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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES ET DU COMMERCE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 6 avril 2022

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 18 h 31 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les questions concernant les banques et le commerce en général, comme le prévoit l’article 12-7(8) du Règlement.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir. Je m’appelle Pamela Wallin. Je suis sénatrice de la Saskatchewan et présidente du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

Avant de commencer, j’invite mes collègues et les témoins à bien vouloir désactiver leur micro sauf quand je leur donne la parole. Ce soir, j’aimerais tout particulièrement inviter les sénateurs et les témoins à être brefs. Nous avons quatre témoins en quatre périodes d’une demi-heure, et tout le monde n’aura pas l’occasion de poser une question. Soyez aimables d’essayer de vous en tenir au sujet à l’ordre du jour. Nous verrons ensuite si nous pouvons faire plus.

J’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion de ce soir, en commençant par notre vice-président, le sénateur C. Deacon, puis les sénateurs Bellemare, Gignac, Loffreda, Marshall, Massicotte, Ringuette, Smith, Woo et Yussuff.

Pendant la première heure de notre réunion de ce soir, nous nous concentrerons sur le marché du travail au Canada. Nous avons deux témoins, à raison d’une demi-heure chacun. Permettez-moi de vous présenter notre premier témoin en la personne de M. Simon Savard, économiste principal à l’Institut du Québec.

Monsieur Savard, avez-vous un exposé préliminaire à présenter?

[Français]

Simon Savard, économiste principal, Institut du Québec : Bonjour. Je suis Simon Savard, économiste principal. Je travaille à l’Institut du Québec. L’Institut du Québec est un organisme sans but lucratif qui vise à identifier les politiques et actions nécessaires pour améliorer la société québécoise en se basant sur des données probantes, des analyses rigoureuses et de meilleures pratiques. Après avoir été durement affecté par la pandémie, le marché du travail canadien a rebondi rapidement et vigoureusement, mais il s’est également transformé.

En date de février 2022, les travailleurs sont massivement retournés à l’emploi. En effet, si l’on compare au niveau de 2019 chez les 15 à 64 ans, qui forment le principal groupe d’âge au Canada, le marché du travail canadien compte près de 500 000 emplois de plus, dont 440 000 emplois à temps plein, et le nombre de chômeurs a baissé de 66 000 dans ce groupe d’âge.

Ainsi, non seulement le taux d’activité et le taux d’emploi du principal groupe d’âge sont meilleurs qu’ils ne l’étaient, mais il y a également moins de chômeurs. Le marché du travail se resserre, et le nombre de postes vacants qui illustre la demande en main-d’œuvre que les employeurs n’arrivent pas à combler a bondi de 400 000 en deux ans.

Malgré cette forte et rapide reprise, la crise sanitaire a tout de même mis certains défis en lumière. Plusieurs travailleurs de 65 ans et plus ont décidé de ne pas retourner au travail et de prendre leur retraite un peu plus tôt que prévu. La fermeture des frontières en 2020 continue d’exercer encore aujourd’hui une pression à la baisse sur l’offre de main-d’œuvre, notamment en raison des délais accumulés pour l’accession à la résidence permanente, l’émigration est en hausse et les déplacements interprovinciaux ont changé. Il y a des changements de préférences dans le marché du travail, car il y a des secteurs, comme la restauration et l’hébergement, qui ont perdu des travailleurs, surtout des jeunes, au profit d’autres secteurs, comme les services professionnels, scientifiques et techniques, les soins de santé et l’assistance sociale ou l’enseignement.

En bref, les travailleurs se sont déplacés ou replacés et on commence véritablement à en mesurer les conséquences. Dans un tel contexte, l’Institut du Québec recommande de valoriser la formation tout au long de la vie pour accroître la résilience des travailleurs canadiens face aux changements. Pour ce faire, le gouvernement devrait travailler sur deux fronts, d’abord en amont, en augmentant la diplomation et les compétences essentielles d’une bonne partie de la population, et ensuite en bonifiant l’attrait de la formation tout au long de la vie.

C’est particulièrement sur ce deuxième point que l’Institut du Québec recommande d’améliorer le Crédit canadien pour la formation, qui, rappelons-le, a été mis en place lors du budget de 2019-2020 dans le but de surmonter les obstacles au perfectionnement professionnel des travailleurs canadiens qui souhaitent se former davantage.

En ce sens, il y a trois voies qui sont privilégiées : la première serait de bonifier les montants pouvant être accumulés dans le crédit. Actuellement, on parle de 250 $ par année sous forme de crédits d’impôt. Cela peut se faire au moyen d’un mécanisme de régime volontaire ou de contribution de l’employeur.

Cela permettrait aux titulaires de disposer de moyens financiers plus importants afin de s’adapter à la réalité des différentes formations pour assurer une requalification ou un rehaussement significatif des compétences de la main-d’œuvre canadienne. La deuxième voie serait d’augmenter le soutien au revenu lors de la formation au-delà du 55 % de revenu prévu à l’assurance-emploi pour diminuer ce coût d’opportunité à la formation.

Enfin, il faudrait consolider l’information sur l’offre de formation disponible dans un guichet unique facilement accessible, afin d’aider les travailleurs canadiens à bien s’y retrouver. Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur C. Deacon : Madame la présidente, je serai heureux de laisser d’autres collègues commencer.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Merci pour votre présentation, monsieur Savard. Je peux affirmer que quelques-uns de mes collègues, notamment la sénatrice Bellemare, sont tout à fait d’accord avec vous. On sait qu’au Québec, les employeurs doivent avoir une caisse de formation; pouvez-vous nous expliquer comment cela fonctionne, et est-ce que cet élément devrait être imité sur le plan national?

M. Savard : Premièrement, cette caisse de formation ne sert pas à l’ensemble des entreprises. Il s’agit de ce que l’on appelle communément « la loi du 1 % », donc cette caisse sert seulement aux grandes entreprises. Oui, c’est quelque chose qui pourrait potentiellement être imité dans une optique de formation continue, mais nous sommes d’avis que cela doit aller plus loin, parce que la formation est une responsabilité partagée à la fois par l’individu, par les entreprises et par les établissements d’enseignement postsecondaire. L’important avec la formation, c’est qu’elle s’inscrive dans un parcours de vie, tant sur le plan de la formation initiale que de la formation continue. Il faut développer ce réflexe de formation. Ce que l’on voit, c’est que les travailleurs qui ont ce réflexe montrent une plus grande résilience sur le marché du travail.

La sénatrice Ringuette : Est-ce que cette expérience de 1 % génère vraiment de la formation auprès de l’entreprise, selon l’expérience québécoise?

M. Savard : C’est une bonne question; je pourrais vous donner la réponse à la suite de cette comparution.

La sénatrice Ringuette : Merci.

[Traduction]

La présidente : Nous vous en serions reconnaissants. Merci.

[Français]

Le sénateur Loffreda : Bienvenue à notre comité, monsieur Savard. Le Sénat tient un débat sur le travail virtuel actuellement.

Quelle est votre opinion sur le travail à distance, que ce soit sur le plan de la productivité ou du bien-être de la société?

Avec tout ce que nous vivons avec le virus, il y aura certainement des changements dans la vie future des gens. J’aimerais connaître votre opinion sur ce sujet très important.

M. Savard : Nous pensons que le travail à distance amène des effets redistributifs. Il y a des gens qui ont déménagé dans d’autres localités et qui se sont acheté une maison moins coûteuse pour réduire leur train de vie. Ce qui nous importe vraiment à l’Institut du Québec, c’est de voir si tout cela génère des gains de productivité.

Cela fait déjà deux ans que nous sommes en situation de pandémie. Actuellement, les entreprises et les travailleurs sont en train de s’ajuster par rapport à ce modèle. Est-ce que ce sera un modèle totalement virtuel? Cela dépendra du type de poste qui sera occupé. Par exemple, certaines compétences sont mieux exploitées au moyen du travail virtuel que du travail en présentiel.

Si on prend l’exemple de tâches plus routinières, comme le travail de rédaction, qui est un travail individuel, cela peut se faire à distance. Il y a manifestement là des gains de productivité qui peuvent être générés, parce que si un employé fait son travail durant une journée où il n’a pas besoin de se déplacer, cela favorisera des gains de productivité. Toutefois, lorsqu’on parle de tâches qui demandent plus de créativité ou de brasser des idées grâce à des discussions avec une équipe, on se rend compte que c’est un aspect qui manque dans le travail virtuel. C’est pour cela que les entreprises sont en train de s’ajuster actuellement par rapport à ce modèle.

Le travail virtuel peut aussi offrir aux entreprises la possibilité d’aller chercher de la main-d’œuvre dans d’autres localités si elle n’est pas disponible localement. Toutefois, dans l’enquête sur la population active, c’est encore quelque chose qui est marginal et qu’on n’observe pas à une grande échelle. Peut-être que cela viendra à l’avenir.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Merci de votre exposé préliminaire, monsieur Savard. Vous disiez que le nombre de postes dépasse maintenant celui d’avant la pandémie. Existe-t-il des données sur la qualité ou la structure salariale des emplois qui permettent de comparer la situation avant et après la pandémie? Les postes actuellement créés offrent-ils le salaire minimum? J’essaie de comparer la qualité des emplois post-pandémie. Avez-vous de l’information à ce sujet?

[Français]

M. Savard : Je vous remercie de votre question. Ce que l’on observe depuis deux ans et ce qui s’est passé d’abord, c’est qu’il y a eu beaucoup d’emplois plus faiblement rémunérés qui ont été évincés du marché du travail, en raison de leur nature et des industries dans lesquelles ils se trouvent. On parle par exemple de toutes les industries de forte proximité physique, comme la restauration, l’hébergement, la culture et les loisirs, où plusieurs événements ont été annulés, comme on le sait.

À ce moment-là, on a vu une hausse artificielle générale des salaires, tant au Québec que dans le reste du Canada. Lorsque ces travailleurs sont retournés au travail, on a vu une baisse des salaires. Par contre, ce qu’on a vu à l’échelle canadienne et que l’on commence tout juste à voir aux États-Unis, c’est qu’il y a eu une espèce de rebrassage dans le type d’emplois que les gens occupent.

Actuellement au Canada, le taux d’activité est à peu près le même que ce qu’il était auparavant. Cela signifie que les travailleurs se sont vraiment déplacés d’une industrie à une autre, et on peut fortement présumer qu’ils ont expérimenté un accroissement de la qualité des emplois, tant sur le plan de la rémunération que sur le plan des avantages sociaux, parce que ces travailleurs sont toujours sur le marché du travail et qu’on a observé des hausses de salaire assez importantes au cours des derniers mois.

Par contre, il y a un côté inflationniste qui a été tout récemment lié à cela. Tout de même, on peut conclure que ce rebrassage sur le marché du travail a été très positif pour les travailleurs. Évidemment, la trame de fond de tout cela, c’est le vieillissement de la population et la façon dont cet élément affecte le marché du travail canadien. À l’heure actuelle, il y a 400 000 postes vacants de plus qu’il y a deux ans. Il y a donc énormément de possibilités sur le marché du travail.

On a vu récemment une hausse du nombre de personnes qui changent d’emploi parce que les possibilités existent, tout simplement. Les entreprises qui font face à ce phénomène et qui doivent embaucher pour continuer la production doivent changer leurs critères de sélection en formant la main-d’œuvre directement dans les milieux de travail. Pour les employés, c’est un contexte qui est vraiment très positif.

La sénatrice Bellemare : Monsieur Savard, bienvenue à notre comité. J’ai lu avec attention un de vos rapports au sujet de la rareté de la main-d’œuvre au Québec. Grosso modo, vous dites que, dans les éléments qu’il faut considérer, il y a le fait que les gouvernements ont besoin de changer de paradigme dans le contexte des politiques publiques.

Qu’est-ce que cela veut dire pour le gouvernement fédéral, par exemple, dans le contexte de ses politiques publiques?

M. Savard : Merci beaucoup pour la question. En fait, ce que cela implique, c’est qu’il faut carrément adapter la politique industrielle aux contraintes liées à la rareté de la main-d’œuvre, parce que c’est une réalité à laquelle nous sommes confrontés et à laquelle nous serons confrontés au moins jusqu’en 2030. Il faut le faire en établissant des priorités et en visant la transformation plutôt que la création d’emplois.

Avec le bassin de main-d’œuvre disponible, s’il n’y a pas de travailleurs qui ont les qualifications requises pour occuper certains emplois, plutôt que de créer des emplois, il faut utiliser les travailleurs disponibles et rehausser leurs compétences. En ce sens, pour le gouvernement, cela signifie que tout nouvel investissement public devrait faire l’objet d’une analyse de l’impact sur la main-d’œuvre et d’une stratégie pour s’assurer de la disponibilité de celle-ci. Il faut s’assurer que les mesures de déploiement de la main-d’œuvre vont de pair avec les politiques gouvernementales, en particulier lorsque la rareté de travailleurs entrave la livraison de services essentiels à la population, comme la santé ou l’éducation.

Ce que l’on observe, c’est qu’il y a toute la dimension des services publics essentiels. Avec la crise de la COVID-19, on a vu beaucoup d’absentéisme dans le secteur de la santé, et la main-d’œuvre devient alors un enjeu crucial. En éducation, cela peut également devenir un enjeu, dans un contexte où il y a un roulement important de la main-d’œuvre et qu’on manque d’enseignants. Cela peut ultimement affecter la qualité de l’enseignement, causer davantage de décrochage scolaire et réduire la diplomation.

Dans le secteur privé, c’est plutôt une question de voir combien d’occasions ont été manquées et quelle richesse on aurait pu générer autrement en ayant des travailleurs qualifiés. Pour ce qui est du gouvernement fédéral en particulier, il est nécessaire de remplacer le critère de création d’emplois par des critères plus modernes et novateurs, comme la productivité et l’innovation, et de faire une meilleure planification de la gestion des effectifs et des compétences des travailleurs au moyen de la formation continue et de l’amélioration des conditions de travail.

Il y a une panoplie de mesures qu’on peut prendre pour adapter et former la main-d’œuvre au-delà de la croissance de la population active, surtout dans les provinces qui sont plus vieillissantes, comme le Québec.

La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup de votre réponse.

Le sénateur Gignac : Je vous souhaite la bienvenue à mon tour, monsieur Savard. Je tiens à vous féliciter pour le beau travail que fait l’Institut du Québec. Je vous remercie de bien vouloir transmettre mes salutations à votre présidente, avec qui j’ai eu l’occasion de partager des tribunes à plusieurs reprises au cours des dernières années.

Dans votre dernier rapport, vous mentionnez que le Québec occupe le second rang au Canada parmi les provinces qui ont le taux de postes vacants le plus élevé. En même temps, comme vous le savez, le Québec est l’une des provinces où le taux d’immigration est parmi les plus faibles au Canada. Il est certainement plus faible que celui de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique. Votre institut a-t-il analysé le rôle de l’immigration dans cette pénurie de main-d’œuvre? Plus particulièrement, y a-t-il des choses, dans les programmes du gouvernement fédéral, qui devraient être corrigées ou améliorées?

M. Savard : Merci pour votre question. Oui, nous l’avons fait à quelques reprises. Il y a deux ans, dans un rapport, nous avons analysé l’impact des différents seuils d’immigration sur l’économie du Québec. Les résultats ont révélé, par rapport au vieillissement de la population et pour ce qui est de l’effet à court terme, que le changement des seuils d’immigration n’aura que peu d’impact. L’immigration s’inscrit plutôt dans des stratégies à long terme où l’on va favoriser la croissance économique, mais aussi une certaine vision de l’économie. Actuellement, on a recours à l’immigration temporaire pour pallier les enjeux de main-d’œuvre. Toutefois, l’enjeu fondamental est le choix des compétences requises pour combler les emplois du futur. Les emplois doivent, bien sûr, être comblés. Le rapport montrait que, à l’avenir, si on choisit les bons types de compétences et les bons immigrants, d’un point de vue économique, l’intégration au marché du travail est plus rapide. On voit alors un impact positif sur la société à plus long terme. Nous avons préparé ce rapport pour le Québec, mais les conclusions peuvent assurément s’appliquer à l’échelle nationale.

[Traduction]

Le sénateur C. Deacon : Merci de votre excellent exposé, monsieur Savard. J’aimerais vous poser une question sur le rôle des investissements des entreprises dans l’amélioration de la productivité de la main-d’œuvre grâce à la numérisation et à l’automatisation des industries traditionnelles, et dans la résorption de la pénurie de main-d’œuvre grâce à l’amélioration de la productivité. Y a-t-il des recherches à ce sujet et pourriez-vous nous en parler, s’il vous plaît?

[Français]

M. Savard : Merci pour votre question. Nous avons exploré ce sujet au cours des dernières années. Je pourrais vous faire parvenir certaines études en particulier. Statistique Canada a produit des études très intéressantes à ce sujet. Ces études ont montré que, pour certains types d’emplois, l’automatisation peut aider. Toutefois, l’automatisation peut surtout changer la nature des emplois et aider les employés à accomplir leurs tâches. Pour régler les enjeux de main-d’œuvre, c’est une chose avec laquelle il faut être vraiment prudent.

Par contre, pour ce qui est de l’investissement privé, on voit vraiment des lacunes à l’échelle canadienne. Au cours des 10 dernières années, ou du moins depuis la récession de 2008, il n’y a pas eu suffisamment d’investissements en machinerie, en matériel et en outillage pour accroître réellement le potentiel économique et la productivité du Canada. Actuellement, on se trouve à un moment où l’enjeu de la main-d’œuvre est important, et on aurait besoin de cette productivité supplémentaire pour générer de la croissance. Donc, oui, c’est assurément une lacune à laquelle il faut remédier à l’échelle canadienne.

[Traduction]

La présidente : Nous vous serions reconnaissants de nous faire parvenir les renseignements utiles tirés de cette étude. Veuillez les souligner et nous les envoyer pour que nous puissions les utiliser dans notre rapport. Soyez-en remercié.

Le sénateur Yussuff : Merci beaucoup de votre exposé, monsieur Savard, et bienvenue à notre comité. J’ai quelques questions au sujet du Québec, notamment au sujet de la formation obligatoire comme partie intégrante de la masse salariale.

C’est au Québec que l’obligation faite aux employeurs de consacrer 1 % de leur masse salariale à la formation de leurs employés remonte le plus loin. Compte tenu de cette longue histoire, quels changements avez-vous observés du point de vue de l’adaptation culturelle et de la réflexion sur la responsabilité de la formation au Québec? Dans quelle mesure cette politique a‑t-elle porté fruit? Malgré de nombreux changements de gouvernement au fil des décennies, cette politique est toujours en vigueur. Vous pourriez peut-être nous éclairer un peu à ce sujet, après quoi j’aurai une brève question complémentaire.

[Français]

M. Savard : Merci pour votre question. Comme je l’ai mentionné plus tôt, je vais prendre note de la question et je vous ferai parvenir de l’information à ce sujet.

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Si vous le permettez, j’ai une brève question complémentaire. Compte tenu de l’importance des gains de productivité et de l’évolution technologique actuelle — presque toutes les entreprises sont en train de s’adapter —, est-ce un élément fondamental pour la réussite des entreprises canadiennes? Dans l’affirmative, comment inciter nos entreprises à mieux dépenser? C’est la principale difficulté. Quand on examine les statistiques agrégées portant sur les pays de l’OCDE, on constate que les employeurs canadiens ne dépensent pas assez pour la formation. D’après votre expérience, comment faire pour changer les choses?

[Français]

M. Savard : Merci pour votre question. C’est une excellente question, en fait. Il est fondamental, dans notre société, d’arriver à accroître les investissements privés. Les entreprises investiront si elles ont confiance en l’avenir. Il y a aussi la question de changer la culture de l’entreprise pour prendre des risques et investir davantage. C’est un champ d’études qui gagnerait à être davantage exploré, et je parle du lien entre la confiance des entreprises, leur tendance à investir et l’effet sur l’investissement privé au Canada. Ce serait assurément un champ d’études à approfondir.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup à tous. Monsieur Savard, nous vous sommes très reconnaissants. Merci d’accepter de nous envoyer plus d’information.

Nous espérions entendre ensuite John Stackhouse au sujet du marché du travail au Canada. Mais nous avons des difficultés techniques et nous devons donc poursuivre. Je vous invite à aborder maintenant le sujet de la cryptomonnaie et des bitcoins, ainsi que certaines questions abordées au cours des derniers mois.

C’est avec plaisir que j’accueille Marcel Kasumovich. Il est directeur de la recherche chez One River Asset Management. Il a une longue carrière à Wall Street et dans le domaine du capital d’investissement. Il évolue aujourd’hui dans le nouveau monde de la cryptomonnaie.

Bienvenue, monsieur Kasumovich. Je sais que vous avez préparé un exposé. Nous vous en remercions. Nous veillerons à ce qu’il soit traduit et distribué, mais je sais que vous êtes disposé à passer directement aux questions.

Des représentants du gouvernement nous ont dit qu’ils sont en train d’élaborer une réglementation à ce sujet, mais que cela pourrait prendre entre trois et cinq ans. Il y a quelques semaines, nous avons reçu M. Demarais, qui nous a dit que nous n’avons plus le temps et qu’il faut agir maintenant.

Où en sommes-nous sur le plan de la réglementation? Quelles mesures prenez-vous dans le secteur privé à ce stade?

Marcel Kasumovich, directeur, Recherche, One River Asset Management, à titre personnel : Tout d’abord, merci beaucoup de m’avoir invité. C’est un grand plaisir et un grand honneur. Ces questions vont devenir très complexes, et, si quelqu’un souhaite avoir une discussion bilatérale, n’hésitez pas à me le faire savoir. Je suis très heureux de vous consacrer ce temps. J’estime que c’est un devoir civique important.

La présidente : C’est très généreux de votre part. Merci.

M. Kasumovich : Dans le contexte de la réglementation, nous constatons que, à mesure que la valeur du marché de l’économie numérique augmente — et elle dépasse maintenant les 2 billions de dollars —, les participants à cet écosystème souhaitent fortement intégrer le courant dominant.

Les banques centrales comme la Réserve fédérale se mettent progressivement à définir la notion de banque numérique. Ce règlement sera définitif en avril.

Les règles de transfert d’argent commencent à être bien définies par le Groupe d’action financière. Ces mesures sont également mises en œuvre au Canada, notamment par le biais du CANAFE.

Le 1er avril, on a défini ce que pourrait être une règle d’acheminement appliquée aux cryptomonnaies. Il y a un mouvement de réglementation qui converge vers le courant dominant. C’est lent. Mais il faut bien commencer quelque part, et c’est en cours.

Il se passe aussi beaucoup de choses au Royaume-Uni. Dans la mesure où le Canada a tôt fait de se mettre à tester les systèmes de paiement numériques dans le cadre du projet Jasper, je pense que le rattrapage sur le plan de la réglementation peut être rapide. Il s’agit, en fait, de créer un partenariat public-privé pour faire avancer les choses.

Le sénateur C. Deacon : Merci d’être parmi nous aujourd’hui, monsieur Kasumovich.

Je m’interroge sur la possibilité d’aller au-delà des cryptomonnaies et d’utiliser des technologies de chaîne de blocs pour aider le gouvernement à faire beaucoup de choses.

On nous a parlé de la tokenisation de la perception de la taxe d’accise en Australie. Je m’intéresse évidemment à l’utilisation du bitcoin comme système de paiement par le biais de l’application Strike et du réseau Lightning. Pourriez-vous nous dire comment on pourrait alléger la réglementation pour faciliter socialement l’utilisation de la technologie de la chaîne de blocs et, donc, d’en accélérer l’utilisation d’autres façons?

M. Kasumovich : C’est une remarque d’une extrême importance.

Du côté de la réglementation, cela semble être un fardeau parce que l’entrelacs actuel d’activités économiques et d’intermédiation financière est complexe. On a donc besoin de lourdes contraintes réglementaires pour mesurer et surveiller tout cela.

Dans le nouveau monde, les choses sont beaucoup plus simples. Et à quoi est-ce qu’on aboutit grâce à cette simplicité? On finit par s’intéresser à l’efficacité de la technologie. Et ce que je constate du côté privé, la raison pour laquelle cela ne va pas disparaître, c’est que c’est mieux. C’est tout simplement une meilleure expérience pour les utilisateurs. On peut mieux valoriser le capital. Et on peut mieux valoriser la main-d’œuvre.

Dans la discussion précédente, vous avez abordé la question de la main-d’œuvre. La valorisation de la main-d’œuvre dans le contexte des monnaies numériques et des chaînes de blocs devient beaucoup plus efficace. Les gains d’efficacité découlant des technologies de chaîne de blocs sont non seulement substantiels, mais ils vont aussi profiter davantage à la main-d’œuvre et moins aux forces centralisées. C’est vraiment une force positive dans ce contexte.

Je crois qu’il faut mettre l’accent sur les technologies de chaîne de blocs. Je pense que la désintégration des cryptomonnaies et des technologies de chaîne de blocs est impossible à certains égards, parce qu’il faut passer par la tokenisation pour ensuite tirer parti de la valeur de ces technologies. Mais je pense que l’évaluation des technologies de chaîne de blocs comme source principale d’amélioration de la productivité pourra donner lieu à une meilleure expérience pour les utilisateurs et à une structure plus uniforme.

Des choses comme les titres de compétences deviennent alors beaucoup moins importantes. Des choses comme le pedigree deviennent beaucoup moins importantes, en raison de la valeur de votre contribution à cet écosystème. C’est un argument important.

Le sénateur Massicotte : Merci d’être parmi nous aujourd’hui.

J’aimerais aborder la question des risques. Au moins toutes les semaines, sinon tous les jours, on entend parler d’une fraude majeure ayant fait perdre beaucoup d’argent à des gens qui ont utilisé une cryptomonnaie.

Je suppose que vous envisagez un rôle pour le gouvernement à cet égard. Vous suggérez d’aller jusqu’à créer un lien direct avec notre propre monnaie fiduciaire et ainsi réduire complètement le risque. Mais vous écartez de ce fait d’autres joueurs; qu’en pensez-vous?

M. Kasumovich : Il y en a beaucoup. Permettez-moi de présenter les choses autrement.

Parlons d’abord des éléments frauduleux.

L’intérêt des technologies de chaîne de blocs, notamment celles qui ont le plus de valeur, est que leur sécurité augmente à mesure qu’elles prennent de la valeur.

Si on estime que l’unité la plus précieuse de cet écosystème d’économie numérique est le bitcoin et qu’on évalue ce protocole bitcoin, on constate qu’il a fonctionné 24 heures par jour, sept jours par semaine, 365 jours par année pendant presque 10 ans d’affilée sans aucune intervention. C’est donc le point d’ancrage de la confiance et de la sécurité.

Cela dit, il y a eu de mauvais exploitants dans cet écosystème. L’un d’eux, par exemple, a déjà été accusé de s’adonner à des activités frauduleuses. La particularité des activités frauduleuses sur ces chaînes de blocs publiques sécurisées est que l’enregistrement de la transaction est immuable, de sorte qu’il ne peut jamais être modifié.

Une fois identifiés le portefeuille et l’auteur de la transaction frauduleuse, on peut les isoler. On ne sait pas de qui il s’agit. Mais on peut isoler le portefeuille et l’auteur de la transaction. Celui-ci devient en quelque sorte prisonnier de sa propre fraude, parce que, dès qu’il touche à ces fonds, on peut commencer à les suivre.

Donc, dans le cas de la fraude la plus récente — qui, en dollars actuels, représente une somme substantielle de 4,5 milliards de dollars —, les auteurs n’ont pas pu les encaisser. Et ces fonds seront finalement redistribués aux personnes qui ont subi des préjudices.

Maintenant, du côté des initiatives plus petites, plus dynamiques et, je dirais, plus risquées et aux limites externes de l’innovation technologique, les profils de sécurité sont moindres, et le degré de perte est moindre. Je pense que c’est là que beaucoup d’innovations peuvent faire perdre du capital. En général, les parties prenantes comprennent ces risques. C’est donc, si on veut, une belle combinaison de risques et de pertes.

Dans le contexte des monnaies fiduciaires, les monnaies numériques des banques centrales auront certainement un rôle à jouer. La seule question est la suivante : si on estime que le bitcoin peut être une unité de garantie, presque comme une garantie gouvernementale — plus qu’un système de paiement en soi —, la monnaie numérique de banque centrale pourrait servir à faciliter les transactions simples, comme acheter un café chez Starbucks ou chez Tim Hortons, peu importe. Et les chaînes de valeur supérieures serviront à d’autres fins, comme la compensation des transactions de grande valeur tel ou tel jour.

Les usages seront donc très différents. Mais je pense effectivement que les monnaies numériques de banques centrales auront un rôle important à jouer dans cet écosystème.

Le sénateur Loffreda : Merci de votre présence parmi nous, monsieur Kasumovich. J’aimerais avoir votre avis sur deux enjeux importants au sujet de la cryptomonnaie et du bitcoin.

Beaucoup diront que le bitcoin est une protection contre l’inflation parce qu’il s’agit d’un approvisionnement fixe, de 21 millions d’unités, et décentralisé. D’autres diront que ce n’est pas à cause de la grande volatilité du bitcoin et qu’il ne tient pas sa promesse. En mars 2020, la valeur a chuté de près de 50 %. En mai 2021, la valeur a chuté de près de 53 %. Qu’en pensez-vous?

Plus important encore, à mesure que nous élargirons l’usage des cryptomonnaies, quels seront, en bref, les effets sur notre économie, sur notre qualité de vie, sur la classe moyenne, sur ceux qui s’efforcent d’accéder à la classe moyenne? Est-ce une monnaie qui, en fait, enrichira les riches?

M. Kasumovich : Ce sont d’excellentes questions.

Commençons par le bitcoin. À un certain niveau, je dirais qu’il est très important de faire la distinction entre ces deux éléments.

Le volet technologique est probablement sous-estimé. Concrètement, cela vous permet, à vous et moi, de transférer de la valeur entre nous sans l’intervention d’un tiers. La valeur transférée peut donc être importante ou modeste. Il n’y a pas d’intermédiaire de confiance. C’est mathématique. C’est l’élément technologique.

La question est ensuite de savoir ce qu’on peut en faire. Le sénateur C. Deacon a parlé de certains systèmes de paiement en cours d’élaboration, qui sont incroyablement efficaces. Cela facilitera les transactions financières pour tout le monde.

La question qui se pose alors est la suivante : s’il s’agit de l’élément technologique, comment aborder sa valeur sous-jacente? C’est là qu’intervient la question de la protection contre l’inflation.

Il est dommage que les premiers à adopter le bitcoin l’aient promu comme valeur un peu trop libertaire, mais c’est aussi bien ainsi. On a le droit de le présenter comme on veut. L’actif proprement dit comporte effectivement un élément de protection contre l’inflation, parce que la garantie sous-jacente du protocole est vraiment définie par l’énergie qu’il consomme, qui est considérable. Ce qui le rend si sûr, c’est qu’il absorbe beaucoup d’énergie et que, si quelqu’un veut pirater le système, cela lui coûtera très cher, de sorte que ce coût énergétique finit par être, pour ainsi dire, son point d’ancrage nominal.

Si l’inflation est généralisée, la valeur de l’énergie augmente, le coût de fonctionnement du protocole augmente, et la valeur de l’actif sous-jacent augmente aussi, ce qui garantit intrinsèquement sa protection contre l’inflation.

S’il devient un actif utile pour les portefeuilles de façon plus générale ou un actif nécessaire à l’intermédiation de certaines autres innovations technologiques, sa valeur devrait augmenter et sa volatilité, diminuer. Nous n’en sommes pas encore là. Nous n’en sommes qu’au tout début de ce que ces technologies vont permettre aux gens ordinaires, et ce sera extraordinairement positif, parce qu’elles permettent aux gens de se valoriser sans avoir besoin d’antécédents ou de titres de compétences. Dans la mesure où on peut contribuer à ces réseaux, on peut le faire, sans prétendre quoi que ce soit, du point de vue du degré d’instruction, de la position sociale ou de la hiérarchie sociale. C’est très, très efficace à cet égard.

Je vais peut-être m’arrêter ici. Ces éléments sont ce qu’il y a de plus important à dire sur la valorisation de l’énergie.

La présidente : Très intéressant. Merci.

Le sénateur Smith : Merci d’être venu nous parler.

Si vous aviez à faire deux ou trois suggestions à des néophytes qui voient des bitcoins pour la première fois sur la façon d’envisager cette nouveauté, quelles seraient-elles?

M. Kasumovich : C’est intéressant, parce que nous sommes tous des néophytes à certains égards. Nous en sommes aux premiers stades du processus, comme on l’était au début d’Internet, et même pour les gens qui s’y connaissent — je baigne là-dedans depuis 2012 et je m’intéresse à l’institutionnalisation de ces actifs depuis maintenant quelques années —, les choses changent tellement vite que tout semble nouveau à chaque jour qui passe.

Comment envisager cela depuis la base? Il faut remonter aux principes sous-jacents. Qu’est-ce que cela vise à faire? Cela vise à faciliter le transfert de valeur, donc simplement le transfert d’argent, si on veut. Vous et moi pouvons nous transférer l’un à l’autre de la valeur sans intermédiaire. C’est là que la notion de décentralisation devient très importante, et cette décentralisation s’accompagne d’une plus grande inclusion. Personne ne peut décider à notre place si nous pouvons échanger de la valeur. Les mathématiques nous disent que c’est possible, et, par conséquent, si nous le souhaitons, nous pouvons exécuter la transaction à n’importe quel moment de la journée, n’importe quel jour de l’année, à partir de n’importe où.

Cela dit, il y aura des bretelles d’accès réglementaires et des choses comme cela. Ce sont des notes de bas de page dans tous les cas. C’est ce que fait la technologie. C’est le système de paiement très primitif, un peu comme la pose des rails d’une voie ferrée. On installe les rails, et une fois réglées les questions, par exemple, de largeur des voies, à 7 1/2 pieds de largeur ou 4 1/2 pieds de largeur, par l’établissement d’une norme internationale, on commence à construire des trains. Ensuite, on les rend plus confortables, plus rapides, avec un service de repas et de café. Et, un beau jour, on crie au meurtre quand c’est un peu en retard. C’est la même chose, en gros.

Jusqu’ici, nous avons installé des rails, et la question est de savoir ce que nous pouvons faire sur ces rails. La réponse est : beaucoup. On peut changer la façon dont tous les acteurs de l’économie fonctionnent pour faciliter cette décentralisation et ce contact direct sans l’intermédiation de tiers, et c’est remarquable. C’est ainsi que je vois les choses au niveau le plus primitif.

La présidente : Excellent. Merci.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup de votre exposé.

Y a-t-il des données sur les types de transactions effectuées au moyen de cryptomonnaies? Dans votre échange avec le sénateur Massicotte, vous avez parlé de transactions frauduleuses. Y a-t-il des données sur l’ampleur de l’utilisation des cryptomonnaies pour le blanchiment d’argent? Quel pourcentage des transactions serait imposable pour que le gouvernement fédéral puisse obtenir sa part? Vous auriez vraiment besoin de ce genre d’information, n’est-ce pas, pour élaborer une réglementation? Pourriez-vous me faire part de vos réflexions à ce sujet?

M. Kasumovich : Avec plaisir. J’ai noté les deux dernières questions. Pourriez-vous me rappeler la toute première?

La sénatrice Marshall : Je me demandais si on a de l’information sur les types de transactions effectuées...

M. Kasumovich : Ah oui. Je me rappelle maintenant.

Paradoxalement, l’outil le plus puissant qui ait émergé au sein de l’écosystème numérique est ce qu’on appelle la cryptomonnaie stable. Une cryptomonnaie stable est adossée à un actif fiduciaire.

Ironiquement, il y a, d’une part, ce bitcoin, dont tout le monde pense qu’il est une protection contre l’inflation et qu’il va court-circuiter les monnaies, et cetera, et, d’autre part, cette application révolutionnaire dans l’écosystème numérique, la cryptomonnaie stable, qui n’est rien de plus qu’un dollar numérique.

La garantie sous-jacente de choix dans ce vaste écosystème numérique est donc un dollar numérique. À quoi sert-il? Il sert à transférer des garanties entre des gens qui font du commerce dans toutes sortes de secteurs différents. Il pourrait s’agir de commerce physique, mais il s’agit surtout de commerce financier.

Si vous et moi sommes engagés dans des échanges financiers et que je dois vous fournir des garanties comme intermédiaire, il est plus rentable pour moi de vous envoyer des dollars numériques, parce qu’ils sont immédiatement compensés, par opposition à un virement bancaire, qui peut prendre un jour ou deux. Ensuite, je dois vérifier, parce qu’il est possible que cela ne fonctionne pas le week-end. Les liquidités dont j’ai besoin pour effectuer ces transactions sont moindres, et c’est donc plus rentable pour moi comme intermédiaire.

Paradoxalement, dans tout cet écosystème numérique, c’est un dollar numérique, propulsé par le secteur privé et accueilli par le secteur public, qui est le moyen le plus efficace, non pas vraiment d’effectuer des paiements, mais de transférer de la valeur.

De nouvelles technologies sont en cours d’élaboration. Supposons, par exemple, que j’aie beaucoup de succès sur Twitter et que tout le monde aime ce que j’y affiche. On peut maintenant me donner un pourboire sur Twitter. Vous pouvez voir où cela va, où mon contenu indépendant est apprécié par toutes sortes de gens, qui peuvent me payer en cliquant sur un bouton, parce qu’ils veulent que je reste sur Twitter et que je continue de partager mon contenu. Voilà que mes opinions indépendantes ont une certaine valeur monétaire qui peut s’accumuler grâce à un groupe de personnes avec lesquelles je n’ai pas d’interaction régulière. Tout cela se fait par le biais de paiements numériques, et ce n’est qu’un début. À mon avis, ce sont des moyens qui permettront aux gens ordinaires de trouver des façons intéressantes de gagner leur vie différemment de ce à quoi ils sont habitués.

Normalement, quand on a du contenu à partager, on se dit qu’il faut s’adresser à une source centralisée, obtenir un emploi, s’adresser à un journal et publier ce travail. Cela va prendre des années. Si j’ai 16 ans et que j’ai d’excellentes idées, je peux les mettre dans l’écosystème, et si les gens sont prêts à payer, je démarre; j’ai une entreprise. C’est une utilisation très intéressante qui, à mon avis, va prendre de l’ampleur, parce qu’on peut en voir les effets.

La sénatrice Marshall : Est-ce qu’on peut savoir à quoi sert la transaction? J’ai l’impression que la cryptomonnaie est largement utilisée pour le blanchiment d’argent. Il n’y a pas moyen de le savoir, n’est-ce pas?

M. Kasumovich : Si, il y a moyen, en fait. C’est cela qui est formidable, et cela nous amène à vos deuxième et troisième questions, le blanchiment d’argent et la fiscalité.

Concernant le blanchiment d’argent, ces chaînes de blocs publiques ont une caractéristique formidable. Leur enregistrement est permanent. Cela dit, vous ne saurez pas qui je suis jusqu’au moment où vous aurez le droit de frapper à ma porte et de dire : « Je pense que vous avez fait quelque chose de mal, et je dois vérifier tout ce que vous avez fait », comme cela se passe avec la boîte de courriel. Vous n’avez pas le droit de pirater mes courriels, mais, si j’ai fait quelque chose de mal et qu’il y a un motif valable, vous pouvez venir les vérifier et dire : « Vous voyez? J’avais raison. »

C’est la même chose dans l’écosystème numérique. Vous ne savez pas qui je suis dans cet écosystème tant que vous n’avez pas le droit de le savoir. Mais, dans le respect des règles, vous pouvez vérifier toutes les transactions que j’ai effectuées. L’enregistrement est immuable.

Le principe d’immuabilité permet d’utiliser l’analyse de chaîne pour voir ce qui se passe. Donc, concernant la guerre russe et la guerre en Ukraine, on peut voir exactement ce qui se passe du côté des flux.

Par exemple, il existe un groupe appelé Chainalysis, qui se spécialise dans ce domaine. Il peut circonscrire précisément le pourcentage d’activité illicite. Cela a considérablement diminué au fil du temps, et cela représente donc une très petite part. En fait, les autorités américaines ont utilisé très efficacement la chaîne de blocs pour entraver des activités illégales. En bref, les méchants utilisent de l’argent comptant. C’est plus sûr.

La présidente : Nous avons six questions et neuf minutes. Vos réponses sont extrêmement intéressantes.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Ma question concerne la monnaie numérique des banques centrales.

Je comprends qu’il y a des expériences qui se font en Chine, en Corée du Sud, en Suède et même aux Bahamas, et que ces pays ont tous une monnaie numérique de banque centrale. Est-ce que cette monnaie numérique s’applique aussi aux chaînes de blocs? Si oui, qu’est-ce que cela implique sur le plan de la stabilisation de cette monnaie de banque centrale?

La banque centrale aura certainement un avantage sur le secteur privé si elle s’engage dans la voie de la monnaie numérique. Pouvez-vous m’éclairer sur les monnaies numériques de la banque centrale?

[Traduction]

M. Kasumovich : Certainement. Excusez-moi de répondre en anglais, mais cela fait des années que je n’ai pas eu l’occasion. J’ai quitté Ottawa en 1996, donc cela fait un bout de temps.

Voyez la monnaie numérique de la banque centrale comme une version numérique de la monnaie papier telle que nous l’utilisons aujourd’hui. Voyez les services bancaires de gros comme ce qui se passe dans le commerce international. Il y faut aussi de la monnaie, mais ce n’est jamais sous forme physique. Pareillement, cette distinction demeure dans l’écosystème numérique. Les monnaies numériques des banques centrales ne sont utilisées que pour des raisons de commodité. La beauté de la chose est que c’est beaucoup plus efficace parce que tous les règlements sont instantanés. Si on exploite une petite entreprise et qu’on recueille les produits de la vente en monnaie numérique, les samedis et les dimanches comptent aussi. On peut recevoir un paiement le samedi et le verser immédiatement dans son compte bancaire, au lieu de le laisser dans un endroit où une banque le fait fructifier et accumule des intérêts sur des fonds qui ne sont pas encore payés. C’est une version plus efficace de l’argent comptant.

Du point de vue d’une banque centrale, cela peut aussi être un moyen très efficace de savoir qui a besoin de liquidités. Étant donné que la politique budgétaire et la politique monétaire appuient ensemble un mandat stratégique précis — des paiements aux personnes défavorisées en période de difficultés —, on pourrait imaginer une politique beaucoup plus ciblée, puisque ces fonds iraient à des portefeuilles numériques très précis.

Voyez cela comme une version plus efficace de l’argent de papier que nous utilisons actuellement. La distinction entre banque de gros et utilisation de monnaie demeurera dans l’écosystème numérique.

Le sénateur Woo : Pourriez-vous expliquer pourquoi vous pensez que la cryptomonnaie — et plus précisément la chaîne de blocs — augmentera le rendement de la main-d’œuvre plus encore, je suppose, que du capital? Vous avez parlé du nivellement des titres de compétences et de la capacité d’entrer sur le marché. Je comprends, mais je vois aussi une augmentation massive des rendements d’échelle pour les précurseurs. Je ne comprends pas très bien ce que vous dites au sujet de l’augmentation des retombées pour la main-d’œuvre à long terme.

M. Kasumovich : La technologie a révolutionné la productivité. Généralement, la productivité profite à la main-d’œuvre parce qu’il y a une concurrence à l’échelle de l’entreprise et que les marges de profit diminuent, de sorte que les gains de productivité sont ensuite répartis. C’est de l’économie théorique. En fait, dans la pratique, la centralisation a permis à ces entreprises de s’entourer de fossés de protection si profonds que la pression de la concurrence a disparu. Qui peut véritablement faire concurrence à Google? Si vous êtes un concurrent de Google, il va vous acheter.

Donc, la pression de la concurrence disparaît, les marges de profit restent plus élevées, et la main-d’œuvre est prise en étau. À mesure que nous migrons vers le Web 3.0 — et c’est là que le Conseil du Web3, créé récemment, peut servir de mécanisme de jonction extrêmement utile pour la politique et pour le secteur privé —, avec la décentralisation, on élimine. Google devient simplement un moteur. C’est un moteur Internet où les gains accumulés dans l’écosystème sont ensuite redistribués aux utilisateurs. Par exemple, si je joue à un jeu, plus je joue, plus ce jeu crée de valeur, et plus il me rapporte de valeur comme joueur, par opposition à l’entité propriétaire du jeu. On se retrouve donc avec des gains qui sont beaucoup mieux distribués parmi les employés, avec beaucoup moins de concentration de la rentabilité. C’est une caractéristique cachée, mais je pense qu’elle sera extrêmement précieuse pour les gens ordinaires.

Le sénateur Woo : C’est une prédiction plutôt qu’une observation empirique, n'est-ce pas?

M. Kasumovich : Effectivement.

Le sénateur Yussuff : Merci d’être parmi nous, monsieur Kasumovich, et merci d’avoir envoyé vos notes à l’avance. Cela nous a permis de mieux comprendre votre point de vue.

Il me semble évident que 2 billions de dollars de transactions n’est pas le signe que le système n’inspire pas confiance. Il est évident que des gens ont déjà confiance dans le système, même s’il n’y a pas de réglementation permettant d’instaurer une certaine confiance mondiale.

Ma question est plus terre à terre. Compte tenu de la lenteur avec laquelle les organismes de réglementation réagissent à cette réalité, à votre avis, quel type de gouvernance mondiale donnerait à un plus grand nombre de gens dans le monde — les billions de gens dans le monde — l’assurance qu’ils peuvent avoir confiance dans ce système? Faute d’une gouvernance mondiale, on se demande comment avoir confiance.

M. Kasumovich : J’aurai deux choses à dire, et je crois qu’elles sont importantes. La confiance s’appuie sur les mathématiques. Il faut tout simplement que cela fonctionne. Ce qu’on peut dire des deux protocoles les plus importants, le bitcoin et l’ethereum — en passant l’ethereum a été créé par un Canadien. C’est une plateforme remarquable. Elle a récemment été le lieu d’innovations incroyables qui seront dévoilées bientôt. Les mécanismes mathématiques et la viabilité de la compensation des transactions permettront de créer un climat de confiance. Je crois que c’est ainsi que se bâtit la confiance. C’est la raison pour laquelle les gens se sentent de plus en plus à l’aise avec ce système, et surtout, croyez-moi, il ne va pas disparaître. À titre d’exemple concret, je rappelle que, lorsque la Banque européenne d’investissement a voulu émettre une obligation numérique, elle l’a fait sur la plateforme d’Ethereum. C’est fascinant. Pourquoi? Parce qu’elle est interopérable à l’échelle mondiale et qu’elle est donc applicable à tout. Dans les régions rurales de l’Inde, 650 millions de personnes n’ont pas accès à Internet, mais leur premier contact avec des services bancaires sera numérique.

Quant à la confiance qui découle de la réglementation, les organismes de réglementation sont en train de rattraper le temps perdu. Il ne faut pas oublier que la raison pour laquelle ils ont pris un peu de retard est qu’ils n’y croyaient pas. Ils pensaient que tout cela passerait, mais ils se disent aujourd’hui : « Un instant, c’est encore là. Et, non seulement c’est encore là, mais les gens semblent l’apprécier. »

Je vais encore utiliser l’exemple de la règle d’acheminement appliquée aux virements de fonds que le Canada a intégrée à ses règles de suivi de l’argent le 1er avril. Les bourses ont bien évidemment tenu compte de ce changement de règle. C’est dans leur intérêt de le faire. Elles veulent faire des affaires au Canada. Avec le temps et la valeur accrue, les mathématiques vont faire leurs preuves. Je ne crois pas que ce sera une réglementation très contraignante. À mon avis, ce sera une réglementation de bon sens qui permettra au secteur privé de prospérer grâce ces technologies.

Le sénateur Gignac : Merci. N’hésitez pas à nous envoyer une réponse écrite, car nous manquons de temps.

Je pourrais comprendre les avantages de la technologie de la chaîne de blocs, mais j’ai encore du mal à comprendre la valeur d’une cryptomonnaie comme le bitcoin qui me semble être plus une marchandise qu’une monnaie. Il y a tellement de bulles, des tulipes de Hollande il y a 150 ans aux entreprises point-coms. Quelle est la différence entre un bitcoin et une tulipe, par exemple? À l’époque, il n’y avait pas d’intermédiaire. Cela se passait entre deux personnes ayant convenu d’une valeur jusqu’au moment où cette valeur a brusquement diminué. J’essaie de comprendre. Pourriez-vous m’expliquer, s’il vous plaît?

M. Kasumovich : Les tulipes meurent. Le bitcoin est éternel. Il peut ne pas avoir de valeur, mais il est éternel. Le protocole est géré par toutes sortes de gens qui décident de lui laisser libre cours, et non par une force centralisée. Sa valeur est inconnue, mais sa technologie est là pour toujours.

On peut effectivement le considérer comme une marchandise. Nous ne savons pas encore ce qu’il deviendra. Comme monnaie, c’est plutôt un système de paiement. C’est une voie de paiement comme une voie ferrée. Ce qu’il en adviendra va dépendre de l’innovation que nous y ajouterons, comme cela s’est passé pour Internet. Internet a tracé la voie, puis a en quelque sorte semé la pagaille en nous privant d’un grand nombre des libertés que nous sommes censés avoir sur cette plateforme.

Les recherches sur Google sont en fait très rentables pour les propriétaires de Google, non pas tant du côté de la personne qui effectue ces recherches que du côté des résultats qui s’ensuivent.

Bon nombre de ces parallèles s’appliqueront. De la même façon qu’on ne savait pas où Internet irait, on ne sait pas où nous mèneront beaucoup de ces technologies numériques, avec ces unités essentielles au fonctionnement du système, mais dont on ne sait pas comment on les utilisera dans le contexte de l’activité économique. Mais on sait qu’on va les utiliser.

La présidente : Un dernier mot, rapidement. Vous avez dit dans votre exposé préliminaire qu’il y a beaucoup de Canadiens dans ce domaine, dont vous-même. Avons-nous raté l'occasion ou pouvons-nous encore être au foyer de ces innovations?

M. Kasumovich : Je ne pense pas que vous ayez raté l'occasion. Je pense que l’avenir appartient au Canada. Nous en sommes au tout début de l’évolution.

Prenons l’exemple du Royaume-Uni. Il y a 48 heures, on y a fait une grande déclaration au sujet d’un cryptosprint, et pourquoi donc? Simplement pour réunir les promoteurs et le secteur public et les inviter à innover et à améliorer les choses ensemble.

Le terrain est fertile pour ce type de participation. Je dirais que la présence du Canada, notamment dans le protocole Ethereum, sans compter le Conseil du Web3 en cours de mise en œuvre, est vraiment remarquable. Je pense que le pays dans son ensemble peut tirer parti de ces connaissances.

La présidente : Merci beaucoup, Marcel Kasumovich, vous nous avez donné matière à réflexion. Merci. On vous applaudit.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup.

La présidente : Nous allons faire une courte pause. Nous reviendrons en arrière et changerons de sujet encore une fois pour entendre M. Stackhouse. Le problème semble réglé. M. Kasumovich a proposé — et il se pourrait que nous y donnions suite — de s’entretenir avec vous dans le cadre de conversations bilatérales pour répondre à d’autres questions. Merci beaucoup.

M. Kasumovich : Merci beaucoup de votre temps.

Le sénateur Massicotte : Merci à vous.

La présidente : Nous allons commencer par John Stackhouse, premier vice-président, Bureau du chef de la direction, Banque Royale du Canada, et nous allons maintenant revenir à la question du marché du travail.

M. Stackhouse est compétent dans de nombreux domaines, dont celui-là. Merci beaucoup d’être venu nous voir, monsieur, et veuillez nous excuser de toutes ces complications. Si vous avez un bref exposé préliminaire, nous vous écoutons, mais nous pouvons aussi passer directement aux questions.

John Stackhouse, premier vice-président, Bureau du chef de la direction, Banque Royale du Canada : Comme vous voulez, sénatrice Wallin. Je suis sûr que la soirée a été longue.

La présidente : Pourquoi ne pas prendre une minute ou deux pour nous faire part de vos réflexions générales sur le marché du travail aujourd’hui?

M. Stackhouse : Nous en sommes à un stade extraordinaire et complètement nouveau de l’histoire, mais c’est encore plus vrai de l’économie et de la main-d’œuvre. Nous avons tous été témoins de grandes pénuries de main-d’œuvre au cours des derniers mois, et il y a de nombreuses théories à ce sujet.

Je vais vous parler de certaines de nos recherches récentes, qui montrent que la force la plus importante en cours est ce que j’appellerais un changement de quart, c’est-à-dire que les gens passent d’emplois à plus faible revenu et à contacts rapprochés à des emplois à revenu plus élevé et à contacts distants. C’est généralement une bonne chose, mais, si on fait la queue au comptoir de repas à emporter ou qu’on est frustré par la lenteur du service dans un restaurant, il faudra apprendre à supporter cette frustration, parce que les gens à l’autre bout de l’équation s’en tirent mieux.

Nous assistons à une augmentation des revenus et à d’intéressantes corrélations avec le niveau d’instruction, dont le Canada devrait pouvoir tirer parti parce que notre population est très instruite par rapport à celles de nombreux pays, et notamment à celles de nos principaux concurrents.

Une fois que nous aurons rétabli l’immigration — il faut le faire et notre pays sait le faire —, il s’agira d’entrer dans la danse avec les bons plans et les bonnes stratégies.

Cela dit, il y a actuellement une restructuration — je ne pense pas exagérer — de l’économie mondiale. Cela comprend des changements dans la production de ressources et dans l’approvisionnement, qui dépendent largement de la guerre en Ukraine en ce moment. Et cela va probablement continuer. Mais, en deçà et bien au-delà de ce moment, il y a le mouvement de relocalisation, que le président Biden est en train d’accélérer. C’était déjà en cours avant lui, et il y a tout lieu de penser que cela va continuer.

Le Canada se trouve dans une situation avantageuse grâce à son accès au meilleur marché du monde, mais il est aussi très vulnérable parce qu’il en dépend. À notre avis, et nous essayons d’y inciter les décideurs canadiens, il ne faut pas perdre de temps. Nous devons être à Washington presque 24 heures sur 24, sept jours sur sept, pour rappeler à tous — qu’ils soient réveillés ou non — qui sont leurs meilleurs amis et partenaires économiques. Nous ne pouvons tout simplement pas renoncer un instant à cette bataille.

Cela deviendra encore plus aigu — je vais conclure là-dessus — à mesure que nous passerons à une économie plus verte. Il y a environ un mois, nous avons publié un rapport intitulé Green Collar Jobs, dans lequel nous analysons les millions d’emplois existants, sans parler des millions d’autres qui seront créés grâce à l’accélération vers la carboneutralité.

Le Canada est bien placé. Nous aurons besoin de beaucoup de gens de talent en ingénierie, en design et dans les métiers très spécialisés. Mais nous sommes loin d’avoir assez de gens pour nos besoins.

J’étais récemment en visite dans des entreprises de technologies propres à Burnaby, et elles cherchent désespérément des gens dans tous les domaines de compétence imaginables. À nous de jouer, donc, et assurons-nous d’attirer des gens du monde entier, mais aussi de recycler et de reconvertir des gens pour qu’ils occupent ces postes afin de nous donner un avantage supplémentaire dans ce qui, selon nous, sera intégré — et qui doit vraiment l’être — pour prendre de l’envergure au Canada. Cela doit aussi être intégré au marché nord-américain.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Stackhouse. C’est une bonne entrée en matière.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur Stackhouse. J’aime bien vous suivre sur Twitter et j’apprécie toutes les réflexions que vous y exprimez régulièrement.

Je m’interroge sur le rôle de l’investissement des entreprises et sur le bilan peu reluisant du Canada en matière d’investissement dans la numérisation et l’automatisation de diverses entreprises traditionnelles pour accélérer la croissance de la productivité de la main-d’œuvre. Comme le disait M. Kasumovich, il faut modifier la réglementation et les règles pour permettre à ces nouveaux venus et à ce type d’investissement d’obtenir un bon rendement. Pourriez-vous nous en parler?

M. Stackhouse : C’est une excellente question, sénateur Deacon. C’est toujours un plaisir de vous voir.

Le Canada doit relever un défi historique en matière de dépenses consacrées aux TIC, vous le savez. Beaucoup de mesures ont été prises à cet égard, et elles ont permis d’améliorer progressivement la situation. Mais je ne crois pas qu’on ait pour autant changé la donne, et cela n’a certainement pas été suffisant.

Parlant de ces transitions, cela s’applique également aux emplois verts. Beaucoup d’emplois verts sont numériques, parce que l’économie verte sera reliée à l’économie numérique de toutes sortes de façons intéressantes et nécessaires. Nous avons des talents en ingénierie et nous avons des talents spécialisés, comme je l’ai dit, mais ils ne correspondent pas souvent à la technologie. La productivité est donc moindre. On constate effectivement une augmentation de la productivité au Canada, mais, aux États-Unis et dans d’autres marchés, elle est supérieure en raison de quelques facteurs, dont un budget plus élevé pour les TIC.

En matière de politique de relance, il serait certainement utile d’offrir des stimulants et de réduire les obstacles aux budgets investis dans les TIC.

Nous devons aussi être très attentifs aux mutations dans la création de valeur, y compris dans le domaine des exportations. Nous avons tous tendance à penser que les marchandises exportées sont des automobiles et des produits de l’acier. La valeur des exportations de services commerciaux est maintenant ou sera bientôt supérieure à celle des exportations d’automobiles. Les services financiers, les services bancaires et les assurances, entre autres, représentent d’énormes exportations pour le Canada. Il faut vraiment changer les mentalités pour que, quand on parle de moteurs de croissance économique, les services — et tout ce qui se passe généralement dans des tours, mais de plus en plus dans des sous-sols et des studios partout au pays, en raison des technologies accessibles — seront de véritables moteurs de croissance économique et d’exportation commerciale. Nous devons veiller à ce que les entrepreneurs — les grappes d’entrepreneurs et les grands employeurs du secteur des services à valeur élevée — ne soient pas dissuadés de croître et d’exporter.

Le sénateur C. Deacon : Les exportations d’intangibles. Merci.

Le sénateur Loffreda : Monsieur Stackhouse, c’est toujours un plaisir de vous revoir. J’ai d’excellents souvenirs de l’époque où je travaillais chez RBC.

Vous savez que je suis convaincu de la valeur de l’immigration. J’aimerais connaître votre avis. Le Canada est-il sur la bonne voie du point de vue des niveaux et de la stratégie d’immigration? Je pose la question parce qu’il y a une grande pénurie de main-d’œuvre, mais aussi une énorme pénurie de logements. L’abordabilité du logement est de plus en plus un problème au Canada. À votre avis, est-ce que sa stratégie d’immigration met le Canada sur la bonne voie?

M. Stackhouse : Monsieur le sénateur, c’est aussi un plaisir pour moi de vous revoir. Je ne ferai pas justice à une question importante en y donnant une réponse brève, mais nous avons peu de temps. Il faut prendre garde de ne pas confondre les pressions de l’immigration et celles du logement. Il y a évidemment une certaine interaction entre les deux, et j’hésiterais à parler de corrélation, mais on la surestime dans beaucoup de discours publics.

Nous avons suffisamment de logements pour les niveaux actuels d’immigration, à 1 % de la population. Ce qu’il nous manque, ce sont des politiques de logement qui facilitent le mouvement dynamique des propriétés et la création de logements de toutes sortes. Et ce, également pour les gens qui sont bien établis au Canada.

Je ne saurais trop y insister parce que, compte tenu des pressions qui s’exercent dans le domaine du logement, on fait trop facilement le lien avec l’immigration. Il n’y a tout simplement pas de faits patents qui permettent de démontrer une forte corrélation. Une meilleure répartition de la population? Absolument, oui, cela aidera. Ce qui s’est passé pendant la pandémie contribue à améliorer la situation. Nous assistons à ce qu’on appelle l’exode pandémique, qui s’accompagne de la création de marchés de l’habitation plus vigoureux dans toutes sortes de petites collectivités partout au pays. La croissance économique dans ces collectivités est vraiment intéressante parce qu’elle va attirer des jeunes. Ce phénomène existe depuis au moins une décennie aux États-Unis. C’est beaucoup plus lent au Canada. En fait, il y a beaucoup trop de concentration dans les trois grandes régions métropolitaines. La technologie et, peut-être, les ajustements apportés à la politique du logement aideront à répartir un peu mieux la population, mais il faudrait continuer à viser la norme de 1 %.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je suis heureuse de vous revoir. J’imagine que le rapport que vous avez publié en 2017, intitulé Humans Wanted, est toujours valable selon vous. À cet effet, pour ce qui est des compétences numériques et technologiques que nous devons acquérir — en effet, selon les sondages qui ont été réalisés, la population canadienne manque de compétences et elle doit se former —, que dites-vous aux gouvernements, aux individus et aux entreprises pour les convaincre d’accroître l’investissement dans ces compétences numériques et technologiques?

[Traduction]

M. Stackhouse : Merci, madame la sénatrice. J’aimerais pouvoir vous répondre en bon français. Je suis désolé. J’ai compris votre question, mais je vais devoir m’en tenir à l’anglais.

La communication exige des compétences quantitatives, des compétences mathématiques et ce que nous appelons les compétences humaines de la pensée critique. Il faut toutes les appliquer en même temps. La formation d’une armée d’ingénieurs et de mathématiciens purs crée des parcours très étroits pour le pays, parce qu’un bon nombre de ces compétences deviennent désuètes au bout de 5 ou 10 ans.

La pression est énorme. Quiconque essaie d’embaucher un analyste de données ou un ingénieur en mécatronique sait que la concurrence est très forte, mais nous reconnaissons la valeur de ces grandes compétences humaines. Il faut les intégrer dans les programmes et dans les descriptions de travail en STIM. Un grand nombre de jeunes qui se sont diplômés il y a 5 ou 10 ans stagnent aujourd’hui sur le plan professionnel. On constate par exemple une augmentation intéressante du revenu des jeunes qui viennent de se diplômer au cours de ces 10 dernières années de programmes de STIM — cela est bien documenté aux États-Unis également —, puis leur salaire stagne, parce qu’après l’âge de 30 ans, ils ne possèdent pas de compétences supplémentaires, ils n’offrent aucune valeur ajoutée. D’un autre côté, le parcours des diplômés des programmes d’arts a tendance à être plus régulier. Leur salaire se situe à un écart d’environ 10 000 $ quand ils finissent leurs études — ce sont des statistiques des États-Unis —, puis il commence à monter lorsqu’ils atteignent l’âge de 30 ans, parce qu’ils possèdent une base qui leur permet d’acquérir de nombreuses nouvelles compétences.

Comment pouvons-nous combiner tout cela pour que les diplômés en STIM et les diplômés en arts et en STIAM finissent leurs études avec un avenir prometteur, pour qu’ils comblent tous les emplois qui sont en forte demande et pour que 10 ans plus tard, ils possèdent les qualités requises pour devenir des entrepreneurs, des exploitants, des dirigeants, des gestionnaires, des bâtisseurs, des chefs d’équipe, des dirigeants politiques qui continuent à ajouter de la valeur à notre pays?

Bon nombre de nos écoles, collèges et universités s’efforcent de trouver des solutions, mais j’insiste là-dessus parce qu’il est très tentant de se retourner pour répondre à la demande en créant des programmes axés sur des compétences très limitées. Cette pensée est bien intentionnée, mais, comme je l’ai dit, elle crée un parcours étroit. Nous avons besoin de l’élargir.

Le sénateur Gignac : Monsieur Stackhouse, bienvenue au Sénat.

Je tiens d’abord à vous féliciter pour votre récent article intitulé « Eight ways COVID-19 will transform the economy and disrupt every business ». Il était bien structuré et facile à lire. À ce sujet, que recommandez-vous au gouvernement pour aider les entreprises à traverser la transition qui suivra la pandémie?

M. Stackhouse : Merci, sénateur Gignac. J’aurais beaucoup, beaucoup de choses à recommander, mais comme notre temps est limité, je vais simplement insister sur la nécessité de vraiment encourager les petites entreprises à investir dans les technologies numériques. Nous sommes toujours à la traîne. La pandémie a forcé de nombreuses petites entreprises à changer de direction. Il n’est pas nécessaire que tous les petits restaurants locaux fassent des affaires par DoorDash. Il l’est peut-être un peu, mais tous ces emplois de grande valeur dans le secteur des services, comme ceux des entreprises de design et de l’entrepreneuriat qui vendent leurs produits dans le monde entier par l’entremise de Shopify ou d’Amazon, ont l’instinct de le faire, mais ils n’ont souvent pas les outils qu’il leur faut, comme l’accès au public ou une connexion à large bande.

L’accès à large bande, surtout dans les petites agglomérations, est un investissement crucial. Les gens devraient pouvoir travailler dans le Nord du Manitoba ou à Orillia, en Ontario, avec la même vitesse et la même fréquence Internet qu’au centre-ville de Toronto.

La sénatrice Ringuette : Monsieur Stackhouse, vous avez parlé d’une transformation de l’économie mondiale. Je constate aussi un changement majeur dans le marché du travail. Comment le gouvernement fédéral peut-il restructurer sa politique pour faciliter le perfectionnement et le recyclage des compétences? Comment y parvenir en peu de temps?

M. Stackhouse : Merci, madame la sénatrice. Votre leadership et celui des autres sénateurs sont essentiels, car il s’agit d’un problème qui nécessite une solution non partisane à long terme que le Sénat peut contribuer à apporter.

Tout d’abord, il faut considérer le développement des compétences et l’éducation comme une priorité nationale. Bien sûr, ces domaines relèvent des provinces, mais le gouvernement fédéral a le droit et le devoir de participer à ces discussions, parce qu’elles influent sur la compétitivité et la prospérité du Canada. Je pense que la plupart des provinces sont prêtes à collaborer.

Nous l’avons souligné dans le cas de la transition verte. Il nous sera très difficile d’atteindre nos cibles de 2030, et je pense que beaucoup de gens le reconnaissent. Nous devrons effectuer des investissements massifs en capitaux — de 80 milliards de dollars par année, selon nos estimations. Il s’agira surtout de capitaux privés. Au Canada, nous n’en sommes qu’à 20 milliards de dollars par année. La plupart de ces investissements sont privés. Il nous faut donc investir quatre fois plus de capital dans les activités de transition de l’économie.

Cependant, tout cet argent consacré à la technologie sera inutile si nous n’avons pas d’employés qualifiés pour utiliser cette technologie. Nous devons vraiment sonner l’alarme au Canada. Nous devons faire comprendre à la nation que la responsabilité d’atteindre la carboneutralité ne revient pas uniquement à Justin Trudeau, à Doug Ford ou aux dirigeants d’entreprise, mais aux millions de personnes de l’économie verte qui sauront déployer ces capitaux et ces technologies.

Cela peut sembler un peu exagéré, mais à l’heure actuelle, nous n’avons pas les talents capables de le faire. Je pense que cela devient de plus en plus évident. Nous devons par exemple construire dans tout le pays une infrastructure massive pour recharger les véhicules électriques. Nous devrons le faire très rapidement, si nous envisageons vraiment de construire des fabriques de batteries. Il faudra décupler la production si nous voulons construire des infrastructures de captage du carbone. Pour y parvenir, il nous faudra des millions de travailleurs qualifiés. Nous ne pouvons pas attendre qu’ils passent par le système scolaire ou qu’ils se recyclent. Il nous faut un programme très dynamique de recyclage des compétences.

Nous avons la capacité de le faire. Nous avons le meilleur système de collèges et d’universités au monde, à mon avis, et le secteur privé est prêt à innover. La plupart des gouvernements, autant fédéral que provinciaux, sont prêts à innover. Mais nous devons créer un nouveau modèle, une nouvelle approche et de nouveaux systèmes publics, privés, fédéraux et provinciaux. Les voies habituelles sont beaucoup trop lentes pour cela.

Le sénateur Woo : Bonjour, monsieur Stackhouse. Merci d’être venu.

Cette conversation sur l’investissement intérieur, sur l’investissement des entreprises et sur l’élimination des goulots d’étranglement dans le marché du travail, me donne l’impression que toutes ces initiatives seront uniquement nationales.

Avez-vous une idée du rôle des entreprises canadiennes basées à l’étranger, des investissements canadiens à l’étranger, de leur présence dans le monde et de leur contribution à certains des objectifs dont nous avons parlé aujourd’hui?

M. Stackhouse : Merci, monsieur le sénateur. C’est un sujet qui me tient à cœur et à vous aussi, je le sais, et je crois fermement que les Canadiens — pas seulement les entreprises canadiennes, mais les particuliers aussi —, doivent pouvoir se tailler une place dans le monde. C’est pourquoi j’ai écrit le livre Planet Canada: How Our Expats are Shaping the Future. Nous avons à l’étranger 3 millions de Canadiens qui constituent un atout national sous-utilisé. La technologie élimine toutes les limites géographiques. Nous pouvons mener des initiatives dans le monde entier le matin, à midi et pendant la nuit, pour le meilleur et pour le pire. Nous sommes dans une ère nouvelle, et les jeunes générations le savent.

Mais comment veiller à ce que les entreprises canadiennes qui sont, par définition, plus grandes que la somme de leurs parties, ces sociétés auxquelles les employés apportent de multiples valeurs, comment les aider à s’étendre à l’étranger? Nous avons un certain nombre d’entreprises de nouvelle génération, comme Lululemon, Shopify, le Cirque du Soleil, qui sont maintenant des marques mondiales exploitées dans le monde entier. Cependant, il nous faut d’autres nouvelles entreprises comme celles-ci.

Je dirais aussi, pour revenir au point de la restructuration, que nous avons la capacité de fabriquer des pièces d’automobile, avec les champions mondiaux ainsi qu’avec Magna et Linamar. Nous avons aussi des capacités de fabrication verte dans l’industrie automobile émergente. Nous avons également des entreprises de ressources qui ont perdu leur identité canadienne dans la grande restructuration du début des années 2000. Il faut qu’elles se réaffirment à l’échelle mondiale, car le Canada sera un chef de file mondial dans tous les secteurs des ressources — pétrole et gaz, potasse, blé, et cetera —, et nous devons nous placer en tête de file mondiale dans ces domaines. Nous avons les capacités requises pour cela.

Pensez aux possibilités d’exportation. Comment trouver des champions canadiens qui se placent en tête de file mondiale d’une activité à faibles émissions dans le secteur des ressources, puis qui deviennent des champions de l’exportation dans le monde entier?

Le sénateur Yussuff : Merci, monsieur Stackhouse, de vous être joint à nous.

J’ai deux brèves questions. Vous venez d’énumérer beaucoup d’objectifs qui décourageraient toute personne saine d’esprit. Vous parlez d’une économie transformatrice, des changements démographiques qui se produisent sous nos yeux, nous avons [Difficultés techniques] des progrès technologiques qui vont perturber la majorité de nos techniques d’exploitation. D’un autre côté, il est évident que tous ces objectifs que vous avez énumérés et que vous citez dans votre livre présentent d’immenses possibilités.

Permettez-moi de poser deux brèves questions. Nous avons signé l’un des plus importants accords commerciaux avec l’Union européenne, l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne. Pourtant, depuis la conclusion de cet accord, les entreprises canadiennes n’en ont pas profité pour accroître leurs exportations. Nous continuons à exporter des États-Unis.

Ma deuxième question porte sur les changements technologiques émergents. Ces changements pourront rendre nos entreprises plus productives, et pourtant, nous hésitons à investir dans la chaîne technologique et à perfectionner les travailleurs pour relever les défis qui s’annoncent. Comment relier ces objectifs pour ne pas gaspiller ces possibilités afin de relever les défis auxquels nous allons faire face?

Je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit au sujet de l’immigration.

M. Stackhouse : Vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur. C’est une question à laquelle nous n’avons pas encore trouvé réponse.

Les conséquences de l’AECG sont malencontreuses parce que, comme vous le savez, nous avons augmenté nos importations d’aliments de l’Europe sans augmenter de façon importante nos exportations d’aliments vers l’Europe. Nous sommes l’un des meilleurs producteurs d’aliments au monde. C’est une honte.

Il n’est pas facile de réponse à cette question. Cependant, à la suite de la pandémie, nous nous inquiétons du fait que nous avons tous un peu trop compté sur le gouvernement au cours de ces deux dernières années. C’était nécessaire, je ne le conteste pas, mais nous devons nous réveiller et remercier le gouvernement d’avoir bien rempli sa tâche tout en lui rappelant qu’il doit encore intervenir dans de nombreux domaines.

Il faut prendre des risques, et les gouvernements ne peuvent pas le faire. Le secteur privé le fait à petite et à grande échelle — plus à petite échelle, comme des personnes qui prennent des risques. C’est merveilleux.

Comment nous assurer que ces milliers ou ces millions de fleurs s’épanouiront au début du printemps? Comment établir un régime fiscal et un système d’éducation, comment lancer une vive discussion publique qui suggère de prendre des risques et qui encourage les producteurs alimentaires à vendre leurs fromages et leurs viandes malgré la concurrence des produits européens? Comment soutenir les entrepreneurs qui vendent leurs produits en ligne aux quatre coins du monde et veiller à ce qu’ils disposent de tout ce qu’il leur faut?

Je sais que tous les gouvernements sont d’accord là-dessus. On ne peut pas contester ces faits. Toutefois, il faut que le gouvernement renforce sa confiance afin de soutenir les gens, parce qu’à mon avis, ils peuvent en faire plus que nous. Si nous leur donnons de l’espace, ils accompliront ce que nous n’aurions jamais osé imaginer. Nous leur donnerons le soutien dont ils ont besoin, mais pas au point de les rendre paresseux ou hésitants à prendre ces risques. Comment prendrons-nous plus de risques?

La sénatrice Marshall : Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé de nos vulnérabilités et des États-Unis. Le Canada perd-il des travailleurs qualifiés au profit des États-Unis? Je sais que beaucoup de jeunes déménagent aux États-Unis. Est‑ce un problème? Si oui, comment pouvons-nous renverser la vapeur? Si ce n’est pas un problème, comment nous assurer qu’il ne le deviendra pas?

M. Stackhouse : C’est une excellente question pour conclure, car ce fait m’inquiète énormément. La démographie, les pénuries de main-d’œuvre et leur pouvoir d’achat rendent les États-Unis plus concurrentiels face à la main-d’œuvre, et ils attirent particulièrement les travailleurs très qualifiés. Il en a toujours été ainsi, et cela ne changera pas de sitôt, alors nous devons surveiller la situation.

Comme les États-Unis restreignent l’immigration, et qu’au contraire nous ouvrons nos frontières, la demande de compétences rares de grande valeur augmentera dans tous les domaines. Cela risque de déclencher un nouvel exode des cerveaux.

Ajoutons à cela la capacité qu’ont les États-Unis d’investir davantage dans la technologie que le Canada. Cette dynamique fera encore reculer le Canada, car les entreprises américaines investiront plus dans la technologie et acquerront des compétences particulières, ce qui crée une combinaison magique. De notre côté, nous dépendons d’une main-d’œuvre moins bien rémunérée, légèrement moins qualifiée qui ne dispose pas de technologies aussi avancées. Comme je l’ai dit, nous prendrons toujours plus de retard. Il nous faut une approche globale, une approche fédérale-provinciale. Mais nous avons aussi besoin de main-d’œuvre et de capital technologique. Nous devrons veiller à conserver ces talents et à en attirer d’autres de tous les horizons.

La présidente : Monsieur Stackhouse, je vous remercie beaucoup et je vous présente nos excuses pour les problèmes techniques, mais l’attente en valait la peine. Merci.

M. Stackhouse : Je vous remercie tous de servir si bien notre pays. Je suis toujours très impressionné lorsque je passe du temps avec vous. Je vous admire profondément pour vos talents extraordinaires et pour votre engagement envers notre pays. Je vous dis cela en toute sincérité. Je vous remercie tous.

La présidente : John Stackhouse, premier vice-président, Bureau du chef de la direction de la Banque Royale du Canada.

Nous allons maintenant revenir à la question des cryptomonnaies et de la réglementation et, au Canada... Marcel Kasumovich a dit un mot tout à l’heure de l’importance de l’innovation, affirmant que l’innovation a présidé à la naissance des cryptomonnaies et que le Canada peut être un chef de file dans ce domaine particulier.

Nous souhaitons la bienvenue au dernier témoin de ce soir et le remercions de sa patience. Il s’agit de Joshua S. Gans, titulaire de la Chaire Jeffrey S. Skoll pour l’innovation technique et l’entrepreneuriat et professeur, Gestion stratégique, École de gestion Rotman, Université de Toronto.

C’est un long titre. Je vous remercie et je vous souhaite la bienvenue. Merci de votre patience.

Avez-vous quelques brèves remarques liminaires à faire?

Joshua S. Gans, titulaire de la Chaire Jeffrey S. Skoll pour l’innovation technique et l’entrepreneuriat et professeur, Gestion stratégique, École de gestion Rotman, Université de Toronto, à titre personnel : Oui, j’en ai. Je suis économiste et professeur à l’Université de Toronto. Je suis également économiste en chef du Creative Destruction Lab et chef du volet Blockchain.

Merci beaucoup de m’avoir invité ce soir. Ma dernière comparution devant le comité remonte à il y a huit ans environ. J’ai alors exhorté le comité à envisager diverses options pour l’établissement d’une cryptomonnaie numérique qui serait liée au dollar canadien et qui créerait une demande potentielle de monnaie canadienne comme moyen d’échange partout dans le monde. Depuis, les cryptomonnaies ont évolué et se sont transformées. En l’absence de mesures gouvernementales, des acteurs privés ont créé ce qu’on appelle des monnaies stables qui sont liées à des monnaies fiduciaires. Ces monnaies stables se sont avérées attrayantes comme moyen d’acheter des cryptomonnaies non fiduciaires comme le bitcoin, Ethereum et ainsi de suite.

Ces monnaies stables ne sont pas réglementées et elles sont censées être adossées à des actifs stables à parité avec des monnaies fiduciaires. Bien que cela signifie que ces monnaies peuvent être stables en temps normal, lorsque le système financier est en proie à des tensions, elles pourraient facilement devenir instables. La situation est identique à celle qui s’est présentée aux banques à l’époque des monnaies privées en Amérique du Nord, il y a près de deux siècles.

Le gouvernement canadien a une belle occasion d’établir une monnaie stable liée au dollar canadien et adossée à des dépôts détenus à la Banque du Canada. Des opérateurs privés qui détiennent des comptes de réserve, comme c’est le cas pour les banques aujourd’hui, pourraient en profiter. De façon plus ambitieuse, ces comptes pourraient être détenus par n’importe qui, offrant une solution de rechange aux banques pour les opérations de base.

Si on ajoutait la bonne technologie, cela contribuerait grandement à offrir des services bancaires au million de Canadiens, environ, qui ne sont pas bancarisés. Cela permettrait également d’établir des marchés internationaux florissants pour les envois de fonds et de réduire considérablement les coûts de transaction pour les consommateurs et les entreprises du Canada. Autrement dit, les paiements numériques de base devraient être libres de toute friction. La technologie existe maintenant pour que cela se fasse de façon sécuritaire. Ce dispositif donnera aux décideurs canadiens une perspective unique et à haute fréquence sur l’économie et élargira l’inclusion financière. Il y a de nombreuses façons de bâtir et de faire évoluer le système. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup de ces observations.

Le sénateur C. Deacon : Merci de votre présence, monsieur Gans.

Je crains que vous ne soyez de retour ici dans 10 ans pour constater que nous n’avons pas accompli les progrès qui étaient possibles. Je m’intéresse aux tactiques que nous pourrions employer pour commencer à renforcer la confiance parmi ceux qui sont responsables de nombreuses décisions, comme les organismes de réglementation, les responsables de l’approvisionnement et d’autres. Je m’interroge sur le rôle des bacs à sable réglementaires qui rassemblent les organismes de réglementation, les décideurs et les responsables de l’approvisionnement avec les innovateurs afin de comprendre les risques, de comprendre comment déceler et gérer les risques et comment susciter un élan. Le Royaume-Uni vient de faire une grande annonce à ce propos.

Cela est-il utile comme moyen de parvenir à une meilleure compréhension et à une plus grande prise de conscience?

M. Gans : C’est absolument essentiel. On ne pourrait pas passer du jour au lendemain à une monnaie numérique liée au dollar canadien, qu’elle soit publique ou privée. Il incomberait à tout... [Difficultés techniques]... de réfléchir très attentivement aux objectifs initiaux. Je n’ai pas de classement en tête, mais je vais vous donner un exemple.

Nous venons de traverser la pandémie de COVID-19. Des milliards de dollars ont été envoyés sous forme de chèques aux Canadiens, parfois par dépôt direct dans des comptes, par exemple. On peut imaginer que ces paiements auraient facilement pu se faire par l’entremise des comptes bancaires détenus à la Banque du Canada.

De plus, si ces comptes étaient liés à des renseignements clés, on pourrait facilement diriger ces paiements vers certains secteurs, groupes démographiques ou personnes ayant un statut d’étudiant ou non. On peut imaginer toutes sortes de choses. L’idée serait que le détenteur n’ait pas à sortir de chez lui pour avoir accès à ces paiements. C’est un ensemble d’utilisations possibles.

On peut imaginer d’autres projets pilotes dans lesquels on utiliserait la monnaie numérique canadienne pour le paiement des services du gouvernement par des entreprises de toutes tailles, surtout des petites entreprises.

Il y aurait donc là une voie directe. Ce système serait évidemment complémentaire du système bancaire existant. Je dois souligner que je ne cherche aucunement à remplacer le système bancaire actuel. Ce qui m’intéresse, c’est de réduire le plus possible les frictions. Je suis arrivé au Canada il y a 11 ans en provenance de l’Australie, et l’Australie, pour être franc, avait un système financier doté d’une technologie beaucoup plus avancée que tout ce que j’ai vu ici. Je ne pense pas que, en 12 ans, le Canada ait jamais égalé ce qui était déjà en place en Australie lorsque j’en suis parti.

Il n’y a pas beaucoup de domaines où le Canada est à la traîne derrière l’Australie, mais celui-ci est du nombre. C’est au point où, lorsque j’ai passé une entrevue pour un emploi, que j’ai fait venir ma famille ici et que nous sommes allés manger tous ensemble... Il se trouve que je n’avais pas assez d’argent canadien sur moi et que le système n’était pas en place. Je n’avais pas de carte compatible avec Interac, et nous avons dû réduire la dépense de moitié parce que nous n’avions pas assez d’argent. Cette expérience — je suis plutôt bien nanti —, ces frictions qui font problème quand on n’a pas toute la gamme des services bancaires... Ce genre de problème continue de tracasser bien des Canadiens, si j’ai bien compris, surtout ceux qui ont des liens avec l’étranger, par exemple. La technologie a évolué de telle sorte que le gouvernement pourrait jouer un rôle en appuyant une réduction très nette des coûts de transaction.

La présidente : Merci. C’est un peu pénible à entendre, mais merci de le dire.

Le sénateur Woo : Merci, monsieur Gans. J’ai soumis précisément la question que vous avez abordée ce soir aux témoins de la banque centrale lors d’une séance antérieure, leur demandant ce qui pourrait nuire à l’implantation d’une monnaie stable liée au dollar canadien. Leur réponse? Nous devons attendre que l’utilisation de l’argent comptant soit moins répandue. En fait, la banque centrale surveille l’utilisation de l’argent comptant et ne s’engagera pas dans cette voie tant qu’elle n’aura pas l’impression que l’argent liquide n’est plus aussi important dans l’économie. Que répondez-vous?

M. Gans : Voici ma réponse : pourquoi l’argent liquide a-t-il toujours la moindre pertinence? C’est le symptôme de la maladie et non une raison de ne pas intervenir.

En fait, j’allais faire un petit tour de passe-passe en vous montrant de l’argent liquide et en signalant certaines choses pendant une partie de mon exposé, mais je n’ai pas le moindre billet. Je n’ai pas vu de numéraire depuis deux ans, mais cela, c’est mon cas à moi. L’argent liquide s’utilise encore. Si quelqu’un se présente chez soi pour demander un don de bienfaisance, il est difficile d’utiliser autre chose que de l’argent liquide.

On est habitué depuis longtemps à une économie du numéraire, et largement, mais je crois que c’est maintenant moins vrai. C’est là une cible que je me donnerais pour ce qui est des utilisations.

Sans doute, si on proposait une monnaie numérique canadienne dès demain, ceux qui ont l’habitude de l’argent liquide ne seraient pas les premiers à l’adopter. Ce sont les autres, certainement, qui le feraient. Ceux qui se servent du numéraire ont sans nul doute leurs raisons. Mais l’objectif est de les sevrer progressivement. Depuis longtemps, les sociétés émettrices de cartes de crédit et les banques essaient de nous faire adopter autre chose que du numéraire et elles ont bien réussi. L’argent liquide présente des risques. Honnêtement, dans un régime financier démocratique, il a deux conséquences. Premièrement, il permet d’empêcher l’État d’observer les opérations, les revenus et d’autres données. Du même coup, les gouvernements cherchent encore plus à exercer une surveillance en ce qui concerne les monnaies numériques. Il y a donc un jeu de balance entre intrusion et exclusion.

Il me semble — et je parle maintenant en tant qu’entrepreneur — que l’atténuation des frictions est intéressante. C’est incroyable ce que les frictions peuvent faire. Si on utilise le numéraire, maintenant, c’est parce qu’on n’a pas de solution de rechange qui comporte moins de frictions. Mais nous savons qu’il y en a moins grâce à la technologie. C’est plus sûr. Et le consommateur reçoit plus d’information sur ce qu’il dépense et la façon de gérer ses finances.

Encore une fois, en cette période de COVID-19, nous avons assisté à une inflation massive des prix des actifs, parce que, au cours de la première année environ de la pandémie, les gens ont considérablement réduit leurs dépenses discrétionnaires. Je ne pense pas que les économistes étaient au courant de l’ampleur de ce phénomène. La population ne l’était pas non plus. Les consommateurs ont pu réduire leurs dépenses discrétionnaires et, tout à coup, trouver souhaitable — et même possible — d’acheter une maison plus coûteuse. Cette information fait défaut, et elle fait défaut parce qu’une bonne partie des éléments de base sont encore dans une économie fondée sur le numéraire. Cela ne donne tout simplement pas aux consommateurs l’information sur leurs propres budgets et sur ce qu’ils dépensent.

La présidente : Merci.

Le sénateur Loffreda : Je remercie le témoin d’être là. Une raison d’être importante, un objectif de chaque gouvernement est l’amélioration de la qualité de vie de sa population. Comment l’utilisation accélérée des cryptomonnaies améliorerait-elle la qualité de vie des Canadiens? J’ai beaucoup lu sur les cryptomonnaies, des recherches et des études intéressantes. Certains auteurs disent que les cryptomonnaies vont profiter beaucoup plus aux riches, qui deviendront encore plus riches. Vous dites que l’argent liquide présente des risques. Si je considère les cryptomonnaies, je remarque que, en mars 2020, la valeur du bitcoin a baissé de près de 50 % et, en mai 2021, de près de 53 %. Je dirais donc que, jusqu’à un certain point, le risque est tout aussi grand. Qu’en pensez-vous?

M. Gans : Ce que vous dites au sujet des cryptomonnaies est tout à fait juste. Les riches en profiteront probablement plus que les autres. Je dirai les choses plus brutalement : les cryptomonnaies non fiduciaires sont essentiellement un casino lié à l’économie. C’est comme jouer à l’ordinateur des jeux à somme nulle. Ils ne sont peut-être pas à somme nulle pour le Canada, au plan mondial, mais il reste que ce sont des jeux à somme nulle. Une grande partie de ce que nous observons ne crée pas de valeur économique ou financière, mais, heureusement, ce n’est qu’un élément accessoire. Si jamais cela devenait plus qu’un élément accessoire, nous serions encore plus inquiets.

Je ne suis pas ici pour préconiser l’utilisation de cryptomonnaies. Elles sont intéressantes, et elles ont évolué, mais ceux qui en ont parlé sont des crypto-enthousiastes qui insistent sur toutes sortes de propriétés qu’elles auraient, mais qui ne se matérialisent jamais dans les faits.

Cela dit, elles nous ont montré comment créer des actifs numériques. Ce concept a été mis au point bien avant le bitcoin, il y a peut-être une trentaine d’années, par Stuart Haber et W. Scott Stornetta, qui ont inventé le concept de la chaîne de blocs. La chaîne de blocs est très intéressante et a fait ses preuves. Si les cryptomonnaies nous ont apporté quelque chose, c’est qu’elles ont prouvé qu’il est possible de créer un système de paiement sécurisé sans l’intervention d’un gouvernement, d’une grande banque ou d’une autre entité. Est-ce un bon système de paiement? Non. Est-ce un système de paiement efficace? Non. Mais s’agit-il d’un système de paiement qui a résisté aux criminels habituels? Oui. Mais tout autour règne l’infamie. C’est profondément dangereux.

En ce qui concerne les cryptomonnaies, il y a des questions qui échappent au contrôle de tout gouvernement parce que tout est en pleine évolution.

Comment en rendre compte, comment exercer un contrôle? Voilà une autre raison pour laquelle je préconise une monnaie numérique parrainée par l’État, car elle fera concurrence à ces autres formes de paiements et les tiendra à l’écart. C’est ce que nous devons faire. Et puis nous devons exploiter la technologie de façon sensée.

La présidente : Merci.

La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup, monsieur Gans. J’ai une question concrète à vous poser. Je cherche à comprendre. Si nous avions une monnaie numérique de la banque centrale, cela signifierait-il que nous aurions besoin de mineurs pour le minage de la monnaie, ou s’agit-il d’un autre type de produit?

M. Gans : Je peux vous le dire précisément. Comme punition, au Creative Destruction Lab, nous étions associés à la Diem Association, lorsqu’elle existait. Nous n’étions pas très actifs, mais nous étions associés. J’ai pu voir ce que faisaient ces gens. Je peux vous dire ceci : non, vous n’auriez pas de cryptomonnaie fondée sur ce qu’on appelle une preuve de travail qui consomme de l’énergie électrique. C’est une chose qui se faisait.

Cela vous montre à quel point il est facile de tirer un lapin d’un chapeau, mais impossible de le remettre dedans. Il y a différents modèles, et il est probable qu’il y a eu un certain nombre d’acteurs de confiance qui ont dû être les nœuds du réseau pour y assurer un consensus.

Il y aurait plusieurs façons de faire. Par exemple, chaque gouvernement provincial et territorial, avec son propre ministère des Finances, pourrait exploiter un nœud dans ce réseau. Ce serait une façon de procéder. Inutile d’en avoir beaucoup. Il suffit de ceux-là. Les banques autorisées pourraient également être des nœuds du réseau.

Le fait est que le coût de la protection et de la sécurité du réseau est entièrement attribuable au désir de faire participer n’importe qui. Je ne peux pas imaginer qu’il en irait de même pour une monnaie numérique appuyée par le gouvernement. Des autorisations seraient accordées; il y aurait des entités de confiance, et aucune entité n’aurait suffisamment de pouvoir pour manipuler le réseau. Ce serait simplement un rôle opérationnel.

Le sénateur C. Deacon : Une dernière question. Compte tenu du rôle du bitcoin comme système de paiement, quelles mesures de protection réglementaires devraient être mises en place, selon vous? J’ai certainement appris quelque chose au sujet d’une grève sur le Lightning Network et de la façon dont il utilise le bitcoin comme système de paiement instantané, n’importe où dans le monde, en passant d’une monnaie locale à une autre monnaie locale instantanément. Je compare cela aux efforts que nous faisons depuis des années au Canada pour mettre en place des systèmes de paiement en temps réel. Qu’avez-vous à dire à ce sujet?

M. Gans : Ils ont leurs propres garde-fous qui y ont mis bon ordre. Dans le cas du bitcoin, en particulier, les délais de transaction sont lents et la monnaie est instable, comme on l’a déjà dit.

En principe, les cryptomonnaies basées sur les chaînes de blocs pourraient être très rapides et remplir cette fonction. Ce qui est difficile, c’est d’y entrer et d’en sortir, en ce moment, parce qu’il y a de l’incertitude quant au statut fiscal. De quoi s’agit-il? S’agit-il d’actifs? S’agit-il de devises, d’autre chose? Dans certaines administrations — et j’admets que je ne suis pas un fiscaliste —, on est censé déclarer au fisc toutes les transactions en cryptomonnaie. Je ne pense pas que l’Agence du revenu du Canada tienne à le savoir, chaque fois que j’achète une tasse de café. Il y a des choses comme celle-là à régler.

Cela arrivera-t-il avec le bitcoin? Je ne retiendrais pas mon souffle. Le bitcoin a été la première manifestation probante d’un système qui fonctionne. Il y a beaucoup d’autres technologies supérieures qui pourraient se prêter à de meilleurs essais pilotes en vue d’instaurer un système canadien qui permettrait les envois de fonds. Quoi qu’il en soit, encore une fois, un système canadien ou gouvernemental pourrait faire beaucoup mieux. Je devrais pouvoir envoyer instantanément de l’argent pour un cadeau d’anniversaire en Australie. Rien ne l’empêche, et c’est ce que permettent les cryptojetons.

Le système archaïque de conciliation bancaire est né il y a des siècles, et nous n’en avons pas changé les principes fondamentaux. La cryptomonnaie nous a montré que nous pouvons faire mieux.

La présidente : N’est-ce pas là l’essentiel? D’autres témoins nous ont dit que si la cryptomonnaie est attirante, c’est qu’elle permet, 24 heures par jour, 7 jours par semaine, 365 jours par année, d’effectuer des transactions, et qu’on n’est pas à la merci d’un système désuet. Et elle est tout ce qu’on a dit : un actif, un placement, une monnaie, tout comme le dollar peut l’être de nos jours.

M. Gans : Oui. C’est tout à fait exact. C’était l’objectif réel de la Diem Association. Elle a essayé très fort de travailler avec les organismes de réglementation. Malheureusement, les acteurs privés, comme ce consortium, ont été découragés. Maintenant, il n’y a que les joueurs qui ne veulent pas traiter avec les gouvernements, qui veulent faire les choses indépendamment. De ce point de vue, nous sommes un peu dans le pétrin. Le gouvernement doit être proactif. Je n’ai pas entendu le témoignage concernant le numéraire, mais je ne suis pas d’accord; cela me semble mal inspiré.

La présidente : En ce qui concerne le point soulevé par le sénateur Woo, cependant, lorsque nous avons discuté avec des représentants du gouvernement de la réglementation et de la possibilité de créer une monnaie stable, ils ont dit qu’on avait trop tardé. Bref, trop peu et beaucoup trop tard.

M. Gans : Oui. Il est possible qu’un acteur privé trouve une façon de faire les choses correctement, de façon légitime, et il n’y aura aucun contrôle. Le système ira de l’avant. À l’heure actuelle, c’est le scénario le plus probable. Encore une fois, je sais d’après la réception que la Diem Association a reçue des banques centrales du monde entier qu’elles sont d’avis que rien ne presse. D’un certain point de vue, je comprends. Chaque fois que nous réduisons la friction pour quoi que ce soit, les gens mettent un certain temps à s’y retrouver. Il y a de l’instabilité, ce qui ne plaît pas aux banques centrales. Malheureusement, elles n’auront pas le choix.

Le sénateur Woo : Pouvez-vous nous parler de l’expérience chinoise pendant les Jeux olympiques avec le yuan?

M. Gans : Non, je suis désolé, je ne peux pas. Je dois dire que les Chinois ont pu utiliser seulement des systèmes de messagerie pour envoyer de l’argent, des paiements numériques, aux destinataires. Il s’avère qu’il y a des façons de le faire. L’engagement proactif rapporterait très rapidement des dividendes.

La présidente : Merci beaucoup, Joshua Gans, titulaire de la Chaire Jeffrey S. Skoll pour l’innovation technique et l’entrepreneuriat et professeur, Gestion stratégique, École de gestion Rotman, Université de Toronto, et économiste au Creative Destruction Lab.

Merci beaucoup à tous les témoins de ce soir. Nous avons vraiment couvert beaucoup de terrain, malgré certains problèmes techniques.

La prochaine séance aura lieu dans trois semaines. La greffière vous enverra des messages à ce sujet. Je signale à mes collègues du comité de direction que nous essaierons de nous réunir au cours des prochaines semaines pour planifier nos travaux.

Merci beaucoup à tous, et merci à ceux qui nous regardent en ligne. Au revoir et merci.

(La séance est levée.)

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