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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 20 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général, tel que précisé à l’article 12-7(8) du Règlement.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, honorables sénateurs, bonjour tout le monde. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente de ce comité.

Je vais présenter les membres du comité, en commençant par le vice-président, le sénateur Deacon, de la Nouvelle-Écosse. Je vous présente également la sénatrice Bellemare, le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, le sénateur Massicotte, le sénateur Smith, le sénateur Woo et le sénateur Yussuff. De plus, le sénateur Mockler se joint à nous aujourd’hui. Bienvenue.

Nous allons poursuivre nos discussions sur l’état de l’économie canadienne et l’inflation. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Mark Carney, vice-président du conseil et chef des investissements ESG et dans les fonds à impact. La plupart des gens au pays le connaissent comme l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, puis comme l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre.

Bienvenue. Merci d’être avec nous aujourd’hui, monsieur Carney.

[Français]

Mark Carney, vice-président du conseil et chef des investissements ESG et dans les fonds à impact, à titre personnel : Merci, madame la présidente et chers sénateurs.

Il y a une décennie que j’ai témoigné au Sénat. C’est un grand honneur pour moi d’être ici. Maintenant, je ne suis plus gouverneur. Je suis un simple citoyen.

[Traduction]

J’espère pouvoir vous donner une certaine perspective sur le sujet que le comité est en train d’étudier. Pendant la brève période qui m’est accordée, j’ai pensé — en partie parce que la question est d’actualité, mais aussi parce que c’est pertinent — faire quelques observations sur la situation au Royaume-Uni et parler de certaines leçons à en tirer et de la façon dont elles pourraient s’appliquer à notre situation.

Nous savons tous que la réaction au budget du Royaume-Uni a été vive. C’est arrivé dans un contexte d’inflation élevée et volatile et de réévaluation marquée du risque à l’échelle mondiale. Je pense que l’une des leçons à tirer, c’est qu’une politique monétaire judicieuse et une politique budgétaire crédible seront récompensées, mais que les erreurs seront punies et que personne ne sera vraiment épargné.

Ensuite, l’expérience du Royaume-Uni nous montre qu’il est contre-productif d’avoir des politiques budgétaire et monétaire qui se contredisent. En langage familier, si l’on met un pied sur le frein dans le cadre de la politique monétaire, il est insensé d’appuyer l’autre pied sur l’accélérateur. Bien que les gouvernements puissent fournir une aide ciblée aux ménages canadiens les plus touchés par l’inflation, le moment est venu de réduire les déficits, à mon avis, et non de les augmenter.

Par ailleurs, l’une des leçons à tirer de l’expérience du Royaume-Uni, c’est que les institutions sont importantes. Le gouvernement a d’abord refusé de recourir à son chien de garde indépendant du Parlement pour produire une prévision. Il y avait des intentions claires concernant la fonction publique et la banque centrale. Au Canada, nous avons des institutions très solides. Le directeur parlementaire du budget peut évaluer régulièrement la viabilité de nos finances — c’est essentiel — et nous avons une banque centrale très compétente qui, bien sûr, doit rendre des comptes, y compris à ce comité, mais qui a aussi l’indépendance voulue pour conduire la politique monétaire dans les périodes difficiles comme dans les périodes fastes.

En outre, l’expérience du Royaume-Uni montre que, dans un contexte de resserrement de la politique monétaire, les tensions entre divers objectifs macroéconomiques s’accroissent. Au Royaume-Uni, ce n’est pas seulement que la politique budgétaire et la politique monétaire se contredisaient. Il y avait aussi des tensions entre la stabilité financière et la stabilité des prix, ce qui a amené la Banque d’Angleterre à vendre des obligations d’État et à en acheter. Nous verrons des tensions entre la stabilité des prix et l’intégrité de la monnaie en Europe, des tensions sur les marchés émergents entre la stabilité des prix et la croissance, et entre l’équilibre interne et externe au Japon.

Enfin, je dirais que si le budget du Royaume-Uni a été un échec, c’est en partie parce qu’on n’a pas tenu compte de l’importance de la croissance inclusive. La plupart des réductions d’impôt proposées allaient profiter aux plus riches, et les inégalités allaient s’accroître avec les réductions prévues des prestations. Les Canadiens savent que notre objectif doit être de bâtir un meilleur Canada pour tous. Grâce à nos accords commerciaux avec les membres du G7 et une grande partie des pays de l’Asie, nous sommes bien placés pour attirer au Canada la fabrication mondiale et des emplois bien rémunérés, même dans ce contexte difficile. Or, pour cela, nous avons besoin d’une politique économique fondée sur la collaboration, notamment entre les gouvernements fédéral et provinciaux pour construire un réseau électrique propre. Nous avons besoin de réformes fiscales pour favoriser le développement des compétences et l’investissement des entreprises, ainsi que de nouvelles approches audacieuses en matière de développement des compétences et de formation en milieu de carrière.

Je conclurai en disant que l’expérience britannique nous montre que les institutions comptent, que les solutions partielles échouent et que la solidarité est essentielle. Ainsi, en travaillant ensemble, les Canadiens peuvent transformer l’anxiété actuelle en prospérité pour tous. Sur ce, je vous rends la parole, madame la présidente.

La présidente : Merci beaucoup. Je voudrais revenir rapidement sur un point. Vous dites qu’aucun pays n’a besoin de politiques budgétaire et monétaire qui se contredisent. Où en sommes-nous à ce stade-ci, selon vous? Comment interprétez-vous les plus récentes déclarations de la ministre des Finances?

M. Carney : Je ne suis pas sûr d’avoir suivi cela — et je dois dire aussi que si je peux donner des points de vue généraux sur ces questions, je ne suis pas chaque mot, chaque point de données. J’espère que vous me pardonnerez pour cela, mais cela reflète mon rôle actuel.

Nous avions un ensemble de mesures de soutien financier assez considérable qu’il était nécessaire de prendre pendant les pires moments de la COVID. Avec le recul, et on voit toujours plus clair avec du recul, ces mesures ont duré un peu plus longtemps que ce qui était nécessaire. Bien sûr, dans une période d’incertitude, c’est venu s’ajouter aux pressions inflationnistes. Pendant un certain temps, la politique budgétaire a renforcé certaines des difficultés que la Banque du Canada commençait à voir.

Depuis, comme vous le savez, la banque a agi intelligemment et vigoureusement pour resserrer les taux d’intérêt, et la politique budgétaire a été consolidée. Autrement dit, le déficit a été réduit.

Je n’ai peut-être pas vu les déclarations dont vous parlez, mais je pense que la position générale de la vice-première ministre, de la ministre des Finances et du gouvernement est qu’il faut miser sur une aide temporaire et ciblée aux Canadiens les plus touchés par la hausse des prix et la crise énergétique. Dans l’ensemble, c’est la position qui convient, compte tenu des pressions inflationnistes et des besoins, comme je l’ai dit, dans un contexte plus difficile à l’échelle mondiale. Dans un contexte où nous avons quitté le monde des taux d’intérêt bas à long terme et de la faible volatilité, un contexte où les coûts d’emprunt seront plus élevés — pas seulement à court terme, mais à moyen terme, selon moi —, la discipline budgétaire est essentielle.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie de votre présence, monsieur Carney. Quel plaisir de vous accueillir aujourd’hui. Vos observations sont toujours claires, ce qui est toujours très apprécié. J’aimerais vous poser deux questions relatives aux investissements des entreprises dans ce contexte.

À votre avis, dans quelle mesure l’augmentation des taux d’intérêt affecte-t-elle les nouveaux projets, verts et autres, les projets essentiels qui sont en difficulté en raison de l’augmentation du coût en capital et de l’incertitude croissante du marché? Comment voyez-vous les choses par rapport à ces grands projets?

Ensuite, selon vous, quel effet l’augmentation des taux a-t-il sur les investissements, pas seulement pour la transition verte, mais plus largement pour l’ensemble du secteur privé en ce qui concerne les actifs incorporels, les secteurs très productifs de l’économie?

M. Carney : Ce sont de très bonnes questions. Permettez-moi de commencer par la deuxième, sénateur Deacon, qui porte sur les actifs incorporels. La situation n’est pas unique au Canada, mais l’un des défis, c’est que le financement des actifs incorporels tend à se faire davantage par des investissements sous forme d’actions plutôt que sous forme d’emprunt. C’est en partie le résultat de la prudence des banquiers, qui aiment voir non seulement la perspective de flux de trésorerie futurs, mais aussi des biens ou des actifs réels sur lesquels ils peuvent s’appuyer en cas de défaut de paiement.

Or, cette économie n’appartient pas complètement au passé. En fait, nous allons voir beaucoup d’investissements corporels dans la nouvelle économie verte, et j’y reviendrai, mais les énormes moteurs de la croissance de notre économie sont liés aux actifs incorporels dans une grande variété de secteurs. À mon avis, cela tient moins à notre position dans le cycle macroéconomique qu’à la structure des marchés financiers et de notre système financier au Canada.

J’espère que vous me pardonnerez de m’appuyer sur mon expérience au Royaume-Uni, parce qu’elle est récente, mais l’une des choses sur lesquelles on a commencé à insister là-bas, c’est la question de savoir ce qui est nécessaire pour améliorer le financement des actifs incorporels. Comment utiliser les données que les entreprises accumulent? Pas seulement les données financières traditionnelles, mais aussi les données sociographiques, les données des plateformes commerciales, etc. Et comment disposer d’un système financier ouvert et compétitif afin d’utiliser ces données?

Permettez-moi d’être un peu plus précis, si vous m’en donnez le temps. Il existe des entreprises de plateforme, comme Shopify, Amazon, etc. — de grandes réussites —, qui recueillent efficacement des données. La question est de savoir si elles les utilisent, et elles ont des politiques différentes à cet égard. Shopify est très prudente à ce sujet.

Ces renseignements peuvent être utilisés pour financer plus efficacement les entreprises qui sont en phase de démarrage et qui ont une forte composante incorporelle. L’un des éléments clés pour que le système fonctionne, c’est de s’assurer que l’emprunteur ou l’entreprise, si le système est en place, peut transférer ses propres données, y compris non seulement les données financières, mais toutes les données, vers un autre fournisseur. Je dirais que c’est quelque chose qui est en cours de développement dans diverses économies qui n’en sont pas encore là, et il pourrait s’agir d’une priorité à prendre en considération. Je pense qu’il devrait s’agir d’une priorité pour le Canada.

Je vais essayer d’être plus bref au sujet de l’économie verte, même si je serais heureux d’approfondir le sujet.

Je dirais que la chose la plus importante pour stimuler l’investissement vert, c’est que l’objectif doit être clair et l’orientation de la politique climatique doit être très crédible, si je peux m’exprimer ainsi. Le Canada a adopté une loi sur l’objectif de carboneutralité, il a un historique croissant d’une série de politiques climatiques, y compris — et je voudrais saluer les ministres, soit la ministre des Finances et le ministre de l’Environnement, qui se partagent diverses responsabilités, et donc je dirai le gouvernement — des initiatives telles que celle des contrats relatifs au carbone fondés sur les différences, qui offre un degré de certitude plus élevé aux investisseurs pour faire les investissements nécessaires de sorte que le Canada soit compétitif et réduise les émissions.

Ces types de mesures, encore une fois, vont s’imposer par rapport aux questions cycliques à plus court terme concernant le coût du capital qui augmente, évidemment, en cette période caractérisée par la hausse des taux d’intérêt et le ralentissement de la croissance.

J’ai un dernier point à soulever, si vous me le permettez, qui est un point général sur la macroéconomie. Nous passons d’un régime à un autre, non seulement au Canada, mais dans le monde entier. Nous passons d’un régime dans lequel, depuis longtemps, les taux d’intérêt étaient bas, la volatilité était faible, les capitaux étaient largement disponibles et l’évaluation du risque était relativement généreuse — si je peux m’exprimer ainsi — à un régime dans lequel les taux d’intérêt ont augmenté, l’inflation est en hausse, il y a une plus grande volatilité et l’évaluation du risque est beaucoup plus sévère. Cela ne signifie pas que le risque n’est pas évalué et que le capital n’est pas disponible, mais cette période en est une où, comme je l’ai dit, on passe d’un régime... Pour parler comme un économiste, on passe d’un équilibre à un autre. Pendant cette période, il sera difficile à certains moments pour les entreprises d’avoir accès à des capitaux, ce qui fait qu’il faut se concentrer sur ces changements structurels sous-jacents, tant sur le plan des politiques, que ce soit pour le climat et la transition verte, ou pour le financement des actifs incorporels.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie beaucoup de cette réponse claire.

Le sénateur Loffreda : Monsieur Carney, je vous remercie de votre présence.

Vous avez mentionné que, dans ce contexte, la discipline budgétaire est essentielle pour la suite des choses. En ce qui concerne l’aide ciblée, le projet de loi C-30 a reçu la sanction royale cette semaine et je tiens à remercier tous mes collègues pour leur soutien. Je tiens à ce que cela figure au compte rendu, alors je vous remercie.

Nous allons bientôt examiner le projet de loi C-31, dont le coût s’élève à 2 milliards de dollars. Pensez-vous que cela aura des répercussions sur l’inflation dans notre économie? Vous savez que notre PIB atteint 2 billions de dollars.

Quelles sont, selon vous, les principales causes de l’inflation? Avez-vous d’autres recommandations pour l’avenir?

M. Carney : Si vous me le permettez, sénateur, je pense qu’en préambule, vous avez parlé de l’ordre de grandeur de la mesure législative en question. Encore une fois, je ne connais pas l’objet précis du projet de loi C-31, et je m’en excuse, mais ces ordres de grandeur, les 2 milliards de dollars, comme vous le dites, ne sont pas déterminants par rapport à la taille de l’économie. Bien sûr, c’est une question d’accumulation de 2 milliards de dollars. Les montants commencent à s’additionner, et c’est là que la discipline doit intervenir.

Pour répondre à votre question générale, qui est cruciale, sur les causes plus larges de l’inflation, je vais m’en tenir à de l’information générale pour le moment, et les sénateurs voudront peut-être aller au fond des choses. Oui, il y a des facteurs mondiaux, et il y a eu des facteurs mondiaux pour ce qui est de l’inflation, qu’il s’agisse des prix des produits de base et des marchandises ou des problèmes dans la chaîne d’approvisionnement, qui ont déclenché cette période d’inflation.

Mais en réalité, l’inflation est aujourd’hui principalement une question nationale. Nous avons vu les facteurs contribuant à l’inflation évoluer dans toutes les catégories de l’indice des prix à la consommation. Je pense que près de 80 % des composantes de l’IPC ont des taux d’inflation supérieurs à 3 % et probablement quelque chose comme 60 % des composantes ont des taux d’inflation supérieurs à 5 %. C’est assez vaste, donc il n’y a pas que de l’inflation provenant de l’étranger. En fait, la plus grande partie de cette inflation est désormais d’origine nationale.

Nous le voyons dans le secteur des services, en particulier dans la demande contenue que nous avons tous connue, je pense. Je suis heureux de vous voir tous dans la salle. On m’a dit que la réunion était virtuelle. J’aurais volontiers assisté à la réunion en personne, car je ne suis pas très loin. Or, étant moi-même littéralement « contenu » dans cette salle, en quelque sorte, pour revenir à la demande contenue qui découle de la situation, nous le constatons dans le secteur des services. Nous le constatons également dans le secteur du logement, et je pense que c’est clair maintenant.

Je félicite la Banque du Canada et le gouverneur — qui est très clair à ce sujet — de dire que la principale préoccupation actuellement, c’est la demande excédentaire dans l’économie canadienne, l’inflation d’origine nationale, et donc que l’accent doit être mis sur le resserrement de la politique.

Le sénateur Loffreda : Merci.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Bienvenue parmi nous, monsieur Carney, et félicitations pour votre livre. J’ai eu beaucoup de plaisir à le lire.

Ma question concerne le chapitre sur l’adoption de règles de discipline pour le gouvernement, en particulier quand vous énoncez votre plan en 10 points, notamment le point no 2, où vous parlez de l’adoption de règles. Vous incitez le directeur parlementaire du budget à le faire.

Je voudrais savoir comment vous voyez l’accommodement des investissements nécessaires pour le capital humain, pour le capital social et pour le capital naturel. Si on veut être responsable et aller vers une contraction sans affecter, en particulier, l’investissement dans le capital humain, comment voyez-vous ces règles?

M. Carney : Tout d’abord, je suis impressionné d’apprendre que vous avez lu mon livre, dont le chapitre 16.2 sur les 10 points. Merci.

[Traduction]

Permettez que je réponde comme suit. Pour ceux qui ne se sont pas rendus aussi loin, cette distinction est une règle d’or, si l’on veut, entre les dépenses actuelles et les dépenses en capital. La sénatrice Bellemare s’intéresse avec raison à ce qui constitue le capital. Ce dernier est-il seulement physique? Qu’en est-il du capital humain et du capital social?

Je formulerai quelques observations, d’abord sur le capital humain, auquel j’ai fait référence dans mon allocution d’ouverture. J’indique ailleurs qu’il importe de veiller à ce que les investissements effectués dans le capital humain, notamment au chapitre de la formation et du perfectionnement des compétences, soient considérés comme une dépense, comme une déduction fiscale au même titre que l’investissement dans le capital physique.

Nous avons accéléré les déductions pour amortissement pour certaines choses, nous retrouvant dans une situation où, relativement parlant, nous désavantageons les investissements dans le capital humain des entreprises. Je proposerais de prendre du recul par rapport à la situation actuelle. Nous savons qu’avec les révolutions numérique et durable qui se produisent, un grand nombre de Canadiens voudront acquérir et mériteront de nouvelles compétences, et il faut que notre système soit orienté de manière à les leur fournir. Cela aidera à bâtir le capital humain et le capital social du même coup.

Au chapitre du capital physique, les dépenses du gouvernement visant à reconstruire nos infrastructures, à gérer les éléments de la transition énergétique et à renforcer la résilience de notre économie sont consignées et surveillées séparément. C’est mon troisième point, auquel je pense faire référence dans mon livre. C’est là que nous avons besoin d’entités indépendantes comme le directeur parlementaire du budget, car pour avoir travaillé au ministère des Finances au fil des ans pour plusieurs parties, je sais que s’il existe une telle règle, on est toujours tenté de tout définir comme du capital et de le retirer d’un endroit régi par une approche de budget équilibré strict pour l’investir ailleurs. Je pense que c’est certainement faisable et, vu où nous en sommes avec tous ces changements d’envergure, fort souhaitable.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bonjour, Mark.

[Traduction]

Je vous remercie de témoigner aujourd’hui.

J’ai lu votre livre également. Ma question concernerait le défi des changements climatiques auquel nous sommes confrontés. Dans le dernier budget, Mme Freeland a indiqué que nous devons investir de 120 à 150 milliards de dollars par année si nous voulons établir une économie carboneutre. Or, à l’heure actuelle, nous n’investissons que de 15 à 20 milliards de dollars par an.

Je veux connaître votre opinion au sujet du rôle potentiel de la caisse de retraite du Canada, car elle a dû réduire considérablement l’exposition au risque depuis quelques décennies, voire éliminer entièrement l’exposition au risque élevé. Dans l’entrevue que vous avez accordée à l’occasion du Forum économique mondial, vous avez indiqué que le plus facile à faire, c’est de vendre et de laisser le problème à quelqu’un d’autre. Je m’abstiendrai de dire quel régime de pension a agi de la sorte, mais le fait est que la plus grosse difficulté consiste à aider les régimes et à investir pour réduire leur empreinte carbone.

Ma question est simple. Le gouvernement du Canada doit-il être plus actif, plus proactif, et demander à la caisse de retraite de surveiller davantage les fonds de pension, car j’ai un fils qui craint que le Canada ne soit pas capable de réussir la transition sans une participation plus active dans la caisse de retraite. Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?

M. Carney : Oui. Je suis ravi de vous voir, sénateur Gignac. Comme à votre habitude, vous allez droit au cœur de la question.

Sachez tout d’abord qu’il s’agit d’une question fondamentale extrêmement importante, qu’on parle de régimes de pension, de banques ou d’autres entités. Si nous nous contentons de nous dessaisir de biens, nous ne réussirons pas à atteindre la durabilité climatique et nous ne progresserons pas vers la carboneutralité. À l’échelle de l’institution, on se félicite de décarboniser le portefeuille, mais on ne décarbonise pas l’économie. Je suis convaincu que nous devons investir du capital dans les entreprises et les projets qui ont un plan pour non seulement réduire les émissions, mais aussi pour les réduire conformément à l’orientation que le gouvernement du Canada s’est donnée.

Que faisons-nous à ce sujet, alors? Je dirais que les fonds de pension du Canada ont maintenant adopté diverses stratégies. Certains que je nommerai, comme le Régime de pensions du Canada, le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario et un troisième exemple, le Régime de pension de la fonction publique, ont acquis des biens écologiques et des actifs de transition, même s’ils emploient une terminologie légèrement différente. Les biens écologiques sont des solutions propres et renouvelables, comme l’énergie éolienne, l’hydroélectricité et le stockage, mais les actifs de transition sont des biens qui émettent des émissions, que les investissements permettent toutefois de réduire. Pensez ainsi à ce que Dofasco et ArcelorMittal font actuellement dans le secteur de l’acier, aux investissements effectués dans le secteur de l’automobile afin de perfectionner les véhicules électriques et aux investissements ciblés qui permettent de réduire les émissions.

Ces démarches seront cruciales, notamment dans le secteur de l’énergie, de toute évidence, si l’Alliance Nouvelles voies se concrétise dans le secteur des sables bitumineux et offre le potentiel de réduire substantiellement les émissions du Canada dans les prochaines décennies. Ces initiatives exigeront du capital, et c’est le genre d’investissements qui conviendrait potentiellement fort bien aux fonds de pension.

Si vous me le permettez, j’irai plus loin et ferai référence aux travaux de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero, un regroupement dont font partie certains fonds de pension et banques du Canada. Nous établissons ensemble une approche de transition qui comprend ce genre d’investissements et les encadre de la discipline nécessaire. Au cours de nos discussions, nous parlons d’un thème commun, si l’on peut dire, soit le fait qu’il faut adopter une orientation, mais aussi faire preuve de discipline. Nous devons encadrer l’orientation afin d’elle fasse réellement ce qu’elle est censée faire pour que le capital soit investi dans la transition.

Enfin, que pourraient faire le gouvernement du Canada ou nos autorités de réglementation? Ils peuvent notamment demander aux institutions financières si elles ont un plan de transition pour leurs investissements et leurs portefeuilles de prêts. Après tout, le pays a un investissement prescrit par la loi en vue d’atteindre la carboneutralité. Si vous investissez au Canada, quel est votre plan? Qui soutenez-vous? Comment comptez-vous passer de votre situation actuelle à celle que vous voulez avoir demain?

En outre, les plans de transition doivent comprendre une définition des actifs de transition et pas seulement des biens écologiques. Ces derniers sont extrêmement importants, mais il faut également réduire les émissions dans les secteurs de l’économie qui existent actuellement. Si les projets sont suffisamment ambitieux pour qu’on y investisse, alors ils devraient convenir et être considérés comme s’inscrivant dans la transition, et nos régimes de pension et d’autres formes de capital se mettraient réellement à l’œuvre au nom du Canada et de ses objectifs.

La présidente : Monsieur Carney, avant de poursuivre, pourrais-je vous demander de réagir à une nouvelle parue récemment voulant que les banques canadiennes aient certaines hésitations quant à leur engagement envers la Glasgow Alliance? Je pense que selon les sources citées, toutes les banques ont, au sujet des gouvernements et des questions de responsabilité, des préoccupations qui sont exacerbées par les répercussions de la guerre en Ukraine.

M. Carney : Je pense que la première chose à faire est de féliciter les banques canadiennes de leur engagement à gérer leurs portefeuilles en vue d’atteindre la carboneutralité. Elles se sont engagées à contribuer à effectuer leur juste part des réductions des émissions, conformément aux objectifs du Canada et à la cible d’un degré et demi. Voilà pour le premier point.

De plus, certaines tensions se sont manifestées, pas seulement parmi les banques canadiennes, mais parmi d’autres institutions également, et je le comprends, si je puis le dire ainsi. Un groupe a tenté d’imposer des stratégies au lieu d’établir des objectifs et de laisser les institutions financières établir leurs propres stratégies et de les tenir responsables de rendre des comptes à cet égard. Nous verrons dans les prochaines années si les prêts et les investissements ont des résultats conformes à l’objectif global. Le problème du groupe dénommé Course des villes vers zéro, qui a tenté de s’imposer, a été résolu. La position des banques canadiennes et de leurs membres est limpide : elles se sont engagées à gérer leurs actifs en vue d’atteindre l’objectif d’un degré et demi. Cela prend du temps, mais elles établissent leurs propres stratégies pour atteindre cet objectif.

Les banques feront également état de leurs progrès à cet égard, et ces informations seront accessibles à l’échelle internationale. Nous sommes en train de constituer une base de données mondiale de sources ouvertes qui réunira tous les grands fournisseurs de données, sous la houlette de l’OCDE, du FMI et des Nations unies. Cette base de données sera fonctionnelle à la même date l’an prochain, et les institutions y divulgueront leurs émissions par livres financiers, leurs objectifs et leurs progrès par rapport aux objectifs pour que les autres puissent juger des avancées. C’est ainsi que nous tirons le meilleur de notre système financier, car les institutions déterminent leur stratégie. Pardonnez-moi; je m’arrêterai ici.

Le sénateur Massicotte : Je suis ravi de vous voir, monsieur Carney. Je ne vous ai pas vu depuis longtemps, mais c’est toujours un plaisir de vous rencontrer.

Permettez-moi de vous parler du débat sur toute la question de l’environnement.

Vous semblez un peu plus — voire beaucoup plus — optimiste que moi. Au cours des 5 ou 10 dernières années, nous avons raté toutes les cibles que nous avions fixées. Nous recevons même des rapports du ministère indiquant que nous ne respectons toujours pas les cibles. Il y a deux jours, le premier ministre a promis que nous atteindrions les cibles cette fois-ci.

Pourquoi seriez-vous plus optimiste que nous atteindrons les cibles alors que nous avons lamentablement échoué jusqu’à présent?

M. Carney : Comme vous le savez, sénateur Massicotte, au bout du compte, la crédibilité s’établit en fonction du rendement, et ce rendement s’obtient en dépassant les cibles au lieu de les rater. Je comprends ce qui motive votre question.

Sachez d’abord qu’il est beaucoup plus probable que nous réalisions des progrès parce que le financement de la transition est maintenant solidement établi, comme j’en ai discuté avec le sénateur Gignac et la présidente. De plus, on réalise de nouveaux progrès et on a créé un rapport de suivi sur ce que j’appelle la politique climatique, laquelle inclut non seulement la tarification du carbone, mais également des mesures pour appuyer la transition, notamment au moyen du stockage de l’hydrogène et des véhicules électriques, ainsi que des contrats en matière de carbone afin d’évaluer les différences et prendre d’autres mesures. Ce rapport de suivi est en cours d’élaboration.

Le Groupe consultatif pour la carboneutralité a un rôle important à jouer en indiquant très clairement quel est l’écart entre l’engagement et l’orientation que le gouvernement du Canada tente de respecter et le résultat que les politiques actuellement en place sont susceptibles de produire. Il y aura un écart; ce qu’il faut, c’est avoir l’heure juste à ce sujet. Ensuite, dans l’arène politique, si l’on veut, le Sénat et les autres institutions doivent déterminer comment on peut éliminer cet écart et quelles politiques il convient d’adopter à cette fin. Ce processus peut contribuer à renforcer la crédibilité.

J’ajouterais, sénateur, que bien des éléments sont nécessaires pour que nous atteignions nos objectifs et restions sur la bonne voie, et parfois, ce sont des éléments importants comme l’Alliance Nouvelles voies dans le domaine des sables bitumineux, l’établissement d’un réseau électrique vert d’ici 2025, la stratégie de l’industrie automobile, qui est nécessaire, et la transformation des secteurs de l’acier et des produits de construction. Des approches fédérales-provinciales exhaustives et des efforts concertés et surveillés seront nécessaires pour combler entièrement l’écart et non seulement renforcer la crédibilité — tout importante soit-elle parce que l’élan donne de l’élan —, mais aussi obtenir les résultats que nous escomptons tous.

La sénatrice Marshall : Bienvenue, monsieur Carney. Ma question est plus générale.

Je fais également partie du Comité sénatorial des finances nationales, qui reçoit assez régulièrement la ministre Freeland. Nous avons parlé d’une récession en juin. Quand elle répondait, c’était presque comme si elle nous disait de ne pas nous en faire parce que tout était sous contrôle. Quand elle a témoigné devant le Sénat il y a quelques semaines, elle a offert le même genre de réponses à nos questions, affirmant que le gouvernement est en bonne santé financière, a une cote AAA et affiche un excellent ratio entre la dette et le PIB.

Ces jours derniers, elle est apparue dans les médias et a pratiquement effectué une pirouette de 180 degrés, pas seulement dans ce qu’elle a dit — elle nous met maintenant en garde contre une très grave récession —, mais aussi dans la manière dont elle le dit. J’ai dû regarder la vidéo à plusieurs reprises. Je me suis toujours attendue à une récession, mais quand on écoute la ministre maintenant, cela donne presque froid dans le dos.

Il semble qu’il se soit passé quelque chose au cours des deux dernières semaines. Il y a exactement deux semaines, elle nous disait de ne pas nous en faire parce que nous étions en excellente santé financière, et maintenant, depuis deux jours, elle nous avertit de nous préparer à une grave récession.

Vous observez ce qu’il se passe dans le monde. Que pensez-vous qu’il se soit passé pour que la ministre des Finances change presque entièrement de discours? Nous savons que le Royaume-Uni éprouve des problèmes et que le Fonds monétaire international nous prévient qu’une récession nous menace. Quelque chose m’a-t-il échappé? Qu’est-ce qui pousserait une ministre des Finances à changer ainsi son fusil d’épaule? Il n’est pas nécessaire que votre réponse concerne précisément la ministre Freeland. Sommes-nous sur le point de perdre notre cote de crédit, qui sera revue à la baisse? Est-ce à cause des agences de notation?

J’aimerais vraiment avoir votre avis. Pouvez-vous réconcilier les faits? J’essaie d’y comprendre quelque chose.

M. Carney : On m’a posé des questions difficiles au fil des ans, mais c’est une des plus ardues qu’on m’ait posées. Il faudrait que je lise les pensées d’une ministre des Finances et entende ce qu’elle a dit.

Tout d’abord, sachez que je ne vois pas pourquoi il y aurait un problème du côté de la notation des obligations, de notre cote de crédit ou d’autres indicateurs à court terme. Les bases fondamentales du pays sont solides, témoignant des efforts que les Canadiens et les nombreux gouvernements ont déployés au fil du temps.

C’est sur ces bases que nous nous rabattons en période économique difficile. Malheureusement, nous nous trouvons dans une telle période, et c’est ce que je vous aurais dit si vous m’aviez posé la question il y a deux mois. Nous avons tenté de nous rencontrer il y a deux mois, et je vous aurais dit la même chose alors.

Oui, je pense qu’une récession risque de frapper le monde et fort probablement le Canada. Je crains que ce soit un peu comme un voyage aérien ces jours-ci : on sait où on s’en va, mais on ignore tout simplement comment on se rendra à destination.

On ne sait pas exactement quand la récession frappera, mais la Chine est officiellement en récession actuellement. Elle connaît une faible croissance positive, mais bien en-deçà de la tendance. L’Europe entre en récession. Le Royaume-Uni est en récession. Les États-Unis conservent leur élan, ce qui contribue à nous soutenir, mais pour rééquilibrer l’économie afin de maîtriser plus fermement l’inflation, compte tenu du point de départ, il faudra qu’une récession se produise aux États-Unis l’an prochain.

Le Canada aura de la difficulté à y échapper entièrement, ne serait-ce qu’en raison de ces facteurs cumulatifs. Ajoutez à cela les pressions inflationnistes que vous connaissez, lesquelles sont maintenant davantage d’origine interne qu’externe. La banque a dû resserrer sa politique. Je ne fais pas de prédictions. Je n’ai pas d’information. Je ne suis pas là-bas et je n’ai rien à voir dans ces décisions. Le gouverneur a indiqué sans ambages qu’il faudra en faire plus, et la banque prendra les décisions qui s’imposent.

La combinaison de tous ces facteurs nous mènera probablement à une récession ou au moins à quelques trimestres de croissance négative au Canada.

Il importe que nous tirions judicieusement parti de nos forces et évitions d’affaiblir encore notre position. Nous devons utiliser nos ressources fiscales adéquatement et les cibler.

Comme je l’ai indiqué en réponse à la question que le sénateur Deacon a posée au début, nous devons absolument continuer de prendre le genre de mesures qui nous placeront en meilleure position au sortir de cette période de ralentissement, qu’il s’agisse d’une réforme financière, d’une politique climatique ou énergétique ou d’autres politiques.

Nous pouvons certainement en sortir beaucoup plus forts que bien d’autres pays, mais nous devons savoir vers quoi nous nous dirigeons.

La sénatrice Marshall : Ce n’est pas vers une averse isolée, mais vers une tempête parfaite.

M. Carney : C’est une série de choses. C’est une tempête, pas un ouragan; c’est ainsi que je le décrirais.

Le sénateur Yussuff : Merci, monsieur Carney, d’être ici.

Au début de la pandémie — et subséquemment —, les chaînes d’approvisionnement ont constitué un problème de taille auquel nous avons été confrontés. En ce qui concerne le début de la hausse de l’inflation, il a été reconnu que la chaîne d’approvisionnement fait partie du problème.

La secrétaire du Trésor des États-Unis, Janet Yellen, a proposé l’idée de délocalisation dans des pays amis comme moyen de protéger les chaînes d’approvisionnement mondiales des perturbations externes ou de la cohésion de l’économie afin d’atténuer la destruction de l’économie américaine et de ses alliés. Lors de son discours à Washington, D.C., la ministre Freeland a manifesté son accord à l’égard de cette idée, soutenant qu’elle pourrait nous aider à défendre la démocratie libérale.

Pouvez-vous vous prononcer sur la position de la ministre Freeland sur le concept de délocalisation dans des pays amis de façon plus générale?

M. Carney : Bien sûr. Merci. C’est une question importante, sénateur. Comme la sénatrice Bellemare le sait, c’est un sujet que j’ai abordé il y a quelques années dans ce livre qui porte sur l’avenir de la mondialisation et d’une mondialisation fondée sur les valeurs, ce qui est analogue à ce dont la secrétaire Yellen a parlé. J’en ai discuté avec la secrétaire au fil des ans.

Je décrirais la situation de la façon suivante : nous avons eu une série d’expériences, malheureusement, au cours des 15 dernières années, où le système a subi des bouleversements. Il y a eu des bouleversements sur les plans financier, sanitaire, énergétique et, maintenant, sur le plan géopolitique. Dans tous ces cas, nous avons manqué de résilience. Le Canada est moins résilient sur le plan financier, mais il l’est dans les secteurs de la santé, de la géopolitique et de la défense. Et les entreprises, ce qui est très important, pensent à leurs chaînes d’approvisionnement, à leurs chaînes de valeur, donc en amont et en aval de la courbe, et à leur exposition à des conditions météorologiques extrêmes, à des perturbations comme la COVID et à des changements géopolitiques, qu’il s’agisse de restrictions commerciales, de restrictions technologiques, de restrictions sur les données ou de restrictions sur le financement — toutes ces situations ont été observées par les entreprises dans différentes régions au cours des dernières années.

Dans cet environnement, il est logique et souhaitable de renforcer la résilience, en particulier avec les parties les plus importantes de votre chaîne d’approvisionnement, et de les avoir littéralement sur les rives des amis, qu’il s’agisse de vos fournisseurs, de la technologie clé, des personnes clés, des sources de financement, et cetera.

C’est dans cet environnement — et je pense que la vice-première ministre a bien décrit la situation — où le Canada, qui a des accords commerciaux avec tous les pays membres du G7, et la majorité des pays d’Asie par l’entremise du PTPGP, a une main-d’œuvre solide et un régime fiscal et un régime d’imposition des sociétés solides.

Une autre raison pour laquelle nous devrions avoir un réseau d’énergie électrique propre est que nous avons le potentiel de prendre une décision qui va de soi du point de vue de ce qu’on appelle le champ d’émissions ou la source d’énergie. Autrement dit, nous aurions un réseau propre dans l’ensemble du Canada et, en tant que source de fabrication et de services, un endroit très clair pour la délocalisation dans des pays amis, les activités côtières, les échanges commerciaux sans heurt pour traverser les routes commerciales qui ont été établies par divers gouvernements au cours des deux dernières années.

Je pense que c’est une évolution importante. C’est quelque chose pour laquelle le Canada se trouve dans une bonne position. Par définition, les catalyseurs de cette évolution respectent les valeurs canadiennes.

Le sénateur Woo : Bienvenue, monsieur Carney. Je pense que nous serions nous aussi très heureux de vous avoir ici en personne. J’espère que je ne parle pas à tort et à travers en disant que nous serions ravis de vous recevoir en personne.

La présidente : Je pense que nous avons offert cette invitation.

M. Carney : C’était moi qui ai mal compris. Je m’en excuse, madame la présidente.

Le sénateur Woo : Pas du tout.

Je suis heureux que vous ayez commencé votre exposé en rappelant les événements récents survenus au Royaume-Uni, qui doivent servir d’étude de cas terrifiante pour les politiciens, mais aussi peut-être d’énigme pour les penseurs politiques sérieux qui cherchent une marge de manœuvre politique pour atteindre les mêmes objectifs que le premier ministre britannique Truss essayait d’atteindre — une réponse du côté de l’offre par l’entremise du régime fiscal, si vous me permettez de décrire la situation très sommairement.

Ma question vise à savoir où vous voyez la marge de manœuvre politique pour obtenir des réponses du côté de l’offre qui peuvent accroître le taux tendanciel de croissance, plus particulièrement dans les pays industrialisés, y compris le Canada, qui ont vu la croissance des salaires et de la productivité stagner depuis de nombreuses années maintenant, que ce soit par l’entremise du régime fiscal ou de la politique fiscale, et si cette marge de manœuvre se rétrécit. Si la marge de manœuvre se rétrécit en raison de la tempête parfaite d’événements économiques problématiques, pourrait-elle s’assouplir à court terme afin que nous disposions d’une plus grande marge de manœuvre pour faire des choses qui changent réellement la structure de l’économie plutôt que de simplement gérer un ralentissement potentiel?

M. Carney : Sénateur, c’est encore une fois une excellente question. Une partie de la tragédie ici est que l’objectif était de doubler le taux tendanciel de croissance à 2,5 %, et nous reconnaissons cet objectif. C’est quelque chose que nous aimerions faire aussi — en fait, nous devrions le faire. Nous avons une croissance tendancielle un peu plus élevée au Royaume-Uni, mais pas beaucoup.

Il convient d’examiner les raisons de l’échec de cet effort. Je vais faire quelques remarques à ce sujet, puis je passerai à ce que nous pouvons faire d’autre.

Je pense que l’une des principales raisons de son échec, c’est qu’il n’y avait que la moitié de l’histoire. Les responsables se sont concentrés sur les réductions d’impôts comme solution, par opposition à tous les autres travaux difficiles qui sont nécessaires pour construire la productivité au fil du temps. Pour être juste envers eux, je ne pense pas qu’ils refusaient de voir ces enjeux. Mais pour une raison politique quelconque — et je pense que, rétrospectivement, ils reconnaissent que c’était une erreur de calcul —, ils voulaient présenter les réductions d’impôts, le grand chambardement causé par ces réductions et le programme énergétique. Ils devaient ensuite élaborer un autre budget à la fin de novembre qui aurait complété d’autres aspects.

Il y a deux choses : premièrement, il semble que la stratégie de croissance ait été réduite à une stratégie de réduction d’impôts au compte-gouttes, ce qui, à mon avis, n’est pas une stratégie crédible pour l’économie du XXIe siècle.

Deuxièmement, l’ampleur des dépenses — et la plupart des dépenses étaient destinées à soutenir les ménages, comme vous le savez, comme le programme énergétique —, mais l’ampleur de ces dépenses, le fait qu’elles n’aient pas été chiffrées et que les structures institutionnelles, comme leur équivalent du Bureau du directeur parlementaire du budget, aient été écartées, ou en fait, ignorées, ont totalement miné la crédibilité. Ils sont passés à un déficit de 7 % du PIB du jour au lendemain. Ils avaient déjà un déficit courant de 7 %. Les chiffres ne correspondaient pas et ils ont fait comme si cela n’avait pas d’importance.

Je simplifie grossièrement, mais tous ces éléments ont concouru à mettre la pression sur eux, et je pense que c’est clair, en rétrospective. Cela semblait clair à l’époque aussi, et c’est certainement clair, en y repensant.

L’objectif était bon. La compétitivité fiscale a un rôle à jouer dans l’atteinte de ces objectifs. Mais si vous perdez des recettes sur le plan fiscal, vous devez réfléchir aux éléments qui sont financés. En outre, vous devez utiliser la marge de manœuvre politique, par exemple en encourageant — comme dans l’échange avec la sénatrice Bellemare — l’investissement dans le capital humain. Je crois fermement qu’étant donné l’ampleur de la transformation numérique en particulier, nous devons institutionnaliser, avoir une série de mesures qui soutiennent le recyclage de masse en milieu de carrière et la requalification des Canadiens pour leur donner toutes les occasions de la nouvelle économie qui s’établit. Nous devons veiller à ne pas passer tout notre temps à nous concentrer sur le court terme, mais penser au moyen et au long terme. C’est un élément de la question.

Je pense aussi que les échanges sur la politique climatique sont essentiels car cela peut favoriser — comme la présidente, la sénatrice Wallin, l’a affirmé à juste titre — l’ampleur des investissements potentiels. La seule façon de débloquer ces investissements est, comme l’a souligné le sénateur Gignac, de faire en sorte que nos grands fonds de pension et autres investissent dans ce domaine, mais avec une politique claire et relativement peu coûteuse.

Nous avons une politique, par exemple, sur les véhicules à moteur à combustion interne après 2035, pour ne pas en vendre. Si vous travaillez à contresens à partir de là, vous voyez les investissements nécessaires aujourd’hui. Oui, ils bénéficient d’un certain soutien, mais ce soutien sera rentabilisé à plusieurs reprises en termes de compétitivité de notre secteur automobile, et pas seulement du point de vue des émissions.

Nous avons besoin du capital humain et physique en plus de la compétitivité fiscale. Nous ne pouvons pas renoncer à la compétitivité fiscale.

J’aurais un dernier point à soulever, si vous le permettez : l’une des choses sur lesquelles nous avions l’habitude de passer beaucoup de temps est l’effet marginal des allégements fiscaux pour l’investissement. Maintenant que le taux d’imposition des sociétés est assez compétitif, je pense qu’il serait bon d’y consacrer plus de temps.

Le sénateur Smith : Bienvenue, monsieur. Je suis ravi de vous revoir.

Vous avez signalé dans vos déclarations liminaires que les gouvernements fédéral et provinciaux travaillent en collaboration pour produire de meilleurs résultats économiques. Plus précisément, vous avez souligné la nécessité de renforcer une capacité d’électricité propre. Nous avons connu des problèmes de barrières commerciales interprovinciales et de réglementation différentes d’une province à l’autre. Comment évaluez-vous l’état actuel des relations interprovinciales, et comment le gouvernement fédéral peut-il travailler à réduire ces obstacles pour générer de meilleurs résultats économiques?

M. Carney : Monsieur le sénateur Smith, merci de la question. J’ai l’impression que la dernière fois que nous nous sommes vus, il y a de cela 10 ans, vous auriez pu me poser la même question et je serais encore en train de travailler à trouver une meilleure réponse.

Je pense qu’il y a quelques secteurs où nous devons établir des priorités dans ces dossiers. Nous n’allons pas conclure un nouvel accord d’union économique grandiose, alors nous devons établir des priorités dans ces domaines. Nous avons parlé un peu du réseau. Je pense que nous devons passer de l’objectif à, très franchement, un diagramme de Gantt, si vous voulez, pour savoir quels projets peuvent être mis en place, ce qui est nécessaire, quelle est la part du partage de la capacité par rapport à l’établissement d’une nouvelle capacité et ce qui est réaliste pour ce qui est de la demande future. Je sais qu’il y a un certain scepticisme au sujet de la demande future, mais je pense que vous pouvez couper — du moins selon mes données — dans nos progrès globaux en matière de réduction des émissions par l’entremise du transport et du secteur manufacturier et avoir quand même une augmentation considérable de la demande. Nous devons aller de l’avant et nous concentrer sur ce qui doit être fait, sur qui doit faire quoi et en faire un sujet d’actualité.

Cela va vous sembler légèrement frivole, mais je vais vous faire part d’une remarque que j’ai faite à quelqu’un l’autre jour. Lorsque j’étais à l’étranger au Royaume-Uni, j’avais l’habitude de lire la première page des journaux en ligne et nous avons connu une période d’environ 18 mois pendant laquelle pratiquement tous les jours, la première page d’un journal était consacrée au cannabis et à son industrie. Fascinant. Où est cette industrie aujourd’hui? Nous devrions avoir à la une de la section des affaires, tous les jours ou tous les deux jours, ce qui se passe avec notre propre réseau d’énergie propre, quels sont les problèmes, qui fait quoi, qui devrait faire quoi, où sont les occasions, et cetera, afin de débloquer cela.

L’un de ces problèmes porte sur ce sujet et l’autre, de façon plus générale, sur la transition énergétique et son aboutissement. Je pense que bon nombre des éléments de base sont là, mais pas tous en ce qui concerne la réduction des émissions dans les sables bitumineux. Il existe un moyen d’y parvenir. Nous devons terminer le travail à cet égard. C’est en partie une question fédérale-provinciale, mais c’est aussi une question, si je peux simplifier, où il y a d’énormes rentrées de fonds, des profits, de cette industrie en ce moment. Certains vont au gouvernement, d’autres, aux entreprises. Comment pouvons-nous les réinvestir le plus rapidement possible dans la réduction de ces émissions dans l’intérêt de l’industrie, de l’ensemble du pays et de la sécurité énergétique en Amérique du Nord, de façon plus générale?

Ce n’est pas une réponse exhaustive à votre question, mais je pense qu’à mesure que vous commencez à accumuler ces victoires, nous pouvons — et ce sont des victoires assez importantes si nous y parvenons — créer un environnement dans lequel nous tissons plus clairement l’économie.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur Carney. Vous avez dirigé la Banque d’Angleterre durant sa transition vers le système bancaire ouvert. Je veux vous interroger à propos de l’effet de la réforme de la concurrence pour contribuer à maîtriser l’inflation. Je note que, comme premier objectif, les profits des banques canadiennes ont été multipliés par six par rapport au taux d’inflation pendant la pandémie. Comme deuxième objectif, on a stimulé les investissements et l’innovation des entreprises dans les secteurs hautement productifs et immatériels. Merci.

M. Carney : Je pense que le système bancaire ouvert ou les formes de système bancaire ouvert sont essentiels, en particulier pour le deuxième objectif. Ils peuvent contribuer au premier objectif, mais les grandes répercussions visent le changement structurel, le financement des biens immatériels et l’économie qui en découle.

Le sénateur Loffreda : J’ai une question rapide à poser sur l’économie en général. En juin 2022, dans un article du Globe and Mail — et vous étiez l’un des premiers ainsi que certaines banques à dire que le risque d’une récession mondiale était inconfortablement élevé et que le Canada s’en sortirait mieux que la plupart des pays. Pourquoi pensez-vous que le Canada s’en tirera mieux que la plupart des pays? Pensez-vous que c’est toujours le cas aujourd’hui? Avez-vous des recommandations à faire au gouvernement pour qu’il s’en sorte mieux? Il y a des inquiétudes. Je parle à des entrepreneurs et les stocks augmentent, les salles d’exposition sont pleines et les entrepôts sont de plus en plus remplis. Il y a donc des inquiétudes de ce côté-là.

M. Carney : La réponse courte à la question de savoir pourquoi nous devrions nous en sortir relativement mieux est double. Il y a, premièrement, sur le plan externe, les liens avec les États-Unis. Je pense que les États-Unis vont entrer en récession, mais tout de même, toutes proportions gardées, ils s’en tireront mieux. Deuxièmement, notre marché du travail est sorti de cette période initiale de la COVID en meilleure posture que d’autres, en partie à cause de la conception des mécanismes qui ont maintenu les gens liés à leur emploi. Nous avons perdu moins de personnes sur le marché du travail. Troisièmement, il y a l’amélioration de nos modalités commerciales. Elles se sont un peu allégées, mais elles nous donnent plus de souplesse en termes de revenus. Quatrièmement, la force du secteur financier est là.

Je pense que pour le gouvernement, c’est un thème commun. Mais ces grandes questions dont nous avons discuté — la durabilité, la transformation numérique, ces grands projets [Difficultés techniques] et l’union économique — il faut maintenir le cap sur ces questions et les rendre plus concrètes, car c’est l’une des façons dont nous pouvons réellement atténuer la récession en raison des investissements qui en découleraient, mais vraiment accélérer la cadence pour en sortir lorsque le monde se rendra de l’autre côté.

Le sénateur Gignac : Notre prochain invité parlera probablement beaucoup de la masse monétaire et de l’assouplissement quantitatif. Vous avez été gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre. Pensez-vous que, cette fois-ci, les banques centrales sont allées trop loin avec l’assouplissement quantitatif, ou l’AQ? Cette fois, on va même jusqu’à acheter des obligations d’entreprises, ce qui n’était pas le cas lorsque vous étiez à la Banque du Canada il y a 12 ans. Certains ont mentionné que cela contribue à une inégalité parce que les pauvres n’ont pas d’actions et d’obligations qui aident les riches, et cela crée les conditions gagnantes pour une poussée de l’inflation. Croyez-vous qu’elles sont allées trop loin et n’ont pas assez veillé au grain avant que nous soyons [Difficultés techniques].

M. Carney : Il y a là deux questions. La première porte sur les achats d’obligations de sociétés et l’approche générale. Ce qui était moins souhaitable durant l’expérience de 2020, à mon avis, a été de privilégier les achats d’obligations de sociétés et l’appui au marché des obligations de sociétés au lieu d’un apport de liquidités dans le secteur pour que le marché trouve son prix. Autrement dit, au lieu que le marché trouve son prix d’équilibre, la détermination du prix a été aidée par les banques centrales. Il y a eu un problème semblable ces dernières semaines, du moins au début, avec le marché des titres d’État au Royaume-Uni, où il y a eu des achats et non des liquidités contre des titres d’État, C’était un problème de liquidités et non de solvabilité, et c’est une distinction fondamentale. Il est important que les marchés fonctionnent et qu’il y ait une détermination des prix, même si vous n’aimez pas le prix. Je tenais à le souligner.

Le deuxième point, qui est un enjeu plus vaste, porte sur l’orientation générale de la politique et la contribution à l’accélération de l’inflation. Il y a eu des facteurs particuliers dans une convergence d’événements. Si je devais mettre le doigt sur le principal enjeu, je dirais que ce sont moins les instruments de la politique et plus l’incapacité à déceler rapidement que c’était davantage un choc d’offre plutôt qu’un choc de demande, après la réouverture des économies, et que cela s’est accompagné d’une série de chocs d’offre. Par conséquent, nous avons agi plus tard que ce qui était souhaitable, peu importe les instruments utilisés.

Je simplifie grossièrement, et je m’excuse auprès de mes anciens collègues de la Banque du Canada si ma réponse est trop incisive, mais je suis sous les ordres de la présidence.

Le sénateur Massicotte : Ces 10 dernières années, au pays, les investissements ont été négligeables comparativement à l’augmentation de notre dette. Autrement dit, l’argent a été davantage consacré à la consommation qu’à l’investissement. Comment pouvons-nous changer cela pour obtenir de meilleurs résultats?

M. Carney : C’est une excellente question. Je vais vous donner une autre statistique. Au début des années 1970, 75 % du budget américain était consacré aux dépenses en immobilisations et 25 % aux dépenses courantes. Maintenant, c’est l’inverse. Ces échelles... Une partie de ce que nous faisons — ce qui nous ramène encore une fois à la discussion avec la sénatrice Bellemare —, c’est que nous faisons mieux la distinction entre les dépenses en immobilisations et les dépenses courantes. Nous agissons délibérément et nous reconnaissons que les dépenses en immobilisations, pourvu qu’elles soient faites à bon escient et à cette fin, sont un cadeau perpétuel. C’est donner du poisson aux Canadiens au lieu de leur apprendre à pêcher.

La présidente : Merci, monsieur Carney. Vous nous avez fourni beaucoup de renseignements. Nous vous sommes très reconnaissants de votre présence parmi nous.

M. Carney : Merci, madame la présidente.

La présidente : Pour la deuxième partie de la séance d’aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir M. Steve Hanke, professeur d’économie appliquée à l’Université Johns Hopkins. On l’a surnommé « l’homme qui murmure à l’oreille de l’inflation », et il a de nombreux autres talents.

Monsieur Hanke, merci de vous joindre à nous aujourd’hui depuis les États-Unis. Nous vous en sommes reconnaissants. Je me demande si vous avez une brève déclaration préliminaire à faire.

Steve H. Hanke, professeur d’économie appliquée, Université Johns Hopkins, à titre personnel : Madame la présidente, c’est un plaisir d’être avec vous. Pour commencer, permettez-moi simplement de dire que je pense que tout le monde cherche les causes de l’inflation aux mauvais endroits. Nous avons parlé des chocs de la chaîne d’approvisionnement, comme M. Carney vient de l’indiquer. C’était un grave problème. La pandémie de COVID-19 a été un grave problème. L’augmentation des prix du pétrole a été un gros problème. Cela a été causé par Poutine, c’était un grave problème. En fait, l’inflation n’a qu’une seule cause, toujours et partout : la croissance excessive de la masse monétaire.

Je viens de terminer une étude portant sur 157 pays dans laquelle je compare le taux de croissance de la masse monétaire et le taux d’inflation dans ces pays pour la période de 1990 à 2021, et, bingo! Qu’est-ce qu’on obtient? Un rapport presque parfait entre la croissance de la masse monétaire et la croissance de l’inflation.

J’ai aussi fait une étude comparative des données de tous ces pays pour l’après-Seconde Guerre mondiale. On constate que dans une situation d’inflation soutenue — que je définis comme une période d’inflation d’au moins deux ans avec un taux d’inflation supérieur à 4 % —, tous les pays dans une telle situation d’inflation soutenue ont connu au préalable une augmentation soutenue de la masse monétaire. Donc, tout est lié à la masse monétaire.

Dix ans avant la pandémie, la situation était plutôt bonne au Canada. La masse monétaire était à peu près dans la zone souhaitable, et relativement stable. Puis, la COVID-19 a frappé. La masse monétaire a commencé à augmenter, avec une augmentation marquée au début de 2020. Voilà pourquoi nous avons maintenant de l’inflation au Canada. Nous sommes frappés de plein fouet en raison du décalage de 12 à 24 mois, environ, entre l’augmentation de la masse monétaire et l’inflation réelle.

Voilà qui résume mon point de vue. Tout est une question de masse monétaire. Si la Banque du Canada voulait atteindre sa cible d’inflation de 2 %, la masse monétaire canadienne devrait croître d’environ 7 % par année. Lorsqu’on examine le taux d’augmentation trimestriel annualisé de la masse monétaire, il a atteint un sommet en juin 2020, à près de 20 %. Sa croissance était donc presque trois fois supérieure à ce qui aurait été nécessaire pour atteindre une cible d’inflation de 2 %.

Je sais que l’idée de faire fonctionner la presse à imprimer suscite la controverse au Canada. Eh bien, la presse à imprimer a fonctionné sans relâche jusqu’à ces derniers mois, lorsqu’on a observé un ralentissement du taux de croissance de la masse monétaire au Canada.

La présidente : Je suis désolée, je constate que les sénateurs veulent vous poser des questions. Je vous remercie de votre déclaration. Notre dernier invité a également indiqué que l’inflation est une question nationale. Donc, je pense que nous sommes sur la même longueur d’onde.

Je vais confier la présidence au vice-président, le sénateur Deacon. Je sais que vous commencerez par une question, puis vous pourrez assurer la présidence. Je vous remercie.

Le sénateur Colin Deacon (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Je vous remercie.

Monsieur Hanke, je vous remercie beaucoup de votre présence. Vos perspectives se démarquent. Je ne suis pas économiste. Nous avons la chance d’avoir des économistes au sein du comité, mais je ne suis pas l’un d’eux.

M. Hanke : Sénateur, vous avez un avantage certain sur vos collègues économistes.

Le vice-président : Je suis entrepreneur; j’ai donc besoin qu’on m’explique les choses en langage assez simple.

D’après ce que je comprends, c'est qu'il s’agit d’un lien de cause à effet et non d’une corrélation. Pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous considérez l’expansion de la masse monétaire comme un facteur causal de l’inflation et non un facteur corrélationnel?

M. Hanke : Prenons l’hyperinflation allemande de 1923. À l’époque, en Allemagne, beaucoup affirmaient que l’hyperinflation causait une augmentation de la masse monétaire. Je souligne au passage que parmi les 62 cas d’hyperinflation dans l’histoire mondiale, le cas de l’Allemagne a été relativement modéré, avec le 13e plus haut taux d’hyperinflation de l’histoire, mais c’est évidemment le cas le plus célèbre.

En Allemagne, à l’époque, la confusion régnait parce qu’on pensait que l’inflation entraînait une augmentation de la masse monétaire, ce qui n’est pas le cas, comme nous le savons, pour la raison que j’ai mentionnée dans ma déclaration. Il y a un décalage entre les augmentations de la masse monétaire et l’inflation. Ce décalage est à la fois long et variable, mais il est de l’ordre de 12 à 24 mois. Voilà pourquoi nous savons que la masse monétaire cause l’inflation, car l’inflation est consécutive à l’augmentation de la masse monétaire. Vous augmentez la masse monétaire, puis, 12 à 24 mois plus tard, on se retrouve en situation d’inflation accrue.

Voilà ma réponse, sénateur.

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Hanke.

Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Hanke, d’être des nôtres ce matin. Je ne suis pas économiste non plus, mais je suis un ancien banquier. Je vais donc concentrer mes questions sur le monde bancaire.

Le consensus était que l’inflation serait temporaire, ce qui, comme nous le savons, était fondamentalement faux. Selon vous, pourquoi toutes les banques centrales n’ont-elles pas prédit le problème actuel de l’inflation? Sont-elles sur la bonne voie, aujourd’hui? Étant donné la hausse des taux d’intérêt et le resserrement de la masse monétaire, jusqu’où la Banque du Canada devrait-elle augmenter les taux d’intérêt? Vos recommandations ou observations sont les bienvenues.

M. Hanke : Les banques centrales — les États-Unis, la Banque du Canada, la Banque d’Angleterre, la Banque centrale européenne — font toutes la même chose : elles ignorent la masse monétaire. Elles ont annulé la masse monétaire.

Prenez les récentes conférences de presse du gouverneur de la Banque du Canada, par exemple. Il ne mentionne jamais la masse monétaire. La Banque ne s’en occupe pas et n’en fait pas fréquemment rapport. Les derniers chiffres sur la masse monétaire que j’ai pu obtenir de la Banque du Canada datent de juillet. Ce sont de vieilles données. On ne regarde même pas les données récentes.

Prenez par exemple M. Powell, le président de la Réserve fédérale américaine. Permettez-moi de lire quelque chose, car ces dirigeants des banques centrales s’inspirent tous du même manuel. La plupart ont exactement le même refrain. Le 8 septembre, M. Powell a dit ce qui suit :

Les agrégats monétaires ne jouent pas un rôle important dans la formulation de notre politique monétaire et nous sommes d’avis qu’ils ne sont pas, en général, une bonne façon d’aborder la politique ou l’inflation.

Il a fait ce commentaire aux États-Unis à plusieurs reprises, et je vois plus ou moins la même chose du côté du gouverneur de la Banque du Canada. Ils font abstraction de la masse monétaire. Elle n’est pas incluse dans leurs modèles macroéconomiques, et par conséquent, ils ont manqué le bateau.

J’ai rédigé un article avec John Greenwood, qui est l’un de mes collègues de l’Université Johns Hopkins et un ancien économiste en chef chez Invesco, à Londres. L’article portait sur les États-Unis, mais nous aurions pu écrire la même chose au sujet du Canada. En fait, il y a environ deux mois, Herb Grubel et lui ont écrit dans le Financial Post au sujet de la situation au Canada, qui est essentiellement la même qu’aux États-Unis. Il y a environ un an et demi, John Greenwood et moi avons écrit que l’inflation atteindrait 6 % voire 9 % aux États-Unis. À ma connaissance, nous étions les seuls à faire une telle prédiction, et ce, parce que nous utilisions la théorie quantitative de la monnaie. Nous sommes parvenus à un taux d’inflation se situant de 6 % et 9 %, pour les États-Unis, en examinant la variation de la masse monétaire et ses répercussions sur le système, en tenant compte du décalage de 12 à 24 mois.

Par ailleurs, par rapport à la situation du Canada, un aspect positif de ce décalage — étant donné le pic atteint en mai, juin et juillet 2020 pour la masse monétaire canadienne, à près de 20 % sur une base trimestrielle annualisée —, c’est qu’il semble que l’inflation atteint probablement son apogée au Canada actuellement. L’inflation arrive probablement à son sommet, et elle devrait commencer à redescendre lentement.

Je pense que cela perdurera jusqu’en 2023 et posera probablement problème jusqu’en 2024.

La sénatrice Bellemare : Je vais vous poser ma question en anglais pour que vous me compreniez mieux.

M. Hanke : Permettez-moi d’ajouter, à titre d’information, que mon épouse est parisienne, mais je ne parle pas français. En anglais, s’il vous plaît.

La sénatrice Bellemare : Très bien. La théorie quantitative de la monnaie à laquelle vous faites référence est très ancienne, comme vous le savez. En fait, beaucoup d’organismes internationaux et de chercheurs s’entendent pour dire que l’inflation qu’on observe actuellement résulte d’un choc d’offre et que l’inflation est davantage un phénomène réel qu’un phénomène monétaire.

Ma question est la suivante : comment peut-on concilier la question de la masse monétaire avec les modes de paiement virtuels qui existent aujourd’hui? Je parle des cryptomonnaies et de toutes ces choses pour lesquelles la masse monétaire est très fluide, comme vous le savez. Donc, comment conciliez-vous les nouveaux modes de paiement avec la masse monétaire et la théorie quantitative de la monnaie?

M. Hanke : C’est une excellente question. Je souligne que la théorie quantitative de la monnaie a été élaborée au XVIe siècle par un grand Français du nom de Jean Bodin. Elle a été peaufinée, mais c’est une théorie française.

Permettez-moi de m’attarder une minute à votre premier commentaire. Vous avez affirmé que tout le monde — ou la plupart des gens — pense que l’inflation est liée à des problèmes de la chaîne d’approvisionnement. Je n’accepte pas cette conclusion. Permettez-moi de vous donner quelques exemples qui vous aideront, à mon avis, à comprendre mon point de vue.

Prenons l’exemple du Japon, qui est confronté aux mêmes problèmes de la chaîne d’approvisionnement que tout le monde, peut-être même plus, d’ailleurs, que certains autres pays. Le taux d’inflation au Japon est actuellement de 3 %. La Suisse éprouve aussi les mêmes problèmes de la chaîne d’approvisionnement que tous les autres pays d’Europe, le Royaume-Uni et les États-Unis. Le taux d’inflation suisse est de 3,5 %.

Passons maintenant à la Chine. La Chine adhère à la théorie quantitative de la monnaie, et son taux d’inflation de 2,5 % est parmi les taux d’inflation les plus faibles au monde. Tous ces pays — le Japon, la Suisse et la Chine — contrôlent leur masse monétaire, de sorte qu’ils ne connaissent pas les problèmes d’inflation qu’on observe au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et sur le continent.

La deuxième partie de votre question portait sur les liens entre les monnaies numériques — les soi-disant cryptomonnaies et autres — et l’inflation. Cela n’a pas beaucoup d’incidence, car ce sont des actifs spéculatifs. Les choses comme les bitcoins ne sont pas des monnaies. Ce ne sont pas des unités de compte fiables. Ces cryptomonnaies ne sont pas utilisées pour un volume élevé de transactions et, en fait, plus de la moitié des transactions sont effectuées à des fins illicites, comme le blanchiment d’argent.

Donc, elles se résument à une note en bas de page, essentiellement. Elles font beaucoup de bruit, mais ne sont pas pertinentes. Les gens ne vont pas au magasin avec des cryptomonnaies et ne les utilisent pas dans de nombreux endroits. Même dans les endroits où elles sont « très utilisées », dans des pays où les taux d’inflation sont très élevés, comme l’Argentine et le Venezuela, l’utilisation est minime.

Le vice-président : Merci beaucoup.

Le sénateur Yussuff : Nous vous remercions, monsieur Hanke, de vous joindre à nous aujourd’hui. Pendant la pandémie, nous avons probablement connu la pire crise de l’histoire. Aux États-Unis et ailleurs dans le monde, l’économie était paralysée et les gouvernements tentaient de trouver le moyen d’aider la population. La masse monétaire a servi à quelque chose.

Est-ce que vous laissez entendre que nous n’aurions dû rien faire dans le contexte de cette grande crise humanitaire historique?

M. Hanke : Non, ce n’est pas ce que je dis. Le gouvernement nous a fait fermer et a interdit le travail. Il a placé des chaînes sur les portes des usines. Ainsi, le gouvernement est responsable, à mon avis, d’offrir une compensation aux gens pour les préjudices subis en raison de ces fermetures.

Il reste à savoir comment financer tout cela. Si l’on veut éviter l’inflation, on augmente les dépenses du gouvernement. Cette mesure fera probablement augmenter le déficit; comment peut-on financer cela? On émet plus d’obligations, mais si on les vend au grand public, il n’y a pas d’inflation. Si on les vend à la banque centrale — ce qui s’est passé aux États-Unis et au Canada —, alors le déficit est monétisé. On crée de l’argent, ce qui crée l’inflation. Cela revient à mon discours préliminaire. L’inflation n’est pas possible sans une production excédentaire d’argent, qui a été possible parce que la banque centrale a acheté les obligations alors qu’il y avait ces dépenses et déficits associés à la COVID. La banque a monétisé les déficits et a créé cette augmentation de la masse monétaire. Si les obligations avaient été vendues au grand public — à vous et moi, sénateur —, il n’y aurait pas eu d’inflation parce que la masse monétaire n’aurait pas changé.

Le vice-président : Merci beaucoup. C’est merveilleux de penser que vous puissiez soutenir l’économie canadienne de cette façon, monsieur Hanke.

La sénatrice Marshall : Nous vous remercions pour vos commentaires sur l’achat des obligations du gouvernement par la Banque du Canada. Cela m’amène à ma question. Il y a toujours 370 milliards de dollars dans les livres de la Banque du Canada, qui laisse les obligations aller alors qu’elles prennent de la maturité. Mais je crois que la dernière obligation atteindra la maturité en 2064.

Y a-t-il des avantages ou des inconvénients associés à la vente de ces obligations? Certaines personnes demandent à la Banque du Canada de les vendre tandis que d’autres disent qu’il faudrait les laisser prendre la maturité. Quels sont les avantages? J’ai souvent posé la question, mais je n’ai pas obtenu de réponse satisfaisante. Y a-t-il des avantages? Est-ce que l’économie pourrait en profiter ou cela ne changerait rien?

M. Hanke : C’est une bonne question, madame la sénatrice. Si la banque laisse aller les obligations, son bilan diminue à une certaine vitesse; si elle les vend, la diminution sera plus rapide.

La question est la suivante : à quelle vitesse la masse monétaire croît-elle, selon M2++, la mesure générale de l’argent au Canada? L’objectif devrait être une croissance de 6 ou 7 %. C’est la réponse à votre question. La banque utilise la masse monétaire pour déterminer si elle doit laisser aller les obligations ou si elle doit en vendre quelques-unes, parce que la masse monétaire augmente trop rapidement. La clé, pour atteindre la cible de 2 % d’inflation, c’est une croissance de la masse monétaire — calculé par M2++ au Canada — de l’ordre de 6 ou 7 %. Voilà la réponse.

Vous m’avez aussi fait penser à une chose : comme la Banque du Canada a complètement raté sa cible en matière d’inflation, qui est de près de 7 %... 6,9 % d’inflation globale... C’est beaucoup plus élevé que l’objectif de 2 %. Si la Banque du Canada était une armée et qu’elle avait à ce point raté sa cible, elle devrait produire un compte rendu après action pour tenter de déterminer ce qui s’est passé, et elle devrait probablement s’adresser à la cour martiale.

La sénatrice Marshall : Est-ce que je peux vous poser une autre question? En regardant les documents et les états financiers, croyez-vous que la banque a un plan? Est-ce qu’elle prévoit éliminer les obligations de son bilan ou elle ne fait qu’attendre que les obligations s’éliminent?

Pouvez-vous nous dire si la banque a un plan? Je n’arrive pas à le savoir.

M. Hanke : Non, elle n’a pas de plan. La seule façon d’avoir un plan logique serait d’examiner le taux de croissance de la masse monétaire pour prendre une décision au sujet du bilan et faire ce qu’on appelle le resserrement quantitatif. Elle devrait évaluer la situation et prendre des mesures afin d’atteindre la cible relative à la masse monétaire.

Le problème, c’est que le gouverneur ne tient pas compte de la masse monétaire. Il n’en parle même pas. Est-ce qu’il parle d’argent dans ses conférences de presse? Non.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Hanke. Vos réponses sont très claires, et nous aident beaucoup.

Le sénateur Gignac : Je souhaite la bienvenue à nos invités. Nous vous remercions de nous faire part de vos commentaires. En tant qu’économiste, je les trouve très intéressants.

C’est la deuxième fois que les banques s’adonnent entièrement à l’assouplissement quantitatif. La première fois, c’était pendant la crise de 2008. Dans une entrevue que vous avez accordée au Wall Street Journal, vous avez fait valoir qu’en 2008, 2010 et 2011, il n’y avait pas eu d’accélération de la masse monétaire, parce que le système bancaire était en difficulté. Corrigez-moi si je me trompe, mais cette fois-ci, les banques avaient suffisamment de capitaux et pouvaient prêter de l’argent sans problème.

Est-ce qu’on devrait tirer la leçon suivante : en cas de récession, la banque centrale devrait procéder autrement avec l’assouplissement quantitatif, selon l’état du système bancaire? Les banques représentent le mécanisme de transmission qui se centre sur les consommateurs et les entreprises. Est-ce que la banque centrale a commis une erreur cette fois, parce que ce qui a très bien fonctionné en 2008 et jusqu’à 2011 n’a pas donné lieu à une récession ou à l’inflation ? Cette fois-ci, par contre, elle a utilisé la même recette, mais a créé de l’inflation.

Est-ce que c’est parce que les banques centrales n’ont pas tenu compte de l’état du système bancaire, qui est complètement différent aujourd’hui? J’essaie de tirer une leçon, pour la prochaine crise, si l’on veut.

M. Hanke : Monsieur le sénateur, vous avez bien compris et expliqué le problème de 2008 par rapport à celui de 2020. En 2008, on jugeait que le système était à la source du problème. C’était surtout le cas aux États-Unis. Rappelez-vous lorsque la banque Lehman s’est effondrée et que les politiciens à Washington ont blâmé les banques et les banquiers, et ont ensuite resserré les règlements.

La contribution des banques à la masse monétaire des États-Unis a chuté; elle allait afficher un solde négatif. La banque centrale a appliqué l’assouplissement quantitatif un, deux et trois pour éviter l’effondrement du système bancaire.

La situation n’était pas la même pour la COVID, parce que les banques étaient dans une bonne posture; elles prêtaient beaucoup d’argent et contribuaient à la masse monétaire. Les banques centrales ont elles aussi apporté leur contribution. C’est pourquoi on a créé un énorme excédent monétaire. Ce sont les banques centrales qui ont créé le problème.

De 2010 à 2020, la Banque du Canada ne contribuait qu’à hauteur d’environ 3 % à la masse monétaire du Canada. La plupart des gens ne le réalisent pas, mais les banques commerciales — et non la Banque du Canada — produisent la majeure partie de l’argent au Canada. La COVID a frappé et depuis 2020, la contribution de la Banque du Canada à la production d’argent au pays est de l’ordre de 46 %. La situation a donc été renversée. C’est évident. Elle est allée trop loin et a produit beaucoup trop d’argent. Sa contribution à la masse monétaire canadienne est de près de 50 % depuis 2020.

Vous avez donc parfaitement compris la situation.

Le sénateur Gignac : Le problème, ce n’est pas l’instrument ou l’assouplissement quantitatif, mais bien une erreur de jugement. Il n’était pas nécessaire d’aller aussi loin parce que le système bancaire était en bonne posture et que le mécanisme de transmission n’était pas défectueux. C’est ce que j’ai compris de votre témoignage. Le problème n’est pas l’assouplissement quantitatif en soi, mais bien l’ampleur des mesures qui ont été prises, et qui n’étaient pas nécessaires. C’est ce que j’ai appris, parce qu’il s’agit de la deuxième fois que l’on a recours à une telle mesure. Je ne sais pas quand on l’utilisera à nouveau, mais c’est la nuance relative à la relation entre l’assouplissement quantitatif, la masse monétaire et l’inflation. Tout dépend du mécanisme de transmission et de la situation du système bancaire. C’est ce que j’ai compris.

M. Hanke : Vous avez tout à fait raison.

Le vice-président : Monsieur Hanke, si vous me le permettez, j’aimerais intervenir rapidement, avant de céder la parole au sénateur Loffreda. J’aime la clarté de vos propos. Nous utilisons le plus possible un langage simple ici.

Voilà où nous en sommes avec l’inflation. Elle est très élevée, comme vous l’avez fait valoir. J’ai constaté qu’au début de votre carrière, vous avez été conseiller de l’ancien président Ronald Reagan. Vous étiez l’un de ses conseillers économiques à une période où — je m’en souviens très bien et je crois que bon nombre des membres du comité s’en souviennent également — les taux d’intérêt étaient excessivement élevés et l’instabilité était grande. On tentait de lutter contre l’inflation. À l’heure actuelle, on se pose des questions sur les taux d’intérêt dans notre pays et dans le vôtre aussi, je crois, en ce qui a trait à la lutte contre l’inflation.

Étant donné la situation actuelle, comment percevez-vous une telle mesure à titre de stratégie pour lutter contre l’inflation? Comme l’argent est aujourd’hui mieux géré... Je ne devrais peut-être pas émettre une telle hypothèse, mais vous avez laissé entendre qu’il y avait peut-être une amélioration dans la façon dont la banque gérait la masse monétaire. S’agit-il d’une bonne stratégie pour l’avenir, à votre avis?

M. Hanke : Permettez-moi de citer le doyen du monétarisme et mon ancien mentor, le regretté Milton Friedman, qui avait dit que les politiques monétaires ne visaient pas les taux d’intérêt, mais bien l’augmentation de la quantité d’argent.

Je vais vous donner quelques exemples des États-Unis. Le problème, c’est la relation très précaire, incertaine et floue entre le changement des taux d’intérêt et le changement de la masse monétaire. C’est la masse monétaire qui compte réellement.

Aux États-Unis, en 1964, le taux des fonds fédéraux — le taux d’intérêt contrôlé par la banque centrale — était passé de 3,4 à 5,8 %, et la masse monétaire n’avait pas diminué. Cela revient à la discussion que j’ai eue avec le sénateur tout à l’heure. Les banques commerciales se portaient bien; elles prêtaient de l’argent. Les taux d’intérêt ont augmenté. Le taux de chômage est passé de 5,1 à 3.6 %. L’économie était florissante parce que la masse monétaire est demeurée élevée.

En 1984, le taux des fonds fédéraux est passé de 9,6 à 11,6 %, mais la masse monétaire n’a pas diminué. L’économie a connu une forte croissance. Le taux de chômage est passé de 7,8 à 7,5 %.

Il s’est passé la même chose en 1993-1995. Le taux des fonds fédéraux a doublé et est passé de 3 à 6 %, et l’économie continuait de croître. La masse monétaire aussi. Le taux de chômage est passé de 6,5 à 5,8 %.

Pour revenir au point soulevé par M. Friedman, les politiques monétaires ne visent pas les taux d’intérêt, qui obsèdent tout le monde, alors qu’on devrait plutôt se soucier de la masse monétaire. Or, la Banque du Canada ne produit même pas ces données. Elles sont désuètes sur son site Web. La Banque du Canada ne présente même pas de données monétaires à jour.

En passant, la qualité du site Web de la Banque du Canada est terrible. Je consulte les sites Web des banques centrales régulièrement, mais pour trouver de l’information sur celui de la Banque du Canada, il faut être un magicien. Monsieur le président, il faudrait embaucher un bon entrepreneur pour régler ce problème.

Le vice-président : Je cherche toujours la norme de référence. Quel serait le meilleur site Web d’une banque centrale?

M. Hanke : Les États-Unis s’en tirent assez bien. Singapour remporte la palme.

Le vice-président : Merci beaucoup.

Le sénateur Loffreda : Monsieur Hanke, vous avez clairement exprimé votre opinion au sujet de la masse monétaire à titre de principale cause de l’inflation. Vous avez dit que si les obligations avaient été vendues au grand public plutôt qu’à la Banque du Canada, il n’y aurait pas eu d’inflation, parce que la masse monétaire n’aurait pas bougé.

Ma question est la suivante : est-ce que les ressources, la capacité et surtout l’engagement de la population sont suffisants pour le faire? Avant la COVID... pendant la COVID, lorsqu’elle a atteint son sommet, les taux d’intérêt du marché étaient très bas, et le rendement moyen associé aux marchés des actions a toujours été de 10 %. Auriez-vous acheté ces obligations? On peut évidemment émettre des obligations à n’importe quel taux, mais on bouleverse le marché et l’on crée un marché secondaire. Nous pouvons revenir en arrière... Tout est toujours plus clair après coup. Je l’ai toujours dit : nous devons faire preuve de plus de souplesse et agir de façon plus ciblée. C’est ce que nous faisons à l’heure actuelle. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Hanke : Tout peut se vendre à bon prix.

Le sénateur Loffreda : C’est dans le prix que réside l’enjeu. Au début de la pandémie de COVID, les taux d’intérêt étaient très bas et aujourd’hui, ils sont plus élevés, mais qui aurait acheté ces obligations?

M. Hanke : Vous les auriez achetées, parce que vous et moi aurions exigé des taux d’intérêt plus élevés. Nous les aurions achetées.

Le sénateur Loffreda : Cela aurait fait monter les taux d’intérêt. Si le gouvernement émet des milliards de dollars et fait monter les taux d’intérêt, nous nous retrouverons de toute façon dans la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant.

M. Hanke : Il est clair que si le gouvernement avait vendu ces obligations au grand public plutôt qu’à la Banque du Canada, les taux d’intérêt auraient augmenté, mais que serait-il arrivé alors? Il n’y aurait pas eu d’inflation. L’inflation, soit dit en passant, est une taxe.

Le sénateur Loffreda : Eh bien, c’est la déflation qui est l’ennemi, n’est-ce pas? En d’autres termes, nous sommes coincés; nous sommes en pleine pandémie. Je ne suis pas médecin. Comme je l’ai dit, je suis un ancien banquier. J’ai toujours dit que c’était la déflation l’ennemi. Personne ne veut d’inflation, mais on ne veut pas de déflation non plus. Donc nous sommes coincés, et les taux d’intérêt augmentent. Je pense qu’avec le recul, mon argument serait — je ne débattrai pas avec vous de la cause principale de l’inflation... Je l’ai toujours dit : un surplus de liquidités, des pénuries de ressources, les attentes. Il faut gérer les trois avec cohérence.

À ce stade, en rétrospective, oui il y a la masse monétaire, et nous aurions pu la gérer différemment, mais que ce soit la cause principale? Je ne serais pas d’accord avec vous.

M. Hanke : Je ne pense pas que ce soit la cause principale. C’est la seule cause.

Le sénateur Loffreda : Alors je serais encore moins d’accord avec vous.

M. Hanke : Encore une fois, si vous voulez dépenser de l’argent et que vous ne voulez pas monétiser le déficit créé par les dépenses du gouvernement, vous devez vendre les obligations au grand public. Si vous le faites, le grand public, comme vous le savez en tant qu’ancien banquier, va exiger des taux d’intérêt plus élevés. Mais il n’y aura pas d’inflation.

D’ailleurs, permettez-moi de vous faire une remarque. L’inflation est une taxe, et c’est une taxe très régressive parce que ceux qui en souffrent le plus sont les plus démunis qui dépensent déjà 100 % de leur argent, parce que ce sont ces personnes qui se prennent en plein visage des prix plus élevés sur le marché pour 100 % de ce qu’elles dépensent. En revanche, qui profite de l’inflation? Ce sont les riches, parce qu’il y a un décalage entre les changements dans la masse monétaire et les changements dans la valeur des actifs, les prix des matières premières, les actions, les prix des logements. Toutes ces choses ont augmenté, et il y a un décalage d’un à neuf mois environ. Quand vous avez fait augmenter la masse monétaire au début de 2020, le marché boursier a explosé, boum! Les prix de l’immobilier ont explosé. Les prix des matières premières ont tous explosé.

Donc, les gens qui ont de l’argent et qui ont investi dans des actifs ont bénéficié de cette taxe d’inflation très régressive qui a été imposée au public par l’énorme erreur de la Banque du Canada, parce que la Banque du Canada aurait dû maintenir la stabilité pendant la pandémie de COVID. Avant la COVID, cela allait. Elle aurait dû maintenir la croissance de la masse monétaire à peu près au même niveau qu’avant. Le problème, c’est qu’elle n’a pas tenu compte de la masse monétaire.

Le sénateur Loffreda : Je respecte votre opinion et je vous remercie d’être ici. Je suis d’accord pour dire que l’inflation n’est pas une bonne chose et qu’elle ne fait que creuser le fossé entre les bien nantis et les démunis. Je le répète, les causes de l’inflation sont nombreuses. Je pense que la rareté de l’offre et les attentes en sont le principal moteur actuellement. Mais je vous remercie d’être ici et je vous remercie de votre opinion, dont nous prenons bonne note.

Le sénateur Massicotte : Merci d’être avec nous, monsieur. Je ne suis pas économiste, mais je lis beaucoup sur les questions économiques. Je ne suis pas un expert, mais je sais qu’il y a 30 ou 40 ans, nous avons cessé de mesurer la croissance monétaire parce que, manifestement, de grands esprits estimaient que ce n’était plus pertinent. Nous avons redéfini diverses formes de croissance à partir de divers changements, mais aujourd’hui encore, les experts que j’écoute, à tout le moins, me disent que ce n’est pas pertinent, que ce n’est pas le facteur déterminant. Qu’en pensez-vous?

M. Hanke : Eh bien, je vous renvoie à ma déclaration préliminaire. La profession a pour ainsi dire annihilé le concept de la masse monétaire et la théorie quantitative de la monnaie. Pensez simplement à mon vieil ami, John Crow, à l’époque où il était gouverneur de la Banque du Canada. Les modèles que la banque utilisait à l’époque ne tenaient pas compte de la masse monétaire, et c’est toujours la même chose maintenant. Mais que disait-il? Il disait toujours : « Je suis toujours un peu de loin ce qui se passe avec la masse monétaire. » Et la masse monétaire, quand il était gouverneur, évoluait assez bien.

Pourquoi? C’est une question très intéressante. Les dirigeants des banques centrales ne veulent pas parler de la masse monétaire, et ils prétendent que tout, sauf la masse monétaire, provoque l’inflation. La raison en est que ce sont eux qui sont responsables de la croissance de la masse monétaire. Quand elle s’emballe et qu’il y a de l’inflation, ils ne veulent pas en être tenus responsables. C’est ce qui se passe en ce moment. Ils veulent faire oublier l’idée que la masse monétaire puisse avoir quelque chose à voir avec l’inflation, parce que ce sont eux qui produisent l’argent et orientent la politique monétaire.

Ils ne veulent pas se mettre la corde au cou. Ils savent que le public rage à cause de l’inflation, et ils ne veulent pas que le public blâme la banque centrale pour cela. Ils veulent que le public pense qu’elle est attribuable aux chaînes d’approvisionnement, à la guerre en Ukraine, à Poutine, aux prix du pétrole et ainsi de suite. À tout sauf à eux.

Le sénateur Massicotte : J’espère que vous vous trompez, mais je vous remercie de vos lumières.

La sénatrice Marshall : Je vais vous faire une confession. Je ne suis pas économiste non plus, je ne suis que comptable.

Je consulte souvent le site Web de la Banque du Canada et je surveille de près la question des obligations. Je suppose que si elle les vendait, elle devrait les vendre au rabais, parce que les taux sont très bas.

Je vous écoutais parler, et je trouve cela très ironique. Je vois de l’ironie là-dedans, parce que ceux-là mêmes qui ont créé le problème — et je vois le gouvernement et la Banque du Canada comme des partenaires dans cette histoire, donc je crois qu’ils ont créé le problème... Et maintenant, nous nous tournons vers eux pour régler le problème? Je ne sais pas si vous voulez faire des commentaires à ce sujet, mais j’avais un peu confiance avant cette réunion et je n’en suis plus si sûre.

Si vous avez des commentaires à faire à ce sujet, je vous en serais reconnaissante. Sinon, eh bien, je peux le comprendre aussi.

M. Hanke : Je ferai deux commentaires. Le premier, c’est que le seul prérequis de tous mes cours d’économie, c’est la comptabilité. Qui ne peut pas comprendre la comptabilité ne peut pas comprendre l’économie, point final. C’est la première chose.

Mon deuxième commentaire, c’est que si les personnes qui ont créé le problème au départ ne sont pas disposées à regarder ce qui s’est passé et à examiner ce qui a causé le problème pour le comprendre, je doute fort qu’elles soient conscientes de ce qui se passe.

Les gouverneurs des banques centrales et le président de la Réserve fédérale sont dans le noir. Ils avancent à l’aveuglette, parce qu’ils ne regardent pas la masse monétaire. C’est comme de piloter un avion avec un altimètre sans point de référence. Il faut que la masse monétaire soit sur l’altimètre; sinon, on ne sait pas ce qui se passe.

Le vice-président : Merci beaucoup.

Le sénateur Gignac : Merci, professeur. Je dois avouer que, certes, je suis économiste, mais je dois faire preuve d’humilité. J’étais convaincu jusqu’à votre témoignage qu’il était inutile de suivre la masse monétaire. Lorsque j’ai commencé ma carrière comme jeune économiste, il y a 40 ans, nous produisions chaque semaine des graphiques et des tableaux pour suivre la masse monétaire et une et deux autres choses, et nous étions tout aussi convaincus à l’époque que c’était la chose à faire.

Nous voulons simplement comprendre maintenant ce qu’il faut surveiller. C’est votre étude internationale qui m’intrigue. Par exemple, vous avez fait mention de certains pays européens, si je ne me trompe pas, où l’inflation est très faible et où la masse monétaire est stable. Corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble que toutes les banques centrales ont fait à peu près la même chose pendant la pandémie au chapitre de l’assouplissement quantitatif.

Qu’ont fait les pays qui ont réussi à maintenir une masse monétaire très faible et à maîtriser l’inflation que nous n’avons pas fait? Est-ce que leur système bancaire était différent? J’essaie de comprendre. Je pense que vous avez cité l’exemple de la Suisse — je ne sais plus quel pays d’Europe vous avez mentionné, mais je sais que vous avez également nommé le Japon.

M. Hanke : Le pays vraiment le plus orthodoxe, qui suit la théorie quantitative de la monnaie à la lettre est la Chine, et le taux d’inflation est de 2,28 % en Chine. Le Japon a un taux d’inflation de 3 %, mais je ne suis pas sûr qu’il suive la théorie quantitative de la monnaie. Je ne crois pas qu’il le fasse, mais dans les faits, c’est comme s’il le faisait, parce que la masse monétaire n’augmente pas très vite au Japon.

La Suisse est en troisième position, et son taux d’inflation est d’environ 3,5 %. La Suisse a tendance, comme vous le savez, à faire attention à la quantité de monnaie en circulation. Ce sont les trois banques centrales les plus orthodoxes, je dirais, et grâce à cette orthodoxie, elles arrivent à maîtriser l’inflation.

Ce sont des pays importants, soit dit en passant. Ce ne sont pas des non-entités qui seraient, en quelque sorte, des anomalies. Ce sont des pays importants, et ils font ce qu’il faut.

Le sénateur Gignac : Merci, et merci de votre contribution à cette réflexion, parce que je pense que nous aurons une discussion intéressante avec le gouverneur de la Banque du Canada lorsqu’il comparaîtra devant nous au début novembre.

La sénatrice Bellemare : Je voudrais juste faire un commentaire. Je me souviens du temps où John Crow était gouverneur de la Banque du Canada. Je m’en souviens; j’enseignais l’économie, et je suivais les taux d’intérêt en vigueur à l’époque. Les taux hypothécaires se situaient autour de 18 %. Le taux de chômage était de 14 %. Les jeunes ne trouvaient pas d’emploi, et pour combattre l’inflation, les dirigeants ont suivi la théorie monétaire de Milton Friedman, et ce, de façon très stricte. Cela a eu un effet boomerang sur le taux d’inflation.

À cette époque, pendant une longue période, lorsqu’on comparait le rendement économique du Canada à celui d’autres pays n’utilisant pas la même théorie avec autant de rigueur, nous n’affichions pas un bon rendement, et cela se répercutait sur le tissu économique partout au Canada. Certains comtés des Maritimes ont été si durement touchés qu’il leur a fallu des dizaines d’années pour reconstruire leur structure économique, parce que la politique monétaire était la voie à suivre pour combattre l’inflation, mais cela a eu un effet boomerang sur les attentes.

Quand le Canada a commencé à délaisser cette théorie au profit d’une approche plus axée sur les attentes et d’une politique monétaire plus subtile, l’économie a renoué avec la croissance. Si vous regardez l’histoire du Canada, nous avions les taux d’intérêt réels les plus élevés au monde pour lutter contre l’inflation, mais elle restait toujours là, parce qu’elle alimentait le système et faisait diminuer l’offre, ce qui ne faisait qu’aggraver le problème.

Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d’accord avec vous. Pas du tout. Je tenais à le préciser pour le compte rendu, en ma qualité d’économiste.

Le vice-président : Voulez-vous réagir à cela, monsieur Hanke?

M. Hanke : Nous avons eu à peu près le même problème que John Crow aux États-Unis. Rappelez-vous que le président de la banque centrale était alors un dénommé Paul Volcker, et Volcker a reçu le feu vert de l’ancien président Reagan pour tuer l’inflation — et je faisais partie des conseillers économiques de l’ancien président Reagan à l’époque. Eh bien, il a réussi son pari. Malheureusement, nous avons connu deux récessions au cours du premier mandat de l’administration Reagan, et Reagan n’a pas sourcillé. Il a dit qu’il fallait tuer l’inflation. C’est le dragon. Il faut le tuer, et Volcker l’a tué.

Le vice-président : Merci beaucoup. Je me demande seulement une chose, monsieur Hanke, nous voyons beaucoup d’économies occidentales travailler de concert. Elles font beaucoup de commerce les unes avec les autres, et elles répondent de façon très similaire à la COVID.

Si l’on commence à voir des politiques monétaires s’en dissocier, quel effet pensez-vous que cela aura sur les taux de change et l’équilibre monétaire et économique entre les pays? Cela pourrait-il avoir des effets indésirables, de votre point de vue?

M. Hanke : C’est un peu compliqué. Ce sont des circonstances nouvelles. C’est en fait la grande nouveauté. Aux réunions du FMI et du Groupe de la Banque mondiale, la semaine dernière, la question a justement retenu l’attention. Maintenant, tout le monde affirme au diapason que la source des problèmes que nous connaissons actuellement, c’est le manque de coordination, que nous aurions dû nous coordonner davantage. C’est en quelque sorte une autre excuse, vous voyez, une chose exogène qui vient de l’extérieur, le manque de coordination. Et si nous nous coordonnons maintenant, tout ira bien.

C’est comme le problème de la chaîne d’approvisionnement. La cause est externe. Ce n’est pas nous qui avons causé le problème, à la Banque du Canada; c’est parce que nous n’étions pas vraiment coordonnés avec tous les autres. Voilà le problème.

Vous voyez ce que je veux dire? Je pense que la coordination est un faux-fuyant, en fait, et, très franchement, c’est absurde. Si l’on voulait se coordonner, il faudrait revenir à quelque chose comme le système de Bretton Woods et à des taux de change liés. Ça, c’est de la coordination; c’est de la vraie coordination. Cela vient répondre à votre question concernant ce qui se passe avec les taux de change, d’ailleurs. Il suffit de revenir au système de Bretton Woods; tous les taux sont fixés ensemble dans une grille.

Le vice-président : Pourriez-vous parler, en termes relatifs, des augmentations extraordinaires des prix de l’énergie que l’Europe occidentale connaît actuellement et des effets qu’elles ont sur l’inflation? Comment pensez-vous que cela s’inscrit dans la perspective que vous nous avez présentée aujourd’hui?

M. Hanke : Premièrement, si les prix de l’énergie ont augmenté autant, c’est à cause des sanctions que l’Occident, y compris le Canada, impose à la Russie. Cela a complètement perturbé le cours international du pétrole. La cause en est que l’Europe a interdit et restreint l’importation de pétrole et de gaz russes. Poutine a prononcé un discours la semaine dernière; il est parfaitement disposé à vendre autant de gaz et de pétrole que les gens voudront en acheter. Le problème, c’est que l’Europe l’a interdit dans la plupart de ses pays, voire dans de nombreuses régions du monde, en imposant des sanctions.

Vous demandez ensuite si ce sont les prix du pétrole qui causent l’inflation. Non, ils ne causent pas d’inflation. Permettez-moi de vous rappeler l’expérience du Japon, dans les années 1970. C’était une sorte d’expérience naturelle. Vous vous souvenez sûrement de l’embargo sur le pétrole arabe, en 1973. Les prix du pétrole avaient grimpé en 1973. La Banque du Japon avait alors décidé que, pour atténuer les difficultés et faire face à la hausse des prix, elle laisserait la masse monétaire augmenter plus rapidement qu’elle ne l’avait fait jusqu’alors. La croissance de la masse monétaire a eu pour conséquence de provoquer l’inflation. Beaucoup de gens se sont dit alors que l’inflation était attribuable à l’augmentation des prix du pétrole. Non, ce n’était pas le cas. Vous pouvez le constater à la lumière du second choc pétrolier qu’a connu le Japon en 1979. La Banque du Japon a alors décidé de ne pas augmenter la masse monétaire pour faire face aux augmentations des prix du pétrole et d’opter pour la stabilité. Par conséquent, il n’y a pas eu d’inflation.

C’est la différence entre des changements de prix relatifs, les prix du pétrole augmentant davantage que tout le reste et les hausses et baisses de l’indice global des prix. Pour déterminer l’indice des prix à la consommation, les prix de centaines d’articles sont mesurés. Les prix relatifs fluctuent constamment. Si le nombre de prix en baisse est égal au nombre de prix en hausse, le niveau des prix reste le même. Mais s’ils augmentent tous à peu près en même temps, on assistera au phénomène que nous connaissons actuellement, à savoir une forte inflation. Ce ne sont pas les prix du pétrole qui provoquent l’inflation. Il suffit de nous souvenir de l’exemple du Japon.

Le vice-président : Monsieur Hanke, je vous remercie de vos observations très senties et très claires. Nous avons entendu un certain nombre de témoignages très concis, et le vôtre était très concis et ciblé. Nous vous en sommes très reconnaissants. Merci d’avoir pris le temps d’avoir cette discussion avec nous.

M. Hanke : Merci beaucoup de m’avoir invité. Ce fut un plaisir d’être avec vous, monsieur le président.

(La séance est levée.)

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