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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 6 décembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit, aujourd’hui à 17 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à toutes les personnes qui se joignent à nous en personne et en ligne. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.

Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente de ce comité. J’aimerais présenter les autres membres du comité : le sénateur Loffreda, qui est le vice-président, le sénateur Gignac, la sénatrice Marshall, la sénatrice Martin, le sénateur Massicotte, la sénatrice Petten, la sénatrice Ringuette et le sénateur Yussuff. Je vous remercie tous de votre présence.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Nous avons le plaisir d’accueillir à nouveau Peter Routledge, surintendant des institutions financières, qui est accompagné aujourd’hui de Stéphane Tardif, directeur général du Carrefour du risque climatique, qui participe en ligne. Bienvenue à vous deux. Merci d’être présents ce soir et d’être revenus si peu de temps après votre dernière comparution. Il semble que vous venez juste de nous quitter. Monsieur Routledge, nous allons vous laisser la parole pour que vous puissiez faire vos observations liminaires. C’est à vous.

[Français]

Peter Routledge, surintendant, Bureau du surintendant des institutions financières : Bonjour, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité.

Nous nous réunissons aujourd’hui sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe qui habite ce territoire et en prend soin depuis des millénaires. Je suis accompagné cet après-midi de mon collègue M. Stéphane Tardif, directeur général, Carrefour du risque climatique, Bureau du surintendant des institutions financières.

[Traduction]

Plus tôt cette année, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a indiqué avec un degré de confiance élevé qu’il s’attendait à ce que le réchauffement moyen atteigne 1,5 degré Celsius à court terme, chaque augmentation intensifiant des risques physiques multiples et concomitants. Pour ralentir et arrêter le réchauffement planétaire, les économies devront abandonner les sources d’énergie émettrices de gaz à effet de serre, une tâche qui présente elle-même des risques de transition importants pour les économies, y compris et surtout pour celle du Canada. La réponse aux menaces posées par le changement climatique reste donc l’un des grands enjeux de cette génération de décideurs politiques canadiens.

Avant d’expliquer ce qu’il accomplit en matière de gestion des risques climatiques depuis que j’ai pris mes fonctions de surintendant, j’aimerais parler du mandat du Bureau du surintendant des institutions financières a de son lien avec les risques que cause le changement climatique.

Le Bureau du surintendant des institutions financières a le mandat explicite de contribuer à la confiance du public dans le système financier canadien. À cette fin, il doit notamment s’assurer que les institutions financières qu’il réglemente gèrent les risques susceptibles d’avoir une incidence sur leur sécurité et leur solidité. Parmi ces risques figurent les risques physiques et de transition liés au changement climatique. Bien que le Bureau du surintendant des institutions financières n’ait pas pour mandat explicite de promouvoir les objectifs en matière de changement climatique, son mandat actuel lui donne toute latitude pour prendre des mesures visant à garantir que les institutions financières qu’il réglemente gèrent l’incidence du changement climatique sur leur sécurité et leur solidité. Le changement climatique a une incidence sur la sécurité et la solidité des institutions financières parce qu’il modifiera les flux de trésorerie générés par certains actifs financiers et certaines activités. Des catastrophes naturelles plus graves et plus fréquentes modifient les fondements économiques de certains segments de l’assurance. À mesure que la planète abandonne les sources d’énergie émettrices de gaz à effet de serre, le système financier canadien devra financer la transition des entreprises vers une économie à faibles émissions de carbone. Le mandat actuel du Bureau du surintendant des institutions financières oblige donc mon organisme à réagir de toute urgence aux risques que pose le changement climatique.

Au cours de l’année écoulée, le Bureau du surintendant des institutions financières a grandement contribué à améliorer les compétences des institutions financières réglementées en matière de gestion des risques physiques et des risques de transition liés au changement climatique. Nous avons précisé nos attentes au moyen de la ligne directrice B-15 sur la gestion des risques climatiques, créé une plateforme de dialogue par l’entremise du Forum sur les risques climatiques, et lancé un exercice sur le rendement des risques climatiques et sur les scénarios climatiques normalisés. Nous avons réglementé le système financier fédéral afin d’améliorer la gestion des risques climatiques en innovant dans le cadre de nos pratiques et outils réglementaires existants.

Nous pensons que le moment est venu d’approfondir l’application de pratiques saines de gestion des risques aux risques liés au changement climatique. Nous devons donc effectuer une analyse des risques solide et ascendante qui éclairera à son tour les futures décisions réglementaires liées à l’évaluation des risques et, par conséquent, à l’affectation des capitaux, à la mise à l’essai de scénarios et à la divulgation de renseignements.

Merci. M. Tardif et moi-même nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup.

Je sais que vous aimez beaucoup les données et que vous voulez pouvoir suivre ce que font les institutions financières. J’examine les chiffres des rapports sur le rendement social, environnemental et de gouvernance de 2022 et j’aimerais savoir ce que vous pensez de la situation actuelle. Les banques — je ne vais pas mettre les chiffres à côté de chaque élément — mais il s’agit de 84 milliards de dollars, 96 milliards de dollars et 107 milliards de dollars, et leurs projections sont de l’ordre de 500 milliards de dollars d’ici 2025. Il s’agit d’augmentations significatives du financement de la transition. Êtes-vous satisfait de ces chiffres?

M. Routledge : En tant que surintendant, mon rôle n’est pas d’être satisfait de la composition du portefeuille de prêts; mon rôle est de m’assurer que l’on fait preuve de diligence dans la manière dont on accorde ces prêts et qu’on les capitalise de manière appropriée. Cela dit, la marque d’une activité bancaire saine est la diversification du portefeuille de prêts, et dans la mesure où les chiffres que vous avez cités reflètent des portefeuilles de prêts diversifiés dans une variété d’activités économiques, c’est une bonne nouvelle. Je préfère que les banques comptent un millier de petits arbres plutôt que trois grands.

La présidente : Merci.

Le sénateur Loffreda : Merci pour votre présence, monsieur Routledge.

Pourriez-vous nous faire part de votre point de vue nuancé sur cette proposition de loi, le projet de loi S-243? Pourrait-il supplanter votre compétence et pensez-vous qu’il puisse être mis en œuvre de manière pragmatique, s’il est adopté?

M. Routledge : J’aimerais commencer par dire qu’il s’agit d’un projet de loi dont est saisi le Parlement, et que si le Parlement adopte ce projet de loi et donne des consignes au surintendant, ce dernier est tenu de l’appliquer fidèlement. Quoi que le Parlement nous dise de faire, nous suivrons ses instructions à la lettre. C’est la partie de mon travail qui consiste à appliquer fidèlement les consignes.

La partie de mon travail qui consiste à donner des conseils sans crainte est celle dans le cadre de laquelle, au cours des dernières décennies, le Bureau du surintendant des institutions financières, en collaboration avec ses homologues internationaux, a mis en place une architecture de mesure des risques et d’allocation des capitaux en fonction de ces risques vaste, complète et détaillée en réponse à plusieurs crises financières. Je pense que le meilleur conseil que je puisse donner aux parlementaires est de laisser les spécialistes des banques, qui réfléchissent à l’allocation des capitaux et à la pondération des risques, faire leur travail et allouer les capitaux sur la base des risques qui existent dans une variété de secteurs. Bien que nous puissions garantir l’applicabilité des directives particulières sur la pondération d’actifs spécifiques — et nous le ferions si le Parlement nous le demandait — il pourrait exister une meilleure façon de gérer les risques auxquels ces pondérations préférentielles sont censées répondre.

Le sénateur Loffreda : Pour revenir au sujet, comme vous l’avez dit, le mandat actuel du Bureau du surintendant des institutions financières est d’assurer la confiance du public dans le système financier canadien. Vous avez dit qu’il fallait laisser les spécialistes des banques déterminer le coût du capital, et ainsi de suite, et je suis d’accord avec vous sur ce point. Ne pensez-vous pas que le fait de présenter un tel projet de loi et de ne pas vous laisser déterminer comment gérer ces risques empiète un peu sur votre compétence? Vous pourriez peut-être ajouter un mot sur la façon dont vous pensez que les banques canadiennes gèrent actuellement ces risques, mais je ne veux pas que cet aspect détourne l’attention de ma première question.

M. Routledge : Oui. Je pense que, dans une certaine mesure, le fait d’émettre des directives idiosyncrasiques exogènes sur la manière de pondérer les risques relatifs à des actifs particuliers qui ne font pas partie d’un cadre de risque plus large et plus complet, entraînera des coûts plus élevés et des conséquences inattendues supplémentaires. Quant à savoir si cette disposition porte atteinte à la compétence du surintendant, je dirais honnêtement que cette compétence découle des consignes qui lui sont données par la loi, et je ne considère donc pas que la modification de la loi en général porte atteinte à la compétence du surintendant.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La présidente : Chaque fois que vous venez ici, nous touchons à cette question. Il ne vous appartient pas de dire aux banques dans quoi elles doivent investir ou dans quelle proportion; votre rôle est de veiller à leur viabilité. Nous garderons ce fait à l’esprit.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur Routledge. C’est toujours un plaisir de vous retrouver. Ce projet de loi, qui est parrainé par notre collègue la sénatrice Rosa Galvez, qui n’est malheureusement pas avec nous aujourd’hui, puisqu’elle est à la COP28, est rempli de bonnes intentions. Il n’y a aucun doute à ce sujet. Je crois que nous sommes tous d’accord et on salue son beau travail; la finance a un lien avec les changements climatiques.

Je voudrais avoir votre réaction à 5 000 pieds d’altitude. Avant d’entrer dans les détails, est-ce que l’approche est bonne? Est-ce qu’il y a un souci de plus grande transparence de la part de nos institutions financières? Est-ce qu’on doit adopter une approche législative ou réglementaire? Donc votre travail, pour atteindre le même objectif, devrait-il se faire au moyen de la réglementation au lieu de la législation?

[Traduction]

M. Routledge : Mon conseil sans crainte est que les règles relatives aux capitaux, les lignes directrices liées aux capitaux et l’allocation des capitaux doivent découler d’un cadre technocratique et non législatif qui couvre l’ensemble des risques d’un système financier. Je pense qu’il est tout à fait pertinent que les parlementaires demandent au Bureau du surintendant des institutions financières et au surintendant s’ils agissent de manière responsable, mais d’après mon expérience, la gestion des risques, en particulier dans le monde des institutions financières, doit être assurée avec beaucoup de prudence, et cette prudence s’accompagne d’un grand empirisme qui tient compte des actifs, mais pas du risque relatif.

Pour aller plus loin, on peut légitimement s’inquiéter du fait que nos modèles de crédit ne tiennent pas pleinement compte des risques liés au changement climatique, parce que ce dernier n’est pas encore tout à fait d’actualité. Il est présent dans une très large mesure, je l’admets, mais en termes d’effets dans les données historiques sur le crédit et le risque pour le marché, etc., il ne s’est pas encore pleinement concrétisé. C’est pourquoi nous nous efforçons de mesurer les émissions de portées 1, 2 et 3, pour commencer à adapter notre façon de concevoir le risque en vue d’une analyse prospective du changement climatique. J’estime qu’il s’agit là de la façon dont les spécialistes des banques abordent le risque climatique.

[Français]

Le sénateur Gignac : J’ai une deuxième question.

Quand je regarde le projet de loi, je trouve qu’on entre beaucoup dans les détails quand on propose des coefficients de pondération des risques de 1 250 % lorsqu’il y a des prêts et des obligations dans le domaine des combustibles fossiles.

Si je comprends bien votre réponse, ce n’est pas le rôle des législateurs ou des parlementaires d’aller autant dans le détail. Toutefois, si on retenait le projet de loi avec autant de détails, y aurait-il des conséquences inattendues? Quelles seraient les répercussions sur le financement, sur l’accès au capital pour l’économie canadienne?

Je suis inquiet, parce que cela voudrait peut-être dire que l’Alberta ou qu’un secteur de l’économie aurait de la difficulté à obtenir du financement auprès des institutions financières. Corrigez-moi, si je me trompe. Pouvez-vous apporter des précisions?

[Traduction]

M. Routledge : Les risques productifs et rentables trouveront un financement. Si, en vertu de la réglementation, un secteur, en l’occurrence les banques, se retire de la prise de risques rentables, d’autres investisseurs combleront cette lacune. J’estime donc qu’il est difficile de soutenir qu’une modification exogène des pondérations du risque lié aux capitaux, sans tenir compte du large éventail de risques, modifiera sensiblement l’investissement dans une catégorie d’actifs protégée.

Le sénateur Gignac : Je comprends donc qu’une entreprise rentable pourra plus facilement lever des fonds auprès de Wall Street que de Bay Street, mais que les banques canadiennes perdront une part de marché importante dans ce secteur?

M. Routledge : Oui, dans ce secteur. Bien que, à titre de précision, les actifs pétroliers et gaziers ne représentent que 5 % du total des actifs. Je ne veux pas exagérer l’impact, mais oui, dans ce secteur, ce résultat est tout à fait plausible.

La présidente : À titre de précision, il n’y a pas de distinction entre les investissements dans le secteur du pétrole et du gaz, qu’il s’agisse d’une transition ou d’une expansion?

M. Routledge : C’est exact.

La présidente : D’accord. Merci.

M. Routledge : Ses capitaux visent la rentabilité.

La sénatrice Marshall : Merci d’être à nouveau parmi nous.

J’essaie de réfléchir à la manière de formuler ma question afin d’obtenir une réponse. En ce qui concerne les institutions que vous réglementez, pensez-vous qu’elles sont bien placées pour mettre en œuvre ce projet de loi s’il est adopté?

M. Routledge : Je vais répondre, puis je demanderai à mon collègue Stéphane Tardif de poursuivre, car il a discuté de cette question en profondeur avec eux.

La réponse est que leur état de préparation varie. Il varie habituellement en fonction de leur taille et du degré de sophistication. Les grandes institutions iront plus vite et les petites, plus lentement. Toutes nos grandes institutions ne sont pas seulement encouragées par leur régulateur à se préparer au changement climatique, mais aussi par leurs investisseurs — les investisseurs qui détiennent leurs actions et leurs obligations — qui veulent voir un mouvement concerté vers une gestion saine du risque climatique parce qu’il s’agit d’un problème très important.

Monsieur Tardif, pouvez-vous nous donner quelques précisions sur votre discussion avec les institutions que nous réglementons?

Stéphane Tardif, directeur général, Le carrefour du risque climatique, Bureau du surintendant des institutions financières : Merci, monsieur Routledge. Merci pour votre question, sénatrice.

Je vais y répondre de la manière suivante: les objectifs du projet de loi et les différences entre la ligne directrice B-15, qui est notre ligne directrice de prudence, sont assez similaires et quelque peu complémentaires. Je répondrai à votre question de la façon suivante. Par exemple, la ligne directrice B-15 du Bureau du surintendant des institutions financières — ce que nous avons déjà communiqué aux institutions et ce à quoi elles se préparent — prévoit déjà des plans de transition climatique obligatoires, tant pour les risques de transition que pour les risques physiques. Cette attente liée aux plans de transition figure également dans le projet de loi, mais nous l’avons déjà communiquée. Nous avons demandé à nos banques et à nos compagnies d’assurance de commencer à évaluer le coût des risques et à recueillir les données nécessaires pour pouvoir effectuer ce travail. Nous attendons également des institutions, comme l’indique le projet de loi, qu’elles effectuent des exercices d’analyse de scénarios climatiques en modélisant des limites de température de 1,5 degré d’ici la fin du siècle, conformément à l’Accord de Paris. Ces mesures figurent donc également dans notre ligne directrice. Nous disposons d’exigences en matière de divulgation annuelle obligatoire semblables à celles du projet de loi, ainsi que d’attentes à l’égard de la haute direction et des conseils d’administration, ce qui est également prévu dans le projet de loi.

Il existe toutefois une différence. Nos attentes sont alignées sur la gestion prudente des risques — notre but est de gérer les risques — alors que le projet de loi S-243 aligne toutes ces attentes sur des objectifs propres au climat ou sur des objectifs de réduction des émissions qui sont émis de manière plus générale par le gouvernement. Il s’agit de la seule différence entre le projet de loi et les lignes directrices de prudence du Bureau du surintendant des institutions financières.

La sénatrice Marshall : Les dispositions sont semblables, mais pas identiques.

M. Tardif : Exactement.

La sénatrice Marshall : Merci.

La présidente : Elles sont les mêmes, à une exception près.

La sénatrice Marshall : D’accord. Parfait. Merci.

Le sénateur Massicotte : Merci d’être à nouveau parmi nous.

Je trouve que nous utilisons beaucoup de mots et je veux être très clair, car sinon nous en reparlerons dans six mois et je me demanderai ce que vous vouliez dire. Je sais que vous êtes très poli et sensible à la législation. Je sais que vous faites ce que vous devez faire. Ce que je comprends de ce que vous dites, c’est qu’il n’y a rien dans ce projet de loi, qu’il n’y a pas de problème à corriger. Vous faites ce que vous devez faire et vous estimez que ce que vous faites est adéquat et même préférable à ce que propose ce projet de loi. Est-ce que je me trompe?

M. Routledge : Quel aspect est préférable à ce que propose le projet de loi?

Le sénateur Massicotte : La pratique actuelle est préférable, du point de vue de la gestion, à la mise en œuvre de certaines lois. Leur mise en œuvre n’est pas nécessaire, elle n’apporte pas grand-chose, et si c’est le cas, pourquoi la conserver?

M. Routledge : Permettez-moi de répondre à cette question de plusieurs manières.

Tout d’abord, nous sommes fermement convaincus que le mandat du Bureau du surintendant des institutions financières et les objectifs qui en découlent nous donnent tout ce dont nous avons besoin pour réglementer les institutions financières afin qu’elles gèrent le risque climatique de manière responsable. Je n’attends rien de plus de la part de la législation pour le faire. Nous n’avons besoin de rien de plus. Ce que le Parlement nous a donné jusqu’à présent, la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières et toutes les lois financières, suffit à la réalisation de notre tâche. Nous ne cherchons pas à obtenir d’autres pouvoirs législatifs, autorités ou autres pour remplir cette partie de notre mandat. Nous pensons que le risque climatique, dans notre secteur, est un risque financier, et nous réglementons les risques financiers depuis 38 ans.

Ce qui, je l’espère, est ressorti de mes propos — et si ce n’est pas le cas, je le répéterai afin que cela ressorte —, c’est que des directives imposées d’en haut concernant la manière dont les capitaux doivent être affectés dans une institution financière et données en dehors du cadre large et complet de gestion des risques que nous avons mis en place produiront des conséquences imprévues et, selon toute vraisemblance, ce ne seront pas des conséquences favorables. La prise de risques dans une banque est un exercice très complexe, en particulier dans les grandes banques. Elles ont des milliers et des milliers de décisions distinctes à prendre, et elles doivent les prendre dans l’ensemble de leur organisation. Un cadre unique, complet et coordonné d’affectation des fonds, qui est notre règle en matière d’affectation des capitaux, est notre façon de prendre des risques. Il est peu probable que l’ajout d’un élément exogène produise le résultat escompté. Ai-je été clair à ce sujet?

Le sénateur Massicotte : Je pense que c’est assez clair, et j’espère que c’est clair pour tout le monde.

Cela dit, il semble que certains pays ou certaines banques centrales voient la valeur d’une telle mesure législative ou y voient un avantage, puisqu’ils l’ont promulguée. Pourquoi leur cas serait-il si différent du nôtre?

M. Routledge : Parmi nos pairs du G7 ou du G20, cette promulgation est assez rare, et lorsqu’une telle mesure législative existe, je soupçonne qu’elle est assez souple. En d’autres termes, je pense que le superviseur aura une certaine marge de manœuvre dans l’application de cette mesure.

Ce que je dirais, c’est que certains pays ont commencé plus tôt que le BSIF, qu’ils sont plus avancés et qu’il semble prendre plus de mesures que le BSIF ou qu’ils prennent des mesures que le BSIF ne prend pas. Je dirais que leur approche réglementaire et leurs systèmes ont un an ou deux d’avance sur les nôtres. À mesure que le BSIF progressera dans sa propre courbe d’apprentissage et que l’industrie progressera dans la sienne, vous constaterez que les différences ne seront plus aussi marquées.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J’ai lu votre projet de loi sur la ligne directrice B-15. J’ai deux questions, dont une sur B-15.

Dans le cadre de la ligne directrice B-15, est-ce que les institutions financières sont ou pourraient être incitées à répondre à vos lignes directrices en réduisant les assurances, c’est-à-dire en réduisant les risques qui sont assurés en disant : « on n’assure plus cela »?

Ma deuxième question est la suivante. Dans le projet de loi S-243, à la page 25, article 9, on ajoute ce qui suit à votre loi :

6 (1) Le surintendant exerce les attributions que lui confèrent les lois mentionnées à l’annexe de la présente partie — et la Loi sur la finance alignée sur le climat —[...]

Vous avez un peu répondu à la question, mais est-ce que cette Loi sur la finance alignée sur le climat aurait un impact sur les risques assurés ou assurables? Comment cela se ferait-il, concrètement?

Premièrement, est-ce que la ligne directrice B-15 réduirait les risques en réduisant la portion des choses qui peuvent être assurées? Deuxièmement, en ajoutant la Loi sur la finance alignée sur le climat à votre mandat, est-ce que cela a le même effet? Qu’est-ce que cela fait, concrètement?

M. Routledge : Je vais passer la parole à mon collègue M. Tardif pour la première partie de la question.

M. Tardif : Merci, sénatrice, de votre question.

La réponse courte est que le traitement de la ligne directrice B-15 est neutre par rapport à la couleur des risques. En d’autres mots, que les risques soient bruns, verts ou jaunes, ou que ce soient des actifs, la ligne directrice est neutre.

Cependant, la ligne directrice est sensible au niveau du risque. En d’autres mots, on s’attend à ce que les institutions gèrent les risques, peu importe que le risque soit dans un secteur possiblement à plus haut risque en matière de climat. La ligne directrice B-15 est neutre.

C’est une décision que les assureurs et les banques devront prendre selon leur estimation des risques, auxquels ils vont faire face relativement aux changements climatiques dans le futur.

La sénatrice Bellemare : Je pense que je comprends. Qu’en est-il de la deuxième partie de la question?

[Traduction]

M. Routledge : Vous parlez de l’article 9 de la partie 3 intitulé « Suffisance du capital »?

La sénatrice Bellemare : Je parle de la page 25 du projet de loi C-243.

M. Routledge : Je regarde un article différent.

[Français]

Monsieur Tardif, pouvez-vous répondre à la question?

M. Tardif : Sénatrice, pouvez-vous répéter votre question?

La sénatrice Bellemare : Ma question est la suivante. Elle porte sur un article du projet de loi S-243, à la page 25 — l’article 9. C’est le rôle général du surintendant. Cet article a pour but d’amender, dans votre loi, le paragraphe 6 (1), qui traite du rôle général du surintendant. On y ajoute la chose suivante :

[Traduction]

Le projet de loi apporte des précisions au « Rôle général » du surintendant.

Le surintendant exerce les attributions que lui confèrent les lois mentionnées à l’annexe de la présente partie —...

Le projet insère ce qui suit :

…et la Loi sur la finance alignée sur le climat —; il étudie toutes les questions liées à leur application et en fait rapport au ministre, sauf en ce qui a trait aux dispositions visant les consommateurs au sens de l’article 2 de la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada.

[Français]

En ajoutant cette partie, la Loi sur la finance alignée sur le climat, à votre mandat, comment cela vient-il jouer ou interférer concrètement avec votre ligne directrice B-15 et la façon dont vous allez fonctionner?

M. Tardif : Monsieur le surintendant, je vais commencer à répondre et vous pourrez répondre à la question sur le mandat.

Sénatrice, en vertu de la ligne directrice B-15, notre objectif et notre travail sur le climat sont exclusivement prudentiels. Actuellement, il s’agit vraiment de s’assurer que les institutions financières comprennent, mesurent, gèrent et divulguent leurs risques liés au climat.

Nous pensons que c’est la meilleure approche envers les risques climatiques parce qu’ils peuvent avoir différents impacts sur toutes les différentes institutions financières assujetties à la réglementation fédérale.

[Traduction]

Monsieur le surintendant, aimeriez-vous parler du mandat?

M. Routledge : Oui. Cet alinéa obligerait le surintendant — il n’y a pas de calendrier indiqué ici, mais je suppose que ce serait une fois par an — à faire rapport au ministre du respect de la Loi sur la finance alignée sur le climat par les institutions financières. En fait, je dirais au ministre : « Voici ce qu’indique la Loi sur la finance alignée sur le climat, et voici ce que les institutions ont fait. Voici les institutions qui respectent la loi et celles qui ne la respectent pas ». De ce fait, le BSIF serait tenu de s’assurer que les institutions prennent toutes les mesures possibles pour se conformer à la Loi sur la finance alignée sur le climat.

La présidente : Cela changerait-il votre mandat?

M. Routledge : Cela ne changerait rien à notre mandat, mais cela modifierait les produits que nous devons livrer au ministre, et nous serions forcés d’accroître nos ressources pour livrer ces produits.

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de votre présence.

J’ai un certain nombre de questions à vous poser. C’est le paradoxe de la poule et de l’œuf. Les banques ont toujours pour mission de gérer les risques. C’est ce qu’elles font. Elles accordent des prêts et émettent des hypothèses quant à leur remboursement et quant à la capacité des clients à faire face à leurs obligations. Notre économie est encore, dans une grande mesure, fondée sur les ressources. Nous ne sommes pas encore sortis de ce secteur. Le secteur pétrolier et gazier est un élément essentiel. Le projet de loi aura une incidence directe sur ce secteur, compte tenu de la région où les risques sont concentrés dans notre pays, c’est-à-dire dans l’Ouest canadien. Essentiellement, 5 % des actifs des banques se trouvent dans cette région. Cela aura une incidence majeure sur leur capacité à continuer d’accorder des prêts aux entreprises de ces secteurs particuliers. Les risques que présentent ces entreprises seront comparativement beaucoup plus importants. Ai-je raison d’avancer cette hypothèse?

M. Routledge : Les différentes règles qui régissent l’affectation des capitaux dans les banques ont des répercussions sur leur prise de risques. En règle générale, si les banques affectent davantage de capitaux à un actif particulier, elles devront soit imposer un taux d’intérêt plus élevé pour ce prêt afin d’obtenir le rendement qu’elles souhaitent, soit utiliser les capitaux ailleurs et accorder d’autres prêts.

Le sénateur Yussuff : En ce qui concerne les obligations de communiquer des informations financières prévues par la ligne directrice B-15, dans quelle mesure sont-elles prescriptives quant à la manière dont le message est transmis dans les rapports que les banques établissent à l’intention de leurs actionnaires?

M. Routledge : Stéphane Tardif, en ce qui concerne les obligations de communiquer des informations financières prévues par la ligne directrice B-15...

M. Tardif : Merci, monsieur le surintendant.

M. Routledge : ... à quel point sont-elles exigeantes?

M. Tardif : Sénateur, les obligations du BSIF en matière de communication des informations financières sont conformes aux normes internationales et nationales reconnues, telles que celles du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques. Nous sommes en train de mettre à jour ces exigences afin qu’elles coïncident avec les normes internationales de développement durable récemment publiées qui font partie des IFRS. Dans de nombreux cas, les institutions financières, y compris les banques et les compagnies d’assurance, harmonisent déjà leurs informations publiques avec ces cadres, et bon nombre d’entre elles le font volontairement.

Ce que la ligne directrice B-15 tente de faire, c’est simplement de fournir à l’ensemble de nos institutions financières un niveau de normalisation pour répondre à cette exigence minimale. Il ne s’agit plus seulement de certaines institutions qui le font volontairement; c’est maintenant obligatoire. Nous avons maintenant des obligations de communiquer la définition de notre stratégie, nos plans de transition, le rôle de nos conseils d’administration et les portées 1, 2 et 3. Ces portées sont des paramètres quantifiables que les institutions devront commencer à calculer, ce que bon nombre d’entre elles ont déjà commencé à faire.

La réponse courte à votre question, c’est qu’il ne s’agit pas de nouvelles obligations. Ce sont des obligations qui ont été bien promulguées et bien comprises par le secteur des services financiers, à l’échelle nationale et mondiale. J’espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Yussuff : Dans une certaine mesure. J’entends par là que je n’ai pas compris à quel point elles doivent être prescriptives.

M. Tardif : Je suis désolé. La ligne directrice B-15 comprend des prescriptions, notamment en ce qui concerne les mesures quantifiables. Les portées 1, 2 et 3 sont prescriptives, mais il s’agit de normes applicables dans le monde entier.

Le sénateur Yussuff : À l’échelle fédérale, le BSIF est l’organisme de réglementation pour un grand nombre de régimes de retraite. Les compagnies d’assurance ne sont pas réglementées par le gouvernement fédéral parce qu’elles sont en grande partie provinciales. Tout dépend de l’endroit où elles sont enregistrées. Vous pourriez peut-être m’éclairer à cet égard. Quel degré de contrôle exercez-vous sur les compagnies d’assurance? Quel est au juste ce degré? De même, quel contrôle exercez-vous sur les régimes de retraite fédéraux, qui relèvent de votre compétence, en ce qui concerne le risque climatique?

M. Routledge : Vous avez raison de dire qu’il y a de nombreuses compagnies d’assurance provinciales. Nous supervisons les compagnies d’assurance-vie et les compagnies d’assurance multirisque, c’est-à-dire celles qui assurent des biens et des risques divers. Cela représente probablement plus de 90 % du marché. Il y a quelques exceptions, mais nous représentons la norme. Tous les assureurs sont assujettis à la ligne directrice B-15.

Nous réglementons environ 20 % des régimes de retraite du secteur privé au Canada. Cela représente environ 1 200 régimes. La plupart d’entre eux sont très limités. La ligne directrice B-15 ne s’applique pas à eux. Dans le cadre de notre surveillance, nous les encouragerons à mesurer le risque climatique, car il pourrait faire fluctuer la valeur de leurs actifs, tout comme la valeur des actifs bancaires, mais pour être clair, la ligne directrice B-15 ne s’applique pas aux régimes de retraite.

Le sénateur Yussuff : Comme vous le savez, notre pays s’est fixé deux cibles. Nous avons des objectifs en matière de réalisations climatiques à atteindre d’ici 2030, et des objectifs à atteindre d’ici 2050. Cela a-t-il, d’une manière ou d’une autre, une influence sur vous dans le contexte de votre mandat et dans la manière dont vous envisagez l’obligation pour les banques, les compagnies d’assurance et d’autres de tenir compte de cette réalité? J’ai conscience qu’il s’agit d’une tâche ardue parce que c’est un pari que nous n’avons pas encore gagné, mais c’est un objectif que nous aimerions que notre pays atteigne.

M. Routledge : La façon dont nous pourrions superviser les objectifs publics établis par les institutions consisterait à faire en sorte que nos plus grandes institutions actives au niveau international et particulièrement importantes sur le plan systémique fassent des déclarations. Elles sont membres de la GFANZ, ou Glasgow Financial Alliance for Net Zero, et elles se sont engagées publiquement à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Si elles ne respectent pas ces engagements, leur réputation risque d’être entachée. Elles comptent en partie sur leur réputation pour les aider à obtenir du financement par emprunt et par actions capitaux propres dans le cadre de leurs activités commerciales normales. Si elles devaient prendre des engagements et ne pas les respecter, nous considérerions qu’il s’agit là d’un risque sérieux pour leur réputation. Avec un peu de chance — et de manière urgente et rapide si j’avais mon mot à dire à ce sujet —, nous obligerions le conseil d’administration d’une institution donnée à remédier à la détérioration des risques liés à sa réputation, en adoptant une approche bilatérale à cet égard.

La sénatrice Ringuette : La plupart de mes questions ont reçu une réponse, à l’exception peut-être d’un complément d’information. D’après votre analyse des institutions que vous supervisez et dont vous vous assurez qu’elles déclarent leurs risques, avez-vous constaté, au cours des trois à cinq dernières années, que les investissements passaient du secteur des émetteurs de gaz à effet de serre aux développeurs de technologies propres, d’installations propres, et cetera. Avez-vous observé une évolution à cet égard?

M. Routledge : Un changement dans les portefeuilles de prêts?

La sénatrice Ringuette : Oui.

M. Routledge : Pour être honnête, il faudrait que je me penche sur la question pour le confirmer — je serais ravi de comparaître de nouveau devant vous pour vous fournir plus de données à ce sujet —, mais mon instinct me dit que ce n’est pas le cas. Je précise encore une fois que les institutions financières sont des preneuses de risques. Chaque dollar de risque est utilisé de la manière la plus rentable. Certaines institutions ont fait un effort concerté pour accroître leur participation au développement de nouvelles énergies, et j’estime que c’est une prise de risques intelligente, car je crois que l’économie évoluera dans ce sens. Mais si vous me demandez si la composition des portefeuilles de prêts a évolué de manière substantielle, je vous réponds que non. Les portefeuilles de prêts ne changent pas de manière substantielle en deux ou trois ans; ils changent de manière substantielle au cours d’une dizaine d’années. Si vous deviez me poser cette question dans 10 ans, je pense que ma réponse serait différente.

La sénatrice Ringuette : Je ne sais pas si je serai encore là dans 10 ans. Personnellement, je trouve cela triste, car le passage à des technologies propres est une responsabilité collective, et les institutions financières canadiennes font partie de cette collectivité. Quel message pouvons-nous leur envoyer?

M. Routledge : Je pense que les institutions que nous réglementons partageraient votre avis en ce qui concerne la responsabilité collective de financer une transition vers des sources d’énergie qui n’émettent pas de gaz à effet de serre. Je pense qu’elles désigneraient des équipes bancaires qui travaillent d’arrache-pied dans ce sens. Si mes commentaires précédents vous ont porté à croire qu’ils ne prennent pas cette responsabilité au sérieux, alors je pense m’être mal exprimé. Cela dit, la réponse honnête à votre question de savoir si les portefeuilles de prêts et leur composition ont sensiblement évolué, c’est que cela ne s’est pas encore produit. Cette évolution prendra un certain temps. Ce n’est probablement pas la disponibilité des capitaux ou la volonté des banques de prêter qui est en cause, mais plutôt le manque de possibilités d’accorder des prêts de ce genre de façon rentable et fructueuse.

La présidente : Je pense que cela rejoint les chiffres que nous avons présentés au début, à savoir que si c’est lié à un rapport du rendement environnemental, social et de gouvernance, ils le ciblent. Il est simplement difficile d’obtenir la ventilation des capitaux qui sont investis dans des activités traditionnelles par rapport à...

M. Routledge : Pour replacer ces chiffres dans leur contexte, le système bancaire canadien dispose de 8 billions de dollars d’actifs. C’est dans cette perspective que j’envisage l’importance relative des fonds que les banques investissent.

La sénatrice Ringuette : Quel serait le point de référence en matière d’importance?

M. Routledge : Il faudrait que je réfléchisse à cela.

La sénatrice Coyle : J’assiste à la séance en tant que représentante de la sénatrice Miville-Dechêne. Je suis désolée d’avoir manqué le début de votre déclaration. Vous avez dû commencer votre déclaration quelques minutes plus tôt que prévu, car j’ai commencé à participer à la réunion à l’heure pile. Je regrette que la marraine du projet de loi ne soit pas présente, car j’aurais aimé entendre les questions qu’elle vous aurait posées.

J’ai plusieurs questions à vous poser, et je vais essayer de respecter le temps qui nous est imparti. Tout d’abord, lorsque la sénatrice Galvez a réalisé tout le travail de fond nécessaire à l’élaboration de ce projet de loi — et il est évident qu’elle a travaillé à cette élaboration avec acharnement —, vous a-t-elle rencontré, vous ou vos collègues? Dans l’affirmative, quels conseils lui avez-vous donnés à ce moment-là?

M. Routledge : Je ne sais pas exactement à quelle étape de l’élaboration du projet de loi cela s’est produit, mais M. Tardif l’a rencontrée.

La sénatrice Coyle : M. Tardif pourrait peut-être répondre à la question.

M. Tardif : Je vous remercie de votre question, sénatrice.

Oui, nous avons rencontré la sénatrice Galvez et son équipe il y a environ 14 ou 15 mois. Pendant une heure, nous avons discuté avec elle des propositions et du travail que nous réalisions au bureau pour répondre à certaines de ces préoccupations, mais dans le cadre de notre mandat et de notre point de vue. En bref, nous l’avons rencontrée.

La sénatrice Coyle : Lui avez-vous donné des conseils?

M. Tardif : Le mot « conseil » est lourd de sens. Nous ne nous immisçons pas dans le processus législatif. Il s’agissait donc vraiment de clarifier le rôle du BSIF et le travail que nous accomplissions. C’est en ce sens que nous avons répondu à ses questions.

Il me revient maintenant que la seule question que nous avons passé pas mal de temps à aborder avec elle, c’était les exigences de fonds propres. Nous avons tenté de lui expliquer les nuances des règles de fonds propres, de lui faire comprendre qu’il y a des règles de fonds propres pour les banques, pour les compagnies d’assurance-vie et pour les compagnies d’assurance multirisque, parce qu’elle proposait cette charge standard de 1 250 % pour les risques, et nous essayions de lui expliquer les nuances et les complications de cette charge. C’est une discussion détaillée que nous avons eue avec elle.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie de l’aide que vous lui avez apportée à ce sujet.

Je voudrais revenir sur certaines des questions posées par les sénateurs Ringuette et Yussuff. Vous avez décrit l’évolution lente et en quelque sorte glaciaire des pratiques, mais nous savons que les glaciers fondent et que nous avons besoin que les pratiques évoluent plus rapidement que les glaciers. Ce projet de loi vise clairement à accélérer les choses. Vous nous avez dit que les choses bougent et que vous respectez les normes internationales. Quelles mesures faudrait-il prendre, si ce n’est la présentation d’un projet de loi comme celui-ci, pour accélérer cette évolution qui, selon vos propres dires, ne se produira certainement pas au cours des deux ou trois prochaines années, mais peut-être dans une décennie? Compte tenu de vos excellentes compétences dans ce domaine, que pensez-vous qu’il faudrait faire pour faire évoluer les pratiques?

M. Routledge : Au fil du temps, si les entreprises prennent des risques avec des sources d’énergie sans émissions, si les entreprises prennent plus de risques, les institutions financières seront là pour les financer sans se faire tordre le bras. Qu’est-ce qui inciterait les entreprises à prendre plus de risques dans ce secteur? Sur le plan des politiques, il existe toute une série d’approches que nous pourrions mettre en place pour les encourager à le faire. Nous utilisons ces approches dans d’autres domaines. Je ne suis pas ici pour recommander des politiques au gouvernement, je ne vais donc probablement pas en dire plus là-dessus. Toutefois, un domaine qui nous intéresse vraiment et qui nous aidera à mieux réfléchir aux risques et avantages relatifs aux actifs verts serait l’établissement d’une taxonomie nationale. Je crois d’ailleurs que le Conseil d’action en matière de finance durable travaille beaucoup à la mise en place cette taxonomie.

Le mot « taxonomie » est un grand mot, certes, mais il s’agit en fait d’un accord sur l’utilité relative des différents types d’investissements. Par utilité, j’entends la capacité de faire évoluer l’économie vers la non-utilisation de sources d’énergie émettrices de gaz à effet de serre. La mise en place de cette norme serait à mon avis un moment charnière. Je crois qu’elle agirait comme un puissant catalyseur, si vous voulez, qui créerait une situation où les prêteurs et les emprunteurs pourraient s’entendre sur la localisation des actifs productifs en amont. Vous verriez donc un point d’inflexion pour ce qui est de l’allocation de capitaux à ce secteur de l’économie. Je ne veux pas en faire trop, et ce n’est pas tout, mais dans des marchés très complexes, les normes sont souvent le fondement qui libère la croissance.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie.

La sénatrice Petten : Je réfléchis au projet de loi et je me demande si les banques, les régimes de retraite et les institutions financières de notre pays ont des objectifs en matière d’émissions. Dans l’affirmative, ces objectifs sont-ils compatibles avec les objectifs financiers?

M. Tardif : Merci, sénatrice.

Certaines des plus grandes banques et compagnies d’assurance se sont volontairement jointes à des organismes comme la Glasgow Financial Alliance for Net Zero ou la Net-Zero Insurance Alliance. Il s’agit d’initiatives de portée internationale qui œuvrent sous l’égide des Nations unies, et dans le cadre desquelles les institutions peuvent s’engager de leur propre gré à améliorer les profils de leurs portefeuilles en matière d’émissions. La réponse courte à votre question est oui, et ces engagements sont volontaires.

Ces participations sont-elles intégrées à leurs états financiers? Non. Elles sont présentées dans leurs rapports relatifs aux questions environnementales sociales et de gouvernance ainsi que dans leurs rapports sur la carboneutralité, mais ces rapports ne font pas partie des états financiers. Pour le moment, ces activités ne font pas l’objet de vérifications ou de vérifications par des organismes indépendants, parce que la profession comptable n’a pas encore adopté de normes en matière de rapports sur le développement durable. La profession est en train de rattraper lentement son retard.

En bref, les grandes institutions se sont engagées à réduire leurs émissions et les émissions qu’elles financent, et cela se traduira par des rapports sur les émissions de portée 3. Ces rapports ne font toutefois pas partie des états financiers vérifiés, du moins, pas pour l’instant. Est-ce que cela répond à la question?

La sénatrice Petten : Oui, je vous remercie.

La sénatrice Martin : Je n’ai qu’une question, et elle se fonde sur une réponse que vous avez donnée au sénateur Massicotte. Dans une réponse que vous avez donnée tout à l’heure, je vous ai entendu parler de « conséquences involontaires », et cela m’a accrochée. Je comprends que vous ayez un mandat bien délimité. En tant que bureau, le Bureau du surintendant des institutions financières gère cela en tant que surintendant. La réunion d’aujourd’hui m’a permis d’en apprendre beaucoup sur votre mandat. Je suis nouvelle au sein de ce comité. En ce qui concerne ce projet de loi, j’ai cru vous entendre dire qu’il aurait des conséquences involontaires pour le secteur. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Routledge : J’espère avoir dit un effet exogène...

La sénatrice Martin : Externe, oui.

M. Routledge : La règle sur les mouvements de capitaux avec l’extérieur pour une classe d’actifs particulière qui ne faisait pas partie de cette ligne directrice de 800 pages que les banques utilisent pour mesurer le capital requis.

Si vous vous concentrez sur cette classe d’actifs et que vous resserrez vos exigences en matière de capital, cela pourrait produire des résultats que les personnes qui proposent ce changement à la pondération du capital ne recherchent peut-être pas. L’exemple que j’ai utilisé est le suivant : si une classe d’actifs particulière avait une pondération de risque très élevée et nécessitait par conséquent un apport important en capital — ce que le Bureau du surintendant des institutions financières exigerait d’emblée —, les institutions concernées par cette règle de capital pourraient peut-être prendre des décisions différentes. Or, des bailleurs de fonds situés à l’extérieur du secteur bancaire canadien pourraient intervenir, et nous ne serions pas en mesure de les réglementer et de les contrôler. Selon toute vraisemblance, le Bureau du surintendant des institutions financières ne serait pas en mesure de réglementer et de contrôler cette situation, car les capitaux ne proviendraient pas d’entités réglementées. Cela pourrait être considéré comme quelque chose de négatif, et assurément comme quelque chose d’involontaire.

La sénatrice Martin : Pouvez-vous nous donner d’autres exemples?

M. Routledge : D’autres exemples de quoi?

La sénatrice Martin : D’autres exemples de conséquences involontaires. Avec l’adoption de ce projet de loi, prévoyez-vous certains scénarios involontaires ou certaines conséquences involontaires?

M. Routledge : Il m’est difficile de répondre définitivement par la négative, mais je présume, par exemple, qu’avec l’article 9 de la page 25 — l’obligation de faire rapport au ministre —, nous allons avoir besoin d’un certain nombre d’employés additionnels. En dehors de ce type de questions, non, il n’y a rien qui me frappe.

M. Tardif : Monsieur le surintendant, voulez-vous que je donne un autre exemple à l’intention de la sénatrice?

M. Routledge : Allez-y.

M. Tardif : Il y a déjà des exemples de conséquences involontaires, qui ne sont pas le résultat de ce projet de loi ou du travail du Bureau du surintendant des institutions financières. Un exemple qui nous a été présenté, au surintendant et à moi-même, lorsque nous avons rencontré des entreprises dans l’Ouest, est celui de la disponibilité de l’assurance. Par exemple, au Canada, nous avons de grands assureurs mondiaux qui se spécialisent dans les risques hautement techniques. Habituellement, c’est ce que demandent les grands projets industriels. Or, ces compagnies sont basées dans d’autres pays, notamment en Europe, et elles doivent respecter des normes strictes en matière de production de rapports sur le développement durable, si bien qu’elles réduisent elles-mêmes leurs risques et n’assurent pas les projets qui ont un niveau de risque élevé. Les conséquences involontaires de ce type d’initiatives se font déjà sentir dans différents secteurs de l’économie. Nous l’avons constaté en regardant ce qui arrivait avec les assurances techniques très complexes qui sont généralement souscrites à l’étranger.

La présidente : Merci de cette observation.

Nous avons quelques questions pour le deuxième tour, mais ce que je vous entends dire tous les deux, c’est que la plupart des questions que le projet de loi tente d’aborder sont traitées dans le cadre des règles et règlements existants du Bureau du surintendant des institutions financières, ce qui relève de vous. La question des conséquences involontaires est une sorte de distorsion possible en ce qui concerne les décisions d’investissement et une augmentation des risques en matière d’investissement. Si vous allez investir dans une société pétrolière et gazière qui effectue une transition, vous avez déjà fait vos devoirs à cet égard. Si vous investissez dans une petite entreprise qui n’a qu’un seul projet, ce sera un investissement improbable, parce que trop risqué. Je vous en remercie.

Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Routledge, d’être là et de répondre à toutes nos questions.

Vous avez mentionné les conséquences involontaires, et c’est ce dont nous discutons. Si je fais intervenir mes 35 années d’expérience dans le secteur financier, ce qui n’a pas été dit, c’est que les banques sont le reflet de notre économie et que la plupart des gouvernements croient en une transition juste.

Lorsque nous parlons de matérialité dans le secteur bancaire, si je reviens à mes années d’audit qui sont loin derrière moi, il est question de 8 000 milliards de dollars d’actifs. La matérialité se situe toujours entre 5 et 10 % des bénéfices, 1 et 2 % du total des actifs, 2 et 5 % des avoirs des actionnaires. Les pourcentages sont dans ces eaux-là. Je pense que je ne fais pas fausse route en disant cela, même si mes souvenirs à cet égard remontent à loin maintenant. Ce sont des chiffres importants.

La transition de notre économie n’est-elle pas assez rapide? Êtes-vous satisfait des progrès réalisés par les banques? En ce qui concerne les conséquences involontaires, soyons réalistes et appelons un chat un chat. Combien d’emplois seraient perdus dans l’ouest du Canada? Combien d’emplois seraient perdus au Canada? Il est juste de dire que les banques pourraient épauler cette transition en ne finançant pas les entreprises qui ne se transforment pas assez rapidement, mais pour ce qui est des conséquences involontaires, il faut regarder le nombre d’emplois qui seraient perdus.

J’ai une autre petite question à poser après, si vous me le permettez. Je vous remercie.

M. Routledge : La partie de cette question pour laquelle je pense être professionnellement apte à répondre est de savoir si je suis satisfait des progrès réalisés par les banques. En tant qu’organisme de réglementation, nous sommes en quelque sorte payés pour ne jamais être satisfaits, alors, dans une certaine mesure — et c’est la raison pour laquelle le leadership de M. Tardif est si important pour le bureau —, nous sommes constamment en train de les pousser pour qu’elles améliorent leur gestion des risques climatiques. Nous sommes perpétuellement insatisfaits à cet égard.

Par ailleurs, la ligne directrice B-15 a fait l’objet de la plus grande consultation de l’histoire. Je pense que nous avons reçu plus de 4 000 mémoires. Elle a eu des conséquences très importantes pour toutes les institutions financières que nous réglementons. Nous l’avons réalisée en moins de deux ans. Pour le Bureau du surintendant des institutions financières, c’est rapide. L’élaboration d’un règlement en la matière s’est aussi faite rapidement, du moins, en ce qui nous concerne. L’une des raisons pour lesquelles le règlement a été adopté aussi rapidement, c’est que le secteur a reconnu qu’il s’agissait d’une mesure importante et bien fondée, non seulement parce que nous le disions, mais aussi parce que leurs investisseurs leur disaient : « Vous devez vous tourner vers les risques qui découlent des changements climatiques et vous devez le faire maintenant. » En ce sens, je suis très encouragé par les progrès réalisés par les banques, les assureurs-vie et les assureurs multirisques pour ce qui est d’adapter leurs systèmes de gestion des risques à ces risques.

Je ne suis pas satisfait de notre situation actuelle et je continuerai toujours à placer la barre plus haut. Je ne veux pas dire que nous sommes près d’avoir terminé, que nous sommes satisfaits ou que nous avons atteint notre but, mais si vous m’aviez demandé il y a deux ans et demi, lorsque je suis entré en poste, si nous aurions pu aller aussi loin sur la question du climat, j’aurais considéré l’état actuel des choses comme une surprise encourageante.

Le sénateur Loffreda : D’une manière générale — nous n’avons pas parlé des coûts —, que pourrait signifier la mise en œuvre du projet de loi S-243 sur le plan financier? Je parle ici des coûts pour le gouvernement, pour les institutions financières et pour l’économie en général. De plus, ce projet de loi a-t-il des implications directes et indirectes pour toutes les institutions financières et leur clientèle?

M. Routledge : S’il est mis en œuvre dans sa forme actuelle, le projet de loi aura assurément une incidence et un impact sur le système financier — avec, peut-être, des conséquences souhaitées et d’autres involontaires —, mais le système financier canadien est — et c’est une bonne chose — très rentable et très bien capitalisé. C’est quelque chose qui ne changera pas, et ce, quel que soit le sort réservé à ce projet de loi.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Ma question va un peu dans le même sens que celle du sénateur Loffreda.

D’abord, on est devant un projet de loi assez complexe, voire très complexe. On ne sait pas vraiment ce que cela implique. Malheureusement, on ne peut pas savoir ce que ce projet de loi implique pour vous, selon les réponses que vous nous donnez. On le saura peut-être davantage quand on entendra d’autres témoins.

Quel est le rapport coût-bénéfice de ce projet de loi? Dans la partie 1 du projet de loi, on dit ceci :

Loi visant à imposer à certaines entités financières et d’autres entités sous réglementation fédérale l’obligation d’atténuer les effets des changements climatiques et de s’y adapter.

Il s’agit de savoir comment on va s’y prendre. C’est sûr que c’est au moyen de rapports, mais c’est un élément. Toutefois, on a une stratégie au Canada, soit la tarification du carbone.

Dans votre esprit, comment les institutions financières se marient-elles ou se contredisent-elles avec la tarification du carbone au Canada? La tarification du carbone entraîne des coûts pour tout le monde. Cela crée des recettes qu’on essaie de mettre en place pour assurer la transition. C’est toute une logique.

À votre avis, comment ce projet de loi vient-il s’imbriquer dans la logique de la tarification sur le carbone? Vous comprenez sans doute mieux que moi les conséquences de ce projet de loi.

[Traduction]

M. Routledge : Vous m’amenez bien au-delà de mon mandat de surintendant. Je vais essayer de m’y tenir.

La politique fiscale aura une incidence sur les bénéfices et les revenus des activités commerciales, pas directement dans le secteur des services financiers en tant que tel, mais elle se répercutera assurément sur le rendement relatif du capital dans l’ensemble de l’économie. Ce rendement relatif du capital dans l’ensemble de l’économie aura une incidence sur le processus décisionnel des banques. Pour peu que la politique fiscale déplace les rendements relatifs vers des sources d’énergie n’émettant pas de gaz à effet de serre, je m’attends à ce que le capital suive, et que les banques et les compagnies d’assurance que nous réglementons suivent également. Je ne suis pas économiste, alors je ne suis donc pas certain de l’incidence que cette loi pourrait avoir à cet égard.

Le sénateur Yussuff : Nous avons vu que la transition pouvait parfois se produire plus rapidement. Par exemple, en ce qui concerne la production d’électricité à partir de charbon, l’objectif a été fixé à 2030, et certaines provinces auront droit à une prolongation. En gros, nous disons qu’il faut sortir de ce secteur — c’est mauvais pour l’économie, le climat, la santé humaine et tout le reste — et que c’était l’objectif du gouvernement et des gouvernements provinciaux. Si vous financiez cela, il vous faudrait reconnaître que nous n’avons pas beaucoup de temps et que la piste d’atterrissage est courte.

Compte tenu de cette réalité et des nouveaux objectifs pour 2030 et 2050, le financement de la transition sera essentiel, car nous ne pourrons pas y arriver par magie. Nous devons y arriver en faisant fonctionner l’économie pour que les gens aient des emplois, paient des impôts et tout le reste. Êtes-vous satisfaits de l’état d’avancement du financement de la transition par les banques et de ce à quoi elles renoncent pour précipiter leur adhésion à cette nouvelle économie?

M. Routledge : Encore une fois, vous me sortez de ma zone de confort. Je suis convaincu que le régime de fonds propres en place n’empêchera pas le mouvement vers les actifs de transition lorsque les bonnes occasions de prêt se présenteront.

Pour être honnête, je ne suis pas non plus convaincu que nous ayons mis en place les mesures nécessaires pour permettre à nos institutions d’améliorer leurs pratiques en matière de prêt, et c’est pourquoi nous insistons sur la portée 1, la portée 2 et la portée 3. Au fur et à mesure que nous obtiendrons des données empiriques, nous pourrons dialoguer avec les institutions et leur poser des questions comme : « Vos pondérations de risque sont-elles suffisantes pour répondre à vos besoins en amont? Vos pondérations de risque pour cette classe d’actifs sont-elles raisonnables compte tenu de l’exposition à certaines sources d’énergie qui émettent des gaz à effet de serre, ou à des émissions de gaz à effet de serre? Cette classe d’actifs est-elle différente parce qu’elle est moins exposée aux émissions?

Je suis déçu de voir que nous n’avons pas ces données empiriques, mais nous avons un système de fonds bancaires propres assez équilibré et fondé sur les risques qui, dans une certaine mesure, incitera les dirigeants qui décident de l’allocation du capital à appuyer leurs décisions sur les mérites des prêts et sur les bénéfices qu’ils sont susceptibles de générer.

Là où nous devons faire mieux — et c’est la raison pour laquelle nous avons mis en place la ligne directrice B-15 et fixé une date limite de divulgation —, c’est que nous voulons inciter les institutions à commencer à mesurer les données sur les émissions et à les prendre en compte lorsqu’elles réfléchissent à leur prise de risque, et nous avons du travail à faire dans ce domaine.

Le sénateur Massicotte : Si vous le voulez bien, j’ai une question qui n’est pas directement liée au projet de loi, mais qui me permettra de mieux comprendre de quoi il retourne. L’ensemble du système, de votre point de vue, consiste à mesurer la dette. Vous mesurez la probabilité de remboursement de cette dette. Nous avons parlé plus tôt des fonds de pension. Ils ne font pas partie de cela, mais d’un autre côté, ils ont peu de dettes, la plupart du temps. S’il y a une baisse significative de la valeur, cela ne vous touchera pas, mais cela aura une incidence de taille sur l’économie. Si la valeur baisse de 20 %, ce n’est pas une crise, mais il est évident que vous vous sentez moins riche. Étant donné ce phénomène — et je pense que c’est bel et bien ce qui se passe —, de nombreux fonds de pension font désormais affaire à l’étranger, ce qui entraîne un risque de change. En même temps, ces fonds se complexifient pour générer un certain rendement, ce qui entraîne une élévation du niveau de risque. Certains se demandent pourquoi ils ne le font pas davantage au Canada, car les paiements seraient effectués en dollars canadiens, et non en dollars américains ou européens. Un effet indésirable pourrait en causer un autre, et cela pourrait par la suite se répercuter sur les banques provinciales par la suite. Comment faites-vous pour gérer tout cela?

M. Routledge : Je pense qu’il est juste de dire que l’une des raisons qui ont accéléré considérablement notre travail sur les risques climatiques tient au problème posé par l’évaluation des actifs et leur délaissement en cas de transition vers des sources d’énergie n’émettant pas de gaz à effet de serre, et cela s’est produit de manière imprévisible et abrupte. Le cas échéant, je crois que la prémisse de votre question est juste. Si les actifs qui garantissent les prêts et génèrent des revenus pour couvrir les coûts d’intérêt des prêts se détériorent, la qualité des prêts en pâtira. C’est précisément pour ce risque que nous préconisons la ligne directrice B-15.

En ce qui concerne les régimes de pensions, je dirais que le secteur des pensions a généralement effectué un travail de qualité et de grande envergure dans ce dossier parce qu’il comprend le risque des actifs délaissés. Le défi et l’occasion dans l’immédiat, c’est de commencer à évaluer l’importance du risque des actifs délaissés et d’examiner les portefeuilles dans le contexte de ce risque.

Je dirais qu’au Canada en particulier, le secteur des fonds de pension a fait preuve d’une grande clairvoyance sur la question des changements climatiques. Bon nombre d’entre eux sont les actionnaires qui ont poussé les banques à aller plus loin dans la divulgation de renseignements sur les risques climatiques et les engagements en la matière.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie.

La sénatrice Coyle : J’espère que je ne vous sortirai pas de votre zone de confort, mais je veux simplement obtenir des éclaircissements. Vous avez tous deux parlé des normes internationales dont vous devez tenir compte. Je suis curieuse de savoir quelles sont ces normes internationales, dont certaines sont respectées de manière volontaire, comme nous l’avons mentionné. Pouvez-vous nous parler d’autres pays ou administrations qui exigent le type d’alignement que demande cette mesure législative?

M. Routledge : Je n’en connais aucun, mais je serai heureux de m’en enquérir et de vous répondre avec plus de certitude. Je n’en ai pas connaissance pour l’instant.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie.

M. Routledge : Monsieur Tardif, vouliez-vous faire une observation?

M. Tardif : Pour ajouter un peu de contexte, sénatrice, il y a un certain nombre de pays qui ont des attentes semblables à celles que nous énonçons dans la ligne directrice B-15 concernant la gestion des risques. Nous sommes l’un des rares organismes de réglementation prudentielle à avoir rendu obligatoire la divulgation des risques climatiques, surtout en ce qui concerne les portées 1, 2 et 3. Nous sommes le seul organisme de réglementation des marchés financiers en Amérique du Nord à l’avoir fait.

La Commission européenne et le Parlement européen ont adopté des lois sur le développement durable, qui se sont répercutées sur la Banque centrale européenne, l’Autorité bancaire européenne et les autorités européennes de surveillance des assurances et des pensions. Je ne les comparerais pas, mot pour mot, au projet de loi S-243, mais la notion de durabilité y est prévue. Quand nous disons que l’Europe est en avance, c’est parce qu’elle dispose de l’autorité législative nécessaire pour exiger la durabilité dans les domaines qu’elle réglemente. C’est pourquoi, lorsque nous examinons les règles en matière de divulgation et de capital, comme le surintendant l’a mentionné plus tôt, l’Europe a quelques années d’avance sur nous.

La présidente : Merci beaucoup à vous tous.

Nous remercions M. Routledge, surintendant des institutions financières, d’être revenu nous voir, et merci aussi à Stéphane Tardif, directeur général du Carrefour du risque climatique. Nous vous sommes reconnaissants de vos observations. Je sais que vous avez dit que vous nous enverriez quelques données si vous en trouviez et, le cas échéant, ce serait très utile pour nous.

Il y a eu des commentaires sur le fait que la sénatrice Galvez n’était pas ici pour présenter son projet de loi et répondre aux questions, mais lorsque nous nous déplaçons en tant que sénateurs, nous avons tous le droit d’avoir un remplaçant ici. J’espère que cela clarifie les choses.

Je crois que cela met fin à notre réunion. Je vous remercie tous infiniment.

(La séance est levée.)

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