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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 6 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-215, Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire.

Le sénateur C. Deacon (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Colin Deacon. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et vice-président de ce comité. Je vais présider la réunion d’aujourd’hui.

J’aimerais présenter les membres du comité : la sénatrice Bellemare, le sénateur Dawson, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, le sénateur Massicotte, la sénatrice Ringuette, le sénateur Smith, le sénateur Marwah et la sénatrice Moncion.

Aujourd’hui, nous allons poursuivre notre étude du projet de loi S-215, Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire. J’ai le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence, Mme Virginia Torrie, professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université du Manitoba, et M. Emmanuel Phaneuf, associé chez Raymond Chabot Grant Thornton.

Bienvenue à tous. Merci d’être présents parmi nous aujourd’hui.

Madame Torrie, j’aimerais que nous commencions avec votre déclaration préliminaire s’il vous plaît.

Virginia Torrie, professeure agrégée, Faculté de droit, Université du Manitoba, à titre personnel : Merci. Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui pour faire part de mon expertise dans le cadre de l’étude du projet de loi S-215. Je suis professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université du Manitoba. Mon champ d’études est la faillite et l’insolvabilité, plus particulièrement la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, ou LACC, et les lois canadiennes sur la faillite et l’insolvabilité.

À mon avis, la LACC — et la législation sur l’insolvabilité commerciale — n’est tout simplement pas l’instrument qui convient pour remédier aux graves difficultés financières des universités publiques. Le projet de loi constitue un pas dans la bonne direction, d’une part, en empêchant les universités de tomber sous les lois sur l’insolvabilité commerciale, et d’autre part, en établissant un cadre adapté aux difficultés financières qui frappent exclusivement ces établissements.

Le Canada a déjà en place des régimes sur les faillites pour certains types d’entreprises et d’établissements — par exemple, les assureurs, les banques, les courtiers en valeurs mobilières et les exploitations agricoles. Ces régimes ont été établis pour pallier les lacunes d’une approche universelle, et parce que certains établissements suscitent des préoccupations uniques ou revêtent un trop grand intérêt pour le public pour que leur sort repose dans les mains de créanciers commerciaux.

Les procédures d’insolvabilité commerciale fonctionnent bien lorsque le débiteur est une entreprise à but non lucratif qui rend des comptes aux actionnaires. Par contre, elles ne peuvent pas faire grand-chose pour apaiser les préoccupations que suscitent les universités publiques aux prises avec des difficultés financières.

Prenons par exemple la restriction sur les demandes d’accès à l’information accordée par la cour à l’Université Laurentienne pendant une partie des procédures sous le régime de la LACC. Dans ce cas, les mécanismes de contrôle que devrait posséder tout établissement du secteur public — financé par l’argent des contribuables — sont entrés en conflit avec les analyses financières plus pointues sur lesquelles reposent les procédures sous le régime de la LACC. Voilà un exemple de résolution commerciale de l’inadéquation entre la nature du débiteur et les procédures sous le régime de la LACC. Cette façon de faire porte atteinte à la mission et la raison d’être des universités publiques.

Le processus de la LACC ne convient pas aux objectifs non financiers des établissements de haut savoir, dont la structure de gouvernance se caractérise par la concertation et la collégialité, ainsi que la reddition de comptes et la transparence envers les contribuables. Ce processus ne tient pas compte des vulnérabilités particulières des parties prenantes des universités, notamment les étudiants.

La LACC permet de trouver des solutions négociées pour l’insolvabilité des entreprises, mais ces résolutions découlent surtout du pouvoir de négociation relatif que possèdent les parties dotées de droits légaux. Comme les résolutions sont décidées dans les coulisses d’un processus de liquidation entrepris à la suite d’une faillite commerciale — qui ne convient pas du tout à l’insolvabilité des universités —, celles qui sont prévues dans la LACC sont idéales pour ceux qui sont familiers avec le système d’insolvabilité commerciale et qui ont d’assez gros moyens financiers.

L’élaboration d’une formule personnalisée — comme le propose le projet de loi — favoriserait la mise en place d’un processus adéquat permettant de résoudre l’insolvabilité des universités, qui relâcherait les points de tension révélés par l’affaire de l’Université Laurentienne. Ce processus établirait un forum pour la résolution de l’insolvabilité des universités publiques, qui pourrait s’avérer un excellent mécanisme de contrôle de la gouvernance. Ainsi, les dirigeants qui ont mal géré les finances de leur établissement n’auraient plus la discrétion sur le choix des méthodes de résolution de l’insolvabilité; toutes les parties concernées seraient traitées sur un même pied d’égalité en toute transparence.

Merci. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le vice-président : Merci beaucoup, madame Torrie.

Monsieur Phaneuf, avez-vous une déclaration préliminaire?

[Français]

Emmanuel Phaneuf, associé, Raymond Chabot Grant Thornton, à titre personnel : Merci de l’invitation. De mon côté, je suis heureux de partager mes connaissances et mes expériences en matière d’insolvabilité, qui pourraient toucher le projet de loi.

Je suis associé chez Raymond Chabot Grant Thornton et cela fait plus de 20 ans que je pratique dans le domaine de l’insolvabilité. J’ai eu la chance d’être impliqué dans différents dossiers d’insolvabilité et de collèges qui sont survenus au Québec, dont l’Institut Teccart, évidemment, et le Conservatoire Lassalle. Je pourrai donc partager mes expériences en ce qui a trait au projet de loi, plus précisément.

Est-ce que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) répondent parfaitement aux besoins? Possiblement que non. Est-ce que des amendements pourraient être apportés? Est-ce qu’une nouvelle loi pourrait être proposée pour y répondre? Possiblement.

Voilà. Je suis maintenant disposé pour répondre à vos questions. Merci.

[Traduction]

Le vice-président : Merci beaucoup, madame Torrie et monsieur Phaneuf.

Chers collègues, nous allons passer aux questions.

Le sénateur Massicotte : La nuit dernière, j’ai lu les procès-verbaux et le projet de loi S-215. Malheureusement, je n’étais présent que pour la moitié de la dernière réunion. Comme je suis président du Comité de l’énergie, j’ai eu un conflit d’horaire. Mon absence n’est pas due à un manque d’intérêt.

J’ai examiné le projet de loi hier soir. Je suis donc complètement néophyte. J’ai énormément de difficulté à comprendre ce que fera ce projet de loi. J’essaie de voir de quelle manière cette mesure pourrait nous fournir un semblant de solution. Je ne vois aucune solution. Il est facile de critiquer la LACC et la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

Il y a près de 20 ans, je siégeais au comité chargé d’étudier les deux lois. Si nous revenons en arrière — peut-être que monsieur Phaneuf de Raymond Chabot Grant Thornton pourra confirmer ce que je vais dire —, sans la LACC dans sa version de l’époque et sans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, les entreprises insolvables n’avaient pas le choix; elles devaient mettre la clé sous la porte et quelqu’un d’autre s’en emparait.

Nous avons adopté la LACC, qui a récolté un immense succès, car elle donnait aux gens la possibilité de discuter, de trouver des solutions et de réorganiser l’entreprise. Cette loi a vraiment porté ses fruits. Des entreprises et des écoles ont pu survivre grâce à cette mesure.

Sans la LACC, les prêteurs ne prêteraient pas, car ils n’auraient aucune garantie. Ce ne sont pas des organismes de bienfaisance. J’ai lu dans le Globe and Mail que l’Université Laurentienne avait emprunté plus de 90 millions de dollars. Elle n’aurait pas obtenu un sou sans la LACC ou sans garantie fournie au prêteur.

Dans la plupart des cas — Raymond Chabot Grant Thornton peut le confirmer —, la LACC s’applique uniquement aux créanciers généraux. Les créanciers garantis ne sont pas sous le régime de la LACC, car ils ont déjà une position privilégiée qu’ils veulent conserver.

Je ne sais pas où mène ce projet de loi. Je suppose que c’est une source de fierté. Je pense que ce que nous voulons — sans le dire vraiment —, c’est que le gouvernement fédéral garantisse les prêts et nous donne tout l’argent dont nous avons besoin à point nommé. Une telle chose ne se concrétisera pas. Vous n’allez sûrement pas convaincre un créancier du secteur privé de débourser 90 millions de dollars pour vous aider. Tous les deux ou trois ans, votre dette augmentera de 2 ou 3 millions de dollars. Voilà le problème. Un plafond aurait dû être établi il y a 10 ou 20 ans. Il y a un manque chronique de fonds .

Je demanderais au témoin de Raymond Chabot Grant Thornton de nous parler de son expérience. Sans la LACC, quelle serait la solution? Si nous voulons que le gouvernement finance tout, il faudrait le lui demander. Je suppose qu’il refusera en disant que ce n’est pas nécessairement son champ de compétences. Ne nous attendons pas qu’ils acceptent demain matin vu ces dispositions floues qui ne mènent nulle part.

Le vice-président : Donc, vous demandez au témoin de réagir à vos réflexions?

Le sénateur Massicotte : Oui. Je voudrais voir si nos vues correspondent.

[Français]

M. Phaneuf : A priori, la Loi sur la faillite et la Loi sur les arrangements avec les créanciers, dans les deux cas, donnent la possibilité de déposer une proposition ou un arrangement avec les créanciers. À titre d’information, la Loi sur la faillite n’exige pas nécessairement une liquidation des actifs. Des amendements législatifs importants apportés en 1992 et en 2009 permettent de déposer des propositions. La Loi sur la faillite est beaucoup plus codifiée, par contre, que peut l’être la Loi sur les arrangements avec les créanciers. En l’absence de ces lois, quelle serait la solution de rechange si aucune autre loi ne permettait une restructuration? Ce serait le chaos. Les créanciers garantis viendraient récupérer leurs biens et saisir leurs actifs. C’est donc une fin de toute façon.

Oui, j’ai eu certaines expériences. Prenons l’Institut Teccart, par exemple, qui n’allait pas très bien. Essentiellement, le ministère de l’Éducation du Québec s’est immiscé dans le dossier. On a utilisé la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. L’utilisation de cette loi nous a permis de finir la session, de compléter les cours, d’offrir aux étudiants la possibilité de terminer leurs cours et de faire leurs examens. Elle a permis de faire une transaction, sous l’égide de la loi, qui a été approuvée par la cour. Elle a donc permis la poursuite et la continuité des activités du cégep qui existait depuis 60 ans.

En l’absence de cette loi, les créanciers garantis auraient exercé leur sûreté. Je vois difficilement quelle aurait été la possibilité de poursuivre la mission de l’Institut Teccart. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.

Le sénateur Massicotte : Oui, je vous remercie.

[Traduction]

Le vice-président : Madame Torrie, pourriez-vous répondre aux préoccupations du sénateur Massicotte?

Mme Torrie : L’insolvabilité de l’Université Laurentienne démontre la nécessité de mettre sur pied une sorte de régime qui répondrait à ce genre de situation. Le projet de loi ne décrit pas ce nouveau régime, car le processus est complexe. J’estime qu’il faudrait un an pour le mettre en place en consultation avec les parties prenantes. À mon avis, ce processus sera très difficile à réaliser, surtout si des cas comme celui de l’Université Laurentienne peuvent surgir à tout moment. À mon sens, le projet de loi crée l’espace nécessaire pour tenir ce genre de discussion. Après tout, pourquoi ne pas se servir de la LACC?

Pour une entité financée en majeure partie par l’argent des contribuables, le processus de la LACC, qui ne prévoit aucune transparence et qui ne fait aucun suivi auprès des parties, entraîne des difficultés sur le plan des politiques. Les lois canadiennes comportent des régimes adaptés à certains types d’établissements, dont nous pourrions peut-être nous inspirer dans ce cas-ci.

Le vice-président : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Ma première question s’adresse à M. Phaneuf. La suivante s’adressera à Mme Torrie.

Monsieur Phaneuf, selon l’expérience que vous nous avez décrite d’un cégep au Québec, à votre avis, il est primordial que ces établissements puissent avoir accès à la LACC?

M. Phaneuf : Je pense qu’il est primordial que les établissements puissent avoir accès à une loi, quelle qu’elle soit, peu importe qu’il s’agisse de la Loi sur la faillite, de la Loi sur les arrangements avec les créanciers ou d’une nouvelle loi plus adaptée aux établissements d’enseignement. Je crois qu’il est primordial qu’ils puissent recourir à une loi pour se protéger, pour prendre le temps de se restructurer et arriver avec un plan en faveur de l’ensemble des intervenants.

[Traduction]

La sénatrice Ringuette : Ma question s’adresse à vous, madame Torrie, mais M. Phaneuf peut ajouter des commentaires s’il le désire.

Nous savons tous que les établissements postsecondaires reçoivent leur charte du gouvernement provincial. À votre avis, dans quelle mesure le provincial devrait-il participer aux processus d’insolvabilité? Ces chartes que le gouvernement provincial fournit aux universités devraient-elles être plus transparentes et rendues publiques?

Nous n’examinons pas la responsabilité et la participation du provincial sur les plans de la résolution et de la transparence dans ce type de situation. L’Université Laurentienne a été un premier cas. Nous essayons d’abord d’évaluer le champ de compétence, ainsi que la charte fournie par le provincial aux établissements et ce qui devrait y être inclus. Au fond, monsieur Phaneuf, vous dites que selon votre expérience, la LACC devrait être invoquée en dernier ressort. Selon ce que nous avons entendu, cette loi ne semble pas avoir été le dernier recours utilisé par l’Université Laurentienne, mais plutôt le premier, d’où le malaise.

Pourriez-vous parler du rôle du provincial et de la charte? Je sais que le gouvernement provincial a pleine compétence dans ce genre de situation, mais en serait-il de même dans un processus nouveau ou amélioré?

Mme Torrie : Ce sont de grandes questions. Selon l’interprétation des lois sur la faillite formulée par le plus haut tribunal, même les établissements constitués selon une loi provinciale sont assujettis au régime fédéral sur les faillites lorsqu’ils sont dans une situation d’insolvabilité. Il est donc particulièrement difficile de résoudre des problèmes financiers au niveau provincial, car le dossier risque de se retrouver soudainement entre les mains du fédéral si la situation se dégrade. Il est donc parfois difficile de régler les choses au niveau provincial. C’est l’insolvabilité technique qui divise les champs de compétence fédéral et provincial. Trouver une solution dans ce contexte est un défi de taille.

Le gouvernement provincial doit absolument jouer un rôle. Or, selon les informations rendues publiques dans l’affaire de l’insolvabilité de l’Université Laurentienne, le gouvernement provincial n’en a joué aucun. La LACC ne prévoit rien pour ce genre de situation, car elle ne s’applique pas aux entités financées par les fonds publics. Le nouveau processus devra définir exactement en quoi devrait consister ce rôle.

Si la province continue de financer la restructuration de l’Université Laurentienne, comme elle le fait pour toutes les universités publiques, il sera essentiel que le gouvernement ou le ministère, vu l’ampleur de leur implication, soient représentés. Si nous voulons assainir les finances de l’université, il est essentiel de comprendre comment le financement fonctionne.

C’est une question complexe qui devra faire l’objet d’un examen et d’une réflexion approfondie avec les parties concernées, puisqu’on est en terrain inconnu. Je considère toutefois que les gouvernements provinciaux ont un rôle important à jouer, car l’existence d’un régime fédéral en matière d’insolvabilité applicable aux universités n’empêcherait pas un gouvernement provincial d’intervenir beaucoup plus tôt et de prendre des mesures, comme dans le cas d’insolvabilité de Nippissing, par exemple.

Il est parfois très difficile, sur le plan des compétences, de naviguer dans cet espace liminal entre une piètre situation financière et une situation qui n’est pas insolvable, techniquement parlant. La solution a été d’étendre la compétence fédérale. Au lieu de chercher un équilibre en espérant une résolution à l’échelon provincial, avec la menace que cela devienne de compétence fédérale, les tribunaux ont quelque peu élargi la portée de la compétence fédérale pour combler l’écart. Encore une fois, cela nuit aux efforts visant à résoudre le problème à l’échelon provincial. J’espère que ces commentaires vous sont utiles.

M. Phaneuf : Sur le plan de la transparence, les processus de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, ou LACC, et de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, ou LFI, sont tous deux publics. Toutes les données financières sont disponibles; tout est publié sur le site Web et surveillé. C’est mon premier point. Je pense que ces processus sont très transparents. Concernant le rôle des gouvernements provinciaux, dans les cas dont je me suis occupé, le provincial a participé très activement au processus pour s’assurer que nous avions le soutien financier nécessaire pour terminer les cours et s’assurer que les étudiants aient ce à quoi ils avaient droit, notamment leurs notes et leurs crédits. Je vous remercie.

Le sénateur Loffreda : Je remercie les témoins de leur présence. Cela me rappelle toutes mes belles années à Raymond Chabot Grant Thornton ou RCGT. Je suis heureux que vous soyez ici pour partager votre expertise.

J’aimerais soulever une question importante et avoir les commentaires des deux témoins à cet égard. Je m’exprime strictement à titre personnel. Je ne représente pas le milieu bancaire ni une banque quelconque. Je partage simplement mon expérience de 35 ans dans le secteur bancaire et financier. Lors d’une demande de prêt à la banque, les universités font l’objet d’une évaluation. La banque utilisait alors le même barème d’évaluation que pour un gouvernement provincial. Donc, l’établissement se voyait attribuer la même cote que le gouvernement de sa province, à savoir trois ou plus, ce qui signifie un risque élevé, ou deux ou moins — un risque faible —, par exemple. Cela a une incidence sur les taux d’intérêt et beaucoup d’autres facteurs.

Dans le cas de l’Université Laurentienne, si j’étais banquier — et je parle encore une fois en mon nom personnel —, je dirais qu’il faut oublier la cote du gouvernement provincial. Chaque université sera cotée en fonction de son propre risque de crédit. Qu’est-ce que cela entraînerait? Cela signifierait des taux d’intérêt plus élevés pour les universités canadiennes, ce qui aurait des répercussions sur tout le reste : le montant que paient les étudiants pour étudier, les frais de scolarité, la recherche, etc. Cela aurait une incidence sur le budget de chaque université au Canada. Si j’étais banquier ou si je représentais une banque, je dirais certainement que pour l’avenir, en raison de ce cas — bien que ce soit le premier —, il faudra mettre quelque chose en place.

Ma question est la suivante. Il faut quelque chose. Je reviens aux propos sénateur Massicotte. Si nous voulons que ce soient le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial qui paient, demandons-leur simplement de payer.

Madame Torrie, vous avez mentionné que la LACC n’est pas l’instrument approprié. M. Phaneuf a fait d’excellents commentaires pour l’avenir. Ma question est la suivante : le projet de loi S-215 permet-il des améliorations? Le projet de loi S-215 doit-il simplement être une première étape, ou y a-t-il d’autres aspects à examiner? Comme le sénateur Massicotte l’a dit, si on veut que les gouvernements paient, demandons-leur.

L’autre point que je veux soulever... Je sais bien que nous discutons de lois fédérales et provinciales. Je viens du Québec. J’ai le privilège d’être né et d’avoir grandi dans cette province — que j’adore —, mais le gouvernement du Québec affirme toujours : « Nous nous gouvernons nous-mêmes. » Je l’ai entendu à maintes reprises venant de tous les gouvernements, de la CAQ au Parti libéral en passant par le Parti québécois. Ils ont tous dit la même chose, sans quoi ils ne se feraient pas élire. Donc, comment pouvons-nous composer avec ces questions?

M. Phaneuf : Au sujet du projet de loi S-215, je pense qu’il manque... Nous parlons de la LFI, de la LACC, nous examinons l’article 4, nous voulons protéger les employés, nous voulons protéger les professeurs. Il manque toutefois quelque chose, à savoir la Loi sur le Programme de protection des salariés, ou LPPS, qui comporte de nombreuses dispositions qui protègent le personnel et les employés. Dans ce que je lis, cela n’apparaît nulle part. Est-ce que cela devrait être inclus? Cette mesure législative touche à la fois la LFI et la LACC. Vous pouvez retirer cela, à mon avis. C’est mon point. Je vous remercie.

Mme Torrie : Je suis d’accord pour dire que la LPPS est absente. J’élargirais également cette loi pour empêcher la mise sous séquestre, une autre possibilité que je ne suis sûre que cette loi empêche totalement.

Quant à savoir si le projet de loi S-215 doit aller de l’avant et s’il existe d’autres solutions, je pense que toute solution de rechange envisagée pour ce cas inédit sera essentiellement inspirée de cadres existants, même s’il s’agira essentiellement d’un cadre nouveau. Je pense que le projet de loi S-215 crée un contexte qui favorise ces discussions. Je préfère cela à la solution qui consiste simplement à insister que les provinces paient.

Je pense que cela représente une occasion d’offrir prévisibilité et certitude, ce qui fait cruellement défaut pour les universités qui connaissent des difficultés actuellement. Les prêteurs privilégient généralement la prévisibilité et la certitude, mais peut-être pas autant qu’un soutien du gouvernement. Ce serait un défi.

Le vice-président : Merci beaucoup.

Le sénateur Dawson : Je suis seulement un invité. Je tiens à féliciter la sénatrice Moncion. Présenter de tels projets de loi relève le débat.

[Français]

Je viens du Québec, moi aussi, comme mon collègue le sénateur Loffreda. Il est bien évident qu’en ce qui concerne la question constitutionnelle juridictionnelle, il n’y aura pas de départ — cela ne sera pas une discussion. Vous avez mentionné, monsieur Phaneuf, que vous aviez été impliqué dans des faillites d’établissements d’enseignement. Il s’agissait d’établissements d’enseignement québécois, privés et non subventionnés, pour lesquels le gouvernement fédéral n’avait aucune responsabilité, si je comprends bien.

M. Phaneuf : C’est bien le cas, ce sont des établissements privés, tant le Conservatoire Lassalle que l’Institut Teccart. Par contre, ce sont des établissements d’enseignement qui bénéficiaient de fonds publics et qui étaient sous l’égide du ministère de l’Éducation du Québec.

Le sénateur Dawson : Je m’imagine très bien qu’advenant l’adoption d’un projet de loi — on sait que le Québec a un statut particulier dans le Canada — je ne pense pas qu’on adopterait une loi pour statuer que celle-ci ne s’applique pas au Québec. Je pense que cela entraînerait certainement un débat conflictuel au sujet des intérêts de la province du Québec et de ceux du gouvernement fédéral. Je ne sais pas si vous avez connu, dans vos cas de faillites, des questions relatives aux juridictions fédérale ou provinciale — dans d’autres cas faillites, d’ailleurs?

M. Phaneuf : Je vous dirais que le principal problème conflictuel réside du fait que le droit de propriété est un droit de nature provinciale, alors que la loi fédérale qui a préséance vient un peu s’appliquer dans un état de collocation. C’est de là que réside le problème principal.

Le sénateur Dawson : Je voudrais juste corriger un fait, monsieur le président. Malheureusement, notre collègue nous a quittés, mais elle avait mentionné les cégeps dans sa question. Les établissements d’enseignement que M. Phaneuf avait représentés n’étaient pas du tout de compétence provinciale, dans le sens que le système de collèges provinciaux et d’universités était des établissements privés à 100 %.

M. Phaneuf : Oui, vous avez raison. Ce sont par contre des organismes qui ont bénéficié de fonds publics. Si on appliquait la définition qui est incluse dans le projet de loi, ce seraient des établissements d’enseignement qui correspondraient à la définition d’établissements d’enseignement qui ne pourraient pas se prévaloir des dispositions.

[Traduction]

Le vice-président : Je vous remercie de votre contribution, même si vous êtes un visiteur.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je joins le camp des gens qui ont un problème avec le projet de loi; l’intention est bonne, l’intention est très louable. Cela nous rend sympathiques à l’égard du projet de loi, mais j’y vois des problèmes constitutionnels.

En revanche, je ne suis pas du tout spécialiste des problèmes de faillite. Dans le paragraphe 4(1), j’entrevois un problème, parce que le ministre fédéral élabore une proposition pour la prise d’initiatives fédérales, et vraiment, aussi à l’alinéa c), qui propose des modifications législatives, notamment lorsqu’il y a un risque qu’un établissement fasse faillite, pour réduire le risque, pour protéger les étudiants, les professeurs et les employés faisant faillite ou devenant insolvables. Il y a ici matière à discussion sur le plan constitutionnel, ce qui est très important.

Ce que je ne comprends pas dans ce projet de loi — les deux témoins pourront peut-être m’éclairer — c’est qu’hier, nous avons accueilli des témoins du milieu universitaire qui souhaitaient carrément que les établissements postsecondaires soient exclus de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Monsieur Phaneuf et madame Torrie, pensez-vous qu’il serait bon d’exclure carrément les établissements de haut savoir de ces dispositions?

Ma deuxième question concerne l’article 7, où dans le projet de loi, on exclut les établissements d’enseignement, mais il semblerait que l’exclusion des établissements d’enseignement n’ait lieu que lorsqu’il y a un risque de faire faillite. Ce n’est pas une exclusion complète. Alors, voyez-vous cela de la même façon que moi, soit que le projet de loi décrète l’exclusion, mais ce n’est pas une véritable exclusion, parce qu’elle entre en vigueur chaque fois qu’un établissement d’enseignement risque de faire faillite? Je vous demanderais de m’éclairer au sujet de ces aspects du projet de loi.

M. Phaneuf : Je peux commencer, si vous me le permettez. La question de l’exclusion complète ou incomplète, je pense qu’on peut y répondre facilement, en ce sens que pour se prévaloir des dispositions de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, il faut être insolvable. C’est l’un des critères de ces deux lois. Cela répond à la question d’exclusion complète ou incomplète. Maintenant, pour ce qui est de savoir si l’exclusion est nécessaire ou pas, je vous dirais que tout va dépendre de la solution de rechange proposée.

À défaut d’avoir une solution de rechange, et tel que je vois le projet de loi, je suis un peu effrayé. Que se passera-t-il si un établissement d’enseignement devient insolvable? Est-ce qu’il y a un projet de loi qui correspondra aux besoins particuliers de ces établissements d’enseignement? Je suis tout à fait ouvert et intéressé, mais s’il n’y a pas de solution de rechange, on se dirige vers quoi? C’est difficile, les yeux fermés, de dire « oui, je suis d’accord et on va de l’avant. »

La sénatrice Bellemare : Merci.

[Traduction]

Mme Torrie : Je vous remercie. Je dirais que je suis d’accord avec les commentaires de l’autre témoin. La question de la compétence fédérale entre en jeu lorsqu’un établissement est insolvable. En outre, de façon générale, un établissement qui n’est pas insolvable ne peut invoquer de dispositions sur l’insolvabilité.

Encore une fois, les exclusions dépendent de la solution de rechange. Je pense qu’il est clair, d’après le cas de l’Université Laurentienne, que le cadre commercial existant n’est pas optimal pour résoudre les difficultés financières d’une université et, d’après ma perception du projet de loi, il s’agit d’une occasion d’élaborer un cadre permettant de remédier à la situation.

La formulation du projet de loi vise à protéger les employés, et cetera. Je pense, en ma qualité de spécialiste des faillites, qu’au lieu d’appliquer les règles de distribution ordinaires auxquelles nous sommes habitués dans un cadre commercial, il est possible, dans le cadre de politiques, d’accorder la priorité à divers groupes selon leurs vulnérabilités particulières, dans le respect de la mission et de la raison d’être premières de l’université. Toutefois, ce cadre ne figure pas dans ce projet de loi, qui ne ferait que créer le contexte nécessaire pour la tenue de ces discussions et l’élaboration de ce cadre.

Le vice-président : Madame Torrie et monsieur Phaneuf, merci beaucoup.

Le sénateur Marwah : Je remercie nos témoins de comparaître aujourd’hui. Je tends à être d’accord pour dire qu’une solution unique pour les institutions financières pose problème pour les établissements d’enseignement, que la LACC s’applique beaucoup mieux au secteur commercial et qu’une approche plus adaptée est peut-être nécessaire. Je félicite la sénatrice Moncion d’avoir soulevé la question. Je n’y avais jamais pensé avant que nous soyons saisis de ce projet de loi.

Cela dit, j’ai deux questions. À court terme, qu’est-ce qui pourrait le remplacer? Vous avez dit que l’ancien ne fonctionne pas aussi bien, mais nous n’en avons pas un nouveau. Que ferions-nous entretemps? Il nous faut quelque chose de nouveau. Dans ce contexte, qui devrait élaborer les nouvelles lignes directrices et procédures, étant donné la multitude d’enjeux relatifs aux champs de compétences fédérales et provinciales? Comment pouvons-nous trouver des solutions de rechange?

Le vice-président : Madame Torrie, voulez-vous commencer? Puis, ce sera au tour de M. Phaneuf.

Mme Torrie : Quant à savoir ce qui le remplacerait à court terme, c’est une bonne question. Je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit de précis à cet égard dans le projet de loi. Je ne pense pas qu’il existe un cadre fédéral pour remplacer cela à court terme. Les universités devraient alors régler ces questions elles-mêmes avec le ministère de l’Éducation de leur province, comme avant, ou possiblement entreprendre des discussions d’urgence ou examiner les conventions collectives.

Puis-je vous demander une précision sur votre deuxième question? Si j’ai bien compris, vous vouliez savoir comment nous devrions élaborer la solution de rechange. Entendez-vous par là une loi fédérale en matière d’insolvabilité ou parlez-vous de l’intervalle?

Le sénateur Marwah : Oui, c’est ce que je veux savoir. Étant donné que l’éducation relève en grande partie des provinces, la question devrait-elle relever des provinces ou du fédéral? Le gouvernement fédéral devrait-il prendre l’initiative? Il serait alors dans l’eau chaude avec la province qui lui demanderait pourquoi il s’immisce dans une compétence provinciale. Comme la sénatrice Bellemare l’a indiqué, le chemin vers une solution qui chevauche la frontière des compétences fédérales et provinciales est parsemé d’embûches.

Mme Torrie : Je vous remercie de la précision. Il faut évidemment tenir compte des multiples champs de compétences, pour les raisons que vous mentionnez. De mon point de vue d’universitaire, ce n’est pas une question que les provinces peuvent résoudre d’elles-mêmes si l’affaire devient de compétence fédérale à la date de l’insolvabilité. Il y a maintenant un précédent, avec l’Université Laurentienne, d’un établissement d’enseignement provincial qui est passé sous compétence fédérale. Selon moi, le gouvernement fédéral a un rôle de haut niveau pour faciliter les discussions et fournir ce cadre en matière d’insolvabilité. Il devra toutefois faire preuve de prudence et laisser aux provinces un rôle dans la définition des missions éducatives de ces établissements. Je pense que c’est une question à la fois importante et complexe qui n’a pas encore été examinée attentivement. Cela prendra du temps.

M. Phaneuf : J’abonderais en ce sens. À ma connaissance, il n’y a pas de solution de rechange. La solution actuelle, si ces deux-là ne s’appliquent pas, entraînerait une sorte de chaos, comme je l’ai déjà indiqué. La banque aurait procédé à la forclusion, les créanciers garantis auraient exercé leur sûreté. Ce serait faisable si aucune procédure ne pouvait être mise en place pour réorganiser les finances de l’établissement ou envisager une restructuration.

Il y a aussi la façon de développer cette solution, qui est votre autre question. Je pense que nous devrions d’abord examiner ce qui n’a pas fonctionné, les dispositions de la LFI ou de la LACC qui ne fonctionnent pas, puis indiquer ce qui n’a pas de sens ou ce qui doit être ajouté.

Je pense que la LFI et la LACC offrent aux professionnels, aux débiteurs ou aux créanciers garantis beaucoup de dispositions intéressantes relatives à la restructuration, beaucoup d’outils pour intervenir et réorganiser le tout. Ce serait une erreur de faire table rase et de recommencer à l’aveuglette. Nous devrions partir du point où nous sommes actuellement, puis examiner ce qui ne fonctionne pas et ce qui peut être amélioré.

La sénatrice Moncion : Ma question porte sur la transparence. J’aimerais que Mme Torrie nous parle de la transparence du processus avec l’Université Laurentienne. De votre point de vue de comptable, comment jugez-vous la transparence dans une faillite? Je pose la question parce que j’ai aussi travaillé dans des institutions financières pendant 38 ans de ma vie, notamment dans le secteur des prêts pendant une bonne période. Je dois dire que les faillites ou les arrangements en tous genres étaient loin d’être transparents.

J’aimerais entendre votre avis à ce sujet, car c’est l’un des premiers commentaires que vous avez faits. J’aimerais d’abord entendre Mme Torrie, puis M. Phaneuf.

Mme Torrie : Je vous remercie de la question. Il est vrai que les faillites sont des processus publics, mais le mot « transparence » est l’un de ces mots qui tendent à avoir une signification quelque peu différente selon qu’il est employé dans un contexte commercial ou dans un contexte du secteur public ou adjacent au secteur public.

Le processus de la LACC est public, mais toutes les parties n’ont pas à en être informées. Habituellement, certains groupes, comme les syndicats, en sont informés après coup. Par conséquent, ils n’ont pas la possibilité d’y participer d’entrée de jeu et de présenter des observations sur la pertinence du processus. Ils ne sont pas nécessairement informés de la tenue d’une nouvelle audience, qui a lieu peu de temps après. Ce sont des processus publics qui ont lieu au tribunal, certes, mais du point de vue d’une partie concernée qui n’est pas informée de la tenue d’une audience, cela peut donner l’impression que ce n’est pas très transparent, étant donné que cette transparence vient après coup.

Les processus de la LACC nécessitent de nombreuses audiences au tribunal. Cela a aussi un coût — un fardeau lié au déplacement, pour ainsi dire — pour les personnes qui sont loin du palais de justice de Toronto ou d’un autre grand centre. Encore une fois, cela nous ramène à la capacité de participer au processus, comme les groupes peuvent souhaiter le faire. Ce ne sont que quelques observations. Je serai ravie de commenter davantage si vous avez d’autres questions.

M. Phaneuf : J’ai deux choses à dire au sujet de la transparence. Premièrement, les dossiers du syndic font partie du dossier de succession. Cela signifie qu’ils sont publics et accessibles à tout créancier et à toute partie intéressée. C’est la première chose.

Concernant la restructuration en vertu de la LACC, il est vrai que nous ne sommes pas tenus d’aviser tout le monde. Il y a une ordonnance initiale. Cette ordonnance initiale comprend des instructions détaillées sur la publication de l’ordonnance, les parties à aviser, etc. Dans toute affaire en vertu de la LACC, le contrôleur est tenu de créer un site Web et d’y publier les renseignements.

Évidemment, les aspects liés à une restructuration ne peuvent pas nécessairement tous être rendus publics. Par exemple, si nous lançons un processus de demande de soumissions pour trouver des investisseurs, nous ne pouvons pas divulguer les offres reçues au grand public, mais je dirais que la plupart des choses sont faites pour le tribunal et sont accessibles à tous. C’est mon point de vue. Je vous remercie.

Le vice-président : Merci beaucoup.

La sénatrice Moncion : J’aimerais revenir sur le rôle du gouvernement. Quand le gouvernement intervient-il dans le processus? La question s’adresse à M. Phaneuf. À quel moment le gouvernement de l’Ontario est-il intervenu dans le processus? Je pose la question parce que du moment qu’une entreprise ou une université décide de se placer sous la protection la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, cela empêche diverses négociations qui pourraient avoir lieu entre la province et l’université pour résoudre certains problèmes. Lorsque la loi est invoquée, tout le monde est hors jeu jusqu’à la présentation d’une proposition. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Phaneuf : Je ne pourrai pas vous parler du cas de l’Université Laurentienne, parce que je n’étais pas impliqué dans le dossier. Cela dit, en ce qui concerne les cas dont je me suis occupé, ils étaient impliqués dès le premier jour, essentiellement. C’est peut-être mon rôle à titre d’officier de justice. Je sais pertinemment qu’il y aura des conséquences pour les étudiants. Ainsi, la première chose que je ferai, si je déclare faillite ou quelque chose du genre, c’est de communiquer avec le gouvernement pour lui dire : « Il y aura un problème avec ces étudiants. Souhaitez-vous être impliqués? Êtes-vous prêts à apporter votre aide au cours du processus? »

À ce que je sache, rien dans la loi ne m’oblige à communiquer avec eux, mais, à titre d’officier de justice, j’estime avoir l’obligation de le faire, de demander des conseils et à tout le moins de les mettre au courant de ce qui se passe.

La sénatrice Moncion : Dans le cas de l’Université Laurentienne, ce qui s’est passé, c’est qu’au cours des premiers mois, une fois l’université placée sous la protection de la LACC, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial ne pouvaient pas intervenir. Dès les premières semaines du recours à la Loi sur la faillite, 58 ou 68 programmes et plus de 190 postes ont été supprimés à l’université. Cela s’est en fait produit au tout début du processus. Il n’y a eu aucune transparence à l’époque, car les employés ont été avisés de leur mise à pied par courriel.

J’aimerais que vous commentiez ces façons de faire dans un cas de faillite ou dans la proposition qui est présentée. Le processus de l’Université Laurentienne était une sale affaire. Il n’y avait aucune protection pour quiconque dans ce processus, et c’est donc devenu un projet très difficile à suivre. Beaucoup de gens ont été lésés dans cette affaire, la communauté y comprise. Les étudiants ont été lésés. Certains d’entre eux n’ont même pas pu terminer leur programme d’études parce que celui-ci a été supprimé à mi-parcours.

J’aimerais vous entendre à ce sujet. Avec la loi actuelle, ces choses se produisent et beaucoup de gens sont lésés dans le processus. Vous semblez dire le contraire. Vous dites que l’on pense aux étudiants et aux professeurs. Ce n’est pas ce qui s’est passé dans ce processus. Je veux vous entendre sur ce point.

M. Phaneuf : Je vous remercie de la question. Je comprends ce qui s’est passé. Dans le cadre de la LFI ou de la LACC, il n’y a aucune disposition stipulant que le contrôleur proposé devrait demander conseil au gouvernement. Cela va au-delà des lois. J’ai parlé de ce que j’ai vu et de ce que j’ai fait dans mes dossiers; dans notre cas, nous pensions aux étudiants et à ce qui allait leur arriver. Le gouvernement s’en est préoccupé, et il a financé le processus. Il y a eu un processus de mise sous séquestre. En fin de compte, les étudiants ont été pris en charge et les employés aussi parce que nous avons essentiellement fait une transaction et vendu l’institution à un autre groupe qui a simplement poursuivi les activités. Donc il n’y a rien...

Il y a peut-être une chose qui pourrait expliquer ce qui s’est passé. Je ne sais pas si c’était le cas dans cette affaire, mais, la plupart du temps, lorsque les gens frappent à ma porte, ils sont dans le pétrin. Parfois, ils n’ont même pas les moyens de payer les salaires qu’ils doivent verser demain ou après-demain. D’après les cas que j’ai vus, il n’y a pas beaucoup de temps pour réagir. Il faut agir vite et prendre des décisions rapides sur la manière d’économiser de l’argent pour que les employés qui restent dans l’entreprise puissent être indemnisés et être payés.

Cela pourrait expliquer ce qui s’est passé. À nouveau, je ne sais pas ce qui s’est passé avec l’Université Laurentienne, mais cela pourrait être une explication. Les gens frappent à ma porte à la dernière minute, et nous devons donc prendre des mesures drastiques.

Cela dit, il existe des dispositions dans la LACC. On va au tribunal pour obtenir une ordonnance initiale. Mme Torrie a fait allusion à la disposition de retour. Il faut retourner au tribunal dans les 10 jours. J’ignore qui a été avisé de la restructuration, mais c’est peut-être à ce stade que le tribunal aurait dû entendre le gouvernement ou toute autre partie prenante et ajouter d’autres dispositions ou tout autre élément nécessaire à l’ordonnance. En vertu de la LFI et de la LACC, il faut retourner devant le tribunal pour expliquer ce qui se passe, et pourquoi on fait ceci ou cela. Il faut se justifier. Voilà ma réponse.

Le vice-président : Merci, monsieur Phaneuf.

Aimeriez-vous ajouter quelque chose, madame Torrie?

Mme Torrie : Oui, j’aimerais soulever quelques points. Pour faire suite à la question précédente, le vérificateur général de l’Ontario s’est heurté au refus de répondre à certaines demandes pour aller au fond des choses. Cela nous ramène à la transparence. La faillite pourrait être transparente dans le monde des faillites, mais cette transparence pourrait différer grandement du concept habituel de transparence dans une université.

Il est très rare qu’un établissement d’enseignement supérieur connaisse des difficultés financières, et c’est pourquoi on crée des plans personnalisés au pied levé. Dans le cas de l’Université Laurentienne, elle a choisi d’avoir recours au processus de la LACC. Ce type de décision engendre un certain degré d’incertitude et un manque de prévisibilité. Dans le cas d’une institution publique, des défis en matière de transparence surviennent à plus large échelle; on ne sait pas vraiment comment le dossier se réglera.

Parlons du contexte. Le fait que cela se soit produit en pleine pandémie de la COVID a probablement été un défi à divers égards. Un cadre personnalisé qui crée une certaine prévisibilité, certitude et transparence — telle que perçue dans le secteur public — serait probablement bien accueilli dans ce cas-ci. Cela nous permettrait certainement d’éviter de répéter ce qui s’est passé lors du processus de la LACC dans le cas de l’Université Laurentienne.

Le vice-président : Merci, madame Torrie.

Le sénateur Loffreda : Ces discussions sont importantes, et j’aimerais féliciter et remercier à nouveau la sénatrice Moncion d’avoir abordé le sujet. Nombre de ces enjeux et problèmes sont complexes. À nouveau, j’aimerais remercier les témoins.

J’approuve ce qu’a dit M. Phaneuf. J’ai heureusement eu la chance de ne pas avoir beaucoup de problèmes d’insolvabilité ou de faillites au fil des ans. Voilà pourquoi j’ai eu une longue carrière dans le milieu bancaire. Si c’est le cas, vous n’aurez pas une longue carrière, car...

[Français]

— il y a toujours un coupable, comme on dit.

[Traduction]

J’aimerais simplement apporter une précision sur la transparence : nous saurions lorsque le fiduciaire nous appelle — ou nous recevrions cet appel le matin — quel pourcentage nous pourrions récupérer en fonction du pourcentage de la marge de crédit utilisée. Soit ils ne paient pas les fournisseurs, soit ils ne paient pas la banque, soit ils ne paient pas les deux. Si nos avances s’ajoutaient à cela, nous étions très inquiets.

Tout cela pour dire que je n’ai pas entendu parler d’une chose — et nous en discutons depuis quelques réunions —, soit la mauvaise gestion financière. Un cas d’insolvabilité ou de faillite implique toujours une mauvaise gestion financière. Si nous en venons à élaborer un projet de loi tel que le projet de loi S-215, comment pouvez-vous expliquer au gouvernement que malgré la mauvaise gestion financière, vous devez continuer à soutenir cette université en raison des étudiants, des salaires et de tout ce que l’affaire implique?

C’est un commentaire. C’est une suggestion audacieuse. C’est une question qui vous est posée. Y a-t-il un moyen de contourner cela? Nous sommes dans un système de libre marché. En tant qu’investisseur, s’il y a une mauvaise gestion financière, je ne réinvestirais pas. Il y a toujours des conséquences. Évidemment, nous aimerions que tous les étudiants terminent leur programme d’études. Dans un monde idéal, nous aimerions que tout le monde soit entièrement payé.

Pourrais-je avoir votre commentaire à ce sujet? Si nous déposons un projet de loi, je voudrais m’assurer que nous couvrons toutes les bases. Je ne vais pas juger le cas de l’Université Laurentienne, mais je juge les choses d’après mon expérience. Chaque fois qu’il y a eu une insolvabilité ou une faillite, il y a eu une mauvaise gestion financière et, bien souvent, on ne réinvestissait pas par la suite.

M. Phaneuf : Je peux peut-être commencer par un exemple — le cas de l’Institut Teccart. Comme vous le savez, l’institut a déposé des états financiers de fin d’année, ce que fait toute entreprise. L’Université Laurentienne l’a probablement fait aussi. Les états financiers étaient accompagnés d’avis.

[Français]

En français, on l’appelle la note sur la continuité des affaires.

[Traduction]

Essentiellement, l’auditeur a écrit qu’il y avait un risque majeur que l’entreprise — l’Institut Teccart — ne soit plus en mesure de poursuivre ses activités parce qu’elle manquait de fonds, de liquidités à court terme, etc. Cela a été publié avant de se retrouver entre les mains du ministre de l’Éducation du Québec, et ils n’ont rien fait à ce sujet. Ils ont juste reçu un avis ou un appel de ma part. C’est minuit moins une. Il faut faire quelque chose.

Pour en revenir à votre question de savoir s’il y a quelque chose dans la LFI et la LACC pour empêcher la mauvaise gestion, je ne crois pas que ce soit le cas. Y a-t-il quelque chose qui nous permet d’écarter les mauvais gestionnaires? Bien sûr. Il y a des dispositions dans la loi qui me permettent, en tant que gestionnaire, de dire au tribunal que cette personne ne fait pas du bon travail et qu’elle doit être renvoyée, même si elle ne le veut pas. Cela existe. Il y a une disposition à ce sujet. Cela dit, je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit dans la loi pour empêcher une mauvaise gestion antérieure. Je pense que cela doit aussi tenir compte de ce que le gouvernement provincial fera de son côté. L’Institut Teccart avait un [Difficultés techniques] — ils ont été avisés que les choses allaient mal, et ils n’ont rien fait jusqu’à ce qu’elles éclatent.

Le vice-président : Merci.

Si vous n’avez rien à ajouter, madame Torrie, nous passerons peut-être directement à la sénatrice Bellemare, car le temps file.

Vous disposez de trois minutes pour votre question et la réponse, sénatrice Bellemare.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je voudrais avoir une conclusion claire.

Est-ce que les deux témoins nous encouragent, selon qu’on aille de l’avant ou pas concernant ce projet de loi, à investiguer, à faire des recherches, ou encore à réfléchir sur la façon d’aménager des dispositions spéciales dans la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies pour les établissements d’enseignement supérieur?

Pensez-vous que cela en vaut la peine ou qu’il y a un risque de problème financier réel pour l’avenir, dans ces établissements?

[Traduction]

Mme Torrie : Si je peux clarifier, je pense que si vous allez de l’avant avec le projet de loi, il vaut la peine d’examiner cela. Le cadre sur mesure n’a pas nécessairement besoin d’être une loi autonome et distincte. Il pourrait s’agir d’une section spéciale d’un régime législatif existant. La Loi sur la faillite et l’insolvabilité prévoit en fait plusieurs types de processus différents dans le cadre d’une seule et même loi. Il serait intéressant de réfléchir aux problèmes uniques qui se posent dans le contexte de l’insolvabilité d’une université et d’élaborer quelque chose d’adapté, mais qui s’inscrit dans les normes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

[Français]

M. Phaneuf : Je partage la même opinion, en ce sens que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies pourrait être modifiée pour tenir compte des changements que l’on veut. Autrement, une loi pourrait être créée, mais il faut absolument une solution de rechange si on décide de retirer la capacité d’appliquer les deux lois.

[Traduction]

Le vice-président : Je tiens à remercier nos témoins d’avoir été parmi nous. Au nom de tous mes collègues, j’aimerais vous dire que vos témoignages nous ont vraiment été précieux aujourd’hui. Vous êtes arrivés à point nommé dans notre étude du projet de loi. Merci beaucoup.

Chers collègues, nous allons maintenant passer à l’étude article par article, si possible. À nouveau, je remercie les témoins de leur comparution et de leur soutien.

Le sénateur Massicotte : Puis-je obtenir une précision, monsieur le président? J’ai oublié le processus exact. Passez-vous le projet de loi en revue page par page ou article par article? Que se passe-t-il si nous avons un désaccord? Il y a un certain processus sur lequel nous devons statuer dès le début. Je serais favorable à ce que nous remettions cela à plus tard et à ce que l’on ne vote pas sur le projet de loi proposé. Personnellement, s’il s’avère que le gouvernement fédéral approuve notre processus et qu’il est prêt à se joindre à nous pour essayer de trouver une solution, soit, mais je dirais que nous devrions laisser tomber le projet de loi et prendre plus de temps. C’est ce que je préférerais. Je ne suis pas favorable à l’idée d’aller de l’avant en ce moment.

La sénatrice Moncion : Pourriez-vous vous expliquer davantage, afin que je comprenne...

Le sénateur Massicotte : Je n’approuve pas le projet de loi tel que rédigé. Il est chaotique et dangereux, mais si vous reveniez — et je vous félicite pour cet effort...

La sénatrice Moncion : Pas de soucis, cela n’a rien de personnel. Les affaires sont les affaires.

Le sénateur Massicotte : Cela dit, si vous reveniez avec un ministre ou un représentant du gouvernement disant : « Oui, nous sommes à peu près sûrs qu’il y a un problème. Nous devons trouver une autre structure »... Si vous reveniez et aviez ce consentement et cette volonté du gouvernement fédéral, alors je serais favorable au projet de loi avec quelques amendements. Si nous sommes obligés de l’approuver maintenant, alors je dois dire non. Je ne pense pas que le projet de loi tel que rédigé soit un bon projet de loi. Je veux m’assurer de suivre le bon processus pour arriver au bon point.

Le vice-président : Merci, monsieur le sénateur.

Le sénateur Dawson : Comme je l’ai déjà dit, je pense que le débat vaut la peine. Je crois que le sénateur doyen du Québec, qui est ici depuis plus longtemps que moi, a raison. Je préfère que l’on continue à débattre du projet de loi plutôt que de voter contre et que cette question ne soit pas soulevée. C’est un débat qui en vaut la peine, mais je ne pense pas que je pourrais voter pour le projet de loi en ce moment.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je partage exactement les mêmes opinions. Je ne suis pas prête à voter pour le projet de loi tel qu’il est présenté. Je pense qu’il faut qu’il soit retravaillé.

[Traduction]

Le vice-président : Chers collègues, j’aimerais maintenant entendre ce que la sénatrice Moncion a à dire. Je suis tout disposé à procéder à l’étude article par article.

La sénatrice Moncion : Nous envisageons de proposer quelques amendements.

[Français]

Il y a un enjeu important, et je remercie Marie-Pierre qui vient de m’envoyer cette information.

À l’heure actuelle, le projet de loi ne crée pas de vide juridique. On demande au gouvernement de proposer une solution de rechange à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. C’est ce qu’on demande au gouvernement dans le cadre de ce projet de loi.

Maintenant, on a des modifications à apporter parce qu’on a entendu les commentaires qui nous ont été présentés sur la constitutionnalité selon le travail effectué par le conseiller juridique. Il nous a proposé un amendement aux titres des deux projets de loi. On a aussi un amendement qui sera apporté à l’une des clauses. On comprend la situation relativement au projet de loi, à la façon dont il est écrit.

Par contre, je tiens compte de la proposition que vous venez de faire et je serai prête à aller plus loin dans l’exercice afin de travailler avec un ministre pour essayer de voir comment on peut — il y a toute une histoire derrière cela.

[Traduction]

Puis-je parler? La discussion est encore ouverte...

Le vice-président : Oui, la discussion est encore ouverte. Nous pourrions suspendre la séance et la poursuivre à huis clos.

La sénatrice Moncion : Je croyais que c’était ce qu’on faisait pour les études article par article. C’est à vous de voir.

Le sénateur Massicotte : Je pense que nous nous sommes entendus pour ne pas voter sur le projet de loi. Le principe devrait être le suivant : tentons de mobiliser le gouvernement fédéral. Si nous n’y parvenons pas, alors la plupart d’entre nous seront... J’aimerais également proposer quelques amendements au quatrième paragraphe. Je pense que c’est trop vague. Remettons cela à plus tard. Tentons d’avoir une vue globale de la situation : sont-ils prêts à trouver une solution de rechange?

La sénatrice Moncion : J’aimerais que nous passions à huis clos, s’il vous plaît.

Le vice-président : Si tout le monde s’entend, nous allons suspendre la séance.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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