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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 22 novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 16 h 14 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à toutes les personnes présentes dans la salle et à celles qui se joignent à nous en ligne. Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.

Je m’appelle Pamela Wallin et j’agirai à titre de présidente du comité. Permettez-moi maintenant de vous présenter les membres du comité : les sénateurs Loffreda, Bellemare, Deacon, de la Nouvelle-Écosse, Gignac, les sénatrices Marshall, Miville-Dechêne et Petten. C’est le groupe qui est avec nous aujourd’hui.

Nous commencerons notre réunion aujourd’hui par l’étude du projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois. Le premier groupe de témoins que nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui est composé de notre collègue, la sénatrice Galvez, marraine du projet de loi, qui est accompagnée de Mme Karine Péloffy, conseillère en affaires parlementaires et légales au bureau de l’honorable sénatrice Rosa Galvez; et de M. Amr Addas, professeur adjoint en finance et conseiller stratégique en matière de durabilité à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia.

Nous vous souhaitons la bienvenue. Merci de vous joindre à nous.

La sénatrice Galvez : Honorables collègues, je vous remercie, ainsi que les Canadiens qui suivent ce débat, de prendre le temps d’examiner le projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Aujourd’hui, l’action climatique, la sécurité alimentaire, la transition énergétique, l’abordabilité, la cybersécurité et les soins de santé constituent des risques mondiaux qui exigent notre attention immédiate. La lutte contre les changements climatiques peut influencer positivement cinq de ces questions.

Les dommages potentiels causés à l’économie mondiale par les changements climatiques au cours des 50 prochaines années pourraient s’élever à 178 billions de dollars américains. Au Canada, si on ne planifie pas une transition en douceur, on pourrait se retrouver avec 100 milliards de dollars américains en actifs dévalorisés. Ce qui est pertinent pour les décideurs, ce n’est pas de connaître le coût de la transition, mais plutôt de déterminer si le prix de l’inaction est abordable. Près de la moitié de notre PIB est liée aux ressources naturelles, aux services écologiques et à la biodiversité. D’ici la fin du siècle, le coût de notre inaction pourrait atteindre la somme astronomique de 5,5 billions de dollars.

Bien que la prévision d’événements météorologiques extrêmes et catastrophiques précis dans le domaine financier soit fortement incertaine, leur caractère inévitable est une certitude. Des infrastructures essentielles sont détruites, ce qui compromet financièrement tous les ordres de gouvernement. Les primes d’assurance habitation gonflent dans un nombre croissant de régions, tandis que les prix des aliments atteignent des sommets. Le coût de l’inaction climatique dépasse la crise d’abordabilité actuelle.

Nous pouvons toutefois créer un avenir meilleur. Une intervention rapide et transformatrice peut éviter d’importantes conséquences financières. De nouveaux modèles économiques, comme ceux des économies du savoir, des soins, numériques, à faibles émissions de carbone et circulaires, émergent à l’échelle mondiale. Nos régimes de retraite, nos assureurs et nos banquiers doivent être clairs, prévisibles et transparents pour jouer un rôle de catalyseur dans cette transformation continue.

Le Canada pourrait mener la course vers la carboneutralité. Nous possédons les atouts nécessaires pour devenir une superpuissance de l’énergie propre, en favorisant le développement durable et en créant un étonnant 2,2 millions d’emplois durables d’ici 2050. Pour réaliser notre potentiel, nous devons fournir des orientations claires au secteur financier, à défaut de quoi nous continuerons de perdre le capital dont nous avons tant besoin au profit de partenaires commerciaux plus avant-gardistes, comme les États-Unis, l’Union européenne et la Chine.

Les chiffres prouvent une réalité que nous ne pouvons plus ignorer : transformer notre économie pour faire face aux changements climatiques d’aujourd’hui est la bonne chose à faire, la chose économiquement rationnelle à faire. Le Royaume-Uni, l’Union européenne et les États-Unis ont émis des signaux clairs en matière de politique et de réglementation. Bien que les économies comparables diversifient et augmentent le financement dans les secteurs propres, nous continuons d’investir massivement dans des industries et des approches désuètes qui affaiblissent notre compétitivité et notre productivité.

La plupart des propositions liant les finances et le climat misent sur les divulgations volontaires pour établir et quantifier les risques financiers et les occasions pour les entreprises. Un ancien économiste de la Banque d’Angleterre a cependant décrit les choses comme suit :

Le simple fait de discuter des risques et de les évaluer ne signifie pas que nous effectuons la transition vers la carboneutralité. De nombreuses entreprises peuvent discuter des risques et ne faire absolument rien pour faire progresser la transition.

La Loi sur la finance alignée sur le climat, ou LFAC, constitue un cadre de responsabilisation et de transparence qui guide le secteur financier au moyen de sept mesures ciblées pour atténuer les risques de l’inaction climatique, mobiliser le potentiel financier et rendre compte des progrès accomplis vers la réalisation des engagements climatiques. La LFAC vise à stimuler l’action, la planification et les progrès vers la décarbonisation en prenant des décisions fondées sur les meilleures données scientifiques disponibles et l’équité, et en prenant soin de préserver la biodiversité et les écosystèmes, de réduire la pollution, d’assurer la sécurité alimentaire et de se réconcilier avec les peuples autochtones.

Au-delà de la divulgation ordinaire, la LFAC est une politique exhaustive, structurelle et neutre sur le plan de la technologie qui garantit que les mouvements de capitaux dans le système financier canadien sont entièrement alignés avec les engagements climatiques. La LFAC est le résultat d’une collaboration avec de nombreux experts nationaux et internationaux fondée sur la science du climat, l’expertise financière et les meilleures pratiques réglementaires et volontaires internationales, et est appuyée par plus de 120 groupes de la société civile, des députés de quatre partis à la Chambre des communes et une multitude de citoyens aspirant à un avenir meilleur. La LFAC fait l’objet d’un second examen objectif de la part du Sénat.

Présentée à des centaines d’experts lors de plus de 100 événements nationaux ou internationaux depuis 2022, la LFAC est considérée comme l’élément politique manquant dont le secteur financier a besoin pour aligner ses activités en vue d’un avenir où le climat est sûr.

Honorables collègues, bien que nous ne puissions pas modifier les lois biologiques, physiques ou chimiques qui régissent notre planète, nous pouvons incontestablement modifier les lois fédérales pour assurer la prospérité de notre génération et des générations futures.

Je vous remercie d’avoir entrepris une étude rigoureuse, juste et transparente du projet de loi S-243. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions avec l’aide de collaborateurs clés qui se joignent à moi aujourd’hui.

Merci.

La présidente : Je vous remercie, sénatrice Galvez.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie, sénatrice Galvez, de témoigner. Plusieurs banques travaillent à la mise en œuvre des divulgations liées au climat élaborées par le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques, ou GIFCC. Le système financier du Canada est en train d’élaborer et d’intégrer de multiples cadres de divulgation avec des objectifs semblables qui gagneraient à être harmonisés. Dans la mesure du possible, ces cadres doivent être alignés sur les cadres de divulgation mondiaux, comme celui du GIFCC. Ce projet de loi n’entraînera-t-il pas un dédoublement ou un manque d’harmonisation?

La sénatrice Galvez : Absolument pas, parce que ces cadres ne reposent pas sur la même approche et ne visent pas le même objectif. Vous avez surtout parlé de divulgation. Comme je l’ai indiqué dans ma déclaration préliminaire, la divulgation consiste à évaluer, à quantifier, à déterminer et à rendre publics les risques, mais cela s’arrête là. Elle ne demande ou n’exige pas des banques qu’elles suppriment leurs émissions de gaz à effet de serre.

En fait, les références indiquent abondamment que même si les banques prennent des engagements intéressants en matière de carboneutralité pour 2050, elles fournissent rarement des détails sur la façon dont elles atteindront leurs objectifs. Peut-être voulez-vous compléter ma réponse.

Karine Péloffy, conseillère en affaires parlementaires et légales, bureau de l’honorable sénatrice Rosa Galvez, à titre personnel : Nous avons distribué notre livre blanc. Dans ce document, nous avons essayé de réunir les meilleures informations que nous pouvions trouver sur le sujet. De plus, vous trouverez un rapport de la Transition Pathway Initiative, qui a fait un examen sommaire de 26 banques mondiales et constaté que les divulgations étaient encore partielles et sélectives et que seulement 35 % de ces institutions avaient des cibles alignées sur le scénario de 1,5 degré. Il s’agit de banques mondiales.

Les banques canadiennes se classent mal par rapport à leurs pairs, figurant toutes dans le dernier tiers dans un rapport New Energy Outlook de Bloomberg en ce qui concerne le ratio entre les investissements dans les combustibles fossiles et les énergies renouvelables.

Nous savons qu’une banque canadienne est le premier bailleur de fonds mondial des combustibles fossiles. Nous avons peut-être plus de travail à faire que le reste du monde. Comme la sénatrice Galvez l’a souligné, notre approche est différente. Nous essayons de nous concentrer uniquement sur les informations utiles pour prendre des décisions pour l’humanité, et c’est que vous faites pour vous aligner sur le seul scénario où le climat reste suffisamment stable pour que les civilisations survivent.

Le sénateur Loffreda : Quelle est l’ampleur du risque financier lié au climat en raison des règles bancaires actuelles du Canada, qui ne tiennent pas compte de l’externalité aujourd’hui? Et sur quel genre d’approche le projet de loi S-243 repose-t-il pour aborder les risques financiers liés au climat?

La sénatrice Galvez : Les banques ont du mal à internaliser leurs externalités, des formes de pollution comme les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi des bassins de décantation et du méthane. Toute pollution est une externalité.

À l’heure actuelle, en recueillant partiellement les divulgations, nous sommes à l’échelle de la collecte de données. En ce qui concerne les risques liés au climat, le problème est que nous devons nous tourner vers l’avenir. Il n’existe pas de données antérieures qui nous permettent de prédire et de détecter une tendance nous indiquant exactement les risques auxquels nous sommes confrontés.

Il est intéressant de penser qu’il y a le risque physique et le risque de la transition; divers scénarios sont donc envisageables. Selon plusieurs organisations, compte tenu de ses contributions nationales déterminées et des politiques en vigueur aujourd’hui, le Canada se dirige actuellement vers un scénario de serre. Le risque est très élevé.

De nombreux facteurs ne sont pas pris en compte, particulièrement au chapitre du risque de la transition, conséquence du changement de technologie, de l’évolution du risque pour la réputation, de la modification de la réglementation et de la législation, et de la dévalorisation des actifs. Il est très difficile de modéliser l’ampleur du risque lié au climat, mais il fait déjà sentir ses effets, car chaque année, nous avons la certitude que des phénomènes météorologiques extrêmes détruiront les infrastructures avant la fin de leur vie.

La sénatrice Marshall : Je tiens à remercier tout particulièrement la sénatrice Galvez, ma collègue, ainsi que Mme Péloffy et M. Addas.

J’ai trouvé le projet de loi assez complexe. Ma première question est de nature très générale. J’aimerais savoir s’il y a eu un processus de consultation quelconque auprès des organisations qui seront touchées.

Mais avant que vous répondiez à cette question, je remarque, en parcourant le projet de loi, qu’il prévoit des délais pour les rapports, les lignes directrices et d’autres mesures. Comme vous le savez, sénatrice Galvez, je demande toujours au sénateur Gold quand je vais recevoir un rapport donné parce qu’il doit être présenté avant une certaine date. Et il semble que certains délais soient très serrés. Par exemple, il y en a un à la page 22 qui exige le dépôt du rapport 20 jours de séance après sa réception. Je sais que les Comptes publics du Canada n’ont jamais respecté ce délai de 20 jours. Un autre exige la préparation d’un rapport sur les engagements en matière d’alignement sur le climat 60 jours après la fin de l’exercice financier. Mais 60 jours, cela ne semble pas très long.

Pouvez-vous nous parler du processus de consultation et de la façon dont vous avez établi les délais prévus dans la loi?

La sénatrice Galvez : J’aborderai la question des délais, et demanderai à M. Addas d’expliquer le processus de consultation.

Comme vous le savez, le gouvernement tarde toujours à obtenir les rapports dont nous avons besoin. Vu l’urgence de la situation, nous avons estimé qu’il était important de lui imposer de cours délais pour qu’il sente vraiment la pression. Il s’agit toutefois de délais proposés, bien entendu. Si vous estimez qu’il y a quelque chose qui n’est absolument pas raisonnable, alors ce n’est pas réaliste. Sachez toutefois que ces rapports sont attendus de la part des entités. Ce n’est pas tant le gouvernement que les entités qui sont visés, c’est-à-dire les banques, les entreprises, les régimes de retraite et les compagnies d’assurances, qui sont très habitués de fournir ces rapports annuels et ces rapports.

La sénatrice Marshall : Il me semble qu’un certain nombre de délais sont irréalistes par rapport au rendement du gouvernement à ce jour. Étant donné qu’il y a des exigences législatives, je suis d’accord avec vous pour exercer des pressions sur lui, mais avec son rendement antérieur, je ne pense pas qu’il sera en mesure de respecter les délais.

Monsieur Addas, si vous parlez du processus de consultation, j’aimerais savoir ce que les organisations ont dit au sujet de la préparation des lignes directrices et des rapports, et si elles estiment qu’elles disposent de suffisamment de temps pour préparer des documents très exhaustifs.

Amr Addas, professeur et conseiller stratégique en matière de durabilité, Université Concordia : Je vous remercie, sénatrice Marshall, de votre question. Au début de l’année dernière, nous avons mené plusieurs séries de consultations auprès d’acteurs du secteur financier, de représentants de régimes de retraite, de gestionnaires d’actif de banques et d’universitaires. Je sais que la sénatrice Galvez a également consulté des organismes de réglementation ici au Canada et discuté avec la Banque du Canada.

Je ne crois pas que nous ayons abordé précisément la question des délais dans le cadre de ces consultations. Ces dernières ont surtout porté sur le contenu du projet de loi et la façon dont nous pouvons le rendre plus acceptable et plus digeste pour l’industrie de l’investissement.

La sénatrice Marshall : Y a-t-il eu des commentaires sur la complexité du projet de loi et des exigences qui y sont enchâssées?

M. Addas : Il y a en eu, bien sûr, mais la nature de la tâche à accomplir exige de la complexité. La lutte contre les changements climatiques est une approche qui fait intervenir l’ensemble de l’économie et qui exige que nous nous attaquions au problème. Cela ne peut pas se faire de façon très simple.

La sénatrice Marshall : Il semble juste que si les sociétés disposent de six mois pour présenter leurs états financiers vérifiés, mais de deux mois pour déposer les rapports prévus dans cette mesure législative, cela pourrait être difficile.

La sénatrice Petten : Lorsque j’ai examiné le projet de loi, je n’y ai vu nulle mention des feux de forêt. S’agit-il d’un oubli? Y a-t-il une raison pour laquelle il n’en est pas question dans votre disposition?

La sénatrice Galvez : Je ne sais par où commencer pour vous expliquer le problème. En fait, il semble qu’il y a des feux de forêt depuis de nombreuses années. Le nombre reste le même, mais ce qui a changé au cours des dernières années, ce n’est pas seulement l’ampleur de la superficie brûlée, mais aussi l’intensité et les températures que les feux atteignent.

Pour tout vous dire, ma fille travaille pour la Société de protection des forêts contre le feu, ou SOPFEU, et elle m’a expliqué que les niveaux d’intensité des incendies depuis l’an dernier passent directement à la catégorie 5. Dans cette catégorie, les pompiers ne cherchent même pas à arrêter le feu. Ils se concentrent seulement sur l’évacuation.

Il s’agit certainement d’un autre risque lié au climat qui s’aggrave très rapidement. Cela vient confirmer le fait que les changements climatiques s’accélèrent et que des facteurs aggravants ne sont pas pris en compte dans les modèles normaux et traditionnels.

La sénatrice Petten : Il s’agit donc d’une omission intentionnelle?

Mme Péloffy : Oui. Dans le livre blanc, nous parlons beaucoup des feux de forêt qui se sont produits cette année. C’est certainement l’un des principaux risques physiques que nous cherchons à éviter en exigeant une action rapide et ambitieuse. Nous en tenons compte, je l’espère, dans la définition des engagements climatiques. Dans le projet de loi S-243, l’alinéa e) sur les définitions des engagements climatiques indique ce qui suit :

[...] l’accroissement de la capacité d’adaptation et de réduction de la vulnérabilité aux effets actuels et anticipés des changements climatiques [...]

Nous voulons absolument inclure l’adaptation dans ce qui doit être dans l’esprit des institutions financières et des entités déclarantes lorsqu’elles élaborent des plans.

[Français]

Le sénateur Gignac : Je veux féliciter ma collègue la sénatrice Galvez de son implication et de son leadership dans la lutte contre les changements climatiques.

Je veux poursuivre dans la même veine que mon collègue le sénateur Loffreda sur le Bureau du surintendant des institutions financières. On sait qu’il y avait des lignes directrices qui avaient été émises au mois de mars dernier. J’ai entendu votre réponse. Votre projet de loi va s’appliquer uniquement aux institutions financières canadiennes; c’est normal. Ne croyez-vous pas qu’on ne s’attaque pas nécessairement à la bonne source?

Je m’explique. Les institutions financières sont des intermédiaires financiers. À ce titre, si on impose des contraintes trop importantes aux banques avec des plafonnements, les entreprises de pétrole et de gaz combustibles fossiles au Canada finiront par se financer auprès des grandes firmes de Wall Street, dont J.P. Morgan. Finalement, on n’obtiendra pas nécessairement le résultat souhaité s’il n’y a pas une convergence, une harmonisation entre les grands pays industrialisés et ces intermédiaires financiers.

Nos transactions financières ne sont pas assujetties à la TPS, et il y a une bonne raison à cela. Est-ce que ce sont des intermédiaires? Je comprends l’objectif, mais le Bureau du surintendant des institutions financières est déjà impliqué sur le plan de la mesure des risques. Ne croyez-vous pas qu’il y a un danger que tout cela déplace le financement vers les banques de Wall Street?

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup pour la question. C’est très intéressant. J’ai des nuances à faire quant aux hypothèses que vous avez énoncées.

L’une de nos consultations nous a permis de parler avec des banques centrales ailleurs en Europe et aussi de parler avec des parlementaires aux États-Unis, notamment ceux qui ont été responsables de l’Inflation Reduction Act et de la Jumpstart Our Business Startups Act. Nous nous sommes également entretenus avec la Banque interaméricaine de développement, la Banque asiatique de développement ou le Fonds monétaire international, et toutes ces banques s’alignent vers l’Accord de Paris, afin de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C d’ici 2050.

Vous dites que les pétrolières canadiennes iront chercher de l’argent. Je peux vous montrer un enregistrement de suivi des exclusions, qui est une initiative mondiale énumérant les compagnies qui ne pourront plus aller chercher du financement auprès des mêmes grandes banques que vous avez mentionnées. Je ne voudrais pas les nommer, mais quatre de nos pétrolières se trouvent dans cette liste. Quelles sont les préoccupations? Ce sont notamment des activités contre les changements climatiques, contre les droits de la personne, pour la promotion du cyberterrorisme, etc. Il y a des organisations mondiales qui ont permis de faire une liste des entreprises à risque.

Le sénateur Gignac : D’entrée de jeu, vous avez dit dans vos propos d’ouverture que c’est sûr que les banques canadiennes sont, toutes proportions gardées, beaucoup plus impliquées dans le financement des entreprises ou dans l’industrie des combustibles fossiles. Les banques canadiennes sont un reflet de l’économie canadienne. Le Canada est un exportateur de ressources naturelles. Ne croyez-vous pas que c’est un peu rapide d’exiger qu’on mette cela en vigueur au bout d’un an? On parle aussi des émissions des cimenteries, de la sidérurgie, etc. Un an, c’est très rapide pour s’adapter. Y a-t-il de la flexibilité de votre côté pour ce qui est d’avoir un étalement plus important?

La sénatrice Galvez : Absolument.

[Traduction]

M. Addas : Je vous remercie. Je formulerai rapidement quelques observations, car je sais que nous avons peu de temps. L’Autorité bancaire européenne a recommandé que les banques européennes imposent des frais d’intérêt pour les prêts consentis aux secteurs à forte émission de carbone. Ce sont 43 billions de dollars en capitaux qui sont engagés pour se débarrasser des combustibles fossiles. On estime à 100 milliards de dollars les actifs dévalorisés d’ici 2026 pour les banques canadiennes qui prêtent aux grands émetteurs de carbone. Au bout du compte, cela devient un risque pour le secteur bancaire et peut-être aussi pour les contribuables.

Le sénateur C. Deacon : Je remercie la sénatrice Galvez et son équipe d’être ici.

Je veux parler de la partie 3, qui porte sur la suffisance du capital. Cela fait suite à ce que vous disiez.

Il y a plusieurs années, le Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF, a réalisé un projet avec la Banque du Canada, je pense, qui a permis de réaliser qu’il est beaucoup plus dommageable et coûteux pour l’économie d’agir lentement que d’agir promptement. Je m’aligne entièrement sur votre objectif ici, et je pense que le BSIF en fait autant.

Je voulais me concentrer sur la seule chose qui figurait dans l’Énoncé économique de l’automne au sujet de l’amélioration de la reddition de comptes. Je crois que c’est dans la section intitulée « Agir pour la finance durable ». Vous et moi avons souligné la complexité du projet de loi. Or, j’ai trouvé très difficile de vendre une idée qui était bien plus simple : cela m’a pris quatre ans dans le système bancaire ouvert.

Je me demande dans quelle mesure les mêmes principes pourraient être appliqués au BSIF. Il s’efforce de quantifier le risque, mais il a besoin des données détaillées de chacun de ses clients sur chacun de leurs risques pour commencer à gérer l’affaire à un niveau supérieur.

Il y a des défis à relever dans ce domaine. Nous sommes sur la bonne voie, et nous devons accélérer la cadence. Il ne faut pas éloigner les investisseurs potentiels de ce marché. Si vous devez affecter davantage de capitaux à un actif, car il n’est pas assez productif, vous allez probablement devoir vous tourner vers des actifs plus productifs, n’est-ce pas?

Je suis tout à fait d’accord avec cet objectif, mais nous ne disposons pas encore de toutes les données suffisantes. Ne devrions-nous pas concentrer toute notre attention et nos efforts sur un objectif atteignable et qui figure dans l’Énoncé économique de l’automne? Mais nous sommes conscients de la lenteur du processus nécessaire à l’obtention de meilleurs renseignements par les responsables de la réglementation.

La sénatrice Galvez : Nous allons parler de la ligne directrice B-15 du Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF, sur la gestion des risques climatiques, ainsi que de taxonomie. Madame Péloffy, à vous la parole, je vous en prie.

Mme Péloffy : Il est bon de voir le BSIF s’être engagé sur cette voie en 2023. Je tiens d’ailleurs à souligner que le Commissaire à l’environnement et au développement durable a déclaré qu’on n’en faisait pas assez. Le BSIF ne se sert pas des exigences en matière de capital, et ne fait rien pour faciliter la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, ce qui est la principale proposition de notre projet de loi. En effet, la logique qui sous-tend le projet de loi S-243 est que la manière la plus simple de minimiser le risque que les changements climatiques posent au système financier est de minimiser le risque que le système financier pose au climat. Tel est notre postulat principal.

Nous avons envisagé la possibilité de réduire les exigences en matière de capital pour les technologies vertes, mais les entreprises de ce type sont elles aussi à risque de se trouver en défaut de paiement. À mon avis, le plus important est d’augmenter le risque de capital pour les technologies que nous savons avec certitude être dangereuses, et de rediriger les flux de capitaux vers des technologies moins risquées.

Le sénateur C. Deacon : Le problème, c’est que les données sous-jacentes ne sont toujours pas disponibles de façon systémique pour l’ensemble des clients des banques. N’y a-t-il pas un moyen plus rapide pour nous de nous assurer que ce type de données existent, et de renforcer la ligne directrice B-15 du BSIF?

Je tiens simplement à m’assurer que nous consacrons nos énergies au bon endroit.

M. Addas : La ligne directrice B-15 du BSIF a fait ses preuves, et je pense qu’il existe un consensus au sein de l’industrie pour dire qu’il s’agit d’un pas en avant très encourageant.

L’échéancier de la ligne directrice B-15 prévoit que le champ d’application 3 soit retardé d’un an par rapport à tous les autres champs d’application. Nous épuisons rapidement le budget carbone au Canada, mais également à l’échelle mondiale. Les lignes directrices du BSIF indiquent qu’il faudra cinq ans pour obtenir les données mesurables qui nous permettront de prendre des mesures en conséquence, mais ces délais pourraient être réduits.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Bonjour et merci d’être ici. Je vous félicite pour cet effort. Je trouve cela complexe moi aussi. Pour nous permettre de comprendre un peu mieux, projetons-nous dans l’avenir et disons que votre projet de loi est adopté. Qu’est-ce qui se passe demain matin? Qui prend le contrôle de ce projet de loi? Comment la réalisation de ce projet de loi se passera-t-elle?

La sénatrice Galvez : Je vais demander à ma collègue de répondre.

Mme Péloffy : Il faut rêver grand! Demain matin, il ne se passe rien, car on a retardé d’un an la mise en œuvre pour donner à tout le monde le temps de s’organiser. On espère, pendant ce temps, que le ministre de l’Environnement, avec les conseils du Groupe consultatif pour la carboneutralité (GCPC), préparera des outils pour aider tout le monde à se conformer aux exigences de divulgation. On espère qu’ils prendront une ordonnance pour définir les émissions négligeables pour exempter toute une gamme de petites entreprises, afin que ce ne soit pas trop difficile pour elles de se conformer à cette loi.

Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) va travailler sur de nouvelles lignes directrices sur les exigences de fonds propres; il exige déjà des plans de transition, mais les exigences seront dorénavant un peu plus rigoureuses. On va leur accorder un peu plus de temps pour établir des lignes directrices sur la suffisance du capital, car on reconnaît que c’est un sujet compliqué. Sinon, le reste du monde a un an pour s’organiser, afin que la bureaucratie devienne plus efficace pour faire face à l’urgence climatique.

La sénatrice Bellemare : Quelles sont les « dents » dans cette loi, si quelqu’un ne s’y conforme pas?

La sénatrice Galvez : Nous sommes des sénateurs. Nous devons être très créatifs. On n’a ni carotte ni bâton à offrir. Par contre, en bonifiant la boîte à outils du BSIF, celui-ci pourra imposer des sanctions ou des pénalités. À un moment donné, il y aura une discussion avec le gouvernement; il pourrait abandonner la taxonomie, qui est différente dans notre projet de loi. Dans la taxonomie, il y a des gagnants et des perdants; notre projet de loi est agnostique. Si vous prouvez que vous êtes dans la bonne direction, c’est très bien, mais la taxonomie peut amener à dire : « Voilà des projets très verts. » Il y aura des carottes pour eux, mais il s’agit de transitions.

La sénatrice Bellemare : Je suis sympathique aux objectifs du projet de loi, mais je ne suis pas certaine que sa place est au Sénat. Je trouve que ce genre de projet de loi s’inscrit beaucoup plus dans l’exécutif, les gouvernements, la bureaucratie. Même s’il n’y a pas de coûts rattachés à tout cela, ce n’est pas un projet de loi essentiellement législatif. Il y a un lien très fort avec l’exécution, avec l’exécutif. Mon questionnement est lié à cela. Avez-vous approché un ministre? Ce serait le gouvernement qui aurait…

La sénatrice Galvez : C’est très intéressant comme question. Justement, les arguments que j’ai entendus disaient qu’il faut quelqu’un de neutre et indépendant qui peut imposer des règles justes, qui permettent de choisir un projet en se basant sur la transparence, la clarté et l’absence de conflit d’intérêts. C’est tout à fait l’opposé de ce qu’un gouvernement fait normalement en choisissant des gagnants et des perdants, comme on vient d’en discuter au sujet de n’importe quel projet approuvé dans telle ou telle province.

Nous tentons d’être les plus neutres possibles. Nous souhaitons être un guide pour expliquer le processus, la science à jour et les avancements technologiques qui sont à échelle et qui fonctionnent aujourd’hui, et aussi pour créer un plan afin de faire rapport sur les progrès que nous faisons en matière de diminution des gaz à effet de serre — pas seulement sur les diagnostics sur les risques, mais aussi sur les progrès —, pour déterminer à quel point on a progressé par rapport à l’année précédente quant aux émissions.

La sénatrice Miville-Dechêne : Bienvenue, sénatrice Galvez. Merci pour votre ambition. Je regardais l’alinéa 6(3)b); selon ce que je comprends, les plans d’alignement climatique ne peuvent pas s’appuyer sur des innovations technologiques futures ou sur des systèmes de capture de stockage de carbone.

Or, il me semble que ces innovations technologiques, et la capture du carbone en particulier, sont au cœur des stratégies de réduction des GES de l’industrie pétrolière du Canada.

Donc, est-ce réaliste? Est-ce que cela veut dire que puisque toutes les compagnies pétrolières font de la capture de carbone, cela ne doit pas être considéré? Pourquoi faut-il exclure spécifiquement ces améliorations technologiques dans les investissements futurs?

La sénatrice Galvez : C’est ce qui fonctionne aujourd’hui, et cela peut continuer à fonctionner; on n’a rien contre cela. Si cela fonctionne, c’est excellent et on l’appuie. Là où nous avons un problème, c’est dans les promesses de technologies beaucoup plus avancées qui sont dans les laboratoires, qui sont à petite échelle et qui ont encore besoin de beaucoup de temps pour être développées. Pourquoi? À cause de l’urgence de diminuer nos émissions. Il y a plusieurs projets dont on entend parler. En tant qu’ingénieure et scientifique, je regarde tout cela, et il y a beaucoup d’idées. Par contre, certaines sont trop chères et cela pourrait prendre 20 ou 30 ans avant que le prix diminue.

Il y a aussi le problème de la législation : on mentionne qu’on peut les utiliser, mais si cela ne fonctionne pas, il y a un problème de responsabilité. Il y a également la question du carbone : on le récupère, mais après, il faut le transporter quelque part. Donc, il faut des infrastructures. Qui va payer pour ces nouveaux pipelines? Où le carbone sera-t-il envoyé? Est-ce que ce sera sur des terres appartenant à des peuples autochtones? Devra-t-on demander la permission? Il faudra transporter le carbone. Il y a beaucoup d’incertitude. On veut travailler sur ce qui est réel, sur ce qui existe, sur ce qui a prouvé être efficace.

Mme Péloffy : J’aimerais ajouter quelque chose. On ne peut pas se fier à des promesses futures pour maintenir ou accroître des activités pétrolières et gazières, mais c’est permis pour tous les autres secteurs. On reconnaît que les cimenteries ont de la difficulté et qu’il y a des secteurs industriels où c’est très difficile de décarboner. Pour eux, la capture du carbone demeure possible pour s’aligner avec les objectifs de réduction, mais on demande qu’ils démontrent qu’ils déploient des énergies afin qu’elles deviennent une réalité. Ce que l’on voit beaucoup en ce moment, ce sont des promesses en l’air selon lesquelles certaines technologies existeront un jour et qu’ils peuvent donc continuer d’émettre du carbone aujourd’hui. C’est très dangereux de procéder ainsi.

La sénatrice Miville-Dechêne : Comment vérifier tout cela? Je vous écoute, et c’est assez complexe. Qui peut vérifier que ce sont effectivement les bonnes technologies, celles qui sont efficaces et qui ont fait leurs preuves, qui sont utilisées dans les investissements? On est rendu à un certain niveau, considérant tous les outils qui sont à notre disposition en général.

La sénatrice Galvez : C’est pour cela que le rapport sur les progrès de la réduction est très important; c’est la réalité. Ce qui compte, c’est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. S’il n’y a pas de réduction, cela veut dire que la technologie utilisée n’est pas efficace ou n’est pas à point. D’un autre côté, il y a aujourd’hui beaucoup d’organisations dont le travail est justement de vérifier ces détails.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Martin : Madame Galvez, je ne suis pas une experte dans ce domaine, mais je suis d’accord avec plusieurs de mes collègues par rapport à la complexité de ce projet de loi.

Vous avez dit que la mise en place de ce projet de loi pourrait s’échelonner sur environ un an. Quel est le coût estimé par le gouvernement fédéral?

La sénatrice Galvez : Ce que l’on nous a dit, c’est que les mesures que nous demandons de la part des différents ordres de gouvernement relèvent déjà de leur mandat, notamment en ce qui concerne le BSIF. Il y a peut-être des coûts associés à ce genre de mesures, mais c’est dans le cadre de leur mandat.

Les organisations qui devront déposer ce rapport sont déjà habituées à présenter des rapports annuels à leurs actionnaires, et devront se conformer à la ligne directrice B-15 du BSIF, qui porte sur la divulgation des risques. De grands projets d’infrastructure ont déjà commencé à être lancés.

Comme l’a mentionné Mme Péloffy, le gouvernement fédéral s’appuie sur le Groupe consultatif pour la carboneutralité, qui a pour mandat d’élaborer des lignes directrices dans le but d’aider les industries à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Je tiens également à aborder la notion de complexité. Les sénateurs et les sénatrices devraient être fiers d’avoir un projet de loi complexe sous la main, car l’une de nos tâches consiste à aborder certains sujets que l’autre Chambre n’a pas l’occasion d’étudier en détail. Ici, au Sénat, nous avons le devoir de procéder à un second examen objectif, ce qui implique de plonger dans les détails d’enjeux très complexes. La complexité n’est pas une mauvaise chose en soi, et devrait être considérée comme une incitation à mener des débats de fond sur des sujets particulièrement importants.

La sénatrice Martin : En fait, je ne dis pas que la complexité est problématique. Il s’agit plutôt d’être en mesure d’évaluer les coûts liés à la mise en place d’un tel projet de loi. Comme vous le savez, un projet de loi émanant du Sénat a rarement l’impact d’un projet de loi adopté à l’autre Chambre. Je me demandais si le projet de loi nécessite une recommandation royale, et si c’est une question à laquelle vous avez réfléchi en profondeur.

La sénatrice Galvez : En effet, je peux vous confirmer que nous nous sommes déjà posé toutes ces questions.

Mme Péloffy : Je suis avocate de profession, et je me retrouve ici parce que j’ai été la personne chanceuse qui a suivi les conseils de la légiste parlementaire. Je sais que les projets de loi émanant du Sénat ne doivent normalement pas entraîner de coûts directs pour l’État, mais on nous a dit qu’il serait possible de dégager une certaine marge de manœuvre. Nous demandons au BSIF d’utiliser ses prérogatives pour faire en sorte d’éviter d’engager des coûts directs pour l’État.

Permettez-moi d’aborder la question autrement. Si nous ne faisons rien en matière de réduction des émissions de GES, quels seront les coûts à long terme pour l’État? De fait, je rappelle que plusieurs experts estiment que si nous ne faisons rien, le coût pour l’économie canadienne pourrait s’élever à 5,5 billions de dollars d’ici la fin du siècle. Tous les autres coûts de conformité paraissent donc dérisoires par rapport à cela.

La sénatrice Martin : En ce qui concerne les entités déclarantes aux termes du projet de loi, quels sont les types de défis que les entreprises, et particulièrement les petites entreprises, devront relever pour se conformer à la réglementation?

M. Addas : J’aimerais tout d’abord revenir sur les propos de Mme Péloffy concernant le coût de l’inaction. C’est une étude menée par l’Institute for Sustainable Finance de l’Université Queen’s qui a estimé à 5,5 billions de dollars le coût de l’inaction pour l’économie canadienne d’ici la fin du siècle.

Pour ce qui est des petites entreprises, comme vous l’avez mentionné, les changements climatiques vont avoir des répercussions sur l’ensemble des secteurs de l’économie. Chaque entreprise doit donc réfléchir à la gestion des risques liés aux changements climatiques.

Je tiens toutefois à souligner que les changements climatiques ne sont pas uniquement synonymes de risques et de problèmes, et que nous avons l’opportunité incroyable de faire la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

La sénatrice Martin : Pour ma part, je m’inquiète pour toutes ces petites entreprises qui sont déjà à bout de ressources, et qui doivent composer avec de nombreuses exigences émanant de tous les ordres de gouvernement. Quels types de défis attendent les petites entreprises qui devront respecter toutes ces exigences?

La sénatrice Galvez : Les entités se divisent entre les producteurs d’émissions négligeables et les producteurs d’émissions non négligeables. C’est le gouvernement qui tranchera. Si leurs émissions sont négligeables, les entités n’auront pas à produire de rapports.

Le sénateur Yussuff : C’est bon de vous voir sur la sellette. Je vous remercie de tout le travail que vous accomplissez et surtout, de votre travail sur le climat en général. Je suis aussi d’accord avec mes collègues. En lisant le projet de loi, on comprend mieux ces enjeux, dans lesquels j’essaie de me démêler, qu’on parle du Groupe consultatif pour la carboneutralité ou de la transition du charbon à l’électricité. Ces enjeux sont complexes, mais bien franchement, ils exigent des solutions.

Ce projet de loi contient des éléments très importants pour déterminer comment nous pouvons atteindre nos objectifs liés aux changements climatiques d’ici 2030 et 2050, parce qu’il s’agit de deux cibles, pas seulement d’une seule.

Le Bureau du surintendant des institutions financières, dans le contexte de la réglementation des banques, joue un rôle important. Il faut reconnaître que ces gens prennent des mesures. Ils ne restent pas là à ne rien faire, les bras croisés. On peut tout de même se demander s’ils pourraient agir plus vite. Avant tout, il convient de savoir ce qu’ils doivent faire.

Cependant, compte tenu des objectifs du projet de loi, il importe de souligner qu’il a des incidences différentes selon les régions économiques du Canada. Le secteur du pétrole et du gaz sera durement touché par ce projet de loi, parce que c’est important de reconnaître que c’est la réalité dans l’Ouest canadien. Des emplois sont en jeu, et nous pourrions débattre de la transition qui doit s’opérer.

Étant donné qu’il n’y a pas d’étude d’impact sur ce secteur de l’économie, pensez-vous que nous devrions au moins en comprendre les incidences, parce que les travailleurs, les économies provinciales et l’assiette fiscale seront touchés dans une large mesure?

Comment peut-on mesurer ces facteurs, parce que bien des entités veulent le savoir? Le dernier point dont je veux parler me préoccupe beaucoup, et c’est les régimes de pensions. Nous devons examiner certaines exigences ici. Chaque régime de pensions s’accompagne d’une supervision et de directives de gestion différentes. Vous faites des observations très importantes sur ce que les régimes de pensions pourraient ou devraient faire, en premier lieu le Régime de pensions du Canada. Comment peut-on faire, étant donné que ces régimes ont déjà leurs propres mécanismes de supervision et que leurs responsables tentent déjà de comprendre les enjeux qui les touchent sans pouvoir compter sur quelque orientation que ce soit, contrairement à ce que prévoit ce projet de loi?

La sénatrice Galvez : Je vais commencer par les régimes de pensions, et je laisserai mes collègues répondre à votre première question. C’est une question intéressante, car les gestionnaires des régimes de pensions m’ont parlé de la ventilation de leurs investissements au Canada et à l’étranger. C’est très intéressant de voir qu’ils investissent en Chine et ailleurs dans le monde. Nos régimes possèdent des autoroutes au Mexique et ont des bureaux partout dans le monde. Or, ici au Canada, les investissements ne sont pas diversifiés. On parle surtout de pétrole et de gaz. Quand on demande pourquoi à ces gestionnaires, ils parlent d’un manque de réglementation, de clarté et de signaux quant à la direction que prend l’économie canadienne. C’est ce qu’ils m’ont dit. Je ne nommerai personne, mais la question est intéressante.

C’est très rare de voir les dirigeants d’un secteur demander des directives et des règlements, mais c’est le cas ici. Ils veulent savoir quelle direction veut prendre le Canada, parce qu’ils sentent déjà la pression qui vient de nos partenaires commerciaux : les États-Unis, l’Europe et même la Chine. L’incertitude constitue un élément important que nous devons changer pour les régimes de pensions.

Par ailleurs, les régimes de pensions s’appuient sur une vision à long terme, parce que les travailleurs toucheront leur pension dans 30 ans. Ainsi, il faut les mettre en priorité plutôt que les revenus que l’on peut faire à court terme. Leurs dirigeants disent qu’ils auraient ce potentiel, en effet, mais qu’ils ne peuvent pas se diversifier à cause de toutes les incertitudes qui existent.

M. Addas : Très brièvement, une étude de Clean Energy Canada montre que l’on pourrait créer 2,2 millions d’emplois durables au pays grâce au secteur de l’énergie propre. C’est aussi important de souligner le coût de l’inaction. Plus nous attendons avant de relever ces défis, plus élevés seront les coûts liés aux divers aspects de l’inaction dans toutes les régions du pays. Nous devrions donc nous concentrer sur l’occasion qui s’offre à nous.

La présidente : Avant d’entamer notre deuxième série de questions, je tiens à dire que j’écoute les commentaires, et vous avez mentionné des chiffres sur le coût de l’inaction ou sur ce que vous croyez qu’il en sera. Toutefois, concernant ce qu’ont dit les sénateurs Yussuff et Bellemare, nous avons besoin de chiffres sur l’incidence de telles mesures aussi. Nous avons surtout besoin d’en connaître l’incidence sur les régions. Cela m’a un peu dérangée dans votre exposé quand vous avez dit que l’action climatique prime la crise de l’abordabilité et que ce projet de loi doit avoir préséance sur l’intérêt économique et public. Nous avons le devoir de nous assurer que les projets de loi servent l’intérêt des Canadiens. Nous travaillons au service de la population. Je suggère simplement que vous y réfléchissiez.

Le sénateur Loffreda : Sénatrice Galvez, je vous remercie, vous ainsi que votre équipe, de votre présence ici et de votre travail. Nous sommes tous préoccupés par les changements climatiques. Vous avez parlé à quelques reprises du coût de l’inaction, mais je tiens à dire quelque chose d’important. Les banques canadiennes comptent parmi les meilleurs gestionnaires de risques au monde. Ce n’est plus à démontrer. Les dirigeants des banques canadiennes prennent leur rôle très au sérieux dans la lutte contre les changements climatiques. Ils travaillent avec les organismes de réglementation et le gouvernement fédéral et participent aux initiatives mondiales liées au risque climatique. Vous avez parlé d’indépendance, mais la Banque du Canada est indépendante et le Bureau du surintendant des institutions financières aussi. Bon nombre d’institutions et d’organismes de réglementation dans le monde sont indépendants. Nous ne sommes pas les seuls à compter sur des organismes indépendants. Ma question porte sur le fait que nous sommes déjà en voie d’atteindre les objectifs énoncés dans ce projet de loi par d’autres moyens. Je peux vous en fournir une liste, et vous savez que nous en avons déjà discuté personnellement. J’en ai discuté avec les représentants des banques et comme vous le savez, j’ai passé ma carrière dans le secteur bancaire.

N’estimez-vous pas qu’une harmonisation est nécessaire pour garantir que toutes les institutions financières dans le monde respectent les mêmes normes? Ne pensez-vous pas que le fait de donner des orientations supplémentaires serait inutile et que cela pourrait mener à une fragmentation et à des conséquences inattendues? Je pense que la présidente va m’arrêter si je commence à parler de ces conséquences, alors je vais m’en abstenir. Je vais aller plus loin. Le projet de loi pourrait nuire à certaines régions du Canada. Il pourrait toucher bien des Canadiens de façon immédiate et radicale, et nous sommes ici pour représenter tous les Canadiens, pas seulement ceux qui résident dans notre région. Je vais terminer en disant ceci : l’Accord de Paris favorise aussi une transition juste. Je crois aux changements climatiques — comme vous le savez — depuis le tout début. Voilà donc la question que je vous pose.

M. Addas : Je pense qu’il est très important de viser une transition juste, en effet. Il faut préparer notre économie pour le XXIe siècle, au lieu de nous concentrer sur ce qui a fonctionné au cours des dizaines d’années précédentes. Diverses institutions ont produit des études où on conclut que les banques canadiennes sont mal en point et qu’elles sont surexposées au risque. Je répète que l’on parle d’un potentiel de 100 milliards de dollars...

Le sénateur Loffreda : Où sont les preuves? Les banques canadiennes comptent parmi les meilleurs gestionnaires de risques au monde. Qui sommes-nous pour leur dire comment gérer le risque?

M. Addas : Ces gestionnaires faisaient partie des meilleurs dans le monde pour les enjeux et les défis auxquels ils étaient confrontés par le passé. Cependant, les changements climatiques ne se sont pas encore manifestés, donc personne n’en a encore vraiment ressenti les conséquences. Seules des projections futures pourront nous renseigner sur leurs conséquences économiques.

Le sénateur Loffreda : Les banques ont produit nombre de rapports sur les changements climatiques et leur façon de gérer le risque; je peux vous les fournir. Les dirigeants des banques font des pieds et des mains pour gérer le risque.

La sénatrice Petten : Voici ma question : à quel point les pratiques de prêt et de reddition de comptes des banques vont-elles dans le sens de votre projet de loi ou à l’encontre? Pourriez-vous en parler un peu?

M. Addas : Il n’y a bien sûr aucune obligation de divulgation à l’heure actuelle, mis à part les dispositions qui entreront en vigueur pour le Bureau du surintendant des institutions financières. Comme je l’ai mentionné, il faudra un certain temps avant que tous les éléments prévus ne soient divulgués. Donc les banques font actuellement rapport sur une partie de leur exposition au risque. Or, la grande difficulté à laquelle elles font face — et je comprends que cela ne soit pas facile —, ce sont les émissions relevant du champ d’application 3, qui au final sont celles qui comptent pour les banques. Ce ne sont pas leurs émissions directes ou leurs émissions relevant du champ d’application 2, mais les émissions de carbone associées aux flux d’argent. Je pense que c’est le principal défi pour lequel les banques n’ont pas de réponse présentement.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie de votre travail. Je m’intéresse à la partie 4, aux nominations, aux conflits d’intérêts et aux obligations. Je pense qu’en ce qui a trait aux nominations, la gouvernance est la clé. On ne peut pas tout savoir. Il importe de nommer des gens compétents qui possèdent une expertise dans le domaine climatique et qui vont prendre les mesures nécessaires... J’aime bien cette partie.

Selon vous, comment les institutions financières, les entités réglementées, vont-elles s’acquitter de leurs obligations? Nous l’avons vu concernant les conseils d’administration qui devaient afficher une meilleure diversité. C’est une pratique que nous avons commencé à adopter pour avoir une meilleure gouvernance. Veuillez simplement expliquer un peu plus comment vous voyez les banques s’acquitter de leurs obligations, pour étayer la description faite ici.

La sénatrice Galvez : Durant nos consultations, certaines informations nous ont étonnés. Pensez au fait que l’on peut rassembler 500 personnes dans une salle, des membres des conseils d’administration de banques, de régimes de pensions et de sociétés pétrolières. Pour être honnête, je ne le savais pas.

Depuis, nous avons pris connaissance de plusieurs rapports qui présentent la situation sous forme de statistiques. Vous avez bien raison de dire que la gouvernance est très importante. Cela explique parfois pourquoi les choses n’avancent pas. Nous allons prendre le temps nécessaire. Le projet de loi n’entrera pas en vigueur tout de suite.

Pour ce qui est des conflits d’intérêts, c’est une question d’expertise. Bien sûr que j’ai parlé avec les dirigeants de banques, qui sont des experts en gestion de risques. Néanmoins, la grande question est la suivante : si vous étiez les moins bien placés pour prédire les crises, que s’est-il produit en 2008? Pourquoi n’aviez-vous pas prédit ce qui allait se passer? Nous pourrions retourner en arrière et examiner ce qui s’est passé.

Le sénateur C. Deacon : Avez-vous vu d’autres régions du monde adopter ce genre de pratiques?

La sénatrice Galvez : Oui.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je veux vous entendre brièvement à propos des conflits d’intérêts. Dans votre projet de loi, pourquoi avez-vous cru essentiel de parler des conseils d’administration et des risques de conflit d’intérêts qu’il faut faire cesser?

La sénatrice Galvez : Quand on va ailleurs, dans d’autres juridictions, on voit très clairement qu’au Canada, la question du lobbying de l’industrie pétrolière est beaucoup plus grande que l’effet qu’elle produit dans l’économie. On parle de 4 % de notre PIB, mais l’influence que cela exerce sur l’ensemble est démesurée. Quand on y regarde de plus près, on se rend compte qu’il y a des personnes qui siègent à la direction et qui siègent en même temps à une autre direction. Comment se diviser, comment porter des chapeaux différents lorsqu’on siège au conseil d’administration d’une compagnie pétrolière, d’une banque et d’un fonds de pension?

La sénatrice Miville-Dechêne : Cela existe?

La sénatrice Galvez : Bien sûr. On a beaucoup écrit à ce sujet dans notre livre blanc; on a inclus les références, c’est très connu.

La sénatrice Bellemare : Quels sont les pays qui ont adopté ces pratiques? Vous avez dit qu’il y en avait. Avez-vous des preuves que c’est efficace par rapport à d’autres stratégies alternatives?

La sénatrice Galvez : Par exemple, nous pouvons déjà regarder Desjardins, qui est assez avancé sur la question de s’aligner sur l’Accord de Paris. Nous avons beaucoup d’exemples en Europe; il y a certains pays qui le font individuellement, mais il y a aussi l’Union européenne.

La sénatrice Bellemare : Quels pays? Y a-t-il des stratégies nationales?

La sénatrice Galvez : Par exemple, l’Angleterre a changé le mandat de la Banque d’Angleterre pour tenir compte des préoccupations climatiques.

La sénatrice Bellemare : Ont-ils un système de rapports, comme le prévoit...

La sénatrice Galvez : Bien sûr que non. Nous avons pris les meilleures pratiques parmi tout ce qu’on a vu et on a fait nôtres des idées que nous avons empruntées auprès de différents pays en Europe et aux États-Unis. Si vous regardez la législation en Californie, il y a...

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Très brièvement, le Bureau du surintendant des institutions financières, soit le BSIF, encore une fois, est l’organisme de réglementation compétent. Avec un certain cran, il a pris des mesures dans le sens de ce que vous décrivez, en disant que nous devons mieux surveiller et contrôler les banques. Devrait-il aller de l’avant avec un règlement ou des recommandations supplémentaires? De quelle façon pensez-vous que cela se répercutera sur notre projet de loi? Où devrions-nous concentrer nos efforts?

La présidente : C’est très compliqué.

La sénatrice Galvez : Il y a une véritable course pour parvenir à la carboneutralité. Nous voulons être les premiers. Ils ont le temps et les outils pour y arriver. S’ils ne le font pas, c’est nous qui le ferons.

Le sénateur Yussuff : Merci.

La présidente : Sénatrice Galvez, monsieur Addas et madame Péloffy, merci beaucoup de votre présence ici aujourd’hui.

Honorables sénateurs, pour la deuxième heure, nous avons le plaisir d’accueillir, de l’Association des banquiers canadiens, Darren Hannah, vice-président principal, Stabilité financière et politiques bancaires, et Bryan Radeczy, directeur, Stabilité financière.

Je vous remercie tous deux de vous joindre à nous. Vous avez entendu les témoignages précédents. Nous allons entendre votre déclaration préliminaire, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

Darren Hannah, vice-président principal, Stabilité financière et politiques bancaires, Association des banquiers canadiens : Au nom de l’Association des banquiers canadiens, je vous remercie de cette invitation à comparaître devant vous cet après-midi pour prendre part à l’examen du projet de loi S-243.

Les changements climatiques représentent un problème grave de notre époque, que les banques au Canada veulent contribuer à résoudre. Les banques sont conscientes de l’importance du secteur financier dans la transition harmonieuse vers une économie carboneutre et, parallèlement, dans le maintien de la résilience du système financier canadien. Les banques au Canada se sont dotées de plans d’action climatiques assortis d’objectifs ambitieux pour répondre aux objectifs de la transition énergétique. Elles collaborent ainsi avec les entreprises clientes dans tous les secteurs pour les aider à réduire leurs émissions de carbone et à saisir les occasions d’amorcer le virage énergétique.

En finançant la transition climatique, les banques aident le Canada à atteindre la carboneutralité et, simultanément, elles contribuent à répondre aux besoins énergétiques actuels de la société dans un contexte mondial instable. Par ailleurs, nos six plus grandes banques participent au Conseil d’action en matière de finance durable du gouvernement fédéral, qui a fait de grands progrès dans l’établissement d’une classification essentielle dans le maintien de marchés financiers viables.

Je me permets quelques minutes pour vous donner des statistiques claires et exactes sur le montant du crédit bancaire alloué au secteur des énergies non renouvelables. Le total de l’encours du crédit aux sociétés dans le secteur des énergies non renouvelables représente 5,3 % du total des crédits bancaires au Canada, une baisse par rapport aux 6,1 % de 2017. Si l’on élargit le champ de vision pour inclure l’ensemble des prêts tant personnels que commerciaux, le crédit alloué à ces sociétés sera alors de l’ordre de 2 % du total de l’encours du crédit.

Les filiales bancaires sur les marchés des capitaux sont certes actives dans la souscription d’émissions de valeurs mobilières et d’obligations de sociétés du domaine des énergies. Or, les chiffres souvent cités dans la sphère publique sont bien distincts du crédit bancaire.

En ce qui concerne le projet de loi S-243, nous ne l’appuyons pas. Nous considérons qu’il ne contribue malheureusement pas à l’atteinte de l’objectif que nous appuyons globalement, à savoir l’inclusion efficace des risques climatiques dans la modélisation du risque des institutions financières et la présentation aux investisseurs d’informations suffisantes pour prendre des décisions judicieuses à l’égard de l’exposition au risque.

Le projet de loi exhorte le Bureau du surintendant des institutions financières, soit le BSIF, à élaborer, pour les institutions financières, de nouvelles lignes directrices sur la suffisance du capital pour répondre aux exigences en matière climatique, y compris sur la pondération de risque maximale de 1 250 % applicable aux taux à long terme ou aux instruments dérivés exposés aux nouvelles ressources ou infrastructures liées aux combustibles fossiles, ainsi que sur la pondération de 150 % ou plus pour tout crédit consenti à une société en lien avec les énergies non renouvelables.

Soyons plus précis sur ce que cela signifie en pratique. Avec un ratio de fonds propres minimal de 8 %, une pondération de 1 250 % implique qu’une banque doit recueillir un dollar en fonds propres pour chaque dollar exposé au secteur énergétique. En d’autres termes, il s’agit d’une interdiction de facto d’accorder du crédit à ce secteur.

Actuellement, cette pondération s’applique uniquement aux investissements en capital-risque et en actions spéculatifs ainsi qu’en cryptomonnaie. En fait, en fixant la pondération du risque à 1 250 %, l’organisme de réglementation nous dit de traiter l’investissement comme une perte immédiate, qui représente une encaisse nulle et une valeur nulle. Or, ce n’est pas vrai. Ce n’est également pas juste envers les milliers de personnes qui œuvrent dans ce secteur et envers les sociétés du secteur énergétique qui tracent les voies de la transition vers un avenir à faibles émissions de carbone. Elles méritent plutôt d’être soutenues dans cette aventure.

En l’absence d’un plan de transition, la plupart des particuliers qui dépendent de leur voiture pour combler leurs besoins quotidiens, et ceux qui dépendent des hydrocarbures pour chauffer leur maison, subiront des coûts plus élevés. Ce projet de loi compromettra les sommes énormes d’argent nécessaires à la transition. Le fait que, en début d’année, le parlement européen ait examiné et rejeté un projet identique est bien révélateur.

Le BSIF effectue un travail réfléchi sur la gestion des risques liés au climat. Le BSIF a publié la ligne directrice B-15 sur la Gestion des risques climatiques, introduisant les relevés sur les risques climatiques et un exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques pour les institutions financières sous réglementation fédérale. Les organismes de réglementation méritent qu’on leur accorde la chance de terminer leur travail et de prendre des décisions éclairées au sujet des valeurs exposées au risque, des horizons temporels probables et des moyens de gérer ces risques.

En ce qui concerne le dépôt de rapports, le projet de loi S-243 prévoit l’introduction d’un rapport d’alignement sur les engagements climatiques comprenant diverses exigences. Il s’agit d’un dédoublement de ce qui se fait actuellement. Aux termes de la ligne directrice B-15 du BSIF, toutes les institutions de dépôt sous réglementation fédérale seront tenues de divulguer leurs émissions de GES, leurs cibles, leur rendement par rapport aux cibles et leurs engagements publics.

De plus, les six plus grandes banques canadiennes, membres de la Net Zero Banking Alliance, préparent et publient déjà des rapports annuels sur le climat et le développement durable qui contiennent des détails sur les exigences, comme leurs émissions, leurs cibles et les progrès réalisés pour atteindre ces cibles. Les investisseurs et les analystes sont à la recherche d’informations internationales harmonisées qui facilitent la comparabilité.

De manière plus générale, je ne suis au courant d’aucune autre mesure législative au Canada qui cherche à contourner le pouvoir de l’organisme de réglementation et à préciser les pondérations de risque dans la loi.

Pour ces raisons, nous ne soutenons pas le projet de loi S-243. Bien que découlant de bonnes intentions, ce projet de loi ira à l’encontre des développements en cours au Canada et dans le monde pour s’attaquer progressivement aux changements climatiques, compliquerait un espace déjà encombré dans le domaine de la déclaration et créerait un dangereux précédent en légiférant sur la pondération des risques.

La présidente : Merci beaucoup pour votre déclaration préliminaire.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie de votre présence.

Vous avez mentionné que le changement climatique est une question cruciale, et nous, ainsi que les banques, sommes déterminés à lutter contre ce phénomène. Toutes les banques ont des plans d’action sur le climat, et elles prennent leur rôle au sérieux.

Pouvez-vous expliquer plus en détail pourquoi vous estimez que l’harmonisation est nécessaire pour garantir que toutes les institutions financières dans le monde respectent les mêmes normes et pourquoi le fait de donner des orientations supplémentaires serait inutile et que cela pourrait mener à une fragmentation et à des conséquences inattendues?

J’ai posé cette question au groupe précédent, si vous m’avez entendu, et l’un de mes collègues m’a demandé quelles sont ces conséquences inattendues et ce que j’entends par là.

Vous pourriez peut-être nous répondre en quelques minutes. Sinon, je vous prierais de nous répondre ultérieurement pour nous expliquer quelles sont ces conséquences inattendues.

J’aurai une brève question complémentaire à poser après.

M. Hannah : Je vais prendre vos questions dans l’ordre inverse. Je parlerai un peu des conséquences inattendues, puis mon collègue Bryan Radeczy vous parlera du bien-fondé de l’harmonisation des exigences en matière de rapports.

Prenons d’abord les conséquences involontaires. Il est révélateur que ce soit la raison pour laquelle, en fin de compte, l’Autorité bancaire européenne a recommandé de ne pas prendre ce virage en Europe, en raison des conséquences involontaires que cela pourrait avoir. Le problème, c’est que l’on appliquerait des pondérations de risque d’une façon qui n’a jamais été prévue, et que cela s’appliquerait à diverses choses de façons qui n’ont jamais été prévues.

Une station-service en serait un bon exemple. Il s’agit d’une infrastructure énergétique que nous connaissons tous. Beaucoup d’entre elles sont construites en ce moment même, parce qu’elles sont en pleine transition. On s’apprête à y installer des stations de recharge pour répondre à la nouvelle demande.

S’il s’agit d’une petite entreprise à laquelle s’appliquerait un calcul de 75 % à 100 %, même, en vertu de ce projet de loi, selon sa taille, la pondération pour une nouvelle infrastructure énergétique serait de 1 250 %.

Qu’est-ce que cela signifierait pour l’emprunteur? Eh bien, s’il pouvait obtenir du crédit — et à 1 250 %, je suis presque sûr que rien ne serait possible, parce que ce ne serait pas rentable pour l’emprunteur et probablement pas pour le prêteur non plus —, mais en théorie, s’il en obtenait, s’il contractait un prêt de 5 millions de dollars, mettons, ce qui ne serait pas hors-norme pour une station-service, ses frais d’intérêt augmenteraient d’environ 300 000 $ par année, ce qui signifie qu’il y a de bonnes chances que le projet ne verrait jamais le jour, d’entrée de jeu. L’ironie, c’est que les stations de recharge ne sont pas construites non plus pour financer la transition.

Autre exemple intéressant, les conduites de gaz naturel. Il y a bien sûr beaucoup de discussions et de préoccupations au sujet de la construction domiciliaire et de la nécessité d’offrir un plus grand nombre de logements abordables de meilleure qualité. En vertu de ce projet de loi, une conduite de gaz naturel représenterait une nouvelle infrastructure énergétique. Il s’ensuivrait une pondération de risque de 1 250 %, ce qui signifie que la banque ne peut utiliser les fonds provenant des dépôts pour financer des prêts et, par le fait même, qu’il lui est impossible d’offrir des prêts pour le prolongement d’une conduite de gaz naturel.

Voilà le genre de conséquences imprévues auxquelles on se heurte assez rapidement quand on commence à vouloir déterminer ainsi la pondération de risque par la voie législative.

Monsieur Radeczy, voudriez-vous nous dire un mot des rapports à produire et de l’harmonisation?

Bryan Radeczy, directeur, Association des banquiers canadiens : Bien sûr. Je vous remercie, monsieur Hannah.

Pour ce qui est de l’harmonisation, je dirais que tout commence par le rapport final du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC) qui a été publié en 2017. Bon nombre de nos plus grandes banques ont depuis mis en œuvre un tel régime de divulgation pour les questions touchant la gouvernance, la gestion du risque, la stratégie, les paramètres et les objectifs.

Toujours dans un souci d’harmonisation, le BSIF est en voie d’intégrer ces modalités de communication d’informations financières à sa ligne directrice B-15, qui a déjà été mentionnée, pour éviter encore là les dédoublements quant aux rapports à produire.

Par ailleurs, le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (ISSB) a publié en juin de cette année ses règles définitives qui sont aussi fondées sur ces mêmes recommandations du GIFCC. Nous nous attendons à ce que le BSIF analyse les normes de l’ISSB dans le cadre de son examen des différents ajouts susceptibles de bonifier la ligne directrice B-15.

Je pense que cela peut témoigner des efforts consentis aux fins de l’harmonisation, car on utilise comme base de départ les recommandations d’application volontaire du GIFCC pour passer à la ligne directrice B-15 du BSIF, un régime obligatoire — avec les normes de l’ISSB s’inspirant également du travail du GIFCC.

Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a également rendu publics ses principes sur le climat que le BSIF s’est empressé d’intégrer à sa ligne directrice B-15. En fait, le BSIF a damé le pion au Comité de Bâle en ce qui concerne la communication d’informations sur les risques climatiques. Le Comité de Bâle n’entreprendra ses consultations à ce sujet que ce mois-ci.

Le sénateur Loffreda : Je vais attendre le second tour.

La sénatrice Marshall : Monsieur Hannah, je sais que vous n’appuyez pas le projet de loi, et que ce point de vue ressortira probablement de votre réponse à ma question.

Dans vos observations préliminaires, vous avez parlé du rapport d’alignement sur les changements climatiques qui est proposé dans le projet de loi S-243. Il y a toute une section qui précise ce qu’on doit retrouver dans ce rapport. Êtes-vous en train de nous dire que vous produisez d’ores et déjà des rapports présentant tous les renseignements exigés dans le projet de loi?

M. Hannah : Je ne sais pas si mon collègue pourrait vous parler brièvement...

La sénatrice Marshall : Si je pose la question, c’est parce que je constate également que l’on dispose de 60 jours après la fin de chaque exercice financier pour communiquer tous ces renseignements devant figurer dans le rapport d’alignement sur les changements climatiques. Même si vous n’appuyez pas le projet de loi, tout indique que son éventuelle entrée en vigueur vous obligera à vous conformer à cette exigence, et ce, dans un délai de 60 jours. En essayant de faire fi de votre opinion défavorable envers ce projet de loi, pouvez-vous nous dire si vous croyez être en mesure de vous conformer à toutes ces exigences dans le délai de 60 jours qui est prévu? À quel point est-ce réaliste?

M. Radeczy : Je vous dirais que la ligne directrice B-15 du BSIF accorde aux banques un délai de 180 jours après la fin de l’exercice pour procéder aux divulgations requises. Il faut un certain temps aux banques pour collecter les données nécessaires, un processus qui n’est pas sans écueil, notamment comme nous l’avons indiqué précédemment, lorsque ces données proviennent de tierces parties, comme les clients de la banque.

Les banques ont donc besoin de suffisamment de temps pour compiler les données, faire leurs calculs, effectuer les vérifications requises et produire leur rapport. Nous jugeons raisonnable un délai de 180 jours pour la communication des informations conformément à la ligne directrice B-15.

Par ailleurs, les banques devront dès l’an prochain, suivant une exigence du BSIF, faire rapport sur leurs cibles, les progrès réalisés relativement à ces cibles et les engagements pris à cet égard. Comme je l’indiquais tout à l’heure, certaines de nos plus grandes banques le font déjà sur une base volontaire depuis la publication du rapport du GIFCC en 2017. Je pense que nos banques en font déjà beaucoup à ce chapitre. La seule différence, c’est qu’elles seront tenues de le faire à compter de l’an prochain alors que la ligne directrice B-15 du BSIF rendra le tout obligatoire pour les grandes banques.

La sénatrice Marshall : Est-ce qu’il y a des coûts associés à cet exercice?

M. Radeczy : Je crois qu’il pourrait y avoir des coûts supplémentaires si le projet de loi à l’étude en vient à imposer des exigences nouvelles, et ce, même si elles sont similaires.

Encore là, nous préconisons l’harmonisation afin d’éviter un fardeau additionnel à nos banques, et surtout aux banques de petite et de moyenne taille qui n’ont que des ressources limitées à consacrer à de telles tâches. L’harmonisation est peut-être encore plus importante pour éviter d’alourdir le fardeau imposé à ces banques de moins grande taille.

La présidente : Je veux poursuivre un peu dans le même sens concernant ces institutions financières de petite taille qui doivent également obtenir l’information dont elles ont besoin auprès de clients plus petits. Est-ce déjà un processus complexe? Est-ce que les choses risquent de se compliquer davantage?

M. Radeczy : C’est certes le cas pour les entreprises privées. C’est dans cette optique que nous avons noté dans l’Énoncé économique de l’automne présenté hier la possibilité que la communication d’informations en lien avec les changements climatiques devienne obligatoire pour les entreprises privées, en pensant notamment à celles qui sont de plus petite taille. Il va de soi que nous aimerions savoir plus en détail ce que le gouvernement propose exactement à ce chapitre. Je conviens avec vous qu’il peut être plus difficile de compiler les données requises pour une petite organisation, qu’elle soit privée ou publique.

M. Hannah : En définitive, sénatrice, nous aimons travailler avec nos clients. Une institution financière veut pouvoir travailler avec ses clients. Nous souhaitons que cela se fasse dans un esprit de collaboration. On tient aussi à le faire en minimisant les perturbations pour nos clients. Si vous travaillez avec une petite entreprise, il faut tenir compte du fait qu’elle n’a que peu de temps et de ressources à vous consacrer, car elle doit s’efforcer par ailleurs de bien servir ses clients et de réaliser des bénéfices. Il faut faire montre de patience.

Le sénateur Gignac : Bienvenue à nos témoins. Votre contribution est très précieuse. Comme j’ai moi-même travaillé de nombreuses années dans le secteur bancaire, je connais fort bien le concept de pondération des risques. Je conviens avec vous qu’il est très inhabituel que l’on empiète ainsi sur le pouvoir de l’autorité réglementaire.

Comme je l’ai fait valoir au cours de notre première heure de séance à la sénatrice qui parraine ce projet de loi, il y a un risque que les clients de nos banques, comme ceux du secteur des hydrocarbures par exemple, se tournent désormais vers les institutions financières de Wall Street compte tenu des incidences qu’aura ce projet de loi, s’il est adopté sans modification, sur les institutions canadiennes. Ne croyez-vous pas que tout cela va se traduire par une part de marché réduite pour nos banques? Pensez-vous que je fais fausse route?

Je vais vous poser tout de suite ma deuxième question qui est très brève. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les raisons pour lesquelles l’Union européenne a renoncé à adopter une approche semblable? Merci.

M. Hannah : Pour répondre à votre première question, je dirais que c’est davantage une réalité qu’un simple risque. C’est en effet incontournable. Une banque canadienne qui devra composer avec un coefficient de pondération des risques de 1 250 % ne pourra tout simplement pas consentir un prêt pour un nouveau projet énergétique. Si elles ne ferment pas carrément leurs portes, les entreprises en question n’auront d’autre choix que d’aller chercher du financement ailleurs.

Quant à votre seconde question, je crois que la proposition d’un coefficient de pondération des risques de 1 250 % a été rejetée en mars, et que l’article 154 a ensuite été rejeté en juin.

Le sénateur Gignac : Vous parlez de l’Union européenne.

M. Hannah : Oui, le Parlement européen, lequel n’a pas précisé les motifs justifiant sa décision. L’Autorité bancaire européenne a toutefois par la suite publié un rapport traitant de la gestion des risques climatiques. On y dénonce vivement l’idée d’avoir recours à une pondération ciblée des risques pour encourager ou décourager certains investissements. On fait ressortir deux inconvénients importants d’une telle approche. Il y a d’abord le fait que l’on crée ainsi de l’instabilité financière. Le deuxième désavantage réside dans les conséquences non souhaitées.

Le sénateur Gignac : Merci.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Si les banques ne choisissent pas d’adopter une telle approche, que faites-vous actuellement pour aligner les activités des institutions financières en fonction des enjeux climatiques? Quelle est l’alternative pour les institutions financières qui participent à votre association?

[Traduction]

M. Hannah : Monsieur Radeczy, pourriez-vous nous parler de l’Alliance bancaire Net Zéro et de la ligne directrice B-15 du BSIF?

M. Radeczy : Nos six plus grandes banques se sont jointes à l’Alliance bancaire Net Zéro. Elles sont ainsi tenues de publier un rapport annuel sur les progrès réalisés quant aux cibles qu’elles se sont données. C’est ce que prévoit la ligne directrice B-15 à titre de mesure obligatoire pour toutes les banques à compter de l’an prochain, en commençant par les plus grandes institutions. Dans le cadre de leur engagement envers l’Alliance bancaire Net Zéro, nos six plus grandes banques doivent donc d’ores et déjà produire de tels rapports et devront se fixer des cibles pour 2030, et ensuite pour 2050 également.

Tout cela est aussi prévu dans la ligne directrice B-15. Par ailleurs, nos banques investissent des milliards de dollars pour soutenir des initiatives dans le domaine de la finance durable, le tout à hauteur de 300 à 500 milliards de dollars par année de 2025 à 2030 pour nos cinq banques les plus importantes. Ces banques appuient ainsi concrètement la transition en ne se limitant pas à respecter la réglementation, mais en y allant également d’investissements bien sentis.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Vous parlez des rapports qu’ils produisent. Est-ce que les banques produisent des rapports annuels ou des rapports spécifiques?

[Traduction]

M. Radeczy : Les banques doivent produire un large éventail de rapports sur différents sujets comme les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, le changement climatique, la finance durable et leurs engagements dans le cadre de l’Alliance bancaire Net Zéro.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais poursuivre un peu dans le sens de la question posée par la sénatrice Bellemare.

Depuis 2016, les cinq grandes banques canadiennes ont octroyé plus de 187 milliards de dollars américains en financement à des entreprises des secteurs du pétrole, du gaz et du charbon pour les aider à augmenter leur production de carburants fossiles.

Pourriez-vous nous expliquer en quoi exactement la communication d’informations en lien avec les changements climatiques — un exercice auquel se livrent les banques selon ce que vous nous indiquez — a pu influer sur leurs décisions d’investissement dans le secteur des hydrocarbures? Êtes-vous en mesure de nous donner un exemple d’une entreprise à laquelle vos membres auraient refusé d’accorder du financement en raison des informations que cette entreprise aurait communiquées en lien avec les changements climatiques? Autrement dit, est-ce que ce mécanisme fonctionne? Est-ce que ces divulgations vous ont permis d’atténuer les changements climatiques d’une façon ou d’une autre, ou s’agit-il simplement de documents qui changent de mains?

M. Hannah : Il va de soi que je ne peux rien vous dire au sujet d’un client ou d’une banque en particulier. Ce n’est pas de mon ressort.

La sénatrice Miville-Dechêne : Il serait bon de savoir si l’on obtient vraiment des résultats

M. Hannah : Permettez-moi d’essayer de préciser certaines choses. Il y a d’abord le plan général du Canada pour lutter contre le changement climatique, puis le rôle qui incombe à nos institutions dans ce contexte — qu’il s’agisse des banques ou des entreprises énergétiques dans d’autres secteurs de l’économie — et enfin le projet de loi. Je veux établir la distinction entre ces trois éléments.

Rappelons dans un premier temps que le gouvernement du Canada a un plan d’ensemble pour la transition énergétique d’ici 2050. Nous avons aussi le Plan de réduction des émissions pour 2030 qui est assorti de plans secondaires pour tous les secteurs à ma connaissance. Il y en a un pour l’agriculture, un autre pour le secteur manufacturier…

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est le secteur des banques qui m’intéresse.

M. Hannah : J’y arrive. Il s’agit assurément de considérations que les intervenants du secteur bancaire doivent prendre en compte. Nous travaillons avec nos clients.

Vous voulez savoir comment cela se concrétise exactement. La réponse peut varier d’un cas à l’autre. Il n’en demeure pas moins que c’est effectivement un enjeu qui est au cœur des préoccupations des banques. Celles-ci doivent bien en saisir les répercussions pour leur clientèle.

Parallèlement aux efforts déployés par le BSIF pour renforcer ses capacités et ses exigences en matière de gestion des risques climatiques, notamment au moyen de la ligne directrice B-15, les banques s’intéressent de plus en plus à ces questions en cherchant à bien analyser les différentes répercussions sur leurs activités. Les résultats sont cependant variables en fonction des circonstances particulières à chaque cas.

La sénatrice Miville-Dechêne : Dois-je comprendre que vous n’êtes pas en mesure de nous dire si cela fonctionne vraiment? Vous ignorez si ces divulgations produisent effectivement un résultat, par exemple sous la forme d’un désinvestissement dans certains projets liés aux combustibles fossiles. Nous avons pu entendre le surintendant des institutions financières qui a noté la lenteur de nos progrès en la matière. Nous sommes pourtant à même de constater toute l’urgence découlant du changement climatique.

M. Hannah : Nous pourrions souligner à ce titre les nombreux engagements pris par les institutions financières en faveur des énergies renouvelables. Peut-être que M. Radeczy pourrait nous fournir de plus amples détails à ce sujet.

M. Radeczy : Je peux rappeler les chiffres. Les cinq grandes banques canadiennes se sont engagées à verser entre 300 et 500 millions de dollars entre 2025 et 2030 pour soutenir différentes activités du domaine de la finance durable, notamment sur les marchés du crédit et du financement.

Par ailleurs, les banques communiquent les informations financières requises. Il revient ensuite aux investisseurs de décider où ils vont placer leur argent. Nous l’avons fait sur une base volontaire en suivant les recommandations du GIFCC, et nous allons continuer de le faire conformément aux exigences d’application obligatoire du BSIF à compter de l’an prochain.

Nous effectuons les divulgations requises pour aider les gens à prendre des décisions éclairées, et le reste est entre les mains des investisseurs eux-mêmes

M. Hannah : Notre secteur bancaire est un reflet de l’économie canadienne. Nous offrons des services à nos clients dans le but de dynamiser cette économie.

Le portefeuille des banques doit s’adapter pour rendre possible la transition qui s’opère au sein de l’économie. Parallèlement à cela, nous devons suivre l’évolution de l’économie et continuer à bien servir nos clients. C’est primordial. Nous en avons des milliers qui procurent de l’emploi à un grand nombre de nos concitoyens.

Le sénateur Yussuff : Un grand merci d’être des nôtres aujourd’hui.

De toute évidence, ce projet de loi ne vous convient pas. Il n’en demeure pas moins qu’il faut reconnaître que le BSIF demeure l’instance réglementaire. Vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre. C’est un peu ce que vous semblez vouloir obtenir en réclamant que le BSIF n’adopte pas de nouveaux règlements auxquels vous devrez vous conformer.

Le fait est que les Canadiens veulent pouvoir faire confiance à leurs institutions financières. Les nombreuses crises financières portées à notre attention témoignent bien de la nécessité d’une surveillance rigoureuse comme celle assurée par le BSIF.

En 2008, la crise du logement aux États-Unis a entraîné une véritable débâcle. Nous avons pu éviter un tel résultat grâce surtout à la bonne surveillance des banques canadiennes qui n’ont pas dû alors être mises à contribution à la même hauteur que leurs concurrentes américaines.

Il faut reconnaître que le changement climatique a des conséquences qui sont imprévisibles. Ainsi personne n’aurait pu prédire l’intensité des feux de forêt que nous avons connus l’été dernier. Je pense que si le BSIF adopte de nouveaux règlements, vous n’aurez d’autre choix que de vous y conformer. C’est la triste réalité.

Il y a une réglementation déjà en place. De nouvelles dispositions vont y être ajoutées. Il va de soi que nos règlements vont évoluer sans cesse en fonction des nouvelles orientations découlant des cibles que nous nous fixons.

Dans le contexte de ce que disait tout à l’heure ma collègue, notre pays a pris un engagement concernant les centrales au charbon. Nous voulons carrément mettre fin à la production d’énergie à partir du charbon.

Est-ce que les banques estiment toujours que c’est une bonne idée de prêter des fonds pour la mise en valeur du charbon alors même que la planète s’oriente dans une direction totalement différente? Les Canadiens veulent savoir. Ils souhaitent pouvoir prêter foi à vos propos. Ils désirent vous entendre dire que vous prenez des mesures afin de veiller à ce que cela ne se produise pas, car c’est tout à fait illogique dans le contexte d’un engagement envers la carboneutralité.

La présidente : Il faudrait que l’on puisse entendre une réponse, sénateur.

M. Hannah : Vous avez soulevé un grand nombre d’enjeux importants, et j’aimerais essayer de tirer tout cela au clair.

Il y a une chose que je veux préciser d’entrée de jeu. Je ne pense pas que nous ayons affirmé aujourd’hui que nous nous opposons aux directives du BSIF. Nous en avons même traité en long et en large.

Bien honnêtement, nos inquiétudes vont en fait presque dans le sens contraire. C’est le projet de loi qui est prescriptif quant à ce que le BSIF est censé faire ou non. Nous préférerions qu’on laisse à cette instance réglementaire toute la latitude voulue pour terminer son travail et prendre cette décision.

Pour ce qui est du charbon et des autres combustibles fossiles, vous avez raison de nous rappeler qu’il y a un plan national de transition prévoyant l’abandon graduel du charbon. C’est bien évidemment une considération qui doit être prise en compte dans les décisions en matière de crédit. Les banques sont spécialisées dans ce genre de décisions. C’est avec fierté que je peux vous dire que nous sommes pour ainsi dire le seul secteur bancaire au monde à ne pas avoir eu besoin d’injecter de capitaux dans le contexte de la crise financière. La dernière faillite bancaire au Canada remonte à 40 ans, et je crois qu’il y en a eu seulement deux au cours des 100 dernières années. Notre industrie a su démontrer au fil des ans sa capacité à bien voir venir les coûts et à réagir en conséquence.

Ce que nous essayons d’éviter, à vrai dire, c’est de le faire d’une manière abrupte, parce que dans ce cas précis, on a un plan national, on a ce à quoi les industries, y compris l’industrie de l’énergie, travaillent. C’est ce qu’elles ont devant elles, le plan relatif aux émissions que le gouvernement fédéral a élaboré. Le projet de loi dirait en fait que les banques ne peuvent pas prêter à ce secteur pour l’aider à financer son propre plan de transition, ce qui me semble injuste.

Le sénateur Yussuff : Quelle est la position de la banque sur le cadre de transition équitable pour les travailleurs et l’industrie? C’est un principe de l’Accord de Paris, de notre pays à l’heure actuelle.

M. Hannah : Je pense que tout le monde est favorable à une transition équitable. Ce sont nos clients. Les employés sont vos clients. L’entreprise est votre client. Vous voulez être en mesure de travailler avec tout le monde.

Le sénateur Yussuff : Merci.

La sénatrice Petten : Je reviens sur quelques-unes des autres observations. Vos membres ont enregistré des bénéfices records en 2022 et au cours des deux ou trois derniers trimestres. Pourquoi n’investit-on pas une plus grande partie de ces bénéfices dans de vraies solutions climatiques qui nous aident à atteindre nos objectifs de réduction des émissions au Canada?

M. Hannah : Monsieur Radeczy, voulez-vous parler de certains des engagements que nous avons vus en matière de transition propre?

M. Radeczy : On peut aussi regarder directement du côté des grandes banques. Elles produisent des rapports, habituellement chaque année, qui portent sur la durabilité et les questions environnementales, sociales et de gouvernance. J’ai mentionné les milliards de dollars en engagements qu’elles ont pris et elles fournissent une ventilation plus détaillée dans leurs rapports. Il s’agit entre autres d’émettre des obligations pour le financement de projets verts et renouvelables. Il s’agit en partie de prêts directs et en partie d’activités liées aux marchés du financement. Il y a beaucoup de bons exemples. Je prends simplement l’exemple de nos six plus grandes banques, qui produisent des rapports et fournissent des détails sur des projets précis.

M. Hannah : J’en ai la liste ici. Ils totalisent des centaines de milliards de dollars. On parle de possibilités de marché, sénatrice. Si une banque voit une possibilité de marché, elle va essayer de la saisir. Elle va travailler en ce sens. C’est ainsi que l’on reste en affaires et c’est pourquoi les banques ont si bien réussi. L’investissement augmente au fur et à mesure que les possibilités augmentent.

M. Radeczy : Hier, dans l’Énoncé économique de l’automne, il a été question du programme d’obligations vertes du gouvernement. Je sais que nos grandes banques ont joué un rôle important dans la mise sur le marché et l’émission de ces obligations. C’est un exemple à l’échelle gouvernementale.

La sénatrice Petten : Faudrait-il les réglementer pour qu’elles augmentent leur financement des énergies renouvelables?

M. Hannah : En un mot : non. Elles suivront la rondelle, pour ainsi dire. Le marché existe. Le marché est en croissance. Les possibilités augmentent. Puisque les institutions recherchent des possibilités d’investissement, de nouveaux clients, de nouveaux secteurs en expansion, elles vont y migrer. Cela se fera tout seul. Elles accompagneront la transition. Elles permettront la transition parce qu’elles reflètent l’économie.

La sénatrice Ringuette : Je suis ravie de vous revoir.

M. Hannah : Moi aussi.

La sénatrice Ringuette : La sénatrice Miville-Dechêne a posé une question sur le financement de projets liés aux combustibles fossiles. Je n’ai pas entendu de réponse. Un autre sénateur a posé une question sur le financement de projets liés au charbon. Je n’ai pas entendu de réponse. La rondelle semble bouger.

Permettez-moi de prendre un exemple plus simple. Nous obtiendrons peut-être une réponse.

Vous avez dit que vous faisiez partie de l’Alliance bancaire Net Zéro — les six grandes banques canadiennes en font partie. Vous avez donné l’exemple de nouvelles habitations qui auront besoin de conduites de gaz naturel.

Êtes-vous en train de me dire, en tant que représentants de membres de l’Alliance bancaire Net Zéro, qu’en ce qui concerne les normes qui doivent s’appliquer, un projet de logement, qu’il s’agisse d’un immeuble d’appartements ou d’une maison unifamiliale... Pour une maison unifamiliale, on peut se contenter d’une pompe à chaleur, mais lorsqu’il s’agit d’un immeuble d’appartements — si l’on parle de la transition vers la carboneutralité et du financement du projet —, on devrait se tourner vers la géothermie. Pourtant, vous nous dites que vous approuveriez une conduite de gaz naturel, ce qui n’est pas une proposition favorisant la carboneutralité.

Il s’agit d’un projet au bas de l’échelle. Vous parlez d’une conduite de gaz naturel au lieu de géothermie et de pompes à chaleur.

Où vous situez-vous exactement en ce qui concerne les normes de l’Alliance bancaire Net Zéro?

La présidente : Monsieur Hannah, allez-y et répondez à la question.

M. Hannah : Permettez-moi de démêler quelques points.

En ce qui concerne la conduite de gaz naturel, un grand nombre de Canadiens se chauffent encore au gaz naturel et continueront à le faire pendant un certain temps. C’est une solution abordable. C’est une décision que le promoteur doit prendre. C’est une décision que la municipalité doit prendre.

Je comprends votre point de vue selon lequel il pourrait y avoir d’autres solutions. C’est une décision qu’ils doivent prendre.

La sénatrice Ringuette : Toutefois, vous devriez participer à la prise de décision en ce qui concerne les prêts que vous accordez. Voilà ce que je dis. Voilà la responsabilité qui découle du fait que vos membres font partie de l’Alliance bancaire Net Zéro. C’est l’une de vos responsabilités. Cela nous touche sur les plans individuel et collectif.

La présidente : Allez-y et dites-nous quel est votre rôle à cet égard. Les municipalités ou les provinces vous consultent-elles?

M. Hannah : Pour un prêt, non. J’ose dire que les municipalités ne les consultent pas. On examine le prêt et on prend une décision à ce moment-là, mais dans le cas d’un nouveau projet immobilier, la décision d’opter pour le gaz naturel, la géothermie ou autre chose est prise par le demandeur, et non par l’institution.

La sénatrice Ringuette : Vous dites que faire partie de l’Alliance bancaire Net Zéro ne change rien à cet égard?

M. Hannah : Je ne peux pas dire si c’est le cas pour un prêt. Probablement pas. L’Alliance bancaire Net Zéro est quelque chose de beaucoup plus général que des projets.

La sénatrice Ringuette : Nous avons posé une question d’ordre général et nous n’avons pas obtenu de réponse, alors je posais une question plus précise.

La présidente : D’accord. Nous passons au prochain intervenant.

Le sénateur C. Deacon : Je remercie les témoins de leur présence.

Lorsque M. Routledge, le surintendant du Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF, a comparu devant le comité, un certain nombre d’entre nous lui ont parlé de la technologie et des cyberrisques qui touchent nos banques, qui sont liés au déficit technologique qui s’est accumulé au fil du temps dans bon nombre de nos plus grandes banques.

Je voulais parler de cette question dans le contexte de la partie 2 du projet de loi, qui porte sur les rapports, parce que lorsqu’il s’agit de faire rapport, d’une manière ou d’une autre, dans le cadre des règlements du BSIF ou de ce projet de loi, il faut avoir des renseignements à jour et détaillés afin de quantifier les risques climatiques pour chaque client, de sorte que l’on puisse déterminer les risques climatiques concernant le portefeuille de la banque.

Dans quelle mesure existe-t-il des preuves que des progrès significatifs sont réalisés pour relier directement les systèmes d’analyse des risques de la banque aux systèmes ERP des clients dans des entreprises de plus en plus petites? On commence par les plus gros joueurs, puis on va jusqu’aux plus petits. À quel point se penche-t-on sur ce partage de données afin de se rapprocher d’une analyse complète en temps réel des investissements et des activités de chaque organisation en ce qui concerne les émissions relevant des champs d’application 1, 2 et 3 et les risques auxquels ces organisations sont confrontées? Je pense que le déficit technologique a probablement freiné certains de ces progrès, mais je ne devrais pas le présumer. J’aimerais connaître les preuves des progrès que vous constatez.

M. Hannah : Je suis heureux que vous posiez la question, sénateur. En fait, c’était la dernière partie de ma déclaration préliminaire. C’est exactement la question des données. S’il y a une chose... Bien que nous n’appuyions pas le projet de loi, nous sommes ravis que le comité se penche de manière générale sur la question des risques pour l’environnement. Si l’on voulait faire d’autres travaux sur les données relatives aux risques pour l’environnement et trouver un moyen d’élaborer un meilleur cadre national pour la collecte de données détaillées, ce serait formidable.

Le sénateur C. Deacon : Je m’intéresse à la manière dont la banque recueille ses propres renseignements auprès de ses clients. Oui, il faut des normes nationales, mais quels sont les progrès à cet égard?

M. Hannah : L’obstacle, sénateur, ce n’est pas la technologie. Il s’agit simplement d’essayer d’obtenir l’information des clients.

Le sénateur C. Deacon : Y a-t-il des preuves qu’on est en train de bâtir ces ponts — les API qui vous permettent de communiquer directement les renseignements de vos clients? Cela accélère les choses quant au processus et pour ce qui est de comprendre ce qui se passe dans les entreprises clients.

M. Hannah : Je ne connais pas d’exemple de projets de loi techniques.

M. Radeczy : Moi non plus. Cela peut varier d’un client à l’autre.

Le sénateur C. Deacon : Les principales entreprises de technologie financière prêteuses recueillent assez souvent des données directement auprès de leurs clients. Elles peuvent ainsi analyser les risques de manière beaucoup plus précise et plus rapide. Les banques n’ont pas fait la même chose et je me demande quels progrès ont été accomplis pour établir ce lien direct.

M. Hannah : Tout dépend aussi du client, sénateur. Dans le cas d’un client de grande envergure qui dispose de plus de technologie, c’est une chose. Pour un dépanneur du coin, c’est tout à fait...

Le sénateur C. Deacon : C’est ce que j’ai dit. Commencer par les gros et aller vers les petits.

M. Hannah : Pour les gros, ce serait beaucoup plus complet et détaillé. Pour les petits, encore une fois, il faut tenir compte du fardeau que l’on impose au client et trouver un équilibre.

Le sénateur C. Deacon : A ce stade-ci, on parle essentiellement de collecte de données analogiques pour ce type de données?

M. Hannah : Dans le cas d’un gros client, beaucoup de renseignements numériques circulent. Pour ce qui est d’un client de moindre envergure, c’est une autre histoire.

La sénatrice Galvez : Tout d’abord, avant de poser ma question, je voudrais apporter une précision. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que mon projet de loi oblige le BSIF à faire certaines choses. En réalité, dans le texte, il s’agit davantage de demander au BSIF d’en tenir compte. Le BSIF est donc libre de le faire ou non. Ce n’est qu’un point.

Vous dites que les banques se débrouillent bien et qu’elles atteindront la carboneutralité d’ici 2050, mais selon Investors for Paris Compliance et Bloomberg Finance, en réalité, on parle d’une année d’inertie. Les banques ont élargi la portée de leurs rapports sur les émissions et fixé des cibles intermédiaires concernant l’intensité en carbone. Cependant, elles n’ont généralement pas amélioré leurs notes relatives au pétrole et au gaz, ainsi qu’à l’électricité, par rapport à l’année dernière.

Lorsque je regarde la situation des banques — RBC, Banque Scotia, Banque TD, BMO, CIBC et Banque Nationale —, les notes vont de D à un maximum de B+. S’efforcent-elles de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre? Non.

Les émissions plus élevées sont celles qui relèvent du champ d’application 3 et vous ne vous occupez pas du tout du champ d’application 3. Vous voulez atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Votre secteur ne devrait-il pas être le premier à se conformer? Vous accordez des prêts sur 15, 10 ou 5 ans. Si vous attendez décembre 2050 pour commencer à vous attaquer à l’objectif de carboneutralité, vous aurez accordé de nombreux prêts et fait beaucoup d’investissements qui se poursuivront, et vous n’aiderez donc pas le Canada à atteindre la carboneutralité en 2050.

Voilà ma première question.

Ma deuxième question porte sur la facilité avec laquelle vous dissociez le modèle économique de cela parce que vous dites que nous suivons la rondelle, et c’est complètement indépendant de la réalité de la situation. Vous parlez de conduite de gaz. Que se passera-t-il s’il y a une inondation et que la conduite est détruite? Qui va payer pour cela?

La présidente : D’accord. Nous allons maintenant écouter quelques réponses.

M. Hannah : Sénatrice, je voudrais démêler deux choses ici. Il y a la transition et la question de savoir si l’on pense que 2050, c’est assez rapide, puis il y a le projet de loi.

En ce qui concerne le premier point, si vous croyez que le gouvernement a un plan, qui s’étend jusqu’en 2050, et qu’il a des cibles de réduction des émissions, si vous croyez que ce n’est pas assez rapide, alors vous devez demander au ministre de l’Environnement et du Changement climatique de venir ici et en discuter avec lui.

La sénatrice Galvez : [Difficultés techniques] ... 2050 parce que concernant les émissions relevant du champ d’application 3, cela se poursuivra après 2050 si vous attendez.

M. Hannah : Sénatrice, à cet égard, à vrai dire, vous pouvez nous faire revenir ici au fur et à mesure et de nous demander des comptes. C’est pour cela que nous sommes ici. Ce que je ne veux pas et ce qui me préoccupe dans ce projet de loi, c’est qu’il priverait le secteur de l’énergie de crédit sans qu’il le sache, parce qu’il s’attend à ce que le plan actuel de réduction des émissions qu’il suit et que le gouvernement a mis en place soit celui auquel il travaille et pour lequel il investit, et pour lequel ses employés travaillent. Le projet de loi...

La sénatrice Galvez : Que voulez-vous dire par « sans qu’il le sache »?

M. Hannah : C’est ce à quoi ils travaillent. Ce qu’ils ne savent pas... Sénatrice, dans le projet de loi, il est question de pondération des risques, qui est un sujet très ésotérique. Cependant, ce que cela signifie concrètement... Ce que la pondération des risques fait — pour que les choses soient plus claires —, c’est qu’elle indique, en fait, le montant du prêt qui doit être financé par des fonds propres plutôt que par des dépôts. À 1 250 %, cela signifie que la banque ne peut utiliser aucun dépôt pour financer un prêt et étant donné que l’activité bancaire consiste à accepter des dépôts puis à accorder des prêts, cela signifie qu’on ne peut pas prêter. Le projet de loi s’articule autour de cette phraséologie. Si le projet de loi était structuré de manière à indiquer que les banques ne sont pas autorisées à consentir à nouveau du crédit à des entreprises du secteur de l’énergie, je pense que beaucoup plus de personnes souhaiteraient venir en discuter avec vous parce que ce serait plus direct, mais l’effet serait le même.

La sénatrice Ringuette : Vous dites « non » et ce que j’ai entendu, essentiellement, c’est « eh bien nous ne savons pas vraiment où nous allons avec l’Alliance bancaire Net Zéro ». Que suggérez-vous?

M. Hannah : Ce que je suggère, sénatrice, c’est de laisser les organismes de réglementation faire leur travail afin qu’ils soient en mesure d’élaborer le cadre de gestion des risques climatiques pour le pays. C’est leur rôle.

La présidente : Ce qu’il essaie de dire, et je pense qu’il l’a déjà dit plusieurs fois, c’est qu’il existe un plan national. Si l’on a un plan national distinct, comment les banques et les clients peuvent-ils savoir qu’il existe deux ou trois plans différents?

La sénatrice Ringuette : Je vous demande pardon, madame la présidente, mais notre invité vient de nous dire que son organisation fait partie de l’Alliance bancaire Net Zéro, qui participe au plan national.

La présidente : Voulez-vous poursuivre, maintenant que ce fait a été établi?

M. Hannah : Voulez-vous parler de l’Alliance bancaire Net Zéro?

M. Radeczy : Pour renchérir sur le sujet, je dirai que les banques qui participent à l’Alliance bancaire Net Zéro fixent des objectifs pour des secteurs précis, y compris le secteur pétrolier et gazier, comme on l’a mentionné. Elles doivent surveiller le progrès réalisé pour atteindre ces cibles et sont censées s’efforcer de les atteindre. Je dirais qu’elles démontrent déjà cet engagement en tentant de réduire les émissions, en appuyant la transition énergétique et en établissant leurs propres cibles pour les secteurs — cibles qu’elles ont rendues publiques par le biais de l’Alliance bancaire Net Zéro.

Le sénateur Loffreda : Je vais commencer par poser la question, puis je vous donnerai deux ou trois entrées en matière, ou peut-être une seule. J’aimerais que vous abordiez d’autres enjeux techniques qui pourraient aller à l’encontre de la Loi sur les banques et de la ligne directrice sur la gouvernance d’entreprise. Nous n’en avons pas parlé, mais le sujet est néanmoins important parce que, comme je l’ai dit, d’autres sénateurs ont déjà demandé une liste, et il est important d’en discuter. Je crois que les intentions derrière le projet de loi sont bonnes. J’ai passé ma carrière dans le secteur bancaire à m’occuper de prêts et je peux affirmer que les intentions sont appropriées. L’enjeu préoccupant est le fait que ce projet de loi passe outre le pouvoir de l’organisme de réglementation; ce serait le premier projet de loi à avoir cet effet. Qui plus est, le Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF — et vous pourriez commenter là-dessus — s’est bâti une solide réputation à l’international, parmi les meilleures au monde. Notre système bancaire figure parmi les meilleurs de la planète. Nous avons dit que les banques n’avaient pas prédit la crise de 2008, mais le sénateur Yussuff a rectifié le tir : il a fait remarquer que les banques canadiennes l’ont prédite et évitée, mais pas seulement grâce à l’organisme de réglementation. La plupart des prêts octroyés par les banques américaines en 2008 étaient hors bilan; les banques ici — je le dis en tant que banquier canadien — auraient pu offrir ces mêmes prêts. Nous ne l’avons pas fait en raison de notre ADN et de la nature prudente des banques et des banquiers canadiens. J’ai confiance que les banques peuvent changer la donne en plus de gérer et d’atténuer ce risque. C’est mon avis, et j’aimerais connaître votre opinion. Je sais que les portefeuilles étaient diversifiés en 2008, et je suis certain qu’ils le sont encore aujourd’hui en matière de combustibles fossiles, entre autres.

La présidente : Nous écoutons vos commentaires.

M. Hannah : En réponse à votre première question sur la gouvernance d’entreprise et le rôle des administrateurs, effectivement, une des dispositions du projet de loi contreviendrait, à notre avis, à une obligation des administrateurs en vertu de la Loi sur les banques ou des lois provinciales et fédérale sur les sociétés par actions. En effet, la Loi canadienne sur les sociétés par actions et la Loi sur les banques exigent des administrateurs d’agir dans l’intérêt fondamental de la compagnie. C’est leur rôle. C’est leur obligation fiduciaire. Ce projet de loi stipule qu’ils doivent donner la priorité absolue aux engagements climatiques. Par conséquent, une nouvelle priorité suprême vient éclipser leur priorité ou engagement général d’agir dans l’intérêt primordial de la compagnie. Voilà pour la première question.

Pour ce qui est de la solidité financière des banques, oui, vous avez tout à fait raison : elles demeurent très robustes. Pour reprendre vos propos, l’organisme de réglementation est considéré comme l’un des meilleurs au monde. Les banques canadiennes figurent parmi les rares institutions financières à ne pas avoir eu besoin d’injection de capitaux.

J’ai oublié le reste de la question. Elle comportait différents volets.

Sur quels autres sujets portait-elle?

Le sénateur Loffreda : Elle portait aussi sur la diversification.

M. Hannah : Oui — le secteur bancaire à l’échelon national. Le secteur bancaire canadien est bien diversifié, comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire. Bien honnêtement, les secteurs énergétiques représentent un petit volet du secteur bancaire parce que l’économie canadienne est très diversifiée. Notre système bancaire est national, alors les banques assurent une présence d’un océan à l’autre et travaillent avec tous les secteurs. C’est la force interne de l’industrie. Elle est présente partout au pays. Par conséquent, elle est présente dans différentes économies régionales, qui ont leur propre composition commerciale. Les banques bénéficient de cette diversification.

Le sénateur Loffreda : Êtes-vous entièrement sûr que le BSIF pourra un jour changer la donne dans le dossier des changements climatiques?

M. Hannah : L’organisation a exprimé clairement — et le surintendant l’a fait valoir sans réserve — que le climat représente une de ses deux priorités. Le surintendant l’a répété à maintes reprises. Il en parle dans pratiquement toutes ses déclarations, et le BSIF a déployé beaucoup d’efforts en ce sens. L’organisation a rédigé la ligne directrice B-15 et mène un exercice d’analyse de scénarios. Ses représentants ont clairement fait valoir qu’il s’agit d’une priorité pour eux. Ils veilleront à ce que le dossier demeure prioritaire pour les banques et qu’il soit pris en considération dans la réglementation et la gestion du risque. C’est vraiment une priorité pour le BSIF, qui veut garantir que les institutions financières tiennent compte des changements climatiques. Il n’y a aucun doute là-dessus.

La sénatrice Miville-Dechêne : Dans son rapport de 2021 Net Zero by 2050, l’Agence internationale de l’énergie écrit noir sur blanc que l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050 implique qu’aucun nouvel investissement ne soit fait dans des projets de production de combustibles fossiles à compter de la date du rapport, le 11 mai 2021, qui remonte à plus de deux ans.

Voici ma question : vos membres ont-ils financé de nouveaux projets de production de combustibles fossiles depuis le 11 mai 2022?

M. Hannah : La réponse courte est que je ne le sais pas. Je dirais que c’est là qu’interviennent le plan de transition du gouvernement du Canada pour l’économie et la manière de réaliser cette transition. Le secteur bancaire va de pair avec l’économie. Nous essayons de favoriser la collaboration avec les acteurs de l’économie pour l’exécution des plans qu’ils ont élaborés. C’est un rôle important, et c’est ce que nous essayons de faire. Ainsi, la question est plutôt : dans quelle mesure l’économie canadienne a-t-elle fait, ou pas, des investissements dans ce domaine, et est-ce que les investissements s’inscrivent dans le plan du gouvernement du Canada?

La sénatrice Miville-Dechêne : Mais si ces investissements sont publiés, vous devriez connaître la réponse. Ne devriez-vous pas savoir si des investissements...

M. Hannah : Je ne suis pas au courant de chaque investissement parce que les banques comptent un grand nombre de clients.

Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, les banques offrent-elles encore du crédit aux entreprises pétrolières et gazières? Absolument. C’est encore un pan important de l’économie canadienne, et elles coopèrent avec elles pour gérer cette transition. C’est important. Cette industrie emploie des milliers de personnes, qui travaillent fort.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je le sais. Je me demande simplement si vous tenez compte des résultats, et non pas seulement des données publiées. Ces investissements sont-ils effectués dans des industries qui tentent de réduire leurs émissions de carbone?

M. Hannah : Tout à fait. Comme nous l’avons mentionné tout à l’heure, généralement, des sommes astronomiques sont investies dans les technologies renouvelables et de remplacement pour l’énergie et la finance durables.

La sénatrice Miville-Dechêne : Alors quel est le pourcentage? Au sein des banques que vous représentez, quelles sommes sont investies dans les combustibles fossiles et les nouvelles énergies?

M. Hannah : Je ne peux vous donner le ratio précis des combustibles fossiles comparativement aux nouvelles énergies parce que, bien souvent, ces investissements s’entremêlent. Je peux néanmoins vous dire que les sommes investies en finance durable par les six plus grandes institutions financières atteignent des centaines de milliards de dollars, selon leurs rapports sur la gouvernance environnementale, sociale et d’entreprise.

Le sénateur Gignac : J’aimerais revenir aux comparaisons avec l’Europe. À bien des égards, je partage votre inquiétude, ainsi que celle du sénateur Loffreda. D’ailleurs, le troisième pilier du secteur bancaire européen — qui porte sur les risques liés aux indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance — a été dévoilé en septembre de cette année. Les pays européens seront donc contraints d’être beaucoup plus transparents sur de nombreux enjeux.

Croyez-vous que le BSIF accuse du retard ou a une longueur d’avance comparativement à ce qui se passe en Europe? Pouvez-vous comparer ce qui est exigé ici à ce qui a été publié il y a deux mois par l’organisme européen sur le troisième pilier?

M. Radeczy : Oui, je peux parler du troisième pilier. L’Europe a publié ses exigences plus tôt, mais le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, dont le BSIF fait partie — l’organe réglementaire mondial — devrait seulement dévoiler sa consultation sur le troisième pilier ce mois-ci. De son côté, le BSIF a déjà demandé une publication à partir de l’an prochain dans le cadre de la ligne directrice B-15. Dans les faits, le BSIF a agi plus rapidement que le comité de Bâle. Il est vrai qu’il n’a pas agi aussi rapidement que l’Europe, mais le BSIF est actif à l’échelon international.

Le sénateur Gignac : On dirait bien que c’est le cas.

M. Radeczy : Le comité de Bâle a émis et finalisé les principes climatiques, pas les exigences sur la publication d’information, et le BSIF les a respectés en adoptant la ligne directrice B-15.

La sénatrice Galvez : La question que vous a posée ma collègue, la sénatrice Miville-Dechêne, portait sur le ratio. Il est curieux que vous ne le connaissiez pas, parce que Bloomberg a émis ces ratios, qui devraient être de 4 pour 1 d’ici 2030. Or, ils oscillent entre 0,3 et 0,4. Ils sont très faibles. Vous n’investissez pas beaucoup dans les énergies renouvelables.

Qu’en est-il de votre expertise en changements climatiques et pour modéliser le risque climatique? Combien de personnes...

La présidente : Avez-vous cette expertise?

M. Hannah : Les banques doivent gérer d’énormes risques. Elles doivent gérer toutes sortes de risques. Les risques climatiques sont une catégorie, mais elles doivent aussi gérer les risques opérationnels, les risques liés aux capitaux, les risques liés au marché, etc.

La sénatrice Galvez : Comptent-elles des physiciens du climat?

M. Hannah : Bien franchement, il s’agit habituellement de titulaires de doctorats, souvent en mathématiques, en statistique, dans certains cas en physique. Cela dépend. Mais ils forment le groupe de personnes le plus complexe qui soit parce qu’ils parlent leur propre jargon. Ils sont fascinants.

La présidente : Je vous remercie tous deux d’avoir participé à notre réunion. Merci à vous qui représentez l’Association des banquiers canadiens : Darren Hannah, vous êtes le vice-président principal de la stabilité financière et des politiques bancaires; et Bryan Radeczy, vous êtes le directeur de la stabilité financière. Nous vous remercions grandement d’avoir répondu à nos questions. C’est ce qui met fin à notre réunion. Merci.

(La séance est levée.)

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