’assurer la sécurité des communautés et des actifs importants lorsque nous connaissons des années difficiles comme l’année 2023. Elles seront de plus en plus fréquentes. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.

Mme Baltzer : D’autres pays qui ont beaucoup moins de forêts que le Canada connaissent le même type de problèmes. De nombreuses régions de l’Europe sont aux prises avec d’importants feux de forêt, alors qu’elles sont beaucoup moins boisées que les nôtres. C’est l’une des conséquences des changements climatiques associées aux incendies.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais vous poser une question plus précise.

[Français]

Vous dites que les types d’arbres changent avec les changements climatiques ou avec les feux et qu’on a moins de conifères et plus de feuillus. Je vous avoue que j’ai remarqué cela même dans les forêts qui sont plus près des grandes villes. Comme dans le nord de Montréal, il y avait beaucoup plus de conifères à une époque. Donc, est-ce que le fait qu’il y ait un changement de types d’arbres dans les forêts est néfaste?

[Traduction]

Mme Baltzer : C’est une excellente question et une nuance très importante. Les divers types d’arbres réagissent différemment aux incendies. Les conifères sont généralement assez inflammables. Ils contiennent toutes sortes de composés qui brûlent bien. Certains d’entre eux, comme l’épinette noire, brûlent très facilement. On peut voir les tiges mortes sur les souches. Certaines des caractéristiques de ces arbres favorisent les feux de forêt.

Beaucoup d’espèces à feuilles larges ont tendance à mieux réagir face au feu. Elles ont tendance à être moins inflammables pendant la majeure partie de l’année, surtout lorsqu’elles ont des feuilles. Elles brûlent lorsque le climat est sec. En 2023, de nombreux peuplements de trembles ont brûlé, par exemple, mais ils contribuent certainement à ralentir les incendies à l’échelle du paysage, même s’ils ne les arrêtent pas complètement. Ils ont beaucoup plus d’eau dans leurs tissus et beaucoup moins de ces composés plus inflammables.

La sénatrice Miville-Dechêne : On plante beaucoup de pins. Il ne faudrait plus le faire?

M. Wiens : J’allais dire que la monoculture est très fréquente dans le cadre du reboisement, ce qui n’est pas normal ou naturel. Il faudrait plutôt un mélange d’espèces.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est donc une mauvaise chose?

Mme Baltzer : Je pense qu’il est prouvé qu’une partie de l’aménagement forestier qui a mis l’accent sur la croissance des conifères peut mener à des situations où le paysage est plus inflammable que là où il y a des mélanges d’espèces. Il vaut la peine d’y réfléchir dans le contexte de l’aménagement forestier. Les gens en parlent. Nous constatons un recours accru à certaines espèces comme le tremble à titre de coupe-feux autour des collectivités. C’est ce qui se fait à Whitehorse, par exemple. On plante des trembles pour créer de grands coupe-feux autour de la ville. C’est un sujet de conversation.

La sénatrice Miville-Dechêne : Nous avons le contrôle là-dessus. Il faudra changer nos méthodes de plantation et de reboisement.

Merci beaucoup.

Le sénateur Richards : Je vous remercie de votre présence.

Vous avez raison. Souvent, le reboisement se fait avec du pin ou d’autres espèces, sur des milliers d’acres, et ce n’est pas bon. Ces espèces n’apportent pas la même chose au sol, et elles brûlent rapidement.

Je m’interroge sur l’interdépendance des équipes de pompiers qui viennent au Canada. L’Europe a brûlé cet été. La Grèce a brûlé; le Portugal a brûlé; l’Espagne a brûlé; le sud de la France a brûlé. Des équipes du monde entier s’y sont rendues, et sont venues au Canada. Je ne sais pas si elles étaient à Jasper, mais elles étaient en Colombie-Britannique en provenance de l’Afrique du Sud et de l’Australie. Nous nous rendons aussi dans ces pays.

À quel point tout cela est-il lié? Le savez-vous? S’agit-il d’une politique du gouvernement? Est-ce une politique individuelle des pompiers? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Wiens : C’est un peu des deux, je crois. Les communautés universitaires sont évidemment très unies dans le monde entier : les Australiens, les Européens et les Nord-Américains. Nous interagissons très régulièrement les uns avec les autres; nous assistons aux conférences des uns et des autres et nous lisons nos journaux respectifs. On établit de nombreux liens de cette façon.

L’échange d’équipes entre les pays a l’avantage supplémentaire de créer des amitiés et des relations qui perdurent. Des pompiers en Australie connaissent des pompiers en Afrique du Sud et ainsi de suite. Les échanges de personnes favorisent aussi les échanges d’idées. C’est une conséquence positive imprévue.

Il y a aussi un processus assez intentionnel. Un bon exemple est la visite d’étude — que nous n’avons pas faite depuis un certain nombre d’années — entre l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Amérique du Nord. On rassemble un certain nombre de pompiers pour visiter d’autres pays. Les pompiers du Canada, de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis se rendent en Australie, et vice versa, à divers moments. Ils se déplacent et comprennent comment les autres pays fonctionnent.

C’est une activité tout à fait intentionnelle pour assurer un échange d’idées continu entre les divers pays.

Le sénateur Richards : Je sais, et c’est très admirable.

Je me demande comment un Australien du nord de Sydney peut savoir comment combattre des feux dans le nord de la Colombie-Britannique. Il faut savoir comment travailler dans les forêts du nord de la Colombie-Britannique, tout comme il faut des spécialistes pour travailler au sud de Brisbane, par exemple. Combien de temps faut-il pour s’adapter? Le savez-vous?

M. Wiens : Je sais qu’ils s’acclimatent très rapidement. Il y a assurément des points communs, mais une certaine forme d’adaptation est bien sûr nécessaire. Je n’ai pas été personnellement sur le terrain, alors je ne peux pas vraiment vous en parler.

Mme Leverkus pourrait sans doute le faire, mais je sais que cela fonctionne très souvent.

Mme Leverkus : Je peux vous en parler.

J’ai travaillé avec plusieurs équipes australiennes de gestion des incidents, d’abord en 2017 pour les feux à Elephant Hill et au complexe Tautri en Colombie-Britannique, et nous avons eu une équipe d’environ 20 personnes pour celui de Fort Nelson, aux alentours de la dernière semaine de juillet et la première d’août. Ces équipes étaient incroyables. Il s’agissait assurément de pompiers professionnels. Ils assistaient aux réunions sur les opérations et étaient formidables. Ils avaient reçu beaucoup d’information pendant qu’ils étaient en route pour le Canada. Ils ont des trousses d’information.

Oui, la végétation est différente, et ce qui alimente le feu est donc différent, et je crois que c’est ce dont vous voulez parler. En fait, la forêt boréale brûle assez facilement, comme dans bien des régions éloignées de l’Australie.

Quand l’équipe australienne de gestion des incidents vient, elle m’impressionne toujours beaucoup. Elle dirige les équipes comme la mienne et les équipes gouvernementales.

Je veux vous dire un mot aussi rapidement sur la sécurité, car c’est un sujet dont nous n’avons pas parlé, je crois. Je tiens à mentionner que nous avons perdu huit pompiers l’an dernier et que nous en avons perdu un cette année en Alberta, et je veux m’assurer qu’on parle des dangers liés aux arbres.

J’aime les arbres moi aussi. Je sais que les arbres ont beaucoup d’utilité, mais nous en sommes à notre quatrième année de sécheresse ici dans le Nord, et on voit des arbres tomber. Nous avons eu jusqu’à maintenant plusieurs décès dus à des arbres qui tombent. Pour les équipes qui viennent d’ailleurs, il n’est pas toujours facile de comprendre le niveau de sécheresse que l’on connaît dans le Nord et que même lorsque les pompiers marchent dans une zone de verdure — un terrain qui n’a pas encore brûlé —, le danger est toujours présent, car les arbres qui s’y trouvent peuvent tomber.

Au sujet de ce qui doit être inclus dans le rapport, je pense honnêtement qu’on doit parler, au moins dans un paragraphe, des dangers liés aux arbres. Beaucoup d’information a été publiée depuis les deux dernières années, mais n’oubliez pas, s’il vous plaît, de parler de cela et de la sécurité des pompiers.

La vice-présidente : Je vois que notre analyste en prend bonne note.

La sénatrice McBean est la dernière intervenante sur la liste. Nous aurons le temps pour quelques brèves questions si quelqu’un d’autre veut en poser.

La sénatrice McBean : Il me semble entendre que si on connaît la matière combustible, on sait comment se propage un feu. J’ai deux questions.

Monsieur Thiessen, combien les brûlages dirigés sur votre propriété vous coûtent-ils? Quel en est le coût pour vous en tant que propriétaire d’une entreprise?

M. Thiessen : Je ne pense pas avoir calculé le coût, en fait. Nous brûlons habituellement entre 800 et 1 000 acres par an, dans le cadre de notre plan de brûlages dirigés qui est enregistré auprès du service des incendies de la Colombie-Britannique.

Ces brûlages nous prennent habituellement environ quatre ou cinq jours et nécessitent environ six personnes. Nous n’utilisons pas d’eau normalement, mais depuis que nous pouvons obtenir du financement, nous utilisons quelques pompes. C’est beaucoup moins coûteux qu’en utilisant de l’équipement lourd, comme des chenilles, des tracteurs et du diésel. Quand je peux procéder sans avoir à utiliser du combustible fossile, j’économise et c’est mieux pour l’environnement.

La sénatrice McBean : J’essaie de comprendre comment le gouvernement fédéral, ou une politique, pourrait vous aider financièrement pour ces journées. Selon vous, comment pourrait-on procéder?

M. Thiessen : En fait, la plupart d’entre nous ne demandent pas de financement pour le faire. Toutefois, les politiques qui entourent l’obtention des permis changent énormément. Jusqu’à maintenant, on nous les accorde assez facilement en Colombie-Britannique, mais je pense qu’on en viendra à exiger que ce soit fait par des professionnels, alors si le gouvernement pouvait financer au moins cela, ce serait utile. Quand nous procédons comme nous le faisons, le coût peut varier entre 5 $ et 10 $ par acre.

La sénatrice McBean : Madame Leverkus, vous avez soulevé six points au début, et je vais revenir sur deux d’entre eux. Le deuxième était la formation et le quatrième, les équipes de gestion des incidents en milieu rural. Comment le gouvernement fédéral pourrait-il soutenir cela? Quelles mesures aimeriez-vous qu’il prenne à cet égard?

Mme Leverkus : Je pense que ce serait d’offrir un financement permanent. Comme M. Thiessen l’a mentionné, il n’utilise pas d’eau. Il est important pour vous de savoir qu’il gère les brûlages sans utiliser d’eau. Beaucoup de gens ont besoin d’eau. Beaucoup de gens peuvent avoir besoin d’un hélicoptère. Il faut donc des programmes de financement pour pouvoir le faire. On pourrait utiliser d’autres sources de fonds comme exemple.

Au sujet des équipes de gestion en milieu rural, je veux mentionner clairement qu’elles appuieraient les efforts des gouvernements provinciaux et territoriaux et ne s’y substitueraient pas. On pourrait financer la formation sur le système de commandement des interventions, sur les feux de forêt, sur le comportement des feux. Il faudrait qu’il y ait de la formation pour que tout le monde parle le même langage. Quand on parle de feux de forêt, on est un peu plus militant entre nous pour garder notre structure. On a donc besoin de financement pour cela et pour mettre en place des équipes de gestion des incidents en milieu rural.

Je ne crois pas qu’il y ait eu de discussions à ce sujet au Canada jusqu’à maintenant. La première étape consisterait donc pour le gouvernement fédéral à appuyer les collectivités rurales et éloignées pour qu’elles mettent en place ces équipes, et nous accorder du financement pour nous préparer à offrir la formation et veiller à ce que ce soit clair que nous sommes là pour appuyer les gouvernements provinciaux et territoriaux dans leurs opérations.

La sénatrice McBean : Tout le monde veut obtenir du financement, mais qu’en est-il de l’information et de la formation? Selon vous, la recherche et la formation se rend-elle jusqu’à Mme Leverkus et dans les régions rurales? Y a-t-il une façon de s’assurer que l’on diffuse bien l’information dans le cadre des programmes gouvernementaux?

M. Wiens : Je dirais que c’est parfois le cas, mais pas aussi souvent qu’il le faudrait. Il y a donc tout lieu d’établir les priorités. Quand on regarde le portrait global, par exemple, les trois conseils exigent maintenant que l’échange de connaissances soit pris en compte. C’est encore symbolique, mais c’est un début. Ce sont des exigences à l’échelle nationale et elles s’appliquent à tous les types de projets de recherche.

La sénatrice McBean : Qui sont les trois conseils?

M. Wiens : Il s’agit du CRSNG, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada; des IRSH, des Instituts de recherche en santé du Canada; et du CRSH, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

La sénatrice McBean : Je vous remercie.

M. Wiens : Tout cela est géré par un organisme au Canada, et ils ont un ensemble commun de règles. Le Service canadien des forêts, par exemple, a un programme d’échange d’information en croissance.

Un programme est en cours de préparation et attend le feu vert pour mettre sur pied un organisme au Canada. Ce sont des pas dans la bonne direction. Ce n’est pas suffisant, mais ce sont vraiment des pas dans la bonne direction. Ce genre de financement sert essentiellement à montrer la voie. Nous voulons offrir des stages de partenariat entre les universités et les services d’incendie. C’est facile à faire en théorie, mais en pratique, il y a toutes sortes d’obstacles, comme les assurances, etc. Pour ceux d’entre nous qui ne s’y connaissent pas vraiment, il serait bon d’avoir du soutien. On parle de ressources relativement modestes, mais le fait d’avoir un organisme qui nous aiderait en ce sens serait utile.

La sénatrice McBean : Je vous remercie.

La vice-présidente : Je tiens à remercier nos quatre témoins pour leurs témoignages remarquables aujourd’hui, en particulier M. Thiessen et Mme Leverkus, qui ont été sur le terrain pour protéger leurs maisons et leurs propriétés. C’est vraiment fantastique d’entendre parler non seulement de l’expertise scientifique, mais aussi des expériences personnelles. Je tiens à remercier aussi tous les membres du comité de leur participation dynamique et de leurs questions plus que judicieuses.

Je tiens aussi à prendre quelques instants pour remercier tout le personnel qui nous aide à accomplir notre travail. Je remercie les interprètes, les transcripteurs de l’équipe des Débats, le préposé aux comités, le technicien des Services multimédias, l’équipe de télédiffusion, le Centre d’enregistrement, la Direction des services de l’information et notre page.

(La séance est levée. )

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