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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES ET DU COMMERCE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 27 avril 2022

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui à 18 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les questions concernant les banques et le commerce en général, comme le prévoit l’article 12-7(8) du Règlement.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m’appelle Pamela Wallin. Je suis sénatrice de la Saskatchewan et je préside ce comité.

Avant de commencer ce soir, j’aimerais apporter quelques précisions d’ordre administratif. J’invite mes collègues et, bien sûr, nos témoins à désactiver leur micro, sauf quand je leur donne la parole. Nous continuons d’avoir des problèmes techniques.

J’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins de s’en tenir à des interventions aussi claires, brèves et concises que possible, afin de donner à tous l’occasion d’intervenir plus d’une fois et de permettre le plus de questions et de réponses possible.

Je vous signale que nous allons lever la séance à 20 h 15 ce soir pour une séance à huis clos. Je vous demanderais donc de ne pas partir avant cela. Le comité est saisi de nombreuses questions, et nous avons tous besoin d’une mise à jour de notre situation et de notre calendrier.

Nous allons maintenant poursuivre, et j’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion de ce soir, en commençant par notre vice-président, le sénateur Deacon, de la Nouvelle-Écosse, puis les sénateurs Bellemare, Gignac, Loffreda, Marshall, Massicotte, Ringuette, Smith, Woo et Yussuff.

Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir de nouveau M. Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada, ainsi que Mme Carolyn Rogers, première sous-gouverneure. Nous sommes très heureux de vous accueillir tous les deux ce soir pour faire le point sur le Rapport sur la politique monétaire qui vient d’être publié pour avril 2022, ainsi que sur tous les enjeux qui se posent dans le monde entier et auxquels les gens doivent faire face. Nous allons commencer par entendre votre déclaration préliminaire, monsieur le gouverneur Macklem. Merci.

Tiff Macklem, gouverneur, Banque du Canada : Merci, madame la présidente, et permettez-moi de commencer par vous dire à quel point nous sommes ravis d’être ici avec vous. Nous avons vraiment hâte d’avoir l’occasion d’être là en personne, mais nous sommes au moins ici virtuellement, la première sous‑gouverneure Carolyn Rogers et moi-même, et nous serons heureux de discuter de notre récent Rapport sur la politique monétaire et de notre annonce de politique d’il y a deux semaines.

Quand nous avons publié le rapport, nous en étions à la huitième semaine de l’invasion non provoquée de l’Ukraine par la Russie. La guerre cause une énorme souffrance humaine, et nous avons une pensée émue pour le peuple ukrainien. La guerre constitue aussi une nouvelle source d’incertitude pour les perspectives économiques mondiales.

Elle stimule une inflation déjà élevée dans de nombreux pays, dont le Canada, et elle perturbe la reprise de l’économie mondiale. Dans ce contexte, nous avons trois grands messages.

Premièrement, l’économie canadienne est forte. En général, elle s’est complètement remise de la pandémie et entre maintenant dans une phase de demande excédentaire.

Deuxièmement, l’inflation est trop élevée. Elle est supérieure à nos attentes et elle restera élevée pendant plus longtemps que nous le pensions.

Troisièmement, nous avons besoin de taux d’intérêt plus élevés. Le taux directeur est notre principal outil pour maintenir l’équilibre économique et ramener l’inflation à la cible de 2 %. Il y a deux semaines, nous avons relevé notre taux de 50 points de base, pour le faire passer à 1 %. Comme nous l’avons indiqué, les Canadiens devraient s’attendre à d’autres hausses.

Laissez-moi vous parler plus en détail de chacun de ces trois thèmes.

[Français]

On a tous subi de nombreuses épreuves ces deux dernières années. Tout le monde a été touché par la pandémie, soit par la maladie ou la perte d’un être cher, la peur et l’incertitude, la perte d’un emploi ou la fermeture d’une entreprise. On a vécu la récession la plus forte et la plus profonde jamais enregistrée, et les vagues successives du virus ont rendu la reprise difficile. Grâce aux mesures de relance monétaire et budgétaire exceptionnelles, aux vaccins efficaces et à la volonté de s’adapter et d’innover, l’économie a vite rebondi de façon remarquable. La reprise a été plus vive et plus rapide que jamais. Maintenant, la demande commence à dépasser la capacité de production de l’économie.

[Traduction]

Il suffit de regarder le marché du travail pour s’en convaincre. Avant la pandémie, le taux de chômage était de 5,7 % au pays. Quand la pandémie a frappé, il a grimpé en flèche à 13,4 %. Maintenant, deux ans plus tard, il se situe à un creux historique de 5,3 %. Le nombre de postes vacants est élevé et la croissance des salaires a atteint les niveaux prépandémie. Les entreprises ont du mal à trouver suffisamment de travailleurs pour satisfaire à la demande et elles nous disent qu’elles vont devoir augmenter les salaires pour attirer et retenir la main-d’œuvre.

Nous nous attendons à ce que la croissance continue d’être forte dans les prochains mois. Avec la levée progressive des restrictions sanitaires, les Canadiens dépensent plus pour des services, notamment dans les secteurs des voyages et des loisirs, de l’hébergement et de la restauration. Et ils achètent encore beaucoup de biens. L’activité sur le marché du logement est encore vigoureuse et, même si nous nous attendons à ce qu’elle ralentisse, elle restera à des niveaux élevés. Les investissements des entreprises et les exportations augmentent, et les prix élevés de nombreux produits de base que le Canada exporte — le blé, la potasse et le pétrole — font entrer davantage de revenus au pays.

Les investissements vigoureux des entreprises, la productivité accrue du travail et la hausse de l’immigration devraient favoriser la capacité de production de notre économie. Et les taux d’intérêt plus élevés devraient ralentir les dépenses. Tout compte fait, la Banque prévoit que la croissance de l’économie canadienne atteindra 4,25 % cette année, avant de ralentir pour s’établir à 3,25 % en 2023 et à 2,25 % en 2024.

Ce qui m’amène à mon deuxième point, soit l’objectif principal de la banque : l’inflation. Au Canada, l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation ou l’IPC a atteint 6,7 % en mars, son plus haut niveau en 30 ans, bien au‑delà de la projection du Rapport sur la politique monétaire de janvier. La guerre a fait monter le prix de l’énergie et d’autres produits de base, et perturbe davantage les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les facteurs qui font grimper l’inflation viennent de l’étranger, mais compte tenu de la demande excédentaire au sein de l’économie, nous devons aussi composer avec des pressions internes sur les prix. Environ les deux tiers des composantes de l’IPC affichent une hausse de plus de 3 %, ce qui signifie que les Canadiens sentent les effets de l’inflation sur leur budget, que ce soit pour l’essence, les aliments ou le loyer.

Nous nous attendons maintenant à ce que l’inflation atteigne presque 6 % en moyenne durant la première moitié de 2022 et reste bien au-dessus de notre fourchette de maîtrise de l’inflation de 1 à 3 % tout au long de l’année. Elle devrait ensuite baisser pour s’établir à environ 2,5 % au deuxième semestre de 2023, avant de revenir à la cible de 2 % en 2024.

Le niveau élevé de l’inflation touche chacun de nous. Un taux d’inflation de 5 % sur une année — c’est-à-dire 3 points de pourcentage au-dessus de notre cible — coûte 2 000 $ de plus au Canadien moyen. Or, l’inflation touche encore davantage les personnes les plus vulnérables de notre société, à la fois parce qu’elles dépensent la totalité de leur revenu et que le coût de produits essentiels, comme les aliments et l’énergie, a connu une hausse marquée.

[Français]

Cette généralisation des pressions sur les prix est extrêmement préoccupante. Il devient plus difficile pour les consommateurs canadiens d’échapper à l’inflation, quelle que soit leur patience ou leur prudence.

Cela m’amène à mon troisième point : les taux d’intérêt augmentent. L’économie a besoin de taux d’intérêt plus élevés et elle est capable de les encaisser. Puisque la demande commence à dépasser notre capacité de production, nous avons besoin de taux plus élevés pour rétablir l’équilibre de l’économie et modérer l’inflation au pays. Nous avons aussi besoin de taux d’intérêt plus élevés pour garder les attentes d’inflation canadienne ancrées à la cible. On ne peut maîtriser ni même influencer les prix de la plupart des biens échangés à l’échelle internationale. Cependant, si les attentes d’inflation des Canadiens demeurent bien ancrées à la cible de 2 %, l’inflation redescendra chez nous, quand on verra diminuer les pressions inflationnistes mondiales liées aux prix élevés du pétrole et aux problèmes d’approvisionnement.

[Traduction]

Nous nous sommes engagés à utiliser notre taux directeur pour ramener l’inflation à la cible et nous prendrons, s’il le faut, des mesures énergiques pour y parvenir. Les hausses du taux directeur de la banque font monter les taux d’intérêt des prêts aux entreprises, des prêts à la consommation et des prêts hypothécaires, et ils améliorent le rendement de l’épargne.

Nous avons indiqué clairement que les Canadiens devraient s’attendre à une trajectoire à la hausse des taux d’intérêt, mais il peut être inquiétant de voir ses versements hypothécaires et ses autres coûts d’emprunt augmenter. Nous évaluerons avec soin l’effet des taux d’intérêt plus élevés sur l’économie.

On le sait, la question qui est sur toutes les lèvres, c’est jusqu’où les taux vont grimper, ou encore, à quel niveau devront‑ils être haussés? Il faut se rappeler que nous avons une cible d’inflation, et non une cible de taux d’intérêt. Autrement dit, nous n’avons pas de destination préétablie pour le taux directeur.

Mais je peux vous dire que les Canadiens devraient s’attendre à ce que les taux d’intérêt continuent d’augmenter pour revenir vers des niveaux plus normaux. Par « normaux », on entend la fourchette que nous envisageons pour un taux d’intérêt neutre qui ne stimule pas l’économie et ne pèse pas sur celle-ci. Nous estimons qu’il se situe entre 2 et 3 %. Il y a deux semaines, nous avons relevé le taux directeur à 1 %, ce qui reste bien en deçà du taux neutre. C’est aussi inférieur au taux directeur en vigueur avant la pandémie, qui s’établissait à 1,75 %.

[Français]

Le niveau que le taux directeur atteindra va dépendre de la réponse de l’économie et de l’évolution des perspectives d’inflation. Au moment d’entrer dans cette phase de demande excédentaire, l’économie est en plein essor et l’inflation est élevée, et on s’est engagé à ramener l’inflation à la cible.

Si la demande réagit rapidement aux taux plus élevés et que les pressions inflationnistes diminuent, nous pourrions juger approprié de cesser temporairement notre resserrement quand nous nous rapprocherons du taux neutre, puis de faire le point à ce moment-là. En revanche, nous pourrions devoir augmenter les taux un peu au-dessus du taux neutre pendant un certain temps afin de rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande, pour ramener l’inflation à la cible.

[Traduction]

Pour terminer, laissez-moi vous parler de notre bilan. En date de cette semaine, nous ne remplaçons plus les obligations qui arrivent à échéance, et la taille de notre bilan va diminuer. Ainsi, nous bouclons la boucle du côté de nos mesures de politique monétaire exceptionnelles. Quand l’économie avait besoin d’un soutien exceptionnel au plus creux de la récession, nous avons abaissé notre taux directeur à sa valeur plancher et nous avons accompagné cette mesure d’un programme d’assouplissement quantitatif. En novembre dernier, nous avons mis fin à l’assouplissement quantitatif et amorcé la phase de réinvestissement. Nous sommes maintenant passés au resserrement quantitatif. Comme l’économie s’est complètement remise, c’est le moment de normaliser notre bilan. Le resserrement quantitatif servira de complément aux relèvements du taux directeur et créera une pression à la hausse sur les taux d’intérêt à long terme.

Je m’arrête là-dessus. La première sous-gouverneure Rogers et moi serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, il y a beaucoup de questions. Des mains sont levées. Nous vous remercions de votre déclaration préliminaire. Nous allons commencer par le vice-président, le sénateur Deacon.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur le gouverneur Macklem et madame la première sous-gouverneure Rogers. Nous sommes ravis de vous accueillir.

J’aimerais savoir pourquoi vous pensez que l’inflation va diminuer de façon aussi constante au cours des prochaines années, étant donné que nous n’avons pas seulement une demande excédentaire à l’horizon, mais aussi des problèmes d’approvisionnement liés à la chaîne d’approvisionnement. En ce qui concerne les aliments, je pense que l’invasion de l’Ukraine par la Russie devrait avoir des effets importants au cours de la prochaine période, en raison de la réduction de la production dans le grenier de l’Europe, ainsi que du nombre d’intrants agricoles provenant de cette partie du monde qui sont essentiels pour la production dans le reste du monde.

L’autre chose que j’ajouterais, c’est que les perspectives en matière d’inflation peuvent fluctuer à la hausse. J’aimerais comprendre pourquoi vous pensez que l’inflation diminuera de façon aussi constante au cours des deux ou trois prochaines années.

M. Macklem : Sénateur, vous avez souligné les deux principales raisons de la forte pression à la hausse sur l’inflation. La première, comme vous l’avez dit, est liée à des choses qui échappent à notre contrôle, comme les chaînes d’approvisionnement mondiales, qui sont engorgées. La demande mondiale de biens est très forte, compte tenu des circonstances uniques liées à la pandémie. Lorsque les gens ne peuvent pas obtenir de services, ils se tournent vers les biens. Cela se produit dans le contexte d’une chaîne d’approvisionnement mondiale qui est déjà affectée par la pandémie.

La guerre, comme vous l’avez dit, contribue encore davantage à la perturbation des chaînes d’approvisionnement, en particulier au chapitre du transport. Puis, bien sûr, elle a entraîné une augmentation des prix de nombreux produits, comme ceux du pétrole et des aliments — le blé en étant un exemple frappant.

Oui, il y a beaucoup d’incertitude quant à la durée de la guerre, à l’évolution des prix du pétrole et au temps qu’il faudra pour régler ces perturbations de la chaîne d’approvisionnement. Mais je pense qu’il y a de bonnes raisons de croire qu’à tout le moins, les choses ne vont pas continuer d’empirer, et qu’elles devraient commencer à s’améliorer. Il ne faut pas oublier que l’inflation fait augmenter les prix. Donc, même si ces facteurs se stabilisent — et qu’ils n’exercent pas d’autres pressions inflationnistes —, il devrait y avoir une certaine réduction naturelle de l’inflation, à condition que les attentes en matière d’inflation demeurent bien ancrées à la cible. Je dois vraiment le souligner. Si nous ne maintenons pas les attentes des Canadiens bien ancrées à la cible, l’inflation ne pourra pas être jugulée. Non seulement elle ne baissera pas, mais elle va rester bloquée à un niveau plus élevé, et il sera alors beaucoup plus difficile de la faire baisser.

L’autre chose que nous constatons, c’est que notre économie a connu une reprise remarquable. Elle se dirige maintenant vers une demande excédentaire, et nous commençons à voir de plus en plus de pressions sur l’offre intérieure. Il faut donc modérer la croissance des dépenses et ramener ces dernières au niveau de la capacité de l’économie au chapitre de l’offre. Nous relevons les taux d’intérêt pour ces deux raisons, soit maintenir les attentes d’inflation bien ancrées à la cible et modérer la croissance des dépenses pour la rendre conforme à l’offre, et il faudra un certain temps pour ramener l’inflation à la cible. Nous croyons qu’à l’approche de la deuxième moitié de l’année, les taux d’inflation commenceront à baisser, surtout d’un trimestre à l’autre, et d’ici 2024, nous nous attendons à revenir à la cible de 2 %.

Cela comporte-t-il des risques? Oui, mais nous nous sommes engagés à nous adapter à ces risques pour ramener l’inflation à la cible.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Vous me faites peur, gouverneur, lorsque je vous écoute. Vous avez la volonté de contrer l’inflation, mais comme vous l’avez dit vous-même, il y a des problèmes de chaîne d’approvisionnement.

Je voulais vous entendre parler des effets sur la répartition des revenus. Vous dites que l’inflation fait mal aux plus vulnérables, mais si l’on augmente les taux d’intérêt, les plus vulnérables aussi seront affectés. Ne pensez-vous pas qu’il y aurait un équilibre à atteindre dans tout cela, surtout si la hausse des taux d’intérêt n’a pas d’effet sur l’économie mondiale? Jusqu’où irez‑vous quant à l’augmentation des taux d’intérêt et jusqu’où laisserez-vous le taux de chômage augmenter? J’aimerais entendre vos commentaires là-dessus.

M. Macklem : J’aimerais souligner trois choses. Premièrement, l’inflation élevée concerne tous les Canadiens. Ce que nous voyons maintenant, ce sont les prix des biens essentiels qui affectent le coût de la vie quotidienne des Canadiens. Comme vous l’avez mentionné, les Canadiens à faible revenu sont les plus touchés. Il est d’une importance critique que nous réduisions notre taux d’inflation afin d’atteindre la cible et d’éviter ces coûts pour tous les Canadiens.

Deuxièmement, dans nos prévisions, nous avons une croissance positive, voire solide, et en même temps, l’inflation diminue. Dans les prévisions du secteur privé, il y a une certaine variation, il y a des certitudes, ce n’est pas surprenant, mais elles démontrent toutes une croissance positive avec l’inflation qui diminue. Comment pouvons-nous diminuer l’inflation sans avoir une récession? Voilà la question que tout le monde se pose.

J’aimerais souligner deux choses. Premièrement, l’inflation est beaucoup liée aux biens échangés à l’échelle internationale. Lorsque les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement commencent à baisser, les pressions diminuent, et si les prévisions en matière d’inflation sont bien ancrées, l’inflation va diminuer de manière naturelle.

Je sais que vous êtes experte dans le domaine des marchés de l’emploi et, comme vous le savez, il y a beaucoup de postes vacants en ce moment. Les entreprises nous disent qu’elles n’arrivent pas à trouver suffisamment de travailleurs. Donc, en modérant les dépenses en matière d’économie et la croissance, nous pouvons aider à pourvoir ces postes vacants et réduire la surchauffe de l’économie tout en maintenant un taux d’emploi solide et en réduisant l’inflation.

Est-ce que cela représente des risques? Est-ce que nous sommes devant une situation délicate? Est-ce que ce sera difficile? Oui, ce sera difficile.

Je tiens à souligner que nous prenons nos décisions une à la fois. Nous allons mettre à jour nos prévisions et si les taux d’intérêt ont un effet plus fort sur l’économie, nous pourrons prendre une pause, mais nous ne voulons pas de surchauffe de l’économie. Nous avons maintenant une économie en plein essor. Donc, c’est possible que nous devions relever les taux d’intérêt vers des niveaux plus élevés pendant une certaine période pour ramener l’inflation vers notre cible. Nous allons suivre la situation de près et prendre des décisions de façon prudente.

[Traduction]

La présidente : Monsieur le gouverneur, compte tenu de toutes les dépenses visant à stimuler la relance que nous avons vues des deux côtés de la frontière, mais certainement ici au pays, pensez-vous que vous auriez dû mettre les freins un peu plus tôt? Nous semblons tellement vulnérables à tous ces facteurs internationaux qui entrent en jeu, et ce n’est pas encore terminé. Nous surveillons ce qui se passe en Chine avec le confinement, et les incidences que cela a sur les chaînes d’approvisionnement. Avez-vous attendu trop longtemps pour agir?

M. Macklem : [Difficultés techniques] de la récession la plus profonde que nous n’ayons jamais connue, mais je dirais que nous avons bien fait les choses à de nombreux égards, mais pas dans certains cas, et que nous nous adaptons.

L’économie canadienne a beaucoup souffert ces dernières années. Il y a deux ans, nous étions au creux de la pire récession que nous ayons jamais connue. La production était d’environ 15 % inférieure aux niveaux d’avant la pandémie, et le taux de chômage était de plus de 13 %. Grâce à une politique monétaire très efficace, à une politique budgétaire, à des vaccins très efficaces et, dans une large mesure, à la résilience et à la capacité d’adaptation des Canadiens, nous avons enregistré la reprise la plus rapide et la plus forte que nous ayons connue. Nous avons maintenant une économie qui connaît une demande excédentaire et, comme vous l’avez souligné, il y a de nouveaux défis à relever. Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement nous ont pris par surprise. Elles ont été plus persistantes et plus envahissantes que nous l’avions anticipé. Comme vous l’avez souligné, nous ne sommes pas encore sortis du bois. Certaines régions de la Chine sont en confinement, le port de Shanghai accuse des retards importants, et de nouvelles éclosions sont signalées en Chine.

L’autre chose qui nous a surpris, évidemment, c’est la guerre. La guerre a engorgé encore davantage les chaînes d’approvisionnement, elle a fait grimper de façon spectaculaire les prix de nombreux produits de base, et cela a des répercussions très directes sur l’inflation ici au Canada.

Nous avons été surpris par certaines choses, et cela se reflète dans nos perspectives révisées. Si vous remontez à janvier, nous disions que l’inflation atteindrait un sommet d’environ 5 % et qu’aujourd’hui, vous commenceriez à voir des signes de baisse. Elle est maintenant de 6,7 % et il faudra plus de temps pour la faire diminuer. Nous prenons les mesures nécessaires. Nous avons indiqué que nous réagirons aussi énergiquement que nécessaire.

La présidente : D’accord. Nous en reparlerons plus tard.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur Macklem et madame Rogers. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis votre dernière visite ici, le 2 février dernier. Je m’en voudrais de ne pas souligner devant mes collègues et les gens qui nous écoutent votre nomination à titre de président du Groupe des gouverneurs de banque centrale et des responsables du contrôle bancaire, le 1er avril dernier. Je vous félicite. C’est donc un honneur aussi pour le Canada.

Cela dit, je ne vais pas insister sur le fait que plusieurs économistes et sénateurs pensent que vous êtes un peu en retard puisque vous avez vous-même admis, il y a quelques minutes, que la Banque du Canada peut elle aussi faire de moins bons coups. C’est donc tout à votre honneur de faire preuve de transparence et d’humilité.

Maintenant que l’économie canadienne est vraiment entrée dans une période de demande excédentaire, quelle est votre réaction lorsque des économistes vous suggèrent d’y aller de 75 points de base pour retourner le plus rapidement possible à un taux neutre, puisque votre taux directeur est encore de 100 à 200 points de base inférieur au taux neutre et que vous venez de commencer le resserrement quantitatif au début de la semaine? Merci.

M. Macklem : Je crois que cette question intéressera les marchés. Je vais donc choisir mes mots avec précision. J’espère que vous me comprendrez bien.

Lors de notre réunion il y a deux semaines, nous avons augmenté les taux d’intérêt de 50 points de base. C’est une étape inhabituelle, car normalement, nous procédons par étapes de 25 points de base. De plus, comme vous venez de le mentionner, nous avons commencé un resserrement quantitatif. C’est la première fois dans notre histoire que nous faisons un resserrement quantitatif.

Je veux souligner que notre outil monétaire le plus important, ce sont les taux d’intérêt. Cependant, le resserrement quantitatif va mettre de la pression à la hausse sur les taux d’intérêt à plus long terme, et cela ira avec l’augmentation du taux directeur.

De plus, nous avons dit aux Canadiens que la trajectoire des taux d’intérêt est ascendante, et j’ai indiqué plusieurs fois que nous allions normaliser la politique. Nous pensons que nous devrions normaliser la politique monétaire de manière assez rapide. À notre prochaine réunion, il y aura d’autres options. Nous pouvons augmenter les taux d’intérêt de 25 points de base. Je m’attends à ce que le conseil discute aussi d’une augmentation de 50 points de base. Il y a d’autres options, comme vous le suggérez, et elles sont toujours possibles. Toutefois, une hausse de plus de 50 points de base dans une réunion serait très inhabituelle.

Le sénateur Gignac : Je vous remercie. J’aurai une question pour la deuxième ronde de questions.

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur le gouverneur et madame Rogers, d’être avec nous aujourd’hui. Nous vous en sommes reconnaissants.

Cela fait un peu plus de deux mois que nous avons eu une réunion semblable avec vous. C’est clair qu’au moins deux ou trois fois, le taux d’inflation est plus élevé que vos attentes et vos désirs.

Le message que vous transmettez aujourd’hui, c’est que peu importe les circonstances, peu importe les besoins, si cela est nécessaire, on va augmenter les taux d’intérêt de manière importante pour mettre en attente notre propre gestion. Est-ce que cela veut dire, pour les gens qui nous écoutent ce soir, qu’il est possible que les taux d’intérêt augmentent à 5 %, à 7 %? Évidemment, nous ne sommes pas en 1980 ou en 1981, mais est‑il possible que l’augmentation soit aussi importante qu’à cette époque?

M. Macklem : Il est important de souligner que nous ne sommes pas dans les années 1970 ou même les années 1980. Depuis 1991, nous avons une cible d’inflation, et nous avons maintenant une trentaine d’années d’expérience quant à la gestion de cette cible d’inflation. Cela nous donne des prévisions d’inflation qui sont bien ancrées.

Bien sûr, en raison de l’augmentation du taux d’inflation, on voit que les attentes à plus court terme ont augmenté. Notre prévision pour ce qui est de l’inflation à court terme a même augmenté. Cependant, les prévisions à plus long terme demeurent encore bien ancrées à la cible. Comme je l’ai dit lors de mes remarques introductives, on pense qu’il y a un concept de taux d’intérêt neutre, soit un taux auquel la politique monétaire n’augmente pas ou ne recule pas face à la détente monétaire.

On ne peut pas observer ce taux neutre de manière directe. Notre estimation se situe entre 2 % et 3 %, et nous avons indiqué de manière claire que nous devions normaliser la politique monétaire de manière assez rapide pour atteindre un taux neutre. Il est possible qu’on doive aller un peu au-dessus du taux neutre pour quelque temps, afin de ramener le taux d’inflation au taux cible, mais ce serait un peu au-dessus de 2 à 3 %; ce n’est pas de 7 ou 8 % dont on parle ici.

Cela reflète le fait que les prévisions en matière d’inflation sont bien ancrées à la cible, et il est très important de maintenir cette crédibilité, parce que si les prévisions en matière d’inflation ne sont pas bien ancrées à la cible, il sera alors beaucoup plus difficile de ramener l’inflation au taux cible.

Le sénateur Massicotte : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Bienvenue, monsieur le gouverneur et madame la première sous-gouverneure.

Monsieur Macklem, vous avez dit à quelques reprises que le « principal outil » — je ne pense pas que vous ayez utilisé le terme « boîte à outils », mais je crois que vous l’avez déjà mentionné, cependant — ce sont les taux d’intérêt. Plus tard, en réponse à la question de quelqu’un d’autre, vous avez dit que c’était l’outil le plus important dont vous disposiez.

Quels sont les autres outils que vous pourriez utiliser pour vous attaquer au problème de l’inflation?

M. Macklem : Lorsque nous étions au plus creux de la récession, nous avons eu recours à un ensemble d’outils. Si nous avions pu utiliser davantage notre taux d’intérêt, nous l’aurions fait, mais nous ne l’avons pas fait parce que le taux d’intérêt était à sa valeur plancher effective d’un quart de 1 %. Nous ne pouvions pas l’abaisser. Comme nous ne pouvions plus abaisser le taux directeur, nous avons eu recours à d’autres outils. Les deux plus importants que nous avons utilisées étaient le cadrage prospectif de l’orientation monétaire, pour indiquer que les taux resteraient bas pendant une longue période, puis un programme d’assouplissement quantitatif, pour venir renforcer cela. Maintenant que l’économie est complètement remise, nous augmentons les taux d’intérêt et il est temps de normaliser notre bilan. L’autre aspect de l’assouplissement quantitatif est le resserrement quantitatif. Nous n’achèterons plus d’obligations du gouvernement du Canada.

Laissez-moi revenir rapidement en arrière, soit en octobre dernier, au moment où nous avons mis fin à l’assouplissement quantitatif et où nous sommes passés à la phase de réinvestissement. Nous avons remplacé les obligations qui arrivaient à échéance, mais nous n’avons pas fait croître nos placements. Puis, il y a deux semaines, nous avons décidé d’amorcer un resserrement quantitatif. Nous n’achèterons plus d’obligations du gouvernement du Canada sur les marchés primaire ou secondaire. Cela signifie que la taille de notre bilan va diminuer. Pour vous donner une idée du rythme auquel cela se déroulera, environ 40 % des obligations inscrites à notre bilan viendront à échéance au cours des deux prochaines années. Vous constaterez donc une réduction assez importante de la taille de notre bilan au cours de cette période.

La sénatrice Marshall : Il y a encore plus de 400 milliards de dollars d’obligations du gouvernement dans votre bilan. Vous dites que 40 % arriveront à maturité dans un proche avenir. Combien de temps faudra-t-il avant que votre bilan soit assaini si vous les laissez simplement arriver à maturité? Voici où je veux en venir : quelles sont les conséquences de la vente de ces obligations du gouvernement?

M. Macklem : Notre bilan a atteint un sommet d’environ 475 milliards de dollars il y a environ un an. Il est d’environ 480 milliards de dollars aujourd’hui, ce qui veut dire qu’il a diminué d’environ 16 % ou d’un peu plus de 90 milliards de dollars depuis un peu plus d’un an. Nous détenons actuellement environ 385 milliards de dollars d’obligations du gouvernement du Canada. Avec une réduction de 40 % au cours des prochaines années, vous verriez une baisse supplémentaire de 150 à 160 milliards de dollars.

Comparativement à beaucoup de pays, les obligations du gouvernement que nous détenons viennent à échéance assez rapidement. La période est assez courte. Vous constaterez une réduction assez marquée de la taille de notre bilan au cours de cette période.

J’aimerais également souligner que nous avons opté pour une décroissance complète. Nous n’achèterons pas d’obligations du gouvernement sur les marchés primaire ou secondaire. Cela accélérera la décroissance. Il n’y aura pas de compensation par des achats.

La sénatrice Marshall : Envisage-t-on de vendre ces obligations? Quelles sont les répercussions? J’ai remarqué dans les Comptes publics du Canada une perte de 19 milliards de dollars liée à l’achat d’obligations du gouvernement. Qu’en est-il de la vente d’obligations du gouvernement? Je m’intéresse beaucoup à votre bilan.

M. Macklem : L’un des avantages de la décroissance est qu’elle est totalement transparente et prévisible. Notre bilan est publié sur notre site Web. Tout le monde — tous les Canadiens et tous les acteurs du marché — peut voir exactement ce qui arrive à échéance. Étant donné la quantité relativement importante d’obligations qui arrivent à échéance, la réduction de la taille de notre bilan sera très facile à absorber par le marché, car elle est complètement transparente et prévisible.

À l’heure actuelle, nous n’envisageons pas activement de vendre. Le problème avec la vente, c’est que vous introduisez quelque chose de nouveau sur le marché, et nous ne pensons pas vraiment que ce soit nécessaire. Nous pouvons obtenir tout le resserrement dont nous avons besoin. La taille de notre bilan va diminuer assez rapidement. Le taux d’intérêt est notre principal instrument, et nous pouvons obtenir tout le resserrement dont nous avons besoin grâce à cela.

C’est ainsi que nous avons planifié les choses, et nous sommes sur la bonne voie. Je ne m’attends pas à ce que le resserrement quantitatif et le bilan soient quelque chose que nous allons gérer activement d’une décision à l’autre. Nous allons laisser la situation évoluer.

La sénatrice Ringuette : Ma question portera davantage sur les racines du problème. Vous dites que l’inflation est liée à la relation entre la Russie et l’Ukraine, au resserrement de la chaîne d’approvisionnement, aux pénuries de main-d’œuvre, et cetera. En tant que consommatrice, j’ai remarqué une augmentation des prix de l’énergie et des aliments, deux produits dont le Canada est un producteur.

Ma question est très simple. L’IPC, le panier de biens et de services utilisé pour créer l’IPC, est-il toujours adéquat en 2022? Les choses ont beaucoup changé, et je ne pense pas que ce panier ait été revu. Est-il temps de le revoir?

La présidente : Monsieur le gouverneur, si vous pouviez répondre à la question fondamentale concernant les aliments et l’énergie produits au pays, ce serait utile.

La sénatrice Ringuette : Ma question porte vraiment sur l’IPC.

La présidente : Nous aborderons les deux.

M. Macklem : Je peux répondre aux deux questions rapidement.

Les prix des produits de base, comme le blé et le pétrole, sont fixés sur les marchés mondiaux. Oui, nous en produisons, mais notre production n’a pas beaucoup d’influence sur le prix mondial.

Permettez-moi de reformuler cela.

Le prix de nos produits est établi sur les marchés mondiaux. Nous exportons beaucoup de notre pétrole. Nous exportons beaucoup de notre blé. Que ce soit au Canada ou dans un autre pays, c’est le prix mondial qui s’applique. C’est ce qui apparaît dans l’IPC, et vous pouvez le voir clairement.

Le prix de l’essence affiché dans les stations-service est le prix mondial. Vous pouvez voir les effets de la hausse des prix du blé dans le dernier IPC. Cela a des répercussions sur les prix des céréales et des pâtes, par exemple, qui ont pas mal augmenté.

Pour ce qui est de la mise à jour de l’IPC, nous avons la chance d’avoir une agence de premier ordre au Canada sur le plan financier. Vous avez raison, l’économie est en constante évolution. Statistique Canada a très bien réagi pour ce qui est de la mise à jour de l’IPC. Les pondérations du panier sont maintenant mises à jour chaque année au Canada. Auparavant, il fallait attendre plusieurs années. Cela se fait maintenant chaque année, et les chiffres sont de plus en plus actuels.

Le sénateur Yussuff : Merci, monsieur le gouverneur et madame la première sous-gouverneure, d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer.

J’aimerais aborder quelques points concernant l’objectif que vous avez et le défi auquel vous faites face.

Si je regarde la croissance des salaires au cours de la courte période qui s’est écoulée depuis la reprise de l’économie, oui, je constate qu’elle a été meilleure, mais elle n’a pas été assez importante pour dépasser les taux d’inflation. Les gens gagnent donc de meilleurs salaires, et la demande est là parce qu’il y a des pénuries. Toutefois, dans une large mesure, la croissance des salaires n’a pas atteint le niveau auquel nous nous attendions.

Deuxièmement, en ce qui concerne les défis que vous devez relever pour ce qui est des prix des produits de base et de certains des facteurs de l’inflation, force est de constater qu’ils se situent au niveau mondial. Toutefois, l’outil dont vous disposez pour essayer de refroidir l’économie et de maîtriser l’inflation, ce sont les taux d’intérêt.

N’y a-t-il pas un certain décalage par rapport à ce que vous essayez d’accomplir? Je vous félicite de ce que vous faites, mais en même temps, je constate que nous avons un défi de taille à relever puisque nous n’avons pas le contrôle sur la plupart des forces externes qui alimentent l’inflation.

M. Macklem : Je vais répondre à vos deux questions.

Tout d’abord, pour ce qui est des salaires, comme vous l’avez dit, nous avons constaté qu’ils ont augmenté. Ils ont atteint à peu près les niveaux d’avant la pandémie. Comme vous le savez très bien, il y a un large éventail de mesures différentes des salaires, mais en moyenne, on peut dire que les hausses sont d’environ 3 %, ce qui correspond à peu près au niveau d’avant la pandémie. Ils étaient très bas pendant la pandémie, alors ils ont augmenté considérablement.

À l’avenir, nous nous attendons à ce que les salaires augmentent encore plus, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, les entreprises nous disent qu’elles ont beaucoup de difficulté à attirer et à retenir des travailleurs et qu’elles prévoient avoir recours à d’autres augmentations salariales pour ce faire.

C’est un peu la même chose, je suppose, mais quand on y regarde de plus près, on constate qu’il y a une vaste gamme d’indicateurs du marché du travail et que tous pointent dans le sens d’une demande excédentaire sur le marché du travail. Celui‑ci se situe maintenant bien au-dessus du niveau où il était. L’emploi est maintenant bien supérieur aux niveaux d’avant la pandémie.

Si vous examinez un large éventail d’indicateurs, qu’il s’agisse des indicateurs macroéconomiques, du taux d’emploi, du taux de chômage — qui est très bas — ou de certains des indicateurs plus détaillés concernant différents types de travailleurs, différents marchés, tous donnent à penser que le marché du travail est plus que complètement remis de la pandémie et est en surchauffe. Cela laisse supposer que les salaires vont encore augmenter.

Ce que nous examinons, c’est la relation entre les salaires et la productivité. Une productivité plus élevée compense des salaires plus élevés. Jusqu’à maintenant, les salaires plus élevés n’ont pas été en soi une source de l’inflation. J’ai déjà parlé des sources de l’inflation.

Tant que la productivité augmente en même temps que les salaires, et nous pensons qu’il y a de bonnes raisons de dire que la productivité rebondira — mais nous pourrons revenir là‑dessus —, les salaires peuvent augmenter plus rapidement sans contribuer à l’inflation. Mais nous surveillerons de près la relation entre les salaires et la productivité.

Vous avez dit qu’une grande partie de l’inflation est mondiale. Il y a deux choses à souligner ici. Tout d’abord, nous sommes en train de passer à une demande excédentaire dans notre économie. Les prix plus élevés au niveau mondial — qui, oui, échappent à notre contrôle — combinés à une économie qui se dirige vers une demande excédentaire, signifient qu’il est beaucoup plus facile pour les entreprises de faire absorber par d’autres ces coûts plus élevés.

Lorsque nous sondons les entreprises, c’est ce que nous entendons. Par le passé, les entreprises faisaient très attention de ne pas refiler les coûts plus élevés des intrants à leurs clients, parce qu’elles disaient qu’il y avait beaucoup de concurrence, que leurs clients n’aimaient pas les augmentations de prix et que cela allait les inciter à aller ailleurs. Les entreprises croyaient qu’elles ne pouvaient pas augmenter les prix, ou du moins pas beaucoup.

Maintenant, ce que l’on entend dans le contexte d’une forte demande, c’est que les entreprises s’inquiètent moins de la concurrence. Elles ont beaucoup de clients, alors elles peuvent rapidement refiler les coûts. Cette demande excédentaire est donc en interaction avec les prix plus élevés des biens à l’échelle mondiale. C’est une raison importante pour laquelle nous devons modérer la demande pour qu’elle corresponde à l’offre.

Je serai bref sur le dernier point.

Il est essentiel que nous gardions les attentes en matière d’inflation bien ancrées à la cible. Les Canadiens comptent sur nous pour ramener l’inflation à la cible. Nous sommes déterminés à être à la hauteur de cette confiance. Nous sommes prêts à faire preuve de fermeté pour nous assurer de mener à bien notre mandat.

Le sénateur Woo : Bonsoir, monsieur le gouverneur et madame la première sous-gouverneure. Merci de comparaître devant notre comité.

Puis-je vous demander de commenter, s’il vous plaît, sur ce que vous considérez comme la contribution relative de la politique budgétaire à la situation actuelle de demande excédentaire que vous avez décrite, et sur la perspective d’une politique budgétaire qui nous aiderait à nous sortir de cette situation de demande excédentaire, ce qui faciliterait votre travail?

M. Macklem : Vous ne serez probablement pas surpris que je vous dise que je vais laisser aux gouvernements, au Parlement et aux sénateurs le soin de déterminer la politique budgétaire appropriée.

Nous avons un mandat très clair, et c’est de ramener l’inflation à la cible. Nous prenons les politiques gouvernementales — les politiques provinciales, les politiques fédérales — comme elles sont et nous les incluons dans nos perspectives. Nous les intégrons à nos modèles. Cela tient compte de la vigueur de l’économie américaine, de ce que nous pensons de la croissance des dépenses de consommation et des plans d’investissement des entreprises. Nous mettons tout cela ensemble et nous obtenons une projection de la demande.

Nous examinons la demande par rapport à l’offre. Et c’est un élément important des mesures que nous devons prendre pour ramener l’inflation à la cible. La politique budgétaire relève en fait du gouvernement, du Parlement, et vous jouez évidemment un rôle dans l’examen et l’approbation des plans budgétaires.

Le sénateur Woo : Pourriez-vous nous dire si la politique budgétaire, telle que vous la concevez pour les années à venir, va dans le sens de l’austérité?

Est-ce la prémisse que vous utilisez dans vos modèles?

M. Macklem : Les mesures d’urgence qui ont été prises ont porté fruit, de sorte que les dépenses, et en particulier les transferts, ont considérablement diminué au fil du temps. Je ne dirais pas la politique budgétaire en est une d’austérité pour l’avenir, même si le niveau des dépenses a beaucoup diminué à mesure que l’économie se redresse. Mais vous avez vu l’orientation qui a été prise.

La présidente : À cet égard, nous examinerons le budget, afin de voir si les dépenses ont vraiment diminué.

Le sénateur Loffreda : Je remercie le gouverneur Macklem et la première sous-gouverneure Rogers d’être ici ce soir. J’aimerais aborder la question de l’augmentation des taux d’intérêt, mais sous un angle différent, c’est-à-dire l’impact que cette augmentation aura à long terme sur notre économie.

Permettez-moi de m’expliquer. D’après mon expérience dans le secteur bancaire, l’accès au financement est toujours plus facile pour les grandes entreprises que pour les petites et moyennes entreprises. Les faibles taux d’intérêt ont incité les grandes entreprises à avoir davantage accès au capital. Cela a entraîné davantage de fusions, d’acquisitions et d’expansion des grands joueurs de l’industrie — ou des sociétés vedettes, si on peut les appeler ainsi —, trop souvent aux dépens des petites et moyennes entreprises, ces dernières n’ayant pas toujours le même levier pour obtenir du financement par emprunt supplémentaire, afin de racheter des actions ou de stimuler l’investissement en capital. En préparation pour ce soir, notre bureau a pris connaissance de certaines recherches sur ce sujet au cours des derniers jours, lorsque j’ai mentionné la question que je voulais poser ce soir.

Avez-vous des idées à ce sujet? Croyez-vous qu’une augmentation des taux d’intérêt aidera à uniformiser les règles du jeu et pourrait être plus avantageuse pour les petites entreprises à long terme? Elles représentent évidemment la majeure partie de notre économie, et je comprends que le consommateur est toujours le moteur de chaque économie et le véhicule de chaque reprise, mais l’augmentation des taux d’intérêt ne sera pas avantageuse pour lui. À long terme, toutefois, pourrait-elle profiter aux petites et moyennes entreprises, compte tenu du manque de capitaux à bon marché et des taux d’intérêt plus élevés? J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Macklem : Il est un peu difficile de répondre à cette question. Nous contrôlons le taux d’intérêt à un jour. Les effets se font sentir par l’entremise du système financier, par l’entremise des marchés. Il y a une variété de canaux financiers, et il est certain qu’après avoir augmenté les taux d’intérêt de 75 points de base, après avoir signalé que nous nous attendons à les relever davantage, nous avons déjà constaté une hausse importante de la structure des échéances. Une bonne partie de ces augmentations des taux d’intérêt sont déjà intégrées aux coûts de financement futurs, et cela se répercute sur les petites et les grandes entreprises.

Je pense qu’il est très important pour toutes les entreprises d’avoir une économie stable et un taux d’inflation faible et stable, afin de pouvoir élaborer des plans d’investissement prévisibles et être convaincus que la valeur d’un dollar aujourd’hui est la même que celle d’un dollar demain.

Comme vous l’avez souligné, les petites entreprises sont particulièrement importantes au Canada. Nous en avons un grand nombre. Elles sont un moteur important de la croissance, et nous aimerions certainement qu’il y ait plus d’investissements, dont une partie importante vient des petites entreprises. Les investissements contribuent à renforcer l’offre dans l’économie et à la faire correspondre à la demande.

Le sénateur Smith : Merci, monsieur le gouverneur et madame la sous-gouverneure, d’être parmi nous.

Dans quelle mesure la taxe fédérale sur le carbone a-t-elle influé sur l’inflation? Est-elle à l’origine d’une partie importante de celle-ci, le cas échéant? Des groupes de réflexion ont laissé entendre qu’il faudrait peut-être augmenter considérablement la tarification du carbone. Si cela se produisait, quelle incidence cela pourrait-il avoir sur l’économie?

M. Macklem : Nous incluons la tarification du carbone annoncée dans nos propres projections et dans notre Rapport sur la politique monétaire. Il faut examiner attentivement la situation, mais il y a une petite tranche des prévisions de l’inflation qui reflète la taxe sur le carbone. Cette dernière contribue à environ 0,1 % de l’inflation par année. L’une des raisons pour lesquelles cette contribution est faible, c’est que la taxe sur le carbone augmente graduellement au fil du temps, et nous mesurons l’inflation d’une année à l’autre. Chaque année, sa contribution est assez modeste.

Le sénateur Smith : S’il y avait une augmentation importante pour quelque raison que ce soit et que le gouvernement avait besoin de plus d’argent pour rembourser sa dette, est-ce que cela aurait un impact quelconque, ou est-ce que ce serait toujours marginal?

M. Macklem : La tarification du carbone a un impact. Lorsque j’ai comparu devant le Comité des finances de la Chambre des communes, en janvier, je crois, on m’a demandé quelles seraient les répercussions de l’élimination complète de cette taxe, et j’ai répondu au comité que cela réduirait l’inflation de 0,4 %. L’inflation est actuellement de 6,7 %, alors elle serait de 6,3 % si on l’enlevait. Elle joue certainement un rôle, mais, tout bien considéré, ce n’est pas un facteur important.

La présidente : Quelques brèves remarques, monsieur le gouverneur, avant de conclure. Pourriez-vous donner suite à votre réponse au sénateur Woo sur la façon dont vous voyez le plan budgétaire, les plans de dépenses, en vous basant essentiellement sur le dernier budget et sur les nouveaux programmes annoncés? Pensez-vous que cela aura un effet déflationniste ou que cela n’aura aucune incidence sur les décisions que vous devez prendre?

M. Macklem : Les prévisions que nous avons publiées il y a deux semaines ne tiennent pas compte du récent budget fédéral, car celui-ci est paru juste avant. Toutefois, elles intègrent déjà les budgets précédents, les budgets fédéraux, les budgets provinciaux et les plans de dépenses précédents.

En ce qui concerne le dernier budget qui a été présenté, le total des nouvelles mesures — si vous examinez les dépenses et les recettes — est d’environ 30 milliards de dollars sur cinq ans. C’est positif par rapport à la projection que nous avons faite. C’est une impulsion positive. Mais 30 milliards de dollars sur cinq ans, ce n’est pas assez pour avoir un effet important sur nos projections macroéconomiques. Lorsque nous arriverons à nos prochaines projections, en juillet, nous y inclurons les dernières annonces budgétaires. Il pourrait y avoir des effets sur certaines composantes, mais je ne crois pas qu’il y en aura beaucoup globalement ou à un niveau qui influencera les décisions.

La présidente : Certains commentaires du gouverneur de la Banque d’Angleterre ont donné lieu à des réactions, et certains experts du domaine disent qu’ils sont révélateurs du discours que nous allons entendre. Vous avez mentionné le mot récession à quelques reprises. Il a dit :

La ligne de démarcation est maintenant très étroite entre la lutte contre l’inflation et les effets du choc des revenus réels sur la production, et le risque que cela crée une récession.

À quel niveau évaluez-vous ce risque?

M. Macklem : Je tiens à souligner que, si vous regardez nos propres prévisions, nous avons une croissance vraiment solide. Cette année, elle est de 4,25; l’année prochaine, de 3,25; l’année suivante, de 2,25. C’est une bonne croissance, et l’inflation revient à la cible. Je suis convaincu que les choses ne se dérouleront pas exactement comme nous l’avions prévu. Cela n’arrive jamais. Mais nous avons une bonne marge de manœuvre. Avec une croissance aussi solide, la marge de manœuvre est grande. Même si la croissance était un peu plus faible, elle serait loin d’être négative.

Je pense que ce sera délicat. Je suis d’accord avec le gouverneur Bailey pour dire qu’il est particulièrement difficile d’évaluer l’équilibre entre la demande et l’offre lorsqu’il y a des problèmes d’offre mondiale comme ceux que nous connaissons. Ces problèmes sont mondiaux et sont difficiles à prévoir. Au Canada, nous n’avons pas une très bonne vue d’ensemble. Nous échangeons certainement des renseignements à la table mondiale, mais la situation est difficile à prévoir. Que se passera‑t-il avec la guerre? Quel sera l’effet de la COVID en Chine? Ce sont des incertitudes fondamentales.

Pour ce qui est des dépenses, c’est la première fois que nous sortons d’une pandémie. Comment les ménages réagiront-ils exactement? Ils ont beaucoup d’épargne supplémentaire. Quelle proportion de cette épargne utiliseront-ils? Combien épargneront-ils à long terme? Ce sont des choses que nous suivons de très près.

Il y a beaucoup d’incertitude. L’équilibre sera délicat, mais en résumé, on peut dire que l’économie surchauffe. Cela crée des pressions inflationnistes intérieures. Nous devons ralentir la croissance pour freiner l’inflation. Nous ne voulons pas trop refroidir l’économie, mais nous ne voulons pas qu’elle surchauffe et crée de l’inflation.

Oui, ce sera délicat, mais nous devons relever les taux d’intérêt pour modérer la croissance des dépenses et ramener l’inflation à la cible.

La présidente : Nous allons commencer notre deuxième série de questions, et notre temps est limité, alors soyez brefs et concis, si possible. Nous allons commencer par le sénateur Deacon.

Le sénateur C. Deacon : J’aimerais profiter du fait que nous accueillons également la première sous-gouverneure Rogers. J’ai été intrigué par le rapport du Bureau du surintendant des institutions financières et de la Banque du Canada, qui se penchent ensemble sur une autre incertitude qui plane sur notre avenir, à savoir les risques économiques et financiers associés aux changements climatiques.

Je voulais m’attarder un instant sur cette question, simplement pour examiner deux des conclusions qui figurent dans ce rapport, si j’ai bien compris. Il s’agit premièrement des limites qui existent actuellement en ce qui a trait à nos institutions financières, pour ce qui est de leur méthodologie au chapitre du risque de crédit et de leurs portefeuilles de prêts, et du fait qu’elles ont besoin d’investissements importants. L’autre concerne la façon dont la lenteur de la réaction aux changements climatiques entraînera une plus grande volatilité dans notre économie, selon la modélisation que vous avez faite. Je me demande si vous pourriez nous parler un peu de ce rapport et nous faire part de vos réflexions à cet égard.

Carolyn Rogers, première sous-gouverneure, Banque du Canada : Bien sûr, avec plaisir. La première question que vous avez posée au sujet des méthodes de classement du risque de crédit au sein de nos institutions financières devrait être posée à mes collègues du Bureau du surintendant des institutions financières qui, je le sais, vous rendent visite régulièrement. Ce sont eux les experts dans ce domaine. Je préfère leur laisser le soin de répondre.

Je peux toutefois vous parler du rapport avec plaisir. Le deuxième point que vous avez soulevé est probablement l’une des conclusions les plus importantes de ce rapport. Il y a un lien très fort entre le moment où nous commencerons à nous occuper des répercussions des changements climatiques sur le secteur financier au Canada et le degré de volatilité que ces changements entraîneront, ainsi que leurs répercussions potentielles sur la stabilité. Je pense que c’était l’une des principales conclusions de ce rapport. Nous le savions intuitivement, mais ce rapport a fourni beaucoup d’analyses et de données très solides à l’appui de notre intuition qu’un changement structurel important doit se produire dans l’économie canadienne pour atteindre la carboneutralité, pour respecter les engagements qui ont été pris. Comme tout changement majeur, plus nous avons de temps pour l’apporter, moins il est probable qu’il soit très perturbateur et qu’il crée des problèmes. Je pense que c’était l’élément clé.

L’autre point très important à souligner au sujet de cette étude, c’est qu’elle repose sur de nombreuses hypothèses que nous devions formuler aux fins de l’analyse. Cela suppose pour une large part une prévoyance parfaite en matière de changements de politique, mais nous savons que cela ne se produira pas. Les perturbations que nous vivons actuellement avec l’invasion de l’Ukraine montrent qu’il peut encore y avoir des chocs qui affecteront notre transition vers l’abandon des combustibles fossiles. Encore une fois, je pense que le message est celui que vous avez capté, à savoir que plus nous avons de temps, moins les changements seront perturbateurs pour le secteur financier.

Le sénateur C. Deacon : Nous avons un défi à relever en ce sens que le déclin de l’investissement des entreprises dans l’innovation — de même que la réussite dans l’innovation et l’augmentation de la croissance de la productivité — signifie que nous avons moins de place pour la croissance dans notre économie sans déclencher d’inflation. Dans quelle mesure croyez-vous que la lutte contre les changements climatiques et ces autres facteurs sera perturbée? Dans quelle mesure croyez‑vous que la promotion de l’innovation et de l’investissement dans l’innovation dans notre économie est un facteur essentiel?

Mme Rogers : Comme la présidente m’a demandé d’être brève, je résumerais en disant que c’est très important. Nous sommes une petite économie ouverte, et nous dépendons toujours du secteur des combustibles fossiles. Nous ne pouvons tout simplement pas mettre fin à cela et faire la transition du jour au lendemain. Nous devrons continuer d’innover et d’investir au fil du temps pendant la transition. L’investissement et l’innovation dans ce secteur seront donc essentiels à notre capacité de transition.

Le sénateur C. Deacon : Merci aux témoins.

La présidente : Nous vous sommes très reconnaissants, madame Rogers. Merci.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je vais changer de sujet un petit peu, parce que je veux profiter de l’occasion de votre présence, à tous deux, pour vous poser des questions sur les cryptomonnaies, car on est en train de se pencher là-dessus. Je voulais connaître votre attrait, monsieur le gouverneur, pour une cryptomonnaie centrale. Qu’est-ce que vous en pensez, et quel serait l’impact d’une telle mesure sur une politique monétaire?

M. Macklem : Pour ce qui est de la politique monétaire, l’important est que le dollar canadien demeure au centre du système financier du Canada et selon ce que j’entrevois pour l’avenir, le dollar canadien demeurera au centre du système financier. Il faut avoir notre devise canadienne et avoir un taux de change flexible. La conséquence, c’est que nous pouvons avoir une politique monétaire canadienne, pour les Canadiens, qui reflète les besoins du Canada.

Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir de dénivellations dans le système. Nous avons vécu plusieurs vagues de dénivellation dans notre histoire, et je prévois qu’il y en aura d’autres. Chez nous, on se penche sur la possibilité d’avoir une monnaie numérique à la Banque du Canada.

En fin de compte, ce n’est pas notre décision, mais celle du gouvernement et du Parlement. Il y a quand même dans une économie plus numérique de bonnes raisons pour lesquelles les Canadiens devraient avoir la possibilité d’avoir une monnaie numérique d’une banque centrale.

On travaille fort afin d’être prêt à cette possibilité, mais aucune décision n’a été prise à l’heure actuelle. Cela a commencé par un projet de recherche, et maintenant on est en train de se pencher sur un projet de mise en place.

La sénatrice Bellemare : Donc, ce serait neutre par rapport à la politique monétaire, qu’on ait une monnaie numérique ou pas; cela n’a pas d’impact sur la politique monétaire. Est-ce que je comprends bien?

M. Macklem : Oui, ce qui est important, c’est que le dollar canadien reste au centre du système; cela peut avoir des effets sur les détails de l’opération de la politique monétaire, mais pas vraiment sur la conduite de la politique monétaire.

La sénatrice Bellemare : Merci.

Le sénateur Gignac : J’aimerais vous amener sur un autre sujet : les inégalités sociales au Canada et le rôle de la politique monétaire.

Dans un de vos discours de l’an passé, je crois que c’était au mois de mai 2021, vous disiez que l’assouplissement quantitatif peut influencer le prix des actifs et la valeur des placements et contribuer aux inégalités sociales en accélérant la richesse, puisque c’est rare que les gens plus pauvres ont beaucoup de REER et qu’ils sont souvent locataires.

Pourquoi ne pas être plus dynamique dans la réduction de votre bilan? Je comprends que vous ne voulez pas déclencher de perturbations sur le marché financier, mais dans un contexte où les taux à moyen et long terme au Canada sont inférieurs à ceux des États-Unis — ce qui explique d’ailleurs la faiblesse du dollar canadien —, pourquoi ne pas annoncer à l’avance une réduction plus dynamique du bilan puisque, toute proportion gardée, vous avez financé davantage le gouvernement canadien que la Réserve fédérale a financé le gouvernement américain?

M. Macklem : L’autre chose que j’ai dite lorsque j’ai parlé des effets de l’assouplissement quantitatif sur l’inégalité, est que ce qui est le plus important pour l’égalité, c’est d’avoir un emploi. L’effet de l’assouplissement quantitatif et des indications prospectives exceptionnelles pour la politique monétaire est de baisser le taux d’intérêt à sa valeur plancher et d'engendrer une reprise remarquable dans le marché de la main-d’œuvre. Durant cette crise, les effets étaient très inégaux, et en raison d’une forte reprise, ces inégalités ont été réduites. Le taux d’emploi chez les femmes et les jeunes est plus élevé maintenant qu’avant la crise, alors que ces groupes étaient les plus affectés.

Oui, il y a aussi des effets sur l’inégalité de la distribution des richesses, mais le plus important, c’est l’effet sur les revenus que procure un emploi, et je pense que cela a bien fonctionné.

Quant à la deuxième partie de votre question, on verra une réduction de notre bilan assez rapidement. Je voudrais souligner que notre premier outil est le taux d’intérêt. Nous avons beaucoup plus d’expérience de l’utilisation des taux d’intérêt pour la politique monétaire; c’est un outil grâce auquel il est plus facile de réagir rapidement que d’utiliser le resserrement quantitatif de manière très active.

Le sénateur Gignac : Effectivement.

M. Macklem : Les taux d’intérêt sont notre premier outil. On a utilisé l’assouplissement quantitatif parce qu’on ne pouvait utiliser notre outil primaire, le taux d’intérêt. On ne peut pas le baisser plus, mais on peut le hausser davantage. On a beaucoup plus d’expérience, on connaît bien les [Difficultés techniques] entre les taux d’intérêt et l’économie, et c’est un outil plus flexible. Pour toutes ces raisons, on va utiliser cet outil en premier.

Le sénateur Gignac : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : J’aimerais revenir au bilan dont mon collègue vient de parler.

Si vous étiez plus énergique dans l’assainissement de votre bilan et que vous vendiez certaines de ces obligations du gouvernement du Canada, auriez-vous une perte? La banque a‑t‑elle évalué cette option?

M. Macklem : Oui. De façon générale, nous subirions probablement des pertes. Si vous regardez notre bilan, vous pouvez voir la valeur de l’indemnité à mesure que les taux d’intérêt ont augmenté. Nous avons acheté ces obligations à des taux d’intérêt beaucoup plus bas. Les taux d’intérêt sont plus élevés maintenant, alors il y aurait une perte en capital.

J’aimerais souligner quelques points. Nos politiques monétaires ne visent pas à maximiser nos revenus; elles sont guidées par notre mandat. Si nous vendions ces obligations aux taux d’intérêt actuels, ce serait à perte dans la plupart des cas.

La sénatrice Marshall : Pouvez-vous nous donner une idée de l’ampleur de cette perte? La raison pour laquelle je pose la question, c’est que si vous décidiez de vous départir plus énergiquement de ces obligations, ces pertes se retrouveraient dans les états financiers du gouvernement. J’essaie de comprendre la relation.

M. Macklem : Chaque fois que les taux d’intérêt changent, la situation change. Nous en faisons état chaque mois dans notre bilan. Si nous vendions tout en une journée, ce serait environ 20 milliards de dollars à l’heure actuelle. Il s’agit d’un calcul un peu théorique dans ce cas.

La sénatrice Marshall : Merci. Je comprends cela.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Monsieur le gouverneur, la dernière fois qu’on s’est rencontrés, on a parlé de l’augmentation très importante du prix de l’immobilier. Une explication, selon vous, est que les consommateurs canadiens détenaient beaucoup de liquidités et d’épargne, et ils se servaient de leurs valeurs immobilières ou de leurs rénovations immobilières pour assurer leur économie.

Cependant, vous nous avez expliqué qu’en raison d’un retour à une économie normale, ces gens vont plutôt privilégier davantage les autres produits de consommation, comme les voyages, la nourriture, les restaurants, etc.

Est-ce que cette projection est exacte? Pouvez-vous nous dire où en est rendue l’augmentation des prix de l’immobilier et quel impact cela aura sur cette liquidité?

[Traduction]

M. Macklem : Je vais demander à la première sous‑gouverneure de répondre à cette question.

Mme Rogers : Si vous me le permettez, j’aimerais répondre à votre question en anglais.

Le sénateur Massicotte : Pas de problème.

Mme Rogers : J’aimerais soulever quelques points au sujet du logement. Certains sont les mêmes que ceux que nous avons mentionnés la dernière fois que nous nous sommes rencontrés. Les déséquilibres que nous avons constatés sur le marché de l’habitation existent au Canada depuis un bon moment. Ils sont symptomatiques d’une offre chroniquement faible et d’une longue période de demande soutenue. Une partie de cette demande provient des taux d’intérêt, mais une partie est le résultat de la croissance de la population, de la vigueur de l’économie et du besoin de logements au Canada.

Cela a été exacerbé dans le contexte de la pandémie. Les gens étaient constamment chez eux et voulaient des maisons plus grandes. Il y a donc eu encore plus d’activité dans le secteur du logement au cours des deux dernières années, et les taux d’intérêt sont demeurés bas.

À notre avis, la croissance actuelle du prix des maisons n’est pas viable. Ce n’est pas bon pour l’économie pour l’une des raisons que vous invoquez. Il faut des investissements dans d’autres secteurs de l’économie canadienne. À l’heure actuelle, beaucoup de dépenses sont consacrées au logement.

La bonne nouvelle, c’est que le logement est l’un des secteurs de l’économie qui est sensible aux taux d’intérêt. Nous pensons donc qu’à mesure que les taux d’intérêt augmenteront, la demande de logements fera partie des choses qui diminueront. Il est certain que le logement fera partie de ces choses. Nous espérons que la demande de logements diminuera et que l’investissement à ce chapitre ira à d’autres secteurs de l’économie, à mesure que la demande diminuera.

La présidente : Comme vous le dites, beaucoup d’argent a été investi dans les hypothèques et dans le secteur du logement. J’ai aussi lu aujourd’hui que la dette au titre des marges de crédit au Canada est très élevée, à 168 milliards de dollars. Qu’est-ce que cela vous indique?

Mme Rogers : La proportion de la dette attribuable aux marges de crédit?

La présidente : La somme de la dette et le fait que les gens augmentent leur endettement au moyen des hypothèques et des marges de crédit.

Mme Rogers : L’endettement des ménages est une vulnérabilité dont la banque parle depuis un certain temps.

L’une des choses que nous avons constatées au cours des deux dernières années, c’est que les Canadiens ont accumulé ce que nous appelons de l’épargne excédentaire. Le fait qu’ils n’aient pas dépensé autant signifie qu’ils ont remboursé une partie de leur dette. Ils ont des économies excédentaires. Ce que nous surveillerons, c’est la mesure dans laquelle l’épargne excédentaire atténue l’effet de la hausse des taux d’intérêt, en particulier pour les propriétaires qui sont endettés au maximum.

La présidente : Je suppose que c’est l’envers de la médaille. Il y a peut-être des économies, mais aussi une augmentation de l’endettement. Comment conciliez-vous les deux?

Mme Rogers : Comme je l’ai dit, nous sommes très conscients que les ménages sont plus endettés. Une partie de cette dette, comme vous le dites, se trouve dans les marges de crédit. L’une des répercussions de l’augmentation de l’activité dans le secteur du logement est l’augmentation de la dette liée au logement. Nous sommes au courant de cela. Les taux d’intérêt auront une incidence là-dessus. C’est quelque chose que nous surveillerons.

Le sénateur Yussuff : Monsieur le gouverneur, de toute évidence, l’un de vos principaux mandats est de lutter contre l’inflation, ce à quoi s’est, bien sûr, ajoutée la reconnaissance de la nécessité de s’attaquer aux inégalités dont nous avons été témoins. Vous en avez parlé un peu dans le passé. De toute évidence, ce sont les gens au bas de l’échelle qui font les frais de l’inflation et qui doivent composer avec des marges serrées et essayer de gérer leur budget.

Lorsque vous examinez les projections en ce qui a trait à l’augmentation des taux d’intérêt, comment faites-vous pour équilibrer cela et ne pas nuire à ces gens? On a au moins assisté à des changements positifs sur le marché du travail depuis la reprise, ce qui a permis aux gens d’obtenir des salaires plus élevés et de meilleurs emplois. Comment pouvons-nous nous assurer de ne pas annuler une partie des éléments positifs qui sont ressortis de la pandémie en ce qui concerne l’économie à l’avenir?

M. Macklem : Il y a deux ou trois éléments ici. Tout d’abord, l’histoire nous a enseigné que si nous ne contrôlons pas l’inflation — si les attentes au chapitre de l’inflation ne sont pas bien ancrées —, ce sont les membres les plus vulnérables de notre société qui vont en souffrir le plus en termes de coût de la vie plus élevé. L’autre chose que nous savons, cependant, c’est que rien dans l’économie ne fonctionne très bien — y compris les marchés du travail — lorsque l’inflation est élevée et variable.

Ramener l’inflation à la cible et maintenir les attentes bien ancrées à la cible sont les premières choses à faire.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’économie surchauffe. Nous devons ralentir la croissance des dépenses pour freiner l’inflation, mais nous ne voulons pas trop refroidir l’économie. Ce que nous voulons, c’est un atterrissage en douceur parce que, en fait, c’est aussi ce qui ramènera l’inflation à la cible de façon durable. Si nous refroidissons trop l’économie, l’inflation risque d’être inférieure à la cible, et nous n’atteindrons pas notre objectif.

L’autre chose que j’aimerais souligner — et je l’ai dit en partie plus tôt, alors je serai plus bref —, c’est que nous avons maintenant un nombre anormalement élevé de postes vacants sur le marché du travail. Je ne prétendrai pas que la situation n’est pas délicate. Les outils macroéconomiques fonctionnent beaucoup à ce niveau, mais si nous pouvons ralentir les dépenses liées à la demande, nous pouvons ramener le nombre de ces postes vacants à des niveaux plus normaux, sans mettre les gens au chômage. Vous avez raison. Le nombre de chômeurs était très élevé. Les gens sont de retour au travail. Ils gagnent de meilleurs salaires.

Ce que nous voulons faire, c’est éliminer la demande excédentaire dans l’économie, et c’est ce qui nous permettra d’atterrir en douceur et de ramener l’inflation à la cible de façon durable.

Ce sera délicat. Il y a des risques de part et d’autre, et nous suivrons la situation de près.

Le sénateur Loffreda : Ma question porte sur la croissance de la productivité, l’innovation et le lien avec la main-d’œuvre. Dans le budget qu’il a présenté plus tôt ce mois-ci, le gouvernement a reconnu que la productivité et l’innovation constituent le talon d’Achille de l’économie canadienne. Nous savons tous que l’inflation est dictée par les attentes, et nous avons discuté du fait que nous verrons éventuellement des pressions inflationnistes sur le marché du travail. Mais historiquement, si nous regardons le rendement du capital et le rendement de la main-d’œuvre, nous constatons que ce dernier n’a pas suivi le rythme.

À votre avis, y a-t-il une corrélation entre le manque de productivité, d’innovation et de croissance et la main-d’œuvre économique qui est disponible depuis toujours au Canada? Autrement dit, pensez-vous que les entreprises canadiennes n’innovent pas ou ne suivent pas le rythme des autres pays en raison du niveau économique des salaires? Une incidence inflationniste sur les salaires aiderait-elle à accélérer l’innovation et la productivité? De toute évidence, nous ne voulons pas d’inflation, mais pensez-vous que si nous voyons une certaine inflation des salaires, cela favorisera notre productivité et notre innovation?

J’essaie simplement de voir les choses d’un point de vue positif et les effets positifs que nous pouvons tirer des pressions inflationnistes sur les salaires.

M. Macklem : Vous soulevez un point intéressant. Comme vous l’avez indiqué, le Canada a toujours connu une croissance démographique supérieure à la croissance de la population active et inférieure à la croissance de la productivité. Par exemple, nous pouvons nous comparer aux États-Unis, où la croissance de la productivité est systématiquement plus élevée.

Je conviens avec vous qu’à l’avenir, la croissance de la population active ne sera pas aussi forte. Notre société vieillit, les taux de fécondité sont plus bas et les baby-boomers prennent leur retraite. Ce sont toutes des raisons qui font que la croissance de la population active sera plus faible que par le passé. L’immigration, qui remonte, compensera en partie, mais pas entièrement. Donc, si nous voulons maintenir le genre de taux de croissance que nous avons toujours eu, nous allons devoir compter davantage sur l’augmentation de la production par travailleur, parce que nous ne serons pas en mesure d’augmenter autant le nombre de travailleurs. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de possibilité d’accroître la main-d’œuvre. Il y en a. J’ai mentionné l’immigration. Le taux d’activité des femmes a beaucoup augmenté, et je pense qu’il a un potentiel encore plus grand d’augmentation, en comparaison avec d’autres. À cet égard, nous sommes bien en avance sur les États-Unis, mais il y a des pays où le taux d’activité des femmes est encore plus élevé que le nôtre. Il y a également certaines parties de la main‑d’œuvre où le taux d’activité de certaines communautés pourrait augmenter.

Il y a là un certain potentiel, mais la réalité, c’est que nous devrons compter davantage sur la croissance de la productivité à l’avenir. Dans une certaine mesure, cela dépendra beaucoup des investissements des entreprises. Lorsque les travailleurs disposent de meilleurs outils de travail — meilleur équipement, meilleurs ordinateurs, meilleure technologie —, leur production par travailleur est plus forte, et si les marchés du travail sont plus serrés, on peut s’attendre à ce que le coût relatif de la main‑d’œuvre soit plus élevé. C’est l’un des mécanismes du marché qui encouragerait ce virage vers plus d’investissements.

C’est certainement quelque chose que nous aimerions voir.

Le sénateur Woo : Je suis certain que vous suivez les débats sur la dynamique inflationniste dans différentes parties du monde, en particulier la comparaison de l’Union européenne avec l’Amérique du Nord — les États-Unis en particulier. Avez‑vous une idée de la situation inflationniste dans différentes régions du monde, surtout si le Canada a une expérience différente de celle des États-Unis et de l’Union européenne? Si oui, cela fait-il une différence?

M. Macklem : J’ai deux choses à dire. L’inflation est trop élevée dans tous les pays. La seule exception est le Japon, où l’inflation demeure très faible.

La moyenne dans l’Union européenne est de sept; aux États‑Unis, elle est plus élevée. Au Canada, elle est de six. Nous sommes donc tous bien au-dessus de nos cibles d’inflation. Je pense que la raison en est assez évidente. Les principaux facteurs de l’inflation sont mondiaux, et ils nous touchent tous.

Par ailleurs, nous en sommes à différentes étapes de notre reprise.

En Amérique du Nord, au Canada et aux États-Unis, nos économies se sont plus que complètement remises de la pandémie. Nous sommes passés à une demande excédentaire. Aux États-Unis et au Canada, les taux d’intérêt augmentent. Les deux banques centrales indiquent que les gens devraient s’attendre à d’autres augmentations.

En Europe, je pense que la reprise n’est pas aussi avancée. Par conséquent, bien qu’ils soient confrontés à une inflation mondiale plus élevée — ils ont une inflation élevée, comme nous, en raison de ces forces mondiales —, les sources fondamentales sous-jacentes de l’inflation intérieure ne sont probablement pas aussi importantes qu’en Amérique du Nord.

Je pense que les banques centrales vont toutes dans la même direction, mais à des vitesses différentes, ce qui rend compte de leur situation propre. C’est ainsi que le système monétaire international est censé fonctionner. Vous avez des taux de change flexibles. Il y a des banques centrales qui réagissent à la conjoncture dans leur pays. La souplesse du système permet aux différents pays de se concentrer sur la situation qui prévaut chez eux.

La présidente : Monsieur le gouverneur, j’aimerais revenir à la question de la sénatrice Bellemare sur la cryptomonnaie. Nous avons entendu pas mal de témoignages à ce sujet au cours des derniers mois.

Pensez-vous que, essentiellement, nous n’avons pas de structure réglementaire en place, et que c’est une chose au sujet de laquelle la banque aurait dû prendre l’initiative, et non pas suivre le mouvement? Que pensez-vous du moment où cela s’est produit, et croyez-vous que la porte est effectivement fermée et que le secteur privé qui s’occupe de cryptomonnaie établit son propre cadre de réglementation?

M. Macklem : Oui. Les nouvelles formes de monnaie numérique, les actifs numériques, ce qu’on appelle parfois — un peu à tort — la finance décentralisée, sont en grande partie non réglementées. Cela pose un certain risque.

Un système financier sûr est la pierre angulaire de l’économie canadienne, et il représente un grand avantage concurrentiel pour le Canada. Nous devons nous assurer que les nouveaux types de services sont sûrs et bien réglementés, et que les considérations relatives à la stabilité financière sont prises en compte.

Nous sommes heureux de voir que, dans le dernier budget, le gouvernement du Canada a annoncé un examen législatif des fonds et des actifs numériques, et je pense qu’il sera important que cela se fasse.

La présidente : Voyez-vous un rôle plus important pour la Banque du Canada à cet égard?

M. Macklem : Il y a deux rôles, dont l’un qui est déjà défini pour la Banque du Canada, à savoir la nouvelle responsabilité de surveillance des systèmes de paiement de détail. La plupart des paiements des Canadiens se font sous forme électronique.

Selon moi, ce régime fournira une sorte de niveau de surveillance de base des systèmes de paiement de détail, y compris sous forme électronique. Quand je dis « de base », je veux dire un régime d’inscription. Ils devront s’inscrire auprès de la Banque du Canada. Nous veillerons à ce que les fonds dont ils disposent soient placés dans un endroit sûr, de sorte que lorsque les Canadiens en auront besoin, ils seront là. Nous évaluerons si une gestion appropriée du risque opérationnel est assurée, afin qu’il n’y ait pas de rupture.

L’autre question dont nous avons déjà parlé, c’est la possibilité que la Banque du Canada adopte une monnaie numérique. Comme nous l’avons déjà dit, nous y travaillons.

Il y a d’autres questions. Par exemple, la cryptomonnaie stable est en grande partie non réglementée et comporte d’autres caractéristiques. Par exemple, elle pourrait être dévaluée. Si les actifs qui la soutiennent pendant une période de stress n’étaient pas aussi stables que souhaité, il pourrait y avoir une dévaluation.

Voilà le genre de choses que cet examen législatif doit régler.

La présidente : Avant de conclure, nous avons une question du sénateur Deacon, suivie d’une question du sénateur Gignac.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur le gouverneur et madame la première sous-gouverneure.

En ce qui concerne la Loi sur les activités associées aux paiements de détail, le processus de consultation que mène la banque reçoit des commentaires très positifs de la part des intervenants concernés. C’est formidable de voir le niveau de consultation et à quel point les risques sont évalués en fonction de la taille des organisations et d’autres facteurs. Le travail qui se fait est extraordinaire.

J’aimerais revenir un peu sur la question du sénateur Woo en ce qui concerne la nature internationale des risques et des effets inflationnistes que nous observons.

Comment vous coordonnez-vous avec les autres banques centrales pour évaluer les facteurs, les signaux qu’elles voient et qui les amènent à agir et le fait que vos réponses — si elles ne sont pas coordonnées, du moins dans une certaine mesure — pourraient avoir un effet important sur les taux de change, ces derniers étant alors susceptible d’être à l’origine de l’inflation dans une économie ou une autre, ou certainement d’effets dans une économie ou une autre?

Quel est le niveau de coordination que vous voyez, ou du moins de partage de l’information, pour que des mesures plus éclairées soient prises à l’échelle mondiale?

M. Macklem : Permettez-moi d’abord de vous remercier de vos commentaires sur la Loi sur les activités associées aux paiements de détail. Nous faisons de notre mieux pour être à l’écoute des Canadiens. Je suis heureux de voir que cet engagement est apprécié. Je peux certainement vous dire que cela a une incidence clé sur les décisions que nous devons prendre. Je vais certainement en faire part à l’équipe.

En ce qui concerne la communauté internationale, il y a toute une série de tribunes. J’étais à Washington pendant la majeure partie de la semaine dernière, pour les réunions du G7, du G20 et du Fonds monétaire international.

Pour ce qui est de la communauté des banques centrales, je tiens à souligner que la Banque des règlements internationaux — qui est la banque centrale des banques centrales — comporte une dimension opérationnelle. Mais c’est surtout un lieu de rencontre. Au cours des deux dernières années, nous nous sommes réunis virtuellement. Nous reprenons maintenant les réunions en personne. Mais c’est un lieu de rencontre qui permet aux gouverneurs de se réunir pour échanger leurs points de vue et discuter des enjeux.

Il y a des aspects de notre travail qui sont extrêmement utiles. Premièrement, dans un contexte de mondialisation — surtout en ce moment —, nous avons des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement. Cela se produit surtout à l’extérieur des frontières du Canada, mais nous ne sommes pas entièrement à l’abri.

Pour nous, il est extrêmement important de discuter avec les gouverneurs des autres banques centrales pour mieux comprendre ce qui se passe sur le terrain, dans leurs économies. Mais il est également utile de nous réunir et de discuter de la façon dont nous voyons les enjeux et les risques, de la façon dont nous envisageons nos réponses.

Je dirais que certains éléments de l’architecture internationale sont compromis, étant donné que la Russie fait partie du G20. Il est très difficile d’avoir une discussion au G20 lorsque le plus grand événement économique de l’heure est la guerre, et que le pays envahisseur — qui agit sans provocation ni justification — est à la table.

Heureusement, au G7, nous n’avons pas ce problème. Les Russes ne font pas partie de la Banque des règlements internationaux et n’ont pas accès aux documents, alors nous sommes en mesure d’avoir ces discussions très utiles.

Le sénateur Gignac : Vous avez mentionné à quelques reprises ce soir que l’économie surchauffe et que les taux d’intérêt sont trop bas à 1 %. Vous êtes indépendants, mais vous avez mon appui pour faire ce qui est le mieux.

Cela dit, le taux neutre, qui se situe entre 2 et 3 %, est loin d’être statique. Vous l’avez déjà révisé à la hausse de 25 points de base. Y a-t-il un risque que, dans deux ou trois ans, nous nous rendions compte que le taux neutre pourrait se situer entre 3 et 4 %? De quels déterminants devrions-nous tenir compte pour voir cela?

M. Macklem : Nous n’observons pas directement le taux neutre. Nous devons faire une estimation. Comme vous l’avez indiqué, nous avons en fait révisé à la baisse notre estimation du taux neutre au début de la pandémie, et vous pouvez le voir dans nos projections. Nous pensions que la reprise prendrait plus de temps. Nous pensions qu’il y aurait plus de cicatrices. Nous pensions que cela réduirait le taux neutre. En l’occurrence, nous avons connu une reprise rapide et nous croyons qu’il n’y a pas eu tant de cicatrices, alors nous avons ramené le taux neutre à ce qu’il était avant la pandémie.

À l’avenir, le taux neutre pourrait augmenter. Nous pouvons nous lancer dans un grand débat sur les divers facteurs en jeu. Mais il y a deux choses.

La première, c’est que s’il augmente, je pense qu’il le fera assez graduellement. Je ne pense pas qu’il y aura un bond. Le deuxième point, qui est plus important, c’est que nous avons une cible d’inflation. Nous n’avons pas de taux d’intérêt cible. Nous ne ciblons pas le taux neutre. Nous ciblons le taux d’inflation. Si le taux neutre s’avère plus élevé, nous constaterons qu’il faut augmenter les taux pour ramener l’inflation à la cible. Nous nous ajusterons à chaque étape à l’avenir.

La présidente : Cela pourrait faire un bon sujet pour notre prochaine réunion.

Merci. Nous vous remercions du temps que vous nous avez accordé ce soir. Monsieur Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada, et madame Carolyn Rogers, première sous‑gouverneure, nous vous sommes vraiment reconnaissants de nous avoir consacré autant de temps. Les enjeux sont complexes, mais vous nous avez éclairés et nous l’apprécions énormément. Merci.

M. Macklem : Merci. C’est un élément important de notre reddition de comptes aux Canadiens. Je vous remercie donc de vos excellentes questions.

La présidente : Monsieur le gouverneur Macklem, merci encore.

Mesdames et messieurs, nous allons poursuivre la séance à huis clos. Pour la gouverne des membres du comité, permettez‑moi de poser rapidement la question suivante : êtes‑vous d’accord pour que chaque membre du comité soit accompagné d’un membre de son personnel pendant la partie à huis clos de la réunion?

Des voix : D’accord.

La présidente : D’accord. Merci. La motion est adoptée.

(La séance est levée.)

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