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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 29 septembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général, tel que précisé à l’article 12-7(8) du Règlement.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente du comité. Je vais maintenant présenter les autres membres du comité. Nous avons les sénateurs Deacon, Bellemare, Gignac, Loffreda, Massicotte, Ringuette, Smith, Marwah, qui est ici aujourd’hui pour représenter le sénateur Woo, et le sénateur Yussuff.

Pour bien entamer et poursuivre cette discussion sur l’état de l’économie canadienne et l’inflation, je vais demander aux sénateurs de poser des questions aussi pertinentes et concises que possible, car nous avons beaucoup de pain sur la planche.

Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir Trevor Tombe, professeur d’économie à l’Université de Calgary. Il vient tout juste de publier un rapport, en septembre 2022, intitulé The Rise (And Fall?) of Inflation in Canada: A Detailed Analysis of Its post-pandemic Experience.

Monsieur Tombe, veuillez commencer par quelques remarques liminaires. Merci.

Trevor Tombe, professeur d’économie, University of Calgary, à titre personnel : Merci, sénatrice Wallin. Je remercie le comité de m’avoir donné l’occasion de comparaître aujourd’hui.

Comme je l’ai dit, ma déclaration préliminaire portera essentiellement sur la hausse récente de l’inflation, mais je serai heureux de répondre plus tard à des questions plus générales sur l’économie canadienne.

Je vais commencer par là où nous en sommes aujourd’hui. Le taux d’inflation au Canada a atteint un sommet de 8,1 % en juin, en forte hausse par rapport à 3,1 % un an plus tôt. C’est le taux d’inflation le plus élevé depuis le début des années 1980, comme on le sait, mais surtout, c’est l’accélération la plus rapide depuis le début des années 1950. Il y a longtemps que nous n’avons pas vécu une telle expérience inflationniste.

Ce taux a quelque peu diminué récemment, passant à 7 % en août, mais il demeure nettement supérieur à l’objectif du Canada, qui est de 1 à 3 % par année. Les Canadiens et leurs décideurs ont donc raison de s’inquiéter.

La plupart des commentaires et des débats publics sur ce sujet manquent d’une compréhension claire et nuancée des facteurs qui expliquent ces taux élevés. C’est ce que ma collègue de l’Université de Calgary, la professeure Yu Chen, et moi-même avons essayé de faire dans le document que le comité a maintenant en main, je crois.

Je dois dire d’emblée qu’il s’agit d’un document de travail qui n’a pas encore fait l’objet d’un examen par les pairs. Je vous invite donc à examiner ces résultats préliminaires et à les réviser, même si je les trouve parfaitement fiables pour ma part. Je suis donc heureux d’en parler avec vous aujourd’hui.

Sans entrer dans les détails, il est possible de décomposer les changements dans le taux d’inflation global en biens et services précis qui sont inclus. Un élément en particulier, l’énergie, est de loin le plus important contributeur. Pensons au sommet d’inflation de 8,1 % en juin. En 2019, le même mois de juin affichait un taux de 2 %. La hausse des prix de l’énergie explique près de la moitié de cet écart, soit près de 3 points de pourcentage. Ajoutez à cela la hausse des coûts d’habitation et, en particulier, une mesure d’un élément hors caisse qui tient compte de la dépréciation des propriétés, qui augmente et diminue mécaniquement avec le prix des maisons neuves. Nous constatons que ces deux facteurs à eux seuls expliquent les deux tiers de la montée en flèche de l’inflation.

Pour être clair, cela ne veut pas dire que les prix des autres biens et services n’augmentent pas. Près de 80 % des articles de l’Indice des prix à la consommation, l’IPC, affichent maintenant des augmentations annuelles de prix de plus de 3 %, et 60 % des augmentations de plus de 5 %. Mais la hausse des prix de l’énergie pourrait aussi expliquer cela, ne serait-ce qu’en partie.

Dans le document, nous précisons que jusqu’à 60 % de l’inflation dans le secteur non énergétique au cours des derniers mois est attribuable à des éléments qui, historiquement, sont sensibles aux prix du pétrole. C’est-à-dire qu’ils fluctuent en fonction des coûts de l’énergie, comme l’épicerie, les vols, les repas au restaurant et plus encore.

De plus, nous décrivons également dans le document les facteurs sous-jacents qui entraînent les augmentations de prix en faisant la distinction entre les facteurs liés à la demande et ceux liés à l’offre. On peut penser que les augmentations de prix dictées par la demande sont associées à des augmentations des prix et des quantités consommées par les particuliers et que celles qui sont dictées par l’offre font en sorte que les quantités diminuent à mesure que les prix augmentent. Nous constatons qu’au cours de la dernière année, ou pour l’année se terminant au deuxième trimestre de cette année, les trois quarts de la hausse de l’inflation sont attribuables à l’offre et environ 15 % à la demande.

Ces résultats donnent à penser que les politiques qui stimulent la demande, comme les politiques budgétaires ou monétaires expansionnistes, ne sont peut-être pas le facteur critique qui entraîne la hausse rapide des taux d’inflation aujourd’hui.

Il me reste quelques minutes, alors je vais conclure sur un point critique, mais sous-estimé, à savoir que les taux d’inflation sont des comparaisons d’une année à l’autre. Il faut donc du temps pour constater de nouvelles évolutions. Les épisodes passés d’augmentation des prix à court terme persisteront également dans le taux directeur, même après que les pressions sous-jacentes sur les prix se seront dissipées.

En août, par exemple, j’estime que 5,5 points de pourcentage du taux d’inflation global de 7 % sont attribuables aux augmentations de prix survenues entre janvier et mai de cette année. Au cours des derniers mois, les augmentations de prix n’ont pas dépassé notre objectif d’inflation faible et stable.

Au cours des trois derniers mois, par exemple, le taux d’inflation annualisé était de 2,9 % selon les données désaisonnalisées et de 1,9 % selon les données brutes. Si l’inflation mensuelle demeure conforme à notre objectif de 1 à 3 %, il faudra encore attendre jusqu’en mai de l’an prochain pour que le taux global tombe sous la barre des 3 %. Et ce taux global demeure à 6 % jusqu’en janvier. Bien qu’il soit trop tôt pour le savoir avec certitude, il se peut que la période de taux d’inflation exceptionnellement élevés soit déjà derrière nous. Les données ne le laissent pas nécessairement entendre, mais c’est une possibilité.

Je vais conclure en soulignant que ces perspectives relativement optimistes s’accompagnent d’un certain risque si les particuliers et les entreprises s’attendent de plus en plus à une inflation persistante. Cela peut avoir une incidence sur les comportements liés aux salaires et à l’établissement des prix qui, au bout du compte, créent l’inflation qui était prévue au départ. Une communication claire des décideurs, des banquiers centraux et des dirigeants politiques de toutes allégeances pourrait contribuer à faire en sorte que les attentes à long terme ne s’éloignent pas trop de notre objectif de 2 %.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de comparaître et je ne demande qu’à en parler plus longuement avec vous.

La présidente : Merci, monsieur Tombe. J’aimerais commencer par une observation générale, parce que vous venez de dire que l’énergie est de loin la principale source d’inflation. Nous avions également un rapport de la Banque du Canada rédigé par son bureau du budget, selon lequel les taxes sur le carbone pourraient ralentir la croissance économique pendant des décennies.

Si vous combinez ces deux éléments, cela crée des inquiétudes.

M. Tombe : Il y a certainement des coûts économiques associés à toute mesure de lutte contre les changements climatiques, y compris les taxes sur le carbone. Les estimations varient, mais je pense que le consensus serait conforme au rapport dont vous parlez, à savoir que l’augmentation de la taxe sur le carbone d’ici 2030 pourrait réduire d’environ 0,1 % par année la croissance à peu près, et que cela s’accumule au fil du temps, alors il s’agit d’un coût économique important. C’est une question distincte de l’inflation en général, puisqu’il s’agit d’un phénomène qui fait graduellement grimper les prix globaux du carburant. Cela a un effet sur l’inflation, mais c’est modeste.

La présidente : Merci de nous avoir brossé ce tableau.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur Tombe, de votre temps et de vos observations claires.

J’aimerais m’en tenir aux éléments sur lesquels nous avons un peu plus de contrôle que sur le prix mondial du pétrole.

L’un d’entre eux a été soulevé par l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, David Dodge. Il nous a parlé de l’offre limitée que nous connaissons dans un certain nombre de secteurs en raison du vieillissement de la population et de la réduction de la main-d’œuvre, des pressions entourant la décarbonisation et la déglobalisation ou la récupération des industries qui sont allées s’installer ailleurs. Parmi tous les éléments que vous avez mentionnés, ce ne sont en fait qu’un tout petit pourcentage de l’effet global de l’inflation.

Que pensez-vous de ce genre de facteurs? Il a indiqué que nous avons besoin de beaucoup plus d’investissements dans les technologies qui nous permettront d’améliorer la productivité de la main-d’œuvre pour compenser les facteurs qui limitent l’offre dans divers secteurs. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Tombe : Oui. Je vais mentionner certains résultats que ma collègue et moi avons trouvés et qui figurent dans le document.

Lorsque j’ai mentionné que les chocs de l’offre étaient un des facteurs à l’origine des récentes hausses de l’inflation au Canada, l’énergie et le carburant en constituaient une grande partie, mais nous avons aussi constaté que les facteurs importants qui ont contribué à l’inflation liée à l’offre comprenaient des choses, comme les nouveaux véhicules, les pièces de véhicules et les appareils électroménagers, qui sont dans de nombreuses régions, importés d’ailleurs ou soumis à des perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale, en Chine en particulier, lorsqu’il s’agit d’électroménagers. Il s’agissait également de facteurs clés du côté de l’offre.

Il convient de penser à des chaînes d’approvisionnement plus résilientes. Je sais que les entreprises mondiales accordent la priorité à ces efforts et que les gouvernements peuvent le faire. Mais ce sont des mesures à plus long terme qui, si elles ont des répercussions sur la productivité du Canada, ont beaucoup d’importance pour notre niveau de vie global, mais il n’y a pas vraiment d’outils disponibles pour relever les défis à court terme de la hausse des taux d’inflation.

Les problèmes de productivité du Canada sont des problèmes de longue date pour notre pays, surtout par rapport aux États-Unis, et l’écart entre la croissance de notre productivité au cours des dernières décennies et la leur est important. Pour régler ce problème, il y a beaucoup d’options différentes.

Je vous mettrais toutefois en garde contre la délocalisation des industries, comme vous l’avez dit, ou la déglobalisation comme moyen de stimuler la productivité. En marge, cela a tendance à nuire à la productivité. Il vaut peut-être la peine d’assumer ce coût économique pour parvenir à une plus grande stabilité, surtout dans des domaines critiques comme les fournitures médicales ou la technologie et la production de vaccins.

Le sénateur C. Deacon : Pour être clair — et je ne l’ai pas été —, il a dit que c’était l’une des pressions qui s’exerçaient sur l’offre par opposition à une partie de la solution.

Merci beaucoup. La croissance de la productivité est un défi de taille et est principalement liée à nos très faibles niveaux d’investissement des entreprises à bien des égards, pourrait-on dire. Avez-vous des commentaires à faire sur les façons d’améliorer l’investissement des entreprises au pays, qui est à la traîne depuis des générations?

M. Tombe : Le retard des investissements des entreprises au cours des dernières années est également attribuable au secteur pétrolier et gazier qui connaît une forte baisse des investissements, surtout en Alberta. Cela est attribuable à la faiblesse des prix du pétrole à l’échelle mondiale par rapport aux niveaux d’avant 2015 et 2016. C’est toutefois une réponse optimale à la baisse des prix mondiaux du pétrole.

Quand je pense à la productivité, je pense moins aux moyens de stimuler l’investissement qu’aux moyens d’améliorer l’efficacité économique au Canada. Je sais que le comité s’est penché par le passé sur des questions que les décideurs peuvent examiner, notamment l’amélioration du commerce interprovincial. C’est un domaine où j’ai fait beaucoup de recherches et qui peut contribuer de façon mesurable et importante à la faible productivité dans l’ensemble du Canada.

L’amélioration de la capacité de produire et de vendre au-delà des frontières provinciales peut accroître la productivité et avoir un effet sur les niveaux d’investissement des entreprises.

Le sénateur C. Deacon : Merci.

Le sénateur Smith : Le récent rapport du directeur parlementaire du budget sur la viabilité financière parlait du vieillissement de la population et de l’augmentation du nombre de personnes qui prennent leur retraite. Dans votre document, vous faites remarquer que c’était plus préoccupant que les démissions massives qui se sont produites pendant la pandémie.

Une façon de contrer cela serait d’augmenter l’immigration. Je me demande si vous pourriez nous dire si c’est un objectif réaliste compte tenu de l’incapacité de certains pays à faire entrer des gens chez nous. Pourriez-vous nous parler des défis liés à l’immigration et nous dire s’il s’agit d’une occasion réaliste pour nous ou si nous devrions envisager une solution qui ressemblerait davantage à une tentative de déréglementer et de simplifier les formalités pour que les gens puissent travailler dans notre pays.

M. Tombe : Je vous remercie de la question, sénateur. C’est un point très important.

La démographie est de loin le plus grand défi que les gouvernements du Canada auront à relever au cours des deux prochaines décennies. Elle a des répercussions sur la croissance économique, selon les dernières projections démographiques de Statistique Canada. La diminution de la participation au marché du travail à mesure que les gens approchent de l’âge de la retraite réduira peut-être de 0,3 % la croissance économique annuelle d’ici au début des années 2040. C’est important, car ce taux s’accumule au fil du temps.

Ajoutons à cela les pressions qui s’exercent sur les systèmes de santé provinciaux, qui sont énormes sur le plan financier. Aucun gouvernement provincial n’est encore prêt à faire face à cette pression financière croissante.

Ces projections que Statistique Canada et d’autres produisent et qui constituent le fondement des rapports du directeur parlementaire du budget sur la soutenabilité de la dette ou de mon propre travail comprennent des tendances historiquement normales de migration, à la fois entre les provinces et à l’échelle internationale. Notre population vieillissante n’est donc pas entièrement prise en compte par l’immigration, car la tendance au vieillissement de la population fait partie des projections, même avec des niveaux d’immigration historiquement normaux.

La question de savoir si nous devrions augmenter ces niveaux s’accompagne de compromis importants sur lesquels je n’ai pas l’expertise nécessaire pour me prononcer. Je tiens à souligner que les projections démographiques tiennent compte du vieillissement de la population, même quand il s’agit de migration internationale.

Le sénateur Smith : Y a-t-il une occasion pour nous d’encourager les gens qui ont pris leur retraite à revenir tout simplement, comme les professionnels de la santé, entre autres? Il semble y avoir une possibilité, mais est-ce une possibilité réelle qui pourrait être quantifiable et qui pourrait profiter à notre pays?

M. Tombe : L’augmentation des taux de participation au marché du travail chez les personnes plus âgées est quelque chose que nous voyons déjà dans les données des dernières années. Les progrès technologiques ou les changements dans la nature du travail pourraient faciliter d’autres augmentations dans les années à venir, et ce serait un moyen important pour qu’une population vieillissante ne nuise pas autant à la croissance économique que certaines de nos projections de référence le laissent entendre.

Le sénateur Smith : Merci.

Le sénateur Loffreda : Merci d’être ici, monsieur Tombe.

J’aimerais approfondir un peu la question des investissements des entreprises, qui est très importante. Le sénateur Deacon en a parlé. Félicitations pour votre recherche.

Je regardais une autre recherche. Le sondage de Modus Research mené auprès de 600 entreprises a révélé que près de la moitié d’entre elles ont l’intention de réduire leurs investissements dans de nouveaux équipements, 35 % prévoient de réduire leurs dépenses en recherche et développement et 70 % affirment que cela les incitera à réduire leurs coûts.

Comment compareriez-vous cette période inflationniste à d’autres que nous avons connues par le passé? Craignez-vous que la croissance de la capacité et de la productivité, dont le Canada a tant besoin, soit grandement touchée à long terme et que l’économie fonctionne au ralenti?

Dans le cadre de vos recherches, y a-t-il d’autres politiques que vous pourriez nous communiquer pour aider à atténuer ce risque? Comme nous le savons tous, ce n’est pas seulement une question d’offre et de demande, mais y a-t-il des politiques qui peuvent inciter nos entreprises à continuer d’investir?

M. Tombe : C’est une question importante. Cela dit, je ferais une distinction entre l’investissement des entreprises et la productivité et l’inflation. L’une d’elles est une considération à long terme très importante sur laquelle les décideurs devraient absolument se concentrer, alors que les pressions inflationnistes que nous observons sont en fait dictées par des facteurs externes à court terme et qui sont à mon avis liés à l’offre, en particulier les prix de l’énergie.

L’investissement est potentiellement lié aux taux d’inflation élevés sur le marché immobilier, par exemple. J’ai mentionné que les coûts d’habitation et les coûts de remplacement des propriétés, en particulier, sont le deuxième facteur qui contribue le plus à la hausse des taux d’inflation au Canada. Il se peut fort bien que nous n’ayons pas vu l’augmentation rapide du prix des maisons si nous avions eu des politiques plus souples aux niveaux local et provincial qui se seraient traduites par une offre accrue de logements. C’est un type d’investissement qui pourrait avoir une incidence directe sur les tendances de l’inflation que nous observons actuellement.

Pour ce qui est de la façon d’accroître la productivité à l’avenir, de l’accroître à long terme, je regarde les mesures que prennent les gouvernements qui nuisent à l’efficacité économique, des mesures qui augmentent les coûts pour les entreprises. Comme je l’ai dit tout à l’heure, la possibilité de mener des activités au-delà des frontières provinciales est un domaine critique où, à mon avis, le Canada n’est pas à la hauteur et devrait faire davantage de progrès sur les questions liées à la libéralisation du commerce intérieur. C’est quelque chose qui aurait un effet sur la productivité.

Quant à stimuler la recherche et le développement, je n’ai pas l’expertise nécessaire pour me prononcer sur les politiques qui pourraient y être propices, mais il y a beaucoup de façons dont les politiques gouvernementales peuvent améliorer la productivité. Nous ne devrions pas considérer cela comme étant lié aux pressions à court terme de l’inflation.

Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur Tombe. Hier, lors de la réunion précédente, nous avions une question concernant le dollar canadien et son incidence sur l’inflation. Le dollar canadien est passé de 1,25 à 1,37, ou si vous préférez, de 80 à 72 ¢.

Je m’interroge sur l’incidence de la faiblesse du dollar canadien sur l’Indice des prix à la consommation, l’IPC. Avez‑vous une règle générale? Je comprends votre optimisme à l’égard du fait qu’au cours des derniers mois, l’IPC semble avoir décéléré, mais en même temps, nous voyons le dollar canadien se déprécier, et peut-être que l’impact se fera sentir au cours des prochains mois. Avez-vous une règle générale pour calculer l’incidence de la dépréciation de 5 % du dollar canadien sur l’inflation?

M. Tombe : Je n’ai pas de règle générale à ce sujet, mais vous avez raison de dire que le taux de change peut influer sur l’inflation parce qu’il influe sur le prix pour les acheteurs canadiens de biens importés de l’étranger.

Aujourd’hui, le principal moyen par lequel le taux de change influera sur l’inflation est son effet sur les prix de l’énergie libellés en dollars canadiens. Les prix de l’essence sont plus élevés qu’ils ne le seraient au Canada si notre taux de change avait fluctué avec les prix du pétrole comme c’était le cas par le passé, peut-être 20 % de moins. Cela aurait un effet direct sur l’inflation.

Pour ce qui est de la façon dont les prix mondiaux du pétrole influent sur l’inflation, une bonne règle générale est qu’une variation de 10 $ le baril est associée à une variation de 0,3 ou 0,4 point de pourcentage du taux global d’inflation global. Cette variation du prix du pétrole peut être attribuable à l’évolution mondiale ou au changement du taux de change du Canada.

Le sénateur Gignac : Si vous me le permettez, cela touche aussi beaucoup de marchandises que nous importons de la Floride, comme les oranges. Cela touche aussi la composante alimentaire et d’autres composantes, comme le transport à partir des États-Unis. Nous importons beaucoup de choses des États-Unis. J’essaie simplement de comprendre votre optimisme à l’égard de la forte décélération de l’inflation au cours des prochains mois.

M. Tombe : Mon optimisme vient des deux grands facteurs de l’accélération des taux d’inflation au Canada : les prix de l’énergie et les coûts du logement. Ceux-ci ont déjà commencé à se dissiper de leurs sommets de juin. Les prix du pétrole sont maintenant nettement inférieurs à leur sommet de juin, soit environ un tiers de moins. Les prix de l’immobilier diminuent également dans de nombreux marchés au Canada.

Les principaux facteurs d’inflation ont déjà commencé à s’atténuer, et au cours des trois derniers mois, nous avons observé des taux relativement normaux d’augmentation des prix d’un mois à l’autre. Il faudra simplement du temps pour que cela se manifeste pleinement dans le taux d’inflation global, car nous devons attendre que les augmentations de prix de janvier à mai diminuent.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Monsieur Tombe, ma question concerne l’aspect concerté de la politique monétaire et fiscale. Vous nous avez dit que les trois quarts de l’inflation proviennent — et d’autres le disent aussi — des effets de l’offre. Comme vous l’avez souligné, la politique monétaire de hausse des taux d’intérêt joue sur la demande. En baissant la demande, c’est sûr que la pression sur les prix baisse, même quand cela vient de l’offre. Toutefois, on ne répond pas à la question fondamentale de la cause de l’inflation, qui est peut-être temporaire.

Dans ce contexte, ne croyez-vous pas que l’utilisation de la politique monétaire, qui aurait un effet à court terme sur la demande, peut aussi avoir des effets négatifs à long terme sur l’offre par rapport aux investissements, par exemple? Ne croyez‑vous pas qu’une meilleure façon d’intervenir serait au moyen de la politique fiscale, soit en jouant sur les taxes, soit en compensant les Canadiens pour la période temporaire? Cela ne créera pas d’effets à long terme, comme ceux de la politique monétaire. Toutefois, en agissant ainsi, les provinces ont plus de pouvoir sur la politique fiscale et le gouvernement fédéral a plus de pouvoir sur la politique monétaire. Donc, c’est comme une invitation à l’ensemble de nos gouvernements à participer de concert à la lutte contre l’inflation.

Ne croyez-vous pas qu’il devrait y avoir davantage de concertation entre les gouvernements?

[Traduction]

M. Tombe : Je vous remercie de la question, sénatrice. Vous avez raison de dire que les gouvernements disposent de nombreux outils stratégiques pour influer sur l’activité économique globale, comme l’inflation, les prix et la croissance, et ainsi de suite.

À mon avis, la Banque du Canada a le mandat clair d’atteindre un taux d’inflation se situant entre 1 et 3 %, et elle n’a à sa disposition que cet outil général d’assouplissement ou de resserrement de la politique monétaire en modifiant les taux d’intérêt. Il est tout à fait approprié que la banque réagisse comme elle l’a fait, même si les facteurs sous-jacents de l’inflation sont liés à l’offre. La hausse des taux ne réglera pas en soi les problèmes d’offre qui entraînent des taux d’inflation élevés. Elle fera baisser la demande globale, mais cela a pour effet de faire baisser les prix.

Il s’agit d’une approche plus coûteuse pour réduire l’inflation que si l’inflation était dictée par la demande, mais c’est le seul outil à la disposition de la Banque du Canada et, historiquement, elle a incroyablement bien réussi à atteindre l’inflation prescrite de 1 à 3 %.

Il n’est pas nécessairement vrai non plus que la hausse des taux nuira à l’investissement des entreprises, car d’autres facteurs jouent également contre cet investissement, en particulier les niveaux élevés d’incertitude économique, qui sont certainement élevés aujourd’hui tout comme pendant la pandémie pour de nombreuses raisons. Il suffit que les mesures de politique monétaire que nous voyons nous aident à accélérer le retour à des conditions économiques plus normales et à des taux d’inflation prévisibles pour stimuler les investissements des entreprises, et ce, même si, sauf imprévu, une hausse des taux d’intérêt à la marge ferait baisser les niveaux d’investissement. Dans la mesure où cela nous aide à atteindre une croissance économique plus prévisible, plus stable et plus durable, cela pourrait être positif.

La présidente : Merci.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie d’être parmi nous ce matin. Nous vous en sommes très reconnaissants. J’ai deux questions. Elles sont plutôt techniques, mais j’ai besoin de mieux comprendre le problème.

Lorsque David Dodge était avec nous il y a deux semaines, nous avons soulevé la question de l’immigration comme étant une solution à la pénurie de main-d’œuvre. Pour nous, c’est évident, mais il nous a mis en garde. Il hésitait. Ce que j’ai lu de sa réponse, c’est que tout cela est très bien. Vous parlez de l’immigration comme d’une solution, mais il y a des coûts, et certains immigrants pourraient ne pas être productifs pendant peut-être 10 à 20 ans. Il pourrait s’agir d’enfants ou de proches non productifs. Il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles notre pays accepte certains immigrants. Ce n’est pas nécessairement pour des motifs de productivité, mais pour la commodité de la famille, par exemple. J’aimerais bien que vous nous expliquiez ce que nous oublions d’autre. Pourquoi cette hésitation, puisque pour moi c’était si évident?

La deuxième question : j’ai eu une rencontre il y a une semaine avec la présidente de McDonald’s Canada. Pour une raison qui m’échappe, elle a dit qu’il y avait une grave pénurie de main-d’œuvre, mais surtout au Québec, où il leur a fallu couper d’autres articles du menu pour pouvoir introduire le nouveau produit MacPoulet. Pourquoi est-ce seulement au Québec? Je sais que le Québec a une population moyenne plus âgée. Mais pourquoi le Québec plus que les autres? Si vous pouviez expliquer davantage la complexité de l’immigration, pourquoi ce n’est pas toujours facile et productif, je l’apprécierais.

M. Tombe : Je vous remercie de la question, sénateur. Malheureusement, je vais devoir refuser de répondre à ces deux questions. Je n’ai pas suffisamment d’expertise en politique d’immigration pour analyser les facteurs qui feraient que les nouveaux immigrants auraient au départ des niveaux de productivité plus faibles. On peut supposer qu’il existe de nombreuses réponses programmatiques que les gouvernements peuvent envisager pour mieux intégrer les nouveaux immigrants au marché du travail. Il y a certainement des facteurs qui peuvent être liés à la reconnaissance des titres de compétence étrangers qui permettent aux nouveaux immigrants de servir dans les secteurs et les professions où ils sont les mieux qualifiés pour le faire. Mais comme je ne suis pas un expert en la matière, je ne pourrais pas vous en dire beaucoup à ce sujet.

En ce qui concerne les défis potentiels pour les employeurs sur le plan du recrutement et la raison pour laquelle c’est plus élevé au Québec, je n’ai pas beaucoup de renseignements à vous communiquer à ce sujet. De plus, je ne savais pas qu’il s’agissait d’une question propre au Québec, alors c’est intéressant à entendre. Mais j’ai peur de ne pas être très utile.

Le sénateur Massicotte : Merci.

La présidente : Merci. Nous l’apprécions tout autant quand nos témoins avouent que ce n’est pas leur domaine et décident de ne pas intervenir. C’est très gentil de votre part.

Le sénateur Marwah : Merci, monsieur Tombe, de vos commentaires. C’était très instructif. J’aimerais maintenant parler de l’inflation et peut-être poursuivre sur la lancée de la question de la sénatrice Bellemare. Étant donné que vos recherches ont montré que les causes de l’inflation se situent aux deux tiers entre l’énergie et le logement, maintenant que nous le savons, pouvez-vous nous parler des mesures de politique budgétaire ou monétaire que le gouvernement peut prendre pour faire face à l’inflation de façon très ciblée plutôt que d’opter pour une hausse générale des taux d’intérêt?

M. Tombe : La Banque du Canada est limitée dans les outils dont elle dispose. Elle poursuivra donc une politique monétaire plus serrée pour faire baisser la demande globale, pour ramener le taux d’inflation à son niveau cible. Le gouvernement fédéral, par ses pouvoirs de dépenser et de taxer, a beaucoup plus d’outils à sa disposition. Étant donné que l’augmentation des prix de l’énergie est une cause particulièrement importante de la hausse des taux d’inflation, les gouvernements réagissent notamment en offrant un soutien aux personnes qui sont particulièrement touchées par cette hausse des prix, en particulier les personnes à faible revenu.

Donc, lorsque le gouvernement fédéral augmente le crédit pour la taxe sur les produits et services, comme il l’a annoncé récemment, je pense que c’est une réponse appropriée. Nous constatons également que les gouvernements provinciaux fournissent des transferts de fonds par divers moyens, soit des crédits d’impôt remboursables, soit des remboursements en Alberta sur les factures d’électricité ou les transferts de fonds. Je crois qu’en Colombie-Britannique, c’est par l’entremise de l’ICBC.

Les transferts en espèces pour soutenir les particuliers sont, à mon avis, un moyen approprié d’aider les particuliers à gérer les pressions découlant de la hausse de l’inflation, en grande partie en raison de facteurs externes qui échappent au contrôle des décideurs nationaux.

En ce qui concerne les coûts de logement et la hausse du prix des logements, je pense que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle à cet égard. Mais la responsabilité de veiller à ce que l’offre de logements augmente de façon appropriée en fonction de la demande est en fait une question locale et provinciale que nous commençons à voir les gouvernements prendre un peu plus au sérieux, même s’il reste encore beaucoup de travail à faire sur ce front.

Je ferai remarquer que la hausse des taux d’intérêt a un effet direct important sur l’investissement résidentiel, ce qui est potentiellement préoccupant, étant donné que nous voulons augmenter le montant des investissements dans ce domaine.

La sénatrice Ringuette : Ma question porte sur la façon dont nous nous comparons aux autres pays. Les données récentes de l’OCDE, d’août 2022, montrent que l’inflation au Japon est de 3 %, en Suisse d’environ 3,7 %, en Israël de 4,7 %, et ainsi de suite. Nous sommes à 7 %. Pourquoi l’inflation au Japon est-elle inférieure à la nôtre à ce point? Et la Suisse et Israël. Ce sont des pays qui se situent à une échelle géographique et géopolitique différente. J’essaie de comprendre ce qu’ils font pour que l’inflation soit aussi faible qu’au Canada.

M. Tombe : C’est une question importante, sénatrice. Merci. Je signale que le taux d’inflation global moyen dans l’ensemble des économies de l’OCDE était de 10,3 % en août. Le Canada affiche donc un taux global inférieur à la moyenne. Il y a certainement des pays, comme vous le savez, qui ont des taux beaucoup plus bas, le Japon en particulier. Mais le Japon est aux prises depuis des décennies avec un taux d’inflation très bas — et, dans certaines périodes, avec une déflation — que son gouvernement a vraiment essayé d’augmenter. Encore aujourd’hui, c’est une des rares banques centrales à avoir adopté des politiques monétaires plus expansionnistes alors que les autres se resserrent.

Les facteurs qui ont amené le Japon à avoir un taux d’inflation inférieur à celui du Canada sont une question importante qui est à l’origine de beaucoup de recherches qui n’ont pas de réponse simple ou rapide, j’en ai bien peur. Mais toutes les économies avancées connaissent actuellement une hausse des taux d’inflation, même si ces taux ont commencé à des niveaux différents. Ces augmentations sont en fait attribuables à des facteurs liés au prix du pétrole, ici et ailleurs.

La sénatrice Ringuette : La livre sterling est en baisse. Il semble qu’il y ait un début de spéculation sur les devises sur la scène mondiale. Si cela se produisait à plus grande échelle, quel serait l’impact sur l’inflation au Canada, à votre avis?

M. Tombe : De façon générale, lorsque la valeur de la devise d’un pays chute par rapport à celle d’un autre pays, les prix intérieurs augmentent parce que le coût des articles importés est alors plus élevé. Vous avez raison de dire que la livre sterling est à la baisse, mais la plupart des devises sont à la baisse par rapport au dollar américain. Au cours de la dernière année environ, le dollar canadien a chuté; le dollar australien; l’euro est plus faible. Le yen japonais, comme nous l’avons mentionné, est également beaucoup plus bas qu’il y a un an. Je pense qu’il a baissé d’environ 20 % par rapport à l’année dernière.

Cela aura pour effet, à la marge, d’accroître les pressions inflationnistes dans ces économies, car les biens importés se retrouveront à des prix plus élevés, simplement mécaniquement, en raison de la valeur plus faible de ces devises.

Le sénateur Yussuff : Monsieur Tombe, je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Compte tenu de la recherche très détaillée que vous avez produite sur les moteurs de l’inflation qui frappe l’énergie et le logement, je trouve que l’instrument utilisé par les banques pour lutter contre l’inflation est très brutal. Les banques appliquent évidemment le seul instrument dont elles disposent, soit la hausse du taux d’intérêt qui se répercute sur l’ensemble de l’économie, sans vraiment cibler le secteur qui doit l’être. Il va sans dire qu’avec des taux d’intérêt plus élevés, le défi sera de trouver le moyen de continuer à construire des logements si le marché estime que le moment n’est pas propice à l’investissement dans la construction de nouveaux logements.

Vous avez déjà fait allusion à des outils que le gouvernement pourrait utiliser. Pourriez-vous nous expliquer comment nous pouvons nous attaquer à ce problème, sans pour autant plonger l’économie dans une récession, compte tenu du zèle dont font preuve les banques pour ramener le taux d’inflation à 2 ou 3 % dans un très court laps de temps?

M. Tombe : C’est une question très importante, sénateur. Les experts en matière de politique de logement seraient mieux en mesure de se prononcer sur les mesures que peuvent prendre les gouvernements pour stimuler l’investissement dans le logement afin d’accroître l’offre et faire baisser les prix.

Il importe de souligner que ce problème ne touche pas l’ensemble du pays. En matière de logement, les pressions exercées sur les différents marchés varient. À Calgary et Edmonton, le coût du logement demeure très abordable et représente environ le tiers du revenu nécessaire pour s’offrir des maisons à prix médians ici. C’est à Vancouver, Victoria et Toronto que les problèmes d’abordabilité sont particulièrement prononcés. Par exemple, les administrations municipales pourraient se doter de politiques de zonage restrictives qui préviennent l’augmentation de l’offre de logements dans ces marchés particuliers.

Le gouvernement fédéral pourrait avoir un rôle à jouer en offrant des incitatifs financiers aux autorités locales ou provinciales afin qu’elles adoptent des politiques qui renforcent notre capacité à élargir l’offre de logements. Je pense toutefois que le gouvernement fédéral peut difficilement le faire étant donné que cette responsabilité est vraiment du ressort municipal et provincial.

La présidente : Merci beaucoup. Si vous le permettez, monsieur Tombe, j’aimerais revenir à la question soulevée par le sénateur Massicotte, mais sous un autre angle. Vous avez aussi rédigé un article intitulé « Canada’s not-so-Great Resignation: It’s retirements we should really be worried about ».

Vous dites que, dans une certaine mesure, le nombre de travailleurs qui quittent un emploi pour un autre ou pour retourner aux études — les raisons sont nombreuses — n’est pas beaucoup plus élevé qu’avant la pandémie. Nous commençons toutefois à comprendre qu’il s’agit surtout de personnes qui sont très insatisfaites de leur emploi. Il semble que ce soit la principale raison. Quelles sont vos conclusions à ce sujet?

M. Tombe : C’est une question importante, sénatrice. Je vais faire une parenthèse pour vous signaler que les États-Unis — qui influent sur une bonne partie de nos scénarios ou nos impressions des facteurs sous-jacents, même ici au Canada — connaissent un taux élevé de démissions, ce qui donne l’impression que l’augmentation est beaucoup plus forte dans le groupe de personnes qui quittent leur emploi là-bas.

Au Canada, près de 1 % des travailleurs quittent leur emploi au cours d’un mois donné. La moitié d’entre eux changent d’emploi, et donc d’employeur, et les autres démissionnent pour d’autres raisons, par exemple, pour retourner aux études ou prendre leur retraite.

Au cours de la dernière année, le pourcentage de personnes qui ont quitté leur emploi parce qu’elles étaient insatisfaites était d’environ 0,7 %, comparativement à environ 0,8 % avant la pandémie. En fait, nous avons constaté une légère diminution du nombre de personnes qui quittent leur emploi parce qu’elles en sont insatisfaites. Avant la crise financière, près de 1,2 % des travailleurs démissionnaient pour cette raison.

Ce qui est particulièrement préoccupant dans la hausse du pourcentage de personnes qui quittent leur emploi, c’est le nombre de départs à la retraite. Au cours de la dernière année, près de 1,5 % des travailleurs ont pris leur retraite. Ce pourcentage dépasse largement le 1 % qui prévalait il y a 10 ans et il continuera d’augmenter avec le vieillissement de la population.

La présidente : Nous approfondirons cette question plus tard quand nous reviendrons sur les propos du sénateur Massicotte.

Le sénateur C. Deacon : Monsieur Tombe, je vous remercie à nouveau. Vos commentaires nous éclairent beaucoup.

Nous avons entendu dire que la lente sortie des mesures de soutien liées à la COVID mises en place par les gouvernements provinciaux et fédéral, qui sont en général perçues comme étant positives, pourrait avoir contribué à l’inflation, bien que modestement. Est-ce que cela ressort dans vos données?

Que pensez-vous des mesures récemment mises en place par le gouvernement fédéral, qui sont plus ciblées comme vous l’avez fait remarquer, ainsi que celles, plus générales, prises par les provinces pour apporter un peu de soutien à tout le monde? À votre avis, ces deux trains de mesures ont-ils eu une incidence distincte sur l’inflation?

Je vous demande donc, premièrement, si vos données indiquent que la lente interruption de ces mesures de soutien a contribué à l’inflation. Et deuxièmement, s’il y a une différence entre les mesures de soutien visant la population en général et celles qui ciblent des groupes en particulier.

M. Tombe : Je vous remercie pour ces deux excellentes questions, sénateur. En ce qui concerne les mesures de soutien du revenu que les gouvernements ont mises en place durant la pandémie de COVID, elles pourraient avoir pour effet d’augmenter la demande de biens et services et, par conséquent, de créer une pression inflationniste.

C’est un peu ce qui ressort de notre analyse. La hausse de l’inflation n’est pas entièrement attribuable à l’offre. Au cours de la dernière année, près de 15 % de l’accélération était attribuable à des facteurs liés à la demande. Avant les derniers trimestres, c’est-à-dire à la fin de 2020 et au début de 2021, c’est la demande qui a été la principale source d’inflation. Il est probable que les mesures de relance budgétaire — le soutien du revenu offert à des particuliers, qui en ont peut-être profité pour acheter plus de biens et de services qu’ils en auraient achetés autrement — ont joué un rôle important pour faire grimper l’inflation dès le début. L’accélération observée au cours de la dernière année est en grande partie attribuable à l’offre.

Il est difficile de faire une nette distinction entre l’offre et la demande parce que les deux sont interreliées. Prenons l’exemple des personnes qui utilisent le soutien du revenu pour acheter plus de biens et de services qu’elles en auraient achetés autrement, notamment des biens matériels au moment où nous avons délaissé les services. Ce facteur a peut-être conduit à l’engorgement des ports, par exemple, et provoqué les goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement. L’offre et la demande sont interreliées.

Tout cela influe sur les mesures mises en place, soit les transferts d’argent directement aux particuliers — comme vous l’avez fait remarquer, certains gouvernements provinciaux le font aussi — ou les mesures plus ciblées prises par le gouvernement fédéral. Leur incidence sur l’inflation dépendra de ce que feront les prestataires avec cet argent.

Au niveau fédéral, le crédit pour TPS bonifié, par exemple, ira aux personnes à faible revenu, les plus durement touchées par les hausses de prix. Prenons l’exemple des ménages canadiens dont le revenu annuel moyen est inférieur à 30 000 $ qui accumulent des dettes parce que leur consommation excède leur revenu. Dans la mesure où la hausse des prix signifie que la dette accumulée est supérieure à ce qu’elle aurait dû être, il est plausible de penser que les transferts monétaires bonifiés ne seront pas dépensés pour des biens et des services supplémentaires, mais qu’ils serviront simplement à réduire les dettes des ménages. En fait, leur dette est transférée au gouvernement fédéral. À mon avis, c’est une façon de leur offrir un soutien, sans créer de pressions inflationnistes importantes.

Un soutien à plus grande échelle pourrait avoir, en raison simplement de sa portée élargie, un effet macroéconomique plus important. Comme ce sont les prix mondiaux du pétrole qui sont les principaux moteurs de l’inflation, les mesures prises par les gouvernements fédéral et provinciaux importent peu en réalité. Nous n’allons pas avoir d’incidence sur les prix du pétrole. Je pense qu’il n’y a pas lieu de s’en préoccuper outre mesure.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie.

Le sénateur Gignac : La Chine a adhéré à l’OMC en 2001. Au cours des 20 années suivantes jusqu’à la pandémie, nous avons observé une déflation de la composante biens et une augmentation de la composante services. Dans l’ensemble, l’écart était de 2 %. Je pense que la Banque centrale n’avait pas trop de soucis à se faire.

Aujourd’hui, avec la pandémie, sans parler de la guerre froide ni des jeux politiques entre les États-Unis et la Chine, j’ai l’impression que la priorité des entreprises n’est plus de minimiser les coûts, mais d’éviter les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. La gestion des chaînes d’approvisionnement est maintenant la priorité absolue.

Ne pensez-vous pas qu’il sera beaucoup plus difficile pour les banques centrales de ramener l’inflation à 2 %? Cela a-t-il une incidence sur l’estimation du taux d’intérêt neutre de banque centrale, ce nouveau contexte de gestion des chaînes d’approvisionnement?

M. Tombe : Je vous remercie pour cette question, sénateur. Il est difficile d’y répondre. Je vais d’abord commencer par le taux neutre, c’est-à-dire le taux d’escompte permettant d’assurer une croissance économique durable et une inflation dans la fourchette cible de 1 à 3 %. Les estimations varient. La Banque du Canada a sa propre fourchette d’estimations, qui varie entre 2,5 et 3 % à peu près. Que signifie ce taux et comment est-il influencé par la conjoncture économique mondiale? Les experts cherchent à répondre à cette importante question et la banque met constamment à jour ses propres estimations de ce taux neutre. J’ai peut-être mal compris la question, mais vous vouliez savoir si je pense qu’il y a...

Le sénateur Gignac : Je vous demandais si vous pensiez que nous sommes en train de changer de régime. Avant la pandémie, on ne parlait que de mondialisation et de réduction des coûts, et nous n’avions aucune inquiétude même si notre fournisseur se trouvait en Chine. Ce n’est toutefois plus le cas aujourd’hui, depuis que la pandémie nous a appris que la Chine pouvait fermer ses frontières en appliquant une politique zéro COVID, sans parler de la guerre froide et la possibilité que les livraisons des semi-conducteurs produits en Chine s’interrompent du jour au lendemain ou je ne sais quand. Dorénavant, nous n’y aurons plus accès si la Chine décide d’en bloquer l’accès.

J’ai l’impression que la réduction des coûts n’est plus une préoccupation des conseils d’administration. La priorité maintenant, c’est de vous assurer que votre fournisseur est fiable. Il est de plus en plus question d’internalisation que d’externalisation. Comprenez-vous mieux l’angle de ma question? Si la réduction des coûts n’est plus la priorité absolue des entreprises, soyons honnêtes, cela se répercutera sur les consommateurs.

La présidente : Acheminer les biens à destination, peu importe le prix.

M. Tombe : Je pense encore que les entreprises se gèrent de manière à maximiser la valeur actionnariale. Les gestionnaires ont une responsabilité fiduciaire à cet égard. Miminiser les coûts est une façon d’y arriver. Je ne dirais pas que l’importance accrue placée sur la perturbation potentielle des chaînes d’approvisionnement mondiales s’écarte de l’objectif de réduction des coûts, parce que ces perturbations sont en soi une source de coûts. Comment gérer les productions multinationales et les chaînes d’approvisionnement longues et complexes? Je pense que ce changement s’est amorcé avant même la pandémie. En pourcentage du PIB, je crois que le commerce mondial est en déclin depuis 2010, à en juger par les perturbations dans les relations économiques mondiales, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, les transitions politiques comme le Brexit, au Royaume-Uni, l’aversion apparente à conclure de nouveaux accords commerciaux que nous observons, non seulement aux États-Unis, mais dans plusieurs pays, et même les défis que le Canada a dû relever pour que l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne ou AECG, soit finalement conclu avec l’Europe.

Nous sommes peut-être actuellement dans une période de démondialisation, amorcée depuis des années. Cela veut dire que le commerce mondial aura moins d’importance qu’avant pour l’activité économique mondiale. Je considère que les réactions des entreprises individuelles, en accordant éventuellement plus d’importance à la résilience des chaînes d’approvisionnement, ne représentent pas un changement fondamental dans la façon dont les entreprises se gèrent elles-mêmes. Nous reconnaissons simplement que les risques réels et importants qui planent sur la production multinationale sont plus élevés que par le passé.

La présidente : Merci.

La sénatrice Bellemare : Je vais revenir sur la question de la sénatrice Ringuette concernant les perspectives internationales. Dans la zone euro, par exemple, la Banque centrale européenne est responsable de l’inflation. Si nous examinons les taux d’inflation par pays, nous constatons qu’ils varient grandement d’un pays à l’autre dans cette zone. En France, par exemple, il est bas. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il en est ainsi?

M. Tombe : Il est vrai qu’en Europe, les taux d’inflation varient d’un pays à l’autre parce que les chocs économiques sous-jacents qui frappent ces pays ne sont pas les mêmes. Les prix peuvent augmenter dans une région et diminuer dans une autre en fonction de ces chocs. Nous le constatons également ici au Canada. Les taux d’inflation varient d’une province à l’autre et l’écart est parfois important. Je pense aux hausses de prix survenues en Alberta avant la récession de 2015 et de 2016. Ces taux sont liés à une activité économique en plein essor générée par les prix élevés du pétrole. D’autres économies peuvent subir des chocs négatifs qui auront tendance à faire baisser les prix.

Plus les économies sont interconnectées, plus les fluctuations de prix de l’une à l’autre seront équilibrées. Si deux pays européens ont plus d’échanges commerciaux que deux autres pays, il y aura une plus forte corrélation entre les fluctuations de prix des deux économies les plus étroitement interreliées qu’entre les deux autres. Les flux commerciaux influent sur la manière dont les chocs qui frappent une économie s’infiltrent et se transmettent à l’autre. En principe, en raison des coûts des échanges et de la mobilité de la main-d’œuvre, nous ne devons pas nous attendre à ce que les prix fluctuent tout à fait également à l’intérieur de la nouvelle économie.

Le sénateur Smith : Professeur, vous avez parlé de la productivité et des problèmes de réglementation. Dans un récent article, vous avez laissé entendre que les gouvernements provinciaux et territoriaux devraient adhérer au principe de la reconnaissance réciproque. Pouvez-vous élaborer votre pensée et nous donner des précisions sur la définition exacte de la reconnaissance réciproque?

M. Tombe : Je vous remercie pour cette question, sénateur. Il s’agit en effet d’un nouvel article publié la semaine dernière par l’Institut Macdonald-Laurier portant sur les approches stratégiques visant à accroître le commerce interprovincial. Ce ne sont pas les taxes ciblées ou les droits sur les biens et services échangés qui influent sur le coût du commerce, ce sont plutôt les différences entre les règles et règlements appliqués d’une province à l’autre qui gonflent les coûts des entreprises qui tentent de faire des affaires ou de vendre dans deux provinces. Il peut y avoir des différences dans les exigences d’inspection ou de certification de certaines professions.

Je pense que la reconnaissance réciproque peut être un outil stratégique très puissant pour une province. Si quelque chose est bon en Ontario, ce devrait aussi l’être en Alberta. Les provinces ne devraient pas exiger de certifications distinctes ni imposer leurs propres règles. Si les provinces le souhaitent, je pense qu’il y aurait moyen d’éliminer la plupart des obstacles politiques au commerce interprovincial. Dans cet article, nous disons que si toutes les provinces le faisaient dans tous les secteurs, les gains économiques pourraient être considérables et représenter une hausse de 4 à 8 % de la productivité globale au Canada, ce qui est beaucoup, soit de l’ordre de 200 milliards de dollars par année en activité économique supplémentaire.

La présidente : Oui. Le comité n’a cessé de le répéter. Merci d’insister là-dessus.

Le sénateur Yussuff : Concernant les salaires et le niveau d’inflation, quels arguments avanceriez-vous ou comment expliqueriez-vous la hausse des salaires actuelle et, bien entendu, le défi que nous devons relever pour essayer de juguler l’inflation?

M. Tombe : La main-d’œuvre est l’élément le plus important dans la production de la plupart des biens et services de l’économie. La fluctuation des salaires est donc un facteur important de la variation des coûts de production et, par conséquent, de la fluctuation potentielle des prix. C’est une source d’inquiétude pour les banques centrales d’ici et d’ailleurs. Si les gens anticipent une forte inflation, ils demanderont des hausses salariales, ce qui augmentera les coûts de production et conduira aux augmentations de prix que les gens anticipaient au départ.

Nous voulons éviter l’escalade des salaires et des prix. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas hausser les salaires au‑delà de la cible d’inflation de 2 % que nous nous sommes fixée, mais ils doivent augmenter ou diminuer pour des raisons essentielles liées soit à la productivité du travail, soit à l’offre et la demande de travailleurs dans divers secteurs exigeants différents niveaux de compétences. Cependant, les hausses salariales dictées par l’anticipation d’une forte inflation posent un gros risque.

La présidente : Très bien. Je suis désolée, mais je vais devoir vous interrompre. Je vous remercie, monsieur Tombe, je vous remercie. En votre nom, nous déposerons auprès du comité votre rapport The Rise (And Fall?) of Inflation in Canada. Nous transmettrons également vos commentaires concernant la Grande Démission ainsi que votre rapport publié par l’Institut Macdonald-Laurier. Quel en est le titre?

M. Tombe : Il s’intitule Liberalizing internal trade through mutual recognition: A legal and economic analysis.

La présidente : D’accord. C’est ce que nous ferons. Je vous remercie.

Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir notre deuxième témoin, M. Jim Stanford, économiste et directeur du Centre for Future Work.

Monsieur Stanford, vous pouvez prononcer votre allocution préliminaire.

Jim Stanford, économiste et directeur du Centre for Future Work : Je vous remercie, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous suis très reconnaissant de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. J’apprécie toujours les efforts déployés par le Sénat pour faire un examen plus réfléchi et non partisan des grands défis stratégiques auxquels fait face notre pays. C’est une approche on ne peut plus indiquée et nécessaire dans le contexte macroéconomique actuel.

Je vais être direct. Je pense que nous vivons une période très fragile et dangereuse de l’histoire économique du Canada. Les preuves s’accumulent démontrant que nous sommes sur le point de connaître un ralentissement économique important, potentiellement long et néfaste. Il s’est peut-être déjà amorcé au troisième trimestre de cette année.

Cette trajectoire négative est d’autant plus décevante qu’elle se produit dans la foulée de ce qui est, à mon avis, l’une des interventions politiques les plus réussies de l’histoire de la politique économique, je veux parler de la mission de sauvetage macroéconomique lancée au début de la pandémie de COVID en 2020 et 2021. Essentiellement, nous transformons une victoire en défaite. Après une réponse stratégique audacieuse couronnée de succès, nous sommes sur le point de tout gâcher en nous engageant dans une récession inutile que nous avons nous‑mêmes provoquée.

Certains des facteurs ayant conduit à cette dangereuse situation sont clairement hors de notre contrôle et sont le résultat de la conjoncture mondiale, comme la guerre en Ukraine et les événements sans précédent survenus cette semaine au Royaume‑Uni. Dans une large mesure, toutefois, nous nous sommes nous‑mêmes engagés dans cette trajectoire macroéconomique, vers ce point de vulnérabilité. C’est le résultat prévisible et évitable, à mon avis, de l’application inappropriée d’une politique monétaire simpliste à une situation inédite, à savoir la pandémie mondiale.

Le repli économique causé par l’imposition de restrictions sanitaires durant les premiers mois de la pandémie a été le ralentissement le plus rapide et le plus marqué du PIB et de l’emploi au Canada. Toutefois, les interventions budgétaires et monétaires du gouvernement canadien et de la plupart des gouvernements étrangers ont empêché que ce choc se transforme en récession durable ou plus probablement en dépression.

Croyez-moi, si nous étions entrés en dépression, nous ne nous inquiéterions pas de l’inflation aujourd’hui. À cet égard, nous devons mettre les choses en contexte.

Après les premiers confinements, la production et l’emploi ont réagi plus rapidement que n’auraient pu le prévoir la plupart des économistes, y compris moi-même. C’est grâce au pouvoir d’achat qu’ont procuré les mesures extraordinaires de soutien du revenu, à la stabilité des relations d’emploi qui a été renforcée par le programme de subventions salariales et, surtout, aux mesures de santé publique relativement efficaces prises par le Canada pour circonscrire la contagion, la maladie et les décès. Parmi les pays du G7, il s’agit du deuxième meilleur résultat mesuré en fonction de la surmortalité par habitant.

Puisque l’économie repose, je vous le rappelle, sur des êtres humains qui se lèvent le matin pour aller travailler, produire, générer des revenus et payer des impôts, la condition première de la réussite économique est de préserver la santé de ces êtres humains. L’idée selon laquelle il a fallu faire une sorte de compromis entre la protection de l’économie et la protection de la santé a toujours été archifausse. Le retour rapide du Canada aux niveaux d’emploi et de production prépandémiques est un exploit que nous ne devons pas oublier et qui sera scruté par les économistes durant des décennies.

Nous entendons souvent dire que les décideurs canadiens ont exagéré cette intervention stratégique, cet effort de sauvetage. Par exemple, le revenu total des ménages au Canada a augmenté durant la pandémie. Cela a de quoi étonner parce que les nouvelles mesures de soutien du revenu ont plus que compensé la perte de revenu d’emploi à ce moment-là. Je rejette l’argument voulant que cela ait été une erreur. Les interventions entreprises et la trajectoire subséquente du PIB et des revenus, tels que mesurés avant les impôts et les subventions, sont interdépendantes. Ces interventions expliquent à elles seules pourquoi l’économie a rebondi plus rapidement que prévu et pourquoi les revenus, avant ces subventions, ont été plus résilients que prévu.

Il en va de même pour les arguments selon lesquels la Banque du Canada est allée trop loin avec ses mesures de relance monétaire. L’économie a été beaucoup plus forte que prévu au début de la pandémie et il ne s’agit pas d’une erreur des prévisionnistes. C’est le résultat des mesures de sauvetage. Cela n’est pas que la Banque du Canada ne pouvait pas prévoir la reprise du PIB, de l’emploi et des dépenses. C’est vrai qu’elle n’a pas pu. Personne n’avait de boule de cristal pour prédire ce qui s’est passé durant la pandémie. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que les mesures prises par la banque, ajoutées aux mesures de soutien du revenu, ont contribué au rebond économique et expliquent pourquoi l’économie se porte relativement bien au sortir de la pandémie.

Compte tenu de ce qui s’est passé, il ne faudrait donc pas s’étonner que tous ces événements sans précédent se reflètent dans les perturbations et les défis en cours. Le principal effet est l’accélération de l’inflation constatée au cours de la dernière année. D’aucuns prétendent que l’inflation est en quelque sorte est directement imputable à la « planche à billets » activée par notre premier ministre ou par la Banque du Canada. C’est carrément de la désinformation de prétendre cela. L’accélération de l’inflation que nous observons est un phénomène mondial qui résulte des pressions exceptionnelles liées à la pandémie, notamment des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement, des aléas du transport international, du changement dans les dépenses de consommation qui sont moins axées sur les services et davantage sur certaines catégories de biens et, enfin, du choc des prix de l’énergie qui se fait sentir depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

En particulier, il n’existe aucun lien entre l’ampleur du déficit d’un pays et le taux d’inflation. L’inflation est beaucoup moins forte dans certains pays qui avaient des déficits plus importants que le Canada. Et elle est plus forte dans d’autres pays qui avaient un déficit moins important que le Canada, comme l’Allemagne. Le problème actuel, c’est que les banques centrales du monde entier, dont la Banque du Canada, ont été malmenées par les critiques voulant qu’elles aient exagérément stimulé la relance de l’économie. Elles sont donc revenues à leur véritable mission en appliquant, de manière inappropriée et extrême, les remèdes classiques à un problème qui ne l’est pas.

En fait, il existe de nombreuses causes possibles à l’inflation. Ce n’est pas seulement une surchauffe de la demande mondiale ou du marché du travail. Les données économiques indiquent que ces facteurs sont accessoires ou secondaires, voire non pertinents. Notre demande intérieure n’est pas du tout en surchauffe. Plusieurs signaux indiquent, même dans les données sur le PIB durant le deuxième trimestre, que la demande n’est pas insoutenable et, en fait, qu’elle est en baisse dans de nombreux secteurs.

Quant aux marchés du travail, malgré le niveau de chômage historiquement bas, nous avons observé une baisse des salaires réels, la croissance des salaires nominaux étant à la traîne de l’inflation. Rien ne prouve qu’il s’agit d’une spirale des salaires et des prix. Il est prouvé que les bénéfices des entreprises canadiennes se sont accrus au cours de l’épisode inflationniste actuel pour atteindre leur plus haut pourcentage du PIB. Si nous voulons savoir où commence la spirale, nous devrions regarder du côté des entreprises et non des travailleurs.

Nous commençons à peine à ressentir les répercussions des hausses rapides des taux d’intérêt. Nous constatons un recul des prix des actifs, une baisse des prix des biens immobiliers et une hausse du ratio du service de la dette des ménages, mais la situation va s’aggraver. La hausse des taux d’intérêt aura des conséquences non voulues et imprévisibles causées par des effets domino impossibles à prédire. Nous en avons d’ailleurs eu un exemple cette semaine au Royaume-Uni et il y en aura bien d’autres au fur et à mesure que la hausse des taux d’intérêt et du coût du service de la dette et le recul des prix des actifs interagiront dans un cycle dynamique et dangereux qui aura un impact sur le budget des ménages et la stabilité financière.

Je pense que nous devons être plus nuancés et plus ouverts dans nos efforts pour comprendre les causes de l’inflation actuelle et y apporter une réponse plus multidimensionnelle, notamment en protégeant les Canadiens à faible revenu contre ses effets pendant que nous nous attaquons à ses véritables causes.

Je vais m’arrêter ici. Je vous remercie, sénateurs, et je suis impatient d’en discuter avec vous.

La présidente : Merci beaucoup pour ces observations préliminaires. Le sénateur Deacon va lancer cette période de questions.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie, monsieur Stanford, d’être parmi nous aujourd’hui. Vous avez dit que la demande excessive créée par les mesures de soutien prises durant la pandémie a contribué à la relance économique. Dans quelle mesure, selon vous, a-t-elle contribué à la hausse de l’inflation?

Comme la Banque du Canada n’avait pas prévu cette relance, comment expliquer que la masse monétaire ait atteint un sommet sans précédent après les premiers stades de la pandémie? Je veux dire en rétrospective.

Pour l’avenir, j’ai l’impression que vous laissez entendre que la Banque du Canada devrait, à tout le moins, suspendre la hausse des taux d’intérêt. La banque a-t-elle des raisons de s’inquiéter d’un affaiblissement éventuel du dollar canadien en raison des pressions inflationnistes?

M. Stanford : Je vous remercie, sénateur. J’ai relevé trois questions distinctes, et je vais y répondre dans l’ordre.

Concernant le rôle des mesures de soutien au revenu, je dirais que la PCU et toutes les autres mesures de soutien d’urgence, sans oublier les subventions salariales versées aux employeurs, ont soutenu les revenus des ménages durant la pandémie. Globalement, en fait, et non individuellement, le revenu des ménages a augmenté durant la pandémie, ce qui est contraire à la logique. Cela démontre que la réponse a été forte et rapide.

Cette augmentation n’est pas seulement attribuable aux prestations versées. C’est aussi parce que les revenus d’emploi et d’autres revenus du marché n’ont pas diminué autant que l’on aurait pu s’y attendre dans les circonstances. Ce sont là deux facteurs qui ont contribué à la hausse du revenu total.

Cela s’est produit au moment où les gens ne pouvaient pas sortir de chez eux et dépenser. Leurs achats étaient limités. Bien entendu, les secteurs de l’hôtellerie et des voyages étaient paralysés. Avec plus d’argent et moins de dépenses, les Canadiens ont fait des économies. Durant plusieurs mois, les niveaux d’épargne des ménages étaient étonnamment élevés, et tout cet argent n’attendait qu’à être dépensé. Nous avons vu ce qui s’est passé depuis la réouverture.

Toutefois, les niveaux d’épargne au Canada demeurent élevés par rapport aux normes prépandémiques. Si vous regardez la tendance, la consommation n’a pas retrouvé son niveau d’avant la pandémie. Autrement dit, si nous tenons compte de la conjoncture et du vieillissement de la population, on ne peut pas dire que les dépenses des ménages sont en surchauffe. En fait, la consommation n’a pas encore atteint le niveau où elle devrait être s’il n’y avait pas eu la pandémie.

Les mesures de soutien du revenu ont joué un rôle, c’est indéniable. Sans ces mesures, des Canadiens auraient perdu leur emploi et leur maison, ils n’auraient pas eu les moyens de dépenser aujourd’hui et l’inflation serait plus faible. Ne vous méprenez pas, l’inflation serait plus faible.

Durant la Grande Dépression, l’inflation était beaucoup plus faible. En fait, le pays était en déflation. À cet égard, quand nous parlons d’inflation, nous devons tenir compte du contexte macroéconomique dans son ensemble, y compris des mesures de relance efficaces prises par le gouvernement et la Banque du Canada.

Concernant la masse monétaire, je pense qu’il y a un grand manque de compréhension à ce sujet, notamment sur ce qui détermine la masse monétaire et ensuite sur son lien avec l’activité économique dans son ensemble.

Il va sans dire que l’empreinte de la Banque du Canada sur la masse monétaire dans son ensemble a été plus marquée par le recours à un assouplissement quantitatif et les dépenses visant à insuffler un pouvoir d’achat dans l’économie. Rappelez-vous que la masse monétaire globale dépend principalement du crédit créé par le système bancaire privé et non par la Banque du Canada. C’est ainsi que cela fonctionne dans un système de crédit monétaire où les acteurs dominants sont les banques à charte privées.

Les actions de la Banque du Canada ont été en partie motivées par le fait qu’elle anticipait une contraction de la masse monétaire privée qui est créée par les banques lorsqu’elles accordent des prêts à de nouveaux clients. Initialement, elle s’est contractée. L’augmentation de la masse monétaire n’est pas attribuable seulement à l’achat d’actifs par la Banque du Canada. Elle est surtout attribuable au fait que les prêts consentis par les banques privées ont fini par être plus résilients que prévu, en partie à cause de l’essor énorme et finalement insoutenable des prêts hypothécaires.

Quant à savoir si la Banque du Canada devrait suspendre les hausses des taux d’intérêt, je vous fais remarquer que c’est l’une des banques centrales les plus agressives au monde pour les hausses rapides et prononcées de ses taux d’intérêt. À mon avis, une pause serait tout indiquée. Nous resterions quand même en tête de la plupart des autres banques centrales, notamment de celles de l’Europe, de Grande-Bretagne et du Japon pour ce qui est de l’ampleur du resserrement monétaire en cours.

Je pense que nous devons nous arrêter et regarder ce qui se passe. L’économie canadienne est déjà en décroissance. Le taux d’emploi est en baisse pour le troisième mois consécutif, ce qui n’est jamais arrivé dans le passé sans récession.

Cela a un impact sur le dollar qui est déjà affaibli. Toutes les devises, à l’exception du dollar américain, se sont affaiblies à cause de la conjoncture actuelle provoquée par ce resserrement. Ce n’est qu’un début. Je ne crois pas que l’affaiblissement du dollar soit notre principal problème.

La sénatrice Bellemare : Que suggéreriez-vous? Si nous n’avons pas recours à la politique monétaire, quel outil utiliseriez-vous pour permettre au Canada de traverser cette turbulence dans le système de prix?

M. Stanford : Merci, sénatrice Bellemare. J’ai trouvé vos écrits sur ce sujet — que j’examine depuis des années, mais aussi avant cette audience — très instructifs et utiles. Merci.

La politique monétaire a clairement un rôle à jouer. Je ne dis pas qu’on ne devrait pas la faire jouer, mais qu’elle devrait obéir à plus de prudence, à plus d’ouverture et de nuance.

À mon avis, la décision de relever les taux d’intérêt prise par la Banque du Canada et d’autres banques centrales repose sur une fausse prémisse, à savoir que l’inflation est causée par une surchauffe des dépenses intérieures. Ce n’est pas la principale cause de l’inflation que nous connaissons. Évidemment, le phénomène tient davantage à l’offre qu’à la demande intérieure et il est généralement importé. Les hausses des taux d’intérêt intérieurs n’auront aucun effet direct.

Les hausses des taux d’intérêt intérieurs peuvent certainement faire baisser l’inflation. Si nous créons une récession dans l’économie nationale, cela aidera à compenser les pressions sur les prix provenant d’autres sources. Mais je pense que c’est une fausse victoire.

Je juge la politique monétaire pertinente et selon moi, il faudrait d’abord nuancer la façon dont elle est appliquée. Une augmentation uniforme des taux d’intérêt n’est pas nécessaire. Nous pouvons utiliser les exigences prudentielles en matière de prêts et d’autres règlements financiers pour tenter de limiter le flux de crédit destiné aux pans de l’économie les moins porteurs, comme les prix de l’immobilier qui augmentent, tout en préservant le flux de crédit vers des éléments plus utiles, comme les investissements réels et productifs des entreprises, qui, soit dit en passant, sont nécessaires pour faire face aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement.

À cet égard, des taux d’intérêt élevés sont, en soi, contre‑productifs, car ils dissuadent les entreprises de réaliser de nouveaux investissements en capital. Nous avons besoin de nouveaux capitaux. Nous avons besoin de nouveaux approvisionnements. Nous devons améliorer nos infrastructures.

Je pense aussi que la lutte contre l’inflation ne doit pas être exclusivement confiée à la Banque du Canada et dépendre de sa politique monétaire. Je pense que le gouvernement a un rôle à jouer par le biais de sa politique fiscale, de ses politiques en matière d’emploi et de ses politiques sociales.

C’est là où, à mon avis, nous devons avoir une approche davantage multidimensionnelle et multipartite quant à la gestion du problème pour nous attaquer à ses causes réelles, et non à une approche classique des causes présumées voulant que l’inflation découle toujours du fait que le chômage tombe sous l’indicateur de TCIS qui définit le taux de chômage à inflation stationnaire. Il faut plutôt s’attaquer aux causes réelles de l’inflation que nous voyons aujourd’hui et protéger les Canadiens qui en ont le plus besoin pendant que l’on s’attaque à ces vrais problèmes.

Une partie du problème se réglera d’elle-même, c’est évident. De nombreuses indications à l’échelle mondiale montrent que certaines des causes initiales de l’inflation sont en train de se résorber, comme les coûts d’expédition internationale, les coûts de l’énergie dans certaines régions et le prix des denrées agricoles. Il s’agira en partie d’attendre. Plonger l’économie dans une récession pour prouver notre inflexibilité par rapport au taux d’inflation cible ne me semble pas être la voie à suivre.

Le sénateur Loffreda : Merci de votre présence, monsieur Stanford.

Je vais revenir sur ce que vous venez de déclarer au sujet de la façon de lutter contre l’inflation. Le gouvernement a un grand rôle à jouer dans les politiques du marché en général, de la main‑d’œuvre, des politiques sociales et de celles visant le marché du travail.

Vous vous dites pessimiste en matière d’économie; vous avez dit que la situation va se détériorer davantage, que les résultats seront imprévisibles et inattendus. De toute évidence, vous n’êtes pas d’accord avec la politique monétaire actuelle. Vous avez dit qu’elle n’est pas axée sur la demande. Les dépenses de consommation ne sont pas en train de revenir à ce qu’elles étaient avant la COVID-19, la demande non plus, et vous mettriez en pause les hausses de taux d’intérêt.

J’aimerais que vous nous en disiez davantage. Quels types de politiques appuyez-vous? Si nous pouvions accomplir quoi que ce soit ce matin, formuler quelque recommandation et quelque observation que ce soit, de quoi s’agirait-il pour le marché en général, le marché du travail, les politiques du marché social et le rôle que le gouvernement peut jouer?

Enfin, et c’est très important, en ce qui concerne la devise canadienne, nous avons assisté au renforcement du dollar américain et de la politique monétaire des autorités fédérales. Vous avez dit qu’il fallait arrêter ou suspendre les augmentations de taux d’intérêt.

Les statistiques changent constamment, mais les derniers chiffres que j’ai vus indiquent que plus de 80 % du PIB du Canada sont attribuables aux exportations et aux importations. Nous sommes un pays commerçant. Nous avons parlé des importations. Mais les exportations sont tellement importantes pour notre économie. Serait-ce une opportunité, alors que plus de 40 % de notre PIB est constitué d’exportations, dont les trois quarts aboutissent sur le marché américain? Nous parlons de démondialisation, mais serait-ce une occasion à saisir?

J’aimerais ajouter une note positive à tous les propos pessimistes et une prévision audacieuse; combien de temps pensez-vous que ce cycle durera?

M. Stanford : Merci, sénateur. J’ignore s’il existe des solutions rapides quant aux mesures que le gouvernement peut adopter pour combattre l’inflation; toutefois, je crois que nous devrions envisager certaines solutions importantes.

La première serait de s’attaquer à certaines des principales causes de la flambée inflationniste que nous avons constatée grâce à des mesures fondamentales qui nous rendront moins vulnérables à ce genre de chocs des prix à l’avenir. Je pense notamment au choc des prix de l’énergie, qui découle d’abord et avant tout des prix mondiaux du pétrole, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine.

D’une certaine manière, c’est la norme, compte tenu de la façon dont fonctionnent les marchés du pétrole à terme à l’échelle mondiale. Une perturbation réelle de l’approvisionnement ne survient pas nécessairement chaque fois qu’apparaît un choc perçu par rapport aux attentes. La guerre en Ukraine n’a pas provoqué de rupture de l’approvisionnement en pétrole. En fait, l’approvisionnement mondial en pétrole, y compris celui de la Russie, a augmenté, et non diminué, depuis la guerre. Ce sont plutôt les attentes dans ce marché hautement financiarisé qui font grimper les prix. Nous avons organisé notre marché de l’énergie au Canada pour que ces prix soient reflétés dans ce que nous payons à la pompe ici. Nous payons plus cher, même s’il s’agit d’essence qui a été raffinée à partir de pétrole produit et distribué au Canada. C’est ainsi que nous avons organisé le marché de l’énergie.

Une autre source importante de l’inflation récente a bien sûr été la bulle immobilière. Les prix de l’immobilier commencent à fléchir, mais cela ne signifie pas nécessairement que l’inflation diminuera dans le marché de l’habitation. Notre IPC tient compte du logement par le biais du coût de service d’un prêt hypothécaire, et non du prix de la propriété elle-même. Étrangement, nous constatons une augmentation des coûts de logement, comme en témoigne l’IPC, en raison des taux d’intérêt plus élevés.

Il en va de même pour les loyers, qui ont tendance à augmenter quand les taux d’intérêt augmentent et que les prix du logement diminuent, de plus en plus de gens devant louer parce qu’ils n’ont plus les moyens d’acheter une maison.

Il faut s’attaquer aux deux facteurs que sont l’inflation des prix de l’énergie et l’inflation des prix des logements. Du côté de l’énergie, je pense que nous devons accélérer la transition vers les énergies renouvelables, qui sont à l’abri de ces chocs spéculatifs mondiaux sur les marchés à terme du pétrole. Nous devons accélérer la mise en place d’un programme de logement abordable assorti d’une importante stimulation de l’offre de logements abordables de toutes sortes, comme les coopératives, les logements sociaux et publics, les fiducies de logements communautaires et d’autres. Aucune de ces solutions n’est rapide. Ce sont là deux aspects fondamentaux pour remédier aux faiblesses de notre économie qui dépend des marchés spéculatifs.

Une solution plus rapide serait l’application du contrôle des prix par les différents paliers de gouvernement dans ces deux domaines clés. Le contrôle des prix a mauvaise réputation. C’est comme si l’on parlait de planification centrale à la soviétique, tandis que nous contrôlons les prix dans de nombreux secteurs de l’économie. La plupart des prix de l’énergie au Canada sont directement réglementés, et il n’est pas tout à fait clair que nous ne pouvons pas réglementer directement les prix des produits pétroliers également.

La réalité, c’est que la plus grande source d’inflation que connaissent les Canadiens est la hausse du prix des produits pétroliers, y compris l’essence. Encore une fois, cela s’est traduit par des marges de profit records pour les sociétés énergétiques privées qui produisent ici au Canada. Cela n’a rien à voir avec Poutine et l’Ukraine. Nous payons plus cher parce que ces entreprises réalisent d’énormes profits. Nous pourrions absolument — et d’autres pays se penchent sur la question — trouver des moyens de limiter plus directement la hausse des prix du pétrole grâce à la réglementation des prix.

À défaut, nous pourrions imposer les profits excessifs réalisés par ces entreprises et utiliser les recettes pour appuyer des mesures de protection et des subventions pour les Canadiens à faible revenu.

Le sénateur Yussuff : Merci, monsieur Stanford, d’être ici aujourd’hui. Vous avez mentionné que le gouverneur de la banque a certainement encouragé les grands employeurs, à qui il s’adressait récemment, à ne pas appuyer d’importantes augmentations salariales pour les travailleurs qui s’inquiètent de la spirale inflationniste, car cela aggraverait la situation.

Quelle serait l’incidence sur les augmentations continues des taux d’intérêt sur les perspectives à long terme pour les travailleurs et leur niveau de vie?

M. Stanford : Merci, sénateur Yussuff. J’ai été quelque peu troublé par la déclaration du gouverneur de la Banque du Canada devant un auditoire de gens d’affaires, à qui il a dit qu’ils devraient éviter de signer de contrats consistant à aligner les salaires sur l’inflation. À mon avis, cela était déplacé. Je crois que la banque a essayé de clarifier le sens de cette intervention, mais je pense qu’elle reflète un préjugé plus profond dans la formulation de la politique monétaire voulant que nous devrions nous inquiéter des salaires — tandis que nous devons nous en préoccuper — sans devoir nous préoccuper des autres tranches du gâteau économique, des profits en particulier.

Je n’ai jamais vu cela — et j’ai fait des recherches. J’ai examiné les rapports sur la politique monétaire de la Banque du Canada et les discours du gouverneur. Je n’ai jamais vu la Banque du Canada dire que les profits étaient trop élevés et que cela causait de l’inflation. Cependant, si vous ventilez les recettes associées à une hausse de l’inflation au Canada, vous verrez qu’elles sont essentiellement attribuables aux profits. La part des bénéfices dans le PIB a augmenté au cours de cette période inflationniste pour atteindre un niveau sans précédent. Les salaires réels ont diminué. La part de la main-d’œuvre dans le PIB a diminué. Le calendrier de l’augmentation des salaires accuse un retard important par rapport à la hausse des prix à la consommation.

Donc cette obsession, à mon avis, est attribuable à des gens qui s’inspirent des théories sur l’inflation des années 1970 et qui ont accepté leur définition de l’inflation. Il demeure que cette obsession de la spirale des salaires et des prix est tout à fait déplacée. Je pense que ce n’est pas seulement une erreur analytique, mais le reflet d’un parti pris des décideurs en matière de politique monétaire. Ils acceptent les profits comme normaux, naturels ou sains, même les gros profits qui sont clairement associés à la hausse de l’inflation.

Je pense que l’hypothèse selon laquelle les salaires doivent être réduits pour contrer l’inflation est à la fois injuste et mauvaise sur le plan économique. Les travailleurs ne sont pas la cause de cette inflation. Les données sont claires à cet égard. Dire que les salaires doivent être réduits à un niveau inférieur à l’inflation actuelle afin de régler le problème de l’inflation actuelle aura pour effet de faire payer deux fois les travailleurs. Nous punissons les victimes de l’inflation afin de résoudre un problème qu’elles n’ont pas causé, puis nous fermons les yeux sur les véritables causes du problème, c’est-à-dire les perturbations de l’approvisionnement et les chocs mondiaux des prix de l’énergie dont j’ai parlé — mais aussi la prise de profits ici même, au pays. Il y a un petit groupe de Canadiens qui profitent comme jamais auparavant de la hausse actuelle des prix.

Il est tout à fait injuste de demander à tous les Canadiens de faire les frais de la lutte contre l’inflation; je crois que la politique monétaire doit tenir compte des conséquences distributionnelles de l’inflation et des réactions à l’inflation.

Si nous plongeons maintenant l’économie dans une récession, ce qui semble probable, afin de faire baisser l’inflation, surtout en réduisant les salaires davantage, soit en deçà de l’inflation actuelle, nous maintiendrons le déclin. En moyenne, les travailleurs canadiens ont vu leur salaire réel diminuer d’environ 4 % depuis le début de l’inflation. Nous maintiendrons ce déclin. Nous ne donnerons pas aux travailleurs la chance de récupérer ce qu’ils ont perdu à cause d’une inflation qu’ils n’ont pas causée et nous risquerons de provoquer une nouvelle redistribution des richesses au détriment des travailleurs et au profit des propriétaires d’entreprises.

Je pense que c’est malsain sur les plans économique et politique. Nous voyons des développements incroyablement inquiétants dans le monde avec la montée des sentiments et des mouvements politiques extrémistes ou antidémocratiques, comme on l’a vu lors des dernières élections en Italie. Nous avons ces défis ici même au Canada. L’idée de licencier des centaines de milliers ou des millions de Canadiens pour remédier à un problème d’inflation qu’ils n’ont clairement pas causé, alors que leur niveau de vie réel est en péril, créerait, je pense, un environnement incroyablement fertile pour que ces idées dangereuses se répandent davantage.

Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup de votre présence ce matin.

J’essaie de comprendre la différence d’opinions que vous avez avec la Banque du Canada. En résumé, je dirais qu’elle voit un grave préjudice, une source de grave préoccupation pour notre économie si nous ne maîtrisons pas l’inflation le plus rapidement possible. Elle voit d’un mauvais œil l’inflation et ses conséquences pour la société. Je ne pense pas que ce soit une erreur de jugement; je crois que c’est ce qu’elle en pense. Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez?

Deuxièmement, si nous n’agissons pas et que la Banque du Canada procède comme elle le propose, quels sont vos chiffres quant à une récession? S’agira-t-il d’une décroissance de 3 ou 4 % ou plutôt de 0,1 ou 0,2 %? Donnez-moi une idée des conséquences si la situation se poursuit comme on s’y attend.

M. Stanford : Merci, monsieur le sénateur. Ce sont deux excellentes questions.

Est-il important de maîtriser l’inflation? Assurément l’inflation, la hausse de l’inflation, constitue un problème, mais il y en a bien d’autres. Une partie de la difficulté tient au fait que la Banque du Canada considère qu’il s’agit du plus gros problème, un problème qu’elle, et elle seule, a la responsabilité de régler.

Cela n’est même pas conforme au mandat officiel révisé que la Banque du Canada a négocié avec le gouvernement fédéral il y a à peine un an. Ce mandat précise clairement que l’inflation est pour elle une priorité importante, mais pas la seule. Il demande également à l’institution de tendre vers un niveau d’emploi maximal en maintenant un taux d’inflation stable.

À mon avis, les mesures prises par la banque ces derniers mois ne respectent pas ce mandat. Elle a clairement et inutilement menacé les niveaux d’emploi futurs parce qu’elle a fait de l’inflation sa grande priorité, voire la seule.

L’inflation est un problème. Nous devrions viser à la tempérer. Elle se situe à 7 % au Canada et elle est à la baisse. Une inflation inférieure à 10 % n’est pas la fin du monde. Ce n’est pas de l’hyperinflation. Ce n’est pas la voie directe vers la République de Weimar, comme certains commentateurs l’ont prétendu. C’est un problème, et il faut s’y attaquer, mais il faut le faire en tenant compte des autres problèmes auxquels nous faisons face, notamment le risque de récession, qui serait à mon avis un remède pire que la maladie.

Quant à la gravité d’une récession, je suis inquiet, à dire vrai. S’il y a récession, elle ne sera ni brève ni anodine. À lire les déclarations de la Banque du Canada, il me semble clair qu’elle ne se ravisera pas simplement à cause des risques de récession. Il est évident que l’inflation, causée principalement par les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, les chocs énergétiques mondiaux et d’autres facteurs importés, ne va pas disparaître rapidement simplement parce que nous entrons en récession.

La Federal Reserve des États-Unis a tenu des propos analogues : une récession ne la fera pas changer de cap.

À cet égard, nous pourrions assister à une poursuite du resserrement monétaire, même si les signes d’une récession sont déjà perceptibles. Ce serait une récession longue et douloureuse, pas une récession passagère.

À moins que notre banque centrale et d’autres institutions dans le monde ne changent de cap, je prévois une grave récession qui durera au moins deux ans.

Le sénateur Massicotte : « Grave », cela signifie un repli de 3 ou 4 %?

M. Stanford : La baisse cumulative du PIB pourrait certainement s’établir à 3 %. Ce serait une grave récession. Cela semble peu, 3 %, mais par rapport à d’autres récessions que nous avons connues par le passé, ce serait semblable aux récessions du début des années 1980 — qui a aussi été une réaction au choc de la politique monétaire — et du début des années 1990. Un repli de 3 % est donc une grave récession.

Le sénateur Marwah : Merci, monsieur Stanford. Voilà qui est très intéressant.

Je suis d’accord sur une bonne partie de ce que vous avez dit. Reprenons : il y a eu une intervention politique très fructueuse du gouvernement, et le retour si rapide aux niveaux d’emploi antérieurs à la pandémie a étonné. La demande intérieure ne fait pas problème. L’économie n’est pas en surchauffe. On n’observe pas sur le marché du travail des hausses salariales caractéristiques de la spirale inflationniste.

Je perçois chez vous un désaccord sur la politique monétaire et plus précisément sur les taux d’intérêt, qui auraient trop augmenté et augmenté trop rapidement. Cela se discute. Vous ne semblez pas nier la nécessité d’une hausse, mais vous contestez leur importance et leur rapidité. Corrigez-moi si je me trompe.

Passons maintenant aux mesures fiscales. Vous dites qu’elles devraient être plus ciblées. Prenons la réponse budgétaire, la politique qui a été retenue, le crédit pour TPS que le gouvernement impose ou encore les mesures prévues dans la Loi d’exécution du budget, le projet de loi C-30. Tout cela est très ciblé. Le gouvernement a même prévu un impôt sur les profits exceptionnels des banques. À moins d’imposer une taxe aux sociétés pétrolières et gazières pour des profits exceptionnels, je ne vois pas quelles mesures il faudrait renforcer, selon vous.

Soyons précis. Selon vous, qu’est-ce que le gouvernement devrait faire d’autre ou quelles politiques devrait-il mettre en place?

M. Stanford : Merci, monsieur le sénateur. Les taux d’intérêt devaient-ils augmenter? Ils se situaient près de zéro. En termes réels, ils étaient même négatifs, ce qui ne peut évidemment pas durer indéfiniment. Le fait qu’ils aient avoisiné le zéro pendant la majeure partie des 13 ou 14 dernières années, soit depuis la crise financière mondiale de 2008-2009, est le signe de problèmes structurels plus profonds dans l’économie, et cela a montré les limites de la politique anticyclique des taux d’intérêt comme moyen de stimuler la croissance dont nous avons besoin en période de ralentissement et de freiner l’inflation dans les conjonctures semblables à celle d’aujourd’hui. De toute évidence, il fallait normaliser les taux d’intérêt à un moment donné et d’une façon ou d’une autre.

Au lieu d’utiliser les taux d’intérêt comme une arme massive et brutale, pourrions-nous songer à des moyens de rendre la politique monétaire plus nuancée et mieux ciblée, notamment en prévoyant des taux d’intérêt qui varient selon les utilisations diverses des capitaux ou en recourant à une réglementation financière pour limiter la création de crédit, surtout dans les domaines où nous la réprouvons, au lieu d’imposer à tout le monde des taux d’intérêt plus élevés?

Quant aux mesures fiscales, je suis d’accord avec vous pour dire que les mesures de soutien qui ont été annoncées, comme le crédit d’impôt pour TPS bonifié ou l’Allocation canadienne pour le logement destinée aux locataires à faible revenu, sont très ciblées, importantes et bénéfiques. D’aucuns soutiennent qu’elles vont attiser l’inflation. Je ne suis absolument pas d’accord. Elles sont très ciblées et elles demeurent modestes, alors que l’orientation générale de la politique garantit un énorme resserrement.

Le déficit fédéral du Canada diminue rapidement parce que les mesures de soutien du revenu mises en œuvre pendant la COVID-19 ont été progressivement éliminées. L’impact global de la politique budgétaire, à l’heure actuelle, est de resserrer l’économie et non de la stimuler. La politique budgétaire n’est donc clairement pas inflationniste.

Selon moi, il faudrait plus de mesures de soutien pour les personnes à faible revenu, et tous les ordres de gouvernement, pas seulement le gouvernement fédéral, devraient appuyer les hausses salariales pour que la rémunération suive le rythme de l’inflation et que le pouvoir d’achat réel des travailleurs soit maintenu.

Je suis porté à soutenir, d’autant plus que nous nous dirigeons vers un ralentissement de l’économie, que les investissements directs du gouvernement dans l’infrastructure, les services à la personne et les soins, comme la mise en œuvre du programme d’éducation de la petite enfance, sont plus importants que jamais et devraient aller de l’avant, car nous aurons besoin dans les mois à venir des emplois et du pouvoir de dépenser qui accompagnent ces programmes.

Le sénateur Gignac : Bienvenue au comité. En tant qu’économiste, je partage votre inquiétude et votre analyse : les entreprises ont utilisé leur pouvoir d’achat et ont exagéré, puisque nous avons des profits records.

Je m’intéresse à la réaction du gouvernement et du G7 sur le plan budgétaire, car l’inflation touche plus durement les pauvres que les riches. Comment évaluez-vous la réaction du Canada par rapport à celle d’autres pays du G7 pour ce qui est d’aider la population au moyen de différentes mesures? Y a-t-il des choses que nous n’avons pas faites au Canada et que nous aurions pu faire, des mesures que nous pourrions prendre et que vous voyez d’autres pays adopter, plutôt que de penser à des contrôles des prix comme ceux que le père de Trudeau a imposés, car je présume que ce genre de mesure n’intéresse pas grand monde? À part le contrôle des prix, que peut faire le gouvernement du Canada pour aider la population à composer avec l’inflation?

M. Stanford : Merci, monsieur le sénateur. C’est une bonne question.

Je dirai d’emblée que je n’ai pas étudié en détail ce qu’ont fait les pays du G7. Tout d’abord, les contrôles des prix. Certaines des économies du G7 y songent. Il y en a même chez nous. Je pense au contrôle des loyers, qui est en place à plusieurs endroits au Canada, et qui jouera un rôle important dans la stabilisation des loyers au moment où les taux d’intérêt augmentent. Ici, en Colombie-Britannique, le gouvernement provincial a plafonné à 2 % les hausses de loyer. C’est un contrôle direct des prix qui se fera sentir dans le comportement de l’indice des prix à la consommation. Il ne faut pas écarter ces contrôles, même s’ils ont mauvaise réputation depuis l’époque de Trudeau père.

Les mesures fiscales prises dans d’autres pays? Plusieurs pays européens ont prévu l’imposition des profits exceptionnels dans le secteur de l’énergie en particulier. Ils redistribuent ces recettes au moyen de soutiens du revenu ou de subventions aux prix pour les ménages à faible revenu, qui ont beaucoup souffert de l’inflation des prix de l’énergie. Au Royaume-Uni, par exemple, même avant le gouvernement actuel, il y avait un impôt sur les profits exceptionnels et on avait annoncé des subventions aux prix de l’énergie. En Europe continentale, ces mesures sont très répandues.

Pour ce qui est de mesures plus précises ou ciblées, il faudrait que je fasse plus de recherches sur ce qui a été annoncé récemment dans les pays du G7.

S’il est un enseignement que nous pouvons retenir de ce qui se fait dans d’autres pays industrialisés, particulièrement en Europe et, dans une certaine mesure, en Asie de l’Est, au Japon et en Corée, c’est qu’il est important de recourir à ce qu’on peut appeler une planification du marché du travail, ou peut-être, à des partenariats sectoriels sur le marché du travail pour stabiliser la relation entre les salaires et les prix, ce qui préoccupe bien du monde.

En particulier, lorsqu’il y a un système très fort et centralisé ou coordonné de négociation collective et de détermination des salaires — comme on l’observe par exemple dans les pays nordiques ou dans certains pays d’Europe continentale comme l’Allemagne —, il est possible de fixer les salaires de façon continue, sur le long terme, en fonction de la croissance réelle de la productivité du travail et des conditions du marché du travail. Ainsi, les salaires demeurent à un niveau sain même en période de ralentissement et ils ne deviennent pas incontrôlables en période de faible chômage.

C’est une leçon importante sur la façon de maintenir une situation macroéconomique de chômage très faible. Il s’agit d’une sorte de stratégie de planification des salaires faisant intervenir des partenariats sectoriels ou économiques — c’est du corporatisme, comme on le dit parfois — pour fixer les salaires à un niveau qui soit sain, mais durable. D’une certaine façon, cela atténue la pression exercée par les banques centrales, qui craignent que, si le taux de chômage baisse trop, la spirale des salaires et des prix ne s’installe. C’est l’argument qu’on entend aujourd’hui. C’est une formule qui ne convient pas aujourd’hui, mais c’est un argument qui a cours.

Une façon d’éviter la spirale inflationniste, c’est de fixer les salaires de façon délibérée. Plutôt que de s’en remettre au jeu des forces du marché à tout stade du cycle du marché du travail, il faut les établir de façon plus coordonnée et institutionnalisée. C’est une leçon importante que nous pourrions tirer de ce qui se fait en Europe et en Asie de l’Est.

Le sénateur Loffreda : Pour revenir à ma question précédente, nous sommes sur la bonne voie en parlant du contrôle de l’énergie et des prix, et d’autres contrôles des prix des aliments et des biens essentiels. Je vous ai demandé de faire une prédiction audacieuse. Vous prévoyez une grave récession, soit un repli de 3 % sur deux ans.

Vous n’avez pas parlé de l’effet de la politique monétaire sur le dollar canadien. Vous ne vous inquiétez pas tellement de l’affaiblissement du dollar canadien si nous mettions fin à la hausse des taux d’intérêt? Comme je l’ai dit, 40 % de notre PIB provient des exportations, dont les trois quarts sont destinées aux États-Unis. Un dollar faible ouvrirait des débouchés.

Qu’en pensez-vous? Et comment pourrions-nous éviter une grave récession? Vous avez donné de belles explications jusqu’à maintenant et tenu des propos très éclairants. Avez-vous autre chose à dire des moyens d’éviter une grave récession de l’ordre de 3 % sur deux ans, abstraction faite de la politique monétaire? Comme vous l’avez dit, la Banque du Canada et les banques centrales mondiales tiennent à maintenir une politique monétaire restrictive, quitte à faire fléchir la demande et à affaiblir l’économie.

M. Stanford : Merci, monsieur le sénateur. Je suis désolé de ne pas avoir répondu à votre question sur le commerce au premier tour. Votre question tombe bien, et je suis heureux d’avoir une deuxième chance.

Pour ce qui est du contrôle des prix dans le secteur de l’alimentation et de l’épicerie, ou de ceux d’autres produits essentiels, il est très difficile d’imaginer comment il pourrait s’appliquer, vu l’immense diversité et la volatilité des achats dans le marché d’alimentation ou la quincaillerie typique. Le contrôle des prix a son plus grand potentiel lorsqu’il est appliqué aux intrants fondamentaux qui sont présents dans l’ensemble de l’économie et sont assez homogènes, comme les prix de l’énergie. C’est pourquoi nous réglementons les prix du gaz naturel et de l’électricité, en partie à cause du monopole des services publics, certes, mais aussi à cause de leur importance dans tout ce que nous faisons. Il est possible de réglementer le prix de l’essence, pour les mêmes raisons, ainsi que les loyers, comme je l’ai dit.

L’effet sur le dollar canadien? Vous avez raison : la baisse du dollar canadien aurait des effets bénéfiques sur les échanges commerciaux réels dans notre économie.

La statistique selon laquelle environ 80 % de notre PIB, c’est‑à‑dire notre produit intérieur brut, est lié au commerce, appelle à une petite mise en garde. Diviser la valeur brute totale des exportations par le PIB est trompeur. Cela voudrait dire qu’environ 25 % de notre PIB dépend des exportations. En fait, si l’on exclut les intrants qui font partie de ces exportations brutes, la composante de valeur ajoutée réelle des exportations est un peu plus faible que cela.

Quoi qu’il en soit, les exportations sont un déterminant important de notre progrès économique et réagiraient probablement positivement à un dollar plus faible. À l’heure actuelle, notre dollar est concurrentiel. Il est près de sa parité de pouvoir d’achat. Je ne dirais même pas que notre dollar est faible aujourd’hui. Il pourrait reculer et probablement qu’il reculera d’ici un an ou deux. L’effet serait de stimuler les exportations réelles, ce qui serait utile.

Par ailleurs, les importations coûteraient plus cher. Dans la mesure où les mouvements de taux de change sont reflétés dans les prix finals à l’importation au Canada, un dollar faible peut intensifier certaines pressions inflationnistes. Je me suis penché là-dessus, et les données au Canada indiquent que la transmission des variations des taux de change est plutôt modeste, très faible. Je pense qu’un dollar plus faible ne provoquera qu’une augmentation assez faible des prix à l’importation au Canada, mais il y en aura une quand même.

Comment éviter une récession autrement? Étant donné ce qui se passe en politique monétaire, je crois, comme je l’ai mentionné, que le gouvernement s’est engagé à faire des investissements réels en capital ou en services courants — en capital pour l’amélioration des infrastructures, qui devront être considérables pour régler les problèmes de chaîne d’approvisionnement. Les ports et les aéroports ici, à Vancouver, ont connu leur part de problèmes. Ce sont des choses dans lesquelles on peut investir. Encore là, il n’y a pas de solution miracle, mais cela améliorera à la fois la résilience de notre infrastructure à long terme et créera des possibilités de travail et de revenu qui seront nécessaires au moment où notre économie entre en récession.

Il en irait de même pour certains services publics et humains et services de soins. J’ai mentionné la garde d’enfants, mais il y a aussi l’initiative des soins dentaires et d’autres améliorations à notre système de soins de santé. Ce sont des choses qui contribuent directement à la qualité de vie des Canadiens et qui, en même temps, auront une valeur contracyclique grâce à la création de nouveaux emplois et de nouvelles occasions de revenu pendant l’affaiblissement du reste de l’économie.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur Stanford. L’une des options dont vous n’avez rien dit et sur laquelle j’aimerais vous interroger concerne notre culture oligopolistique au Canada. L’objectif d’accroître la concurrence dans de nombreuses industries pourrait-il, en conséquence de changements législatifs et réglementaires, uniformiser les règles du jeu pour permettre aux nouveaux venus qui seront peut-être plus efficaces et innovateurs, et encourager efficacement nos entreprises en place à offrir une valeur supérieure à leurs clients pendant cette période, grâce à l’innovation et à la concurrence sur les prix. Vous n’en avez pas dit un mot, et je me demande comment vous voyez cet enjeu. Merci.

M. Stanford : Merci, sénateur. C’est un point très important et un tout autre domaine de changements structurels à long terme qui pourraient, d’une certaine façon, protéger l’économie canadienne contre ces chocs de prix désormais. Encore une fois, ce n’est pas une solution miracle. Certes, la mise en œuvre des réformes de la politique de la concurrence prendra du temps, tout comme la réponse économique à ces réformes.

Je pense qu’il y a un rôle à jouer pour comprendre le pouvoir du marché et la façon dont il a contribué à la situation actuelle. Nous avons constaté une augmentation des marges bénéficiaires associée à l’inflation actuelle dans plusieurs secteurs de l’économie. Cela me dit que les entreprises peuvent compter sur un certain pouvoir de marché pour tirer profit de la situation actuelle, y compris une combinaison de perturbations de la chaîne d’approvisionnement, d’une part, mais aussi un solide pouvoir de dépenser des consommateurs en raison des mesures de soutien du revenu et des économies supplémentaires dont nous avons parlé, d’autre part. Ensemble, ces deux éléments sont devenus une recette où les entreprises ont haussé les prix nettement plus que nécessaires pour couvrir leurs propres coûts de production — les chaînes de magasins d’alimentation en sont un exemple manifeste, et les télécommunications en sont un autre tout aussi évident, et peut-être le système bancaire est-il un autre exemple. Une structure oligopolistique, où un petit nombre de très grandes sociétés détiennent tout ce pouvoir, fait clairement partie du problème.

Il y a des façons d’attaquer le problème. Par exemple, un examen des activités et des prix des épiceries a été proposé. Je pense que cela aiderait un peu à comprendre.

Le marché du travail est un autre domaine où la politique de la concurrence pourrait jouer un rôle. Nous avons une situation où les grands employeurs ou les chaînes d’employeurs — songez aux franchises, dont chacune peut techniquement être une entreprise distincte, mais dont l’exploitation globale, comme Tim Hortons, par exemple, est gigantesque. Nous avons des pratiques anticoncurrentielles sur le marché du travail, comme des ententes de non-maraudage entre franchisés, et d’autres choses qui ont contribué à garder les salaires artificiellement bas par le passé. C’est un autre domaine où les réformes de la politique de la concurrence seraient prometteuses.

Le sénateur C. Deacon : Plus précisément, il s’est pris des mesures pour restreindre le pouvoir monopolistique. L’Ontario a déployé des efforts, et nous l’avons vu aussi à l’échelle fédérale. Au niveau fédéral, le dernier budget a donné lieu à de véritables pressions, sous l’effet d’un certain nombre d’éléments et d’un engagement à procéder à un examen complet de la Loi sur la concurrence.

Nous le voyons aussi dans la mise en œuvre d’un système bancaire ouvert. Il y a donc des mouvements que nous constatons. Pensez-vous qu’on pourrait faire plus? Merci.

M. Stanford : Oui. Je reconnais, sénateur, qu’on a fait certains efforts pour examiner les règles de la concurrence concernant les changements d’employeur. Je pense que cela va être important. Je ne suis pas expert en politique de la concurrence, si bien que je devrais promettre de me pencher sur la question et d’étudier certaines options.

Je pense, dans une certaine mesure, que la politique de la concurrence est très prometteuse comme réponse à long terme au changement de pouvoir et de répartition des revenus en faveur des entreprises, comme nous l’avons vu dans la dernière année.

Le sénateur C. Deacon : Merci.

La présidente : J’ai une brève question à ce stade-ci. Historiquement, nous avons vu au Canada les conséquences imprévues de la recherche de solutions législatives ou réglementaires à un problème présent. C’est la sortie qui devient percutante et problématique. Donc, lorsque vous parlez de choses comme le contrôle des prix ou les politiques de taux d’intérêt ciblées, quel serait le déclencheur pour contrer cette activité?

M. Stanford : Très bonne question, madame, merci. Il faudrait analyser la conception de ces politiques.

Quant au contrôle des prix ou aux impôts sur les superbénéfices, je pense qu’il serait pragmatique de fixer des seuils pour limiter la vitesse de progression des prix, par exemple. À cet égard, il y a un déclencheur intégré. Le contrôle des prix ne prend effet que lorsque les prix dépassent un seuil. C’est en quelque sorte ce qui est arrivé en Colombie-Britannique avec le plafond de loyer que j’ai mentionné plus tôt.

Il en va de même pour l’impôt sur les superbénéfices s’il a été défini avec un seuil de rendement, par exemple, pour les entreprises autorisées à avoir jusqu’à deux fois le rendement normal à long terme de leurs capitaux propres dans une industrie comme l’énergie, avant l’application d’un impôt progressif sur les bénéfices extraordinaires. C’est presque le genre de régime d’impôt sur le revenu progressif que nous avons, mais appliqué aux entreprises.

On s’inquiète beaucoup des conséquences imprévues, bien sûr, et c’est normal. Avant d’instaurer des politiques, nous devons bien réfléchir à la façon dont elles seront interprétées, manipulées ou éludées par différents agents économiques. C’est important.

D’un autre côté, il ne faut pas nous laisser intimider par la crainte de conséquences imprévues et refuser d’intervenir pour régler les problèmes urgents que nous avons sous les yeux. D’après mon expérience, c’est souvent ainsi que l’on invoque les conséquences imprévues pour justifier l’inaction. Je pense que c’est tout aussi mal que de se lancer tête première dans une réforme de politique sans réfléchir à la façon dont elle pourrait être vécue à la fin.

La présidente : Merci.

La sénatrice Bellemare : Monsieur Stanford, en tant que directeur du Centre for Future Work, avez-vous une suggestion à nous faire, à nous et aux provinces qui connaissent de grandes pénuries de main-d’œuvre et qui ont plus d’emplois vacants que de chômeurs dans certains secteurs? Ce ne sera peut-être pas le cas plus tard si nous sommes en récession. Mais dans la perspective à moyen et à long terme que nous font envisager les tendances démographiques, que nous conseilleriez-vous?

M. Stanford : Excellente question. Nous pourrions y consacrer toute une réunion. En premier lieu, j’hésite beaucoup à utiliser l’expression « pénurie de main-d’œuvre ». Je sais que les employeurs l’utilisent tout le temps. Je ne crois pas que l’économie canadienne soit à court de travailleurs. Nous avons encore le chômage officiel. Qui plus est, nous avons des bassins de main-d’œuvre sous-utilisée dans le sous-emploi et l’emploi à temps partiel, dans les personnes qui seraient disposées à travailler si elles pouvaient trouver un travail qui leur convient, et notamment dans les groupes défavorisés comme les Canadiens handicapés, les Canadiens racisés, et ainsi de suite; et parmi les personnes qui ne trouvent pas d’emploi décent sur le marché du travail avant que le taux de chômage soit au plus bas et que les employeurs commencent à être désespérés.

Je préfère inverser la question. Si vous aviez un engagement de maintenir le plein emploi de manière que tous ceux qui sont disposés à travailler sachent qu’ils peuvent le faire de façon décente, alors il y aurait toujours plus de postes vacants que de chômeurs. C’est une bonne chose. Cela forcerait les employeurs à répartir la main-d’œuvre de la façon la plus judicieuse, en donnant aux travailleurs le choix de l’endroit où travailler, plutôt que d’avoir à se précipiter sur le premier emploi qui s’offre.

L’autre point auquel vous avez fait allusion est que cette pénurie de main-d’œuvre ne va pas durer. Nous allons dans le sens contraire.

Pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre, il faudrait notamment soutenir l’activité sur le marché du travail, y compris pour les groupes marginalisés que j’ai mentionnés, dont les femmes. Le programme d’éducation de la petite enfance sera utile à cet égard. J’ai fait valoir que l’organisation d’un service public universel de garde d’enfants pourrait amener plusieurs centaines de milliers, c’est-à-dire trois quarts de million, plus de femmes sur le marché du travail. C’est une aide énorme.

La réglementation salariale que j’ai mentionnée en réponse à la question précédente, où nous fixons les salaires et les avantages sociaux en fonction d’un plan, de manière systématique, plutôt que par des luttes sporadiques entre les plus forts sur le marché, contribuerait également à stabiliser les résultats sur le marché du travail dans des conditions de chômage faible, mais soutenu.

La présidente : Merci.

Le sénateur Yussuff : Dernière question, monsieur Stanford. Les données que nous avons depuis quelques mois sur l’affaiblissement du marché du travail illustrent bien que les répercussions ne sont pas universelles à l’échelle de l’économie. Différents secteurs sont touchés. Selon vous, si la tendance à long terme se confirme, surtout pour les femmes et les travailleurs de couleur, en ce qui concerne la récession, quelles seront les répercussions sur ces deux groupes?

M. Stanford : Malheureusement, le marché du travail est un endroit très injuste et les groupes qui sont historiquement désavantagés sont généralement les derniers embauchés et les premiers congédiés. Je pense à cet égard aux personnes handicapées qui trouvent du travail décent et aux Canadiens racisés qui doivent surmonter la discrimination et la ghettoïsation de l’emploi pour décrocher un travail décent.

L’un des avantages des taux de chômage très bas, c’est que ces personnes ont de bien meilleures chances. Les membres du comité qui sont parents de jeunes adultes en quête d’une place sur un marché du travail où, jusqu’à il y a quelques années, ils envisageaient une carrière faite d’une longue série d’emplois précaires en savent quelque chose. Soudain, lorsque le taux de chômage est très bas, les jeunes et les autres groupes ont de bien meilleures chances de trouver un travail décent. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous devrions faire du maintien d’un faible taux de chômage notre principal objectif macroéconomique.

À l’inverse, lorsque nous allons dans l’autre sens, ces groupes auront tendance à être les premiers à être remerciés, parce qu’ils sont plus concentrés dans les emplois non permanents, le travail à temps partiel, les postes occasionnels, les emplois temporaires, si bien qu’ils sont plus faciles à sacrifier. Ils ont aussi tendance à se trouver dans des industries comme l’hôtellerie et le commerce de détail, qui sont cycliquement plus vulnérables dans l’état actuel des choses. Je crois que la récession, outre le préjudice global qu’elle implique, frappera de manière disproportionnée ceux qui sont le moins capables d’en encaisser les conséquences, et c’est l’une des raisons pour lesquelles je suis si troublé par la direction que nous prenons.

La présidente : Merci beaucoup de votre participation, monsieur Stanford. Nous vous sommes reconnaissants de votre contribution et de vos réponses à un large éventail de questions aujourd’hui.

Pour la gouverne des sénateurs ici présents, la semaine prochaine, dans les deux jours qui nous sont réservés, nous étudierons le projet de loi d’intérêt privé de la sénatrice Moncion sur le financement des universités de langue française. Puis, ce sera la semaine de l’Action de grâces. Nous pourrons alors revenir à ce que nous avions prévu pour cette semaine-là.

Encore une fois, merci, monsieur Stanford.

M. Stanford : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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