LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES ET DU COMMERCE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 11 mai 2022
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 18 h 30 (HE), avec videocoference, afin d’étudier la teneur des éléments des sections 5, 10, 11, 15, 16, 17 et 30 de la partie 5 du projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures.
Le sénateur Colin Deacon (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Bonsoir à tous et bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins de garder leur microphone en sourdine en tout temps à moins que la présidence ne leur donne la parole.
Sur ce, commençons. Je m’appelle Colin Deacon et suis sénateur indépendant de la Nouvelle-Écosse, et je suis honoré d’être le vice-président du comité. Ce soir, je présiderai notre réunion.
J’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui : la sénatrice Bellemare, le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, la sénatrice Ringuette, le sénateur Smith et le sénateur Woo. Nous croyons que le sénateur Massicotte et le sénateur Yussuff se joindront à nous sous peu. De plus, je crois que la marraine du projet de loi C-19, la sénatrice Moncion, se joindra à nous ce soir.
Enfin, je pense que nous recevrons aussi la visite d’un invité spécial. Le membre de longue date et ex-président du comité, le sénateur Wetston, se joindra à nous ce soir, au début de notre réunion. Nous lui sommes tous très reconnaissants des efforts qu’il a déployés pour rehausser l’importance d’un examen de la Loi sur la concurrence, grâce à son travail approfondi qui a débuté l’été dernier et à la consultation qui s’est poursuivie jusqu’à l’automne. Souhaitons tous chaleureusement la bienvenue au sénateur Wetston.
Ce soir, nous allons poursuivre notre examen de la teneur de certains éléments des sections 5, 10, 11, 15, 16, 17 et 30 de la partie 5 du projet de loi C-19, Loi d’exécution du budget de 2022.
Dans le cadre de la réunion, nous nous concentrerons sur les sections 10 et 15. Pour discuter de la section 10, nous avons le plaisir d’accueillir Me Michael Mignardi, secrétaire général de l’Association des banques et des sociétés de fiducie. Il est aussi avocat général à la Banque Équitable et directeur de la Fiducie Équitable.
Pour discuter de la section 15, veuillez souhaiter la bienvenue à Jennifer Quaid, professeure agrégée et vice-doyenne à la recherche, Section de droit civil, à l’Université d’Ottawa; à Benjamin Dachis, vice-président associé, Affaires publiques, à l’Institut C.D. Howe; et à Bob Fay, directeur général, Recherche sur l’économie numérique, au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale.
Merci à vous tous. Je vous souhaite la bienvenue ce soir et je suis heureux que vous vous joigniez à nous.
Nous allons commencer par une déclaration liminaire de Me Mignardi, qui sera suivi par Mme Quaid, M. Dachis, puis M. Fay. Maître Mignardi, la parole est à vous.
Me Michael Mignardi, secrétaire général, Association des banques et des sociétés de fiducie, avocat général, Banque Équitable et directeur, Fiducie Équitable : Merci, monsieur le sénateur Deacon. J’espère que tout le monde arrive à m’entendre.
Bonsoir. Je m’appelle Michael Mignardi et je suis représentant et secrétaire général de l’Association des banques et des sociétés de fiducie, une association d’institutions financières de petite et moyenne taille au Canada créée en vertu de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif. Je suis directeur de la Fiducie Équitable, une société de fiducie sous réglementation fédérale constituée en vertu de la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt, et avocat général de la Banque Équitable, une banque établie aux termes de la Loi sur les banques. Je comparais aujourd’hui au nom de ces entités.
Nous avons examiné et pris en considération les changements envisagés par le projet de loi C-19, et en particulier ceux figurant à la section 10 qui, entre autres, modernisent les communications relatives à la gouvernance des sociétés des institutions financières. Nous avons examiné les modifications proposées de la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt en particulier et nous pensons, dans l’ensemble, qu’il s’agit de changements appropriés et bienvenus, et nous appuyons ces propositions.
Pour fournir un contexte supplémentaire, j’ajouterais que nous sommes généralement favorables à tout ce qui encourage la participation et la mobilisation des actionnaires. Nous pensons que, de façon générale, ce sont des éléments nécessaires à une bonne gouvernance. Les modifications proposées semblent aller dans ce sens et harmoniser le régime prévu par la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt avec d’autres exigences semblables prévues aujourd’hui dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions et les règles relatives aux valeurs mobilières, par exemple, pour la sollicitation de procurations.
Les propositions semblent supprimer une partie de l’administration et rendre l’approche globale un peu plus souple, et nous sommes favorables à cela et à un régime plus harmonisé concernant les règles de sollicitation de procurations.
Pour terminer, j’aimerais souligner que nous comprenons que des modifications de la Loi sur la concurrence sont également discutées ici aujourd’hui. Nos commentaires se limitent à la section 10, mais nous serions ouverts à l’idée de discuter davantage de tout changement favorable à la concurrence dans les services bancaires et financiers de façon plus approfondie, au besoin.
C’est la fin de mon exposé. Je vous remercie.
Le vice-président : Merci beaucoup, maître Mignardi. Je vais maintenant passer à Jennifer Quaid, si je peux, s’il vous plaît. Merci beaucoup.
[Français]
Jennifer A. Quaid, professeure agrégée et vice-doyenne à la recherche, Section de droit civil, Faculté de droit, Université d’Ottawa, à titre personnel : Monsieur le vice-président et honorables sénateurs, mon nom est Jennifer Quaid. Je suis professeure agrégée et vice-doyenne à la recherche à la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa. Mes domaines d’expertise sont le droit pénal des entreprises, le droit de la concurrence, le droit anticorruption, le droit des affaires et le droit pénal général. C’est avec grand plaisir que je comparais devant vous aujourd’hui pour discuter de la section 15 du projet de loi C-19. Il est important que vous vous y attardiez avec attention même si le processus législatif procédera sans doute avec célérité.
Je serai directe. Il ne fait aucun doute que les modifications proposées à la Loi sur la concurrence sont des modifications de fond. Elles se trouvent peut-être dans une loi budgétaire, mais elles sont proposées dans un objectif clair d’entamer une réforme du droit de la concurrence. D’après les déclarations du gouvernement, la section 15 n’est que le premier jet d’une réforme en deux temps. La section 15 constitue la phase préliminaire. La deuxième phase, dont on ignore encore l’échéancier, sera précédée par une consultation publique destinée à sonder toute partie intéressée au sujet du rôle de la politique en matière de concurrence au XXIe siècle, notamment en ce qui a trait à la transformation numérique de l’économie et de notre société. Je vous parlerai avec plaisir des grandes lignes de ce qu’on devrait envisager à cette deuxième étape, lors de la période de questions.
Dans cette déclaration d’ouverture, toutefois, je ciblerai que les modifications proposées à la section 15 et je vais parler plus particulièrement d’une modification qui me préoccupe, mais bien sûr, je pourrai en parler en détail après; je suis consciente que j’ai peu de temps dans la déclaration d’ouverture.
La section 15 propose huit changements. Quatre d’entre eux étaient largement attendus puisque le ministre Champagne et le commissaire Boswell y avaient fait référence expresse dans leurs déclarations publiques. Il s’agit de l’ajout d’une disposition créant l’infraction de complot en matière d’emploi à l’article 45, ensuite de la modification du montant maximal de certaines amendes et sanctions administratives pécuniaires, de l’ajout d’une disposition précisant que l’emploi de prix partiels constitue une indication fausse ou trompeuse, et de créer un droit d’accès privé au Tribunal en matière d’abus de position dominante.
Ensuite, il y a quatre autres modifications qui ne m’ont peut-être pas surprise, mais qui n’étaient pas nécessairement attendues. Il s’agit des modifications aux articles 78 et 79, qui traitent de l’abus de position dominante, l’ajout d’éléments à considérer dans la détermination d’un empêchement ou d’une diminution sensible de la concurrence, donc des articles 79, 90.1 et 93, l’ajout d’une disposition générale d’anti-évitement en matière de processus de préavis de fusion, et des modifications à l’article 11, qui est un pouvoir de demande de document.
Selon le gouvernement, la plupart des modifications proposées font l’objet d’un consensus, du moins parmi ceux qui se sont prononcés publiquement, notamment dans le cadre de la consultation effectuée par votre collègue le sénateur Wetston, à laquelle j’ai participé.
[Traduction]
Cette allusion au consensus donne à penser que l’inclusion de ces modifications dans le projet de loi d’exécution du budget ne devrait pas susciter de grandes inquiétudes, car peu de personnes désapprouveront les dispositions proposées.
Je ne saurais être plus en désaccord. Bien que la Loi sur la concurrence ait besoin d’être réformée, et de toute urgence, parce que nos pairs internationaux doivent également composer avec ces mêmes problèmes et ont une bonne longueur d’avance sur nous, il est peu probable que le processus du projet de loi d’exécution du budget soit propice à une réforme réfléchie, même sur les questions que certains peuvent considérer comme relativement simples.
Il est important de moderniser la loi. Mais si nous le faisons mal et sans tenir compte de l’ensemble du tableau ainsi que des problèmes techniques, nous risquons de simplement changer la loi sans améliorer la politique de la concurrence.
J’insisterais sur l’existence de la question de la nécessité transversale plus large d’une approche pangouvernementale pour tenir compte des défis numériques d’aujourd’hui. Je tiens à le dire. Je serai heureuse d’en parler, mais c’est une préoccupation vraiment importante. Aujourd’hui, nous parlons d’amendements techniques, mais je pense que nous devons insister sur ce point.
Je dirais que nulle part ailleurs la nécessité d’une réflexion approfondie n’est plus importante que dans la décision d’ajouter un paragraphe visant à interdire les complots, les accords ou les arrangements pour fixer un prix et ne pas solliciter des employés — ce qu’on appelle parfois le « non-débauchage » à l’article 45. J’avais beaucoup à dire à ce sujet, mais je suis consciente du temps qui m’est imparti. Je voudrais simplement dire à des fins de discussion qu’il n’est pas du tout clair pour moi qu’il s’agit de la bonne solution au problème tel qu’il a été imaginé. Je m’inquiète profondément du fait que nous tentons d’utiliser le droit pénal pour quelque chose pour lequel il n’est pas conçu.
De plus, vu la structure de notre droit pénal, et en particulier, de notre droit pénal des sociétés, ce sur quoi j’ai fait beaucoup de recherches, je pense que cette disposition sera très problématique. Nous faisons la promesse de protéger et d’aider les travailleurs, mais ce n’est pas ainsi que la disposition fonctionnera. Je suis très préoccupée par la présence de cette disposition.
Pour ce qui est des autres changements, je suis favorable à la reconnaissance de certains aspects de l’économie numérique, notamment en ce qui concerne l’indication de prix partiel, les ajouts apportés aux dispositions sur l’abus de position dominante, sur les fusions et aux dispositions civiles relatives à la collaboration. Mais encore une fois, je m’inquiète du fait qu’il s’agit de petites retouches qui, en fin de compte, doivent bénéficier d’une large consultation sur les objectifs de la loi et la manière de les atteindre, afin qu’ils puissent être dépassés par ce que nous décidons en dernier lieu.
Pour terminer, j’aimerais rappeler l’importance de la réforme de la politique de la concurrence et le fait que nous devons bien la faire. Cela nécessite la consultation d’une pluralité d’intervenants, et d’un nombre beaucoup plus grand que ceux qui ont été consultés dans le cadre de la consultation du sénateur Wetston. Il doit s’agir d’une large consultation d’intervenants non traditionnels dans le débat sur la politique de la concurrence. Nous devons ensuite reconnaître les valeurs et les principes que nous voulons mettre de l’avant dans une politique sur la concurrence et réfléchir à la façon dont cela s’intègre dans une réponse plus large de l’ensemble du gouvernement à la nouvelle économie et à la société numérique.
Je suis ravie d’être ici et je me réjouis de répondre à vos questions. Je vous remercie.
Le vice-président : Merci beaucoup de vos commentaires. Je ne pense pas que vous aurez beaucoup de désaccords au sein du comité quant à la nécessité d’un débat solide sur cette question. Nous sommes ici, et nous aurons un bon débat au comité dès maintenant.
Monsieur Dachis, allez-y.
Benjamin Dachis, vice-président associé, Affaires publiques, Institut C.D. Howe : Merci beaucoup. Je vais aussi commencer par dire que j’ai eu le grand plaisir de travailler avec le sénateur Wetston au sein du Conseil sur la politique de la concurrence de l’Institut C.D. Howe, car il était un membre du groupe dès le début. Je veux me faire l’écho des commentaires du sénateur Deacon, qui a félicité le sénateur Wetston des efforts énormes qu’il a déployés pour rehausser le débat sur cette question. Il s’agit d’un effort de consultation extrêmement utile qui a contribué à donner le coup d’envoi à une grande partie de ce que nous voyons, alors merci encore, monsieur le sénateur Wetston. Je tenais à le dire, et je le répéterai autant de fois que je le pourrai pour vous féliciter du travail remarquable que vous avez fait et du temps que vous avez passé au Sénat.
Pour vous donner un peu d’information sur le conseil, je précise qu’il est composé d’universitaires et de praticiens de premier plan en matière de droit et de politique de la concurrence et il fournit une analyse des nouvelles questions en matière de politique de la concurrence. Il exerce depuis plus de 10 ans des activités en tant que l’un des principaux centres de réflexion sur le droit de la concurrence au Canada.
Dans son dernier communiqué, le conseil a signalé qu’il appuyait l’intention du gouvernement exprimée dans le budget de 2022 de mener des consultations élargies sur le rôle et le fonctionnement de la Loi sur la concurrence et de son régime d’application. Nous voulons insister sur le fait que tout examen de la loi devrait comprendre un large éventail de points de vue.
Cependant, le conseil met en garde contre le fait que des modifications précipitées des lacunes perçues de la loi sans examen attentif et débat réfléchi pourraient avoir des conséquences imprévues et graves pour l’économie canadienne.
C’est sur cette question du processus que je suggère au Sénat de réfléchir, comme Mme Quaid l’a si bien dit, et je veux me faire l’écho de ses commentaires.
Le conseil ou des membres individuels ont appuyé à un niveau élevé une grande partie de la teneur des réformes contenues dans le projet de loi. Par exemple, le conseil a précédemment exprimé son soutien de l’élargissement des droits d’action privés pour les dispositions de la loi sur l’abus de position dominante.
Mais il y a beaucoup plus de détails dans le cadre de l’autorisation de l’accès privé qui seront essentiels pour que l’on s’assure que ces dispositions sont un succès. Par exemple, quel est le rôle potentiel des dommages-intérêts qui accompagnent les droits d’accès privés? C’est un domaine qui mérite d’être discuté avant que des modifications ne soient proposées ou parachevées.
Prenons un autre aspect de la législation proposée sur la fixation des salaires. Les membres actuels et anciens du conseil ont souligné qu’il existe de solides raisons juridiques et économiques pour permettre une approche d’application de la loi pénale pour la fixation des salaires et les accords de non-débauchage. L’Institut C.D. Howe a publié cela.
Mais les détails seront importants, et nous pourrons y revenir au cours de la période des questions et réponses.
Dans les dispositions visant à déterminer si quelqu’un doit aller en prison pendant plus de 10 ans dans ce domaine, nous devrions probablement être sûrs des détails. En effet, la constitutionnalité de ces dispositions soulève des questions que je pourrais aborder après mes commentaires.
Nous devons voir ces changements ainsi que d’autres changements potentiels que le gouvernement propose d’apporter après cette phase préliminaire, mais nous n’avons pas de détails sur ce à quoi ressemblera la phase secondaire de consultation.
En conclusion, c’est une bonne chose pour le gouvernement de proposer des idées de réforme potentielle de la Loi sur la concurrence, mais le fait d’aller de l’avant avec une consultation limitée par l’intermédiaire du projet de loi d’exécution du budget n’est pas la bonne façon de procéder, car nous risquons de ne pas atteindre la destination finale que nous souhaitons tous.
Merci beaucoup.
Le vice-président : Merci, monsieur Dachis. Je pense que nous approuvons votre évaluation de la nécessité d’une consultation élargie dans l’avenir.
Monsieur Fay, nous aimerions entendre ce que vous avez à dire, puis nous passerons aux questions.
Bob Fay, directeur général, Recherche sur l’économie numérique, Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale : Eh bien, merci, monsieur le sénateur Deacon et membres du comité, de me fournir l’occasion de présenter les points de vue du Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, ou CIGI, sur le projet de loi C-19. Je m’appelle Bob Fay; je suis directeur général de la Recherche sur l’économie numérique au CIGI, et mon travail se concentre sur la gouvernance des technologies numériques.
Mes commentaires ici ce soir s’inspirent d’un mémoire que j’ai présenté dans le cadre de la consultation sur la concurrence du sénateur Wetston et, comme d’autres, je voudrais féliciter le sénateur d’avoir entrepris cette consultation importante et opportune. Je pense que j’ai lu l’article de M. Iacobucci environ 10 fois.
J’ai proposé des suggestions détaillées dans ce mémoire, mais ce soir, je ferai des commentaires de haut niveau qui s’articuleront autour de la question plus large de la gouvernance à l’ère numérique, ce qui comprend la politique de la concurrence.
Ensuite, en ce qui concerne la section 15, mes commentaires portent plus particulièrement sur l’amélioration de l’efficacité des exigences en matière de transactions devant faire l’objet d’un préavis et d’autres dispositions.
J’aimerais faire trois commentaires.
Premièrement, la numérisation transforme tous les marchés et selon des façons qui remettent en cause tous les cadres stratégiques. Vu l’évolution actuelle vers les données et les biens immatériels comme moteurs de la croissance économique, les cadres réglementaires doivent s’adapter. Ce nouveau modèle de croissance de biens immatériels est très différent de notre économie traditionnelle fondée sur les biens matériels. Il présente des rendements accrus au chapitre de l’échelle et de la portée, des renseignements asymétriques et des externalités de réseau qui se manifestent dans un contexte où le gagnant rafle tout. Les technologies numériques transforment tous les secteurs et créent de nouvelles structures de marché qui n’ont jamais été observées auparavant. Les modifications proposées de la définition de la conduite anticoncurrentielle sont les bienvenues, mais ces changements transformateurs nécessitent un examen approfondi de la Loi sur la concurrence.
Deuxièmement, la politique de la concurrence et d’autres objectifs stratégiques se chevauchent. Les données et les technologies numériques ont brouillé les frontières entre la politique de la concurrence et d’autres objectifs stratégiques comme la protection de la vie privée. Les règlements et les processus doivent être mis à jour, et des mécanismes de coopération nationale doivent y être intégrés.
Le Canada peut s’inspirer du Royaume-Uni et de son Digital Regulation Cooperation Forum, qui réunit les organismes de réglementation de la radiodiffusion, de la protection de la vie privée et de la concurrence afin d’assurer une plus grande coopération en matière de réglementation en ligne.
Une mise à jour des cadres réglementaires est extrêmement importante pour maintenir la confiance dans nos institutions publiques et montrer qu’elles sont sensibles à la nature changeante de l’économie.
Troisièmement, le Canada peut apprendre des autres administrations et, en même temps, il doit collaborer avec elles. Comme nous l’avons entendu dire, la plupart des autres administrations examinent et mettent à jour leurs cadres de concurrence. Le Canada peut apprendre d’elles, tant sur les raisons pour lesquelles elles réexaminent leurs cadres que sur la façon dont elles prévoient les modifier.
De plus, les mesures prises dans d’autres administrations ont une incidence directe sur le Canada, étant donné la nature mondiale des technologies numériques, et il peut y avoir des avantages à coordonner les mesures et à échanger l’information entre les pays.
Permettez-moi de conclure : les enjeux créés par les technologies numériques sont complexes, et en plus de l’examen des modifications apportées au projet de loi C-19, une réévaluation complète de la Loi sur la concurrence qui fait appel à un éventail d’intervenants devrait être entreprise, car la politique de la concurrence touche tous les membres de la société.
Je vous remercie de votre temps et j’ai hâte de répondre à vos questions.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Fay, clair et concis comme toujours. Je suis heureux d’avoir vos commentaires.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Ma question s’adresse à Mme Jennifer Quaid. Compte tenu de vos craintes par rapport à ces projets d’amendements, qui d’autre devrait être consulté? J’aimerais aussi avoir des exemples d’abus et de conséquences négatives que ces changements peuvent apporter dans la réalité. Êtes-vous craintive au point de nous suggérer d’attendre avant d’adopter ces amendements pour faire une étude beaucoup plus exhaustive de la Loi sur la concurrence?
Mme Quaid : Merci pour votre question. Je vais tenter d’y répondre rapidement. La réponse à votre dernière question, c’est oui, je pense que cela serait mieux d’attendre et de faire une étude approfondie. Je trouve que ce sont des modifications partielles qui ne répondent pas à l’ensemble des préoccupations qui ont été soulevées dans la consultation du sénateur Wetston, qui était quand même une consultation intéressante. Je tiens à souligner que beaucoup de personnes détenant des expertises pertinentes y ont contribué.
Or, ce sont des initiés du monde de la concurrence qui ont participé à cette consultation, et cela a circulé surtout de bouche à oreille entre des personnes qui se connaissaient déjà dans le milieu. Je pense qu’il faut activement — et cela va prendre un effort — aller chercher des personnes qui ne sont pas traditionnellement associées à la concurrence. Que ce soit des organisations de la société civile, des organisations de travailleurs ou de droit, des représentants de populations marginalisées, telles que des populations racisées ou des communautés autochtones. Je pense qu’il faut vraiment ratisser large. Ce n’est pas assez de rester ainsi, bien que ce soient des experts chevronnés en la matière. Je fais partie de ce groupe d’initiés — je ne dis pas que je suis chevronnée — qui connaît bien les règles et qui est très orienté vers le détail, tout en connaissant les grands enjeux.
Si je peux vous donner des exemples, ma crainte principale serait relative à la disposition qui criminalisera les complots de fixation des salaires. J’ai plusieurs problèmes avec ces dispositions, mais je dirais que les personnes qui devraient être consultées au sujet de cette disposition — qui ne pourront pas comparaître devant vous — sont les procureurs qui seront responsables de la mise en application de cette disposition hautement problématique, tant sur le plan des idées que sur le plan technique. Sur le plan des idées, je vais en rester là, à moins que vous ne voyiez des détails.
On est en train de résoudre un problème qui est mal défini et de proposer une solution mal adaptée qui, vu les caractéristiques du droit pénal canadien et surtout du droit pénal des entreprises au Canada, ne fonctionnera pas comme promis. On fait des promesses qui ne pourront pas être tenues. On fait la promesse de protéger les salariés et de remédier à l’inégalité de pouvoir de négociation en matière d’emploi et de travail. On a déjà un système très développé, justement pour accomplir la paix syndicale et la paix des travailleurs afin de remédier à des situations d’inégalité de négociation du pouvoir. Cela s’appelle le droit du travail et le droit de l’emploi. Majoritairement, cela relève des provinces. En créant une disposition criminelle, cela sera de compétence fédérale. Le droit criminel n’a pas une vocation de compensation, de restitution, ni de solution de problèmes.
Même s’il y a la possibilité d’utiliser le droit criminel à des fins correctives, l’historique de la mise en application de ces dispositions en matière d’entreprise et de concurrence — je pourrais en parler longuement — ne démontre aucune ouverture et aucun grand intérêt à faire cela. Voilà mes préoccupations.
La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup, madame Quaid.
[Traduction]
Le vice-président : Merci, madame Quaid. M. Fay, suivi de M. Dachis, avez-vous quelque chose à ajouter ou à contester à ce sujet?
M. Fay : Je m’en remets à Mme Quaid pour certains des aspects techniques. Mais en ce qui concerne la nécessité d’une consultation, j’en conviens.
Comme de nombreuses personnes l’ont mentionné, la politique de la concurrence touche toutes les personnes, même si elles ne le savent pas. Il est très important d’avoir un large groupe de parties prenantes. Ce n’était pas le cas pour le rapport du sénateur Wetston. C’était un rapport assez technique. Mais je pense que ces questions peuvent être présentées à des gens d’une manière non technique. Je pense que nous voyons cela tous les jours. J’encouragerais ce processus.
Le vice-président : Merci, monsieur Fay. Nous avons certainement entendu cela hier soir aussi de la part du Bureau de la concurrence du Canada : la diversité des opinions et la compréhension des valeurs sont des éléments cruciaux, comme l’a mentionné Mme Quaid. Monsieur Dachis, à vous.
M. Dachis : Oui, je dirais que le gouvernement a sauté quelques étapes clés de la consultation que le sénateur a menée jusqu’à la législation. Il y a beaucoup de choses à faire entre ces deux étapes pour parler aux parties prenantes potentiellement concernées; des parties prenantes qui savaient qu’elles seraient touchées, mais aussi d’autres qui ne le découvriront que lorsqu’elles commenceront à recevoir des poursuites en recours collectif. Il y a beaucoup de conséquences dans l’ensemble de l’économie dans des domaines que nous connaissons et dans des domaines dont nous n’avons même pas la moindre idée pour l’avenir.
Il faut en parler plus largement avant que ce type de loi soit adopté.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Dachis. Maître Mignardi, je sais que, à un moment donné, vous voudrez vous joindre à nous sur cette question. Si nous le pouvons, nous garderons cela en attendant le moment où une question à ce sujet vous sera adressée. Il ne fait aucun doute que considérer les nouveaux venus comme l’un des groupes à consulter, par exemple, est vraiment crucial. Je vous propose donc de vous joindre à nous à un moment donné si vous pensez avoir quelque chose de différent à offrir.
Le sénateur Loffreda : Merci à tous nos intervenants d’être ici. Félicitations et merci une fois de plus au sénateur Wetston de son excellent travail au sujet de la Loi sur la concurrence.
Ma question s’adresse à Mme Quaid. Il a été mentionné que des modifications étaient nécessaires pour suivre le rythme des autres administrations et que nos pairs à l’échelle internationale étaient très en avance sur nous. D’après ce que j’ai entendu, ils sont peut-être encore en avance sur nous. Ces modifications réduisent-elles cet écart? Et combien d’autres sont nécessaires? Si nous devons nous concentrer sur quelques priorités, pouvez-vous nous dire lesquelles à court terme?
Mme Quaid : Merci, sénateur Loffreda, de la question. Elle est très pertinente.
Je dirais que nos pairs à l’échelle internationale se sont d’abord attaqués à la question plus large de savoir comment l’État — que ce soit le gouvernement canadien ou l’ensemble des provinces — répond à la transformation de la société essentiellement attribuable de la numérisation. Vous savez, c’est une sorte de touche-à-tout, vraiment, pour certains changements structurels importants dans la façon dont nous sommes liés les uns aux autres et dont les affaires sont menées, et aussi simplement pour ce qui concerne l’accélération du rythme du changement. Toutes les administrations se débattent avec la manière d’y parvenir. Mais s’il y a un thème commun, c’est que ce n’est pas quelque chose que l’on peut régler au moyen d’une approche ou d’un régime réglementaire particulier. Il pourrait être utile — et je serai aussi brève que possible — de décrire les deux nouveaux gros modèles ou joueurs : les États-Unis, d’une part, et l’Union européenne, d’autre part.
Les États-Unis ont choisi — pour des raisons liées à la façon dont ils ont eu tendance à aborder ces questions et aussi parce qu’ils n’ont pas beaucoup de lois habilitantes traitant de nombreux aspects liés à la nouvelle économie — de situer l’essentiel de la coordination de l’application, de la réflexion et de l’élaboration de politiques autour de la transformation numérique au sein de la Federal Trade Commission, ou FTC, et du département de la Justice, ou DOJ. Cela ressemble donc à la politique de la concurrence, sauf que c’est un peu plus large. La FTC a un mandat qui diffère de celui de notre Bureau de la concurrence à certains niveaux, car elle a un mandat qui touche les consommateurs et elle a colonisé la vie privée dans une certaine mesure, car il n’y a pas de cadre de protection de la vie privée à l’échelon fédéral.
Les Américains sont pragmatiques. Ils adaptent la politique en fonction de la situation. Ils ont le décret de l’administration Biden. Il s’agit essentiellement d’une approche pangouvernementale, mais ils ont une agence de coordination qui mène la charge.
Les Européens s’y sont pris différemment. Ils ont dit qu’il y a tous ces aspects de l’économie numérique que nous devons traiter. Il y a la législation sur les marchés numériques, la législation sur les services numériques, la législation sur l’intelligence artificielle et maintenant, la législation sur les données. Tout a commencé par le règlement général sur la protection des données. Les Européens ont abordé la question en disant que nous avions besoin d’un cadre législatif de règles, et que ces éléments se répercuteraient ensuite sur le droit de la concurrence, qui — vous devez le comprendre, en Europe — a aussi pour fonction politique de maintenir le marché européen. Il y a donc certaines choses qui ne sont pas comparables au Canada.
Dans les deux cas, le fait est qu’on essaie de trouver des moyens d’avoir une approche globale. L’un d’entre eux consiste à adopter beaucoup de lois et de règles, un cadre. L’autre est de rechercher une cohérence dans l’application de la loi entre les organismes. Le Canada est en retard sur ces deux points. Nous n’avons pas encore de législation réelle et importante. Nous n’avons aucune législation sur l’intelligence artificielle. Notre législation sur la protection de la vie privée est dépassée. Les provinces avancent un peu plus vite que le gouvernement fédéral sur cette question. Nous n’avons pas de véritable orientation en matière de données. Ils ont créé un commissaire aux données; nous n’avons pas la moindre idée de ce que cela signifie. Nous n’avons pas la culture d’application de la loi qu’ont les Américains, qui adaptent plus rapidement leur agence antitrust.
Je ne suis pas sûre que la législation soit la réponse unique à cette question. Bien sûr, nous devons réfléchir aux changements apportés à la loi. Je ne suis juste pas sûre que de petites retouches ici et là, en ajoutant une référence à la vie privée ou aux effets de réseau, changeront vraiment les choses, car ce dont vous avez besoin, c’est de la capacité d’analyser ces questions. Il vous faut aussi le poids de l’application que cela suppose. Fait encore plus important, vous devez décider comment aborder collectivement cette question.
Si j’avais un souhait, ce serait qu’il y ait une coordination entre les organismes concernés. Les solutions à notre portée sont la protection de la vie privée, la protection des données, la sécurité nationale, les télécommunications ou les médias, le CRTC, et le Bureau de la concurrence. J’oublie peut-être quelque chose.
Le vice-président : Il est nécessaire d’apporter des mises à jour à la politique-cadre, sans aucun doute, madame Quaid, et vous le soulignez de façon très claire, concise et directe.
Mme Quaid : Merci.
Le vice-président : Monsieur Dachis, avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet? Il sera suivi de M. Fay.
M. Dachis : Je suis assurément d’accord avec une grande partie de ce qu’a dit Mme Quaid. Encore une fois, cela revient au fait que nous pouvons ne pas nous entendre sur certains éléments de la direction que nous voulons prendre, mais pour ce qui est de la façon d’y parvenir, nous convenons tout à fait que ce n’est pas la bonne façon de mettre en place une réforme.
D’abord, concernant le retard que nous accusons par rapport au reste du monde, vous pouvez avoir des institutions et des politiques différentes sur la concurrence, mais cela reflète souvent une différence très fondamentale. Il suffit de voir à quel point il est difficile de simplement importer immédiatement quelque chose. Un bon exemple est celui des sanctions pécuniaires en cas d’abus de position dominante, que les modifications proposées visent à introduire à la manière européenne en imposant d’énormes amendes en fonction des revenus mondiaux.
Mais comment cela fonctionnera-t-il au Canada? Nous avons une structure constitutionnelle différente et, encore une fois, nous en arrivons à la conception des exigences du processus, selon que les amendes sont punitives ou destinées à atténuer des préjudices directs. Ce sont deux processus très fondamentalement différents que les tribunaux doivent appliquer ici au Canada. Comment est-il possible d’importer cette approche européenne ici? Nous n’avons même pas réfléchi à ces choses. Nous n’avons étudié que la législation au cours des deux dernières semaines. Nous devons prendre le temps de poser des questions sur la constitutionnalité fondamentale des changements majeurs proposés.
Le vice-président : Merci beaucoup. Monsieur Fay?
M. Fay : Merci, sénateur. Encore une fois, je suis d’accord avec Mme Quaid. Je vais simplement ajouter quelque chose et renforcer quelques points.
D’abord, ces autres pays, en particulier l’Union européenne, mais aussi le Royaume-Uni, ont vraiment fait un pas en arrière et adopté une approche globale quant à ce qui doit changer au chapitre de nos instruments, de nos règlements, de nos politiques, dans cette économie numérique. Nous ne l’avons pas encore fait au Canada, mais c’est essentiel.
Ensuite, la politique de concurrence ne peut pas tout faire. Par exemple, l’Union européenne a recours à une panoplie d’outils réglementaires qui méritent d’être pris en considération au Canada. Certains de ces outils concernent la manière dont nous pouvons assurer l’interopérabilité entre ces géants du numérique. Comment pouvons-nous rendre les données accessibles? Elles sont liées les unes aux autres. Quels sont les outils appropriés pour permettre cela, par exemple, en établissant des normes? Il existe une vaste gamme de questions qui doivent être vraiment mises sur la table. Je vous remercie.
Le vice-président : Merci beaucoup. Chers collègues, j’ai décidé de laisser chacun de nos témoins répondre à chaque question afin de rester sur des sujets précis. Je sais que les questions de chaque sénatrice et sénateur durent un peu plus longtemps que d’habitude, mais dans cette situation, cela en vaut la peine, et j’espère que vous êtes d’accord avec moi à cet égard.
Le sénateur Woo : Monsieur le président, il s’agit d’une bonne approche. Nous obtenons des commentaires très utiles de la part de nos témoins. Je vous en remercie.
Je suis étonné de voir que tous les témoins, d’une part, louangent notre collègue, le sénateur Wetson, mais, d’autre part, ils rejettent essentiellement sa recommandation d’apporter des changements ciblés à la Loi sur la concurrence.
Je me demande si cela est dû au fait que vous avez un point de départ différent de l’économie numérique et des changements économiques auxquels nous sommes confrontés, et que, selon vous, cette loi d’application générale n’est plus applicable et que quelque chose de fondamental doit être fait.
Dans le commentaire du sénateur Wetson concernant les commentaires qu’il a reçus, il fait savoir très clairement que le statu quo fonctionne plus ou moins bien et que des révisions ciblées sont nécessaires, ce que nous faisons en quelque sorte dans le cadre de ce projet de loi. Mais ensuite, il décrit ou il caractérise deux autres approches. Pouvez-vous nous dire si vous y adhérez? Il décrit l’une d’elles comme une approche néo-brandeisienne, ou populiste et l’autre comme une approche équilibrée.
Il me semble que vous vous rangez derrière l’approche équilibrée. Mais pouvez-vous nous aider à y réfléchir du point de vue de vos points de départ? Il est difficile de trancher ce débat, en particulier lorsque nous faisons tous l’éloge du sénateur Wetson sans suivre ses conseils.
M. Dachis : Je dirais que je suis tout à fait d’accord avec le sénateur Wetson en ce qui concerne une grande partie de ses commentaires sur la consultation publique. Il est possible de tracer une ligne directe entre les choses qui sont ressorties de sa consultation, qui ont ensuite fait leur chemin dans la législation et au sujet desquelles les gens ne sont pas nécessairement en désaccord — les choses comme la clarification de certaines parties de l’article 79, l’accès privé au Tribunal de la concurrence. Il s’agit de bonnes choses, mais ensuite nous parlons de processus.
Le processus est différent des amendements ici, car si ce projet de loi était mis en place comme faisant partie d’une mesure législative distincte ou d’une consultation plus importante où nous voyons comment les choses s’assemblent, je pense qu’il y aurait beaucoup moins de désaccords. Quand vous intégrez des éléments dans un projet de loi budgétaire, vous devez savoir que les gouvernements vont exercer une forte pression sur les deux chambres afin qu’elles l’adoptent avant la fin du mois de juin. Il ne s’agit pas de la bonne façon de faire adopter par les deux chambres du Parlement ce genre de réforme fondamentale de la législation canadienne.
M. Fay : Eh bien, je ne sais pas si on m’a déjà traité de populiste, même si je crois qu’on pourrait me qualifier ainsi dans ce cas-ci.
Le rapport lui-même est excellent puisqu’il a soulevé beaucoup de questions fondamentales. Il traite de la scène internationale. L’auteur a essayé de ramener ces leçons au Canada selon son point de vue, et c’est juste. Cela ne pose aucun problème, car il permet d’aider les autres personnes à formuler leurs propres arguments. Je suis en désaccord avec certains des éléments. Selon moi, il existe un changement fondamental dans les moteurs de croissance et dans la répartition des gains découlant de cette croissance. Et il faut y remédier pour de nombreuses raisons qui peuvent être étudiées. Cependant, comme l’a dit M. Dachis, le processus est d’une importance capitale.
Je ne pense pas que les choses qui pourraient être considérées comme étant des solutions faciles devaient être intégrées dans un projet de loi budgétaire — nous avons des experts, comme Mme Quaid, qui peuvent expliquer pourquoi — puisque la concurrence est si fondamentale et si importante. À mon avis, on sous-estime le fait que nous avons besoin de cette grande consultation multilatérale. En fait, la politique doit être menée ainsi dans le monde numérique dans lequel nous vivons, car il est très difficile de dissocier la concurrence de la vie privée, de la sécurité nationale, de la sécurité publique ou du commerce international. Toutes ces questions de politiques sont imbriquées, et nous devons y réfléchir horizontalement et non pas seulement verticalement. Merci.
Le vice-président : Je vous remercie.
Madame Quaid, avez-vous un commentaire de dernière minute, et ensuite nous passerons au sénateur suivant. Merci.
Mme Quaid : Je suis probablement la personne qui sort de l’ordinaire ici. Je pratique le droit de la concurrence depuis longtemps, et j’ai toujours été du côté où je me trouve.
Il existe des problèmes de longue date concernant la manière dont le droit de la concurrence a été conçu et élaboré. Ils remontent à un rapport qui est aussi vieux que moi. Il s’agit du Rapport provisoire sur la politique de concurrence de 1969 du Conseil économique du Canada. En toute franchise, le monde a changé depuis cette époque, et je crois que certaines des suppositions et des prémisses initiales de ce rapport ne sont plus d’actualité, si tant est qu’elles l’aient jamais été. Je pense que la politique de la concurrence a été conçue d’une certaine manière, avec certaines valeurs sous-jacentes, et la Cour suprême a déjà fait référence à celles-ci.
Je crois que nous sommes à un stade — et je pense que M. Fay l’a mentionné — où nous devrions peut-être reconsidérer ces valeurs sous-jacentes, parce que la politique de concurrence, très honnêtement, est restée assez étroite et fermée. Cette politique est belle, nette et bien organisée, mais selon moi, ce n’est pas le bon type de politique de concurrence à avoir.
Bien que la politique de concurrence ne puisse pas tout faire, elle devrait en faire plus, et je pense — et je le dis ouvertement, si controversé que cela puisse être — que la prétention selon laquelle la politique de concurrence est neutre doit être abandonnée. La politique de concurrence est un choix de valeurs. Elle est intrinsèquement politique. Il s’agit simplement de savoir de quelles valeurs il s’agit. C’est pourquoi la consultation des intervenants est si importante. Nous devons arriver à un consensus quant à ce qui est important, et ensuite nous pourrons décider de la meilleure façon d’y parvenir.
Bien entendu, il y a aura des désaccords. Nous devrons faire des compromis. Nous ne pourrons pas tout faire. Toutefois, je pense que ce qui se passe fondamentalement, monsieur le sénateur Woo, c’est qu’il existe des désaccords de longue date, et ceux-ci se superposent.
Le sénateur Woo : Débat sur les gains en efficience.
Mme Quaid : Nous pouvons parler des gains en efficience, si vous le souhaitez.
Le sénateur Woo : D’accord.
Le vice-président : Je vous remercie, madame Quaid.
Maître Mignardi, à un moment donné, je vous poserai une question très précise pour vous faire participer à ce débat, mais si vous le permettez, je vais continuer à faire le tour afin que nos collègues puissent poser leurs questions.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Ma question s’adresse à M. Dachis et a trait aux pénalités et aux sommes d’argent qui doivent être payées si nous sommes jugés en défaut, et vous avez fait un commentaire à ce sujet. Comme vous le savez, un taux de 3 % était appliqué auparavant et là, le taux a augmenté. Pourquoi est-ce un taux de 3 %, et comment a-t-on calculé les sommes? Y a-t-il un raisonnement et un principe d’équité derrière tout cela?
[Traduction]
M. Dachis : Je ne sais pas exactement d’où vient le chiffre de 3 %. Mme Quaid en sait peut-être plus. Je me fie à son expertise en ce qui concerne le lien avec les normes européennes.
Toutefois, ce type d’approche, qui considère les revenus par opposition aux revenus de l’entreprise, le chiffre d’affaires par opposition au préjudice que l’action a causé, est fondé sur l’approche européenne. La différence entre ces deux approches est vraiment importante, car quand nous parlons de dommages fondés sur le préjudice quantifiable réel d’une action, c’est le genre de chose qui s’inscrit dans le cadre que nous avons. Cependant, quand nous commençons à parler de choses qui sont beaucoup plus étendues, qui se chiffrent potentiellement en milliards de dollars et ne sont pas directement liées au préjudice, il y a des questions quant à savoir si cela va être constitutionnel.
Des questions ont déjà été soulevées concernant la constitutionnalité du niveau existant d’environ 10 millions de dollars, si bien qu’une augmentation de l’ordre de grandeur crée un énorme risque que ce type de législation ne soit pas accepté par les tribunaux à l’avenir.
[Français]
Mme Quaid : J’ajouterai que je ne suis pas plus informée relativement au choix du taux de 3 %. Toutefois, je vais jouer à l’avocate, si vous me le permettez. En lisant la disposition, il faut faire attention. Étant donné la structure de la proposition telle qu’elle est, ce n’est que lorsque le montant est supérieur à 10 millions de dollars pour une première infraction ou 15 millions de dollars pour une deuxième infraction — et que trois fois la valeur des bénéfices obtenus n’est pas calculable — qu’entre en jeu la référence aux chiffres tirés de la déclaration de revenus. C’est seulement à ce moment-là; c’est donc vraiment en dernier ressort que vous en venez à cette modalité du taux de 3 % des recettes globales.
C’est une question différente que celle de se demander si les recettes globales devraient être utilisées alors que c’est une sanction au Canada. C’est vraiment en dernier ressort qu’on en arrive là.
Je dirais que la raison pour laquelle on préfère utiliser un chiffre comme celui des recettes est justement l’objet de ma préoccupation en ce qui a trait à l’utilisation des bénéfices. Si on analyse l’historique des calculs, c’est qu’on discute des bénéfices et de la façon dont sont faits les calculs. Prendre un chiffre tiré des états financiers est beaucoup plus fiable et moins susceptible d’être contesté, mais certains seront peut-être en désaccord avec moi.
Toutefois, j’ajouterai que je ne suis pas totalement d’accord avec mon collègue M. Dachis sur la question de la sanction administrative pécuniaire et de sa vulnérabilité constitutionnelle. Je n’en suis pas persuadée. C’est très clair, il y a déjà eu de la jurisprudence à ce sujet : les sanctions pécuniaires ne sont pas des amendes ou des sanctions criminelles et sont donc acceptables. On peut être en désaccord avec le principe, mais je ne suis pas sûre, sur le plan juridique, que cet argument tient la route.
Le sénateur Massicotte : Même pour un montant de 10 millions de dollars, cela dépend assurément de qui on parle, puisque pour nos grandes entreprises canadiennes, une somme de 10 millions de dollars n’est rien; c’est rire des consommateurs ou des employés. Peut-être que c’est ce qu’ils cherchent. Il faudrait un moyen d’ancrer l’opinion, de façon peut-être arbitraire, mais avec une somme raisonnable et relative à l’entreprise comme telle.
Mme Quaid : Je suis tout à fait d’accord avec vous, sénateur Massicotte, sur le fait que le problème est qu’on veut une loi d’application générale qui s’applique à la toute petite entreprise ainsi qu’à la très grande entreprise. C’est un style de législation qu’on fait au Canada. Justement, je crois que l’idée d’utiliser des pénalités associées à la taille financière de l’entreprise est très positive, mais on retient toutefois les chiffres maximaux qui sont là. Rien ne dit qu’il faut imposer le maximum, par ailleurs; cependant, je suis d’accord avec vous que cela donne l’impression d’une vulnérabilité, surtout envers les petites entreprises, et qu’il est plus approprié d’ajuster cela selon la taille de l’entreprise.
Le sénateur Massicotte : Merci.
[Traduction]
Le vice-président : Je vous remercie, madame Quaid.
Si vous le permettez, je vais continuer à avancer pour le moment et vous donner la chance de répondre en premier la prochaine fois, monsieur Fay.
La sénatrice Ringuette : Je remercie les témoins. Vous poussez notre réflexion, et c’est ce que nous aimons au comité, être provoqués. J’apprécie vraiment vos commentaires et je vous en remercie.
Ma question s’adresse à Mme Quaid, puisque vous avez particulièrement fait référence à la section 15. Quand nous examinons la fixation de salaires, ce n’est pas différent de la fixation des prix. Il s’agit de collusion.
Je comprends votre point de vue concernant le Code canadien du travail, mais connaissant le Code canadien du travail, je ne vois pas comment cela entrerait dans ce contexte, parce qu’ici on parle de collusion, de collusion en matière de fixation des salaires et d’accords pour ne pas débaucher les employés d’un autre employeur. Dans le contexte actuel du travail, c’est extrêmement important.
Je voudrais que vous puissiez débattre avec moi ou bien débattre contre mon point de vue selon lequel cela devrait figurer dans le Code canadien du travail. Veuillez m’expliquer.
Le vice-président : Madame Quaid, pourriez-vous être aussi concise que possible, puisque nous voulons nous assurer que nous continuons de faire le tour.
Mme Quaid : Le défaut des professeurs de droit, je sais. Je serai heureuse de vous envoyer des choses que j’ai écrites également.
Le problème critique, à mon avis, est que cette disposition sur la fixation des salaires a été présentée comme un moyen de régler l’injustice et l’inégalité liée au pouvoir de négociation et de protéger les travailleurs. Il existe un argument économique favorable au traitement des accords entre acheteurs en ce qui concerne le prix que ces derniers sont prêts à payer pour les choses. C’est ce qu’on appelle les cartels d’acheteurs, mais il ne s’agit pas vraiment du préjudice décrit par les politiciens qui sont en faveur de la fixation des salaires. Je pense qu’il existe une coupure.
La justification économique en soi qui sous-tend l’effet anticoncurrentiel de la fixation des salaires, de l’interdiction des débauchages ou d’accords entre acheteurs en général, est que cela mène à une utilisation sous-optimale, dans ce cas, du capital humain. Comme vous ne permettez pas aux gens d’obtenir ce que le marché leur fournirait normalement sous forme de salaire ou de mobilité de la main-d’œuvre, ils quitteront ce marché et utiliseront leurs compétences ailleurs d’une manière moins avantageuse sur le plan économique. Vous avez une perte nette pour l’économie. Cela rejoint toute la théorie selon laquelle l’aide sociale est pire.
Il ne s’agit pas de la préoccupation que j’entends au sujet des politiciens. Si vous attendez de cette disposition sur la fixation des salaires qu’elle corrige l’injustice et l’inégalité du pouvoir de négociation, ce n’est pas le cas. Elle criminalise. Elle ne criminalise pas le fait de payer des gens à faibles salaires ni le fait de ne pas débaucher. Elle stipule simplement que vous ne pouvez pas vous mettre d’accord.
La sénatrice Ringuette : Il s’agit d’un accord entre employeurs. Il ne s’agit pas du même type d’accord que celui qui existe dans le Code canadien du travail, lequel traite des accords et de la relation entre l’employeur et les employés.
J’aimerais beaucoup avoir votre document concernant cette question. Je voudrais le lire et probablement vous donner une réponse à ce sujet.
Le vice-président : Je vous remercie, sénatrice Ringuette. Madame Quaid, pourriez-vous envoyer cela à la greffière? Nous vous en serons tous reconnaissants. Monsieur Fay, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
M. Fay : Pas à ce sujet. Je suis un économiste. Il est rare que les économistes soient d’accord avec les avocats ou les juristes, mais je suis d’accord avec Mme Quaid sur l’analyse économique.
Pour revenir au point précédent, quand nous parlons d’amendes, l’une des questions que soulève cette économie intangible est que nous ne connaissons pas la valeur des données. La valeur des données est vraiment le moteur de la croissance de ces géants dont nous parlons tous, selon moi. Il s’agit d’un domaine à découvrir que nous devons vraiment mieux comprendre pour toute une série de raisons, notamment la politique de concurrence et l’analyse des fusions.
Le vice-président : Je suis très reconnaissant que vous souleviez ce point. Je pense qu’il s’agit d’un point important. Je vous remercie d’être revenu à cette question, monsieur Fay.
M. Dachis : Je voudrais ajouter quelque chose concernant la question de la sénatrice Ringuette. Il existe une définition beaucoup plus exhaustive des « accords d’employeurs » dans le libellé de cette législation que ce qui est en place pour les cartels.
D’après le libellé, tout employeur, et non pas seulement les employeurs qui sont concurrents... et tout accord entre les employeurs est, en soi, illégal. Il s’agit d’une définition exceptionnellement générale d’un accord, qui ne correspond pas à celle à laquelle nous sommes habitués dans le cadre de nos discussions sur les cartels.
La question qui se pose également est de savoir ce qu’est un employé? Qu’est-ce qu’un employeur? Si l’on veut que cela s’applique, par exemple, aux travailleurs de plateforme qui travaillent pour Uber ou pour DoorDash, le Code canadien du travail définit-il clairement ce qu’est une relation employeur-employé de nos jours? La définition varie d’une province à l’autre. Comment allons-nous l’appliquer au Canada?
Cette législation est beaucoup plus vaste et plus vague que ce que nous avons en place. Si l’on ajoute à cela 14 ans d’emprisonnement, les entreprises feront face à de nombreux risques lorsque cette loi sera adoptée, et il n’existe pas beaucoup de définitions claires sur lesquelles les entreprises peuvent s’appuyer.
Le vice-président : Monsieur Dachis, vous venez de soulever la question de l’interconnexion de tous ces textes de loi. C’est ce qu’a dit Mme Quaid plus tôt. La législation sur les plateformes a pris trop de retard.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur parenthèse quant à la signification de certaines de ces dispositions. Je vais rester sur le même point et essayer de comprendre un peu plus en m’appuyant sur ma propre expérience de la négociation collective et de la réalité.
Donc, 90 % de la main-d’œuvre relève actuellement des provinces et des territoires. Seulement 10 % de la main-d’œuvre relève de l’autorité fédérale, mais il s’agit d’une partie essentielle de la main-d’œuvre, à savoir les télécommunications, l’expédition, le transport — je peux parcourir la liste avec vous.
En lisant l’article, je suis certain que les rédacteurs avaient quelque chose en tête. Nous ne savons pas exactement de quoi il s’agit, mais essentiellement, il s’agit des employeurs qui conspirent, s’entendent ou s’arrangent pour fixer les salaires ou empêcher l’embauche d’un employé d’un autre employeur.
Dans une négociation type, ce que nous appelons un accord-cadre, vous vous réunissez avec un employeur, vous négociez une convention collective, et ensuite tous les autres employeurs du secteur doivent accepter l’accord. C’est la norme. La convention protège les travailleurs en veillant à ce qu’ils soient traités équitablement, mais elle assure également que, en tant que syndicat, vous n’allez pas profiter de votre main-d’œuvre de sorte que tous vos employés vont quitter l’employeur et aller ailleurs.
Étant donné vos commentaires et le fait que vous êtes avocate, Mme Quaid, quel serait votre point de vue concernant les lacunes de ce que cela signifie?
Mme Quaid : Il est difficile de répondre rapidement, mais vous avez soulevé un point que je n’ai pas mentionné, mais il s’agit d’un point parmi tant d’autres. Ainsi, la Loi sur la concurrence a traditionnellement exempté tout ce qui a trait à la négociation collective ou à la négociation à l’échelle de l’industrie. Il s’agit de l’article 4 de la loi. La zone que nous visons se situe entre les exemptions qui sont reconnues dans l’article 4 et le paragraphe 45(1.1), qui n’est pas clair pour moi.
Je dois reprendre le point de vue de M. Dachis. Il est très important. Les termes « employeur » et « employé » ne sont pas définis dans la loi. Ces définitions seront tirées des lois provinciales en général, je pense. Il sera difficile de leur donner ce contenu.
L’autre difficulté liée au fait de convertir des accords sur les salaires et les conditions en une disposition sur les complots est que les personnes ne sont pas comme des biens et des services. Le capital humain est traditionnellement un sujet que nous n’abordons pas dans la politique de concurrence, pour de bonnes raisons, selon moi. C’est pourquoi nous avons tant de lois sur le travail et l’emploi qui soutiennent la manière dont la relation entre les employeurs et les employés devrait fonctionner. C’est pourquoi je crains que cette disposition ne crée une grande zone de risque. Elle sera difficile à appliquer du point de vue de la poursuite, et je pense que les gens seront déçus par les possibles résultats.
Je pense qu’une grande partie des préoccupations concernant la fixation des salaires provient de l’accord sur la prime aux héros qui a vu le jour en 2020. Cette situation est très inhabituelle. Elle ne ressemble pas beaucoup à ce qui se passe aux États-Unis. Il ne s’agit pas du même type d’industries ni du même type de travailleurs. Honnêtement, à l’avenir, que se passera-t-il dans une situation supposant une prime de héros? Ce sera la pagaille. Une personne retirera sa prime de héros en premier, mais ils procéderont de cette manière. Chacun surveillera l’autre. Pour être tout à fait honnête, je ne vois pas en quoi cette disposition fera la moindre différence.
Le vice-président : La situation de parallélisme conscient est réelle.
Le sénateur Yussuff : Je voudrais souligner que nous ne savons toujours pas quelle est l’intention du gouvernement ici. Le gouvernement pourrait-il encore avoir l’intention de procéder à des consultations concernant la manière dont ces dispositions s’appliqueront? Je tente d’évaluer le grand public qui pourrait être intéressé par cela. Il n’est pas rare que le gouvernement inscrive quelque chose dans un projet de loi budgétaire et qu’il tente ensuite de faire une analyse plus approfondie de ce qu’il propose ultérieurement.
M. Dachis : Les dispositions n’entreraient pas en vigueur avant un an. En théorie, le gouvernement dispose d’une année pour procéder à des consultations. Mais c’est un peu comme jouer au plus brave. Nous ne disposons que d’une année. Si le gouvernement ne revient pas avec un projet de loi — autrement dit, si des choses se produisent et qu’il n’a pas la possibilité d’apporter des changements —, nous nous retrouverons avec cette disposition peu réfléchie. Le fait de se presser maintenant est une stratégie assez risquée par rapport au fait d’aller de l’avant. Je recommande de faire adopter ces dispositions de la Loi sur la concurrence dans un futur projet de loi distinct plutôt que de le faire adopter à la hâte par la Chambre maintenant.
Le sénateur Yussuff : Mais c’est possible.
M. Dachis : C’est possible, mais encore une fois, il s’agit d’une stratégie à très haut risque. Les plus grands risques dont il est question sont des amendes de plusieurs milliards de dollars et des peines d’emprisonnement pour les personnes qui se retrouvent dans cette situation par inadvertance.
La sénatrice Marshall : Je remercie tous les témoins. Ce que vous dites est très préoccupant. Je souhaite revenir sur ce que disait le dernier intervenant, à savoir que nous disposons d’un an, ou que le gouvernement dispose maintenant d’une année, pour faire avancer les choses et les arranger. Cependant, le gouvernement avance très lentement. Je ne m’attends pas à ce que quelque chose soit fait dans la phase 2.
J’aimerais savoir, en regardant vers l’avenir et en supposant que nous venons de passer à la phase 2 et que les amendements que nous avons dans la Loi d’exécution du budget sont adoptés et qu’ils entrent en vigueur. Que croyez-vous qu’il va se passer? Je serais curieuse d’entendre ce que vous pensez qu’il va se passer. Croyez-vous que ces amendements législatifs vont simplement figurer dans les textes et qu’ils n’auront pas d’impact réel? Ou pensez-vous qu’il y aura des contestations constitutionnelles et toutes sortes d’affaires judiciaires? Ou bien, selon vous, est-ce que nous devrons composer avec ces amendements qui nous entravent?
J’aimerais avoir une idée de — je sais que ce n’est pas la bonne manière de procéder, mais ce projet de loi va être adopté le mois prochain, voire ce mois-ci. Situez-nous dans le temps où ces amendements entreront en vigueur. À quoi devons-nous nous attendre pour que nous, membres du Comité des banques, puissions observer la situation et dire : oh, eh bien, nous nous attendions à ce que cela arrive? Pouvez-vous vous projeter un peu dans l’avenir et nous dire à quoi nous pouvons nous attendre? S’agira-t-il de quelque chose d’important ou de peu important?
M. Dachis : Dans certains domaines, c’est potentiellement très important, mais également subtil dans le sens où... prenez, par exemple, le régime de sanctions administratives pécuniaires. Il me semble que Mme Quaid a fait remarquer qu’il est peu probable que les entreprises soient confrontées à une amende de 3 % de leurs revenus globaux. Il s’agit d’un filet de sécurité. Toutefois, c’est toujours une possibilité. Il n’existe pas de critère clair et net permettant de distinguer ce qui est légal de ce qui ne l’est pas, surtout maintenant que nous commençons à jouer avec le paragraphe 79(4) et la façon dont la vie privée est désormais un facteur.
Les entreprises sont exposées à ce risque fondamental que représente la pratique, et elles ne savent pas si leur pratique sera soumise à un abus de position dominante. Ensuite, elles ne le savent pas ex ante — parce qu’il n’y a pas de critère précis de ce que le tribunal ou les cours considèrent comme étant approprié pour évaluer les dommages-intérêts.
Alors il existe une série de risques de se faire imposer une énorme amende au Canada, si les choses ne se passent pas bien et que vous êtes une grande entreprise internationale. Je pense que l’effet immédiat pour beaucoup d’entreprises sera un recul de leurs projets potentiels, de leurs solutions de tarification potentiellement innovantes au Canada.
Cependant, vous ne verriez pas cela. Vous ne le verriez pas dans la législation. Il s’agit d’un coût occulte pour l’économie globale. Je prédis que ce sera l’effet immédiat d’un grand nombre de retraits d’investissements majeurs et de décisions d’entreprises qui pourraient potentiellement bénéficier aux consommateurs canadiens. Bien des choses qui sont qualifiées d’anticoncurrentielles ou qui pourraient être perçues comme telles, selon la façon dont on les envisage, sont en fait favorables à la concurrence. Cependant, encore une fois, il s’agit du genre de choses qui, ex ante, lorsque vous êtes une entreprise qui examine les choses de prime abord... et que cela pourra aller dans un sens ou dans l’autre, vous n’allez tout simplement pas aller de l’avant quand vous risquez de courir ce genre de risque énorme.
La sénatrice Marshall : Oui. Donc les entreprises ne voudront pas prendre des risques et se retiendront. C’est intéressant.
Pourrais-je avoir des commentaires de la part d’autres témoins?
M. Fay : Oui. Je suis de manière générale d’accord avec M. Dachis. Je pense que l’un des points que nous tentons de mettre en lumière dans le cadre de notre travail au CIGI, c’est, en fait, les liens entre tous ces domaines.
Il existe un projet de loi qui semble être au point mort et qui est d’une importance fondamentale; il s’agit de la législation sur la protection des renseignements personnels. Je suis d’avis que les entreprises sont confrontées à un certain nombre d’incertitudes différentes. Certaines ont été mentionnées par M. Dachis. Il en existe d’autres qui aideront à clarifier comment les entreprises peuvent utiliser leurs ressources de données.
Je crois que ma principale préoccupation est que de nombreuses choses doivent se produire. Il est nécessaire qu’elles soient complètes. La situation est difficile pour les gouvernements. Nous le comprenons. Les changements à la pièce ne feront probablement que rendre l’environnement encore plus chaotique pour les entreprises, alors que certaines règles ne sont déjà pas très claires.
Le vice-président : Excellent. Madame Quaid, répondez rapidement du mieux que vous pouvez.
Mme Quaid : Je vois un thème qui se dégage, monsieur le sénateur. Je suis désolée. Mes étudiants seraient d’accord avec vous.
Le vice-président : Non, nous avons pu apprendre énormément de choses.
Mme Quaid : J’ai vraiment trouvé intéressant de parler avec vous, et cela a été un plaisir d’écouter vos questions, parce qu’elles ont énormément d’importance.
Pour répondre à votre question sur la période de un an, je veux qu’une chose soit claire : c’est seulement la disposition pénale au paragraphe 1.1 de l’article 45 dont l’entrée en vigueur est retardée. Tout le reste entre en vigueur immédiatement, mais comme nous nous préoccupons de l’application future en droit pénal... c’est aussi ce qui a été fait la dernière fois avec la Loi sur la concurrence. En pratique, ce que cela veut dire, c’est que seules les ententes qui sont conclues un an après l’entrée en vigueur seront visées par la disposition. Pour le reste, tout s’applique immédiatement. Cela s’en vient, au cas où vous pensiez vraiment que nous avions manqué le train.
La sénatrice Marshall : Oui. Cela s’en vient. Le projet de loi va être adopté. Il est absolument impensable qu’il ne le soit pas. Voici ce que j’aimerais savoir : à quoi pouvons-nous nous attendre, à court terme? Je ne veux pas dire dans cinq ans, même si cela pourrait prendre autant de temps, compte tenu de l’extrême lenteur du gouvernement. Nous croyons que nous allons nous rendre à la deuxième phase. Nous n’allons pas atteindre la deuxième phase l’année prochaine, parce que ce n’est pas comme cela que bouge le gouvernement.
Mme Quaid : Pour répondre à votre question, madame la sénatrice, voici ce que je crois : le paragraphe 1.1 de l’article 45 ne sera pas appliqué du tout, parce que les procureurs vont se rendre compte à quel point c’est brouillon. Ils ne s’en approcheront pas à 10 mètres par crainte des contestations constitutionnelles, entre autres. Nous venons tout juste de laisser derrière nous les problèmes causés par l’ancien article 45, en 2009, quand enfin cette disposition complètement dysfonctionnelle a été corrigée. À présent, on rajoute une nouvelle couche d’incertitude.
J’ajouterais aussi que le nouvel article 45 n’a jamais été appliqué dans le cadre d’une affaire contestée et qu’il n’a donc jamais fait l’objet d’une interprétation. Nous sommes vraiment en territoire inconnu. Je m’attends à ce qu’il ne soit pas appliqué du tout, au grand dam de ceux qui s’attendent à ce qu’il le soit.
Je crois que les modifications relatives à l’indication de prix partiel vont peut-être aider le commissaire en ce qui concerne certaines des dispositions sur la publicité trompeuse. Je crois d’ailleurs qu’il faut se demander laquelle des deux voies est la bonne, entre les procédures civiles et les procédures pénales, parce que les deux sont possibles. Je crois que le bureau va devoir publier des lignes directrices à ce sujet, très rapidement.
En ce qui concerne les abus de position dominante, le bureau va devoir publier des directives très rapidement. Je ne sais pas à quel point les choses vont changer, mais je suis aussi sceptique que M. Dachis et M. Fay, parce qu’il s’agit de modifications superficielles qui créent de l’incertitude, et cela n’aide habituellement pas les décisions d’affaires.
Je crois qu’il y a peut-être un point, cependant, au sujet duquel ma perspective est un peu différente de la leur, c’est parce qu’il n’est vraiment pas clair, dans la littérature économique — celle des États-Unis, de l’Europe; parce que ces pays se penchent tous sur la question — ce qui encourage ou n’encourage pas l’innovation. Je pense que ce serait une erreur de dire que les cadres juridiques et les cadres de gouvernance nuisent à l’innovation. Je pense qu’il faut faire preuve de prudence lorsqu’on tient pour acquis que moins l’État intervient dans la société, plus il y a d’innovation. C’est une mise en garde que je ferais.
Le vice-président : Je parie que M. Fay aimerait réagir. J’ai vu sa main se lever. J’aimerais vous donner l’occasion d’intervenir, monsieur Fay.
M. Fay : Peut-être que mes commentaires ont mal été compris, parce que ce n’est pas ce que j’essayais de dire, madame Quaid. À dire vrai, c’est exactement d’une réglementation appropriée dont nous avons besoin pour que notre économie fonctionne. Je ne suis pas contre la réglementation, pas du tout. Je suis en faveur d’une réglementation appropriée, et je crois effectivement que les structures réglementaires qui sont en place présentement doivent être modernisées. Merci, madame la sénatrice.
Le sénateur Smith : Merci aux témoins. Entre autres choses, le projet de loi C-9 élargit les pouvoirs du Commissaire de la concurrence. Les problèmes qui continuent de surgir relativement au Tribunal de la concurrence tiennent au fait que le processus décisionnel est lent; son incapacité de rendre des décisions en temps opportun, dans un contexte économique qui évolue rapidement, mine les activités économiques et freine la croissance. Les témoins ont parlé plus tôt de nos résultats à l’échelle internationale. Je me demandais si vous pouviez élaborer ou poursuivre dans cette veine. Comment le Canada se compare-t-il, à l’étranger, par rapport aux pays similaires, qui ont des lois semblables en matière de concurrence? Y a-t-il des pays où le processus décisionnel est plus simple? Surtout, quelles leçons pouvons-nous retenir de ces gens ou de ces pays? S’il y a deux ou trois leçons que nous pouvons retenir de la situation internationale, qu’est-ce que l’on pourrait apprendre pour nous aider à améliorer notre situation?
M. Dachis : La première chose qui me vient à l’esprit, c’est qu’il existe, ici au Canada, un tribunal spécialisé en matière de concurrence. Si on regarde ce qui se fait aux États-Unis, les litiges en matière de concurrence sont traités très rapidement tout simplement par les tribunaux ordinaires, de la même façon qu’ils traitent des litiges compliqués, comme des revendications de brevet ou d’autres litiges commerciaux. Les tribunaux généraux seraient en mesure de s’occuper également des litiges en matière de concurrence.
Cela rejoint l’autre point que j’ai soulevé... même s’il y a des choses sur lesquelles beaucoup de gens s’entendent réellement, comme le besoin de donner un accès aux parties privées au tribunal pour abus de position dominante, cela va peut-être s’ajouter au système déjà lent du tribunal de la concurrence, qui est très restrictif. Encore une fois, je fais valoir la diversité des voix dans la jurisprudence. Le but d’un bon processus législatif, c’est de laisser différentes opinions s’affronter. Si tout passe par le Tribunal de la concurrence, cela ne crée pas une jurisprudence diversifiée.
S’il y avait davantage d’affaires d’abus de position dominante devant les tribunaux généraux, avec des points de vue diversifiés, nous aurions un processus plus rapide et plus diversifié qui nous permettra d’avoir, au bout du compte, une meilleure législation. L’Institut C.D. Howe a publié une brève note très exactement à ce sujet; je peux l’envoyer à la greffière après la réunion. Donc, cela met en relief l’importance de réfléchir aux amendements ici, dans le contexte général, au regard des autres choses dont nous avons besoin.
Le vice-président : Merci, monsieur Dachis.
Mme Quaid : Je suis d’accord avec M. Dachis pour dire que l’accès des parties privées n’est pas un remède miracle. Ce ne sont pas tous les litiges qui vont se prêter à l’accès des parties privées, et c’est pourquoi le rôle du commissaire sera toujours nécessaire. Cette sorte de sous-entendu voulant que cela va tout régler m’inquiète. Je crois effectivement que le tribunal représente une pièce du casse-tête, mais les gens n’en parlent pas.
Le tribunal est alourdi par sa structure et par ses lois, parce qu’on combine l’expertise avec un droit d’appel. Cela fait que ce tribunal est très vulnérable, compte tenu du droit administratif actuel, étant donné que les règles régissent quand les décisions peuvent faire l’objet d’un contrôle. En d’autres mots, on n’accorde pas énormément de déférence à l’égard des décisions du tribunal, même s’il s’agit d’un tribunal très spécialisé, et en conséquence, on ne tire pas énormément d’avantages du fait d’avoir un tribunal spécialisé, pas du tout.
Il y a un exemple de tribunal de la concurrence qui est efficace : la Commission de la concurrence et de la consommation de l’Australie, ou ACCC. Je crois qu’il y a place à un tribunal spécialisé et à un accès plus grand aux tribunaux ordinaires.
Ce qui arrive, par exemple, dans les affaires de publicité trompeuse et, bien sûr, dans les affaires criminelles, c’est qu’elles se retrouvent toutes devant les tribunaux ordinaires. Cela envoie un message à propos de la structure du tribunal. Ce n’est pas pour dénigrer les gens qui travaillent pour ce tribunal, mais il demeure qu’il a une structure très lourde, et que nous ne pouvons pas nous permettre que les décisions prennent si longtemps.
Le vice-président : Merci.
Monsieur Fay, aviez-vous un dernier commentaire à faire?
M. Fay : Oui, mais ce n’est pas sur le tribunal; ce n’est pas mon domaine d’expertise. J’aimerais revenir à l’un des points que votre collègue a soulevés. Comme beaucoup d’entre nous l’avons dit, les autres pays sont bien avancés dans leur processus de repenser la concurrence et les politiques en matière de concurrence. Nous pouvons apprendre de ce qu’ils font. Nous avons des exemples où ici au Canada, par exemple, le Canada a regardé ce qui se faisait en Australie relativement au code de négociation pour les médias d’information et a essayé de l’adapter au Canada.
En ce qui concerne les méfaits sur Internet, le processus n’a pas donné de résultats satisfaisants. Maintenant, le gouvernement démarre un nouveau processus, avec beaucoup plus de consultations, mais il semble s’orienter vers une approche prônant le devoir de diligence, comme l’a fait le Royaume-Uni. Nous pouvons tirer des leçons de ce que les autres pays ont fait pour essayer d’accélérer notre propre processus, pourvu que les consultations se poursuivent, pour veiller à ce que l’approche adoptée, peu importe laquelle, convienne aux Canadiens.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Fay.
Je vais poser une question à Me Mignardi. Je vous donne bien sûr la possibilité de parler de la section 10, mais je pense que le moment est tout à fait opportun pour que vous participiez à la discussion, étant donné que vous travaillez aussi pour la Banque Équitable et la Fiducie Équitable, une banque de type « Challenger », donc qui fait concurrence aux grandes institutions bancaires. Vous pouvez aborder ces questions du point de vue d’un nouvel arrivant dans un marché qui est dominé par de grandes institutions. Quelles sont vos réflexions sur la discussion, jusqu’ici?
Votre point de vue est important, certainement à mon avis. Je pense vraiment que ce serait à notre désavantage si nous ne pouvions pas vous écouter dans le cadre de cette discussion. Avez-vous des commentaires, maître Mignardi?
Me Mignardi : Absolument. Merci, monsieur le sénateur Deacon, de me donner cette occasion. D’autres témoins ont déjà pris la parole aujourd’hui, et je me ferais entièrement l’écho de ce qu’ils ont dit à propos du besoin de moderniser la loi. Les autres pays ont une longueur d’avance sur nous, et il y a énormément de choses que nous pouvons apprendre d’eux.
Il est important d’avoir une diversité de voix et de points de vue. L’innovation est importante, au même titre que les nouveaux arrivants, qui favorisent la concurrence. Mes opinions sont surtout axées sur le secteur des services financiers et sur notre expertise. Pour un nouvel arrivant dans le secteur des services financiers, la voie est semée d’embûches. Nous n’avons pas besoin d’insister sur le fait que les institutions financières sont hautement réglementées, et à juste titre, mais d’un point de vue pratique, il peut être très difficile pour les nouveaux arrivants et même pour les institutions existantes de parvenir à maturité dans ce domaine qui est si hautement réglementé. Il y a toutes sortes d’obstacles. Ce n’est pas une politique en matière de concurrence qui pourrait tous les abattre, et ce n’est pas ce qui devrait être fait non plus.
Il n’y a pas une seule approche réglementaire en particulier qui soit appropriée, comme l’a dit Mme Quaid. Nous voyons plus loin que les amendements ou les politiques qui sont purement techniques. Nous voyons d’autres moyens de peut-être encourager la concurrence, surtout dans le secteur des services financiers, et nous avons un certain nombre d’idées, certaines très générales à une extrémité, et d’autres un peu plus nuancées à l’autre. Je serai heureux de vous les expliquer en quatre minutes ou moins, si vous me le permettez, parce que je sais que le temps est limité.
Premièrement, pour n’importe quelle institution financière, sa survie dépend des dépôts. Sa priorité, c’est amasser des fonds. Bien sûr, il y a énormément de concurrence dans le domaine des services financiers pour amasser des fonds. Selon nous, un mécanisme qui pourrait vraiment aider à rendre les règles du jeu plus équitables serait d’augmenter les limites de dépôts assurés par la SADC, par exemple, pour les particuliers ainsi que pour les petites entreprises.
Une façon d’encourager la concurrence, c’est d’avoir des limites plus hautes, parce que l’avantage net est relativement plus élevé pour les nouveaux arrivants que pour les grandes institutions, étant donné qu’on pourrait dire — et même, nous l’affirmons — que les grandes institutions bien établies, en particulier celles désignées à titre de BISN ou de la TLAC, ont pour ainsi dire un bilan garanti. Cela leur donne un avantage sur les petites institutions au moment de constituer des réserves.
Si la situation pouvait être que les petites institutions peuvent avoir ou tirer parti de meilleures garanties de la SADC, le contexte serait alors plus propice pour amasser des fonds.
Dans le même ordre d’idées, j’aimerais souligner le fait que les petites entreprises ont un flux de trésorerie plus élevé par rapport aux particuliers, et elles s’en retrouveraient donc certainement avantagées si les limites étaient plus élevées. Cela pourrait, dans l’ensemble, accroître la stabilité des dépôts et améliorer la résilience du secteur. Nous croyons que c’est le genre de choses qui encouragent la concurrence.
J’aimerais aussi dire quelque chose, rapidement. Je ne suis bien sûr pas un expert en fiscalité, mais les membres de notre institution qui étudient cela de près m’ont dit que, selon leurs analyses, les grandes institutions du secteur financier paient en moyenne moins d’impôt que les petites et moyennes institutions. Elles font plus d’argent, mais semblent payer moins d’impôt. Cela donne clairement à penser que le coût du capital des grandes institutions est moins élevé. C’est un énorme avantage pour les gros intervenants, n’est-ce pas? Cela a des conséquences disproportionnées sur les petites institutions.
Le dernier point que je veux soulever — compte tenu du temps — est tout simple : hausser les limites des obligations sécurisées. Les obligations sécurisées peuvent être une excellente façon pour nos institutions d’amasser des fonds. Ici, actuellement, au Canada, la limite se situe à 5,5 % de la valeur totale de nos actifs. Nous croyons que cela est certainement beaucoup trop bas. Nous avons constaté que d’autres pays — l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Grèce, l’Italie, l’Allemagne, la Norvège — ont tous des limites plus élevées, et dans certains cas, beaucoup plus élevées qu’au Canada. Encore une fois, c’est un enjeu un peu plus technique, puisque c’est lié aux coûts de financement, mais offrir une limite plus élevée aux petites institutions leur donnerait une plus grande capacité d’accès à ce genre de fonds.
Il y a toutes sortes de bonnes raisons pour cela. Cela diminue le profil de risque global en permettant de diversifier les fonds et de réduire la dépendance envers la désignation BISN pour accéder à du financement.
En conclusion, la politique en matière de concurrence ne peut pas tout faire, et elle ne devrait pas essayer de tout faire non plus. Il y a certainement d’autres méthodes et d’autres options qui devraient être envisagées, du moins en ce qui concerne le continuum des services financiers.
Le vice-président : Merci beaucoup. Je crois que vous nous avez bien expliqué que la politique en matière de concurrence dépasse largement la Loi sur la concurrence. Au Canada, pour devenir une économie qui encourage la concurrence, il faut que cela soit appliqué dans pratiquement tous les textes de loi, à l’ensemble de notre économie. Nous avons certainement énormément de pain sur la planche. Merci de votre témoignage.
[Français]
Le sénateur Gignac : Lorsque j’ai posé la question à savoir si les provinces avaient été consultées lors d’une réunion précédente, ce n’était pas clair que le gouvernement avait fait des consultations. Cela dit, j’aimerais comprendre — prenons des cas de figure : la rareté de la main-d’œuvre va devenir un enjeu de plus en plus important pour les entreprises canadiennes. J’aimerais prendre l’exemple des travailleurs étrangers temporaires. Si des agriculteurs se regroupent pour convenir des conditions de travail qu’on va offrir pour attirer les travailleurs étrangers temporaires, surtout quand ce sont des emplois saisonniers — durant l’été , on a des exemples au Québec—, puisqu’il y a des frais, des coûts d’hébergement et beaucoup de conséquences lorsqu’on a besoin de travailleurs étrangers temporaires saisonniers, en particulier, est-ce qu’en vertu des changements qui sont proposés, ils pourraient être poursuivis?
Mme Quaid : Il y a certainement un risque. Ce que je ne comprends pas, monsieur le sénateur, c’est l’écart entre la reconnaissance de certaines formes de conventions entre employeurs dans une certaine industrie ou dans un secteur qui sont déterminés à l’article 4 et l’interdiction à l’article 45 proposé au paragraphe 1.1. Quelle est l’interaction entre ces deux dispositions?
Je suis d’accord avec vous, a priori, que cela peut sembler problématique. Il faut dire que c’est une des difficultés de la disposition telle qu’elle est rédigée; elle est très générale. Je pense que cela souligne le problème fondamental, je vais me répéter une dernière fois : quel est le problème auquel on veut s’attaquer? Est-ce que c’est vraiment que des employeurs peuvent convenir entre eux des conditions de travail ou y a-t-il autre chose derrière cela? Si c’est vraiment juste le fait de convenir des conditions de travail, je pense qu’on a un problème. Le cas précis que vous décrivez ne devrait pas être ciblé ou du moins devrait être susceptible d’être défendu ou justifié.
Le sénateur Gignac : Merci. Il n’y a pas juste les employés temporaires; je remarque qu’il y a de plus en plus de missions d’entreprises qui se regroupent dans différents secteurs pour aller en Europe ou même pour attirer des travailleurs étrangers au Canada. Dans certains cas, c’est pour des emplois temporaires saisonniers, mais dans d’autres cas, c’est pour des emplois permanents. Cependant, dans les petites entreprises — on peut penser au secteur forestier ou au secteur minier— c’est trop coûteux de faire des démarches et d’aller en France, par exemple. J’ai en tête beaucoup d’exemples d’entreprises qui vont même deux fois par année en France pour attirer des travailleurs.
Si ces entreprises se regroupent et offrent des conditions d’emploi semblables, parce qu’elles travaillent dans le même secteur, cela pourrait donner lieu à des poursuites, éventuellement. Si on a alors un problème de main-d’œuvre ou de rareté de main-d’œuvre et qu’on a de la difficulté à attirer — ou des entreprises se mettent ensemble pour attirer des travailleurs étrangers —, cela peut affecter la croissance de l’économie canadienne. Donc, à ma connaissance, quand j’ai posé la question, ce n’était pas clair que les provinces avaient été consultées.
Mme Quaid : Je ne peux pas parler pour le gouvernement, mais il me semble que non. Je suis surprise, honnêtement, monsieur le sénateur, que les provinces ne réagissent pas. Les circonstances que vous décriviez sont exactement le genre de choses qu’il faudrait développer au sein du droit du travail ou du droit de l’emploi. J’ajouterai une nuance à mon analyse, et c’est pour cela que c’est problématique, comme M. Dachis l’a souligné : il est possible que l’arrangement entre ces employeurs soit d’aller chercher de la main-d’œuvre, alors qu’il y a une rareté, et que cela constitue un accord entre eux et que subsidiairement, on fixe ou on s’entend sur les conditions de travail. On reconnaît une possibilité de défense, d’accord accessoire, donc le complot, si vous voulez, fait partie d’un accord plus large qui est justifié, alors ce serait possible. Le problème, vous le reconnaissez tout de suite, est qu’il y a une incertitude. Voilà la difficulté : les entreprises vont s’abstenir de prendre ce genre d’arrangement qui pourrait être bénéfique. J’ajouterai toutefois que je doute sérieusement que le service de poursuite intente des poursuites dans ce cas-là, parce que c’est ambigu.
Le sénateur Gignac : Merci. Ma préoccupation concerne surtout les régions éloignées, puisque dans les villes, l’enjeu est moindre. Pour attirer de la main-d’œuvre en région éloignée, hors des grands centres — et je pense que cela sera le cas partout au Canada, mais particulièrement au Québec, en raison des taux de chômage inférieurs à la moyenne canadienne — cela devient un enjeu. Il faut dire que la croissance démographique est beaucoup plus lente au Québec. Je vais tenter d’avoir des réponses à savoir si les provinces ont été consultées à cet effet. Je trouve qu’on va assez rapidement. Merci.
[Traduction]
Le vice-président : Merci, sénateur Gignac. Vous avez très bien souligné l’importance d’avoir des voix diversifiées lors du processus de consultation, et c’est important.
Monsieur Dachis, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Dachis : L’article 45 n’est pas le seul enjeu, en ce qui concerne la capacité d’interdire des ententes très anticoncurrentielles. Il y a aussi l’article 90.
Le gouvernement avait un choix. Il aurait pu choisir l’approche des poursuites au pénal pour régler la fixation des salaires, ou il aurait pu utiliser l’article 90. Il aurait pu mener des consultations sur ces deux options. L’article 90, par exemple, aurait donné un peu plus de marge de manœuvre au groupe en question, en disant que cela encourage la concurrence et que sans ce type d’entente, ce serait impossible d’embaucher ces gens, tandis que l’article 45 rend tout cela automatiquement illégal.
Il aurait été utile qu’on mène des consultations et qu’on discute des avantages et des inconvénients.
Le vice-président : Merci beaucoup. Nous allons commencer le deuxième tour.
Le sénateur Woo : Monsieur Dachis, madame Quaid et monsieur Fay, quelle est la différence entre la politique en matière de concurrence et la Loi sur la concurrence? Selon vous, quel est le but de la politique en matière de concurrence? Dans quelle mesure la Loi sur la concurrence devrait-elle soutenir la politique en matière de concurrence?
M. Dachis : Là, je vais vraiment être limité par les cinq minutes.
Le sénateur Woo : Mais cela touche certaines des différences d’opinions clés, et j’ai l’impression que nous avons tourné autour du pot à ce sujet.
M. Dachis : Je répondrai que ce n’est pas quelque chose dont nous pouvons débattre présentement, pas quand ce genre d’amendements est à l’étude. Nous avons peut-être deux ou trois semaines avant que le projet de loi soit adopté. Ce n’est pas le moment, maintenant, d’avoir cette discussion. Vous en discutez d’abord, et ensuite, les amendements législatifs sont élaborés, pas l’inverse. C’est un problème fondamental que nous avons aujourd’hui.
M. Fay : Je suis tout à fait d’accord avec ce que M. Dachis vient de dire.
Je suis non pas un expert juridique, mais un économiste. Pour moi, la politique en matière de concurrence, c’est très large. Je crois que la loi, c’est l’interprétation, selon un certain point de vue, des valeurs, comme l’a dit Mme Quaid. Mais la politique en matière de concurrence — et je crois que le sénateur Deacon l’a aussi mentionné —, ce n’est pas seulement la loi; c’est une foule d’autres choses qui contribuent au respect de la concurrence dans l’économie. Me Mignardi en a aussi parlé.
Il y a toutes sortes d’autres choses qui devraient être étudiées. Vous devez avoir une approche exhaustive, pour éviter les conséquences inattendues.
Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question, mais c’est un sujet très vaste.
Le vice-président : Nous avons entendu le même genre de réponse hier soir, sénateur Woo, de la part du représentant du Bureau de la concurrence, au sujet des politiques favorisant la concurrence.
Mme Quaid : Je vais être courageuse et afficher mes couleurs. Les autres se montrent prudents. Le moment n’est évidemment pas opportun pour cette discussion; cela aurait dû être fait plus tôt. Nous l’avons tous dit. Mais, à mon avis, la politique en matière de concurrence, présentement, vu le contexte économique et sociétal, doit recouper les autres valeurs qui sont importantes pour nous. Si je devais préciser une valeur fondamentale, je dirais que nous devons voir la politique en matière de concurrence comme une façon de contribuer à la prospérité globale des gens dans la société canadienne. Cela va plus loin que simplement le bien-être économique global, qui est habituellement la mesure de base que nous utilisons pour la politique en matière de concurrence telle qu’interprétée par la loi, qui, d’ailleurs, ne représente que l’opérationnalisation juridique de la politique.
Il y a certaines choses fondamentales dans la politique en matière de concurrence, des suppositions sous-entendues, qui doivent être réexaminées, et c’est pour cette raison qu’il est important de consulter tous les intervenants.
Le sénateur Woo : Merci de votre réponse claire et honnête. J’aimerais que les économistes répondent. Seriez-vous prêts à répondre?
M. Dachis : Oui. Je ne suis pas d’accord avec Mme Quaid quant au but de la concurrence. Ce n’est pas grave, mais il faudrait que nous puissions avoir cette discussion. Il s’agit de débats en profondeur, et il faut longtemps pour comprendre les conséquences, pour que le Parlement débatte et comprenne, avant qu’il adopte d’autres lois connexes.
M. Fay : Pourrais-je intervenir aussi?
Fondamentalement, pour donner suite à ce que Mme Quaid a dit, nous assistons à une détérioration de la confiance envers nos institutions. Nous l’avons constaté dans les attaques qui visent diverses institutions présentement. Peut-être que ce n’est pas mérité, en partie, mais je crois que les gens ne comprennent pas nécessairement le rôle de nos institutions et ne savent pas si — et c’est d’ailleurs un point que j’ai voulu soulever dans ma déclaration préliminaire — nos institutions remplissent les fonctions qui sont attendues d’elles.
On revient au processus de consultation, qui permet aux gens de comprendre ce que le Bureau de la concurrence fait réellement, par rapport aux autres organismes de réglementation, pour qu’on reconnaisse le fait que les institutions sont interreliées et qu’on mette en place des structures qui soient propices à cela. La confiance, c’est quelque chose qui me préoccupe beaucoup.
Le sénateur Woo : Merci d’avoir répondu à ma question.
Le sénateur Loffreda : Nous avons entendu, toute la soirée, des voix convaincues qui nous disent que nous ne sommes pas aussi avancés que nos pairs, nos pairs internationaux, en ce qui concerne la Loi sur la concurrence et que ces amendements ne nous permettront pas de combler l’écart.
J’aimerais savoir, si vous avez cette information, s’il y a plus de crimes ou d’infractions au Canada. Comment nous comparons-nous avec nos homologues et pairs internationaux? Est-ce qu’il y a, en conséquence, plus de criminalité au Canada, et à quel point est-il urgent, actuellement, de combler l’écart? Est-ce que la situation est pire qu’avant, présentement, en ce qui concerne la fixation des salaires, la divulgation incomplète des prix et l’abus de position dominante? Est-ce que cela arrive plus souvent? Ce serait intéressant de voir des statistiques par habitant pour nous comparer à nos pairs, puisque notre Loi sur la concurrence n’est pas à la hauteur.
Mme Quaid : Je vais répondre en premier, mais je serai brève. Vous devez faire une distinction entre ce que d’autres pays font concrètement pour élaborer leurs politiques et instruments et l’application de la loi sur le terrain. Le Canada a du retard en ce qui concerne l’élaboration des instruments et d’une nouvelle politique adaptée à l’ère numérique, mais, dans le passé, le Canada a toujours été moins sévère en ce qui concerne l’application de la loi. Cela tient au financement et à la capacité de l’organisme responsable. Cela tient aussi à la façon dont nos règles fonctionnent, pas seulement nos règles en matière de concurrence, mais aussi, comme je l’ai dit, nos règles en matière de droit pénal et en matière de procédure civile, qui ont aussi une incidence sur l’efficacité de l’application de la loi.
Je dirais que la fixation des salaires, c’est plus inhabituel. Les États-Unis ont des dispositions là-dessus, mais je ne crois pas qu’aucun autre pays n’en a. Nous n’avons pas de retard à ce chapitre. Beaucoup de pays n’ont aucune loi pénale en matière de concurrence. On s’entend pour dire que les cartels, c’est une mauvaise chose, mais l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, a été très claire quant au fait qu’il n’est pas nécessaire de les criminaliser; il faut simplement les traiter avec sérieux.
Au Canada, les dispositions relatives à l’abus de position dominante sont faiblement appliquées. En ce qui concerne l’application des dispositions relatives à la fusion, nous n’avons toujours pas ouvert cette boîte de Pandore. Je vais l’entrouvrir. Nous avons un processus d’examen des fusions différent, parce que nous avons un moyen de défense complet fondé sur l’efficience, qui peut essentiellement être utilisé comme un joker dans le contexte de l’examen sur les fusions, et aucun autre pays n’a quelque chose de comparable. L’application est faible, pour des raisons structurelles et financières, mais aussi parce que notre cadre législatif fait qu’il est difficile de porter ces litiges devant les tribunaux, même lorsque ce serait approprié.
M. Fay : Je vais répondre à la question du sénateur d’un tout autre angle. À mes yeux, le véritable coût est le bilan de productivité absolument médiocre de notre pays. C’est affreux, et ce l’est depuis longtemps.
Je ne vais pas jeter le blâme en entier sur la politique en matière de concurrence, mais je crois sincèrement que cette politique, ou l’absence de concurrence, est certainement l’une des raisons qui expliquent cela. C’est essentiellement une perte permanente pour tout le monde au Canada, et d’ailleurs, cela touche encore plus les groupes défavorisés.
Le sénateur Loffreda : Nous avons toujours besoin d’une solution à nos problèmes de production et de productivité, vous soulevez un bon point, un point convaincant, et je vous en remercie.
M. Dachis : Je vais aussi répondre en adoptant un tout autre angle. Je suis d’accord avec beaucoup de choses qui ont été dites. Un autre élément est que nous avons, ici au Canada, ce qu’on appelle la théorie de la conduite réglementée, qui permet aux provinces de protéger les conduites anticoncurrentielles en fonction de la profession, par exemple l’industrie laitière, ou beaucoup d’autres secteurs qui sont, d’emblée, anticoncurrentiels. Le secteur est protégé contre la Loi sur la concurrence, parce que les cours et les lois l’ont soustrait à son application.
Toutes ces questions relativement aux différences d’application, aux différences entre les pouvoirs des diverses organisations, aux budgets des organisations, à la structure institutionnelle, tout cela a une incidence sur notre capacité, par rapport aux autres pays, de découvrir les crimes ou les abus de position dominante.
Le vice-président : Merci beaucoup aux témoins. J’aimerais ajouter que la profondeur et la largeur de nos douves réglementaires, qui entourent certains secteurs, font qu’il est certainement très difficile pour les nouveaux arrivants de pénétrer dans ce secteur, à cause du coût élevé qu’il faut débourser pour gérer le fardeau administratif; et si on situe cela dans le contexte de ce que Me Mignardi nous a dit plus tôt, il y a aussi le fait que le nouvel arrivant essaie de construire une entreprise. Vous avez posé une question très importante, sénateur Loffreda.
Merci aux témoins.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je trouve que cette discussion est très intéressante et qu’elle mérite sans doute qu’on s’y penche d’une manière beaucoup plus approfondie, parce que les visions s’affrontent, surtout dans les derniers échanges au sujet de la productivité et la concurrence.
Je suis d’accord avec Mme Quaid, qui a peut-être des formules autres que la concurrence pour stimuler notre croissance économique, mais on n’entrera pas dans ce sujet.
Ma question n’en est pas nécessairement une. Toutefois, puisque le sénateur Wetston est présent et qu’il a beaucoup réfléchi à ces questions, est-ce qu’il serait approprié de connaître ses réactions au sujet de la discussion que nous avons eue? Si c’était approprié, j’aimerais l’entendre. Merci beaucoup.
[Traduction]
Le vice-président : Il m’en a parlé plus tôt, mais je ne l’ai pas divulgué publiquement. Je m’excuse, sénatrice Bellemare. Il voulait seulement assister à la réunion pour écouter, et je respecte entièrement son choix.
Le sénateur Wetston : Je suis prêt à formuler un ou deux commentaires.
Le vice-président : Merveilleux.
Le sénateur Wetston : Si je peux me le permettre, tout d’abord, je suis redevable à tous ceux qui participent à l’examen des changements que le gouvernement a proposés.
Je voudrais également dire que si vous avez eu l’occasion de lire les observations à la suite de la consultation avec Mme Quaid et M. Fay, ainsi que les énormes engagements de l’Institut C.D. Howe en ce qui concerne cet important domaine de la politique économique, j’ai dû limiter la durée de la consultation, car comme vous le savez tous, il serait impossible pour un sénateur de s’engager dans le genre de consultation que nous attendons du gouvernement.
Plutôt que de commenter spécifiquement ce que j’ai entendu aujourd’hui, je voudrais que vous sachiez que le commentaire que vous avez reçu a été soigneusement divisé en deux grandes catégories : dans la première, si je peux m’exprimer ainsi, le gouvernement a abordé un certain nombre de ces modifications, mais est allé plus loin que ce que j’avais proposé dans ces domaines.
La partie 2 proposait des domaines qui suscitaient énormément de controverses et de discussions, et j’ai indiqué qu’il était nécessaire de procéder à une consultation très large à ce sujet. Un certain nombre de ces domaines ont été commentés par les témoins présents aujourd’hui, et je suis reconnaissant d’avoir pu m’asseoir et écouter. J’ai décidé que je ne voulais pas participer en ne posant qu’une ou deux questions.
J’aimerais que vous compreniez que — et je vous remercie de m’avoir demandé de présenter quelques commentaires, sénatrice Bellemare — j’ai délibérément évité d’aborder les questions plus larges de procédure, de processus et de tribunal, parce que je pensais que ce serait trop à entreprendre dans la consultation que j’avais tenté d’entamer en septembre et octobre dernier. Il y a des questions importantes qui doivent être examinées. Les témoins ont fait un excellent travail en indiquant bon nombre d’entre elles. Ce genre de discussions est absolument nécessaire, car nous n’accordons pas assez d’attention à la politique de concurrence en tant que politique économique. C’est absolument capital afin de soutenir une économie de marché qui permettrait de réduire les disparités au sein de la société, qui encouragerait un comportement compétitif et qui créerait des débouchés pour plus de croissance et de productivité comme vous l’avez mentionné.
Mais lorsqu’on prend du recul et qu’on regarde ce que d’autres administrations ont fait, cela ne fait aucun doute : nous sommes en retard, et nous devons prendre les devants. C’est l’une des raisons pour lesquelles la deuxième partie du commentaire se concentre vraiment sur des domaines très controversés qui nécessitent davantage de consultations, notamment les répercussions de l’économie numérique, vu qu’au Canada, nous avons un problème de concentration des entreprises. Nous avons un problème d’oligopole. Nous avons des aspects de la politique de concurrence qui n’ont pas pu être autorisés en tant que politique économique pour faire progresser notre économie. Certains d’entre eux viennent d’être mentionnés : les agences de commercialisation, les barrières interprovinciales au commerce, etc.
Je pense que, tout compte fait, écouter les témoins et entendre ce qu’ils ont à dire à ce sujet ne fait que m’encourager à croire que si le gouvernement fédéral ne s’engage pas dans cette consultation sur la deuxième partie, alors j’encouragerai le Comité des banques et du commerce à s’en occuper et à mener une consultation plus large sur la réforme de la Loi sur la concurrence, car c’est absolument essentiel, et le moment est bien choisi pour le faire.
Merci de m’avoir demandé de présenter quelques commentaires.
Le vice-président : Merci beaucoup, sénateur Wetston. Tous ceux d’entre nous qui vous connaissent apprécient votre point de vue et vous remercient d’avoir lancé un débat dont nous avons désespérément besoin et d’avoir fait ces commentaires maintenant.
Le sénateur Wetston : Merci.
Le vice-président : Merci beaucoup, sénateur Wetston. Vous allez beaucoup nous manquer.
S’il y a d’autres commentaires finaux, merci de m’en faire part.
Le sénateur Yussuff : Nous parlons d’une institution qui, pour l’essentiel, est rarement reconnue pour ce qu’elle fait dans la société canadienne. Lorsqu’elle fait la une des journaux, elle est assez éloignée de la vie quotidienne des gens, de la façon dont ils vivent des fluctuations des prix et les défis auxquels ils sont exposés dans leur vie quotidienne.
Le Bureau de la concurrence fait les manchettes. Bien évidemment, il n’autorisera pas une fusion dans le secteur des télécommunications et cela fait la une des nouvelles nationales, en bonne partie. Mais que cela signifie-t-il pour les Canadiens ordinaires, dans un contexte plus large, qui n’est jamais débattu et où les gens pourraient comprendre à la fois son rôle et sa responsabilité?
Du point de vue du consommateur, étant donné que nous discutons de lacunes que les témoins ont soulevées, comment les Canadiens peuvent-ils mieux apprécier le rôle du Bureau de la concurrence dans leur vie quotidienne en reconnaissant qu’ils achètent des choses et qu’ils ont affaire au marché? Il s’agit d’une institution publique avec laquelle ils doivent avoir plus d’affinités en ce qui concerne ce qu’elle fait en leur nom au quotidien.
Le vice-président : Qui aimerait se lancer?
Mme Quaid : Je peux essayer. Je pense que c’est une question difficile, sénateur Yussuff, parce que le Bureau de la concurrence fait beaucoup d’efforts pour faire connaître ce qu’il fait par des communiqués de presse, des discours et ce genre de choses. D’une certaine manière, il y a tellement de bruit sur Internet et dans les différents moyens de communication que nous utilisons qu’il est difficile de rivaliser.
Je ne sais pas si c’est parce qu’ils n’essaient pas de faire connaître leur travail, mais peut-être que ce n’est pas la chose la plus excitante pour les gens, et il faut quelque chose comme une fusion des télécommunications — ce qui fait réagir les gens parce que les prix sont plus élevés que dans d’autres administrations — pour que les gens y prêtent attention.
Je pense que l’autre aspect de la question — et je ne ferai qu’un petit commentaire ici —, c’est que la Loi sur la concurrence a notamment pour objectif d’offrir des choix aux consommateurs et des prix concurrentiels, et que les dispositions relatives à la publicité trompeuse visent évidemment, en partie, à protéger les consommateurs bien qu’elles aient aussi pour but d’assurer un marché équitable pour les entreprises. Cependant, l’objectif premier de la Loi sur la concurrence n’est pas seulement la protection des consommateurs, et c’est un autre domaine qui est pris en charge par les provinces où il y a une coopération. Peut-être que la conversation plus large consiste à comprendre quels sont les avantages d’un marché concurrentiel pour les consommateurs dans l’ensemble, pas seulement en ce qui concerne le moment où ils achètent des choses ou un type de choses, mais quels sont les avantages plus importants, peut-être plus difficiles à voir, comme certaines des choses que M. Dachis a mentionnées comme les répercussions sur l’innovation commerciale, les répercussions sur la place du Canada dans le monde et la productivité. Peut-être qu’il s’agit davantage pour les consommateurs de comprendre qu’ils devraient se préoccuper de plus que des choses qui sont plus directement tangibles. Et c’est, je suppose, une question de communication.
Je ne sais pas si j’ai une autre suggestion.
Le vice-président : Monsieur Dachis ou monsieur Fay?
M. Dachis : Je dirais que nous avons besoin de plus de gens qui parlent de la politique de la concurrence avec la passion que nous avons vue, non seulement chez les témoins, mais aussi avec l’équivalent sénatorial du « Merci, bonsoir » que nous a servi le sénateur Wetston. Si plus de gens entendaient ce genre de passion et se rendaient compte de l’importance de cette politique, ils réaliseraient qu’il s’agit sans doute de l’une des politiques les plus importantes au Canada.
Encore une fois, nous avons une dette énorme envers le sénateur Wetston. Nous sommes ici, je dirais, en raison des efforts déployés par le sénateur Wetston.
Le vice-président : Assurément.
M. Dachis : Ce genre de travail, qui consiste à soulever la question, est maintenant devant le comité parlementaire ou le comité permanent, qui en parle également. Le problème est maintenant connu. Plus de conversations de ce genre et plus de consultations permettront d’attirer l’attention sur ce sujet. Nous devons simplement continuer dans cette voie.
Merci, sénateur Wetston.
Le vice-président : Monsieur Fay, je pense que vous allez avoir le dernier mot.
M. Fay : Cela n’arrive presque jamais.
Le vice-président : Profitez-en bien.
M. Fay : En fait, comme d’autres, le rapport du sénateur Wetston m’a vraiment incité à le faire; c’est inscrit à mon programme de travail depuis quelques années maintenant, et puis le rapport est sorti et je me suis dit : « C’est génial, je dois faire quelque chose. »
Cela peut sembler un peu égocentrique, mais le Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale a lancé une série d’événements publics sur la politique de concurrence. Le 26 mai 2022, nous tiendrons notre premier événement et nous sommes reconnaissants que le commissaire ait accepté d’être le premier orateur. Il s’agit en fait de savoir pourquoi la politique de concurrence est importante. Il s’agit d’essayer de sensibiliser un public plus large à l’importance de cette question et à la manière dont elle influe sur la vie quotidienne.
Il est difficile de faire évoluer les choses, car la politique de concurrence s’attaque à des intérêts particuliers, et ceux-ci se battent avec acharnement. Nous devons nous assurer que les gens comprennent le rôle de la politique de concurrence dans leur vie quotidienne et tout au long de la chaîne.
Nous commençons une série d’ateliers. Le premier portera sur ce sujet. Le deuxième portera sur ce qui se passe dans le monde et sur les leçons que nous pouvons tirer du Canada. Puis le troisième apportera plus de précision sur les choses que le Canada peut apprendre. Nous essayons de faire notre part, comme le font d’autres organisations.
Le sénateur Yussuff : Évidemment, nous n’avons pas abordé ce sujet; c’est un peu plus complexe. Il y a tout cet aspect du développement du Canada et du développement régional en ce qui a trait à la politique de concurrence. Bien sûr, c’est un énorme défi compte tenu de la compétence provinciale. En réalité, l’autre côté de la médaille, c’est l’emploi et les pertes d’emploi, et les gouvernements provinciaux sont parfois très réservés quant à la façon dont une politique de concurrence particulière pourrait affecter leur région et, fait plus important encore, comment elle pourrait affecter l’emploi dans cette région.
Je sais que nous n’allons pas aborder cette question ce soir, mais je sais qu’elle a occupé une place importante dans les débats sur certains aspects des fusions et, dans l’hypothèse où elles se concrétiseraient, sur les répercussions qu’elles auraient sur les pertes d’emplois et le développement régional.
Comme nous le savons, notre pays est une confédération où la compréhension qu’ont les parties de l’intérêt général du pays est assez vague, et chacun protège les besoins de ses sphères de compétence. C’est un énorme défi qui caractérise le débat dans notre pays. Nous devons comprendre comment nous positionnons cette question parce que parfois elle n’est pas perçue clairement ici, à Ottawa. Mais elle est clairement visible si vous vivez dans une région où chacun connaît ses intérêts personnels et veut qu’ils soient protégés. Merci beaucoup.
Le vice-président : Merci à nos témoins et merci à vous, chers collègues. La conversation a été très importante.
Je veux revenir sur le titre du budget : Un plan pour faire croître notre économie et rendre la vie plus abordable. La discussion de ce soir porte sur les avantages pour les consommateurs, en particulier les consommateurs marginalisés. Il s’agit de stimuler l’innovation dans notre économie grâce aux nouveaux venus — et nous en avons entendu un ce soir, ce qui était très important — et de pousser les entreprises en place à investir davantage dans l’innovation et à rendre les marchés plus équitables. Le thème du budget est au cœur du titre, mais il y a encore tellement de travail à faire. Les préoccupations qui ont été soulevées ce soir sont vraiment importantes.
Je tiens à remercier tous mes collègues, les interprètes, qui ont travaillé dur pour ne pas perdre le fil, le personnel présent dans la salle et notre greffière, Mme Waltos. Je veux remercier nos analystes qui vont nous aider à élaborer une observation cohérente. Merci à tous. Nous sommes arrivés à la fin.
Madame Waltos, nous avons pu faire atterrir cet avion juste avant que les lumières s’éteignent. Merci de votre aide pour ce qui est de la gestion des témoins.
(La séance est levée.)