LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 7 février 2024
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 16 h 14 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la réponse du gouvernement au huitième rapport (provisoire) du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie intitulé La nécessité d’une stratégie en innovation pour une économie fondée sur les données, déposé au Sénat le 15 juin 2023.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir à tous et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie, la première de 2024.
Je m’appelle Pamela Wallin et je suis présidente de ce comité. J’aimerais vous présenter les membres du comité qui sont présents, soit la sénatrice Bellemare; le sénateur Loffreda, notre vice-président; le sénateur Colin Deacon; la sénatrice Marshall; la sénatrice Martin; la sénatrice Miville-Dechêne et le sénateur Yussuff. Je souhaite la bienvenue à une nouvelle sénatrice, nommée hier. Nous accueillons la sénatrice Mary Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard.
Aujourd’hui, nous étudierons, entre autres choses, la réponse du gouvernement à notre huitième rapport provisoire intitulé La nécessité d’une stratégie en innovation pour une économie fondée sur les données. Pour vous rappeler ce dont il s’agit — car tout cela remonte à l’an dernier —, la collecte de données a toujours été axée sur les actifs corporels, comme les machines, les chemins de fer ou les centrales électriques, aux fins du calcul des statistiques, comme le produit intérieur brut, ou PIB, ou la croissance de la productivité. Cependant, l’évolution de la structure de notre économie, qui s’éloigne de la production de biens pour se tourner vers la prestation de services, ainsi que le rythme accru des changements technologiques ont fait augmenté l’importance d’avoir un plus grand nombre de formes d’actifs incorporels, comme les logiciels, les données et la propriété intellectuelle, ou PI.
L’examen de ces investissements incorporels constitue un élément important pour fournir des mesures précises de l’activité économique. Voilà pourquoi nous accueillons avec plaisir Anil Arora, statisticien en chef du Canada, de Statistique Canada. Il est accompagné d’André Loranger, statisticien en chef adjoint, Statistique économique, de Statistique Canada. Bienvenue à vous deux et merci de témoigner en personne.
Nous commencerons par la déclaration préliminaire de M. Arora. Vous avez la parole.
[Français]
Anil Arora, statisticien en chef du Canada, Statistique Canada : Honorables président du comité et sénateurs, c’est vraiment un honneur et un plaisir d’être avec vous aujourd’hui.
[Traduction]
En juillet dernier, le sénateur Deacon a prononcé le discours d’ouverture devant quelque 3 000 statisticiens de renommée mondiale réunis ici, à Ottawa, pour le Congrès mondial de la statistique de l’Institut international de statistique. Je dois dire que ses paroles résonnent encore. Il a déclaré que les renseignements fiables nous aident à être de plus en plus efficaces lorsque nous tenons notre engagement à traiter des questions cruciales comme les changements climatiques, l’équité et l’inclusion; qu’il est plus important que jamais d’avoir des faits exacts, pertinents et fiables; et qu’il était ravi de constater que Statistique Canada était de plus en plus conscient de la nécessité d’être axé sur les clients ou les utilisateurs.
C’est dans ce contexte que j’ai le plaisir de témoigner devant vous aujourd’hui.
Je suis statisticien en chef depuis un peu plus de sept ans, étant associé à Statistique Canada depuis 1988. Il est doux-amer de dire que je vais prendre ma retraite à la fin de mars, mais c’est vraiment un honneur. Je suis très fier du parcours d’innovation que notre organisme statistique a effectué au cours de ces nombreuses années, surtout les sept dernières, afin de fournir aux Canadiens des données et des renseignements de grande qualité et à jour.
Notre rôle de gérance des données consiste à établir et à diffuser des normes et à établir des partenariats avec des organisations d’un océan à l’autre afin de partager de façon responsable les données avec le gouvernement, les entreprises, les Canadiens autochtones, les universitaires, les organisations non gouvernementales et les entités sans but lucratif. Nous continuons de renforcer notre compréhension et notre système statistique en conséquence. Nous continuons de travailler à l’amélioration des compétences en numératie et en littératie tout en offrant des carrefours, des portails et des documents analytiques afin de mieux éclairer la prise de décisions.
[Français]
Nous sommes en effet dans une société et une économie axées sur les données, et les produits et l’expertise de Statistique Canada constituent une partie importante de l’écosystème de données du pays.
Je voulais vous laisser en vous communiquant trois messages clés.
Premièrement, l’élaboration de sources de données et de normes pour l’innovation dans une économie axée sur les données est essentielle.
[Traduction]
En 2021, les dépenses intérieures brutes globales en recherche et développement, ou R-D — des investissements dans la création de nouvelles connaissances qui peuvent entraîner la production de nouveaux produits, services et processus —, ont atteint près de 47 milliards de dollars, en hausse de 4 milliards de dollars par rapport à 2020. Cette augmentation constitue la plus forte hausse des dépenses en R-D d’une année à l’autre que le Canada a connue en 20 ans.
L’innovation fait partie intégrante d’une économie concurrentielle et productive. Il est important que nous comprenions les facteurs clés qui appuient et favorisent un écosystème d’innovation sain.
Afin de mieux comprendre les répercussions de la numérisation sur l’activité économique, nous avons mis en place des tableaux des ressources et des emplois numériques, et nous sommes en train de réaliser des estimations exploratoires du stock d’immobilisations incorporelles pour appuyer l’analyse de la productivité. En fait, nous sommes les premiers au monde à estimer la valeur des données dans le pays.
Nous mesurons également les exportations de services selon l’angle du commerce numérique et nous menons des enquêtes spéciales sur l’innovation, la recherche et le développement, y compris sur la propriété intellectuelle et les technologies de pointe.
De 2017 à 2019, près d’une entreprise sur cinq au Canada possédait au moins un genre de propriété intellectuelle, y compris des droits de PI à l’étranger. Un examen des revenus issus de la PI a permis de déterminer qu’en 2021, les entreprises canadiennes effectuant des travaux de R-D ont reçu 8,9 milliards de dollars en paiements pour leurs PI, leurs technologies ou d’autres formes d’assistance technique.
Ces enquêtes permettent également de recueillir des renseignements sur les obstacles à l’innovation ou à la commercialisation. De 2017 à 2019, c’est principalement en raison du coût financier associé à l’obtention des droits de PI que les entreprises n’ont pas protégé leur propriété intellectuelle.
À titre d’organisme statistique national du Canada, nous avons pour rôle de mesurer ces changements pour être mieux placés alors que la compétitivité de notre économie se transforme de plus en plus en actifs incorporels fondés sur le savoir.
Le deuxième message que je voudrais vous laisser, c’est que les plus de 100 ans d’expérience et l’expertise de calibre mondial de Statistique Canada peuvent aider à élaborer une stratégie nationale en matière de données. Qu’il s’agisse de corédiger la stratégie de données de la fonction publique fédérale ou de diriger la collaboration en matière d’intelligence artificielle et de normalisation de la gouvernance des données, nous jouons un rôle actif dans l’écosystème des données du Canada et nous contribuons à le façonner et à l’influencer.
[Français]
Le Conseil consultatif canadien de la statistique propose que Statistique Canada fournisse un soutien national en matière de gouvernance des données pour l’élaboration d’une stratégie nationale de données.
Troisièmement, les stratégies de données sont devenues essentielles pour s’assurer que les données et les renseignements sont régis et gérés de manière éthique, responsable et efficace. Nous sommes d’accord avec le comité sur la nécessité d’élaborer des règles claires pour l’utilisation, le partage et la protection des données afin d’améliorer notre compétitivité dans la sphère intangible.
Le travail que l’organisme a entrepris a toujours placé la protection de la vie privée et de la confidentialité au cœur de ses activités, et nos cadres et notre gouvernance sont de calibre mondial.
[Traduction]
En conclusion, les données constituent la pierre angulaire de notre économie et de notre société, et elles font partie intégrante des politiques publiques. Les données et les renseignements de grande qualité continueront de jouer un rôle de premier plan alors que nous travaillons ensemble à l’amélioration des cadres relatifs à l’économie numérique pour favoriser et promouvoir une économie innovante et axée sur les données.
[Français]
Je vous remercie encore une fois de l’occasion qui m’est donnée de discuter de l’importance des données dans l’économie numérique, et mon collègue et moi-même serons heureux de répondre à toute question.
Merci beaucoup.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Arora. C’est excellent.
Nous commencerons avec notre vice-président, le sénateur Loffreda.
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie, messieurs, de témoigner. Félicitations d’être les premiers à estimer la valeur des données au Canada. Comme on dit, à qui appartiennent les données, appartient l’avenir, alors merci d’effectuer ce travail.
J’aimerais que vous nous en disiez davantage sur l’investissement des entreprises au Canada par rapport à l’investissement des entreprises étrangères. Comment le Canada se classe-t-il par rapport aux autres pays? La Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la statistique, qui sont actuellement en vigueur, vous empêchent-elles d’obtenir ce dont vous avez parlé : des faits exacts, pertinents et fiables?
M. Arora : En ce qui concerne l’investissement des entreprises, il est question ici d’une économie de plus de 3 billions de dollars. Il s’investit quelque 54 milliards de dollars dans la recherche et le développement, dont 40 % le sont par des entreprises. Un tiers est investi par ce que nous appelons l’enseignement supérieur, donc le secteur universitaire.
Permettez-moi de pousser mon analyse un peu plus loin. Quand on regarde les entreprises elles-mêmes, la plupart des investissements sont effectués dans de grandes entreprises du pays. Près de 80 % de ces fonds sont investis dans des entreprises dont les revenus dépassent 100 millions de dollars.
De toute évidence, lorsque nous examinons les entreprises canadiennes actives à l’échelle mondiale ou les multinationales qui exercent leurs activités au Canada, on constate qu’elles investissent davantage dans la recherche, le développement et l’innovation. Elles jouent un rôle crucial dans le domaine incorporel, l’économie numérique et l’écosystème d’innovation. Nous essayons également d’être concurrentiels à l’échelle nationale, et les multinationales tentent, bien sûr, de soutenir la concurrence au Canada. Je me ferai un plaisir de vous donner plus de détails sur les résultats de notre enquête si des domaines précis vous intéressent.
Votre deuxième question portait sur l’interaction entre la Loi sur la statistique et la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Loi sur la statistique est fondée sur la Constitution, bien entendu. Elle confère à l’organisme statistique national qu’est Statistique Canada le pouvoir d’obliger les entreprises et les citoyens à fournir des renseignements, que ce soit dans le cadre d’un recensement ou d’une enquête obligatoire. Mais cela oblige également Statistique Canada à protéger ces renseignements. S’il s’agit d’entreprises, leur confidentialité doit être protégée. S’il s’agit de particuliers, leur vie privée doit être protégée.
Nous tenons notre promesse depuis plus de 100 ans. Pour nous, il n’y a pas de compromis. Ce n’est pas un « ou », mais un « et ». Nous nous sommes toujours demandé comment recueillir les renseignements les plus délicats qui intéressent les Canadiens et les entreprises pour les transformer en statistiques de grande qualité. Nous disposons de techniques, de mesures et de cadres. Nous avons des cadres de calibre mondial pour anonymiser, dépersonnaliser et créer les renseignements dont nous avons tous besoin pour prendre des décisions, que ce soit l’homme d’affaires du commerce du coin ou un employé du ministère des Finances qui s’en sert pour élaborer des politiques qui ont une incidence sur nous tous.
Le sénateur Loffreda : Qu’en est-il des pays étrangers ou des multinationales étrangères qui investissent au Canada? J’ai eu vent de divers classements. J’ai entendu des économistes dire que nous nous classions au troisième rang mondial. Je sais qu’au chapitre des investissements nationaux, nos entreprises, nos entrepreneurs pourraient investir davantage; nous pourrions faire beaucoup mieux. En ce qui concerne les investissements étrangers, j’ai entendu dire que nous nous en tirons bien. Est-ce le cas? Pourriez-vous nous donner plus de détails sur ces faits et nous indiquer dans quelle mesure ils sont fiables? J’ai entendu dire que nous nous classions derrière le Brésil et les États-Unis. Nous sommes au troisième rang dans le monde. Est-ce exact?
M. Arora : L’OCDE effectue en fait un peu de classement permettant de voir comment le Canada s’en tire. Selon le dernier chiffre dont je me souviens, il était au 19e rang sur les 37 pays de l’OCDE. En fait, il a perdu quelques plumes ces derniers temps.
Au pays, nous investissons environ 5 % dans notre économie incorporelle et dans ce domaine. Nous n’investissons pas autant que les États-Unis. En fait, nous investissons environ la moitié de ce qu’ils investissent.
Le sénateur Loffreda : Avez-vous ce chiffre?
M. Arora : Le chiffre pour les pays étrangers est un peu plus difficile à calculer, car toutes les économies ne sont pas pareilles, n’est-ce pas? Notre économie compte beaucoup de filiales d’entités étrangères, si l’on peut dire. Sur les plans des actifs incorporels et de la propriété intellectuelle, notre économie est très différente de celle des États-Unis, par exemple. Leur économie numérique est différente de la nôtre.
La comparaison des investissements des sociétés étrangères au Canada — ou dans tout autre pays d’ailleurs — témoigne dans certains cas du traitement fiscal qu’elles pourraient obtenir dans un pays donné. Une entité étrangère pourrait investir sa PI au Canada. Par exemple, il pourrait peut-être y avoir une institution, une université ou des endroits où elle investit dans la recherche et le développement. Cependant, dans son cas, il pourrait valoir la peine d’effectuer la production en Asie. Tout à coup, on voit les rendements qu’elle obtient. Ce sont des multinationales qui accomplissent différents volets de leurs activités dans différentes parties du monde. Il est donc extrêmement difficile de calculer sur une base réellement comparable.
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie. J’ai entendu le premier ministre dire que nous figurons au troisième rang, derrière les États-Unis et le Brésil, pour ce qui est des investissements étrangers au Canada. J’aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet. Merci beaucoup.
Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup de témoigner à titre de statisticien en chef, monsieur Arora. Vous rendez de grands services aux Canadiens, et j’apprécie votre travail à sa juste valeur.
Le rapport que nous avons publié portait sur la propriété intellectuelle, les données, les services numériques — et sur le fait que le Canada ne fait pas ce qu’il faut pour l’instant. Nous avons entendu à maintes reprises que 90 % de la valeur de l’indice Standard&Poor’s réside dans les actifs incorporels. Le monde accorde beaucoup de valeur aux actifs incorporels, pourtant nous ne protégeons pas suffisamment notre propriété intellectuelle. Nous ne protégeons pas du tout nos données à l’heure actuelle. Les Canadiens sont des cancres à ce chapitre.
D’une certaine façon, il existe un écart entre ce qui se passe dans le reste du monde sur le plan de la création de valeur fondamentale et de richesse dans les entreprises, et la manière dont nous suivons le rythme en modifiant nos politiques publiques et nos lois. Comment pouvons-nous nous aligner plus soigneusement avec StatCan à l’avenir afin de commencer à suivre correctement les tendances? Les gens obtiennent de temps en temps des portraits de la situation de StatCan, mais nous ne regardons pas le film. Or, avec le temps, le film devient inquiétant. Selon vous, quelle aide StatCan pourrait-il apporter au Comité des banques, par exemple, en ce qui concerne précisément ce rapport? Pouvez-vous mettre en lumière les lignes de tendance distinctes de ce que nous ont montré des témoins aux fins de recommandations et nous aider à disposer de données que nous pourrions suivre dans l’avenir pour voir si les mesures stratégiques prises commencent à orienter ces lignes de tendance dans une direction plus positive? Nous faisons le travail, publions le rapport et passons à autre chose, mais cela ne fonctionne pas. Je vous laisse répondre, monsieur.
M. Arora : Tout d’abord, je vous remercie beaucoup. C’est quelque chose qui fait plaisir à entendre de nos jours. Une société complexe comme la nôtre dépend indubitablement de notre capacité à nous dépasser. Notre pays compte 0,5 % de la population mondiale et figure parmi les 10 premières économies du monde au chapitre de l’envergure.
Nous devons nous surpasser. Si nous voulons croître au rythme actuel, nous devons hausser et maintenir notre niveau de vie et notre productivité, et non les diminuer.
Comme vous l’avez souligné, un nombre croissant d’industries de services et d’économies incorporelles jouent un rôle plus important. En fait, le Canada retire beaucoup plus de ses économies numériques et incorporelles que des économies plus traditionnelles. Cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas importantes vu leur taille relative dans l’économie, mais pour ce qui est du potentiel de croissance, elles sont en expansion.
Le défi, sénateur, c’est que la somme d’investissements que nous faisons ne correspond pas à la taille. Bien que le montant que nous investissons dans la R-D augmente bien, en termes de pourcentage, sa croissance est en fait inférieure à celle de l’économie et de la croissance générale. Nous devons trouver un moyen de suivre la croissance de l’économie et des secteurs qui offrent un bon rendement.
Vous avez absolument raison. Nous devons brosser des portraits de la situation plus souvent qu’une fois de temps en temps. Nous devons suivre la situation de près et avoir les données qui nous permettent de corriger le tir et d’apporter des améliorations afin de tirer le maximum de nos investissements.
En ce qui concerne la PI au Canada, ici encore, environ 12,5 % des entreprises commencent à détenir des droits d’auteur, des marques de commerce ou des brevets. Il s’agit en majorité de droits d’auteur et de marques de commerce, les brevets étant peu nombreux par rapport au nombre que nous considérons que nous devrions voir au pays. Nous avons examiné un peu plus sur la question pour comprendre pourquoi.
Nous avons demandé aux entreprises pourquoi on n’assure pas davantage cette protection? Certaines ont dit que, comme on le sait, cela limite les marges de profit au pays. Sans protection de la PI, on ne peut pas prendre de l’expansion, car d’autres vont s’emparer de la PI dans laquelle on a investi. Nous avons constaté que la moitié des entreprises considèrent que ce genre de protection de brevet est trop onéreuse ou trop longue à obtenir, ou ne voient pas quelle valeur elle pourrait avoir parce que même si elles bénéficiaient de cette protection, elles jugent que le montant qu’elles devraient débourser pour assurer la protection juridique de leur PI est prohibitif dans certains cas. Ce type de données illustre le genre de travail que nous devons accomplir pour que ce système dissuade moins les entreprises d’acquérir des brevets.
Les entreprises canadiennes aiment aussi breveter leur PI aux États-Unis, par exemple, parce qu’elles voient le potentiel de croissance dans un marché plus grand. Il y a aussi des questions d’économies d’échelle. Comme je l’ai indiqué, des filiales d’autres entreprises sont en activités au Canada. Les entreprises canadiennes ont besoin de ce genre d’écosystème. Certaines ont dit que c’était une question culturelle. Cela peut expliquer en partie la situation, mais je pense que cela va au-delà de ce facteur. Je pense que c’est plus que d’une question de culture. Nous devons avoir les ensembles de compétences et la capacité de croître, et éliminer les obstacles afin que les entreprises soient incitées à en faire davantage en matière de brevets. Nous devons éliminer les obstacles existants.
Le sénateur C. Deacon : Je voulais me concentrer davantage sur les données que nous voyons. Lorsque nous avons recueilli les données de recherche pour la préparation de notre rapport et entendu les témoignages, on nous a dit que nous ne réagissions pas sur le plan des politiques publiques, en fait. Autrement dit, nos lois sur la protection de la vie privée ne sont pas adaptées par rapport à la manière dont les données des Canadiens sont extraites, utilisées et monétisées ailleurs dans le monde. Nous essayons toujours de faire adopter de nouvelles mesures législatives en matière de protection de la vie privée par le Parlement.
Je crains qu’une grande partie de l’information recueillie par Statistique Canada ne contribue pas à faire évoluer les politiques et les lois. Nous avons produit un rapport dont nous sommes tous très fiers. Comment nous assurer que nous suivons réellement les types d’indicateurs que nous avons jugés importants et les progrès du Canada? À ce stade-ci, nous avons besoin que des modifications soient apportées aux politiques afin qu’elles correspondent aux réalités des changements qui se produisent à l’échelle mondiale dans les technologies et les modèles d’affaires. Comment aider les prochains gouvernements à maintenir la pression lorsque les Canadiens réclament différents types de changements, mais que les besoins sont très clairs? Les choses deviennent disparates en quelque sorte.
La présidente : Notre question est la suivante : recueillez-vous le bon type de données par rapport aux besoins des gens?
M. Arora : Comme vous l’avez dit, il y a une grande quantité d’information. Nous servons les entreprises pour voir quels sont les obstacles qu’elles rencontrent.
Concernant votre remarque précédente sur la nécessité ou non de cesser de considérer ces choses comme des éléments distincts, nous devons commencer à les considérer comme faisant partie de l’écosystème. Nous devons mettre en place les mesures de protection que les Canadiens méritent et auxquelles les entreprises doivent travailler.
Au cours de la dernière année, environ 70 % des Canadiens ont été victimes d’un incident de cybersécurité. On ne peut pas se contenter d’examiner chaque élément individuellement. Comme vous l’avez dit, il nous faut une stratégie défensive. Nous avons également besoin d’une stratégie permissive.
Je sais que des collègues d’autres organismes gouvernementaux et ministères travaillent à un certain nombre de recommandations qui figurent dans votre rapport. Je pense que les données de Statistique Canada doivent être encore mieux connues et utilisées, car c’est la raison pour laquelle nous les fournissons. Des occasions comme celle-ci — faire en sorte que ces données soient connues, mieux utilisées, plus fréquemment disponibles et mieux intégrées — seront un élément de l’écosystème dont nous avons besoin.
La présidente : Nous allons essayer de continuer, car nous avons une longue liste d’intervenants qui veulent poser des questions.
La sénatrice Marshall : Comment déterminez-vous quelles statistiques et quels renseignements vous allez recueillir? Vous recueillez certaines données de façon régulière, mais vous en ajoutez toujours de nouvelles. Comment le déterminez-vous? Est-ce que c’est vous qui le décidez ou est-ce que vous recevez des demandes? Comment cela se passe-t-il? Ensuite, comment vous assurez-vous que les parties qui devraient obtenir ces données les obtiennent réellement? S’il s’agit d’information à propos du gouvernement, est-ce que vous sortez le bâton?
Les relations entre le gouvernement et les grandes entreprises m’intéressent beaucoup, car j’ai vu de nombreux articles qui indiquent qu’elles ne sont pas bonnes. Avez-vous l’impression que les entreprises auxquelles vous demandez des données sont quelque peu réticentes ou très soucieuses d’en préserver la confidentialité?
M. Arora : Ce sont de grandes questions. Merci, sénatrice.
Tout d’abord, comme bien d’autres organismes gouvernementaux, nous disposons d’une base de financement pour un ensemble de programmes. Je dirais que ce n’est pas exclusif, mais pour vous donner une idée générale, la majeure partie de la base que nous avons couvre les programmes en matière d’économie et certains des programmes en matière de travail. Il y a l’indice des prix à la consommation, ou l’IPC, l’Enquête sur la population active, le PIB et les composantes du PIB, telles que le commerce, etc.
La sénatrice Marshall : Tout le temps.
M. Arora : C’est dans notre base et nous recueillons des données à certaines fréquences — mensuelle, trimestrielle, annuelle ou, dans certains cas, quinquennale — pour alimenter nos classifications et nos systèmes qui sont acceptés à l’échelle internationale.
Parce que nous produisons des données qui doivent désormais alimenter le Fonds monétaire international, ou le FMI, ou l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou l’OCDE — bien sûr, nos propres ministères chargés de l’établissement de politiques comptent sur la production des données à une fréquence donnée et sur l’information fournie —, nous sommes financés pour faire ce genre de choses. C’est le premier élément.
Nous disposons également d’un programme de recouvrement des coûts. D’autres organismes ou des ministères peuvent dire qu’ils aimeraient qu’une étude spéciale soit réalisée sur un sujet donné et nous demander si nous pouvons effectuer une enquête. Dans certains cas, nous utiliserons des données administratives. Nous utiliserons des données fiscales. Nous utilisons d’autres sources de données, même des données de satellite — une imagerie du rendement de cultures, par exemple. Dans le cadre de notre démarche axée sur la modernisation, nous utilisons toutes sortes de méthodes novatrices pour tenter de répondre aux questions pour lesquelles les entreprises et les décideurs du Canada ont besoin de réponses. Il y a donc aussi un élément de recouvrement des coûts.
La sénatrice Marshall : Est-ce que la Chambre de commerce ou l’un des instituts de recherche pourrait s’adresser à Statistique Canada et lui dire « pouvez-vous produire cette information? » Vous pourriez le faire, n’est-ce pas?
M. Arora : Je dirai deux choses. Tout d’abord, en vertu de la loi, toute information que nous recueillons est mise à la disposition de tous les Canadiens — sous forme agrégée — parce que les Canadiens ont payé pour cela. Si une entreprise privée ou une organisation nous demande de recueillir certains renseignements, elles se montrent généralement quelque peu réticentes à l’idée qu’on les mette à la disposition de tous ce faisant.
Ce n’est pas très fréquent, mais cela dit, nous avons de nombreux partenariats. En fait, il y a un laboratoire de données sur les entreprises que nous avons créé avec la Chambre de commerce pendant la pandémie. Nous lui avons demandé quels étaient les besoins. Elle voulait s’assurer que les entreprises fournissaient des renseignements susceptibles d’avoir une influence sur les programmes gouvernementaux. Nous avons mis en place l’Enquête canadienne sur la situation des entreprises et nous avons travaillé avec elle. Elle a participé à l’élaboration du contenu de l’enquête, et c’est fait tous les trimestres. Le Laboratoire de données sur les entreprises permet de rassembler de l’information sur les besoins des entreprises en un seul endroit et nous y apportons les données de Statistique Canada. Nous fournissons l’infrastructure. C’est ainsi que nous mettons en place ce type d’accords de collaboration. Nous avons de nombreux autres exemples.
Pour ce qui est de la manière dont nous fournissons ces données, nous avons maintenant des carrefours et des portails. Nous organisons des séminaires. Nous organisons des séances de questions-réponses. Chaque jour, vous pouvez télécharger notre application et obtenir ce que nous publions le jour même.
Nous constatons qu’au cours des deux ou trois dernières années, l’utilisation de ce que nous offrons a considérablement augmenté. Je suis ravi que nous réussissions à faire en sorte que les Canadiens disposent du type de données dont ils ont besoin.
Cela suffira-t-il? Est-ce suffisant? Bien sûr, nous pouvons toujours faire mieux et c’est là tout l’enjeu de nos efforts.
La sénatrice Marshall : Merci.
La présidente : Je voudrais enchaîner là-dessus parce que j’ai devant moi des témoignages que nous avons entendus ici.
Les gens voulaient des données plus détaillées. Par exemple, l’information sur le marché du travail est fondée sur des enquêtes. Je crois que l’enquête ciblait 60 000 ménages. C’est en quelque sorte un modèle d’excellence, mais c’est aussi limité parce qu’il ne s’agit que d’une enquête.
L’ancien gouverneur de la banque, Stephen Poloz, a donné l’exemple des données sur la productivité. Il a déclaré que nous ne savions pas comment bien mesurer la productivité. Il a donné l’exemple des hôpitaux, où l’on mesure la production en fonction du nombre de lits, ce qui n’a vraiment rien à voir avec la productivité dans un domaine très important. Comment réagissez-vous par rapport à ces deux domaines particuliers?
M. Arora : Merci, sénatrice. Tout d’abord, nous avons un système d’information sur le marché du travail. Oui, l’une de ses composantes est l’Enquête sur la population active, une enquête mensuelle. Environ 110 000 personnes au Canada nous informent de leur situation — si elles sont toujours à la recherche d’un emploi, si elles travaillent, si elles sont dans une situation où elles ne travaillent pas temporairement, etc. C’est ce qui nous donne les chiffres sur le chômage et l’emploi. C’est, si l’on veut, le volet qui concerne l’offre.
Nous disposons également de l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail. Lorsque les entreprises paient, elles doivent le faire savoir à l’ARC, et nous obtenons toutes les données administratives du côté de la demande. Il s’agit donc ici de l’employeur.
Il y a quelques différences conceptuelles et nous les prenons en compte. Ensuite, nous avons l’Enquête sur les postes vacants et les salaires, qui nous donne des renseignements sur les postes vacants dans l’économie.
Ces trois éléments combinés, l’Enquête sur la population active, qui représente un nombre non négligeable de personnes que nous interrogeons chaque mois, et qui demeurent dans l’enquête pendant six mois, de sorte que nous suivons l’évolution de leur situation, et un sixième de l’enquête sort chaque mois; l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail; et l’Enquête sur les postes vacants et les salaires, se complètent et font partie du système d’information sur le marché du travail.
Comme vous le savez, nous suivons de très près ce qui se passe sur le marché du travail, car cela a une incidence importante sur notre économie. Même le nombre de postes vacants, qui est passé d’environ un million à moins de 700 000, nous donne une idée de la marge de manœuvre dont dispose l’économie à mesure que les politiques monétaires produisent leurs effets.
Voilà pour le marché du travail. Nous avons probablement l’un des marchés du travail les plus solides au monde.
Pour ce qui est de la désagrégation des données, le gouvernement actuel a investi dans le Plan d’action sur les données désagrégées. Nous avons maintenant des données non seulement par rapport à la moyenne et à la situation des personnes d’une région ou d’une industrie donnée, mais aussi à la situation des Canadiens noirs, des Canadiens handicapés, des Canadiens racisés et des nouveaux immigrants.
Nous disposons désormais de données d’une richesse sans précédent sur ce qui se passe sur le marché du travail et sur les personnes qui sont touchées de diverses façons. Je vous encourage à jeter un coup d’œil aux résultats que nous présentons par l’intermédiaire des carrefours et des portails.
La présidente : Pourriez-vous alors me dire rapidement comment vous mesurez la productivité? L’exemple relatif à la santé est troublant.
M. Arora : Au fond, il s’agit de la quantité d’efforts et du résultat obtenu. C’est la différence entre l’effort fourni — que l’on parle de travail, de capital, de formation, d’investissement, etc. — et le résultat obtenu.
Ce que nous avons constaté en suivant la situation de manière constante, sur la base d’une définition reconnue à l’échelle internationale, c’est que la productivité n’a cessé de diminuer dans notre pays. Après les années 2010, si l’on veut, avec les chocs pétroliers et d’autres événements, nous avons constaté une baisse constante de notre productivité, et son niveau se situe toujours en dessous de celui que nous avions avant la pandémie.
La présidente : J’y reviendrai plus tard. Je veux que d’autres personnes puissent participer.
[Français]
La sénatrice Bellemare : J’aimerais justement vous parler du niveau de compétence. On sait que la productivité dépend aussi de notre capital humain, un capital intangible. Je sais que souvent, vous mesurez le capital intangible selon le niveau de scolarité.
Par contre, il y a des mesures, à l’international, qui ont été développées lors d’une étude à laquelle vous avez participé dans les années 2010 ou peut-être même avant. On a déterminé des niveaux de compétence allant de 0 à 5 pour les compétences essentielles. Le Canada, dans le cadre de cette étude, se situait juste un peu au-dessus de la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques ou OCDE, soit autour de 2 et des poussières.
Il serait intéressant de faire des suivis à cet égard. Je ne sais pas comment vous mesurez l’investissement en capital humain, si c’est toujours selon le nombre d’années de scolarité, mais cela ne nous informe pas sur le niveau de compétence, parce qu’on parle de pénurie de compétences.
Pouvez-vous nous parler un peu de vos intentions au sujet du suivi à faire sur cette étude internationale? Pouvez-vous également nous dire si vous avez des plans afin de mesurer les niveaux de compétences autrement que selon le niveau de scolarité? Parce que cela ne nous dit rien sur les niveaux de compétences numériques, par exemple.
M. Arora : Merci beaucoup pour cette question.
Vous avez absolument raison. Il y a une différence avec notre niveau de scolarité — nous sommes au premier rang en ce qui concerne le nombre de diplômés.
Cependant, il y a des moyens pour mesurer les compétences, comme vous l’avez dit. L’an dernier, on a terminé une étude avec l’OCDE dont les résultats seront publiés cette année. C’est un test qu’on fait auprès des Canadiens quant au niveau de compétence dans différents domaines : les mathématiques et d’autres. On a une mesure de comparaison avec d’autres pays.
Quand on parle de productivité dans les entreprises, par exemple, il y a un haut niveau de compétence qu’il faut mesurer, et lorsqu’il s’agit des immigrants récents, il y a un autre niveau à mesurer. Est-ce qu’ils travaillent dans le domaine où ils ont fait leurs études?
Un autre facteur est la façon dont les entreprises et l’économie changent leur demande en matière de compétences. On mesure le niveau d’investissement des entreprises dans ce domaine. Nos études disent que nos dépenses représentent la moitié des investissements aux États-Unis, par exemple. De plus, cela est lié à la propriété intellectuelle. On a un système où on gradue...
La sénatrice Bellemare : Je veux revenir sur les comparaisons internationales des niveaux de compétence, telles qu’elles ont été faites il y a une dizaine d’années.
Il y a des pays qui se donnent des stratégies de productivité et des stratégies de hausse des niveaux de compétence au moyen de ces indicateurs. Si le Canada ne fait pas un tel suivi, comment peut-on se donner des stratégies de relèvement des compétences? Il nous faut des indicateurs clés.
Vous m’avez nommé les différents points, mais il serait intéressant que Statistique Canada puisse faire des tests sur les compétences essentielles pour se comparer avec d’autres.
M. Arora : Comme je le disais, selon le sondage que nous avons mené l’an dernier avec l’OCDE, on est bien aligné en ce sens. Il n’est absolument pas question de faire cela nous-mêmes, mais il s’agit d’avoir une mesure de comparaison.
La sénatrice Bellemare : Quand cela va-t-il sortir?
M. Arora : Cela va sortir cette année. L’OCDE va publier les résultats aussi.
André Loranger, statisticien en chef adjoint, Statistique économique, Statistique Canada : Merci pour la question. À Statistique Canada, on a quand même un gros programme de recherche en matière de capital humain. Il est vraiment centré sur plusieurs composantes du capital humain, incluant la scolarité, et cetera, mais il y a plus que cela. Cela est lié à la manière dont on valorise le capital humain et à la façon dont on l’intègre aux autres mesures économiques.
Si vous êtes amatrice de statistiques et que vous comprenez la comptabilité nationale, il y a un projet de recherche traitant de comptabilité nationale en ce qui a trait aux normes : le Système de la comptabilité nationale de 2012 est un standard mondial. On fait une révision du manuel pour 2025.
Dans le programme de recherche du cadre, on songe à améliorer les mesures. Il y a beaucoup de travail expérimental en matière de capital humain afin d’éventuellement être capable de l’intégrer à d’autres mesures qui sont plus directes.
La sénatrice Bellemare : Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, messieurs.
Je voulais d’abord une précision. Vous avez parlé de vos clients, par exemple, d’une chambre de commerce qui demande des statistiques. Comme Statistique Canada est financé par les deniers publics, est-ce que vos clients paient lorsqu’ils demandent des contrats particuliers? Vous aviez l’air de dire que c’est une espèce d’échange de bons procédés en réponse à une question. Si une chambre de commerce ne paie pas, comment vous assurez-vous que les clients de différents milieux ont accès à vous et à vos données quand ils le veulent?
M. Arora : La plupart de nos produits comme les données, les bases de données, les publications et autres sont disponibles gratuitement — 99 % le sont.
On fait des consultations régulièrement. S’il y a une demande de la part des entreprises, les chambres de commerce, par exemple, on pourra y répondre au moyen de nos produits, avec les ressources qu’on a et qu’on ajoute sur le site Web. Quand il y a une demande précise qui provient d’une entité particulière, ce n’est pas quelque chose qui est une demande habituelle. Alors oui, bien sûr, il y a une politique du gouvernement qui prévoit que les gens doivent payer pour leur demande.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question sur la concurrence. Dans cette étude, à laquelle je n’ai pas vraiment assisté, Philip Cross est venu dire que vous ne mesuriez plus la concurrence avec des indices de concentration.
Avez-vous d’autres mesures? Par exemple, on a parlé de l’industrie de l’alimentation, c’est un sujet d’actualité. Mesurez-vous les indices de concurrence dans les différents domaines économiques au Canada?
M. Loranger : M. Cross a raison.
En ce qui concerne la concentration, on se fie beaucoup aux études qu’on fait sur les intrants dans l’économie; les firmes qui font faillite, par exemple. On a des programmes mensuels et annuels qui mesurent la composition de l’économie selon les entités qui entrent et sortent de l’économie.
Grâce à ces mesures, on peut déterminer la concentration, mais on ne publie pas d’indice de concentration, comme on le faisait par le passé.
La sénatrice Miville-Dechêne : Pourquoi?
M. Loranger : C’est un produit analytique qui n’était pas tellement utilisé.
La sénatrice Miville-Dechêne : Alors, y en a-t-il d’autres qui seraient plus efficaces pour mesurer la concurrence? Parce qu’il me semble que l’absence de concurrence est une donnée importante dans notre société.
M. Loranger : À Statistique Canada, oui, et on travaille beaucoup aussi avec le ministère ISED — j’ai oublié le nom...
La sénatrice Miville-Dechêne : Le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique (ISDE).
M. Loranger : Comme ils produisent beaucoup d’indices de concurrence, alors on tente d’éviter la duplication. Ils se fient beaucoup à nos chiffres pour produire cela, en fait.
[Traduction]
La sénatrice Petten : Ma question s’adresse à M. Arora. De plus en plus, nous voyons des canulars et des hypertrucages générés par l’intelligence artificielle faire l’objet des grands titres de l’actualité. Dans un rapport, le Centre intégré d’évaluation du terrorisme est allé jusqu’à dire que ce type de supercheries visuelles ou d’hypertrucages constitue une menace constante pour la sécurité publique.
Quel est le rôle de Statistique Canada sur le plan de la littératie numérique ou de la compétence médiatique et quel est votre plan concernant les technologies émergentes et l’essor de l’intelligence artificielle auxquels nous faisons face?
M. Arora : Je vous remercie de la question. Oui, lorsque nous voyons les hypertrucages, c’est inquiétant, car une telle chose pourrait toucher l’un d’entre nous. Il pourrait s’agir d’une entreprise qui est ciblée ou présentée sous un faux jour, ou de l’un de nos collègues, employés ou membres de notre famille. C’est très troublant. Dans certains cas, les technologies facilitent la diffusion de ce genre de fausses images. Vous avez tout à fait raison de dire qu’une grande quantité de mauvaises informations circulent.
Que fait Statistique Canada? Tout d’abord, nous mesurons la façon dont les gens consomment l’information dans ces différents formats. Par exemple, parmi les gens qui vont sur les médias sociaux pour essayer d’obtenir des données ou des statistiques, nous constatons que 54 % d’entre eux seront très sceptiques à l’égard d’un point de données ou de quelque chose qu’ils voient et prendront l’initiative de le corroborer à l’aide d’une autre source. Vous vous demandez donc ce qu’il en est des 46 % restants. Que font-ils?
Il s’agit donc d’un réel problème. Nous devons être présents sur les médias sociaux. Comme je le disais tout à l’heure, l’une de nos initiatives de modernisation consiste à être beaucoup plus présents sur les médias sociaux afin de pouvoir fournir davantage de renseignements aux Canadiens par les moyens de communication qu’ils utilisent et de mesurer leur consommation.
Il existe aujourd’hui des technologies qui permettent, de manière globale, de détecter et de corriger les mauvaises informations. Par exemple, dans le cadre du recensement, nous avons constaté que certaines conversations contenaient de fausses informations et cela nous permet de mettre en place des mesures pour corriger ce type d’information. Il y a des développements qui sont perturbants, mais il y en a d’autres qui permettent de faire de bonnes choses.
La dernière chose que je voudrais dire est que, sous la direction du Conseil canadien des normes, j’ai présidé la première version du Collectif canadien de normalisation en matière de gouvernance des données. À l’approche de ma retraite, je viens de quitter la coprésidence du Collectif canadien de normalisation en matière d’IA et de gouvernance des données. Là encore, nous réunissons littéralement des centaines d’organisations pour demander quelles sont les normes à appliquer à l’utilisation de l’IA, que ce soit au sein du gouvernement, dans l’industrie, dans les collectivités autochtones ou dans d’autres ordres de gouvernement. Nous leur demandons quels sont les mécanismes de conformité à mettre en place et quelles sont les stratégies de normalisation et de conformité.
Encore une fois, nous jouons un rôle très actif parce que nous croyons qu’il est possible d’utiliser les données et la technologie de manière responsable, mais qu’il faut disposer des cadres, des normes et des mécanismes de conformité nécessaires pour s’assurer que tout se passe correctement.
Le sénateur Yussuff : Monsieur Arora, je vous souhaite une bonne retraite. Je vous remercie pour le grand service que vous avez rendu au pays.
Le rôle de Statistique Canada a beaucoup changé et continuera probablement d’évoluer. Nous sommes confrontés à une situation économique très complexe en évolution. Nous faisons face au vieillissement de la population. Nous ne pensions pas en arriver là, mais nous avons tous maintenant les cheveux gris. Il s’agit d’une bombe démographique. De même, nous avons une population immigrante beaucoup plus grande. On parle de gens qui sont arrivés au pays avec d’immenses talents. La tendance se maintient dans les données — malgré leurs compétences et leurs capacités, ils ne travaillent pas dans les domaines qui peuvent bénéficier à l’économie.
Étant donné que, dans notre rapport, nous examinons essentiellement comment nous pouvons faire mieux, que devrait faire Statistique Canada pour informer nos décideurs sur ce qu’il faut faire pour rattraper le retard? Le fait est que le pays n’attend pas. Vous avez dit tout à l’heure que, en ce qui a trait à la productivité, quelle que soit la mesure utilisée, nous ne réalisons pas les gains que nous devrions faire. Un certain nombre de réalités entrent en ligne de compte, comme l’investissement, la technologie, le développement de nouveaux produits, etc.
Si vous vous projetez dans l’avenir, étant donné que vous allez prendre votre retraite, à quoi ressemblera votre travail dans 10 ans, et qu’est-ce que les Canadiens ont besoin de savoir à partir des données que vous recueillez pour nous aider à prendre de meilleures décisions politiques sur la manière de bâtir une économie plus dynamique?
M. Arora : Je vous remercie, sénateur, de cette question approfondie, pertinente et très à propos.
Tout d’abord, il y a quelques mois, j’ai eu l’honneur de donner ce que l’on appelle une conférence Manion, c’est-à-dire une conférence que l’on demande aux gens de donner dans le cadre de l’École de la fonction publique du Canada. J’y ai parlé de la croisée des chemins à laquelle se trouve notre pays et j’ai abordé tous les points que vous avez soulevés. La démographie, dans un certain sens — et je n’ai pas inventé cela — nous définit. Les effets des événements qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale se manifestent aujourd’hui. Les plus jeunes des baby-boomers auront 60 ans cette année. Les plus âgés sont octogénaires. C’est la population qui connaît la plus forte croissance dans notre pays. Cela a d’énormes répercussions sur tous les secteurs, depuis les soins de santé jusqu’au marché du travail. Comme vous l’avez dit, notre réponse, sur le plan politique, est l’immigration, mais nous continuons à vieillir. Même si nous avons les taux d’immigration qui augmentent le plus rapidement parmi les pays du G7, depuis quelques décennies, notre taux de fécondité est de 1,33. Nous avons cependant besoin d’un taux de remplacement de 2,1.
L’environnement et les liens économiques transforment la situation géopolitique mondiale, et l’instabilité transforme notre économie et les types d’investissements dont nous avons besoin, ainsi que les partenaires auxquels nous avons accès à l’échelle mondiale.
Vous avez tout à fait raison de dire que ces facteurs n’interviennent pas seulement à titre individuel, mais qu’ils se combinent pour façonner notre société. Nous voyons la cohésion sociale et d’autres facteurs. La société, l’économie et notre environnement sont intimement liés.
Pour revenir à ce que le sénateur Colin Deacon disait plus tôt, nous devons regarder le film. Nous devons voir la société dans toute sa complexité, et non pas en fonction de notre structure en matière de compétences ou de ministères.
Les récits qui sont racontés aux Canadiens et les renseignements qui leur sont fournis leur permettent de consommer et de voir les liens entre ces choses. Ces cadres de qualité de vie offrent maintenant non seulement des mesures quantitatives, mais ils décrivent aussi comment les gens vivent ces situations. Je pense que les décideurs doivent pouvoir commencer à envisager de ne pas se contenter de prendre des décisions et de gérer ensuite les conséquences imprévues, mais de prendre des décisions tout en étant conscients des répercussions possibles et de faire des choix difficiles.
Je pense que c’est ainsi que Statistique Canada joue — et devrait continuer à jouer — ce rôle. Nous devrions fournir le niveau de détails nécessaire pour qu’il ne s’agisse pas seulement d’une moyenne. Nous devrions décrire l’expérience vécue par les différents groupes dans une région du pays ou dans une sous‑population. Nous devrions cerner les lacunes et indiquer les tendances, les normes et les catégories que d’autres entités qui ont des données peuvent commencer à partager. En un sens, il devrait s’agir d’un véritable sport d’équipe. Nous vivons dans une société et une économie axées sur les données. Nous devrions donc assurer l’intégration entre tous ces éléments. C’est le rôle que jouera désormais, selon moi, Statistique Canada.
Le sénateur Yussuff : Étant donné que vous collectez depuis un certain temps de nouvelles données sur certains groupes démographiques au sein de la population active... Je ne peux pas vous dire à quel point ces renseignements sont précieux pour ces groupes démographiques, car pendant très longtemps, on considérait inutile de savoir où ils se situaient dans l’ensemble de l’économie.
Bien entendu, malgré les données que nous collectons, le tableau n’est pas parfait, mais Statistique Canada est-il suffisamment intervenu auprès de ces communautés? Si ces communautés disposent de ces données, elles peuvent défendre leurs propres intérêts et n’ont pas besoin que d’autres le fassent à leur place. S’est-on demandé comment relier ces données à ces communautés, en reconnaissant qu’elles font maintenant partie des données mensuelles que nous fournissons au pays lorsque nous collectons des données et nos propres statistiques sur le marché du travail?
M. Arora : Je suis tout à fait d’accord avec vous en ce qui concerne le type d’approche et les types de partenariats que nous établissons pour collaborer avec ces communautés et les aider à utiliser des normes et à mieux utiliser les données elles-mêmes, afin qu’elles puissent défendre les intérêts des Métis, des Premières Nations ou des Inuits, ou de la communauté philippine ou de la communauté coréenne. Nous travaillons en partenariat avec ces communautés pour déterminer comment elles peuvent être considérées dans cette vue d’ensemble du Canada. Elles doivent voir cela. Nous devons veiller à ce que les données ne laissent personne de côté, que ce soit accidentellement ou délibérément. Notre pays ne peut pas se permettre de laisser des gens de côté. Nous devons nous assurer que nos politiques sont pleinement informées par des données qui montrent toute la diversité du Canada.
La sénatrice Martin : Je vous remercie tous les deux de votre présence aujourd’hui. Je vous félicite également pour votre prochain départ à la retraite.
J’aimerais en quelque sorte faire suite à l’intervention du sénateur Loffreda, dans laquelle il examinait comment la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la statistique pourraient entraver la capacité de Statistique Canada de collecter et de diffuser des renseignements de quelque façon que ce soit.
Lorsque vous parlez de cette sphère intangible, qui est ici et maintenant et qui est très importante, et que vous parlez des partenariats que vous avez établis — vous avez mentionné la communauté philippine, la communauté coréenne, etc. — est-ce que nos lois sont adéquates pour répondre de façon satisfaisante à la situation actuelle? Y a-t-il des modifications législatives qui, selon vous, devraient être envisagées par le gouvernement actuel ou les gouvernements à venir?
M. Arora : Nous sommes des statisticiens. Nous ne sommes pas des décideurs politiques. J’ai déjà occupé des postes d’élaboration des politiques, mais ce n’est pas mon rôle actuel.
Nous publions tellement de renseignements. Je fais partie des comités de sous-ministres qui examinent différentes considérations politiques. Statistique Canada est un organisme indépendant, mais il ne peut être isolé — il doit répondre à l’évolution des besoins politiques du pays. C’est la raison pour laquelle le rôle du statisticien en chef est très important. Nous devons nous assurer que ces statistiques sont ventilées et accessibles et qu’elles éclairent les décisions politiques. Nous jouons ce rôle dans une bien plus large mesure au cours de ces années de modernisation.
Ce que peuvent faire, par exemple, mes collègues de Femmes et Égalité des genres Canada, ou FEGC, face à la situation actuelle ou ce que peut faire Patrimoine Canada face aux crimes haineux qui se produisent ou au manque de confiance envers les institutions... Ces organismes doivent réagir aux données que nous publions. Nous participons activement à ce processus. Je continue d’encourager mes collègues à affirmer que les données ne peuvent pas être utilisées après l’élaboration des politiques, mais qu’elles doivent plutôt faire partie intégrante, dès le départ, du processus de décision politique, afin que nous puissions déterminer les résultats que nous souhaitons obtenir. Nous devons également déterminer les indicateurs qui nous permettront d’y arriver. Ensuite, nous serons en mesure d’évaluer la situation et, plus important encore, de corriger le tir si nous n’obtenons pas les résultats escomptés.
Je pense que les données ne sont pas une ressource passive. Elles ne sont pas un produit secondaire. Elles doivent être intégrées au processus. Je pense que nous avons fait beaucoup de progrès dans ce domaine.
La sénatrice Martin : Votre réponse est très avant-gardiste et positive, mais il semble que nous soyons toujours en retard sur un grand nombre de nouvelles tendances. Notre monde subit des changements constants et très rapides. À la suite des conversations que vous avez eues avec des ministères ou des organismes, pensez-vous que nos lois actuelles sont adéquates?
M. Arora : Je laisserais mes collègues se prononcer sur cette question. Nous fournissons des données et des faits qui se fondent sur les méthodologies et les approches à notre disposition. Leur travail consiste à se demander quelles lacunes nos lois sont censées combler et à déterminer si elles suffisent à la tâche ou non. Bien entendu, il y a ensuite un processus par lequel nous décidons — en vous incluant dans ce processus — jusqu’où nous voulons vous accompagner, et ce que nous souhaitons accomplir. Je pense qu’à titre de législateurs et de décideurs, vous devez non seulement avoir une idée de la situation, mais aussi de la nature intégrée de notre économie, de notre tissu social et sociétal et de l’environnement, comme nous l’avons vu pendant la pandémie, car ces éléments sont importants.
Il faut constamment évoluer pour disposer de données et d’indicateurs de qualité et pour nous tenir collectivement responsables des résultats que nous avons déterminés au départ, puis nous doter de la capacité, comme vous l’avez dit, de voir les choses en mouvement. Je suis une personne optimiste, mais je vois des signes positifs dans les cas où, selon moi, les données changent la donne en ce qui concerne l’orientation choisie. Nous pouvons maintenant voir les détails et les différentes répercussions. Il s’agit donc de déterminer ce que nous ferons à ce sujet.
La présidente : Je vous remercie beaucoup.
La sénatrice Ringuette : Je suis très heureuse de vous revoir. Je dois dire que vous êtes toujours aussi passionné, et je ne sais donc pas comment vous allez réussir à prendre votre retraite. Néanmoins, je vous souhaite une bonne retraite.
J’aimerais vous poser deux questions. La première fait suite à la question sur la productivité. En effet, cela fait plus de 15 ans que l’on entend dire que les entreprises canadiennes ne font même pas la moitié des investissements que font les entreprises américaines. Vous venez de dire que le capital... Vous venez tout juste d’indiquer que la situation est similaire en ce qui concerne la formation du capital humain.
Ce sont les données dont nous disposons, mais je dois admettre que, jusqu’à présent, nous n’avons aucune interprétation de ces données quant à la raison pour laquelle les entreprises canadiennes investissent moins que leurs homologues américaines, à la fois en ce qui concerne les capitaux et le capital humain. Pouvez-vous nous fournir une interprétation de ces faits et de ces données?
M. Arora : Tout d’abord, je vous remercie de vos aimables paroles. Même si je prends ma retraite, je serai toujours au service du Canada. Je dois tout à mon pays, et je continuerai donc de suivre la situation et d’offrir mes services.
Votre question est simple, mais la réponse est complexe, car elle présente de multiples facettes. Lorsque nous comparons notre économie à celle d’autres pays industrialisés comme les États-Unis ou les pays européens, nous constatons qu’elle est très différente d’un grand nombre d’autres économies. Par exemple, contrairement à de nombreux pays d’Europe, nous disposons de ressources naturelles. Les États-Unis ont une économie numérique très robuste, et nous évoluons dans cette direction. Notre écosystème, notre population et notre assiette de la consommation sont différents. L’analyse des différentes facettes de cette question à l’aide des données que nous collectons nous aide à comprendre les raisons pour lesquelles nous n’en faisons pas davantage dans ce domaine.
N’oubliez pas que 98 % des employés de notre pays travaillent dans des petites et moyennes entreprises. Dans de nombreux cas, ces entreprises n’ont pas les moyens et les capitaux nécessaires pour investir autant qu’elles le devraient. Nous devons donc nous demander quelles mesures politiques nous devrions prendre pour faciliter les choses à ces entreprises qui trouvent que c’est un processus très coûteux et difficile et déterminer ce que nous pouvons faire pour améliorer leur accessibilité à ces programmes. Ces entreprises trouvent que c’est trop difficile ou trop coûteux, ou dans certains cas, elles ne voient pas la valeur ou la valeur du rendement de ces investissements.
Dans de nombreux cas, les entreprises investissent parce qu’elles y sont obligées. Nous leur demandons de le faire pour des raisons liées à la réglementation, à la sécurité ou pour d’autres raisons. Elles doivent également déterminer l’économie d’échelle qui leur permettra de rentabiliser cet investissement dans notre pays. Parfois, elles considèrent qu’il est préférable d’investir dans un pays étranger, car elles peuvent voir un marché qui leur permettra d’y arriver. Certaines diront que le rendement n’est pas suffisant, et que leur objectif est donc d’atteindre une certaine taille, puis d’être rachetées par quelqu’un d’autre parce que c’est beaucoup plus avantageux, selon leurs calculs.
Il n’y a pas de réponse universelle. Nous avons mené des travaux sur les entreprises qui utilisent certains des programmes les plus importants offerts au pays pour favoriser ces types d’investissements. Comme je l’ai dit, ce sont surtout les grandes entreprises qui font ces investissements, car nous parlons d’investissements de plusieurs millions de dollars. Je pense qu’ils atteignent de 10 à 20 millions de dollars. Il faut donc avoir les ressources financières nécessaires pour pouvoir prendre le risque de faire ces types d’investissements, et s’attendre ensuite à ce que ces investissements soient rentables. Lorsque nous effectuons cette comparaison, nos données montrent que les entreprises qui ont eu recours à ces programmes obtiennent de meilleurs résultats, emploient davantage de personnes et détiennent une plus grande part de marché. Nous avons également vu des entreprises qui agissent à l’échelle internationale, et lorsqu’elles font ce type d’investissement en capitaux et en personnel, elles ouvrent de nouveaux marchés.
Il n’y a pas de solution universelle. Cela dépend beaucoup de la taille de l’entreprise, de sa part de marché et de sa capacité à prendre des risques. Nos données révèlent toutefois qu’il existe des obstacles et que nous devons les éliminer pour qu’un plus grand nombre de nos entreprises puissent prospérer.
La sénatrice Ringuette : D’accord. Pourriez-vous nous envoyer une liste de ces obstacles?
M. Arora : Oui. Nous avons d’ailleurs publié les résultats de ces études. Je serais très heureux de les faire parvenir à chacun d’entre vous.
La sénatrice Ringuette : Au cours des dernières années, notre comité a entendu dire que les données personnelles avaient une valeur financière. Je crois que de plus en plus de personnes, en particulier la jeune génération, s’en rendent compte. Êtes‑vous préoccupés par votre capacité à collecter des données, car si ces données ont une valeur, des particuliers et des entreprises pourraient demander une compensation financière en échange de leur divulgation?
Avez-vous des inquiétudes à ce sujet?
La présidente : Je vous demanderais d’être concis, car nous avons déjà dépassé le temps imparti.
M. Arora : Oui. Cela nous préoccupe constamment, car si les citoyens et les entreprises ne répondent plus aux enquêtes — et qu’en plus, nous avons des difficultés à utiliser des données administratives et d’autres sources de données —, je ne sais pas quelles autres sources de renseignements vous utiliserez pour éclairer vos décisions. C’est donc inquiétant. Nous sommes certainement d’avis qu’il faut remercier les gens, mais pas en leur versant une compensation financière, car ceux qui acceptent une telle compensation n’ont pas le même point de vue que ceux qui ne l’acceptent pas. Cela introduit un biais et, tout à coup, les résultats reflètent ceux qui acceptent une compensation financière. On introduit donc soudainement toute une série de perturbations dans le système sans savoir si les résultats sont représentatifs ou s’ils ne sont que le reflet de ceux qui sont prêts à payer ou à être payés pour fournir ces données.
La sénatrice Ringuette : Vous n’avez donc pas évacué cette possibilité.
M. Arora : De notre point de vue, c’est un bien public qui doit être accessible. Si nous voulons obtenir un échantillon représentatif, nous devons parfois invoquer la loi pour contraindre les membres du public — lors du recensement — à remplir les questionnaires. Nous ne sommes pas fermés à l’idée. Lorsque nous inondons une personne de demandes au point que celle-ci doive consacrer plusieurs jours à remplir des questionnaires, il existe peut-être des formes de dédommagement. Nous ne sommes pas complètement fermés à l’idée. Toutefois, aucun organisme statistique dans le monde ne dédommage les membres du public. C’est un principe général. Je pense que ce doit être un bien public. Les citoyens et les entreprises doivent comprendre que leur contribution rapportera à l’ensemble des citoyens et des entreprises. Appelons cela un échange de bons procédés.
La présidente : Merci. Nous essayons de conclure ce segment. Le message que nous avons pour vous porte entre autres sur l’obtention de données détaillées. Parvenez-vous à obtenir les données assez rapidement pour répondre aux questions dont nous sommes saisis?
Allons-y rapidement pour une dernière série de questions.
Le sénateur C. Deacon : Le Canada compte 10 millions d’habitants de plus qu’il y a 20 ans, mais 100 000 entrepreneurs de moins. Ces chiffres dénotent une dégradation des conditions de réussite. C’est de plus en plus difficile de devenir un entrepreneur au Canada.
Vous avez établi un Plan d’action sur les données désagrégées. J’assistais ce matin à un événement vraiment intéressant de la Chambre de commerce sur l’entrepreneuriat dans les communautés noires et sur la mise en place des conditions de réussite. Allez-vous nous fournir des données qui pourraient nous aider à comprendre ce que nous devons faire pour mettre en place des conditions propices à la réussite?
Merci encore, monsieur Arora.
M. Arora : Je répondrais « toujours ». Nous allons toujours nous efforcer d’en faire plus. Nous ne mettrons jamais de point final à notre mission. Plus nous fournissons d’informations, plus les questions posées seront pertinentes, ce qui engendrera une autre piste d’enquête qui nous amènera à consulter d’autres sources de données. En bref, le travail des organismes statistiques n’est jamais terminé. Il est perpétuel en soi. Nous devrions continuer à nous dépasser en trouvant des questions plus pertinentes, plus approfondies et mieux intégrées. Nous devons tendre vers une société — je le répète — qui ne nous oblige pas à choisir entre, d’une part, confidentialité et protection des renseignements personnels, et d’autre part, les informations dont nous avons besoin. De fait, les organismes statistiques comme le nôtre — les chefs de file mondiaux — disposent de cadres, de méthodes et de moyens qui permettent de faire les deux. Nous fournissons ce niveau de détail et nous assurons la confidentialité et la protection des renseignements personnels. Voilà pourquoi nous devons travailler sur tous les fronts. Nous avons besoin d’un cadre législatif assez robuste pour inspirer aux Canadiens la confiance vis-à-vis de Statistique Canada et de l’utilisation qu’il fait des données. Des mesures de contrôle devraient être mises en place pour empêcher les autres organismes de détruire cette confiance ou d’en abuser et pour les obliger à faire preuve de transparence dans la conduite de leurs activités.
La présidente : Merci.
Le sénateur C. Deacon : J’aimerais bien que vous déposiez un rapport concret ou le début d’un compte rendu sur la question.
M. Arora : Comme nous en avons discuté tout à l’heure, sénateur, des moyens devraient être mis en place pour nous permettre de le faire sur une base régulière. En fait, le dernier point que je vais soulever sur le sujet est la mise sur pied, par le gouvernement, du Conseil consultatif canadien de la statistique, qui produit annuellement un rapport sur l’état du système de statistiques. Le rapport traite de tous les thèmes dont nous avons discuté aujourd’hui. Nous devons poursuivre sur cette lancée pour que Statistique Canada soit présent dans votre esprit et qu’il réponde à vos besoins.
[Français]
La sénatrice Bellemare : J’aimerais aussi vous souhaiter une joyeuse retraite bien méritée. Je suis certaine qu’avec votre passion, vous allez vous occuper.
Je vous pose la question qui tue, peut-être : est-ce que vous allez utiliser — ou peut-être le faites-vous déjà — l’intelligence artificielle pour analyser et colliger les données?
M. Arora : Absolument. On a une soixantaine de projets où on utilise quelques éléments de l’intelligence artificielle pour, par exemple, classifier les réponses. Par exemple, quelqu’un a écrit quelque chose, et on utilise la technologie afin de faire le lien entre la réponse et le système de classification qui se rattache à cela.
Par exemple, on calcule les valeurs nutritionnelles de nos aliments. Comme vous l’avez dit, le pays a beaucoup changé, et on utilise maintenant des images pour avoir une idée des valeurs nutritionnelles au lieu de demander, par exemple, ce que vous avez mangé.
Dans le système agricole, on utilise les images des satellites et la technologie pour déterminer ce qui a été semé et les récoltes, par exemple.
Je pourrais vous donner d’autres exemples, mais cela vous donne une indication à savoir comment on utilise la technologie.
[Traduction]
La présidente : C’est très bien. Sénateur Loffreda, vous avez l’honneur de soulever le dernier point.
Le sénateur Loffreda : Je suis ravi de conclure cette discussion. Je vous remercie encore une fois et je vous transmets mes meilleurs vœux pour votre retraite.
La concurrence est extrêmement importante pour l’économie au pays. Or, nous avons constaté un manque de concurrence dans un grand nombre de secteurs. Nous pensons tout de suite au secteur des épiceries et au taux d’inflation qui se situe entre 5 et 7 % cette année. Nous avons besoin de plus de concurrence. Je crois que les politiques ont autorisé les fusions et les acquisitions dans le passé pour que les entreprises puissent soutenir la compétition avec les multinationales américaines dans le cadre de l’accord de libre-échange. C’est notre inquiétude qui nous a amenés à donner le feu vert à ces transactions.
Statistique Canada produit-il des données sur la concurrence? Même si cette notion est très difficile à définir, avons-nous des données sur la concurrence?
Des données sont-elles produites sur les fusions et les acquisitions qui ont reçu le feu vert au cours des dernières années? Si nous en avions, nous pourrions élaborer de meilleures politiques sur la concurrence. Pouvez-vous jouer un rôle ou pouvez-vous produire des données qui nous permettraient de porter un regard plus attentif et plus éclairé sur ce qui se passe et de mieux comprendre le phénomène de la concurrence afin d’améliorer la conjoncture au Canada?
M. Arora : C’est une question très complexe. Je vais amorcer une réponse, mais je serais heureux de vous fournir un suivi par écrit si vous le souhaitez.
Nous publions des données sur les fusions et les acquisitions de même que sur l’évolution des tendances et des valeurs à un niveau agrégé. Nous produisons aussi des données sur la propriété des entreprises et sur leur évolution au fil du temps.
Je vais vous donner un exemple concernant l’état actuel du secteur de l’alimentation et de l’inflation. Nous venons de lancer le Carrefour de données sur les prix des aliments — vous pouvez y accéder et y jeter un coup d’œil — qui nous permet d’examiner les facteurs qui déterminent le prix que va payer le consommateur pour un produit. Ces données ne sont pas directement liées à la concurrence, mais elles donnent un aperçu des différents éléments qui interviennent dans le prix payé par les consommateurs. Dans certains cas, la concurrence est un élément très important. Le ministre Champagne s’occupe de ce dossier, si je ne m’abuse. J’ajouterais par contre d’autres facteurs tels que les conditions météorologiques, les endroits où sont achetés les aliments, le transport, la valeur du dollar ainsi que le prix du pétrole et de l’engrais. Tous ces éléments entrent en jeu dans le prix que va payer le consommateur. La concurrence peut aussi jouer un grand rôle.
Nous avons produit des rapports sur le secteur des télécommunications, par exemple, qui présentent le prix d’un forfait donné et son évolution au fil du temps. Ces informations peuvent être utilisées par d’autres organismes qui pourront analyser dans cette perspective les indices de concurrence entre autres choses. J’estime que les données brutes que nous fournissons permettent aux autres d’analyser la situation dans un secteur donné.
La présidente : C’est formidable. Merci. Je suis ravie que vous ayez trouvé le temps de vous joindre à nous avant de quitter votre poste de statisticien en chef. Vous pourrez dire à votre successeur de se préparer à témoigner régulièrement, car nous avons beaucoup de questions, comme vous avez pu le constater.
Nous remercions le statisticien en chef, M. Anil Arora, et le statisticien en chef adjoint, M. André Loranger, de Statistique Canada. Nous vous remercions de votre temps et du travail que vous faites.
Cela met fin à la réunion. Je vais demander aux membres du comité directeur de rester pour une petite réunion. Merci.
(La séance est levée.)