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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 4 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 18 h 30 (HE), par vidéoconférence, pour étudier le Projet de loi S-215, Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire.

Le sénateur Colin Deacon (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bienvenue à la séance du Comité sénatorial des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Colin Deacon. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse, et je suis vice-président du comité.

J’aimerais vous présenter les membres du comité : la sénatrice Bellemare, la sénatrice Gerba, le sénateur Loffreda, le sénateur Woo, la sénatrice Moncion, la sénatrice Ringuette, le sénateur Smith et la sénatrice Marshall.

Nous entamons aujourd’hui l’étude du Projet de loi S-215, Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire. En ce qui concerne notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir notre collègue, la sénatrice Moncion, qui est la marraine du projet de loi. Elle est accompagnée de Darius Bossé, un avocat du cabinet Juristes Power Law, et nous sommes rejoints par vidéoconférence par Juliette Vani, une avocate du cabinet Juristes Power Law. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous joindre à nous ce soir.

Sénatrice Moncion, la parole est à vous pour votre témoignage d’une durée d’environ cinq minutes de témoignage.

[Français]

L’honorable Lucie Moncion, marraine du projet de loi : Bonsoir, chers collègues.

J’aimerais tout d’abord remercier le président et les membres du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie de l’invitation à comparaître aujourd’hui au sujet du projet de loi que je marraine au Sénat, le projet de loi S-215.

La Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire est un projet de loi élaboré dans le contexte du recours, par l’Université Laurentienne, à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, qu’on appelle communément la LACC, la CCAA en anglais, dans le cadre de sa restructuration. Pour l’essentiel, le projet de loi prévoit que, sur recommandation du ministre désigné, les établissements d’enseignement postsecondaire publics ne pourraient pas recourir à la LACC ou à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité pour effectuer une restructuration.

En amont d’une telle recommandation, le ministre désigné devra élaborer une proposition à la lumière des consultations menées auprès des parties prenantes identifiées dans le projet de loi. Cette proposition devrait comprendre des initiatives fédérales, y compris des modifications législatives visant à réduire le risque que les établissements d’enseignement postsecondaire publics et privés fassent faillite ou deviennent insolvables, ainsi que des mesures visant à protéger et à soutenir les étudiants, les professeurs, les employés et les communautés touchés en cas de faillite ou d’insolvabilité d’un établissement. La proposition devra être déposée devant les deux Chambres du Parlement, au plus tard un an après l’entrée en vigueur de la loi, et les possibles amendements législatifs proposés devront être accompagnés d’un échéancier pour leur présentation.

En somme, le projet de loi obligera le gouvernement du Canada à proposer des solutions visant à améliorer la santé financière des établissements d’enseignement postsecondaire canadiens et à assurer qu’une restructuration effectuée en vertu de la LACC, comme celle qu’a faite l’Université Laurentienne, soit l’exception, et non la règle.

[Traduction]

J’aimerais maintenant présenter le contexte du projet de loi. L’Université Laurentienne est le premier établissement postsecondaire public à entamer des procédures de restructuration en vertu de la LACC. Ce processus sans précédent a eu des conséquences économiques, culturelles et universitaires dévastatrices pour les collectivités du Nord de l’Ontario et, en particulier, la ville de Sudbury. Comme vous le savez, des centaines de professeurs et d’employés de l’Université Laurentienne et de trois anciennes universités fédérées ont été mis au chômage. Une douzaine de programmes ont été éliminés, y compris plusieurs programmes français et autochtones, exacerbant ainsi les problèmes existants de jeunes qui quittent le Nord et l’anglicisation des étudiants francophones en raison du manque d’options en matière de programmes en français.

Pourquoi la LACC ne serait-elle pas une option pour régler la situation financière de nos collèges et universités publics? Pour répondre à cette question, permettez-moi de citer la vérificatrice générale de l’Ontario, Bonnie Lysyk. Dans son rapport intitulé Point de vue préliminaire sur l’Université Laurentienne, elle écrit ce qui suit :

Il existe un argument solide selon lequel la LACC, un outil important utilisé dans le secteur privé, constitue un recours inapproprié pour les entités publiques. Certains principes tenus en haute estime dans le secteur public — notamment la transparence, la responsabilisation et la primauté de l’intérêt public — font de la protection accordée par les tribunaux en vertu de la LACC un choix préjudiciable pour les entités publiques.

La LACC est un outil juridique qui permet aux entreprises insolvables de redevenir rentables, au profit de leurs créanciers. Il s’agit d’un objectif légitime dans la plupart des cas. Cependant, en l’absence d’une orientation claire de la politique publique, ce pragmatisme commercial est inapproprié pour le traitement d’un établissement d’enseignement financé par des fonds publics. Les gouvernements et, par extension, le public ont des intérêts directs liés à la viabilité financière des institutions postsecondaires. La LACC ne prévoit aucun mécanisme de consultation des intervenants ni aucune obligation de tenir compte du mandat des institutions concernées.

Pour toutes ces raisons, il est inapproprié pour ces entités d’utiliser ces outils juridiques. En cas d’insolvabilité ou de risque accru d’insolvabilité, le gouvernement fédéral doit étudier la question et envisager un processus de restructuration différent et adapté à ces entités publiques ayant un mandat éducatif. Le projet de loi S-215 fournit le plan directeur pour atteindre cet objectif.

Je vais simplement parler de la constitutionnalité de ce projet de loi. Pour les questions relatives à la constitutionnalité de ce projet de loi, j’aimerais renvoyer les membres du comité à l’avis juridique que j’ai déposé devant ce comité. Je pense que le document sera fourni demain, car nous avons rencontré des retards attribuables à la traduction de l’avis juridique du français vers l’anglais.

En résumé, en ce qui concerne le partage des pouvoirs en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, le projet de loi respecte la limite de la compétence fédérale en matière de faillite et d’insolvabilité. Le véritable caractère du projet de loi S-215 est d’établir un processus en vue d’une éventuelle modification par le Parlement de la législation sur la question de la faillite et de l’insolvabilité institutionnelles. Ce projet de loi ne modifie pas l’état du droit, en l’absence d’une proposition du ministre et de son approbation. En ce sens, il ne crée pas de vide juridique et propose une voie prudente à suivre.

L’opinion à laquelle je me réfère soulève cependant un problème concernant le titre et le titre abrégé du projet de loi. Les titres des lois sont utilisés par les tribunaux pour déterminer le véritable caractère d’une loi lorsqu’ils analysent la constitutionnalité des compétences. Il serait donc préférable, en vertu des règles du droit constitutionnel, que le titre et le titre abrégé du projet de loi soient modifiés afin que soit employée une formulation qui ressemble davantage au langage utilisé en matière de faillite et d’insolvabilité, des enjeux qui relèvent clairement du gouvernement fédéral. Pour ces raisons, je proposerai, au moment opportun, un amendement visant à modifier le titre actuel afin qu’il devienne « Loi concernant des arrangements financiers pour les établissements d’enseignement postsecondaire ».

Je suis disponible pour répondre à toutes vos questions. Je vous remercie encore une fois de m’avoir invité à comparaître devant vous et d’avoir écouté mon exposé. À un moment donné, je demanderai à Darius Bossé et à Juliette Vani de compléter certaines des questions et des commentaires que je vous fournirai.

Le vice-président : Merci. Je demanderais à Me Bossé et à Me Vani de nous présenter leur domaine de compétence et la contribution qu’ils apportent à la réunion du comité.

[Français]

Me Juliette Vani, avocate, Juristes Power Law : Je suis Juliette Vani et je travaille avec mon collègue Darius Bossé chez Juristes Power Law. Notre firme se spécialise en droit constitutionnel. C’est pour cette raison que la sénatrice a fait appel à nos services sur la question de la constitutionnalité de ce projet de loi. Nous sommes ici ce soir pour répondre à toute question à cet égard en espérant que vous aurez accès à notre avis juridique, comme la sénatrice l’a suggéré, très prochainement.

Me Darius Bossé, avocat, Juristes Power Law : Je suis Darius Bossé. Ma collègue y a fait référence : je travaille également chez Juristes Power Law.

[Traduction]

Ce n’est pas totalement inhabituel, mais lorsqu’on vous demande de fournir un avis juridique, celui-ci est confidentiel. Cependant, nous parlons maintenant de cet avis très publiquement. Je crois comprendre que la sénatrice voulait s’assurer que le projet de loi respectait les limites de la compétence fédérale. Nous avons confirmé que c’était le cas, et nous serions très heureux de répondre aux questions à cet égard.

Notre cabinet s’occupe également des droits des minorités, des droits linguistiques et des groupes autochtones et métis également. Nous aimons donc le domaine du droit constitutionnel. Nous nous sentons très privilégiés d’avoir été invités à accompagner la sénatrice aujourd’hui.

Le vice-président : C’est merveilleux. Je vous remercie infiniment tous les deux de nous avoir fourni ces informations. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Loffreda : Je vous présente mes félicitations, et je remercie notre groupe de témoins. Sénatrice Moncion, je vous remercie d’être parmi nous, et je vous félicite d’avoir présenté ce projet de loi dont nous avons tant besoin. Je dis cela parce que, pour revenir sur le débat qui a suivi votre deuxième lecture du projet de loi S-215, le secteur postsecondaire est une industrie qui génère 55 milliards de dollars par an. Pour citer votre discours de deuxième lecture, il « représente environ 2,4 % de l’économie nationale ». C’est donc un secteur important. La sénatrice Moncion a poursuivi en disant ce qui suit pour mettre la question en contexte :

Nous devons agir dès maintenant afin d’épargner aux communautés le sort qu’a vécu celle du Nord de l’Ontario dans le cadre de la restructuration de l’Université Laurentienne sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Le cas de l’Université Laurentienne est une première.

Le projet de loi S-215 comprend la précision suivante :

(2) La proposition visée au paragraphe (1) est élaborée en consultation avec des représentants provenant :

(a) des établissements;

(b) des gouvernements provinciaux et des administrations municipales;

(c) des groupes et associations formés d’étudiants, de professeurs et d’employés des établissements ou qui défendent les droits de ceux-ci.

Avez-vous à l’esprit des associations ou des groupes particuliers?

La sénatrice Moncion : Je vous remercie de votre question, sénateur Loffreda, et d’avoir mentionné les informations que j’ai fournies pendant mon discours de deuxième lecture.

Oui, différents groupes sont très touchés par la faillite d’une université. Les étudiants sont les premiers à souffrir d’une faillite ou de la suppression de programmes par une université. Ils sont les premiers touchés. Si nous examinons l’Université Laurentienne, pour vous donner un peu de contexte, le programme de formation de sages-femmes a été complètement supprimé. Certains des étudiants qui étaient à mi-chemin de leur programme n’avaient nulle part où aller. Je crois comprendre qu’une autre université de l’Ontario a repris le programme, mais les étudiants représentent le premier groupe à être directement touché.

Le deuxième groupe qui est touché lorsqu’on supprime des programmes, ce sont les professeurs de l’université dont les postes ont été supprimés. Dans le contexte de l’Université Laurentienne — et Darius me corrigera si je me trompe —, plus de 100 membres du corps professoral ont été licenciés sans indemnité de départ. Les professeurs sont touchés par ces décisions. Ils auraient dû être au moins consultés à ce sujet.

La communauté investit beaucoup d’argent dans les universités par l’intermédiaire des fonds qu’elle fournit pour les bourses d’études et, dans d’autres universités, lorsqu’elle fournit des sommes importantes pour financer les fonds des étudiants et les projets universitaires. Elle devrait également être consultée. Puis il y a la société dans son ensemble. L’Université Laurentienne dessert les communautés de l’ensemble du Nord de l’Ontario. Elle assure la couverture d’une superficie de 800 000 kilomètres carrés. Il y a environ un quart de million de francophones dans cette région. Ce sont des gens qui devront aller plus loin pour obtenir leur éducation, qu’ils l’obtiennent en français, c’est-à-dire dans leur propre langue, qu’ils soient forcés de fréquenter une université anglophone ou qu’ils doivent se rendre dans les universités d’autres provinces.

Le gouvernement provincial doit également être consulté, car il finance les universités. Il doit faire partie de la conversation lorsque des situations comme celle-ci se produisent.

Ai-je oublié quelqu’un?

Me Bossé : De plus, en ce qui concerne le processus de la LACC, par exemple, c’est la première fois qu’une université fait appel à ce cadre et met en danger des programmes qui sont protégés par une loi quasi constitutionnelle de l’Ontario, c’est-à-dire la Loi sur les services en français. Les groupes qui défendent ces droits ont dû se frayer un chemin dans ce processus, qui n’est pas vraiment adapté à ce type de questions. Les intérêts qui sont pris en considération dans un processus de LACC sont surtout d’ordre financier, et la loi n’a pas tendance à composer ou à être apte à composer avec des droits constitutionnels ou d’autres droits.

La sénatrice Moncion : J’ai oublié d’ajouter qu’il y a aussi le secteur de la recherche, car le gouvernement fédéral fournira, par l’intermédiaire du CRSNG et d’autres organismes de financement, les fonds disponibles pour la recherche dans les universités. Ces organismes devraient également être consultés dans des situations comme celle-ci. Il s’agit d’un processus de consultation très large. Un grand nombre de personnes jouent un rôle dans les universités, et un grand nombre de personnes souffrent quand une situation comme celle-ci se produit.

Le vice-président : Merci beaucoup. Vous nous avez donné une bonne idée de l’importance de ce projet de loi.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup d’être ici ce soir. Madame Moncion, c’est très étrange de vous voir de l’autre côté de la table.

J’ai trouvé la première partie du projet de loi très intéressante, et c’est par là que le sénateur Loffreda a commencé. Vous dites que le ministre doit élaborer une proposition. De quoi s’agirait-il concrètement? Que contiendrait cette proposition?

La sénatrice Moncion : Il s’agirait d’une mobilisation. Si nous prenons le processus auquel l’Université Laurentienne a eu recours, et c’est le seul exemple que nous avons, mais toute autre université pourrait le faire. Il y a quelques années, en 2014 ou en 2015, l’Université Nippissing, qui se trouve dans ma ville, a demandé au gouvernement de l’Ontario de restructurer ses finances parce qu’elle rencontrait des difficultés. Il est important que pour toute université, la première étape soit de faire appel au ministère de l’Éducation, qui est la principale source de financement d’une université. Il doit examiner la situation de chaque université.

J’ai fait partie du conseil d’administration de l’Université de Nippissing pendant sept ans. Quand je suis partie, j’étais vice-présidente du conseil d’administration. À cette époque — et je pense qu’il en a toujours été ainsi en Ontario et partout ailleurs au Canada — les universités n’étaient pas autorisées à accumuler des déficits. Il est difficile de comprendre ce qui s’est passé ces dernières années et de déterminer en quoi la situation a changé. Le ministère de l’Éducation de l’Ontario et de toute autre province dans laquelle on finance l’éducation doit être mobilisé.

Le gouvernement fédéral a également un rôle à jouer en ce qui concerne les langues officielles et les organismes d’éducation autochtones, car, par l’intermédiaire du ministère du Patrimoine, il fournit des fonds aux provinces pour les programmes qui sont offerts aux universités. Ces sommes passent par le gouvernement provincial, afin de fournir plus de fonds pour des programmes particuliers destinés aux francophones et aux communautés autochtones.

La sénatrice Marshall : La proposition pourrait-elle en théorie inclure un soutien financier?

La sénatrice Moncion : Elle pourrait inclure un soutien financier ou une restructuration financière. Si vous passez tout de suite à la faillite, vous envisagez déjà de liquider des actifs pour payer les factures en souffrance des universités. Lorsque nous effectuons une restructuration, surtout dans le domaine de l’éducation, nous partons du principe que nous pouvons trouver d’autres moyens de régler le problème sans avoir recours à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Cette procédure entraîne des coûts. Dans le cas de l’Université Laurentienne, le coût de la protection, des avocats et des comptables qui travaillent sur ce dossier s’élève à 25 millions de dollars. [Difficultés techniques]

La sénatrice Moncion : Selon les besoins. Désolée.

La sénatrice Marshall : J’ai une question précise sur l’article 5. Il stipule que le ministre doit élaborer la proposition, et ce, au plus tard dans l’année suivant la date d’entrée en vigueur de cet article. Puis, l’article suivant stipule que le ministre la déposera « dès que possible ». Pourquoi n’y a-t-il pas d’échéance? « Dès que possible » pourrait signifier deux ou trois ans. Était-ce délibéré? Je m’attendais à ce qu’ils aient six mois pour déposer la proposition au Parlement. Avez-vous délibérément décidé de laisser « dès que possible » au lieu de fixer une échéance?

La sénatrice Moncion : Je vais laisser Me Bossé répondre, et j’ajouterai peut-être quelque chose à la fin.

Me Bossé : Je pense que le but était en partie de reconnaître que la question est complexe, et c’est également la sagesse de ce projet de loi. Il ne prescrit pas une réponse précise. Il reconnaît plutôt que le problème exige des solutions créatives.

Aux yeux de la loi, « dès que possible » signifie tout de même assez rapidement. Il s’agit d’un délai assez court. Le ministre a l’obligation de proposer une solution et de le faire dès que possible. Le ministre ne pourrait pas éviter de déposer la proposition.

La sénatrice Moncion : Dans le cas de l’Université Laurentienne, dès que celle-ci s’est placée sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, le gouvernement a été écarté du dossier jusqu’à ce que la proposition soit présentée aux créanciers. C’est alors que le gouvernement provincial est intervenu et a commencé à examiner la situation. Dès que vous invoquez cette loi, tout est suspendu. Tous les créanciers doivent attendre que la proposition soit présentée et qu’ils puissent l’examiner. En ce moment, dans le cadre de ce processus, étant donné que cela fera deux ans en janvier qu’ils ont examiné la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, ils ont une proposition. Elle a été présentée aux créanciers. Ils l’ont acceptée. Elle devait être soumise au tribunal aux fins d’approbation cette semaine, le 5 octobre, et elle a été reportée, je crois, au 21 novembre, mais ce processus aura pris presque deux ans. Le gouvernement provincial est intervenu entretemps pour répondre à des besoins particuliers liés au fonctionnement de l’Université pendant cette période.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je remercie notre collègue la sénatrice Moncion, que je félicite pour cette initiative, pour ce projet de loi.

Vous avez parlé des groupes concernés et j’aimerais vous entendre au sujet d’un groupe en particulier, les étudiants étrangers. Ce groupe représente, selon les chiffres de 2017-2018, environ 40 % des frais de scolarité. Cela représente un peu plus de 20 milliards de dollars. Il faut examiner ces groupes en particulier.

Vous avez parlé de reddition de comptes. Qui sera responsable d’évaluer la viabilité financière de ces établissements d’enseignement postsecondaire?

La sénatrice Moncion : Je vais commencer par répondre à votre deuxième question et je reviendrai aux étudiants étrangers.

J’ose espérer que tous les gouvernements provinciaux vont prendre la balle au bond, mieux réglementer les opérations des universités et les vérifier davantage. Je viens du secteur des institutions financières. Vous pouvez le demander aux gens de ce secteur : ils vous diront que le coût de conformité à assumer en tant qu’institution financière pour demeurer solvable est énorme. On semble avoir manqué une occasion quand est venu le moment de faire la vérification des opérations des universités.

On sait que, entre les années 2000 et 2010, pour plusieurs universités, c’était la course à l’immobilier. Il fallait acheter des terrains, construire des édifices, et il y a eu des crises financières durant cette période. Les universités ont construit de beaux édifices et ont beaucoup investi dans le mortier et le béton. Quand arrivent des périodes un peu plus difficiles, on peut avoir des problèmes de liquidités et commencer à manquer d’argent pour rembourser nos dettes immobilières. Donc, on doit trouver des fonds pour rembourser ces dettes immobilières.

Au début des années 2000 — je vais parler de l’Ontario, et c’est à peu près pareil dans toutes les provinces —, 40 % du financement des universités provenait de la province; une autre partie du financement provenait des frais de scolarité et des frais accessoires, comme les résidences, les repas, les stationnements et tout cela. Les universités fonctionnaient très bien. Au fil des années, on a vu une diminution graduelle du financement de la part de la province; on a vu aussi un gel des frais de scolarité et une augmentation du nombre d’étudiants étrangers, puisque les frais de scolarité payés par les étudiants étrangers sont le double de ce que paie un étudiant non étranger.

Beaucoup d’universités canadiennes qui ont trouvé une façon de se financer de cette façon ont pu demeurer solvables et rentables. Certaines universités canadiennes se portent très bien et ont des surplus. Les grosses universités ont beaucoup plus accès au financement qui provient des étudiants étrangers. Elles ont beaucoup plus de financement accessible grâce aux bourses et aux fonds d’études qui sont créés. Elles ont beaucoup plus d’argent qui provient des fonds de recherche fournis par le gouvernement. Elles ont d’autres sources de revenus, ce qui fait en sorte qu’elles fonctionnent très bien.

Le Canada compte 349 universités et collèges de différente taille. Pour certaines provinces, comme le Québec, le financement de l’éducation est beaucoup plus élevé et il en est de même pour la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador. Cependant, il y a d’autres provinces, comme l’Alberta et la Colombie-Britannique, où l’on constate qu’il y a des problèmes. Il y a une grande disparité dans le financement qui est offert par les gouvernements provinciaux et ensuite, il s’agit de trouver des façons de financer au-dessus des opérations.

Ce qu’on dit au gouvernement, c’est qu’il est important de suivre l’évolution des universités, de s’assurer qu’elles demeurent rentables et qu’elles ne se retrouvent pas avec un problème de liquidités, comme c’est arrivé à l’Université Laurentienne.

Pour régler le problème de liquidités, ils ont utilisé les fonds des bourses qui étaient réservés aux étudiants. Ils ont utilisé les fonds de recherche, ainsi que l’argent qui provenait des programmes destinés aux Autochtones et aux services en français. Ils ont fait tout cela pour essayer de maintenir la solvabilité de l’université. Ils n’ont pas réussi et ils ont dû se placer sous la Loi sur la protection et les arrangements avec les créanciers. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.

Nous croyons que, avec le projet de loi S-215, on ne devrait pas se rendre là. Nous croyons aussi que le gouvernement devrait être à son affaire pour tout ce qui concerne l’éducation, parce que, pour l’avenir de nos régions, de nos provinces et du Canada, avoir des établissements de choix pour les étudiants, qu’ils soient canadiens ou étrangers, est très important.

Nous sommes bien vus au Canada. Le pays reçoit plus de 300 000 demandes qui viennent de l’étranger chaque année, ce qui représente un montant assez important.

La sénatrice Gerba : Je vous remercie de la réponse. J’aimerais renchérir sur ce que vous venez de dire. Parmi les 349 universités, est-ce qu’il y en a qui sont en difficulté en ce moment?

La sénatrice Moncion : Nous avons communiqué avec certaines universités francophones, et on sait qu’en Alberta, le Campus Saint-Jean est en difficulté. On sait que l’Université de Moncton n’a pas de difficultés financières comme telles, mais elle n’est pas très riche. Je vous dirais que les plus petites universités ont tendance à éprouver un peu plus de difficultés sur le plan de la solvabilité et du maintien des dépenses.

Notre étude ne s’est pas faite de façon exhaustive, mais nous pourrons vous transmettre les informations que nous avons présentement.

La sénatrice Bellemare : D’abord, félicitations pour votre projet de loi. Comme le disait Me Bossé, c’est un projet de loi très complexe. Par contre, je suis perplexe et j’ai beaucoup de difficulté à comprendre.

Je comprends la cause, et je suis d’accord sur le fait qu’il faut protéger nos universités francophones, pas seulement au Québec, mais partout au Canada. Les universités en région et celles qui ont des missions collectives et communautaires sont tout aussi importantes.

Cependant, ce que je comprends mal, c’est la nature du projet de loi par rapport à certaines de vos affirmations, notamment lorsque vous dites que vous vous êtes entretenue avec le recteur et vice-chancelier de l’Université de Moncton.

Ce n’est pas votre université qui expérimentait un déficit structurel et opérationnel, mais cela m’a rappelé que votre université accuse un déficit structurel et opérationnel.

Comment, dans un contexte de déficit structurel et opérationnel — qui sont souvent un problème que peut éprouver une institution sous juridiction provinciale —, peut-on en même temps demander de responsabiliser le gouvernement fédéral dans la recherche de solutions et la prise de décisions? C’est sur cet aspect que je me pose des questions. C’est peut-être parce que, dans mon propre schéma, les pressions s’exercent sur le plan provincial. Au Québec, c’est la façon de fonctionner.

Les universités essaient d’innover dans toutes sortes de secteurs. Je ne prétends pas que cela ne se fait pas aussi de votre côté, mais comment ce projet de loi pourra-t-il régler un problème structurel de chiffres?

La sénatrice Moncion : Je vous remercie. C’est une excellente question pour laquelle Me Bossé pourra expliquer la dimension juridique. Je vais commencer en disant que le gouvernement fédéral a des fonds réservés à toute la question des programmes francophones. Il s’agit d’un aspect du financement.

Vous avez le projet de loi qui est de compétence fédérale et vous avez une université provinciale qui utilise une loi fédérale pour se placer à l’abri de ses créanciers. Donc, il y a un degré de responsabilité associé à l’utilisation de la Loi sur les arrangements avec les créanciers.

Maintenant, sur le plan des transferts aux provinces en matière de financement des universités, le gouvernement fédéral a une responsabilité pour tout ce qui touche l’éducation, que ce soit en français ou en anglais.

Le gouvernement fédéral a également des fonds associés à l’éducation en français partout au Canada, notamment le Programme des langues officielles dans l’enseignement, le PLOE. Le fédéral a aussi des fonds consacrés aux Autochtones, car il y a tout de même une responsabilité fédérale en ce qui a trait aux transferts dans les programmes qui touchent les langues officielles.

Sur la question juridique, je cède la parole à Me Bossé ou à Me Vani.

Me Vani : Pour ce qui est de la compétence fédérale en matière de faillite et d’insolvabilité, le projet de loi, tel qu’il est rédigé actuellement, respecte cette compétence. Évidemment, les initiatives qui seront proposées par le ministre devront demeurer dans ce champ de compétence.

Lorsqu’on examine le projet de loi, on peut voir les objectifs qui sont énoncés, voulant que le ministre doit [Difficultés techniques] initiatives. Au paragraphe 4(2) figurent des objectifs en matière de faillite et d’insolvabilité.

Ces objectifs sont les suivants : premièrement, réduire le risque qu’un établissement fasse faillite ou devienne insolvable; deuxièmement, protéger les étudiants si l’établissement fait faillite ou devient insolvable — donc, dans des cas de faillite et d’insolvabilité; troisièmement, c’est la même chose pour les communautés qui seraient touchées si un établissement faisait faillite ou devenait insolvable. Ces trois objectifs [Difficultés techniques] et les initiatives que le ministre proposera devront s’inscrire dans ce champ de compétence.

Évidemment, je comprends que votre question est plutôt de savoir si, en demeurant dans sa compétence, le ministre pourra proposer quelque chose qui pourra réellement remédier au problème auquel on fait face.

Cela reste à voir, et ce n’est pas le projet de loi S-215 qui permettra de répondre à la question. Par contre, parfois la compétence en matière de faillite et d’insolvabilité est peut-être un peu plus large que ce qu’on pourrait croire, parce qu’il faut un état d’insolvabilité ou un risque d’insolvabilité. Les innovations peuvent être telles qu’on n’est pas nécessairement obligé d’aller vers une procédure de distribution des actifs pour traiter une faillite. On peut vraiment trouver des remèdes en amont.

Par ailleurs, la définition de l’état d’insolvabilité est également prévue dans la législation en matière d’insolvabilité. Donc, le gouvernement fédéral pourrait arriver avec une définition d’insolvabilité suffisamment large pour lui permettre d’intervenir avant que les problèmes deviennent impossibles à régler sans assurer une redistribution des actifs.

Comme la sénatrice Moncion vient de le mentionner, je crois aussi qu’il est possible que l’initiative provienne du pouvoir de dépenser du fédéral, qui n’est lié à aucune compétence particulière. Il pourrait rendre l’octroi des fonds conditionnel à certaines initiatives provinciales, auquel cas certaines provinces pourraient refuser ces fonds. Par contre, il n’y aurait pas de problème de partage des compétences à cet égard.

Par ailleurs, ce qui est intéressant avec le projet de loi, c’est qu’il propose la consultation avec les parties prenantes. Cela permettra peut-être de trouver des initiatives auxquelles on n’aurait pas pensé jusqu’ici avec le projet de loi, mais qui pourraient ressortir lors des consultations avec le ministre. Donc, c’est aussi un élément à considérer.

Je ne sais si Me Bossé aimerait ajouter un commentaire ou si j’ai répondu à votre question.

Me Bossé : Pour donner un exemple de problème structurel, c’est que si le projet de loi invite le ministre à consulter et à déterminer quels sont les problèmes... Si, dans un cas, le problème, c’est un problème de financement, le gouvernement fédéral, comme ma collègue l’a invoqué, peut utiliser son pouvoir fédéral de dépenser pour aider à trouver des solutions à ce problème, par exemple, en demandant que les provinces fournissent une contribution similaire. Si le problème relève de la reddition de comptes, comme la sénatrice Gerba l’a mentionné, le gouvernement fédéral peut demander que des conditions d’une réglementation provinciale qui encadrent mieux la reddition de comptes soient liées à son transfert de fonds.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Je remercie la sénatrice Moncion et les témoins de leur présence aujourd’hui et de la passion qu’ils démontrent pour ce sujet. Je vais poursuivre sur la question de la sénatrice Bellemare.

En écoutant les réponses, j’ai compris que votre projet de loi comporte un objectif explicite et un objectif implicite. Je soutiens l’objectif explicite sur le principe; il consiste à réfléchir à d’autres cadres pour la gestion de graves problèmes de liquidités ou d’insolvabilité au sein d’institutions publiques, comme des universités, et à déterminer si nous pourrions concevoir une autre façon de régler ces problèmes. Je suis d’accord. Je ne sais pas quelle serait cette solution, mais nous pouvons y réfléchir.

Cet objectif explicite repose sur l’hypothèse implicite qui vient de ressortir ces dernières minutes, à savoir que le gouvernement fédéral ou la province fournirait un renflouement, ou bien le gouvernement fédéral tordrait le bras de la province pour qu’elle le fasse, ou celle-ci céderait aux pressions exercées sur elle, ou quelque chose du genre. Si vous supprimez cette hypothèse ou cette croyance implicite, alors vous restructurez l’objectif explicite d’un modèle de restructuration différent. Cela revient simplement à trouver un autre moyen de faire souffrir les parties prenantes, si je peux m’exprimer de la manière la plus crue. La LACC est un moyen très rudimentaire d’infliger une souffrance pour résoudre de graves difficultés financières. Elle comporte un classement des créanciers et un gel des paiements, etc. Tout le monde doit accepter une réduction, non? Les tribunaux déterminent le montant de cette réduction. Si vous éliminez l’hypothèse implicite d’un renflouement, il faudra quand même procéder à une réduction. Quelqu’un va devoir subir une perte.

Nous pourrions en discuter pendant longtemps. Existe-t-il vraiment une meilleure approche de la restructuration qui ne nécessite pas de renflouement et que les gens trouveraient plus satisfaisante, ou cette approche engendrerait-elle simplement plus de difficultés pour l’institution? Il sera difficile de négocier avec l’école de sages-femmes, les architectes, le quartier où se trouve votre université et toutes les autres parties prenantes. Cette approche pourrait aboutir à une disparition plus rapide de l’établissement.

La sénatrice Moncion : La question porte sur le renflouement et sa structure. Le problème, ou la difficulté, devrais-je dire, pour les universités et les personnes qui se placent sous la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, est de comprendre l’ampleur du problème au sein de l’institution, la manière de le résoudre et le temps que cela pourrait prendre. Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir recours à des fonds de renflouement. Le problème structurel d’une université pourrait découler d’une dette à long terme. Il pourrait s’agir d’un problème qui ne pourra pas être résolu en deux ou trois ans; cela pourrait prendre 20 ou 25 ans. Il ne s’agit pas d’injecter de nouveaux fonds dans l’institution, mais d’offrir un financement qui sera assorti de conditions strictes.

Oui, à un moment donné, des décisions difficiles vont être prises, mais elles le seront sur la base d’une pleine compréhension de la situation. Que se passe-t-il lorsqu’une université se place sous la LACC? Il en résulte un processus qui est mené par un nombre très limité de personnes. L’idée est de réduire et de régler le problème rapidement, contrairement à ce qui se passe lorsqu’on examine la situation dans son ensemble et que l’on trouve tous les aspects qui posent problème. Vous regardez le problème dans sa globalité. Si vous examinez certains des problèmes structurels potentiels, vous pourriez constater un problème avec le fonds de pension, qui pourrait nécessiter plus d’argent que ce qui serait faisable sur le long terme. Vous ferez des coupes à un moment donné, mais vous le ferez en vous assurant que les gens savent ce qu’il en est et en trouvant des solutions autres que le simple fait de vous débarrasser de la plupart de vos créanciers.

Dans le cas de l’Université Laurentienne, les gens obtiennent de 14 à 24 ¢ sur chaque dollar. En fin de compte, beaucoup de personnes ont perdu de l’argent, contrairement à ce qui se serait produit dans le cadre d’une restructuration financière à plus long terme grâce à laquelle les gens pourraient peut-être obtenir 50 ¢ par dollar au lieu de ce qu’ils reçoivent actuellement.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Merci beaucoup, sénatrice Moncion, pour vos intentions fort louables. Je n’ai aucun doute à cet égard. Par contre, je me pose des questions au sujet de l’implication du gouvernement fédéral. On parle de paiements de transfert pour les établissements d’enseignement postsecondaire et, ce qui est particulier, pour les universités en contexte minoritaire, que ce soit des établissements anglophones au Québec ou des établissements francophones dans le reste du pays. Cependant, une fois que ces paiements sont remis aux provinces, la vérification se fait par le vérificateur de la province. On n’a jamais de reddition de comptes à l’échelon fédéral. C’est ma première observation.

Ma deuxième observation concerne la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la LACC, qui a été la porte qu’a empruntée l’Université Laurentienne. Votre projet de loi, qui relève de la seule compétence fédérale dans un dossier semblable, exclut les établissements d’enseignement postsecondaire de ces deux entités fédérales. En réalité, le seul lien qu’il pouvait y avoir dans une situation pareille, on vient de l’exclure, ou alors on l’exclut par le biais de ce projet de loi. On dit que, dorénavant, dans le cadre de ces deux projets de compétence fédérale, les établissements d’enseignement postsecondaire sont exclus de la définition; je trouve que cela pose problème.

Je comprends où vous voulez aller. Vous voulez avoir un système plus coopératif pour les établissements d’enseignement. Êtes-vous convaincus que l’approche que vous préconisez est la solution? Vous devrez me convaincre.

Me Bossé : Sur la question de la compétence fédérale, j’aimerais souligner que la proposition du ministre pourrait être de créer une section dans la LACC qui traiterait spécifiquement de ces institutions, avec un régime plus approprié aux considérations soulevées lorsqu’une institution publique postsecondaire est financée par des fonds publics, mais qui mettraient également en œuvre les droits de certains groupes. Alors, une fois que l’on met toutes ces considérations ensemble, peut-être que le ministre dira que cela mérite un régime qui est propre à une faillite ou à une insolvabilité pour ces institutions.

Ce que l’on sait, c’est que, lorsqu’il y a un processus en vertu de la LACC, les plus faibles ne gagnent pas. Ce ne sont pas les programmes comptant le moins d’étudiants qui sont protégés; ce sont plutôt les premiers qui sont coupés. Souvent, ce sont justement les programmes qui aident les communautés vulnérables et les gens qui ont des droits constitutionnels...

[Traduction]

Le vice-président : Nous allons devoir passer à l’intervenant suivant à un moment donné. Pouvez-vous conclure rapidement?

La sénatrice Ringuette : J’ai besoin d’être convaincue que c’est la voie à suivre.

[Français]

Me Bossé : Cette loi serait de compétence fédérale, ou plutôt cette proposition serait de compétence fédérale.

Me Vani : Le ministre n’a pas à retirer de la LACC et de la LFI les établissements d’enseignement postsecondaire; il doit le faire seulement si cela est cohérent avec sa proposition. Donc, il pourrait décider de laisser les établissements d’enseignement postsecondaire dans ces deux lois et de leur attribuer une section qui mentionnerait qu’il y a d’autres intérêts qui doivent être considérés dans l’ordre où seront traitées les créances. Le ministre pourrait décider que la meilleure façon de procéder serait de conserver ces deux lois, mais d’y apporter certains ajustements. Ce pourrait être une loi complètement différente, qui s’appellerait par exemple « Loi sur la faillite et l’insolvabilité des établissements d’enseignement postsecondaire » et qui ressemblerait à la LFI; ce n’est pas nécessairement une exclusion qui va résulter de ces initiatives.

[Traduction]

Le vice-président : Merci, maître Vani.

Nous allons passer au deuxième tour. Nous allons poser nos questions chacun notre tour et voir quelles réponses nos témoins peuvent nous fournir. Des questions rapides, si possible, puis nous laisserons la parole à nos témoins pour essayer de conclure.

Le sénateur Loffreda : Nous avons parlé de la faillite et de ce qui se passe si cette situation se produit, mais le domaine que j’aimerais aborder — et je reviendrai pour cela au discours que vous avez prononcé à l’étape de la deuxième lecture — est la prévention. Comment le projet de loi S-215 préviendra-t-il les faillites? Je dis cela parce que l’un des aspects essentiels de la viabilité à long terme est toujours le financement, mais aussi le soutien de la communauté. Je parle de soutien communautaire parce que j’ai siégé au conseil d’administration de l’Université Concordia et j’ai organisé de nombreuses collectes de fonds pour l’Université McGill, et indépendamment de notre degré de réussite, la première chose que nous faisions était de nous demander : « Qui pourrions-nous réunir pour récolter des fonds pour la communauté? » Nous commencions toujours par examiner le budget. Je reviens à votre discours, dans lequel vous dites :

Malgré l’émergence d’établissements par et pour les francophones comme l’Université de Sudbury qui a l’appui clair et unifié de sa communauté,...

Je mettrais ces mots en majuscules.

... les gouvernements tardent à agir.

Avez-vous réfléchi à cette question? Comment le projet de loi contribuera-t-il au soutien de la communauté? Comment aidera-t-il à obtenir un financement? La prévention serait peut-être une meilleure solution que l’insolvabilité.

Enfin et surtout — peut-être pourrez-vous répondre par écrit — vous parlez du projet de loi S-215 et vous dites que le ministre devrait être responsable de l’élaboration d’une proposition d’initiatives fédérales visant à réduire le risque qu’un établissement fasse faillite ou devienne insolvable, etc., mais quel ministre? À qui cette responsabilité revient-elle, selon vous?

Le vice-président : Nous allons poser les trois questions, puis nous recueillerons les réponses par écrit si nous ne pouvons pas les obtenir dans le temps qui nous reste.

La sénatrice Marshall : Cela va-t-il empiéter sur les compétences provinciales? Je pense à ma propre province. Tous les gouvernements provinciaux ne seront peut-être pas d’accord. S’il y a de l’argent en jeu, ce sera probablement le cas. J’estime que cela pose problème.

L’autre question qui se pose est la suivante : si la proposition est mise en œuvre et que le ministre la dépose au Parlement dès que possible, que pouvons-nous faire pour garantir la reddition de comptes? Je pense que la sénatrice Ringuette a abordé ce point. Lorsque nous mettrons en œuvre la proposition ou quand la proposition sera mise en œuvre, quel sera le mécanisme de reddition de comptes qui permettra le retour au ministre et le dépôt devant les deux Chambres?

[Français]

La sénatrice Bellemare : Ma question reprend un peu les thèmes qui viennent d’être abordés. Je me demande si, pour simplifier le projet de loi, ce ne serait pas une bonne idée d’y supprimer la responsabilité des initiatives fédérales et d’inclure cela dans une loi.

Pourquoi ne pas essayer de le faire, politiquement parlant? De toute manière, si les gens ne veulent pas se rencontrer, ils ne le feront pas, qu’il y ait une loi ou non. On parle de consultations et de tout cela. Donc, il faudrait avoir une stratégie basée sur l’implication des provinces et du fédéral et avoir les dispositions nécessaires dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité qui permettent d’agir. On aurait quelque chose de plus simple pour aider l’université et bâtir un modèle construit sur des échanges survenus lors de consultations.

La sénatrice Moncion : Cela fait partie des choses qui devraient être revues, à notre avis, parce que la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies est si facile à utiliser et si accessible que, très souvent, les entreprises ne font pas les efforts nécessaires pour trouver des solutions qui pourraient régler leurs problèmes sans qu’il y ait de perte d’entreprise. Je prends trois minutes pour cet exemple-là, puis nous allons répondre par écrit aux questions posées par les sénateurs.

Prenez Mountain Equipment Co-op (MEC). Quand MEC a utilisé la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies — c’était une coopérative —, leur premier réflexe a été de se mettre à l’abri de leurs créanciers, et ils ont vendu la coopérative à des intérêts américains.

Cependant, dans le modèle coopératif, ils avaient tout ce dont ils avaient besoin pour régler leur problème. Tout ce qu’ils avaient à faire, c’était de demander à leurs membres une part de 5 $ de plus, car ils avaient plus de cinq ou six millions de membres. Ils n’avaient qu’à aller chercher 5 $ de plus auprès de chacun de leurs membres et ils auraient réglé leur problème de liquidités et d’insolvabilité. Utiliser la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies a été rapide, ils ont réglé leur problème, mais Mountain Equipment Co-op a disparu.

[Traduction]

Le vice-président : Je pense que nous avons obtenu d’excellentes réponses. Toutes les questions n’ont pas reçu une réponse complète. Je vais donc demander à nos témoins s’ils peuvent faire un suivi pour répondre aux dernières questions. Si vous souhaitez ajouter quelque chose, veuillez nous transmettre vos commentaires par l’intermédiaire de la greffière.

Les réponses passionnées qui ont été données ont certainement attiré mon attention sur l’importance de cette autre solution, et je suis heureux que nous l’étudiions en profondeur. Je vais conclure et remercier nos témoins d’avoir été présents. Nous allons passer au prochain groupe de témoins.

Nous accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins. Dans la salle, nous avons M. David Robinson, directeur général de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, et Mme Sarah Godwin, directrice des services juridiques et des relations de travail, avocate générale de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université. Nous recevons par vidéoconférence Mme Susan Wurtele, présidente de l’Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario, et de Mme Mina Rajabi Paak, analyste des politiques de l’Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario.

Nous allons commencer par la déclaration liminaire de M. Robinson, qui sera suivi de Mme Wurtle. Si vous pouviez limiter vos déclarations à moins de cinq minutes, ce serait formidable.

David Robinson, directeur général, Association canadienne des professeures et professeurs d’université : J’aimerais commencer par reconnaître que nous nous réunissons ce soir sur le territoire non cédé et traditionnel du peuple algonquin.

Je suis reconnaissant de l’invitation qui m’a été faite d’être ici ce soir au nom de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université. Pour ceux d’entre vous qui ne nous connaissent pas, nous représentons 72 000 professeurs, bibliothécaires et professionnels de plus de 120 établissements postsecondaires dans toutes les provinces du pays.

La Loi sur la protection des établissements d’enseignement postsecondaire contre la faillite exclurait les établissements postsecondaires publics de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Notre association appuie pleinement cet important changement. Ces processus sont inadéquats et inutiles pour les institutions, les universités et les collèges financés par des fonds publics et vont à l’encontre des valeurs et des principes fondamentaux de ces établissements, y compris, et surtout, de la prise de décision collégiale et de la liberté universitaire. Nous l’avons appris à nos dépens. En février 2021, l’Université Laurentienne a été la première université financée par des fonds publics à demander et à recevoir la protection de la LACC. La décision prise par l’administration de cette université a été inutile, inadéquate, coûteuse et destructrice.

Elle était inutile, car il existait déjà des mécanismes qui auraient permis de régler les difficultés financières de l’établissement. Premièrement, comme l’a fait remarquer la vérificatrice générale de l’Ontario, l’université n’a pas suivi le précédent normal du secteur public élargi pour demander une aide financière au gouvernement provincial. Deuxièmement, en prenant cette décision, l’administration a délibérément fait fi du libellé du contrat conclu avec l’Association des professeures et professeurs de l’Université Laurentienne, qui prévoit une procédure précise à suivre en cas de véritables pressions financières. Presque toutes les associations de professeurs du Canada ont négocié dans leur convention collective des dispositions sur les urgences financières qui traitent de ce type de crise financière. L’administration de l’Université Laurentienne a choisi de faire fi de la convention collective, a délibérément caché des renseignements financiers à l’association des professeurs et a eu recours à un processus juridique coûteux et combatif.

En cherchant à obtenir la protection de la LACC et en écartant le processus lié aux urgences financières, l’administration a également trahi les valeurs fondamentales de l’université. N’oublions pas qu’historiquement, les clauses liées aux urgences financières sont apparues dans les conventions collectives précisément pour protéger les principes de la prise de décision collégiale et de la liberté universitaire. Les processus liés aux urgences financières garantissent que les décisions relatives à la restructuration pédagogique et à l’élimination de programmes ne sont pas prises en fonction d’un diktat de l’administration ou des créanciers, mais de la participation active de la communauté universitaire, c’est-à-dire des personnes qui détiennent l’expertise en matière d’enseignement.

Le libellé relatif aux urgences financières protège également la valeur fondamentale de toutes les universités : la liberté universitaire. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada, la liberté universitaire est nécessaire pour permettre la recherche du savoir et le rayonnement des idées en toute liberté, qui sont essentiels à la vitalité de notre démocratie. La liberté universitaire confère au personnel universitaire le droit d’enseigner, de faire des recherches et d’exprimer des opinions sans censure ou représailles de la part des établissements. La titularisation, qui n’est accordée qu’après une longue période probatoire, est la garantie procédurale de la liberté universitaire. Elle garantit que le personnel universitaire ne peut être licencié que pour un motif valable ou des raisons financières justifiées. Le libellé relatif aux urgences financières garantit que les administrations n’utilisent pas une crise financière comme couverture pour violer les principes de la permanence et de la liberté universitaire en ciblant les universitaires qu’elles trouvent controversés, difficiles ou impopulaires. En bref, les valeurs et les objectifs des établissements postsecondaires sont incompatibles avec le cadre commercial qui guide habituellement les procédures de la LACC.

Enfin, la procédure de la LACC est également extrêmement et inutilement coûteuse par rapport aux solutions normales liées aux urgences financières. L’administration de l’Université Laurentienne a dépensé inutilement des dizaines de millions de dollars pour payer des avocats et des consultants, alors que près de 200 postes de professeurs et d’employés ont été perdus et que 69 programmes ont été éliminés, dont un grand nombre de programmes uniques de langue française et de programmes autochtones, y compris le seul programme bilingue autochtone de sages-femmes desservant le Nord de l’Ontario.

Plus tôt cette année, l’ACPPU a publié un rapport commandé par Simon Archer, de Goldblatt Partners, et Virginia Torrie, professeure de droit à l’Université du Manitoba. Sa conclusion était la suivante :

Les objectifs des politiques des établissements publics, comme les universités, sont incompatibles avec la principale raison d’être de la législation relative à l’insolvabilité, qui est d’encourager la prise de risques commerciaux. Les universités dépendent des financements publics, qui leur servent de filet de sécurité. L’application de la LACC à ces établissements modifie les règles de base de leur fonctionnement. Elle requiert que ces établissements soient concurrentiels sur un « marché », elle marchandise les biens et les intérêts publics, et elle sape la gouvernance [...]

Dans la conclusion de ce rapport, on souligne le besoin pressant de modifier la LACC et la Loi sur la faillite et l’insolvabilité pour empêcher son utilisation par les universités et les collèges publics. J’exhorte donc le comité à appuyer cette loi, surtout à la lumière des dures leçons tirées du cas de l’Université Laurentienne.

Merci.

Le vice-président : Merci, monsieur Robinson.

Susan Wurtele, présidente, Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario : Je m’adresse à vous depuis le territoire traditionnel et visé par un traité du peuple anishinabe de Mississauga.

Je suis présidente de l’Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario, dont l’acronyme est OCUFA. Je suis accompagnée ce soir de Mina Rajabi Paak, analyste des politiques à l’OCUFA. Nous représentons 17 000 professeurs à temps plein, chargés de cours et bibliothécaires de 30 universités de l’Ontario, dont l’Association des professeures et professeurs de l’Université Laurentienne. Nous sommes ici aujourd’hui pour témoigner devant le comité au sujet du projet de loi S-215, Loi sur la protection des établissements d’enseignement postsecondaire contre la faillite.

Nous appuyons fermement les mesures proposées dans le projet de loi, en particulier les modifications apportées à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, qui permettront d’exclure les établissements d’enseignement postsecondaire de ces mécanismes. La LACC est conçue pour protéger les entreprises privées de leurs créanciers et n’a pas sa place dans le secteur public. Les établissements publics et les établissements bénéficiant d’une aide publique diffèrent des sociétés privées à bien des égards, notamment par les exigences de conformité aux politiques provinciales qui leur sont imposées et leurs règles de fonctionnement en matière de responsabilité, de finances et d’administration. Ces établissements ne devraient pas être assujettis aux mêmes règles que celles qui régissent les sociétés privées au chapitre de l’insolvabilité financière et de la faillite.

En février 2021, le corps professoral, le personnel, les étudiants et les gens du milieu universitaire de partout au Canada ont été abasourdis d’apprendre que l’Université Laurentienne, un établissement public de l’Ontario, avait demandé la protection contre l’insolvabilité en vertu de la LACC. Cette démarche sans précédent a déclenché les plus importantes compressions jamais effectuées dans une université canadienne, causant l’annulation de 69 programmes d’études et la perte de près de 200 postes de professeurs et d’employés. Ces coupes ont ébranlé les fondations de la collectivité de Sudbury et mis en péril de nombreux programmes universitaires qui faisaient partie intégrante de la mission de la Laurentienne en tant qu’institution bilingue et triculturelle ayant pour mandat de servir le Nord de l’Ontario.

Les coupes dans les programmes et les cours offerts en français vont à l’encontre de l’engagement du Canada envers le bilinguisme et auront un impact incommensurable sur les possibilités d’études et d’emploi de l’une des plus grandes communautés francophones du Canada à l’extérieur du Nouveau-Brunswick et du Québec. En réaction, la commissaire aux services en français de l’Ontario a reproché à l’administration de la Laurentienne et au gouvernement de l’Ontario d’avoir failli à leurs devoirs de protection des intérêts des francophones de l’Ontario. Ces compressions ont également entraîné la fermeture du programme d’études autochtones de la Laurentienne, un département de premier plan en Amérique du Nord, à un moment où l’enseignement dans une perspective autochtone est considéré comme une composante essentielle de l’engagement du Canada à donner suite aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. La perte de ces programmes montre bien pourquoi il est inacceptable que les institutions publiques de toutes sortes, et plus particulièrement les universités, soient soumises à un mécanisme conçu pour protéger l’investissement des actionnaires et des consommateurs.

Un rapport préliminaire du Bureau du vérificateur général de l’Ontario a révélé qu’il était inapproprié que la Laurentienne invoque la LACC et que cela aurait pu être évité. Ce rapport fait également état de mauvaises décisions de gestion et de mauvais choix financiers de la part des responsables de l’administration, d’une transparence limitée et de l’inaction du gouvernement provincial.

Bref, il incombe aux gouvernements fédéral et provinciaux d’assurer la santé et la viabilité des institutions publiques au moyen de lois, de règlements et de financement. Le but des institutions publiques comme les universités est de renforcer le tissu social et culturel de nos collectivités et de servir le bien commun, alors que le but d’une société privée est en grande partie de générer des profits pour les actionnaires. La législation destinée aux entreprises privées n’a pas sa place dans le secteur public.

Le fait que l’Université Laurentienne ait été en mesure de demander une protection contre ses créanciers a de profondes répercussions sur toutes les institutions financées par l’État au Canada. Sans une réforme de la LACC et la LFI, ces mécanismes pourraient être utilisés ailleurs pour restructurer d’autres institutions et miner le système public d’éducation postsecondaire du Canada.

Nous exhortons le comité à tirer des leçons de la crise de la Laurentienne et à recommander l’adoption du projet de loi S-215 afin d’éviter que d’autres établissements d’enseignement postsecondaire publics essentiels du Canada ne soient soumis à des procédures en vertu de la LFI ou de la LACC. Nous partageons avec le comité la volonté de garantir au Canada un réseau universitaire public indépendant, stable, accessible, de grande qualité et prospère. C’est dans cet esprit que nous vous présentons nos observations à l’appui du projet de loi aujourd’hui. Merci.

Le vice-président : Merci, madame Wurtele. Nous passerons maintenant aux questions des sénateurs.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Si je comprends bien, vous appuyez le projet de loi, plus particulièrement les dispositions qui concernent la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Je ne vous ai pas entendus parler des propositions concernant le plan structurel des ministres.

Mon interprétation de votre position est-elle correcte? Vous êtes d’accord avec le projet de loi, et notamment les particularités qui touchent à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité?

[Traduction]

M. Robinson : Je pense que nos observations portent davantage sur la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies en vertu de laquelle la Laurentienne s’est protégée contre l’insolvabilité. De même, nous ne voudrions pas qu’un établissement puisse se prévaloir de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité non plus.

La sénatrice Bellemare : Nous parlons ici d’universités, de capital humain et d’un problème de solvabilité. Nous avons des règles en matière de responsabilité qui sont très pointues pour le capital en général. Pensez-vous — je ne sais pas si c’est de votre domaine de compétence ou si vous y avez déjà réfléchi — que si nous avions d’autres règles comptables sur le capital humain et l’investissement dans ce domaine, ce pourrait être utile pour financer la production de tant de savoir ou ce genre de capital?

M. Robinson : C’est assurément une grande question. Elle dépasse largement mon domaine de compétence. Je peux toutefois vous dire que d’après notre expérience, la responsabilité et la transparence devraient indéniablement être des piliers du fonctionnement des universités et des collèges. Les universités et les collèges devraient rendre compte de leur gestion financière à leur collectivité. Nous avons découvert que les problèmes à la Laurentienne relevaient notamment d’un manque de gouvernance, de surveillance et d’imputabilité.

Je dirais que l’une des principales leçons que nous avons tirées de l’expérience de la Laurentienne, c’est que non seulement il faut revoir les mécanismes prévus par la LACC et les règles sur l’insolvabilité et la faillite, mais il faut examiner les structures de nos institutions et la façon dont elles rendent des comptes à la collectivité. Il est clair que dans ce cas particulier, personne en dehors d’un petit groupe n’était pleinement conscient de l’ampleur de la crise financière dans laquelle ils étaient enlisés jusqu’à ce qu’il ne soit trop tard.

Le sénateur Loffreda : Je remercie nos témoins d’être présents parmi nous.

Je voudrais revenir à la question que j’ai posée à la sénatrice Moncion. Nous étions tous très excités à l’idée qu’elle soit à la barre des témoins et nous avions tellement de questions qu’elle n’a pas eu l’occasion de répondre à toutes, mais elle y répondra par écrit, d’après ce que j’ai compris. J’aimerais avoir votre avis. L’objectif de ce projet de loi est également la prévention. Nous voulons prévenir l’insolvabilité et la faillite. Vous avez mentionné le mot « collectivité ». À la deuxième lecture, elle avait mentionné que l’Université Laurentienne bénéficiait d’un soutien important au sein de sa collectivité. Je ne la cite pas textuellement, ici, mais c’était l’intention de son commentaire. Je pourrais le retrouver et le citer, mais c’est ce qu’elle avait l’intention de dire, et elle l’a dit. Vous avez mentionné les collectivités.

Comment le projet de loi S-215 contribuera-t-il à prévenir la faillite et l’insolvabilité? Vous semblez en savoir un peu plus sur la faillite de l’Université Laurentienne que beaucoup d’entre nous. J’ai fait partie du conseil d’administration de l’Université Concordia et j’ai participé à des collectes de fonds pour l’Université McGill, et la participation de la collectivité était énorme dans ces universités. On veut toujours que le gouvernement intervienne le moins possible et que le soutien collectif l’emporte autant que possible sur le soutien gouvernemental. C’est toujours mieux.

Pourquoi n’y avait-il pas de soutien de la collectivité? Comment le projet de loi S-215 améliorera-t-il les relations de travail? Est-ce qu’il améliorera les relations de travail?

M. Robinson : Merci beaucoup pour cette question.

Je pense que la meilleure façon d’empêcher une institution de sombrer dans l’insolvabilité est de veiller à suivre les dispositions relatives aux exigences financières qui sont la coutume et l’usage dans le vocabulaire contractuel de presque toutes les conventions au pays. Les exigences financières sont là pour prévenir une catastrophe financière, mais on parle ici d’une catastrophe qui touche toute la société. La Laurentienne aurait pu décider d’appliquer les dispositions sur les exigences financières bien avant de dépasser le point de non-retour. Elle a décidé de ne pas le faire. Mais elle aurait pu adopter, et le vérificateur général de l’Ontario l’a dit clairement, une approche beaucoup plus coopérative et inclusive dans laquelle toutes les considérations, pas seulement les considérations financières, mais aussi les considérations éducatives, auraient été prises en compte.

Je ne pense pas que le projet de loi prévoie de mesure de prévention directe, mais il empêche les établissements de contourner un processus meilleur, moins coûteux et plus inclusif pour régler des problèmes financiers.

Mme Wurtele : Je suis tout à fait d’accord avec les commentaires que M. Robinson a faits au sujet de ce projet de loi. Il permettrait de faire une pause suffisamment longue pour engager des démarches supplémentaires. Je pense que la situation à la Laurentienne est survenue si rapidement qu’il n’y a pas eu de moment où la collectivité a pu intervenir et se coordonner pour essayer de sauver l’université. Je pense que l’un des éléments importants de ce projet de loi est ce moment de pause qu’il prévoit pour essayer de faire intervenir des structures plus appropriées au sein du réseau universitaire, plutôt que de simplement invoquer la LACC et la LFI.

La sénatrice Marshall : L’un des éléments sur lesquels je bute, c’est que le ministre fédéral va élaborer une proposition pour aider un établissement qui a des problèmes financiers, mais que cela va nécessiter la coopération du gouvernement provincial, probablement de l’administration municipale, et d’autres intervenants. Je doute que cela fonctionne dans tous les cas, j’aimerais donc connaître votre avis sur cet aspect de la question. Cela semblerait pouvoir fonctionner, mais tels que je connais les gouvernements provinciaux, je dirais que certains considéreront que cela empiète sur leurs compétences.

Quand je pense à ce qui est arrivé à l’Université Laurentienne, à la lecture du rapport de la vérificatrice générale, la province semblait prête à laisser tomber l’université. Je veux dire qu’il est toujours possible que dans un autre cas également, la province souhaite la chute de l’établissement, mais pas le gouvernement fédéral. Il est toujours possible qu’ils aient des positions contraires. J’aimerais savoir ce que vous en pensez, monsieur Robinson. J’aimerais également, madame Wurtle, que vous nous en parliez un peu.

M. Robinson : Merci de cette question.

Je pense que la difficulté, ici, c’est que l’enseignement postsecondaire est une responsabilité partagée, dans une certaine mesure. Évidemment, les provinces sont responsables du financement des activités de base pour réaliser l’objectif d’enseignement de l’établissement, tandis que le gouvernement fédéral joue surtout un rôle de premier plan dans la recherche. Nous nous sommes rendu compte, à la Laurentienne, que l’argent fourni par le gouvernement fédéral à des fins de recherche n’allait pas à la recherche, mais plutôt aux revenus généraux. Il y avait un problème grave, qui touchait à la fois le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. J’espère sincèrement qu’il y aura une volonté de coopération dans ce genre de situation, parce qu’il y a des fonds provinciaux et des fonds fédéraux qui sont injectés dans le système.

Mme Wurtele : Les mécanismes prévus dans la LACC sont ainsi structurés que tout s’arrête presque immédiatement quand le processus est enclenché et qu’il n’y a aucune porte de sortie. Il n’y a pas d’information qui circule, il n’y a vraiment aucune possibilité de trouver des solutions.

Pour répondre à votre question au sujet du ministre et de la personne qui serait responsable, notre secteur est unique en ce sens que nous sommes à l’intersection de plusieurs compétences différentes. Nous dépendons vraiment de l’appui de diverses autorités, mais cela signifie que nous touchons également différents acteurs. Il y a tout un éventail de parties qui ont, selon nous, la responsabilité de veiller à ce que les universités ne passent pas à travers les mailles du filet dans ces procédures. Je pense qu’à bien des égards, l’Université Laurentienne est passée à travers les mailles du filet en tombant sous le coup d’une loi qui ne lui convenait pas dans les circonstances.

La sénatrice Marshall : Mais le projet de loi dicte sans équivoque que la proposition doit être élaborée en consultation avec des représentants de l’établissement, du gouvernement provincial, de l’administration municipale, du gouvernement fédéral, des groupes et associations. Il y a beaucoup d’intervenants. D’après mon expérience, je pense que ce serait un défi que tout le monde s’entende sur une proposition. Je pense que cela pourrait être compliqué.

Sarah Godwin, directrice des services juridiques et des relations de travail, avocate générale, Association canadienne des professeures et professeurs d’université : Si nous supprimons la béquille de la LACC, que ce n’est plus une option, alors il devra y avoir des consultations, de la transparence et des discussions. Il n’y aura pas d’autre choix. À la Laurentienne, la vérificatrice générale a découvert qu’ils planifiaient depuis un an ou deux d’invoquer la LACC. S’ils n’avaient pas eu cette possibilité, ils auraient été forcés de recourir à la consultation et aux mécanismes prévus dans la convention collective.

La sénatrice Marshall : Le seul problème, c’est que même s’il y a des consultations, au bout du compte, pourra-t-on s’entendre sur une proposition que toutes les parties seront prêtes à appuyer? Je vois là un défi.

La sénatrice Moncion : J’aimerais que nous parlions davantage du processus de consultation parce que je pense que c’est important. Comment voyez-vous le rôle du gouvernement fédéral par rapport à celui du gouvernement provincial? Leurs responsabilités sont très différentes, mais elles sont complémentaires aussi. J’aimerais vous entendre là-dessus.

M. Robinson : Le problème, c’est qu’il y a un chevauchement de compétences, en ce sens que le gouvernement fédéral verse de l’argent aux établissements, et dans le cas de l’Université Laurentienne, il fournissait également un financement direct pour les programmes offerts en langue française en vertu de la Loi sur les langues officielles. Il s’agit d’un intervenant clé, particulièrement pour l’enveloppe de recherche. Pour ce qui est du gouvernement provincial, comme l’a souligné Mme Godwin, le problème s’est manifesté au moment où le processus de la LACC s’est enclenché. Une fois le processus lancé, nous savions qu’il y avait des consultations entre le gouvernement provincial et l’université, mais nous n’avions aucune idée de notre côté de l’objet des discussions ni de la nature des promesses. Au moins, le fait de lever le secret et de favoriser la transparence permet à tout le monde d’agir en connaissance de cause. J’espère que cela nous permettra d’avoir une conversation mature sur la façon de résoudre le problème. Le problème du processus découlant de la LACC, c’est qu’il est si secret que nous ne savons rien. Nous devons agir sur la base d’informations incomplètes.

Mme Wurtele : Je souligne que je suis impressionnée par le nombre de sénateurs à ce comité qui ont de l’expérience du milieu universitaire, donc vous pouvez tous bien comprendre ce que je vais dire, c’est-à-dire que les universités sont habituées à trouver des solutions créatives. Elles ont l’habitude de sortir des sentiers battus pour trouver des solutions. Cependant, comme le disait Mme Godwin, tant que l’option d’invoquer la LACC en premier recours existe, elles pourront se défiler. Il est vrai que les discussions n’aboutiront peut-être pas à un résultat positif, mais cela ne signifie pas qu’il ne faut pas tenter le coup. À la lumière de mes années d’expérience dans le milieu universitaire, je dirais que s’il y a une chose pour laquelle nous sommes particulièrement doués, c’est pour trouver des solutions de ce genre.

La sénatrice Moncion : Et si, pendant les consultations, il fallait solliciter la voix d’autres universités?

Mme Wurtele : Je pense qu’il y en a déjà divers exemples. Il arrive que des universités s’unissent pour corédiger des programmes, par exemple, ou pour trouver des synergies, qu’il s’agisse de programmes ou de l’embauche de professeurs. Il n’y a eu aucune ouverture de type, dans ce cas-ci, pour trouver des solutions qui auraient permis de sauver les emplois, les programmes et les services financés par l’État offerts dans la région.

Le sénateur Woo : Je crois que vous avez tous bien expliqué pourquoi la LACC n’est pas adaptée aux établissements d’enseignement postsecondaire, et je pense qu’il vaut la peine de réfléchir à de meilleures façons de résoudre les problèmes les plus difficiles. Quelle est votre théorie sur les raisons pour lesquelles l’administration de la Laurentienne n’a pas favorisé des options qui auraient manifestement été meilleures pour l’université dans son ensemble et vraisemblablement pour sa réputation, pour la collectivité et pour toutes les bonnes choses dont vous avez parlé? Pouvez-vous nous en donner une explication?

La clé ici, c’est que s’ils se sont plantés comme cela, pour utiliser une expression familière, c’est peut-être justement pourquoi il serait bon de cerner le problème. Il me semble que certaines des solutions que vous mentionnez existent déjà. Vous avez cité les exigences financières qui sont déjà en vigueur. S’agirait-il donc d’améliorer la formation des administrateurs des universités? S’agirait-il de prescrire un examen par les pairs entre universités afin que des administrateurs d’universités plus chevronnés puissent aider d’autres administrateurs d’universités? Devrions-nous aller jusqu’à concevoir un régime de fiducie pour l’insolvabilité et la faillite?

Mme Wurtele : Il est bien difficile pour moi de comprendre pourquoi l’administration a procédé ainsi. Je pense que M. David Robinson pourrait avoir d’autres pistes à vous donner parce qu’il a suivi de plus près que moi le processus enclenché sous le régime de la LACC. Nous savons, en tout cas, et il n’y a aucun doute, qu’à première vue, il semble s’agir d’un effort pour éviter les dispositions de la convention collective qui auraient exigé la tenue de ce genre de conversations. Il y a également des rumeurs d’un grand projet de transformation de l’université, qui aurait nécessité des démarches beaucoup plus longues et plus élaborées et qui n’aurait peut-être pas fait l’unanimité. Il y a beaucoup d’hypothèses qui ont été avancées, et je ne voudrais pas alimenter de rumeurs infondées.

Vous avez tout à fait raison de dire que la formation des administrateurs est d’une importance capitale. Je n’ai aucun doute qu’il y aura des améliorations à ce chapitre parce que la situation à la Laurentienne a été si horrible que je pense qu’il va de soi que les autres universités y prêteront attention. J’entends par là toutes les parties prenantes des universités.

Comme je l’ai dit, je pense que M. David Robinson a vécu la saga de la Laurentienne de plus près que moi, alors il pourrait peut-être vous donner des pistes.

M. Robinson : Avant de répondre à la question de savoir ce qui a motivé l’administration à agir ainsi, je dois vérifier avec mon avocate si j’ai le droit d’en parler dans cette salle.

Il est toujours délicat de s’avancer, mais pendant les négociations collectives, quand l’administration a prétendu être bien pauvre, financièrement, nous l’avons sommée d’ouvrir les livres et de nous en fournir la preuve. Elle ne nous a jamais fourni d’autres informations financières. Comme on l’a dit plus tôt, c’était le plan dès le début. Je pense qu’on avait dit aux administrateurs que c’était un moyen de faire face à la crise financière et de négocier avec le syndicat pour vider la convention de sa substance. C’est essentiellement ce qu’ils ont tenté de faire pendant la première phase des négociations en essayant de négocier un plan d’arrangement.

Je vous dirai surtout, pour répondre à votre deuxième question, que l’exemple de la Laurentienne est un parfait exemple de mauvaise gouvernance. La vérificatrice générale a clairement indiqué que le conseil d’administration n’était pas suffisamment informé et qu’il n’avait pas eu la rigueur voulue. Certaines personnes votaient sur des questions sur lesquelles elles étaient en situation de conflit d’intérêts. C’était un problème fondamental depuis le début, il manquait de transparence et d’imputabilité. L’association des professeurs n’avait pas de représentant au conseil d’administration, alors que c’est la norme dans la plupart des autres universités, pour assurer une certaine imputabilité et faire preuve d’ouverture avec la collectivité.

Il y a eu toute une série de ratés ici, et le processus de la LACC était l’outil parfait pour l’université, pour continuer de se terrer dans le secret et de s’en prendre aux programmes, aux individus et à la convention de façon extrêmement brutale. Lorsque le Sénat a été saisi de la question, on lui a dit que soit il acceptait le plan, soit il fermait l’université. C’est terrible de négocier avec un pistolet sur la tempe.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins.

Le projet de loi S-215 prévoit de protéger les étudiants en cas de faillite d’un établissement et de soutenir les communautés touchées par cette faillite ou par l’insolvabilité d’un établissement scolaire.

Tout à l’heure, avec le premier groupe de témoins, on a parlé des étudiants étrangers, qui sont l’une des sources de financement les plus importantes pour les universités. Comment pensez-vous que ce projet de loi pourrait mieux protéger les étudiants étrangers en particulier? Ils arrivent, ils ont un permis de séjour lié à leur inscription dans une université, leur financement est assuré d’avance, parce qu’il faut prouver qu’on a déjà payé son inscription, et ils se retrouvent dans un contexte où leur établissement scolaire est en faillite. Qu’est-ce qu’on peut faire pour mieux les protéger et résoudre le problème dans cette éventualité qui les placerait dans une situation financière très, très difficile?

[Traduction]

M. Robinson : C’est la grande question. Ce n’est pas que de la théorie, parce que nous connaissons beaucoup de difficultés dans le secteur privé à but lucratif, quand des étudiants internationaux arrivent au Canada et découvrent que l’établissement n’offre pas le programme qu’ils veulent, qu’il n’existe plus ou qu’il fait faillite. Il y a beaucoup de difficultés de ce type.

Jusqu’à présent, nous n’y avons pas été confrontés dans nos établissements publics, mais j’espère que si des programmes devaient être fermés ou déclarés redondants, il y aurait de la coopération avec les autres établissements pour accueillir ces étudiants internationaux afin qu’ils ne soient pas laissés en plan et que leur visa d’étudiant expire parce qu’ils n’ont plus de programme auquel s’inscrire.

Encore une fois, le processus de la LACC ne permet pas de tenir compte des intérêts des étudiants internationaux ni de tout autre étudiant. Les intérêts des créanciers priment sur tout le reste. C’est pourquoi cette loi est fondamentalement contraire à la raison d’être des établissements d’enseignement, qui est de servir les étudiants, de faire avancer les connaissances et de servir les collectivités. C’est très différent des entreprises commerciales.

Le vice-président : Madame Wurtele, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Wurtele : Non, je n’ai rien à ajouter, merci.

La sénatrice Ringuette : Je vous remercie pour votre présence. Je vous suis très reconnaissante de nous avoir fait part de votre mauvaise expérience avec l’Université Laurentienne.

De votre point de vue, il semble que le principal problème était le recours facile à la LACC. Le projet de loi à l’étude exclut de la LACC les établissements publics d’enseignement postsecondaire. Imaginez le scénario suivant : l’Université Laurentienne ne peut pas recourir à la LACC, alors, elle n’a d’autre option que de recourir à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. D’après ce que vous avez vécu, quelle aurait été l’option intermédiaire pour la Laurentienne et le gouvernement provincial? Si la seule option légale avait été la faillite, ce qui aurait voulu dire la fermeture, que se serait-il passé selon vous? Je sais que c’est un scénario hypothétique, mais il semble que la LACC est au cœur du problème.

Mme Godwin : Le problème, ce n’est pas uniquement la LACC, mais aussi la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, qui n’aurait pas dû être une option, car ce n’est pas une option appropriée. Dans ce cas-là, on aurait pu avoir recours à un mécanisme juridique prévu dans la convention collective, à savoir la disposition sur les urgences financières.

Le problème vient en partie du fait que le conseil d’administration évoluait peut-être dans un contexte commercial stéréotypé, et il se comportait en conséquence, comme s’il devait tout garder secret et éviter la transparence. Il ne lui a pas été possible d’obtenir de l’aide en consultant la province, par exemple, et en consultant l’association du personnel enseignant et les autres syndicats, car il n’a pas fait preuve de transparence. Lorsqu’on élimine les obstacles et qu’on exige la transparence, toutes sortes de dialogues et d’options deviennent possibles. La faillite ou le recours à la LACC n’étaient pas les seules options. Il y aurait pu y avoir des consultations pour trouver d’autres options.

La sénatrice Ringuette : Vous dites donc que, selon vous, la seule option devrait être celle du gouvernement fédéral, ce qui en quelque sorte forcerait la médiation. Est-ce exact?

M. Robinson : Ce que nous disons, c’est qu’il existe des pratiques et des normes dans le secteur concernant les urgences financières auxquelles on a déjà eu recours. Ce n’est pas de la théorie. L’Université Nipissing a vécu une crise financière à un moment donné. Elle n’a pas eu recours à la LACC, mais plutôt à la disposition sur les urgences financières et elle a négocié une solution. C’est quelque chose qui a déjà été fait, et cela fonctionne bien. Ce n’est pas une solution extraordinaire ni parfaite, mais elle est bien meilleure que le processus de la LACC, car tous les intervenants ont leur mot à dire et on s’assure que les valeurs d’éducation et d’enseignement demeurent au cœur de la discussion et qu’elles ne sont pas mises de côté.

Mme Wurtele : J’ajouterai que l’autre élément qu’on oublie, et on l’a déjà mentionné, c’est que la reddition de comptes et la transparence auxquelles on s’attend de la part d’établissements publics n’étaient pas au rendez-vous. La reddition de comptes et la transparence sont attendues des gouvernements fédéral et provinciaux. Nous ne pensons pas que des établissements financés par des fonds publics seront en mesure de se soustraire à cette exigence. C’est exactement ce qui s’est passé. Dès l’instant où on a eu recours à la LACC, tout le système s’est fermé et personne ne pouvait avoir un œil dessus. La vérificatrice générale le souligne d’ailleurs avec force dans son rapport provisoire, et je m’attends à ce qu’elle réitère ce point dans son rapport complet.

La sénatrice Ringuette : Vous avez mentionné une institution financière en particulier. Pouvez-vous en dire davantage?

M. Robinson : Je suis désolé, je faisais référence à l’Université Nipissing.

Mme Wurtele : Les urgences financières, peut-être.

La sénatrice Ringuette : Vous avez dit « urgences financières ».

M. Robinson : Je ne pense pas avoir mentionné le nom d’une institution financière.

Mme Wurtele : Est-ce que votre question porte sur les urgences financières?

La sénatrice Ringuette : Oui.

Mme Wurtele : La disposition sur les urgences financières est une disposition particulière dans les conventions collectives des professeurs qui, dans une certaine mesure, est conçue pour protéger un régime de permanence. Ce régime vise à faire en sorte que les professeurs ne puissent pas être renvoyés pour avoir, par exemple, enfreint des politiques, parlé en mal de l’université ou pour d’autres motifs liés à la liberté universitaire.

La disposition sur les urgences financières dans les conventions collectives établit un processus. Si une université se retrouve dans une situation financière tellement difficile qu’elle estime qu’elle doit mettre à pied des professeurs permanents, elle doit suivre un processus explicite dans le cadre duquel elle doit ouvrir ses livres, communiquer l’information et démontrer publiquement que les mises à pied sont nécessaires. Lorsque cela est fait, en vertu de la convention collective, l’université peut prendre des mesures pour améliorer sa situation financière en licenciant, par exemple, des professeurs permanents. C’est une disposition particulière dont bénéficie le système universitaire. Comme David Robinson l’a mentionné, cette disposition a déjà été utilisée. Dans le cas en question, l’association des professeurs a imploré l’université d’y avoir recours pour qu’elle puisse suivre ce processus approprié, un processus approprié pour le système universitaire.

Le vice-président : Je remercie beaucoup les témoins pour leurs réponses.

Nous allons commencer le deuxième tour, et j’aimerais bien que vous nous parliez de la façon dont les revenus d’une université ou d’un collège pourraient être touchés par le fait que des étudiants qui sont mis au courant des difficultés financières de l’établissement choisissent d’éviter de se retrouver dans une mauvaise situation en quittant l’université ou le collège en question. La diminution des revenus pourrait exacerber le problème. Avez-vous réfléchi à cela?

Mme Wurtele : Avant le cas de l’Université Laurentienne, nous n’avions aucun exemple de ce que donneraient les deux options. Il est certain que, lorsqu’une université a recours à la disposition sur les urgences financières, il s’agit d’un processus public. Je dois dire toutefois qu’il ne s’agit pas d’un processus aussi public que celui de présenter une demande pour se placer sous la protection de la LACC. Il ne fait aucun doute que cela pourrait exacerber le problème. Cependant, je pense que les universités parviennent très bien, lorsqu’elles travaillent ensemble de façon productive, à trouver des moyens d’assurer aux étudiants qu’ils seront protégés. C’est quelque chose qu’il est impossible de faire dans le cadre de la LACC. C’est possible de gérer l’information diffusée aux étudiants et de gérer les attentes dans le cadre d’un processus normal, mais on ne peut pas le faire quand on a recours à la LACC. Nous en avons vu les conséquences. L’Université Laurentienne mettra des dizaines d’années à se remettre de la publicité négative à son égard.

M. Robinson : La LACC, en ce qui a trait à la perception des étudiants, est l’option nucléaire. Cette solution est sortie de nulle part, sans avertissement. Les étudiants se retrouvent immédiatement dans une situation où ils se demandent si l’université sera encore là en septembre. L’université menaçait délibérément de fermer ses portes si elle n’obtenait pas tout ce qu’elle voulait grâce au plan d’arrangement.

Pour ce qui est des deux options, lorsqu’un établissement vit une crise financière ou qu’il est aux prises avec des difficultés sur le plan financier, il ne peut pas le cacher éternellement. Il doit donner l’heure juste à un moment donné. La question est : comment s’y prendre? Est-ce par l’entremise de ce processus secret, où on obtient tout ou rien, ou est-ce en essayant d’avoir une conversation avec les personnes concernées pour déterminer comment passer au travers de cette crise en causant le moins de dommages possible?

La sénatrice Marshall : J’aimerais revenir sur la question de la reddition de comptes, de la transparence et de la gouvernance. Monsieur Robinson, si j’ai bien compris, vous avez dit tout à l’heure que vous ne saviez vraiment pas ce qui se passait en ce qui concerne l’Université Laurentienne. Il n’y avait pas de transparence.

Il y a une partie du projet de loi qui me préoccupe. On y précise que le ministre doit élaborer une proposition. Il ou elle doit consulter le gouvernement provincial et l’administration municipale ainsi que les groupes, les associations, les étudiants et les professeurs. Je pense qu’on peut être en faveur de cela. Ensuite, le ministre doit élaborer la proposition dans un délai maximal d’un an. Cependant, on ne mentionne aucun délai pour le dépôt public de cette proposition. Il n’y a aucun paramètre. On dit seulement que cela doit être fait dans les meilleurs délais.

Il est très possible que le ministre élabore une proposition et qu’il vous consulte. Notre comité a entendu de nombreux groupes. Des ministres ont consulté les groupes, mais le résultat de ces consultations ne leur a pas plu. Ils étaient étonnés. Craignez-vous que, si vous participez à des consultations, au bout du compte, on ne vous dise pas à l’avance ce que contient la proposition? J’aimerais avoir votre opinion là-dessus.

J’aimerais également entendre le point de vue de Mme Wurtele.

M. Robinson : Je crois que, plutôt que des consultations, nous aimerions mieux une négociation dans le cadre du processus relié à la disposition sur les urgences financières des conventions collectives. Il ne faut pas des consultations, mais bien une négociation. Les deux parties doivent s’entendre sur la solution. Il faut un consentement mutuel sur la solution. C’est la meilleure façon de procéder. Des consultations avec une entité en particulier, ce n’est pas la voie à suivre. C’est plutôt une négociation.

La sénatrice Marshall : C’est presque une négociation, oui.

Madame Wurtele, avez-vous des commentaires ou des préoccupations à formuler? Ne pas imposer un délai pour le dépôt public de la proposition n’est pas pratique, n’est-ce pas? Vous pourriez vous retrouver à attendre trois ans avant de voir cette proposition.

Mme Wurtele : Je comprends le point que vous faites valoir. La seule solution de rechange que je peux voir, c’est la possibilité d’avoir recours à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, ou LACC, qui met fin à tout. Je ne pense pas avoir quoi que ce soit à ajouter aux propos de M. Robinson.

Le sénateur Loffreda : Nous avons dit que le cas de l’Université Laurentienne était une première et qu’il a créé un dangereux précédent. Vous connaissez tous les deux très bien le milieu universitaire en tant que représentants de l’Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario et de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université. Ma prochaine question est en quelque sorte une question générale. J’appuie le projet de loi, car l’Université Laurentienne a créé un précédent, et cette situation ne doit pas se reproduire. C’est pourquoi j’ai parlé au début de prévention.

Je vais tout de suite poser ma question, puis je vais donner des précisions. Connaissez-vous d’autres universités qui sont aux prises avec des difficultés financières semblables? Est-ce que ce projet de loi est vraiment nécessaire? Pourrions-nous en faire beaucoup plus en matière de prévention? Je crois que le sénateur Woo a abordé la question. J’ai beaucoup de mal à croire qu’il arrivera souvent que des universités canadiennes fassent la même chose dans l’avenir. Je dis cela parce que, comme j’ai déjà été cadre supérieur dans une institution financière canadienne, je sais que la dernière chose que nous voulons faire — la dernière chose — c’est acculer une université à la faillite. Nous ferons tout le reste, mais jamais nous ne déclarerons une université insolvable. Les banques canadiennes reconnaissent que les universités ont une réputation et une valeur. Elles n’iraient jamais jusque-là.

En ce qui a trait au soutien de la communauté, j’ai parlé des collectes de fonds qui ont été effectuées dans deux des universités — et il y en a d’autres —, et toutes les universités canadiennes ont des programmes précis à cet égard. Tout dépend du conseil d’administration. Est-il bien géré? Si ce n’est pas le cas, que pouvons-nous faire?

Je félicite la sénatrice Moncion. J’ai déclaré dès le début, lorsqu’elle a comparu devant le comité, qu’il s’agit d’une mesure législative réellement nécessaire, car nous ne voulons pas que cette situation se reproduise, mais il n’est pas facile de mettre en œuvre une mesure législative. Nous avons parlé des intervenants. La sénatrice Moncion avait elle-même une longue liste d’intervenants. Si tous ces intervenants venaient témoigner devant le comité, nous en aurions pour plusieurs mois. Est-ce que cette mesure législative est vraiment nécessaire?

Puis-je avoir vos commentaires à tous les deux? Il s’agit d’une question importante.

Mme Wurtele : Il s’agit effectivement d’une question importante, et je vous remercie de la poser.

Je dirais qu’avant février 2021, personne n’avait imaginé qu’une université pourrait prendre de telles mesures. C’était inimaginable, pour les raisons que vous avez décrites sous un angle différent. Oui, cette situation a eu lieu, sans que nous comprenions entièrement comment elle s’est produite. Maintenant, nous savons que cela a eu lieu et que c’est une possibilité. Je pense que c’est là l’aspect dangereux de ce précédent.

M. Robinson : Je suis d’accord en ce sens que je pense que l’Université Laurentienne a mis au jour une lacune dans la LACC. Elle a aussi exposé une lacune qui nous est propre en ce sens que nous n’avons pas vu venir cette situation. Personne n’avait imaginé que cela se produirait.

Est-ce que d’autres établissements sont aux prises avec des difficultés financières? Il y a certains établissements qui éprouvent des difficultés financières. Au cours de récentes séries de négociations collectives, certains établissements nous ont dit : « Voulez-vous d’une autre Laurentienne? » Ce cas est utilisé comme une menace par certains établissements. Je crois qu’il faut fermer cette porte et déterminer que lorsqu’il y a des difficultés financières, il faut suivre les processus collégiaux appropriés qui sont conformes à nos valeurs d’éducation en tant qu’institution.

Je pense que c’est nécessaire. C’est malheureux, mais je crois vraiment que cela s’impose.

Le sénateur Loffreda : Est-ce qu’une mesure législative favoriserait cela à l’avenir, car on pense que cela pourrait se reproduire? Je me fais l’avocat du diable.

M. Robinson : Je comprends, mais si la loi ferme cette porte, elle envoie un message. Elle dit : « Revenez aux processus que vous avez déjà, que vous avez négociés, qui ont déjà été utilisés et qui ont fait leurs preuves. »

Le sénateur Loffreda : Merci.

Le sénateur Smith : Je vous suis reconnaissant, sénatrice Moncion, pour ce que vous avez fait et je vous félicite. Je pense qu’il faut un leadership fort, mais… En fait, il n’y a pas de mais, mais la tête me tourne, car je ne pense sans cesse qu’à un seul mot, et ce mot est leadership. Je pense aussi à la mise en œuvre.

Il est facile de critiquer des gens et des situations, mais pour l’instant, je me dis que nous pouvons adopter ce projet de loi, si c’est ce que nous voulons. Mais ensuite? Il faut du leadership pour redémarrer quelque chose parce que c’est difficile à faire. D’après ma propre petite expérience, je peux vous dire que si, par exemple, vous possédez un stade de 55 000 places, que vous vendez 1 800 billets et que vous enregistrez des pertes pendant une dizaine d’années, une petite entreprise aura du mal à faire quoi que ce soit à cet égard. Quelles sont les prochaines étapes pour une grande entreprise qui bénéficie de la participation de la communauté? Il faut du leadership. Qu’est-il arrivé aux dirigeants? Les membres du conseil d’administration ne sont plus là? Avons-nous un portrait clair...

Le vice-président : Ou un vide.

Le sénateur Smith : … ou nous commençons à en avoir un? Quelle est la prochaine étape pour faire avancer les choses?

De toute évidence, le projet de loi doit être adopté. C’est le premier objectif, mais quelles sont les deux ou trois prochaines mesures à prendre, ou du moins les mesures auxquelles il faut penser maintenant? Le temps presse. Plus nous attendons avant d’agir, plus il sera difficile de le faire. C’est aussi simple que cela, mais cela me frappe et me donne un mal de tête.

Le vice-président : Madame Wurtele, pouvez-vous nous parler de ce vide sur le plan du leadership et de ce que nous devons faire pour nous sortir du gouffre?

Mme Wurtele : Je pense que l’une des principales leçons que nous avons tirées de cette situation, c’est que le conseil d’administration de la Laurentienne doit fonctionner autrement. Je crois qu’on nous a démontré que ce sera le cas. À mon avis, il y a un optimisme prudent. Je le répète, tant que le recours à la LACC demeurera une option pour l’Université Laurentienne ou pour d’autres établissements, cela n’amènera pas les gens à avoir des conversations difficiles et à développer un solide leadership.

Le sénateur Smith : Madame Wurtele, est-ce que le gouvernement sera effectivement chargé des opérations dans l’intervalle? Est-ce ainsi que la LACC sera mise en œuvre?

Mme Wurtele : Ce n’est pas ce que j’ai compris, mais M. Robinson en sait peut-être davantage.

M. Robinson : Je vais répondre rapidement, car je sais que le temps est presque écoulé. Je conviens tout à fait qu’il y a eu un manque de leadership, et c’est pourquoi l’une des conditions que nous avons posées à l’approbation du plan d’arrangement par les professeurs est le renouvellement du conseil d’administration. Presque tous les membres du conseil ont quitté leurs fonctions. Il y a une toute nouvelle équipe en place, et cela est nécessaire pour sortir de la situation.

En ce qui a trait à ce qui s’est passé, je peux vous dire que le gouvernement a conclu une entente dans le cadre de laquelle il a acheté les immeubles appartenant à la Laurentienne et il les loue à l’université. Cela procure un apport d’argent pour maintenir les opérations durant la mise en œuvre du plan de restructuration.

Le sénateur Smith : Est-ce qu’un comité est mis sur pied pour entamer ce processus et le faire avancer?

M. Robinson : Il y a plusieurs comités. Un examen de la gouvernance sera effectué. Encore une fois, nous avons dû nous battre pour que les professeurs soient représentés à ces comités. Un examen financier est aussi en cours. Tous ces examens ont lieu, mais le gouvernement n’exerce pas directement un contrôle. Cela constituerait, bien entendu, une violation de l’autonomie de l’établissement. Le gouvernement a mis en place un mécanisme de financement pour assurer le fonctionnement de l’université.

Le vice-président : Je tiens à remercier tous les témoins pour leur excellente contribution ce soir.

(La séance est levée.)

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