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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 17 avril 2024

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 16 h 14 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier des questions concernant les banques et le commerce en général.

La sénatrice Pamela Wallin présidente occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous ici et en ligne, et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et je préside ce comité.

J’aimerais vous présenter les membres du comité qui sont présents aujourd’hui : le sénateur Loffreda, qui est vice-président du comité; la sénatrice Bellemare; la sénatrice Marshall; la sénatrice Martin; le sénateur Massicotte; la sénatrice Miville-Dechêne; la sénatrice Petten; la sénatrice Ringuette et le sénateur Yussuff.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre discussion sur de nombreuses questions, dont l’impôt minimum de remplacement, ou IMR, et plus particulièrement son incidence sur le secteur caritatif. Le budget fédéral a été déposé cette semaine, et je suis certaine qu’il y aura des questions sur toutes sortes d’enjeux incluant ceux-ci, sur la taxe sur le carbone et sur le projet de loi.

Nous avons le réel plaisir d’accueillir en personne le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux. Il est accompagné aujourd’hui de Matt Dong, analyste, et de Katarina Michalyshyn, analyste principale au Bureau du directeur parlementaire du budget. Bienvenue à tous. Merci beaucoup d’être des nôtres aujourd’hui. Nous allons commencer par vos remarques liminaires, monsieur Giroux.

[Français]

Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous avoir invités à témoigner aujourd’hui. Je suis heureux d’être ici moi aussi pour discuter de l’impôt minimum de remplacement ou d’autres sujets de votre choix.

En septembre 2023, mon bureau a publié un rapport sur les modifications à l’impôt minimum de remplacement proposé dans le budget de 2023. Je suis accompagné aujourd’hui de Katarina Michalyshyn et Matt Dong, qui sont les deux analystes responsables de ce rapport.

Les modifications à l’impôt minimum de remplacement visaient à augmenter les revenus tirés de l’impôt minimum de remplacement et à faire en sorte que les contribuables ayant les revenus les plus élevés paient une proportion plus importante des revenus totaux découlant de cet impôt. D’après l’analyse de mon bureau, les revenus nets découlant de ces modifications sont estimés à 2,6 milliards de dollars sur cinq ans.

[Traduction]

La majeure partie de cette augmentation de revenus proviendrait des contribuables plutôt que des fiducies. Parmi les particuliers, on s’attend à ce que le fardeau fiscal soit transféré aux personnes à revenu plus élevé qu’avant les changements. L’inverse serait vrai pour les fiducies; les fiducies ayant des revenus plus faibles feraient face à un fardeau plus élevé.

En vertu des nouvelles règles, le nombre de personnes qui paient l’impôt minimum de remplacement diminuerait considérablement. En 2028, environ 29 000 personnes le paieraient en vertu de ces nouvelles règles contre 78 000 en vertu des règles précédentes. La majeure partie de la réduction serait axée sur les personnes dont le revenu est inférieur à 200 000 dollars. Il y aurait une augmentation du nombre de contribuables payeurs parmi ceux ayant des revenus supérieurs à 400 000 dollars. Faute de données, il n’a pas été possible de calculer l’évolution du nombre de fiducies qui paieraient l’IMR en vertu des nouvelles règles.

Après la publication du rapport, certains parlementaires ont demandé à savoir comment les changements apportés à l’IMR pourraient affecter les dons de bienfaisance. Mon bureau a cherché à savoir s’il était possible d’entreprendre ce type d’analyse. Malheureusement, faute de données suffisantes, il n’a pas été possible d’établir une estimation de l’effet de ces changements sur les dons de bienfaisance.

Nous serons heureux de répondre à vos questions sur notre analyse des changements apportés à l’IMR ou tout autre travail de mon bureau.

La présidente : Merci beaucoup. Oui, c’est ce que les témoins nous ont dit la semaine dernière, car l’impact n’a pas encore été ressenti. Certains craignent simplement que ces changements engendrent un effet de refroidissement sur tout cela. Je vous remercie de vos remarques liminaires. Nous allons maintenant directement passer aux questions avec notre vice-président, le sénateur Loffreda.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie d’être des nôtres cet après-midi, monsieur Giroux.

Comme vous l’avez dit, vous avez publié vos plus récentes perspectives économiques et financières le 5 mars dernier. Pour les Canadiens qui nous écoutent, il est important de savoir que vous prévoyez que la croissance de l’économie canadienne restera faible en 2024, avec une croissance trimestrielle du produit intérieur brut réel autour de 1 %, une baisse des dépenses de consommation au premier semestre et une baisse des investissements résidentiels au cours de l’année en raison du niveau des taux d’intérêt. Vous prévoyez que l’inflation reviendra à son objectif de 2 % d’ici la fin de l’année.

Ma question est la suivante : les mesures prévues dans le budget de 2024 suscitent-elles des inquiétudes et ont-elles une incidence sur vos prévisions?

M. Giroux : Il est un peu tôt pour déterminer l’impact des mesures budgétaires sur nos prévisions économiques et financières. En fait, c’est plus facile à faire pour les prévisions financières, mais pas pour les prévisions économiques. L’une des préoccupations que l’on pourrait soulever à propos du budget concerne les nouvelles augmentations de dépenses publiques. Comme le gouverneur de la Banque du Canada l’a dit à quelques reprises, l’augmentation des dépenses publiques — provinciales ou fédérales — peut avoir un impact inflationniste. Lorsque nous constatons une augmentation des dépenses dans le budget — dans ce budget et dans d’autres budgets provinciaux — nous nous préoccupons du rythme de ces augmentations. Nous nous demandons si ce rythme pourrait quelque peu compliquer la tâche de la Banque du Canada qui cherche à contenir ou à ramener l’inflation à son objectif de 2 %.

Le sénateur Loffreda : J’ai une deuxième question rapide : compte tenu de la dernière augmentation du taux d’inflation, craignez-vous que cette mesure n’influence les réductions de taux que vous prévoyiez dans votre rapport? L’inflation n’a pas augmenté drastiquement, mais il y a quand même eu augmentation et non diminution.

M. Giroux : Oui, vous avez raison, il y a eu une légère augmentation hier, le jour où Statistique Canada a publié l’indice des prix à la consommation, ou IPC, pour les données les plus récentes.

Je ne suis pas si inquiet, car il sera toujours difficile de revenir à un objectif d’inflation de 2 %. Plus on se rapproche de cet objectif, plus c’est difficile. Il est beaucoup plus facile de passer de 8 % à 4 % que de 4 % à 2 %, par exemple. C’est pourquoi on a toujours pensé que les deux dernières décimales seraient probablement les plus difficiles.

Je ne suis pas encore inquiet, car certaines composantes de base de l’inflation montrent des signes de retour à 2 %, voire moins. Cela dit, nous suivrons de près les prochaines publications de l’IPC par Statistique Canada au cas où il y aurait une tendance à la résurgence de l’inflation.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La sénatrice Marshall : Merci, monsieur Giroux, à vous et vos fonctionnaires d’être des nôtres. Je regarde votre rapport du 7 septembre. En ce qui concerne l’impact des changements proposés à l’IMR, ce type de changement budgétaire, avez-vous une idée de la façon dont cela va changer les chiffres de votre rapport? Allez-vous les mettre à jour? C’est ma première question.

Le gouvernement avait une proposition pour l’IMR, mais a fait demi-tour et a plutôt décidé de le modifier en cours de route. Cela donne presque l’impression qu’il ne sait pas ce qu’il fait. Il avait une proposition, mais a changé d’idée et en a proposé une autre. J’aimerais avoir votre avis à ce sujet.

Ma première question porte sur les données de votre rapport. Allez-vous publier une nouvelle version du rapport avec les données mises à jour?

M. Giroux : Oui, il y a eu des changements apportés à l’IMR dans le budget d’hier. J’ai regardé le budget, et il fait 400 pages, alors je ne me souviens pas exactement de tous les changements. Cela dit, je crois qu’en ce qui concerne l’IMR, entre autres choses, on prévoit un changement au taux d’inclusion du taux d’imposition des organismes de bienfaisance et des gains en capital. Nous mettrons donc à jour notre calcul du coût de l’IMR pour refléter les changements les plus récents proposés par le gouvernement dans le budget de 2024.

Pour ce qui est du raisonnement derrière ce changement budgétaire, il est difficile de l’expliquer avec exactitude, mais on aurait tendance à croire qu’avant d’apporter un changement aussi important à une mesure fiscale — l’introduction des changements apportés à l’IMR en premier lieu — le gouvernement aurait probablement pris en compte les incidences que cela pourrait avoir sur certains contribuables.

J’ai l’impression que le gouvernement a probablement reçu des réactions négatives quant à l’impact que cette mesure aurait sur les dons de bienfaisance, et c’est probablement ce qui explique les changements dans le budget.

La sénatrice Marshall : Merci. En ce qui concerne les changements apportés aux gains en capital des particuliers et des entreprises, surtout par opposition aux dons, pensez-vous que cela aura une incidence sur le comportement des gens? Pensez-vous que cette mesure pourrait non seulement avoir un impact en matière de planification fiscale, mais aussi en inciter certains à s’installer ailleurs? Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?

L’IMR vise les contribuables à revenu élevé. On entend maintenant apporter des modifications aux gains en capital, ce qui vise également ceux qui ont des revenus élevés. Ces contribuables se sentent probablement ciblés.

Pensez-vous que certains de ces changements auront une incidence sur le comportement des contribuables concernés?

M. Giroux : Je pense que oui, surtout si l’on considère ceux qui seront affectés par les deux changements. Il s’agit des personnes dont les revenus sont les plus élevés, les 0,13 % mieux nantis pour les modifications relatives aux gains en capital. Pour l’IMR, il s’agit de ceux qui gagnent plus de 400 000 dollars, c’est-à-dire, grosso modo, entre 400 000 et 450 000 dollars. Ces personnes ont généralement une grande capacité de planification fiscale; elles restructurent leurs affaires financières pour minimiser leur fardeau fiscal.

Lorsqu’une personne doit payer l’IMR au cours d’une année, elle peut le reporter sur les sept années suivantes. Il est moins probable que cela entraîne des changements de comportement majeurs, mais il pourrait tout de même probablement y en avoir si, par exemple, quelqu’un se voit refuser des dons au titre du crédit d’impôt pour les organismes de bienfaisance à cause de l’IMR et qu’il le sait. Il pourrait alors décider de laisser tomber. Il reportera probablement sa déclaration aux années suivantes ou transférera une partie de ses revenus à l’étranger, si possible.

La sénatrice Marshall : Merci.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Merci d’être avec nous, monsieur Giroux. Vos perspectives sont toujours très importantes pour nous. J’avais plusieurs questions. Je vais commencer par la dernière, parce qu’elle me tracasse. Je voudrais avoir des réponses. Cela concerne le projet de loi S-243, qui vise à aligner la finance, les banques et les institutions financières sur le climat en apportant toutes sortes de modifications pour changer les comportements, afin que le secteur financier prenne en compte les risques liés à la crise climatique dans ses opérations.

À première vue, comme économiste, je crois que ce projet de loi n’a pas d’impacts sur les revenus et les dépenses directs du gouvernement, mais il a des impacts sur les entreprises privées, leurs dépenses et leurs revenus. Par conséquent, cela aura des impacts majeurs sur l’économie. L’objectif est intéressant, parce qu’on vise la crise climatique, mais il y a d’autres politiques pour faire cela. Je voudrais vous entendre sur les impacts économiques de ce projet de loi. Est-ce que cela peut, par ricochet, augmenter les dépenses du gouvernement ou réduire les revenus?

M. Giroux : Bien sûr, un projet de loi comme celui que vous avez mentionné, le projet de loi S-243, visant à rendre le financement du secteur pétrolier et gazier et du secteur des énergies fossiles un peu plus difficile, aura probablement des impacts, peut-être pas à court terme, mais certainement à moyen et à plus long terme, notamment en rendant le financement de ce secteur un peu plus difficile pour le secteur financier.

C’est le but ultime du projet de loi : rendre le financement de ces secteurs un peu plus difficile. Si l’on fait en sorte que les institutions financières visées par la loi soient plus réticentes ou qu’il y ait moins de facteurs désincitatifs à financer ce secteur, cela augmentera probablement les coûts de financement du secteur et réduira ses profits. Conséquemment, cela pourrait réduire l’activité économique ou à tout le moins les revenus du gouvernement fédéral tirés de l’impôt sur le revenu de ces entreprises.

La sénatrice Bellemare : Vous dites que le financement des activités du secteur pétrolier sera légèrement plus coûteux. Ce que je lis dans l’obligation pour les banques de détenir 1 250 %... Enfin, ce sont des chiffres astronomiques. Cela ne couperait-il pas complètement les fonds? Est-ce qu’à ce moment-là, cela empêcherait ce secteur de transitionner vers une économie verte?

M. Giroux : Si les exigences sont aussi importantes, cela pourrait porter certaines institutions financières à abandonner complètement le secteur. J’ai parlé de l’augmentation du taux de financement ou du taux que les banques exigent pour prêter à ce secteur.

Il est possible que, en présence d’autres choix et d’autres clients, certaines institutions financières décident de l’abandonner complètement. Celles qui resteraient dans le secteur exigeraient sûrement une prime plus importante.

La sénatrice Bellemare : D’accord. Éventuellement, si jamais on avait besoin de plus de renseignements, êtes-vous en mesure de faire une analyse d’impact de ce projet de loi?

M. Giroux : Si c’est le souhait du comité, par l’entremise d’une motion, on peut toujours faire notre possible pour vous éclairer dans la mesure de nos capacités.

La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup, monsieur Giroux.

[Traduction]

La présidente : Merci. J’aimerais également ajouter — parce que nous avons reçu de nombreuses observations de personnes souhaitant comparaître devant notre comité — que l’agriculture est également très touchée par ce qui est proposé dans le projet de loi S-243.

Nous avons tendance à penser au pétrole, au gaz et au secteur de l’énergie, mais le secteur agricole demande aussi énormément de capital, ne serait-ce que pour acheter une moissonneuse-batteuse dont on a besoin pour l’automne. L’agriculture représente environ 7 % du PIB. C’est énorme. Avez-vous des préoccupations à propos de ce secteur également?

M. Giroux : Oui, si le secteur agricole est également touché par le projet de loi S-243. Cependant, le secteur agricole a tendance à bénéficier de certains programmes gouvernementaux — ce qui me rend un peu moins inquiet — contrairement au secteur des hydrocarbures, qui bénéficie également de certains avantages fiscaux, mais qui n’est pas perçu de la même façon par les Canadiens moyens.

La présidente : J’y reviendrai.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Monsieur Giroux, merci d’être parmi nous; c’est très apprécié.

Vous avez fait référence à la Banque du Canada et à M. Dodge, l’ancien gouverneur, qui ont clairement indiqué que la cloche sonne du point de vue de tout ce qui a trait au manque d’investissement et à la productivité. Le budget, c’est une orientation vers la consommation et peu d’investissement. Ils ne le disent pas clairement, mais il y a vraiment une sérieuse inquiétude quant au fait qu’on est en train de faire une erreur majeure et qu’on va payer pour pendant quelques décennies, surtout nos enfants et petits-enfants. Ils cherchaient des solutions et un engagement plus sérieux. Ce n’est pas le cas. J’aimerais bien avoir vos commentaires. Êtes-vous d’accord pour dire que c’est un aspect très important?

M. Giroux : C’est sûr que l’écart de productivité entre le Canada et d’autres pays, notamment les États-Unis, est un sujet très préoccupant, parce que les améliorations en matière de productivité sont vraiment la meilleure façon de garantir la prospérité d’un pays, surtout quand on se dirige vers un vieillissement de la population qui est déjà bien entamé.

Pour faire face au vieillissement de la population, il faut absolument que ceux qui restent dans la population active soient de plus en plus productifs si on veut être en mesure de maintenir notre niveau de vie et, surtout, de ne pas reculer par rapport à nos partenaires, notamment les États-Unis et les Européens. Quand on voit que l’investissement des entreprises et la productivité des entreprises n’augmentent pas aussi rapidement qu’ailleurs, c’est très préoccupant. C’est pourquoi beaucoup de commentateurs suggèrent au gouvernement de faire des efforts beaucoup plus importants en matière d’accroissement de la productivité.

Quant à savoir si le budget en fait assez ou non, c’est une question de perspective. On va prendre le temps d’analyser le budget plus en détail et on va publier un rapport sur nos impressions du budget au cours des prochaines semaines.

Le sénateur Massicotte : On a eu une discussion un peu plus tôt sur le secteur pétrolier. Quand vous considérez que 7 % du PIB provient de ce secteur, mais que, du point de vue de l’investissement, c’est le seul qui fait beaucoup de recherche et développement — et c’est un secteur dont l’importance va continuer de diminuer —, on est vraiment mal pris, parce qu’on a un secteur qui est en croissance du point de vue de l’investissement, mais on doit réduire sa taille. Si on ne fait rien, ce sera encore pire.

M. Giroux : En effet, le secteur pétrolier et gazier est l’un des secteurs où il y a le plus de capital par employé. C’est aussi un des secteurs où la productivité par employé ou la production par employé tend à être une des plus élevées dans l’ensemble des secteurs économiques. En vertu de la transition écologique et environnementale, si on réduit l’activité économique de ce secteur, il faut absolument améliorer la productivité dans les secteurs qui vont se substituer à celui-ci ou dans les autres secteurs de l’économie, si on ne veut pas perdre un avantage concurrentiel.

Le sénateur Massicotte : Sinon [Difficultés techniques] si on continue sur cette même piste, qu’est-ce qui nous attend dans 10, 15 ou 20 ans? On dit tous que c’est très sérieux. Pouvez-vous donner des exemples des façons dont cela peut nous affecter?

M. Giroux : Ce sont des exemples purement hypothétiques. Par exemple, si on n’améliore pas notre performance en matière de productivité, on va s’en ressentir davantage lorsqu’on va voyager. Quand on ira aux États-Unis, en tant que citoyen canadien, on va trouver que les Américains sont beaucoup plus riches que nous, parce que notre productivité et notre niveau de vie n’augmenteront pas au même rythme ou stagneront, alors que ceux des États-Unis ou ailleurs en Europe augmenteront. On va voir les impacts en se comparant avec les citoyens et les habitants d’autres pays.

On va aussi voir la capacité fiscale du gouvernement qui n’augmentera pas au rythme où on l’espérait pour financer les services publics sur lesquels on compte et on dépend. On pourrait voir aussi un taux de change qui va se déprécier graduellement par rapport aux autres monnaies importantes, ce qui ferait en sorte que les biens qu’on achète de l’étranger — qu’on importe — deviendraient un peu plus coûteux. Je vous peins un scénario un peu catastrophique pour illustrer les impacts d’une stagnation de la productivité alors qu’elle augmenterait dans d’autres pays. Ce pourrait être un exemple de quelques-unes des conséquences.

Le sénateur Massicotte : Merci.

[Traduction]

La présidente : J’aimerais vous entendre à ce sujet. J’ai lu beaucoup de choses. Selon un rapport, le définancement du secteur de l’énergie ou le plafonnement de ses émissions coûterait à l’économie canadienne 45 milliards de dollars par année en raison des impôts et des emplois qu’il génère. Vous connaissez la longue liste.

Le baril de pétrole sera produit ailleurs s’il n’est pas produit ici, de toute façon. Nous ne traitons pas des émissions. Le prix à payer semble élevé. Il semble aussi qu’on n’aura peut-être pas le résultat escompté.

Ce chiffre se rapproche-t-il de la réalité?

M. Giroux : Il est difficile d’évaluer la situation sans connaître les détails.

N’oublions pas que l’économie est proche du plein emploi. Il y a des pénuries de main-d’œuvre, et la réduction de l’activité dans un secteur peut être bénéfique aux secteurs qui manquent de capital ou d’employés. C’est pourquoi je dis qu’il est difficile de dire si cela se rapproche de la réalité sans connaître les détails.

La présidente : Oui, car nous n’avons pas la garantie que les travailleurs du secteur des hydrocarbures vont devenir des codeurs.

La sénatrice Petten : J’aimerais revenir sur le problème de productivité.

Je vous ai écouté, et vous avez dit que vous analyserez le problème. Quel rôle le gouvernement fédéral devrait-il jouer pour encourager l’investissement des entreprises, selon vous?

M. Giroux : Devrait ou pourrait? Si je dis « devrait », je me prononce sur les prescriptions politiques, ce que je n’ai pas l’habitude de faire.

Si je dis « pourrait », par contre, tout ce qui améliore la capacité de production de l’économie est un pas dans la bonne direction. On peut penser, par exemple, à la formation et à l’éducation, en particulier à l’éducation postsecondaire. On peut aussi penser aux infrastructures qui facilitent le commerce et l’investissement. Le gouvernement a également instauré, il y a de nombreuses années, le crédit d’impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental, qui subventionne ou aide les entreprises dans ce secteur d’activités. Ce sont là quelques exemples de mesures que le gouvernement peut prendre et qu’il a prises à maintes reprises dans certains cas.

Il existe également des conseils subventionnaires qui favorisent la recherche et le développement scientifique au Canada. Ce type de mesures peut rendre l’économie plus productive.

Il y a la recherche. Il faut également adapter ces technologies ou veiller à ce que les entreprises et les sociétés les adoptent. On pourrait prendre de nombreuses mesures.

La sénatrice Petten : Nous n’avons malheureusement pas vu grand-chose de tout cela dans le budget, n’est-ce pas?

M. Giroux : Nous en avons vu un peu.

La sénatrice Petten : Un peu, d’accord.

M. Giroux : Nous n’avons pas vu tout ce que certains intervenants espéraient, cela dit.

La sénatrice Petten : Merci.

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie d’être des nôtres. J’aimerais d’abord faire suite à la question de ma collègue.

On continue de prendre des mesures pour aider les entreprises à acheter de nouveaux équipements afin d’améliorer la productivité dans le budget. Il s’agit de mesures consécutives; les gouvernements conservateurs et libéraux en ont pris. Pourtant, peu d’entreprises se sont engagées à les mettre en œuvre. L’un de nos défis, c’est que si les entreprises ne se modernisent pas et ne forment pas leur personnel, la productivité ne va pas surgir de nulle part comme par magie. Elle résultera des investissements des entreprises, et des redressements fiscaux sont prévus à cet égard dans le budget.

Comment expliquer ce défi auquel nous faisons face au pays malgré des mesures fiscales généreuses pour y remédier? On n’a pas obtenu l’effet escompté. Pourtant, lorsqu’on parle de productivité, on semble passer outre et croire que quelque chose d’autre se produira comme par magie.

Ne s’agit-il pas là d’un élément clé pour les entreprises? Pour être juste et non critique, si elles veulent augmenter leur productivité — si elles veulent fabriquer un meilleur produit, plus rapidement et plus efficacement — ne devraient-elles pas investir et utiliser au moins un peu les mesures prévues dans ce budget, comme celles qui avaient été incluses dans un budget précédent alors que Jim Flaherty était ministre des Finances? Je ne sais pas combien de fois j’ai eu cette conversation avec lui. Il a mis en place ces mesures et nous continuons à les majorer, mais la participation demeure anémique.

Comment expliquez-vous cette quasi-amnésie? Personne ne semble vouloir en parler lors des discussions sur la productivité.

M. Giroux : C’est un très bon point. Si j’avais la réponse, je ne pense pas que je serais ici. Je serais tellement riche que je pourrais partir à l’aventure.

Oui, c’est une grande question à laquelle personne ne semble pouvoir répondre clairement. Peut-être que quelqu’un a la réponse et qu’il la garde secrète ou que je ne suis pas au courant qu’il l’a. Je m’explique mal pourquoi les investissements des entreprises ne sont pas plus élevés qu’ils ne le sont présentement. En effet, l’amélioration de la productivité permet aux entreprises de faire plus de profits. On pourrait croire que cela va de soi.

Est-ce en raison d’obstacles institutionnels ou réglementaires? Est-ce parce que la main-d’œuvre est si bon marché qu’il est préférable de dépenser en embauchant des employés plutôt que d’investir dans des machines et des équipements pour améliorer la productivité? Je ne pense pas que ce soit le cas, compte tenu des pénuries de main-d’œuvre dans certaines régions du pays.

De nombreux chercheurs et groupes de réflexion à travers le pays se demandent pourquoi les investissements des entreprises ne sont pas plus élevés malgré toutes les mesures, les incitatifs et les mesures fiscales.

Le sénateur Yussuff : J’ai une autre question sur les indicateurs que nous connaissons et dont nous disposons à propos du niveau d’éducation des Canadiens en général, les compétences et les aptitudes. Le pays a relativement fait un bon travail pour former sa population afin de répondre aux défis du marché de l’emploi. Bien sûr, on peut toujours dire qu’il est possible d’en faire plus. Par contre, si on regarde les indicateurs actuels concernant la population canadienne dans son ensemble — sa préparation à l’emploi, ses niveaux de compétences — on constate qu’on a relativement bien fait à cet égard.

L’un des points plus faibles est la quantité d’argent investi dans la recherche pour le développement de nouveaux produits au pays. Là encore, s’agit-il d’une mentalité de filiale? Certaines des multinationales qui opèrent à la fois au Canada et aux États-Unis investissent massivement dans la fabrication de nouveaux produits. L’industrie automobile en est un exemple classique. Elle continue d’être très productive au Canada parce qu’elle forme sa main-d’œuvre et qu’elle investit constamment dans les nouvelles technologies pour demeurer compétitive.

Pourquoi certains secteurs parviennent-ils à relever le défi alors que d’autres ont une attitude de laisser-faire complet? Comment peut-on traiter l’enjeu de la productivité? Le vieillissement de la main-d’œuvre posera d’énormes problèmes pour l’avenir du pays si on ne modernise pas nos industries pour veiller à ce qu’elles fassent mieux.

M. Giroux : Vous avez raison de dire que les résultats en matière d’éducation au Canada sont généralement assez bons par rapport aux normes internationales, et meilleurs dans certaines provinces que dans d’autres. Nous nous en sortons plutôt bien en matière d’éducation.

Oui, en effet, les grandes sociétés et les multinationales ont généralement tendance à être plus productives que les petites entreprises. Comment cela se fait-il? Est-ce parce qu’elles peuvent mettre en œuvre les meilleures méthodes de production dont elles disposent dans le monde entier dans leurs usines au pays et qu’elles peuvent apprendre de leurs filiales? Je n’ai peut‑être pas la réponse à cette question.

C’est une très bonne question, cela dit, lorsqu’on a une économie qui ne dépend pas uniquement des multinationales et qu’on a beaucoup de PME.

La sénatrice Ringuette : Ma première question sera sur le même sujet. Cela fait maintenant 14 ans que je siège au sein de ce comité et 14 ans que nous posons la même question. Pourquoi les Canadiens n’investissent-ils pas — j’ajouterai — autant que leurs homologues américains? C’est là que se trouve le plus grand écart numérique.

Étonnamment, le ministre Champagne était ici il y a un mois pour nous présenter un projet de loi. Il nous a donné quelques données sur les investissements au Canada. Les choses semblent relativement progresser.

Ma question n’est pas subjective. Existe-t-il un moyen d’analyser, en termes de productivité, les entreprises au Canada qui affichent une plus grande productivité et des primes de rendement? Y a-t-il un lien entre les deux? Peut-on faire un lien avec des chiffres? Est-il possible d’analyser cela?

M. Giroux : Je ne sais pas si les données existent, mais une théorie semble indiquer que les compétences en matière de gestion sont à l’origine d’une grande partie de la productivité. Il ne s’agit donc pas seulement des machines et des équipements, mais aussi du sens de la gestion des superviseurs et des gestionnaires. J’ignore si cette productivité est liée aux primes et aux salaires. En fait, je serais curieux de voir les données en question, mais je ne sais pas s’il y a un moyen de trouver des données suffisamment précises pour établir ce lien.

La sénatrice Ringuette : Je vous remercie de votre réponse. Mon intervention suivante ne sera pas une question, mais plutôt un commentaire, car j’ai passé en revue vos recherches sur l’impôt minimum qui a été proposé. J’ai essayé de retrouver rapidement l’endroit où je l’ai lu cette information, mais vous en avez parlé pendant votre discours. Vous avez déclaré qu’en réalité, 0,13 % de la population sera touchée par ces mesures.

M. Giroux : Lorsque j’ai parlé de 0,13 % de la population, je faisais allusion aux modifications qui ont été apportées aux gains en capital dans le budget d’hier. À cet égard, il y a une décimale après la mention de « moins de 1 % », mais ce chiffre n’est pas exact. Il est probablement encore plus faible que cela.

La sénatrice Ringuette : Alors, pouvez-vous nous indiquer approximativement à combien ce pourcentage se chiffrerait? Serait-il inférieur à 0,1 %?

M. Giroux : Oui, il s’élèverait à environ 0,1 %.

La sénatrice Ringuette : Eh bien, cela répond à ma question. Merci.

La sénatrice Martin : Monsieur Giroux, je suis très heureuse de vous voir, et je vous remercie de votre présence.

L’un des principaux sujets que j’ai entendu les participants aborder jusqu’à maintenant, c’est le déficit du Canada sur le plan de la productivité, et c’est une préoccupation croissante. Vous avez mentionné que vous entrepreniez un examen ou une analyse à cet égard. Ma première question à ce sujet est la suivante : dans le cadre de votre analyse, allez-vous examiner les mesures du budget qui auront une incidence directe sur la productivité ou qui s’attaquent à ce problème de productivité, c’est-à-dire les 52,9 millions de dollars réservés à cet effet?

M. Giroux : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Pour éliminer toute ambiguïté, je précise que nous allons entreprendre un examen du budget lui-même, et non des questions de productivité.

La sénatrice Martin : Est-ce quelque chose que vous pouvez étudier également?

M. Giroux : Étudier la productivité en général?

La sénatrice Martin : Examiner le budget sous l’angle de son incidence sur la productivité du Canada, ou examiner certaines mesures du budget.

M. Giroux : Nous pouvons certainement distinguer les mesures qui sont plus directement axées sur l’augmentation de la productivité, et nous pouvons en tenir compte dans notre analyse du budget.

La sénatrice Martin : Je vous en remercie, car ce serait très utile.

J’ai une autre question à vous poser. Hier, CBC a rapporté le nombre de fois où, lors de la présentation du budget, le gouvernement a réussi un atterrissage en douceur, en laissant entendre qu’il est improbable qu’une récession survienne. Partagez-vous cette impression?

M. Giroux : Je dirais que ce n’est probablement pas le gouvernement, mais plutôt l’économie qui a réalisé un atterrissage en douceur. Je ne voudrais pas en attribuer tout le mérite au gouvernement, mais d’autres voudront sans doute le faire. Je partage l’avis selon lequel nous devrions connaître un atterrissage en douceur plutôt qu’une récession.

La sénatrice Martin : Je vous remercie de votre réponse.

La présidente : Je voudrais revenir sur la question de la productivité, car nous n’arrêtons pas d’aborder ce sujet, et nous avons rédigé des rapports à cet égard.

Je me demande quelle a été votre réaction lorsque la sous-gouverneure de la Banque du Canada a déclaré qu’il était temps de briser la vitre en cas d’urgence, que nous étions en fait aux prises avec une urgence nationale en ce qui concerne la question de la productivité. Cela vous a-t-il semblé vrai?

M. Giroux : J’ai trouvé que c’était une image très dramatique, mais elle n’est pas inexacte. Je n’aurais pas utilisé la même analogie, mais à chacun son analogie. J’aurais probablement employé une image moins descriptive, mais oui, j’approuve certainement son évaluation.

La présidente : Je vous remercie.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie, monsieur Giroux, de vous être joints à nous. Je vous suis reconnaissant de votre travail.

Je vais poursuivre sur le même thème, mais je vais l’aborder sous l’angle de la réglementation. La réglementation est l’un des principaux outils que le gouvernement utilise pour protéger les Canadiens, protéger l’environnement et atteindre certains objectifs. Le Canada est un chef de file de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, en ce qui concerne le nombre de réglementations mises en place à l’échelle fédérale, provinciale et municipale. Bon nombre de nos réglementations sont des mesures réglementaires coercitives, qui définissent les résultats escomptés — non seulement les résultats que vous devez atteindre, mais aussi le processus que vous devez suivre pour atteindre ces résultats, ce qui, par définition, élimine la capacité d’innover.

J’estime que cet enjeu est très important, quel que soit le parti qui est au pouvoir, si l’on souhaite résoudre le problème culturel que nous avons développé au Canada, parce qu’il est présent à tous les ordres de gouvernement. Ce problème culturel fait que nous réglementons à outrance, au lieu d’utiliser d’autres mécanismes comme les normes, les codes de pratique et d’autres outils plus réactifs.

Avez-vous examiné ce que la réglementation coûte à l’économie par rapport à ce qu’elle coûte au gouvernement? Il est facile pour le gouvernement de mettre en place une réglementation, mais celle-ci a-t-elle une incidence réelle sur l’économie? Résout-elle le problème, et le résout-elle de manière efficace du point de vue des coûts? Je sais que cet effet est difficile à mesurer, mais c’est l’une des principales difficultés que nous devons surmonter si nous voulons commencer à faire bouger l’aiguille de la productivité, parce que le manque de productivité constitue un frein économique pour la plupart des entreprises.

M. Giroux : Votre question est très intéressante. Je pense que la réponse se trouve dans votre question lorsque vous dites qu’il est très difficile de mesurer cet effet. Nous n’avons pas étudié de manière exhaustive la question de savoir si certains types de réglementations ou les réglementations en général sont efficaces du point de vue de leurs coûts.

Cependant, je sais qu’il existe une directive du Conseil du Trésor qui indique exactement cela, à savoir que toute nouvelle réglementation devrait faire l’objet d’une évaluation des coûts afin de déterminer si elle est efficace. Nous n’avons pas assisté à ces évaluations. En général, nous n’avons pas l’occasion d’assister à ces évaluations, mais j’estime que peu de ces réglementations réussiraient ce test s’il était effectué.

Le sénateur C. Deacon : Un membre de votre bureau aurait-il l’amabilité de nous transmettre le lien vers cette directive?

M. Giroux : Je suis sûr que de nombreux membres de mon bureau sont assez aimables pour le faire.

Le sénateur C. Deacon : Je vous en serais reconnaissant, car cette information serait très utile. Je vous remercie de vos réponses, monsieur Giroux.

La présidente : Nous allons maintenant procéder à une deuxième série de questions, mais avant de le faire... parce que le sénateur Deacon et moi-même — mais aussi tous les autres membres ici présents — parlons tout le temps de cette question en comité. Nous avons entendu de nombreux témoins dire que les réglementations posent un problème. L’idée selon laquelle le gouvernement va résoudre tous les problèmes pour nous et que nous n’avons pas besoin du secteur privé pour le faire... il y a toute une liste d’aspects à prendre en considération.

Mais ce que nous ont dit des gens comme Jim Balsillie et bien d’autres, c’est que c’est une question d’attitude. Nous ne voyons pas assez grand et, lorsque le gouvernement soutient ou subventionne des entreprises, il doit les amener à un certain niveau, mais pas au-delà, sinon les entreprises se disent : « Eh bien, maintenant que j’ai réalisé un million de dollars de profits, je vais vendre mes actifs et passer à autre chose. »

Observez-vous ce phénomène, ou cette attitude? Je pense que le sénateur Deacon l’a qualifié de problème culturel, mais les gens continuent de nous parler du problème de la réglementation.

M. Giroux : Oui, nous observons cela. Nous entendons des anecdotes à propos de personnes qui créent des entreprises et souhaitent qu’elles atteignent une certaine taille pour qu’elles puissent être rachetées par quelqu’un d’autre et bénéficier de certaines exemptions.

Nous entendons également dire depuis plusieurs années qu’il existe un seuil au-delà duquel les entreprises cessent de bénéficier du taux d’imposition des petites entreprises, et il y a environ un an, nous avons décidé d’examiner les données à cet égard. Se pourrait-il que certains propriétaires d’entreprises empêchent leurs entreprises de croître? Apparemment, cela arrive. Il y a ce qu’on appelle une anomalie dans les données où l’on retrouve un regroupement d’entreprises près de la limite du taux de la déduction pour petite entreprise et très peu au-delà de cette limite, ce qui va à l’encontre de ce que la distribution normale nous porterait à croire.

Quand l’économie fonctionne normalement, il n’y a aucune raison pour que les entreprises se maintiennent à une certaine taille. Les gens se comportent comme on peut s’y attendre compte tenu des mesures d’incitation qu’on leur offre.

Le sénateur C. Deacon : Y a-t-il un rapport qui traite de cette question?

M. Giroux : Oui.

La présidente : Pourriez-vous fournir également un lien vers ce rapport au sénateur Deacon?

M. Giroux : Oui.

La présidente : Cette information serait très utile, car nous nous interrogeons vraiment à ce sujet. Cela semble être un petit aperçu intéressant et bizarre de ce qui se passe.

Le sénateur Loffreda : Monsieur Giroux, nous devons étudier un projet de loi important. Comme vous le savez sans doute, le projet de loi S-243 est un projet de loi sur l’environnement dont le Sénat du Canada est saisi. Il est connu sous le nom de Loi sur la finance alignée sur le climat. Il n’est pas facile de mesurer les répercussions financières d’un projet de loi sans procéder à une analyse approfondie. Je vois que vous acquiescez et que vous le reconnaissez.

J’ai posé quelques questions pour recueillir des renseignements sur les conséquences économiques, financières et environnementales que le projet de loi pourrait avoir, ainsi que sur son alignement sur les objectifs du gouvernement et les pratiques internationales. Il se peut que vous ne puissiez pas répondre à ces questions pour le moment, mais je sais que, lorsque vous comparaissez devant le comité des finances, au sein duquel nous avons souvent eu le plaisir de vous accueillir au fil des ans, vous nous fournissez toujours des réponses plus tard quand cela se produit. Je crois que cela nous aiderait à trancher sur la question parce que, comme vous le savez, il s’agit d’une question compliquée qui est difficile à analyser, en particulier au cours d’une séance d’une ou deux heures, si l’on tient compte des réponses que nous recevons.

J’aimerais prendre connaissance rapidement de l’incidence économique que l’on s’attend à ce que les dispositions du projet de loi aient, de leur effet sur le secteur financier et sa stabilité globale, des emplois perdus ou créés qui pourraient découler de sa mise en œuvre, des risques et des avantages qui pourraient être associés aux mesures proposées pour promouvoir la finance durable décrite dans le projet de loi, de la compétitivité des entreprises canadiennes qui exercent leurs activités dans le secteur des combustibles fossiles — car nous voulons tous qu’une transition juste ait lieu, comme nous le disons —, de l’estimation des recettes ou des coûts que la mise en œuvre du projet de loi pourrait occasionner au gouvernement et, enfin, de l’analyse comparative des lois semblables qui ont été adoptées dans d’autres pays et de leur incidence sur le secteur financier et sur notre économie.

Si vous pouvez répondre à l’une ou l’autre de ces questions en ce moment, je serai heureux d’entendre vos observations. Sinon, comme nous l’avons fait au sein du comité des finances, vous pourrez approfondir la question plus tard et peut-être nous éclairer un peu à ce sujet.

M. Giroux : Je vous remercie, sénateur. Vous avez raison à un sujet : je ne peux pas répondre immédiatement à vos questions. Notre bureau pourrait peut-être tenter de répondre à certaines d’entre elles, mais compte tenu de leur ampleur, il faudrait probablement qu’un comité de la Chambre ou du Sénat adopte une motion à cet égard.

La présidente : Nous en discuterons donc à un autre moment. Je vous remercie de vos réponses. Je sais que vous continuez d’essayer de répondre à ces questions.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup. J’aimerais revenir sur la question de la productivité, car nous avons discuté à quelques reprises des raisons pour lesquelles les entreprises n’investissent pas au Canada. Je pense qu’en ce qui me concerne et ce qui concerne les autres membres du comité, nous avons entendu de nombreux témoins dire qu’ils ont conseillé le gouvernement à propos de sujets de préoccupation, tels que des impôts trop élevés ou la nécessité de modifier la réglementation. Ils disent que le gouvernement les écoute, mais qu’il ne les entend pas vraiment et qu’il n’apporte pas de changements.

Mes observations vous mettent sur la sellette. Selon moi, le problème de la productivité est dû au fait que les entreprises ne veulent pas investir au Canada. La raison pour laquelle elles ne veulent pas investir au Canada, c’est qu’elles ne font pas confiance au gouvernement.

Le gouvernement impose aujourd’hui tous ces impôts supplémentaires aux entreprises et aux particuliers qui touchent des revenus élevés. Nous savons tous que ces entreprises et ces particuliers n’ont pas assez d’argent pour faire face à la dette massive que le gouvernement a accumulée.

Ne pensez-vous pas que leurs décisions dépendent de la question de savoir s’ils font confiance ou non au gouvernement et à leur pays? Ce que je perçois et entends de la part des témoins, c’est qu’ils ont commencé à perdre confiance envers le gouvernement. C’est la raison pour laquelle ils ne veulent pas investir au Canada et souhaitent s’établir dans d’autres pays.

M. Giroux : Les décisions d’investissement reposent sur deux éléments. Les faits concrets semblent indiquer que le Canada est un merveilleux endroit pour les affaires — c’est un pays stable, sécuritaire et tout le reste. Il y a aussi la perception actuelle, et c’est probablement là que votre commentaire entre en jeu. Cette perception n’est peut-être pas aussi bonne que les faits le laissent entendre.

On peut avoir l’impression que les gouvernements — pas seulement le gouvernement fédéral, mais aussi les autres ordres de gouvernement — sont préoccupés par le fardeau fiscal de la classe moyenne et ne s’inquiètent pas tellement de ceux qui se trouvent à l’extrémité supérieure du spectre. Cela peut réduire les perspectives d’investissement dans le pays, même si nous parlons de quelques milliers de personnes, car ce sont souvent ces personnes qui prennent ces décisions.

La perception peut parfois l’emporter sur la réalité et les faits concrets. Cela peut être lié aux observations que vous avez formulées et que d’autres témoins ont entendues, à savoir qu’il existe une perception selon laquelle les personnes fortunées ne sont pas nécessairement les bienvenues ou qu’elles n’ont pas l’impression que le Canada est un endroit où il fait bon investir; cette impression n’est peut-être pas étayée par des faits, mais elle pourrait exister.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie de vos réponses.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je poursuis au sujet de la productivité. Monsieur Giroux, j’aimerais vous entendre sur ce qui me semble être l’angle mort d’une question que l’on étudie peu. Dans mes fonctions précédentes, je me suis penchée sur la question de la formation de la main-d’œuvre.

Des données de Statistique Canada ont révélé que l’investissement dans le développement des compétences essentielles avait un impact beaucoup plus important sur la croissance qu’un investissement équivalent dans la machinerie et l’équipement. Je viens de faire un sondage qui a révélé que les Canadiens sont conscients du fait qu’ils doivent se former. La grande majorité des Canadiens veulent se former, mais ils n’ont ni le temps ni l’argent pour le faire. Ils veulent notamment développer leurs compétences numériques.

Selon votre expérience, comment se fait-il que, dans tous nos débats, on ne voie pas les choses sous l’angle de la formation? Un lien existe avec les investissements en équipement. Si on investit dans l’achat de machines et qu’on n’investit pas dans la formation, on ne sera pas capable d’utiliser ces machines. Quels sont vos commentaires à ce sujet?

M. Giroux : Il est difficile pour moi de bien répondre à cette question, compte tenu de votre expertise. J’ai l’impression de me faire poser une question piège. Ma perspective est la suivante. On a tendance à voir la formation comme une question d’éducation secondaire et postsecondaire. Une fois ces études terminées, on a acquis les compétences, on se retrouve sur le marché du travail et tout devrait bien se passer pour les 40 ou 45 prochaines années. Toutefois, la formation est une chose qui devrait être continue — d’où l’usage du terme « formation continue », alors que cet aspect est négligé. Par contre, s’il était aussi facile de suivre de la formation continue, les administrations qui obligent les entreprises à en faire, comme le Québec avec sa taxe sur la masse salariale pour les entreprises qui ne consacrent pas assez de ressources à la formation, devraient avoir une productivité plus élevée. Or, je ne crois pas que ce soit nécessairement le cas.

Voilà un autre mystère de la quadrature du cercle de la productivité. Comme vous le mentionnez si bien, il ne suffit pas d’avoir de la machinerie et de l’équipement; si on n’a pas une main-d’œuvre formée pour les faire fonctionner, ces grosses machines et ordinateurs ne servent à rien.

La sénatrice Bellemare : Comment faire les choses au Canada? Voilà aussi toute la problématique.

M. Giroux : Oui.

La sénatrice Bellemare : On connaît plusieurs avenues pour améliorer la productivité. Toutefois, l’enjeu est de savoir comment mettre en branle ces actions et ces politiques.

M. Giroux : Beaucoup d’argent est dépensé et investi dans ces secteurs. Dans les ententes sur le marché, des centaines de millions de dollars par année sont transférés aux provinces et territoires pour la formation de la main-d’œuvre. Des incitatifs fiscaux à la formation sont offerts par le gouvernement fédéral et les provinces. La formation n’est peut-être pas encore au niveau où elle devrait être.

La sénatrice Bellemare : Les besoins sont encore là. Dans le sondage, il était très clair que les gens veulent se former. La demande existe, mais il faut la satisfaire.

Le sénateur Massicotte : J’aimerais revenir au projet de loi S-243. Je comprends que le sujet est très profond, mais je vais limiter ma question et être plus précis pour vous permettre de donner une opinion.

Le secteur est très important et il y aura une transition avec des changements importants. Devrait-on avoir une gouvernance plus serrée et plus détaillée que ce qui existe présentement? J’ai toujours favorisé les gens qui proposent des mesures additionnelles, surtout du côté du gouvernement. On ajoute et on ajoute, et je crains que dans ce cas-ci ce soit pareil. La Banque du Canada a donné son opinion en disant que ce n’était pas vraiment nécessaire. Une autre organisation a dit qu’elle va le faire si on le lui demande sans savoir pourquoi. La compétence du conseil d’administration des banques est importante. Personne n’a souligné que nous avions un problème. Or, on cherche à apporter de gros changements parce qu’on est plus intelligent que les autres. J’ai de la difficulté avec ce concept. Je vous lance la balle pour savoir comment vous allez réagir.

M. Giroux : Si on vise, par l’intermédiaire d’un projet de loi, à limiter ou à éliminer le financement aux institutions financières dans certains secteurs, dans un marché ou dans une économie comme le Canada, on peut essayer. Toutefois, dans les secteurs où les banques ne pourraient plus prêter ou auraient plus de difficulté à le faire, je suis certain que d’autres institutions financières seraient bien contentes de combler le vide. Certaines banques américaines peuvent faire des transactions et prêter des fonds à des compagnies canadiennes sans grand problème. Certaines banques européennes seraient sûrement prêtes à faire la même chose.

Je n’ai pas étudié le projet de loi en détail, mais si on vise à limiter le financement ou à imposer des exigences aux institutions financières qui financent certains secteurs où l’on émet des gaz à effet de serre, il est fort probable que ce vide soit comblé par des institutions financières basées à l’étranger. Avec les transactions électroniques, ce n’est pas très difficile à faire.

Le sénateur Massicotte : J’aimerais changer un peu de sujet. Un des principaux critères dont on se sert pour donner son opinion sur le budget, c’est la croissance du PIB par rapport à la dette. Le gouvernement dit que ce rapport est très favorable. Il est possible que le PIB augmente moins que la dette, mais d’autres experts ont dit qu’il y avait un problème, parce que si on ne fait rien, le déficit sera beaucoup plus élevé que la croissance économique. On a donc un problème. Êtes-vous d’accord?

M. Giroux : Je ne crois pas que le diagnostic soit aussi pessimiste. Par contre, ce qu’on voit avec le gouvernement actuel, c’est qu’à chaque budget ou à chaque mise à jour économique, on nous présente une perspective de décroissance de la dette par rapport au PIB ou du déficit qui va en décroissant. Or, à chaque mise à jour subséquente de l’énoncé économique, les cibles sont révisées un peu à la hausse. L’automne dernier, on prévoyait un déficit sous les 20 milliards de dollars pour 2028-2029. Toutefois, le déficit pour cette année se situe à 20 milliards de dollars.

Chaque fois que le gouvernement met à jour ses propres perspectives ou prévisions, les dépenses sont revues à la hausse et le déficit aussi, en général. C’est la même chose pour la taille de la fonction publique : on nous dit qu’elle va décroître, mais lorsque les plans ministériels sont déposés, on révise les plans et elle continue d’augmenter. Les chiffres en eux-mêmes ne sont pas préoccupants, parce que nous sommes en bonne situation financière comparativement à d’autres pays du G7, mais c’est le modèle qui se répète où nous révisons nos dépenses à la hausse. Voilà ce qui semble poser problème. Les prévisions du gouvernement ne sont pas suivies. Il révise ses perspectives de dépense à la hausse.

Le sénateur Massicotte : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Bellemare : Je souhaitais obtenir une précision au sujet du fait que nous utilisons la dette nette du gouvernement fédéral et que nous la comparons à celle d’autres pays. Je me demandais si c’était un bon indicateur, parce que le Canada est une confédération composée de provinces. Quelle est la bonne façon de comparer la dette du gouvernement fédéral?

M. Giroux : La meilleure comparaison consiste à examiner l’ensemble du secteur public et sa dette. Mais pour nous assurer que nous établissons des comparaisons internationales correctes, nous soustrayons souvent les actifs des régimes de retraite du Canada et du Québec pour assurer la comparabilité avec d’autres pays. Une fois que cela est fait, la dette nette de l’ensemble du gouvernement diminue considérablement, et nous occupons une très bonne position à l’échelle internationale.

Le sénateur Yussuff : Très souvent, lorsque nous avons cette conversation au sein du comité, je ne sais pas exactement de quoi nous parlons, alors permettez-moi d’exposer quelques faits.

Ce défi en matière de productivité dure depuis des décennies. Il ne date pas d’hier. Je dirais que si nous comparons le Canada avec les pays de l’OCDE, soit l’une des mesures que nous utilisons pour essayer d’évaluer notre rendement, nous constatons qu’il y a eu une période pendant les années 1980 et 1990 où nous avons réalisé des progrès considérables, puis nous sommes restés bloqués.

Pour être juste, je précise que les gouvernements de différentes allégeances politiques qui se sont succédé ont essayé de prendre un grand nombre de mesures différentes pour régler le problème. Il semble que nous n’ayons pas réussi à faire ce qu’il fallait, car nous en sommes toujours au même point, et c’est un énorme problème pour le pays, un problème qui ne date pas d’hier. Il dure depuis longtemps. Je tiens à ce que cela figure dans le compte rendu afin que nous ne nous fassions pas d’illusions en ce qui concerne la date à laquelle le problème a été constaté.

M. Giroux : En effet. Je ne crois pas que cela a commencé en 2015.

Le sénateur Yussuff : Exactement. C’est là que je voulais en venir. Mais pour être juste envers mon collègue, je dirai les choses telles qu’elles sont.

Je me permets ici d’être franc, ce qui est difficile car nos propos en comité ne sont pas toujours correctement interprétés. La productivité est robuste dans certains secteurs de l’économie. Le secteur bancaire a innové et continue de gérer sa force de manière résiliente. On le voit bien dans les marges de profit publiées chaque année et chaque trimestre : les banques vont très bien. Je pourrais en dire autant du secteur automobile. Le secteur canadien des pièces détachées exporte beaucoup en devises étrangères — il est très productif. Ces secteurs investissent beaucoup pour rester compétitifs devant leurs concurrents américains et européens.

Sur cet enjeu, ne devrions-nous pas plutôt cibler les problèmes et nous pencher sur les raisons avérées pour lesquelles ils persistent dans certains secteurs, au lieu d’aborder le problème comme s’il était généralisé, comme nous le faisons souvent, et malgré le fait que cela ne nous aide pas politiquement?

M. Giroux : Vous soulevez de très bons points, sénateur. Je ne peux qu’être d’accord avec vous. Je ne suis pas sûr que les faits que vous citez sont exacts. Je sais que certains secteurs se portent bien. Je ne sais pas ce qu’il en est des banques et de l’automobile en particulier, mais il est vrai que les problèmes n’affectent pas uniformément tous les secteurs. La productivité doit faire l’objet d’analyses approfondies et détaillées.

Le sénateur Yussuff : J’ajouterai une dernière chose. Vous avez commencé votre déclaration préliminaire en répondant à une question à laquelle nous cherchions à répondre il y a une semaine sur l’impact des changements fiscaux sur le secteur caritatif. Je l’ai dit et je le répète : les données sont insuffisantes sur ce que nous avons besoin de savoir. Je comprends tout à fait les inquiétudes, et je les partage. Le secteur caritatif joue un rôle important dans l’économie. Nous ne voulons pas lui porter préjudice.

Tant que nous n’aurons pas de données, nous ne pouvons conjecturer sur la situation. On peut avoir l’air malade sans nécessairement souffrir d’une maladie, par exemple si on a la gueule de bois ou que l’on est tout simplement fatigué.

M. Giroux : Vos remarques sont pertinentes. Toutefois, les changements qui ont été apportés dans le budget laissent entendre que le gouvernement a reçu des commentaires ou des demandes ou qu’il a examiné les données une deuxième fois.

Le sénateur Yussuff : Aux fins d’un rajustement?

M. Giroux : Fort probablement.

Le sénateur Yussuff : Un jour, nous vous convoquerons à nouveau et vous nous direz ce qui se cache derrière les données.

M. Giroux : Si j’arrive à me procurer suffisamment de données pour le faire.

Le sénateur C. Deacon : Encore une fois, je vous remercie, monsieur Giroux. Nous vous sommes reconnaissants de votre travail et de celui de votre équipe.

Pour en revenir à la numérisation des services gouvernementaux et aux articles du Globe and Mail qui ont été publiés durant la fin de semaine, ces derniers affirment que nous sommes revenus à des pratiques d’il y a 30 ans environ pour ce qui est du nombre d’employés fédéraux par 1 000 Canadiens. Mais il ne s’agit pas d’un problème fédéral. C’est un problème national qui consiste à avoir une fonction publique plus grande que ce que nous pouvons nous permettre, et ce, à tous les ordres de gouvernement. J’ai trouvé que ce message était clair dans la série d’articles.

Nous avons de la difficulté à numériser complètement les services du gouvernement. Plutôt que d’avoir un mode de prestation analogique et géré par l’humain, il faudrait utiliser les outils numériques que nous utilisons efficacement à tous les moments de notre vie, sur nos téléphones, au travail et dans tous les autres domaines, à l’exception des services publics.

Votre travail consiste à analyser le coût des programmes et du gouvernement à l’échelle fédérale au Canada. Comment peut-on comparer, d’une part, les coûts de la prestation d’un type de service fourni au moyen d’une méthode analogique au Canada et, d’autre part, les coûts d’un service similaire fourni dans un autre pays dont les pratiques ont été numérisées? Comment se procurer cette analyse afin qu’il soit clair que les coûts et les efforts nécessaires pour opérer ces changements, dont d’autres pays voient amplement les avantages, sont quelque chose que nous ne pouvons tout simplement pas éviter? En effet, sans cela, je crains que nous ne continuions à faire fausse route. Quelle que soit notre destination, elle sera très dispendieuse.

M. Giroux : Je pense que, à l’échelle interne, nous pouvons considérer différentes provinces dont la méthode est différente et qui fournissent des services comparables de façon plus ou moins numérique. Nous pouvons aussi effectuer cette comparaison à l’échelle internationale : l’imposition reste de l’imposition. Dans des contextes et des cadres juridiques différents, soit. Mais lorsqu’il s’agit de répondre à des appels de contribuables en colère, qu’ils soient norvégiens ou terre-neuviens, il n’en reste pas moins que ce sont des contribuables en colère. C’est mon avis, mais que sais-je?

Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il y a des comparaisons internationales que l’on peut établir. Il y a un grand nombre de pays de l’OCDE qui rendent publiques de nombreuses données ou qui sont prêts à communiquer des renseignements moyennant un simple appel téléphonique. Ces comparaisons peuvent bel et bien être établies. Mais, selon moi, lorsqu’on essaie de numériser des services, il faut que ces derniers soient relativement simples. En effet, prenons les déclarations fiscales. J’en ai rempli ma part récemment, et c’est vraiment complexe. Ce n’est pas facile de numériser quelque chose d’aussi complexe qu’une déclaration fiscale.

Le sénateur C. Deacon : Dans ce contexte, nous avons constaté que les pays qui font correctement les choses modifient leurs politiques, leurs processus et leurs procédures en vue de les rationaliser afin d’offrir des services numériques qui soient réellement intuitifs. Or, ce n’est pas un exercice que le Canada maîtrise bien. Nous avons évoqué la directive du Conseil du Trésor à ce sujet. Mais notre réglementation ne saurait se prêter à une numérisation efficace si nous la laissons inchangée.

M. Giroux : Oui.

Le sénateur C. Deacon : C’est là un élément clé du succès : modifier les politiques au même moment où la numérisation se fait.

M. Giroux : Oui, et faire en sorte qu’elles soient davantage centrées sur l’utilisateur. C’est facile à dire, ce sont des mots à la mode, mais il s’agit de concevoir des programmes tenant compte de l’utilisateur plutôt que fournissant des garanties et des protections aux administrateurs de ces programmes.

Le sénateur C. Deacon : C’est ce que font toutes les entreprises du monde qui réussissent. Merci.

La présidente : J’aimerais poursuivre notre discussion sur les facteurs qui dissuadent les entreprises d’investir et revenir à la question des gains en capital. Je crois savoir qu’à l’heure actuelle, environ la moitié des gains en capital est imposable. Le budget ferait passer cette portion à quelque deux tiers.

Ce que nous disent les entreprises, y compris celles qui évoluent dans le nouvel espace numérique comme Shopify, c’est qu’il s’agit là d’un facteur réellement dissuasif. L’argent qu’elles investissent et qui donne lieu à des gains en capital est déjà imposé. Il leur semble que cet argent sera désormais frappé d’une double imposition. Elles affirment qu’une telle mesure est de nature à les dissuader de continuer à investir. Est-ce justifié?

M. Giroux : Dès lors que les taux d’imposition sont relevés, il en résulte un effet dissuasif sur la création de ce type de revenu. Reste à savoir si cette dissuasion n’est pas trop importante et si elle ne risque pas d’entraîner des conséquences négatives. Les modifications proposées à l’égard des gains en capital sont multiples. Les gains en capital de 250 000 $ et moins font l’objet d’une exonération. Il y a également une augmentation de l’exonération cumulative des gains en capital dont bénéficient les petites entreprises, et d’autres exonérations sont prévues pour d’autres types d’entreprises.

Une analyse minutieuse s’impose avant de pouvoir conclure : « Oui, cette mesure aura certainement un impact négatif. » Certes, elle aura des répercussions négatives en ce qui concerne les gains en capital élevés, mais il est difficile de se prononcer sur la question de savoir si ces répercussions seront plus que compensées par l’effet incitatif de l’augmentation du montant des gains en capital exonéré d’impôts.

La présidente : Certaines parties intéressées se prononcent déjà sur ce sujet aujourd’hui, après l’avoir étudié, parce qu’elles savent parfaitement ce que contiennent leurs propres états financiers.

Le sénateur Loffreda : Nous avons beaucoup parlé d’investissement. Je voudrais seulement préciser quelque chose et poser une question. Si je me fie aux dernières statistiques de l’OCDE sur l’investissement direct international, au troisième trimestre, en 2023, les premiers bénéficiaires de l’investissement direct étranger dans le monde étaient les États-Unis, avec 73 milliards de dollars américains, suivis de l’Irlande, avec 26 milliards de dollars américains, puis du Canada et du Brésil, qui sont à égalité, avec 15 milliards de dollars américains.

D’après ce que nous avons entendu aujourd’hui, on ne devinerait jamais que le Canada se classe au troisième rang mondial pour ce qui est des entrées d’investissements directs étrangers. Le problème se situe du côté des investissements intérieurs, de nos entreprises nationales. Je suis d’accord avec tout le monde au sujet des problèmes qui ont été soulevés.

Je vous pose ma question. Pourquoi réussissons-nous si bien à attirer des investissements directs étrangers en dépit de nos taux d’imposition? Si l’on considère nos taux d’imposition des sociétés, le Canada figure parmi les pays les plus compétitifs au monde. Même en ce qui concerne les gains en capital, jusqu’à un montant de 250 000 $, le taux d’inclusion des gains en capital réalisés continuera d’être de la moitié. Pour ce qui est des gains en capital supérieurs à ce montant, les particuliers ne seront pas touchés, car on peut planifier en conséquence. Ce sont les sociétés et les fiducies qui seront touchées. Qui se réjouit de l’augmentation de l’impôt? Personne, évidemment.

Mais pourquoi réussissons-nous si bien à attirer des investissements directs étrangers tandis que nos entrepreneurs nationaux n’investissent pas au Canada malgré les faibles taux d’imposition qui s’appliquent aux entreprises? Vous avez analysé la question et je sais que vous faites un travail très éclairant et que vous connaissez les chiffres par cœur. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Giroux : Les chiffres que vous avez cités sont ceux d’un trimestre, il faudrait donc examiner la tendance à plus long terme. Vous avez raison : le monde considère le Canada comme un endroit idéal pour investir, mais nous semblons nous flageller grandement et ne pas investir nous-mêmes chez nous autant que nous le devrions. Il semble y avoir un grand décalage, ce qui nous ramène probablement à la question que la sénatrice Marshall m’a posée. C’est un problème de perception. Le monde nous voit de manière très positive. Nous ne semblons pas avoir une perception aussi positive de nous-mêmes. Il semble qu’il y ait un grand décalage entre les deux.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Giroux. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir répondu à toutes les questions qui vous ont été lancées. C’est toujours un plaisir de vous recevoir.

Nous remercions M. Matt Dong et Mme Katarina Michalyshyn d’être venus en renfort au cas où M. Giroux ne connaîtrait pas les réponses à certaines questions. Je pense qu’il connaissait la plupart d’entre elles. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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