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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 18 avril 2024

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 29 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous ceux dans la salle et à ceux qui se joignent à nous en ligne. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.

Je m’appelle Pamela Wallin et je suis présidente du comité. Permettez-moi de présenter les membres du comité qui sont parmi nous aujourd’hui : le sénateur Loffreda, vice-président; le sénateur Deacon; la sénatrice Marshall; le sénateur Massicotte; la sénatrice Miville-Dechêne; la sénatrice Ringuette; et la sénatrice Galvez. C’est tout pour les sénateurs qui se trouvent dans la salle. Merci beaucoup.

Je tiens simplement à dire aujourd’hui que nous avons ajouté un autre témoin à l’ordre du jour. Je vais donc demander aux sénateurs de poser des questions courtes et aux témoins de répondre en allant droit au but. Nous vous en serions reconnaissants. Dans les prochaines semaines, nous allons entendre bien des témoins, donc ces règles vont continuer de s’appliquer.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois. Tout d’abord, nous avons le plaisir d’accueillir Dave Carey, coprésident, et Cathy Jo Noble, membre du comité directeur de l’Alliance sur le carbone d’origine agricole. Bienvenue à vous deux et merci de vous joindre à nous. Nous allons entendre vos exposés, en commençant par M. Carey.

Dave Carey, coprésident, Alliance sur le carbone d’origine agricole : Je vous remercie, madame la présidente. Merci de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui sur le projet de loi S-243. Je vais partager mon temps de parole avec ma collègue, C.J. Noble. Elle et moi témoignons aujourd’hui au nom de l’Alliance sur le carbone d’origine agricole. Pour vous situer le contexte, je suis vice-président de la Canadian Canola Growers Association, et Mme Noble, vice-présidente de l’Association nationale des engraisseurs de bovins.

L’Alliance sur le carbone d’origine agricole est une coalition de 17 organisations agricoles nationales déterminées à promouvoir un dialogue concret et collaboratif sur la tarification du carbone et la politique agroenvironnementale. Nos membres produisent les principaux produits agricoles comme les grains, les oléagineux, les légumineuses, les bovins, le mouton, le porc, les fruits et légumes, les produits laitiers, les fourrages et les pâturages, les semences, les plantes ornementales et la volaille. Collectivement, nous représentons 190 000 fermes canadiennes qui gèrent plus de 62 millions d’hectares de terre, ce qui représente environ 7 % de la superficie du Canada. Nos membres fournissent de la nourriture et d’autres produits agricoles dérivés qui nourrissent et alimentent les Canadiens et la planète.

L’agriculture crée environ 7 % du PIB du Canada et injecte environ 135 milliards de dollars dans l’économie annuellement. Un emploi sur neuf est directement attribuable au secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

À l’Alliance sur le carbone d’origine agricole, nous craignons des conséquences inattendues pour les agriculteurs canadiens si le projet de loi S-243 est adopté. Notre alliance a été établie pour garantir que les législateurs reconnaissent les pratiques durables que les fermiers canadiens appliquent déjà et favoriser des politiques qui maintiennent la compétitivité mondiale des fermiers, soutiennent leur gagne-pain et mettent à profit leur rôle essentiel d’intendants de la terre. Nous craignons que le projet de loi S-243 aille à l’encontre des efforts continus que nous déployons pour assurer la durabilité du secteur agricole et donne des résultats contraires à son objectif.

Nous savons que le comité a entendu des témoins qui ont parlé des conséquences imprévues de ce projet de loi sur le secteur du pétrole et du gaz, par exemple. Cela dit, les conséquences imprévues vont bien au-delà de ce secteur et pourraient avoir des effets dévastateurs sur les agriculteurs canadiens aussi.

L’agriculture est un secteur qui demande beaucoup de capital. L’équipement et les intrants coûtent des millions de dollars par année à chaque producteur. Les prêts sont un moyen courant d’aider à gérer les liquidités et de faire ces achats essentiels, surtout que l’agriculture est souvent une activité saisonnière. Les prêts sont aussi essentiels pour permettre à la prochaine génération d’entrer dans le secteur. Selon Statistique Canada, en 2022, la ferme canadienne moyenne avait une dette de plus de 730 000 $.

Je vous cède la parole, madame Noble.

Cathy Jo Noble, membre du comité directeur, Alliance sur le carbone d’origine agricole : Les agriculteurs ont aussi besoin d’accéder à du capital grâce à des prêts pour investir dans le déploiement de nouvelles technologies qui rendent les activités agricoles plus efficaces et améliorent leur empreinte environnementale. Ces technologies incluent la machinerie écoénergétique, des variétés de semence qui exigent moins de ressources pour croître et des systèmes de refroidissement et de chauffage efficaces pour les granges et les serres.

Les fermiers ont un excellent bilan pour ce qui est de réinvestir le capital dans leurs activités afin d’améliorer l’efficacité, la productivité et, en fin de compte, la durabilité de leur exploitation.

C’est pourquoi nous craignons que le projet de loi S-243 mine l’accès aux prêts, qui sont essentiels à la croissance et à la durabilité de l’agriculture canadienne.

Ce projet de loi inclut l’agriculture et les activités d’utilisation des terres dans la description des « émissions ». Il définit les « institutions financières fédérales » comme étant les banques, les coopératives de crédit, mais aussi Financement agricole Canada. Ce sont justement les organisations auxquelles les agriculteurs demandent du financement.

Ultimement, ce projet de loi pourrait compliquer le processus de demande de capital et d’accès au capital pour maintenir les fermes à flot. Il va créer un fardeau réglementaire inutile qui va prendre du temps normalement consacré aux activités agricoles ou exiger l’aide de comptables ou de consultants, ce qui ajoutera aux coûts des fermiers.

L’agriculture canadienne est en bonne voie d’adopter des pratiques de production durables pour l’environnement. Pour poursuivre cet engagement, il faut investir encore plus de capital, ce qui exige un accès accru aux prêts. Tout projet de loi qui limite l’accès aux fonds est contre-intuitif à la lumière des objectifs de durabilité du secteur et du pays.

Par ailleurs, le projet de loi S-243 pourrait réduire l’accès de la relève aux entreprises agricoles, ce qui constitue déjà un grand défi pour le secteur. Il va causer un accès inéquitable et complexifier un processus déjà complexe. Au nom des 17 groupes agricoles nationaux que nous représentons, nous encourageons les sénateurs à ne pas appuyer le projet de loi S-243. Je vous remercie. Nous répondrons à vos questions avec plaisir.

La présidente : Merci beaucoup de votre exposé, monsieur Carey et madame Noble. Je rappelle simplement à ceux qui se sont joints à nous avec du retard aujourd’hui que nous avons ajouté un autre témoin à l’ordre du jour. Je demande donc aux sénateurs de poser des questions concises et aux témoins de répondre brièvement pour que nous puissions couvrir toute la matière dans le temps qui nous est imparti.

Commençons la série de questions par le sénateur Loffreda, vice-président du comité.

Le sénateur Loffreda : Merci à M. Carey et à Mme Noble d’être parmi nous ce matin.

Le projet de loi sur la finance durable actuellement à l’étude est important. J’aimerais vous entendre parler des principaux avantages potentiels de ce projet de loi — vous n’avez mentionné aucun avantage — et des principaux risques liés aux mesures qui y sont proposées pour promouvoir la finance durable.

M. Carey : Je peux commencer. À l’Alliance sur le carbone d’origine agricole, nous avons examiné ce projet de loi sur la finance durable et sommes d’accord qu’il est important. Nous n’avons rien trouvé dans le projet de loi S-243 qui contribuerait aux pratiques durables que les agriculteurs appliquent sur les fermes. Il est de plus en plus difficile pour les agriculteurs de s’y retrouver dans les autres régimes gouvernementaux. Il y a, par exemple, le nouveau Partenariat canadien pour une agriculture durable du gouvernement fédéral, qui lie tous les programmes de protection du revenu et de gestion des risques de l’entreprise pour les fermiers aux programmes environnementaux, qui ont été transférés aux provinces. La stratégie canadienne est fragmentée, et les agriculteurs peinent à trouver la voie à suivre, ce qui ajoute à leurs coûts. Nous estimons pour l’instant que le projet de loi S-243 va exacerber cette situation. Mme Noble pourrait peut‑être en dire plus.

Mme Noble : Nous voulons éviter de faire avancer ce projet de loi en vase clos. Vous connaissez peut-être le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité, le CCNID, qui est actuellement en train d’adopter des normes sur la publication de l’information sur la durabilité. C’est son mandat, et le Conseil s’appuie sur les normes préconisées à l’international, qu’il adapte au contexte canadien.

Ce processus est en cours. Les commentaires sont attendus pour le 10 juin. Malgré les différences, il y a d’importants recoupements. Nous soutenons le processus et y participons, notamment en consultant le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité. C’est là que l’on voit une façon plus holistique de faire les choses, et l’importance de mener de vastes consultations.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Ne venant pas du milieu de l’agriculture, j’aimerais que vous expliquiez en termes un peu plus concrets les problèmes que pourrait causer ce projet de loi. Je comprends bien la nécessité d’avoir des prêts écologiques. Je comprends ce concept. Mais vous évoquez un fardeau réglementaire plus lourd, ce qui nous inquiète tous, et le risque de créer des entraves au financement des technologies de lutte aux changements climatiques et à leurs effets. Cette question me laisse vraiment perplexe. Pourriez-vous nous en dire plus et nous donner quelques exemples pour nous aider à nous y retrouver?

M. Carey : Absolument. Le problème n’est pas ce projet de loi en soi, mais la quantité de changements qui ont lieu dans le secteur en même temps. Les diverses composantes ne semblent pas harmonisées. Une fois encore, pour faire écho aux propos de Mme Noble, il s’agit d’une approche en vase clos.

Nous observons que, compte tenu du nombre de programmes actuels du gouvernement qui sont conçus pour inciter les agriculteurs à investir dans l’efficacité de leurs activités et aboutir à des gains à la fois économiques et environnementaux, le lourd fardeau que cela représente est très difficile à gérer. Dans les commentaires que nous avons entendus, nous avons appris que les agriculteurs sont obligés d’engager des sociétés d’experts-comptables ou d’experts-conseils, comme MNP, afin de pouvoir accéder à certains de ces programmes et pouvoir ensuite soumettre une demande de subvention.

C’est l’un des plus grands problèmes que nous constatons en Colombie-Britannique en ce moment, où les agriculteurs doivent composer avec la complexité de ces programmes, tant au niveau provincial qu’au niveau fédéral. Une société telle que MNP revient souvent dans les discussions. On nous a signalé le fait que les agriculteurs paient MNP pour qu’elle présente les demandes de subventions à leur place, et qu’ensuite MNP perçoit 20 % du montant de la subvention accordée. Les agriculteurs ont beaucoup de mal à s’y retrouver dans ces complexités.

Sénatrice, il y a autre chose : tout cela n’a pas lieu avec les principaux concurrents à l’échelle mondiale. Les États-Unis, l’Amérique du Sud et l’Australie ne font pas face à des situations similaires, ce qui nous rend moins concurrentiels.

La sénatrice Marshall : C’est la question de la réglementation. Qu’en est-il de la question sur la création de barrières pour financer des technologies contribuant à l’atténuation des effets des changements climatiques? Je ne la comprends pas du tout.

Mme Noble : Bien sûr. Je suis prête à en parler. Personne n’a besoin de convaincre un agriculteur d’agir de manière durable, n’est-ce pas? Si leur terre et leurs animaux ne sont pas en bonne santé... Avant que la durabilité devienne un mot à la mode, nous avons été les intendants de nos terres pendant des années.

Lorsque nous voulons investir pour notre ferme, nous devons aller à la banque pour obtenir ce prêt. Il s’agit là d’un obstacle, d’un processus et de coûts supplémentaires pour permettre aux agriculteurs d’avoir accès à ce prêt. Dans bien des cas, ils obtiennent ce prêt pour effectuer des améliorations à la ferme qui sont bénéfiques pour l’environnement. Par exemple, dans le secteur bovin, certains éleveurs veulent mettre en place du béton compacté au rouleau dans leurs enclos, qui est meilleur pour la santé des animaux. Cela permet de créer un fumier propre exempt de poussière, puis de le mettre dans des biodigesteurs. C’est un processus qui coûte plusieurs millions de dollars. C’est un exemple de ce que nous faisons.

Nous n’avons tout simplement pas besoin d’un autre obstacle pour accéder à ces prêts. C’est un obstacle parce que nous le faisons déjà. Laissons le secteur faire ce qu’il fait.

Le sénateur C. Deacon : J’aimerais me concentrer davantage sur le capital requis pour respecter davantage l’environnement et sur le travail effectué par notre comité de l’agriculture et des forêts sur la santé des sols.

L’un des défis à l’échelle internationale porte sur le fait que l’on s’efforce de plus en plus de récompenser les agriculteurs pour le carbone qu’ils peuvent séquestrer, au lieu de seulement les punir pour le carbone qu’ils émettent en produisant des denrées alimentaires.

Je pense qu’il existe d’autres moyens d’atteindre cet objectif agricole et de faire en sorte que les agriculteurs contribuent davantage à inverser les changements climatiques. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet? Je songe notamment aux additifs utilisés dans l’alimentation du bétail pour en réduire la production de méthane.

L’agriculture de précision a permis de réduire les coûts d’intrants des produits contenus dans les herbicides et des autres produits utilisés. Pourriez-vous nous en parler? La quantité d’argent qu’il faut investir pour y parvenir m’étonne, ainsi qu’à quel point les agriculteurs travaillent sur plusieurs fronts.

M. Carey : Merci de soulever cette question.

De tous les secteurs économiques au Canada, le secteur agricole figure parmi ceux qui exigent le plus de capitaux. Les gens n’en sont pas nécessairement conscients parce que l’activité agricole a surtout lieu dans des régions rurales.

Je peux vous parler des plantes, et Mme Noble, du bétail. Il fut un temps où un tracteur d’ensemencement coûtait environ 200 000 $.

Aujourd’hui, le tracteur d’ensemencement le plus avancé et le plus écologique s’élève à environ 1 million de dollars, rien que pour cette machine-là, dont un pneu, un seul, coûterait plus de 10 000 $.

Les agriculteurs ont de plus en plus de difficulté à faire l’acquisition d’équipement peu polluant parce qu’ils n’ont pas suffisamment de capitaux. Cet équipement se déprécie ensuite sur une longue période.

De plus, les cadres réglementaires et législatifs au Canada sont moins favorables que ceux de nos concurrents internationaux, ce qui nuit à l’investissement des entreprises en recherche et développement en sol canadien.

Les agriculteurs aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Australie et au Japon ont peu de difficultés à mettre sur le marché des variétés de plantes dont les gènes ont été modifiés pour en réduire les coûts de production ou en améliorer la résistance à la sécheresse et la maladie. Les producteurs peuvent aisément mettre ces produits sur le marché presque partout dans le monde.

Au Canada, neuf ans se sont déjà écoulés et nous ne disposons toujours pas de la dernière pièce du casse-tête réglementaire, à savoir les règlements sur l’alimentation du bétail de l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

Ce que nous constatons, c’est que les agriculteurs ne sont pas récompensés pour le travail qu’ils accomplissent. Certains outils sont remis en question. Nous ne sommes pas opposés aux institutions financières qui s’orientent davantage vers l’écologisation de l’économie; ce à quoi nous nous opposons, c’est que tout ce fardeau réglementaire finit par reposer sur les épaules de nos agriculteurs.

Il y a aussi tous les problèmes liés aux données et à la protection des renseignements personnels. Je sais que le secteur de l’élevage bovin a donné un excellent exemple en ce qui concerne les additifs alimentaires.

Mme Noble : En effet. Dans le secteur de l’élevage bovin, beaucoup d’efforts environnementaux sont faits au niveau des prairies et de la biodiversité. Par ailleurs, notre bétail consomme beaucoup de déchets alimentaires, ce qui constitue également un défi sur le plan environnemental.

Un exemple concret est le 3-NOP, un supplément alimentaire que l’on ajoute en très petite quantité à l’alimentation du bétail afin de réduire de manière significative les émissions de méthane. Le problème, c’est que l’agriculteur qui décide d’acheter ce supplément doit s’acquitter de l’ensemble des coûts; il n’a pas le loisir de refiler une partie de la facture au transformateur et au consommateur. Les agriculteurs choisissent souvent d’investir dans ce type de produits afin d’obtenir leur certification de durabilité environnementale.

Un parc d’engraissement compte des milliers, voire des dizaines de milliers de bêtes. Plus le bétail engraisse rapidement, plus l’éleveur réalise des profits. Et plus les bêtes grandissent vite, moins ils consomment d’eau et moins ils émettent de méthane.

Les éleveurs se servent de nombreuses technologies environnementales pour nourrir leur bétail, comme le floconnage, qui permet d’améliorer la digestion du bétail et de lui faire prendre du poids plus rapidement. Là encore, on parle de millions de dollars pour l’achat d’un laminoir à vapeur et de suppléments alimentaires comme le 3-NOP. Nous sommes prêts à investir dans ces technologies environnementales. À l’heure actuelle, le consommateur ne paie pas pour ces nouvelles technologies; nous avons donc besoin d’un soutien financier considérable pour continuer en ce sens.

La présidente : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je comprends que ce projet de loi générera des impacts économiques majeurs dans le secteur agricole. Même si vous ne l’avez pas étudié, vous êtes en mesure de dire qu’il aura un impact chez vous. Ce que j’entends, c’est que ces impacts seront négatifs sur le plan de la production et qu’ils vous rendront moins compétitifs.

J’ai deux questions. D’abord, est-ce que les producteurs agricoles du Québec partagent votre position? Êtes-vous en contact avec eux? Étant donné que leur système est différent de celui qui existe dans d’autres provinces, leur position est-elle la même?

De plus, quels seraient les besoins ou les exigences de transparence de ce projet de loi ou de ces initiatives sur lesquelles vous êtes d’accord? Pourriez-vous nous éclairer davantage sur la nature de ces interventions et initiatives?

[Traduction]

M. Carey : Je peux commencer pour la première partie.

L’Alliance sur le carbone d’origine agricole, ou ACA, est une coalition inédite de 17 organismes agricoles nationaux. Tous nos membres mènent des activités au Québec, qu’il s’agisse des Producteurs de grains du Québec, des Producteurs de lait du Québec, ou encore des Éleveurs de volailles du Québec.

Nous nous en tenons à la dimension fédérale des enjeux. Je ne vais pas parler au nom du Québec en tant que tel, mais les organismes agricoles nationaux font partie de nos membres.

J’aurais besoin de précisions concernant le second volet de votre question. Ce qui affecte nos membres n’est pas un projet de loi en soi; il s’agit plutôt du Partenariat canadien pour une agriculture durable, ou PCA durable. Le PCA durable est un nouvel accord quinquennal entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, étant donné que l’agriculture relève d’une compétence partagée.

C’est dans ce cadre que s’inscrit la gestion des risques de l’entreprise. En effet, dans un contexte de changements climatiques et de bouleversements géopolitiques, les agriculteurs ne sont pas nécessairement en mesure de faire face à certains imprévus, qu’il s’agisse par exemple d’une sécheresse, comme ce sera peut-être le cas dans les Prairies cette année.

Le PCA durable a été mis en place tout récemment. Ce partenariat vise à intégrer les programmes de protection du revenu en une seule structure. Ainsi, lorsqu’une exploitation agricole connaît une année cataclysmique pour laquelle elle n’a droit à aucune compensation, un programme intitulé Agri‑stabilité entre en jeu. D’ici l’année 2025, chaque agriculteur devra avoir mis en place un Plan agroenvironnemental pour être admissible au programme Agri-stabilité.

Nous avons eu le temps et nous allons l’intensifier, mais en raison du partage des compétences en matière d’agriculture entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, chaque province l’applique à sa manière. Il n’y a ni harmonisation ni transparence entre les intérêts de la Saskatchewan et ceux de l’Alberta ou du Québec. Nous assistons donc à une fragmentation qui place les agriculteurs dans une situation de plus en plus difficile. Un agriculteur de la Saskatchewan peut accéder plus facilement aux programmes de gestion des risques de l’entreprise qu’un agriculteur de l’Ontario. En effet, les gouvernements de l’Ontario et de la Saskatchewan ont adopté des approches différentes pour s’assurer que leurs agriculteurs se dotent d’un plan agroenvironnemental.

Comme je l’ai dit, le problème est le temps qu’il faut à un agriculteur ou un éleveur pour remplir les formulaires gouvernementaux, qui ne sont pas harmonisés d’une province à l’autre. Le secteur agricole est particulièrement complexe, mais en matière de politiques environnementales, tout est pensé à l’échelle de l’exploitation agricole. C’est aux agriculteurs que l’on demande d’effectuer toutes sortes de changements, et pas nécessairement aux grandes entreprises. Les agriculteurs sont déjà des spécialistes du marketing, des ingénieurs, des mécaniciens, et ainsi de suite. Néanmoins, l’habileté à se retrouver à travers les multiples programmes du gouvernement n’est pas l’un de leurs points forts. Ils voient des coûts supplémentaires s’ajouter pour qu’ils puissent s’y retrouver dans ces processus. Cela crée un manque de certitude, ce qui signifie qu’ils n’investissent pas le même capital dans leurs opérations. Si l’on considère que leur capacité à accéder aux capitaux est liée à des causes environnementales, ils n’y sont pas opposés, mais ils ne les comprennent pas. La valeur pour l’agriculteur ou l’éleveur n’a pas été suffisamment articulée.

Mme Noble : Il s’agit d’une agriculture intégrée à l’échelle mondiale, en particulier avec les États-Unis. Alors que nous devons nous démarquer par rapport à nos concurrents à l’échelle mondiale, nous devons également composer avec une surenchère de mesures législatives : La taxe sur les logements sous-utilisés, les programmes décrits par M. Carey, les lois sur les chaînes d’approvisionnement, ainsi que les lois sur la main-d’œuvre et les travailleurs étrangers temporaires. Le projet de loi dont il est question aujourd’hui vient s’ajouter à cette accumulation de formalités administratives, de règlements, de normes et de taxes qui étouffent nos agriculteurs.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’essaie de suivre le fil de votre pensée. Je vais vous poser une question précise : Quelle disposition précise du projet de loi actuel empêche les agriculteurs d’accéder au financement ou aux prêts pour l’achat d’équipements écologiques? Il me semble que le projet de loi fait exactement le contraire en décourageant le financement non écologique et, à l’inverse, en encourageant le financement écologique. C’est là tout l’intérêt du projet de loi. Où voyez-vous un problème dans le projet de loi actuel?

Mme Noble : Encore une fois, si un agriculteur ne réussit pas dans un domaine quelconque de son exploitation, il ne peut pas investir dans l’innovation et la technologie. L’ensemble du projet de loi. Voilà ma réponse. Le fait qu’il y ait un obstacle supplémentaire à l’accès d’un agriculteur au capital s’il ne peut pas y accéder facilement sans paperasserie et obstacle supplémentaires, il n’aura pas nécessairement les fonds nécessaires pour investir dans l’innovation.

La sénatrice Miville-Dechêne : Pourquoi pensez-vous que l’agriculture serait couverte? Je reviens sur le projet de loi, et dans une définition différente de qui est couvert, je ne vois pas l’agriculture. Pratiquez-vous une « activité à forte intensité d’émissions »? Est-ce qu’une exploitation agricole « entrave l’élaboration ou la mise en œuvre de solutions de remplacement à faibles émissions »? C’est la définition donnée à la page 5, alors où voyez-vous que l’agriculture est prise en compte? Cela ne semble pas être le cas dans le texte du projet de loi dont il est question aujourd’hui.

M. Carey : L’agriculture est considérée comme un secteur à forte intensité d’émissions. Par conséquent, elle est manifestement dans la ligne de mire du gouvernement actuel. Environ 10 % des émissions peuvent être attribuées à l’agriculture, que ce soit dans les fermes ou indirectement. Le projet de loi parle directement de l’utilisation des terres, et 7 % de l’utilisation des terres au Canada sont des terres agricoles. L’agriculture est absolument dans le champ d’application du projet de loi.

La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que l’agriculture « entrave l’élaboration ou la mise en œuvre de solutions de remplacement à faibles émissions »? Les membres de votre association refusent-ils de prendre le virage écologique?

M. Carey : Non, nos membres ne refusent pas d’adopter le virage écologique. L’autre préoccupation que nous avons à l’égard de ce projet de loi est qu’il génère des redondances avec certaines activités du Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF. Je sais que l’Association des banquiers canadiens s’est penchée en profondeur sur le sujet. Mme Noble et moi-même ne sommes pas des banquiers. Il s’agit d’une redondance, d’une nouveauté, d’un précédent, et d’une situation à laquelle aucun de nos concurrents dans le monde n’est actuellement confronté. L’agriculture fait partie du champ d’application du projet de loi, qui évoque l’utilisation directe des terres. Nous constatons de plus en plus souvent que chaque fois qu’un agriculteur contacte son institution financière...

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est écrit. J’ai relu le libellé du projet de loi, et je ne pense pas que le secteur agricole soit concerné par ce champ d’application. C’est tout ce que je dis.

M. Carey : D’accord, je vous remercie.

La présidente : Vous pensez être couvert. Nous vous remercions.

Le sénateur Massicotte : Je vais rester sur le même sujet. Je tiens à m’assurer de bien comprendre vos inquiétudes. Ce que vous dites en réalité, c’est que vous n’en êtes pas absolument certain, mais qu’il est possible que ce projet de loi cause un préjudice aux membres de votre association. Est-ce que je résume correctement vos propos?

M. Carey : Oui, c’est le cas.

Le sénateur Massicotte : Dans un sens, on pourrait dire que vous avez donc peur d’avoir peur. Vous anticipez certaines conséquences négatives par rapport à ce projet de loi. Pouvons-nous apaiser votre inquiétude en modifiant deux ou trois paragraphes?

M. Carey : Vous avez raison. Je pense que le problème que nous avons et que d’autres secteurs ont soulevé, c’est celui des conséquences involontaires de ce projet de loi. Il est vaste, d’une portée excessive et d’une grande portée, et nous ne voyons pas d’autres pays adopter ce genre de mesures. L’autre problème soulevé par les agriculteurs est le manque de concurrence dans le domaine des prêts. Nous ne constatons pas d’augmentation de la consolidation. Il y a un mouvement vers des services bancaires ouverts et axés sur le consommateur. De nombreux agriculteurs accèdent au capital par l’intermédiaire de coopératives de crédit locales, qui devraient alors s’intéresser aux terrains verts. Bon nombre d’agriculteurs et d’éleveurs sont très préoccupés par leur capacité à obtenir du crédit à l’échelle locale et au sein de leur collectivité.

Nous ne représentons pas le secteur bancaire. Nous pensons que ce projet de loi doit faire l’objet d’une diligence raisonnable dans la mesure où les préoccupations et les ramifications peuvent avoir une grande portée pour quelque chose qui relève de la politique réglementaire en matière d’imposition directe. Comme l’a dit Mme Noble au début, une consultation importante est déjà en cours par l’intermédiaire du Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité, afin d’aligner nos préoccupations avec le reste de la planète, et cela témoigne également d’un manque d’harmonisation. Nous voyons le Canada prendre une voie qui n’est pas celle des États-Unis, de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande. Nous sommes préoccupés par la capacité des agriculteurs à accéder aux capitaux.

Le sénateur Massicotte : Vous dites que la modification de certains paragraphes ne sera pas suffisante pour calmer vos inquiétudes. À vos yeux, le projet de loi dans son ensemble est problématique.

Mme Noble : Nous ne demandons pas l’ajout d’amendements; nous demandons simplement au Sénat de ne pas appuyer ce projet de loi, et de respecter le processus établi par le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité.

La sénatrice Petten : Je comprends vos préoccupations concernant les questions financières dans la mesure où je suis originaire de Terre-Neuve-et-Labrador et que je connais bien les ressources naturelles et la pêche; je comprends ce que vous dites. Ma prochaine question est la suivante : Votre association s’est‑elle dotée d’objectifs en matière de réduction des émissions de GES? Je pense à la lutte contre les changements climatiques. Ou bien vous contentez-vous de vous appuyer sur certains des éléments bancaires du BSIF ou pensez-vous que certains de leurs éléments devraient constituer des cibles en matière d’émissions?

M. Carey : Non, chaque organisation agricole au sein de notre association s’est avancée sur cette voie. Par ailleurs, plusieurs responsables de la gestion de l’offre souhaitent également avoir leur mot à dire concernant ces enjeux. Non, ce que nous voulons simplement dire, c’est que l’agriculture a connu une amélioration durable à l’époque où le gouvernement préférait se servir de la carotte que du bâton, alors que nous assistons aujourd’hui à l’inverse. Une statistique que je trouve convaincante est qu’entre 1997 et 2017, selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, l’intensité des émissions de carbone au sein du secteur agricole est demeurée stable. Les émissions sont restées les mêmes sur cette période de 20 ans, alors que la production a doublé. Il s’agit là d’un progrès à l’échelle mondiale.

Il ne s’agit pas pour les agriculteurs de penser simplement que nous voulons sauver l’environnement. C’est que moins un agriculteur achète d’intrants, moins il y a d’impact sur l’environnement et plus il économise en fin de compte. La fixation des prix par les agriculteurs pour qu’ils utilisent judicieusement les intrants, qu’il s’agisse d’engrais, de carburant, de produits de protection des récoltes ou autres, est très importante, et les différentes organisations agricoles membres de l’ACA se sont dotées d’objectifs précis. Certaines organisations proposent d’atteindre la carboneutralité, d’autres sont sur la voie de la durabilité, et toutes ont adopté la Stratégie pour une agriculture durable mise en place par Agriculture et Agroalimentaire Canada, et Environnement et Changement climatique Canada. Ces objectifs sont élaborés dans le cadre de la Stratégie pour une agriculture durable, de concert avec le gouvernement, afin de s’assurer qu’ils sont réalisables, mais les agriculteurs canadiens doivent également continuer à produire les denrées pour le Canada et le reste de la planète.

Mme Noble : En ce qui concerne la viande bovine, nous avons réduit de 15 % les émissions de gaz à effet de serre par kilogramme par rapport à 2014. Ce qu’il faut retenir, c’est que si l’on continue à imposer des taxes et des réglementations aux agriculteurs canadiens, les produits seront fabriqués ailleurs dans le monde. Les émissions produites par l’industrie bovine canadienne se situent en deçà de la moitié de la moyenne mondiale.

Ce que nous demandons, c’est qu’il s’agisse d’un texte législatif de plus qui vienne s’ajouter à la pile, rendant les choses plus difficiles pour les agriculteurs canadiens, et nous voulons que les agriculteurs canadiens produisent l’approvisionnement alimentaire mondial parce que nous sommes très durables par rapport à d’autres pays qui prendront le relais si nous ne le faisons pas.

Le sénateur Yussuff : Je tiens à remercier tous nos témoins. L’agriculture est un élément important de notre pays, et nous n’avons pas l’intention de nous débarrasser des agriculteurs, bien entendu. Je respecte le travail incroyable que les agriculteurs accomplissent au quotidien, et je suis conscient qu’ils doivent composer avec une marge de manœuvre de plus en plus réduite pour assurer le succès commercial de leur exploitation.

En ce qui concerne l’accès au financement, les institutions financières appliquent de nombreuses procédures en matière de prêts. Il ne s’agit pas de n’importe quel prêt parce que vous en demandez un, que vous soyez un agriculteur ou un autre acteur économique. Il existe actuellement des manières de filtrer les demandes d’accès au crédit. L’institution financière doit tenir compte du risque qu’elle prend, et des probabilités d’être remboursé. Tout en reconnaissant que ce projet de loi applique différentes grilles d’analyse par rapport à ce que les institutions de crédit devraient étudier, la situation évolue de toute façon. Le contexte évolue à l’échelle mondiale, et vous avez justement évoqué l’adoption de normes internationales.

J’essaie de comprendre l’origine de vos réserves. Je comprends que le projet de loi ne vous plaît pas, mais nous sommes en train de l’examiner en ce moment. Je crois que ce que mes collègues essaient de vous demander, c’est s’il y a des aspects du projet de loi que nous pouvons atténuer en ce qui concerne certaines des conséquences que vous pourriez percevoir. Il faut reconnaître qu’à l’heure actuelle, les agriculteurs doivent franchir d’énormes obstacles pour obtenir des prêts auprès des banques. Il n’est pas certain qu’elles vous accorderont de l’argent. Elles veulent s’assurer que votre entreprise est viable et que vous serez en mesure de rembourser votre prêt. Le risque qu’elles prennent fait partie des mesures qu’elles utiliseront pour prendre une décision — il s’agit d’une bonne exploitation agricole; nous vous avons déjà prêté de l’argent auparavant; nous croyons que vous allez rembourser votre prêt; vos actifs et vos stocks semblent bons; et la liste est longue.

Donc, si nous examinons la question sous un angle climatique, de manière à ne pas avoir d’actifs délaissés et à ne pas prendre de risques excessifs au Canada, ne serait-il pas juste de dire, « dites-nous ce que nous devons respecter, parce que nous devons prendre de nombreuses mesures ». Je ne suis pas ici pour douter de vous ou pour contester le fait que les agriculteurs prennent de nombreuses mesures pour atténuer leur responsabilité en matière de changement climatique, mais y a-t-il une façon dont le projet de loi pourrait atténuer certains des aspects qui vous inquiètent peut-être trop et que nous pourrions rectifier?

J’essaie d’être aussi patient que possible et de vous demander de m’aider, au lieu de me dire « n’adoptez pas le projet de loi ». Cette possibilité peut être envisagée, mais si nous n’en arrivons pas là, j’espère que vous pourrez nous aider à nous engager dans une direction qui serait utile au comité.

M. Carey : Je peux tenter de répondre à cette question, sénateur. Je reconnais que je suis un témoin et que je ne suis pas ici pour vous poser des questions, mais ce qui nous préoccupe, c’est que nous ne sommes pas sûrs de la façon dont le projet de loi s’inscrit dans toutes les autres initiatives qui se déroulent dans ce domaine. Il y a le Conseil d’action en matière de finance durable, que certaines des plus grandes banques du Canada examinent. Financement agricole Canada, qui prête environ 9 milliards de dollars de capitaux par an aux agriculteurs, met en œuvre sa propre initiative à cet égard, tout comme le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité. Ce que nous essayons de comprendre, c’est comment tous ces éléments s’imbriquent les uns dans les autres, et quels en sont les résultats. Que se passe-t-il en fin de compte lorsqu’un agriculteur se rend dans une coopérative de crédit locale, dans une banque ou dans un bureau de Financement agricole Canada pour demander un prêt? Comment tous ces différents textes législatifs, réglementaires ou d’orientation politique s’intègrent-ils dans l’exploitation agricole?

Souvent, lorsque nous regardons ce qui se passe à l’échelle internationale, habituellement dans le but d’améliorer l’agriculture canadienne, nous ne sommes généralement pas ravis de voir l’orientation que l’Union européenne suit en ce qui concerne ses points de vue sur les politiques et l’agriculture. Je sais que le Parlement européen a récemment rejeté une mesure législative très semblable parce qu’il s’inquiétait de ces conséquences imprévues. Je crois que cette information a été communiquée par l’Association des banquiers canadiens qui a témoigné devant votre comité.

Je suppose que notre question est la suivante : comment cela s’intègre-t-il dans tous les autres éléments axés sur le climat, la gestion des risques commerciaux et la durabilité environnementale que le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité et les six ou sept grandes banques sont en train de mettre en place? Comment une coopérative de crédit locale et un agriculteur peuvent-ils s’y retrouver dans tous ces éléments?

Il y a peut-être des façons d’améliorer le projet de loi. Vous entendrez d’autres témoins du secteur financier, qui seraient mieux placés pour en parler. En notre qualité d’agriculteurs, nous nous posons la question suivante : comment vont-ils pouvoir s’y retrouver dans tous ces changements qui seront apportés du même coup?

Les agriculteurs sont également très préoccupés par certains des accords de divulgation des données et de renseignements personnels qu’ils finiront par devoir conclure lorsqu’ils abandonneront certaines activités qu’ils exercent dans leurs exploitations, sur des milliers d’hectares. Comment tous ces éléments s’imbriquent-ils? Comment cela permet-il au Canada de se démarquer de ses concurrents à l’échelle mondiale? Parce que la majorité de nos membres sont des preneurs de prix. Le prix des produits de base est fixé par le Chicago Mercantile Exchange, et nous nous adaptons donc constamment à cette situation. Les États-Unis investissent des dizaines de centaines de millions de dollars dans leur secteur agricole afin de compenser le fait que les agriculteurs ne travaillent pas leurs terres. Ces changements sont cumulatifs. Là encore, il s’agit d’une autre préoccupation exprimée par les agriculteurs. Sénateur, comment puis-je gérer cela en plus de la demi-douzaine d’autres exemples que j’ai donnés?

Le sénateur Yussuff : Je tiens à être équitable. Vous posez des questions très pertinentes. Il y a beaucoup d’éléments à prendre en compte dans le domaine de la finance durable. Nous ne réglementons pas les coopératives de crédit à l’échelle nationale. Elles sont réglementées à l’échelle provinciale, mais je comprends votre point de vue. Cependant, je ne peux pas répondre à votre question.

En ce qui concerne la compétence fédérale, je pense que vous posez une question raisonnable. Est-ce que cela s’ajoute à d’autres exigences que vous devez satisfaire, ou est-ce que ce changement est tellement discret qu’il ne vaut pas la peine d’en parler? J’entends bien ce que vous dites. Vous posez une question valable, et je pense que nous nous efforcerons de la poser aux autres témoins qui comparaîtront devant notre comité. J’espère qu’ils pourront nous éclairer à ce sujet. Je vous remercie de votre intervention.

La présidente : Je vous remercie. Vous avez dit tout à l’heure qu’il n’y avait pas eu de consultation. Pour que vous compreniez bien le processus, je précise qu’il s’agit d’un projet de loi et, bien qu’il concerne la réglementation des opérations financières — laquelle relève de la compétence du gouvernement fédéral —, il a été présenté de l’autre façon. Il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire au Sénat et, par conséquent, des consultations n’ont pas été menées. Vous examinez le projet de loi seulement maintenant, et vous n’avez pas eu l’occasion d’échanger des commentaires avec les responsables du projet de loi.

L’autre aspect que je souhaitais clarifier est le suivant. Je ne sais pas si ces chiffres sont plus élevés ou moins élevés selon les circonstances, mais en 2022, l’agriculteur canadien moyen avait une dette d’environ 730 000 $. C’est ainsi que l’on fonctionne. Vous empruntez l’argent pour ensemencer le sol, puis vous êtes endetté jusqu’à ce qu’avec un peu de chance, vous puissiez récolter des produits et rembourser cet emprunt?

M. Carey : C’est exact.

La présidente : Vous financez donc vos opérations. Je vous remercie beaucoup de vos observations.

La sénatrice Galvez : À titre d’information, j’aimerais savoir si vous fournissez des services financiers à vos membres. Offrez‑vous des prêts ou du crédit, ou fournissez-vous des assurances ou des conseils financiers à vos membres?

M. Carey : Ce n’est pas le cas de l’Alliance sur le carbone d’origine agricole, mais l’organisation pour laquelle je travaille le fait. Nous sommes le principal administrateur du Programme de paiements anticipés.

Mme Noble : L’organisation pour laquelle je travaille ne le fait pas.

La sénatrice Galvez : Je vous remercie de vos réponses. J’insisterai donc pour qu’une personne réellement touchée par la mesure législative soit invitée à discuter de la question des finances.

Je pense que nous approuvons tous le fait que nous nous dirigeons vers la durabilité. Nous devons le faire. En fait, dans les Prairies, les changements climatiques et le réchauffement de la planète ont des répercussions sur les meilleures terres agricoles du Canada.

D’une part, il y a les effets du changement climatique sur les incendies et les inondations, mais d’autre part, il y a le fait que les institutions financières deviennent de plus en plus difficiles d’accès à cause de tout ce que vous avez expliqué, alors que proposez-vous?

En même temps, vous dites que tout est tellement fragmenté. De nombreuses personnes mettent en œuvre des initiatives différentes, et tout cela constitue un fardeau. Eh bien, le projet de loi tente précisément d’harmoniser tous ces aspects. Le projet de loi indique qu’il ne favorise pas, n’encourage pas ou n’exacerbe pas l’insécurité alimentaire ou l’inégalité dans la société. Comme l’a dit mon collègue, il empêche ce qui vous effraie. Comment allez-vous résoudre ce problème au sein de vos associations respectives?

Mme Noble : À mon avis — et M. Carey peut le confirmer —, un gouvernement qui approuverait les innovations en temps opportun constituerait une politique climatique qui fonctionne pour les agriculteurs. L’approbation de l’additif 3‑NOP, dont j’ai parlé plus tôt, a exigé des années. Je pense que 34 autres pays l’ont obtenu avant nous. Permettez-nous d’avoir accès aux innovations et d’inciter les agriculteurs à l’utiliser. Cela nous aidera à avancer dans la direction que nous souhaitons tous. Toutefois, le fait de multiplier les obstacles, comme nous le voyons dans la mesure législative, ne contribue pas à accroître notre capacité d’aider les gouvernements à atteindre leurs objectifs en matière de lutte contre les changements climatiques.

M. Carey : Comme vous l’avez indiqué, je crois que les agriculteurs sont sur la ligne de front des changements climatiques. Il est étonnant de voir le chemin que nous avons parcouru au cours des 20 dernières années. L’un des membres de mon conseil d’administration, qui vient de la Saskatchewan, a connu des conditions de sécheresse l’année dernière. En l’absence quasi totale de pluie, il a obtenu une récolte moyenne. Si son père avait été dans cette situation, il aurait été complètement ruiné et ne se serait maintenu à flot qu’en ayant recours à l’assurance-récolte ou aux programmes de gestion des risques de l’entreprise. Grâce aux progrès de la technologie, cet agriculteur est en mesure d’obtenir une bonne récolte dans des conditions de sécheresse.

Cependant, nous constatons que le Canada n’a pas franchi l’étape suivante que tous les autres pays ont franchie. Vous devez donner aux agriculteurs les meilleurs outils possible et le meilleur cadre législatif et réglementaire possible pour leur travail, et leur objectif sera d’être plus durables sur le plan de l’environnement. Le contraste entre la façon dont les agriculteurs travaillent de nos jours et la façon dont ils le faisaient il y a 30 ans est frappant en ce qui concerne la préservation et la conservation des sols. Toutefois, ces méthodes exigent de nombreux capitaux. Les agriculteurs ne peuvent pas poursuivre leur cheminement vers la durabilité environnementale si leur exploitation n’est pas économiquement viable, car ces investissements coûtent des centaines de milliers de dollars. Nous examinons certaines de leurs préoccupations, par exemple la question de savoir si la mesure législative fera augmenter les taux d’intérêt débiteurs et rendra l’accès au capital agricole plus coûteux, pendant que les taux d’intérêt sont assez élevés. Ce n’est pas nécessairement l’un ou l’autre, c’est un effet cumulatif. L’agriculteur moyen essaie simplement d’obtenir une récolte pour que ses enfants puissent continuer d’exploiter l’entreprise agricole.

Nous avons constaté que le Canada n’est pas un pays où de nouveaux produits sont commercialisés. Ils sont commercialisés aux États-Unis et présentent des avantages pour l’environnement. Compte tenu du rôle que jouent Santé Canada, l’Agence canadienne d’inspection des aliments, Agriculture et Agroalimentaire Canada et Environnement et Changement climatique Canada et de leur cadre réglementaire, nos lois comportent tellement de rouages que les agriculteurs canadiens sont loin d’être aussi concurrentiels que leurs homologues australiens et américains.

Si vous voulez que les agriculteurs soient plus compétitifs, donnez-leur les outils dont ils ont besoin. Comme l’a dit un sénateur au début du débat, regardez ce qu’ils ont déjà accompli. Le canola est l’une des meilleures grandes cultures pour la séquestration du carbone. Certaines études soutiennent que jusqu’à 70 % de la totalité du carbone est séquestré par le canola. Toutefois, le gouvernement ne dispose d’aucune donnée de référence réelle pour prouver cela.

Ce que nous constatons, c’est que les agriculteurs ne sont pas indemnisés ou, du moins, pas les agriculteurs qui ont été les premiers à adopter des innovations, même si certains retardataires le sont. Nous n’avons pas vu d’agriculteurs être indemnisés pour les améliorations qu’ils apportent. Là encore, si les agriculteurs ne peuvent pas investir dans leur exploitation, ils ne peuvent pas améliorer leur cheminement environnemental. Pour le faire, ils doivent avoir accès à des capitaux. Tout cela est un cercle vicieux. Il y a peut-être des parties du projet de loi qui profiteraient aux agriculteurs, mais ceux à qui nous avons parlé ont dit craindre que le projet de loi ne soit qu’une autre pièce du casse-tête qui les rendra moins concurrentiels. Nos témoins prouveront peut-être que ce n’est pas le cas, mais la communauté agricole est très préoccupée et consternée par une autre initiative qui semble déconnectée de la réalité agricole.

La présidente : Je vous remercie.

Le sénateur Loffreda : Vous avez mentionné que les agriculteurs que vous représentez constituent 190 000 entreprises agricoles et que l’agriculteur canadien moyen a une dette impayée de 730 000 $. Selon l’article 2, toutes les entreprises constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions et les ouvrages ou entreprises visés par la définition de « entreprises fédérales » à l’article 2 du Code canadien du travail seraient des entités déclarantes en vertu du projet de loi.

La plupart des exploitations agricoles sont-elles constituées en société? Feraient-elles partie des entités déclarantes? Pourriez-vous préciser les types de défis que les agriculteurs devront relever pour se conformer au projet de loi?

M. Carey : La plupart des exploitations agricoles sont constituées en société. Si vous pensez à une société dont le conseil d’administration se réunit, dans la plupart des cas, il s’agirait de la mère, du père, du fils, de la fille, de la sœur, de la tante ou de l’oncle. Ce sont des agriculteurs. Ce sont eux qui constituent la société, et ce sont eux les actionnaires. Toutefois, ils ne sont pas nécessairement des banquiers ou des spécialistes des affaires réglementaires. Cependant, la plupart des exploitations agricoles du secteur de l’élevage sont constituées en société.

Mme Noble : Oui.

Le sénateur Loffreda : En vertu de l’article 2, ils seraient inclus et devraient se conformer au projet de loi. Au cours de certaines discussions, il a été mentionné qu’il ne s’agissait que des généralités du projet de loi, mais ces dispositions sont précises.

M. Carey : C’est un excellent argument, sénateur. Oui, les entreprises agricoles sont constituées en société pour un certain nombre de raisons, que ce soit pour passer d’une responsabilité illimitée à une responsabilité limitée, ou tout simplement parce que c’est la façon dont elles sont structurées. Cela permet une dépréciation et un amortissement des biens différents. J’aurais du mal à trouver une ferme pleinement opérationnelle qui n’est pas une ferme d’agrément et qu’il faudrait constituer en société pour un certain nombre de raisons, en particulier si l’on considère les travailleurs étrangers temporaires ou d’autres facteurs de ce genre.

Je n’ai pas l’article sous les yeux, sénateur, mais elles seraient visées, d’après votre description.

Le sénateur Loffreda : J’ai examiné l’article et étudié ces détails attentivement.

La présidente : D’après ce que j’ai pu lire ici, l’Association des banquiers canadiens est d’accord à cet égard, tout comme Financement agricole Canada. Ils parlent des risques liés à tout prêt pour l’exploration, ce qui s’appliquerait davantage au secteur énergétique, mais aussi des risques liés à tout prêt pour l’infrastructure, ce qui s’appliquerait au secteur agricole.

Le sénateur Loffreda : [Difficultés techniques] l’article 2 qui les inclut.

Comment l’Alliance sur le carbone d’origine agricole propose‑t-elle de concilier la nécessité de prendre des mesures pour lutter contre les changements climatiques? Parce que c’est important, et ne nous voilons pas la face à cet égard. Je veux dire que nous ne soutenons pas que ces mesures ne sont pas importantes. Elles sont extrêmement importantes pour assurer la viabilité et la croissance continues du secteur agricole. Alors, que suggérez‑vous?

Je pense que de nombreux sénateurs ont suggéré les questions suivantes : Est-il possible d’apporter des modifications au projet de loi? Est-il possible de l’améliorer? Y a-t-il quelque chose que nous puissions faire pour que le secteur agricole reste concurrentiel, viable et fort et qu’il continue de croître?

Cependant, les mesures pour lutter contre les changements climatiques restent extrêmement importantes.

M. Carey : Je peux commencer à répondre à la question. Je pense que l’un des meilleurs programmes mis en place par le gouvernement au fil des ans est le Fonds d’incitation à l’action pour le climat, qui permet aux agriculteurs de faire équipe avec le gouvernement moyennant un investissement minimum de 25 000 $ de la part de l’agriculteur. Ce programme a connu un grand succès parce qu’il était accessible aux agriculteurs. Ils ont compris qu’il n’était pas coûteux. Le gouvernement l’a présenté à plusieurs reprises comme un bon programme, ce qui est vrai. Toutefois, il n’est plus possible de soumettre des demandes dans le cadre de ce programme depuis juin 2020, parce que trop de demandes ont déjà été reçues.

Lorsque le gouvernement envisage de concevoir des programmes, je suggérerais qu’il les mette à l’essai auprès d’organisations agricoles afin de déterminer si les agriculteurs les accepteront. Le gouvernement devrait concevoir des programmes qui suscitent l’adhésion.

Il existe un autre programme appelé Fonds d’action à la ferme pour le climat, ou FAFC. Ce sont là de bons programmes, mais il y a également une myriade d’autres programmes qui sont extrêmement compliqués à gérer pour les agriculteurs. Voilà pourquoi ils ne souscrivent tout simplement pas à ces programmes. Il n’y a pas de solution miracle, mais en ce qui concerne la recherche et les remises, il existe un certain nombre de programmes très solides pour les exploitations agricoles. Cependant, nous constatons qu’ils sont sous-financés ou que, dès que trop de demandes ont été reçues, ils sont supprimés. Nous remarquons que des fonds sont investis, mais pas de manière à ce que les agriculteurs puissent en tirer profit. À mon avis, il est troublant que l’on veuille que les agriculteurs participent à ces programmes, alors que ces agriculteurs sont forcés d’embaucher un titulaire de maîtrise en affaires publiques pour comprendre un programme gouvernemental.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais poursuivre sur le même sujet que le sénateur Loffreda.

Dans vos réponses, vous énumérez un certain nombre d’initiatives et de règlements canadiens qui sont axés sur le changement climatique. Cependant, ils ne fonctionnent pas vraiment. Nous n’avons pas atteint nos objectifs de réduction des émissions comparativement aux autres pays du G7. Nous n’y sommes vraiment pas du tout. Comme l’a dit la sénatrice Galvez, avec le projet de loi, on essaie une nouvelle approche qui pourrait changer la donne — si cela fonctionne.

Pensez-vous que nos initiatives actuelles fonctionnent? Les programmes dont vous parlez fonctionnent-ils, étant donné que nous n’atteignons pas nos objectifs?

M. Carey : Je suppose que la question est de savoir de quels objectifs il s’agit exactement. C’est que l’agriculture canadienne est l’une des industries les plus durables au monde sur le plan environnemental. Mme Noble a parlé de la quantité d’émissions liées au bétail au Canada. Je la laisserai en parler.

L’Institut mondial pour la sécurité alimentaire vient de publier un rapport qui indique que les produits cultivés en Saskatchewan, comme le blé et le canola, sont les plus durables dans le monde sur le plan environnemental et qu’ils ont la plus faible intensité en carbone. Cela s’explique en partie par les programmes gouvernementaux. D’autre part, les agriculteurs canadiens innovent. Notre saison de croissance est très courte. C’est ce que nous appelons l’intensification durable, qui consiste à produire la même quantité d’aliments, ou plus d’aliments, sur les mêmes superficies en utilisant moins d’intrants. Le Canada — encore une fois, je ne parle pas de l’ensemble de l’économie, mais bien de l’agriculture — est l’un des pays les plus durables au monde.

La sénatrice Miville-Dechêne : Dans ce contexte, pourquoi le projet de loi poserait-il problème? Si vous dites que votre secteur est vraiment bon et qu’il est vraiment devenu vert, il me semble que vous n’avez rien à craindre.

M. Carey : Voulez-vous commencer?

Mme Noble : Oui, je suis d’accord avec M. Carey. Nous atteignons nos objectifs et c’est en grande partie piloté par le secteur. Dans l’industrie du bœuf, nous avons la Table ronde canadienne sur le bœuf durable. Nous atteignons nos objectifs. Comme je l’ai dit, nous n’avons pas besoin qu’on nous impose des coûts supplémentaires associés à l’ajout de formalités à respecter pour obtenir du financement, quand il existe déjà un certain nombre de politiques gouvernementales — et je serais heureuse de parler plus en détail de certaines d’entre elles — qui nous coûtent déjà beaucoup d’argent.

Lorsque le gouvernement élabore des politiques, il ne sait pas quelles en seront les conséquences pour les agriculteurs. C’est ce que nous disons dans ce cas également. Certains processus viennent d’être lancés. Peut-être souhaitez-vous que le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité vienne comparaître, car il mène actuellement des consultations sur les obligations générales en matière d’informations financières liées à la durabilité. Nous participons à ce processus. Nous atteignons nos objectifs, et nous les dépassons, en fait.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Moi aussi je crois qu’il faut sauver la planète; c’est majeur, c’est important et on voit vraiment les problèmes qui existent actuellement. Toutefois, ce projet de loi est complexe. Personnellement, je le trouve complexe et j’ai demandé aux protagonistes de m’expliquer, une fois le projet de loi adopté, comment tout cela allait fonctionner. Dans votre secteur, on voit qu’il y a une institution financière fédérale — même si plusieurs seront affectées —, soit Financement agricole Canada. Si ce projet de loi est adopté, comment cela va-t-il changer les choses pour Financement agricole Canada? Comment cela va-t-il affecter le secteur agricole?

[Traduction]

M. Carey : De façon importante. Financement agricole Canada, qui est un organisme gouvernemental, est devenu un prêteur de plus en plus important. Je pense qu’on parle d’environ 9 milliards de dollars par année. Il s’agit donc d’un acteur important.

Je ne peux pas décrire tous les effets possibles en aval, mais ce que nous entendons et ce qui nous préoccupe, et je sais que c’est le cas de l’Association des banquiers canadiens et d’autres acteurs, c’est la question de savoir si le projet de loi rendra l’accès au capital plus coûteux. Les taux d’intérêt vont-ils augmenter parce que l’agriculture peut être considérée comme l’un des secteurs concernés? Le projet de loi fera-t-il en sorte que l’accès au capital coûtera plus cher aux agriculteurs? Est-ce qu’il sera plus difficile pour les coopératives de crédit locales de fournir du financement dans ce contexte? Je sais qu’elles sont réglementées par les provinces, comme le sénateur l’a souligné à juste titre.

Financement agricole Canada a un certain nombre de pratiques de prêt. La personne qui était ministre précédemment lui a confié le mandat d’examiner l’ensemble des engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance, ou ESG, dans le cadre de ses pratiques de prêt, et l’organisme commence à en informer les agriculteurs, à les sensibiliser, et à essayer de les aider à comprendre.

Nous ne savons pas exactement comment le projet de loi s’inscrit dans le mandat de Financement agricole Canada. C’est assez complexe, mais la principale préoccupation que nous avons entendue de la part des agriculteurs lorsque nous en avons discuté est la suivante : « Est-ce que l’accès au capital me coûtera encore plus cher? » Une exploitation agricole moyenne, qui fait, disons, 5 millions de dollars par année, investit des sommes importantes. « Les taux d’intérêt vont-ils augmenter? Est-ce que... Je dois donner plus. Sera-t-il plus difficile pour mon fils ou ma fille de prendre la relève? » Telles sont les questions qui se posent. Nous n’avons pas les réponses, parce que nous ne savons pas ce qui en résultera si le projet de loi est adopté. Tout ce qui rend le capital plus cher à l’heure actuelle, compte tenu des taux d’intérêt, est une source de préoccupation pour les agriculteurs, en particulier à l’approche d’une nouvelle année de sécheresse dans les Prairies.

La présidente : Merci beaucoup. Si vous souhaitez nous transmettre d’autres renseignements plus tard, vous pouvez le faire par écrit, comme vous le savez. Nous vous en serions reconnaissants si vous avez quoi que ce soit à ajouter en particulier. Nous avons discuté avec d’autres organisations de ce que cela signifierait concernant les critères de prêt pour certaines personnes, et cela fait partie de l’inconnu, bien sûr. Nous n’en savons rien, et les banques, y compris les plus petites d’entre elles, devront essayer de le déterminer.

Nous remercions M. Dave Carey et Mme Cathy Jo Noble, qui sont, respectivement, coprésident et membre du comité directeur de l’Alliance sur le carbone d’origine agricole.

La sénatrice Ringuette : Si vous le permettez, c’est que je dois partir plus tard pour assister à une séance d’information.

La présidente : Avez-vous une question?

La sénatrice Ringuette : Je veux proposer quelque chose à tous mes collègues. Depuis de nombreuses années, et notre réunion d’hier en est un exemple, nous nous interrogeons tous sur la question de la productivité au Canada. Je voudrais proposer à tous les membres de notre comité que la prochaine étude que nous entreprendrons porte exactement là-dessus, sur la productivité, et que nous fassions un examen approfondi de tous les aspects qui y sont liés : la formation, les taux d’intérêt, le crédit d’impôt, ainsi que les éléments incitatifs et dissuasifs en ce qui concerne la productivité.

Je tiens à remercier mes collègues d’avoir écouté ma suggestion. Merci.

La présidente : Vous pourriez peut-être nous écrire deux ou trois paragraphes à ce sujet et nous les transmettrons au comité directeur dès que possible.

Pour la deuxième partie de la réunion, nous accueillons Mme Julie Segal, gestionnaire principale de la finance climatique à Environmental Defence.

Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre présence. Nous vous invitons d’abord à faire votre déclaration préliminaire.

Julie Segal, gestionnaire principale, Finance climatique, Environmental Defence : Bonjour. Merci de m’avoir invitée à comparaître. Je m’appelle Julie Segal et je dirige un programme de politiques sur le financement climatique à Environmental Defence Canada. Auparavant, je gérais un portefeuille d’investissements durables. Je travaille maintenant aux politiques climatiques parce que j’ai constaté qu’il y avait un vide au Canada en ce qui concerne les politiques qui alignent le secteur financier sur l’action climatique et qui font en sorte que le secteur est prêt à faire face au changement climatique. Je suis heureuse de témoigner aujourd’hui au sujet du projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat, parce qu’il constitue une solution importante pour combler ce vide.

Tout d’abord, je tiens à souligner que la politique financière est un élément essentiel de la politique publique. Le Canada dispose d’un plan d’adaptation aux dommages causés par le changement climatique, mais tant qu’une politique comme la Loi sur la finance alignée sur le climat n’est pas mise en œuvre, la politique financière reste la pièce manquante.

Les règles applicables au secteur financier ont un objectif, notamment celui d’assurer la résilience et de protéger les gens partout au pays, et c’est ce que vise la Loi sur la finance alignée sur le climat.

Sur la scène mondiale, le Canada est actuellement considéré comme étant à la traîne en ce qui concerne la modernisation de la réglementation financière pour tenir compte du changement climatique. D’autres pays ont jusqu’à quatre ans d’avance sur nous dans ce domaine. L’Union européenne, par exemple, a mis des politiques financières durables au centre de son Pacte vert pour l’Europe dans sa législation de 2020, et le Royaume-Uni s’est engagé, il y a trois ans, à faire évoluer son système financier et économique pour devenir le premier centre financier aligné sur la carboneutralité dans le monde. Ces grands centres financiers s’engagent donc dans la voie dans laquelle la Loi sur la finance alignée sur le climat pourrait amener le Canada.

Le Canada devrait leur emboîter le pas en mettant en œuvre la Loi sur la finance alignée sur le climat, qui est essentielle à la modernisation de notre système financier. Des banques et des fonds de pension ont pris des engagements volontaires pour faire progresser la résilience climatique, mais ces engagements sont insuffisants. Ils démontrent la pertinence de politiques telles que la Loi sur la finance alignée sur le climat, mais ils ne sont pas suffisants et ils n’ont pas été mis en œuvre de manière rigoureuse de leur propre chef.

J’ajouterai que le Canada ne respecte pas ses engagements climatiques. En effet, nous sommes le seul pays du G7 dont les émissions ont augmenté au cours des 25 dernières années. Nous n’avons respecté aucun engagement climatique pris par le gouvernement fédéral. Il est reconnu dans le monde entier que notre secteur financier apporte une contribution négative au changement climatique, et le Canada ne pourra commencer à respecter ses engagements climatiques que s’il met en place une politique financière alignée sur le climat, comme la Loi sur la finance alignée sur le climat.

Des universitaires d’Oxford ont récemment souligné dans un article publié dans la revue Nature que les engagements climatiques volontaires du secteur privé sont insuffisants et peu fiables, mais que de nouvelles règles de base telle que la Loi sur la finance alignée sur le climat pour une politique financière alignée sur le climat représentent désormais l’élément central et la prochaine étape vers la stabilité du climat mondial et la stabilité économique. La politique financière est donc un élément essentiel de la politique climatique et de la politique publique sur lesquelles le Canada devrait s’aligner.

Deuxièmement, on s’attend à ce que le Canada subisse de grands impacts économiques négatifs et des risques financiers liés au changement climatique. C’est déjà le cas. Une politique telle que la Loi sur la finance alignée sur le climat pourrait contribuer à éviter que la situation ne s’aggrave. Le changement climatique inflige des pertes à l’économie mondiale et nationale, notamment en nuisant aux rendements agricoles, à l’infrastructure matérielle et à la productivité du travail, sans parler des coûts humains et environnementaux élevés des catastrophes climatiques à l’échelle du pays.

Sur le plan économique, l’économie canadienne pourrait perdre 25 milliards de dollars de PIB d’ici l’an prochain, c’est‑à‑dire en 2025 — selon l’Institut climatique du Canada —, ce qui représente plus de la moitié de la croissance attendue du PIB. D’ici le milieu des années 2030, plus de 100 milliards de dollars d’investissements devraient perdre leur valeur parce que les investisseurs canadiens ne sont pas suffisamment préparés à la transition climatique.

Le changement climatique rend la vie plus chère et plus dangereuse pour les habitants de tout le pays, ce qui signifie que les institutions financières devraient investir de manière à atténuer la gravité des effets du changement climatique et à nous aider à accroître notre résilience face aux dommages que nous subissons. La mise au point d’un système financier qui atténue la gravité du changement climatique est tout à fait dans notre intérêt, tant sur le plan social que sur le plan économique.

Troisièmement, les citoyens de tout le pays sont conscients des risques liés au climat…

La présidente : Il vous reste environ 30 secondes. Je voulais seulement vous en informer.

Mme Segal : Je vous remercie.

Les gens veulent que le projet de loi S-243 soit adopté. J’encourage les sénateurs du comité à prêter attention à ce point. Je crois que vous avez reçu plus de 6 000 lettres de particuliers qui souhaitent l’adoption de la Loi sur la finance alignée sur le climat. Cette loi a reçu un soutien international et national. Plus de 100 organismes et universitaires appuient le projet de loi, notamment en encourageant votre comité à l’étudier de manière approfondie. Des sondages révèlent que plus de deux tiers des Canadiens souhaitent que le gouvernement fédéral mette en œuvre une politique financière durable comme Loi sur la finance alignée sur le climat.

À l’échelle mondiale, des experts internationaux, comme l’ancienne présidente de la Commission des valeurs mobilières des États-Unis, et des groupes de banquiers internationaux ont souligné l’importance et l’interopérabilité mondiale de la Loi sur la finance alignée sur le climat. Il s’agit d’une proposition politique de calibre mondial qui protégerait les citoyens de tout le pays et qui renforcerait notre économie. Des syndicats, des institutions financières et des partis politiques fédéraux appuient le projet de loi S-243, ou Loi sur la finance alignée sur le climat, et les principes qui le sous-tendent...

La présidente : D’accord. Je vous remercie de votre déclaration. Je suis sûre qu’il y aura de nombreuses questions.

Mme Segal : Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de faire une déclaration.

La présidente : Juste avant de commencer, pouvez-vous nous parler de votre organisme, Environmental Defence Canada, des gens que vous représentez et de vos sources de financement, afin que nous nous représentions le contexte et les gens au nom desquels vous parlez aujourd’hui?

Mme Segal : Oui, certainement. Environmental Defence Canada est un organisme canadien sans but lucratif de premier plan. Nous travaillons sur une série de questions relatives au climat et à l’environnement, plus précisément en menant de nombreuses recherches et en mobilisant des solutions politiques pour bâtir un environnement plus propre et plus sain dans notre pays.

La présidente : D’où provient votre financement? S’agit-il de dons ou de fonds publics?

Mme Segal : Nous sommes un organisme sans but lucratif indépendant du gouvernement.

La présidente : Vous pourrez approfondir la question plus tard.

Le sénateur Loffreda : Madame Segal, je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Je conviens que le climat, l’environnement et le changement climatique représentent une préoccupation mondiale extrêmement importante de nos jours, et que le projet de loi que nous étudions est aussi important. Je vous remercie de votre déclaration préliminaire.

Vous avez mentionné que nos institutions financières devraient investir davantage dans le financement durable de la lutte contre le changement climatique. Vous avez mentionné qu’elles étaient à la traîne, c’est-à-dire qu’elles accusent un retard dans ce domaine.

Dans quelle mesure, selon vous, le projet de loi devrait-il être une initiative nationale ou plutôt une initiative mondiale, une collaboration internationale entre les institutions financières internationales, par l’entremise d’une loi internationale? Je crains que nous ne limitions nos institutions financières... Je pense qu’il est important qu’elles disposent de stratégies de financement durable pour la lutte contre le changement climatique, mais qu’est-ce qui empêcherait une société pétrolière canadienne de contracter un prêt auprès d’une banque américaine ou d’une banque internationale? Elle obtiendrait toujours du financement ailleurs dans le monde. Nous ne ferions que prendre l’argent des contribuables et l’envoyer aux États-Unis ou dans d’autres pays qui financent notre secteur énergétique, si nous voulons l’appeler ainsi.

D’autre part, croyez-vous qu’il est possible d’effectuer une transition juste? Bref, disposons-nous aujourd’hui de l’infrastructure nécessaire pour imposer un tel projet de loi qui contient des politiques que certains témoins jugent excessives?

Mme Segal : Je vous remercie, sénateur Loffreda.

À des fins d’éclaircissements, le Canada est à la traîne par rapport à ses alliés et à ses concurrents internationaux sur le plan des politiques financières durables. Le Canada accuse un retard sur deux plans. Oui, comme vous l’avez souligné, nos cinq grandes banques accusent un retard en matière d’investissements dans le climat. Elles investissent environ quatre fois plus dans les combustibles fossiles que dans les énergies propres, ce qui nuit grandement aux efforts du Canada pour bâtir une économie verte et créer de bons emplois dans cette économie verte.

Oui, nos banques sont certainement à la traîne, tout comme nos politiques environnementales. J’ai cité un certain nombre de régions dans le monde — et cela ne représente pas toutes les régions — qui ont progressé en matière de politiques financières alignées sur le climat, comme la Loi sur la finance alignée sur le climat. Sur la scène internationale, les banques canadiennes font l’objet de critiques virulentes parce qu’elles prennent trop de temps à effectuer la transition climatique et qu’elles investissent de façon excessive dans les combustibles fossiles comparativement à leurs investissements dans les énergies propres. Une politique telle que la Loi sur la finance alignée sur le climat permettra simplement au Canada de se mettre au diapason des autres orientations économiques des pays qui mettent en œuvre une politique financière alignée sur le climat, afin d’assurer la compétitivité de leur économie et la création de bons emplois verts pour leurs citoyens. La Loi sur la finance alignée sur le climat nous permettrait donc de nous hisser au niveau international.

Il s’agit en réalité d’une politique intelligemment conçue, car elle s’inspire des pratiques exemplaires internationales et les adapte aux objectifs du Canada. Elle convient ainsi aux objectifs nationaux tout en favorisant l’harmonisation au niveau international.

Le sénateur Loffreda : Vous avez indiqué que cela nous permettrait de nous mettre au diapason d’autres institutions internationales. Pouvez-vous nous dire de quels pays vous parliez? Pourriez-vous nous donner l’exemple d’une loi en particulier? Cela nous permettrait d’amender ce projet de loi sans avoir à réinventer la roue. Nous pourrions ainsi le modifier, l’améliorer et proposer le tout. Peut-être pourriez-vous être plus précise à ce sujet. C’est la question que je vous pose, parce que nous vivons et fonctionnons au sein d’un environnement mondial, et nous devons donc être compétitifs au niveau planétaire dans tous les secteurs — énergie, finances, etc. J’aimerais que vous nous indiquiez plus spécifiquement la façon dont nous pourrions mieux soutenir la concurrence en amendant ce projet de loi si nécessaire, ou en le proposant tel quel si vous estimez que d’autres pays et d’autres institutions financières dans le monde ont imposé des politiques ou des mesures législatives aussi restrictives.

Mme Segal : Je me réjouis d’avoir l’occasion de revenir sur les exemples internationaux. Comme je l’ai mentionné dans mes remarques préliminaires, un certain nombre d’autres gouvernements ont mis de telles mesures en œuvre, y compris notamment l’Union européenne en 2020. Celle-ci a intégré la politique de financement durable en tant qu’élément central de son pacte vert, de son plan climatique et de sa modernisation économique. C’était donc en 2020, et leur politique de financement durable a été mise à jour à maintes reprises au cours des quatre dernières années. Pour avoir étudié en profondeur les deux régimes, je peux vous dire que la Loi sur la finance alignée sur le climat s’en inspire fortement.

Le Royaume-Uni s’est également engagé en 2021 à se donner le premier secteur financier au monde à se conformer à l’objectif de carboneutralité. Il va de soi qu’il s’agit encore d’une plaque tournante du secteur financier à l’échelle mondiale. Le Royaume-Uni a progressé dans la mise en œuvre de politiques telles que l’exigence de plans climatiques crédibles de la part des entreprises dans l’ensemble de l’économie, sous l’égide de l’Autorité britannique de surveillance des pratiques financières.

De même, la Californie, qui pourrait se classer parmi les plus grandes économies du monde, a également mis en œuvre des politiques en matière de finance durable qui sont très avant‑gardistes et dont je pourrais vous entretenir de manière plus approfondie, sénateur Loffreda.

Je voudrais juste ajouter que des milliers d’entreprises sont assujetties à cette réglementation adoptée par l’Union européenne et la Californie. En allant de l’avant avec la Loi sur la finance alignée sur le climat, on se montrerait tout simplement plus cohérent en offrant des chances égales aux entreprises déjà visées par des politiques qui n’ont pas été élaborées au Canada.

La présidente : Merci beaucoup. Nous avons dépassé le temps imparti.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Pour certains d’entre nous, ce projet de loi est une mesure législative très détaillée et fort complexe. D’après les documents qui nous ont été remis, je constate que vous avez été consultée lors de l’élaboration de ce projet de loi. Êtes-vous bien au fait de la façon dont il est structuré? Je ne crois pas que l’on puisse parler d’un appui généralisé pour ce projet de loi. S’il devait être amendé, y aurait-il en quelque sorte moyen de le déconstruire? Le projet de loi a-t-il été structuré en couches successives? Est-il possible d’en retirer une certaine partie, puis d’examiner ce qui reste du projet de loi pour voir s’il serait plus acceptable ainsi? Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Mme Segal : Sénatrice, je comprends très bien votre question. Encore une fois, j’exhorte le Comité sénatorial des banques à adopter la Loi sur la finance alignée sur le climat, et ce, au nom de mon organisation, de douzaines d’organisations expertes en matière de climat et de finance et en mon nom personnel. Je tiens à souligner que le projet de loi bénéficie en fait d’un soutien massif. Comme je l’ai mentionné, je crois que votre comité a reçu plus de 6 000 lettres — en provenance de personnes qui ne s’intéressent pas nécessairement aux travaux du Sénat ou à la politique financière — demandant que l’on aille de l’avant avec la Loi sur la finance alignée sur le climat.

Un certain nombre d’experts à l’échelle planétaire, y compris des groupes de banquiers internationaux et l’ancien président de la commission américaine des valeurs mobilières, n’ont pas manqué de vanter les mérites de ce projet de loi. Une bonne centaine d’organisations climatiques et d’universitaires du secteur financier du Canada ont soutenu le projet de loi, notamment en écrivant pour encourager ce comité à en faire une étude rigoureuse pour le faire passer à l’étape suivante.

La sénatrice Marshall : Je voudrais que l’on se limite à traiter de la structure du projet de loi et de la possibilité d’y apporter des amendements. Est-il possible de le déconstruire de manière ordonnée de telle sorte qu’un élément précis ne faisant pas suffisamment consensus puisse être extirpé du projet de loi? Est-ce envisageable ou est-ce que les dispositions du projet de loi sont indissociables à un point tel qu’il est impossible d’en extraire certaines composantes?

Mme Segal : Il serait effectivement possible pour le Sénat de réviser le projet de loi. En fait, j’encourage vivement une discussion approfondie pour évaluer le projet de loi et en faire ressortir la très grande utilité, ce qui pourrait vous amener à prendre en considération divers amendements visant à le rendre encore plus propice à l’atteinte des objectifs du Canada.

Comme je l’ai mentionné — et comme vous l’avez vous‑même fait remarquer —, j’ai participé à un important processus de consultation et de collecte de données mené par la sénatrice Galvez aux fins de l’élaboration de ce projet de loi. Il s’agissait de considérer les politiques en vigueur ailleurs dans le monde et de les adapter aux besoins du Canada. J’encourage vivement le Comité sénatorial des banques à poursuivre ces discussions et ces audiences d’une grande pertinence, et à procéder à une analyse suffisamment approfondie pour s’assurer que ce projet de loi est bien adapté.

Je comprends que vous n’avez pas nécessairement pu déceler un soutien important de la part des témoins convoqués jusqu’à maintenant. Un certain nombre de groupes ont demandé au Sénat d’étudier ce projet de loi de manière très approfondie, et notamment de dresser une liste de témoins offrant un échantillon équilibré de points de vue. J’espère n’être que la première parmi les nombreux experts du climat que vous aurez l’occasion d’entendre sur ce sujet...

La présidente : Avez-vous eu la réponse que vous cherchiez?

Mme Segal : ... juste pour enrichir votre compréhension du projet de loi.

La sénatrice Marshall : J’aimerais que vous me répondiez par un oui ou par un non. Est-ce qu’il pourrait être ardu de modifier l’un des éléments de ce projet de loi? Pensez-vous qu’il est possible de le faire même s’il s’agit d’un texte législatif fort complexe? Certains amendements pourraient-ils être apportés sans trop de difficulté? Je voudrais savoir simplement comment le projet de loi est construit et, par conséquent, s’il est possible d’en extraire certaines composantes au besoin.

La sénatrice Galvez : Je peux répondre à cette question, et la réponse est oui.

La présidente : Je suis désolée, sénatrice Galvez, mais nous avons un témoin pour répondre aux questions. Je vous remercie.

Mme Segal : Merci beaucoup. Je suis désolée. J’avais l’intention de le préciser d’entrée de jeu. Je préconise effectivement un examen approfondi du projet de loi. D’un point de vue technique, ce projet de loi peut et doit être évalué par le Comité sénatorial des banques pour s’assurer qu’il est bien adapté à la situation du Canada.

La présidente : Merci.

Comme vous le savez, nous sommes les destinataires d’un large éventail de campagnes par courriel, comme nous l’avons été pour ce projet de loi et de nombreux autres par le passé. Ces messages n’ont toutefois pas le même poids que les témoignages que nous pouvons entendre.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Merci d’être avec nous, madame Segal. Je vais faire un commentaire en même temps que je vais poser ma question pour vous situer mon propos.

On en est maintenant à l’étude en comité d’un projet de loi qui a déjà passé par le Sénat, et le principe de la Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois, la LFAC, a été entendu. On s’est dit qu’on allait examiner le projet de loi soutenant le principe de l’alignement du financement dans le contexte de la réduction des gaz à effets de serre. Le projet de loi que nous avons devant nous en est un qui doit respecter certaines spécificités. Il ne doit pas avoir d’impact financier pour le gouvernement ni sur le plan des crédits, parce que c’est un projet de loi du Sénat.

Je comprends, en raison de ce que vous nous avez dit, que des pays — donc des gouvernements — ont adopté des projets de loi gouvernementaux sur ce concept. Vous avez parlé de l’Union européenne, mais c’est une organisation de pays, l’union de plusieurs pays. Je voudrais que vous déposiez au comité les projets de loi qui existent actuellement par rapport à l’alignement de la finance en fonction de la réduction des gaz à effets de serre conformément à la LFAC. Ce serait très intéressant pour nous.

Je voudrais que vous compreniez que nous ne pouvons engager le gouvernement, parce que c’est un projet de loi du Sénat. Bien que le principe du projet de loi ait bien été entendu au Sénat, ce sont les détails du projet de loi que nous analysons. Il est très complexe de savoir comment tout cela va fonctionner, parce que cela ne doit pas avoir d’incidences financières. Alors là, il y a des problèmes. Peut-être que le gouvernement devrait adopter un tel projet de loi, et non le Sénat. C’est là où nous en sommes actuellement au Sénat. Nous en sommes à nous demander si ce projet de loi peut être un projet de loi du Sénat. N’est-ce pas plutôt un projet de loi du gouvernement? Qu’en pensez-vous?

Je voudrais que vous déposiez au comité les lois existantes des différents pays de l’Union européenne. Ce sera très instructif pour le comité. Merci.

Mme Segal : Merci beaucoup. Je vais continuer en anglais, mais merci pour cette question bilingue.

[Traduction]

Vous soulevez plusieurs éléments, et j’aimerais traiter de chacun d’eux. Tout d’abord, je suis heureuse de constater que vous vous intéressez aux politiques en vigueur dans les différents pays. Je comprends bien la distinction entre un projet de loi du Sénat et un autre qui aurait été adopté par la Chambre des communes. Je comprends que la Loi sur la finance alignée sur le climat a été rédigée avec grand soin afin de trouver le juste niveau d’intervention politique du Sénat à l’échelon fédéral tout en évitant d’imposer des contraintes financières au gouvernement. Je n’en dirais pas plus à ce sujet, car on a vraiment fait le nécessaire pour prévenir tout empiétement.

J’ajouterais qu’un certain nombre de représentants des partis à la Chambre des communes ont manifesté leur soutien aux principes qui sous-tendent la Loi sur la finance alignée sur le climat. La Chambre des communes pourrait certes se montrer plus active dans ce dossier, mais il n’en demeure pas moins que nous avons ici un projet de loi très complet qui nous permettrait de faire un pas en avant. Comme l’ont dit les témoins précédents, les petites entreprises et les agriculteurs sont frustrés du manque de cohésion dans nos politiques climatiques. La Loi sur la finance alignée sur le climat est une mesure en fait assez ingénieuse en ce sens qu’elle établit un lien entre tous les éléments à considérer pour que l’on voit clairement ce qu’il convient de réaliser en une seule action.

La présidente : Merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Bienvenue, madame Segal. J’aimerais que vous vulgarisiez un peu plus toute cette question de l’impact. Le projet de loi demande aux institutions financières de ne pas seulement se préoccuper des risques pour les banques d’investir dans des industries polluantes, mais aussi d’évaluer l’impact de ces industries pour accorder un financement avec plus ou moins de garanties.

Comment va-t-on calculer l’impact? Y a-t-il des seuils, ou est‑ce laissé au bon jugement des banquiers? Est-ce que ce critère de double matérialité est déjà inscrit dans les lois européennes auxquelles vous avez fait référence?

[Traduction]

Mme Segal : Je vous remercie. L’Union européenne et d’autres instances internationales tiennent effectivement compte à la fois des impacts du changement climatique sur les activités de financement et des répercussions de ce financement sur le climat, ce qui correspond à ce principe de double importance relative que vous évoquez.

La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord, mais pourriez-vous nous expliquer en termes simples ce dont vous parlez ici. Comment évalue-t-on le risque par rapport aux répercussions possibles? C’est en effet un processus qui s’étale sur de nombreuses années et il peut y avoir un impact à long terme que nous ne connaissons pas. Dites-nous un peu plus précisément ou plus simplement comment cela change la façon dont les banques prêtent de l’argent.

Mme Segal : Avec plaisir. Les répercussions des décisions financières liées au changement climatique prises par les banques ou les fonds de pension, comme vous l’avez mentionné, se font ressentir à la fois dans le court et le long terme, étant donné l’ampleur du changement climatique. Lorsque les institutions financières telles que les banques ou les fonds de pension qui gèrent l’argent des Canadiens investissent, par exemple, dans l’exploitation des combustibles fossiles, elles contribuent au changement climatique. Nous savons que le pétrole, le gaz et le charbon sont à l’origine de plus de 80 % de la pollution liée au réchauffement climatique qui cause des ravages dans tout le pays. En même temps, si les institutions financières n’investissent pas assez dans les énergies renouvelables ou d’autres solutions propres, c’est l’économie canadienne qui en pâtit.

En outre, si les institutions financières n’investissent pas dans la résilience climatique et continuent de favoriser les combustibles fossiles ou d’autres activités polluantes, ce sont les infrastructures canadiennes qui paient le prix.

À titre d’exemple, aucune des cinq grandes banques canadiennes ne s’est engagée à supprimer progressivement le financement du charbon, même si le gouvernement du Canada est l’un des fers de lance de l’alliance : Énergiser au-delà du charbon. Lorsque nous plaçons notre argent dans les banques et les fonds de pension et qu’ils l’investissent dans des projets, ils définissent ce que sera notre économie à l’avenir et ce qu’est notre pollution aujourd’hui. S’ils investissent dans des industries durables, ils contribuent à faire progresser le Canada vers une économie et un avenir plus verts. En revanche, s’ils investissent dans des industries polluantes, ils aggravent le changement climatique et nuisent à la population du pays et du monde entier.

Bon nombre des initiatives que nous avons vues jusqu’à présent, comme le CCNID, dont je serais heureuse de parler davantage et de clarifier, se concentrent uniquement sur les risques économiques pour le secteur financier. Comme je l’ai mentionné, plus de 100 milliards de dollars d’investissements risquent de perdre complètement leur valeur au Canada parce que nos institutions financières agissent trop lentement en matière d’action climatique.

Ces risques sont importants et doivent être pris en compte, comme le fait la Loi sur la finance alignée sur le climat. La Loi sur la finance alignée sur le climat garantit également des investissements aptes à préserver un environnement plus sûr et, par conséquent, à assurer une économie plus stable. La meilleure façon de réduire...

La présidente : Sénatrice Miville-Dechêne, il vous reste environ 30 secondes.

Mme Segal : Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je ne sais pas si vous avez entendu le témoin précédent qui a dit qu’il craignait que le projet de loi porte atteinte à l’agriculture. Qu’en pensez-vous?

Mme Segal : L’agriculture est exposée à un risque important de dommages liés au climat, et la meilleure façon d’éviter ces dommages est de réduire les émissions dès aujourd’hui. Le projet de loi ferait en sorte que les institutions financières réduiront la pollution d’une manière qui profiterait aux citoyens de tout le pays, y compris les agriculteurs et travailleurs agricoles...

La présidente : Mais je pense qu’on cherchait à savoir si vous êtes d’avis que le secteur agricole se retrouverait dans le collimateur. Le financement agricole est-il visé par le projet de loi?

Mme Segal : Je pense que si les travailleurs agricoles et les agriculteurs utilisent des pratiques aussi durables que celles évoquées par le témoin précédent et s’orientent vers des solutions climatiques, ils seront avantagés par le projet de loi.

La sénatrice Petten : Les témoins précédents ont parlé du CCNID, soit le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité, et du travail qu’il effectue actuellement. Ils ont dit que le projet de loi ferait double emploi avec le travail de cet organisme. Pourriez-vous nous parler de ce que fait le CCNID et des recoupements avec ce que propose le projet de loi?

Mme Segal : Merci. Je suis heureuse d’avoir l’occasion de clarifier certains points mentionnés par les témoins précédents et de confirmer les faits pour le Sénat, car je sais que la réglementation financière au Canada est nuancée. Les intervenants précédents connaissent peut-être moins bien les nuances de la réglementation financière.

Le CCNID n’est pas une initiative réglementaire. Il s’agit d’une initiative menée par le secteur privé, qui est complètement distincte. Les organismes de réglementation, comme celles qui régissent les valeurs mobilières dans les provinces canadiennes, prennent leurs propres décisions, qui seraient liées à leurs orientations stratégiques.

Le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité n’est pas un organisme de réglementation. Contrairement aux institutions gouvernementales, il n’a pas de mandat démocratique pour mettre en œuvre des solutions. J’espère avoir été claire, car je pense qu’il s’agit d’un point très important. La Loi sur la finance alignée sur le climat serait une politique appliquée par le gouvernement, ce qui constitue une distinction très importante par rapport à ce qu’est le CCNID. Je serais heureuse d’en discuter davantage et fournir des explications aux témoins précédents afin qu’ils puissent mieux comprendre.

De même, d’autres organismes de réglementation au Canada comme le BSIF, dont les représentants ont témoigné sur ce projet de loi, sont en fait mandatés de réglementer le système financier, contrairement au CCNID. Ils ont pris des mesures initiales positives allant exactement dans le même sens que la Loi sur la finance alignée sur le climat, bien qu’ils ne soient pas encore allés aussi loin. D’autres sénateurs ont posé des questions sur le coefficient de risque. Les organismes de réglementation se sont orientés vers une politique financière en matière de climat axée sur la divulgation. La Loi sur la finance alignée sur le climat reconnaîtrait les progrès réalisés par les organismes de réglementation actuels et encouragerait leurs politiques financières liées au climat.

La sénatrice Ringuette : Je crois que vous avez du mal à répondre avec du concret, alors moi aussi, je vais m’en tenir à des concepts plus vagues.

Je pense que l’approche est erronée. Lorsqu’une institution bancaire analyse le risque d’un prêt pour une entreprise, la longévité de cette entreprise est remise en question parce que le monde prend un virage vert. Si l’entreprise ne prend pas une orientation plus verte, elle représente un risque plus élevé pour la communauté bancaire.

Ne pensez-vous pas que les institutions bancaires devraient accorder des taux d’intérêt préférentiels aux projets verts, c’est-à-dire utiliser une carotte plutôt qu’un bâton? Voilà ma question.

Mme Segal : Merci. Je me suis efforcée de donner des réponses très précises, y compris des exemples de données, mais je me ferai un plaisir de clarifier tout ce qui n’a pas été suffisamment explicité.

Si je saisis bien votre question, pourquoi n’offrons-nous pas des incitations à l’investissement vert plutôt que ce que vous avez qualifié de bâton? Tout d’abord, je voudrais revenir sur la partie du projet de loi qui porte sur la suffisance du capital, que vous avez qualifiée de bâton. Je dirais qu’il s’agit simplement d’un facteur d’atténuation des risques. Le reste de l’économie mondiale prend rapidement un virage vert. Le taux de croissance des énergies renouvelables a progressé d’année en année, de sorte que le risque lié aux investissements dans les combustibles fossiles sera en fait assez important dans les années à venir, lorsque la demande mondiale atteindra un plateau, puis diminuera. Le fait de disposer de plus d’argent pour contrer ces risques relève tout simplement de la gestion prudentielle des risques.

En ce qui concerne les incitations à l’investissement vert, je sais qu’il en existe un certain nombre au pays, y compris ce que le gouvernement fédéral a présenté dans le dernier budget déposé il y a quelques jours, ainsi que dans les budgets précédents. En fait, ce qui manque au Canada, ce sont des règles qui clarifient le fonctionnement de notre système financier. Ainsi, outre les incitations existantes, ce projet de loi offrirait un contexte clair et une certitude politique aux entreprises quant à l’orientation de la transition verte qui se produit à l’échelle mondiale.

La sénatrice Ringuette : Je ne suis pas d’accord, mais je vous remercie.

La présidente : Merci. Justement, pour parler de choses précises, j’aurais voulu dire plus tôt que lorsque vous évoquez d’autres pays qui souscrivent à cette idée, il ne s’agit pas de pays dont une grande partie de l’économie repose sur l’énergie, le pétrole et le gaz en termes d’emplois, de contribution au PIB et de soutien à de nombreuses autres industries à travers le pays. Je m’arrêterai là.

Lorsque nous avons entendu les représentants du Bureau du surintendant des institutions financières, ils ont dit qu’ils n’avaient pas besoin d’autres outils et que la réglementation existante suffisait largement. Ce projet de loi prévoit un coefficient de pondération des risques de 1 250 % pour toute exposition sur prêts liée aux nouveaux projets d’exploitation de combustibles fossiles et de 150 % ou plus pour les prêts consentis aux projets existants. Voilà des exemples très précis.

Mettons les chiffres de côté pour l’instant. Avez-vous consulté directement les institutions financières à ce sujet? Qui vous a conseillé d’inclure ces coefficients dans le projet de loi? Je sais que vous avez participé au processus de consultation mené par la sénatrice. Comment êtes-vous arrivés à ces chiffres? Est-ce une institution financière qui les a suggérés?

Mme Segal : Ce n’est pas moi qui ai calculé ces chiffres, mais je crois savoir qu’ils ont fait l’objet d’une consultation approfondie, notamment auprès d’institutions financières et d’économistes, tant au niveau national qu’international.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie d’être parmi nous ce matin. J’ai lu le projet de loi et les résumés, mais j’ai du mal à comprendre ce que cette mesure législative va faire et pourquoi elle est utile. Pouvez-vous me donner une réponse très simple et très claire? Qu’est-ce qui est proposé? Dites-moi quel aspect est très important pour vous. Pourquoi ce projet de loi va-t-il être bénéfique pour le Canada?

Je suis certainement déçu — comme vous — que le gouvernement n’ait jamais atteint ses objectifs jusqu’à présent, mais c’est sans importance. Pouvez-vous me faire part de votre point de vue? Pourquoi est-ce une mesure législative favorable?

Mme Segal : La Loi sur la finance alignée sur le climat garantirait que les banques et les fonds de pension effectuent des investissements visant à limiter les dommages causés par les changements climatiques dans l’ensemble du pays, afin de nous faire progresser vers une économie meilleure et plus verte. Pour ce faire, certains moyens seraient utilisés. Entre autres, on rehausserait la surveillance des facteurs liés au climat exercée par les organismes de réglementation afin de permettre aux banques et aux fonds de pension de réfléchir à leurs investissements dans une optique plus large. En outre, l’un des éléments que je trouve les plus intéressants, c’est qu’on exigerait des banques et des fonds de pension qu’ils décrivent comment leurs investissements réduiraient les émissions et favoriseraient la résilience climatique.

Comme je l’ai souligné — je ne m’étendrai pas là-dessus —, les changements climatiques coûtent cher aux Canadiens, tant sur le plan humain que sur le plan économique. Ils augmentent le coût de la vie et causent des dégâts très graves dans tout le pays, notamment des incendies de forêt qui détruisent des villes entières.

Le sénateur Massicotte : Je vais manquer de temps. Laissons de côté vos réflexions. Vous dites que l’élément le plus important du projet de loi, c’est qu’il va forcer les fonds de pension à utiliser une partie de leur capital pour investir dans l’énergie verte, et vous dites également que vous imposeriez aux banques des frais assez élevés afin d’influencer leur comportement. Est-ce un bon résumé de ce que vous proposez?

Mme Segal : Ce que je veux dire, c’est que ce projet de loi définit la crédibilité des plans des banques et des fonds de pension. Je n’ai jamais utilisé l’expression « forcer la main ». Je considère qu’il s’agit d’une mesure législative qui définit une orientation appropriée et une politique claire en vue d’établir ce qui permet à nos institutions financières de demeurer résilientes et de les encourager à investir dans le meilleur intérêt de notre environnement et de notre économie. J’espère que c’est plus clair.

Le sénateur Massicotte : On les obligerait à investir une partie de leur capital dans des initiatives qui, selon vous, seraient très bénéfiques pour notre pays, ce qui serait mieux que la structure actuelle. Est-ce un bon résumé?

Mme Segal : On exigerait qu’ils publient des rapports publics sur leurs investissements et sur l’effet de ces investissements sur les changements climatiques, à savoir si ces investissements contribuent à lutter contre ceux-ci ou à aggraver la situation.

Le sénateur Massicotte : En fait, on impose une taxe. On va augmenter le coût des fonds pour les grandes banques — pour ainsi dire — et pour les fonds de pension dans une tentative de réaliser une stratégie verte.

Mme Segal : Non, ce n’est pas ce que je dis. Je m’excuse. Ce n’est pas ce que je dis. Ce projet de loi ne constitue pas une taxe. En fait, il s’agit d’une solution gratuite visant à clarifier les choses à l’intention du marché et à encourager à la fois la transparence et des mesures appropriées.

Le sénateur Massicotte : Je croyais que vous aviez dit tout à l’heure qu’il était important de les encourager à investir une partie de leur capital dans l’énergie verte. Si on veut les encourager — appelez cela comme vous voulez —, il s’agit d’une taxe ou d’une sortie d’argent, comme je le disais.

Mme Segal : Il va sans dire que les banques et les fonds de pension investissent continuellement. Ils investissent dans différents projets. Ce projet de loi les encouragerait à s’informer davantage sur les risques et les possibilités associés à leurs investissements en regard des changements climatiques.

Le sénateur Massicotte : Il s’agit d’investir une partie du capital, qui est aussi notre capital — car ce sont des fonds de pension —, de dépenser l’argent de quelqu’un d’autre afin d’obtenir un certain résultat souhaité. C’est bien cela?

Mme Segal : Il ne s’agit pas de dépenses. Ils font des investissements en allouant l’argent soit à des projets qui aggravent la situation de la planète, soit à des projets qui améliorent notre économie. Ce projet de loi les encouragerait à faire bouger les choses, à allouer l’argent à des projets qui représentent des investissements productifs.

Le sénateur Massicotte : De bons investissements, des investissements positifs. Cela devrait être automatique. Si ce n’est pas le cas, c’est parce que le projet n’est pas si bon.

Mme Segal : Cela fait certainement partie d’un facteur plus large, mais, en fait, les combustibles fossiles sont continuellement subventionnés d’une manière qui...

Le sénateur Massicotte : Les fonds de pension...

Mme Segal : ...donne une fausse idée des possibilités d’investissement. En outre, la plupart des institutions financières utilisent des données historiques plutôt que des données prospectives, ce qui signifie qu’elles supposent que les combustibles fossiles constituent encore un bon investissement parce que c’était le cas dans les années 1990, alors qu’ils ne représenteront plus un bon investissement en 2025, en 2030 et en 2050.

Le sénateur Massicotte : Ce que vous dites, c’est qu’ils ne sont pas assez intelligents, alors nous allons les aider à dépenser leur argent ailleurs.

Le sénateur C. Deacon : Merci de votre présence, madame Segal. Je suis ravi de vous revoir.

Je crois aux changements climatiques. Je pense que l’homme est à l’origine des changements climatiques. Je pense, sans aucun doute, que nous devons nous attaquer aux changements climatiques. Je salue l’intention de ce projet de loi.

J’aimerais revenir sur le point soulevé par la sénatrice Bellemare. J’aimerais savoir si vous avez eu des échanges avec le ministère des Finances, des fonctionnaires ou des responsables politiques. J’espère que vous avez eu des rétroactions, car s’il y a un gouvernement qui voudrait mettre en œuvre un projet de loi comme celui-ci avec cette intention, c’est bien le gouvernement actuel.

Quels conseils vous a-t-on donnés? Je suppose que vous et d’autres experts avez rencontré des fonctionnaires et des membres du personnel politique pour comprendre leur point de vue. Aidez-nous à comprendre pourquoi ce gouvernement n’irait pas de l’avant avec cette mesure législative et ne procéderait pas à des changements dans le cadre de ses pouvoirs pour nous engager sur cette voie.

Mme Segal : Merci, sénateur Deacon. J’ai eu un certain nombre de conversations avec des représentants de divers ministères sur la question de la politique financière alignée sur le climat.

Je sais que nombre d’entre eux s’intéressent de près à la Loi sur la finance alignée sur le climat et sont impatients de voir le dossier progresser pour mieux comprendre la politique financière alignée sur le climat.

En outre, un certain nombre d’élus, des députés de quatre des grands partis fédéraux, ont approuvé la Loi sur la finance alignée sur le climat et demandé au gouvernement d’utiliser tous les outils réglementaires et législatifs à sa disposition pour aligner le système financier sur l’action climatique.

Les élus fédéraux ont la possibilité d’adopter des politiques financières alignées sur le climat, comme la Loi de la finance alignée sur le climat, et je pense qu’un examen en profondeur du projet de loi par le comité et une étude continue contribueront à faire progresser ce type de politiques à tous les ordres de gouvernement.

Le sénateur C. Deacon : Ont-ils formulé certains commentaires? Nous savons que la Ligne directrice B-15 du BSIF va dans cette direction. Comment ce projet de loi pourrait‑il accélérer le mouvement? Pourquoi ne voudraient-ils pas aller de l’avant? Pouvez-vous nous faire part des commentaires que vous avez reçus?

À ce stade-ci, nous avons besoin d’informations pour comprendre comment, éventuellement, ce projet de loi pourrait progresser avec le soutien du gouvernement, parce que ce soutien sera nécessaire à un certain moment.

Mme Segal : Je comprends cela. Je m’en tiendrai à mes propres opinions et connaissances aujourd’hui. J’ai constaté qu’un certain nombre d’élus souhaitent vivement que le projet de loi sur la Loi de la finance alignée sur le climat progresse, et ils seraient très heureux de voir cette mesure législative avancer et de participer aux prochaines étapes.

Du point de vue de la réglementation, je pense que le BSIF respecte très bien son mandat, comme doit le faire un organisme de réglementation. Je pense qu’il a agi de manière réfléchie et intentionnelle lors de son témoignage ici en évitant de se prononcer sur ce qui devrait ou ne devrait pas se produire dans d’autres entités du gouvernement du Canada. De mon point de vue, cependant, les changements proposés dans le projet de loi sur la Loi sur la finance alignée sur le climat, concernant les organismes de réglementation tels que le BSIF, leur offriraient plus de marge de manœuvre pour continuer à avancer dans cette direction. Ils ont commencé à faire les premiers pas, mais ils doivent aller plus loin.

La présidente : Étant donné que cette discussion et ce projet de loi visent à réglementer le secteur financier, est-ce que quelqu’un du ministère des Finances, du Bureau du surintendant des institutions financières, de l’Environnement ou de je ne sais quel autre organisme vous a dit : « Oui, cela nous interpelle et nous allons nous en occuper. Comme ce projet de loi vise à réglementer le secteur financier, il vaudrait mieux que ce soit un projet de loi gouvernemental »?

Mme Segal : Personne ne m’a dit vouloir que ce projet passe par un parcours différent de la voie actuelle, si je comprends bien la question.

La présidente : C’est la question que la sénatrice Bellemare a soulevée de façon très claire.

Je n’irai pas plus loin.

Le sénateur Yussuff : Merci d’être ici, madame Segal. Permettez-moi de commencer par un certain nombre de choses.

Je pense qu’il faut que les membres du comité reconnaissent — et je pense que nous l’avons fait — que tout n’est pas uniforme dans ce pays qu’on appelle le Canada. Il y a des différences d’une région à l’autre.

Quand on élabore une politique publique qui aura un effet sur un secteur du pays plus qu’un autre, il est toujours délicat de déterminer comment gérer la chose pour ne pas causer de tort. Il faut reconnaître qu’on ne peut pas traiter toutes les régions du pays de la même manière.

Il est clair que nous voulons nous assurer que nos politiques climatiques permettent bel et bien de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les questions financières peuvent jouer un rôle important à ce chapitre.

Il est évident que le BSIF fait une partie du travail nécessaire et que ce projet de loi lui permettrait d’avancer beaucoup plus vite, cela ne fait aucun doute.

Le revers de la médaille, bien sûr, c’est que ce projet de loi donne beaucoup de poids à certains investissements qui pourraient avoir un effet négatif sur ces secteurs de l’économie, qui font toujours partie intégrante de notre pays. C’est un jeu d’équilibre, parce que nous ne pouvons pas simplement nous en dissocier. Comment faire?

Je pense que le BSIF s’efforce de le faire d’une manière qui nous rapproche des normes internationales, tout en veillant à ce que nos institutions financières ne prennent pas de risques excessifs lorsqu’elles prêtent du capital, ce qui finirait par placer les Canadiens dans une situation qui les rendrait beaucoup plus vulnérables.

Compte tenu de la complexité du projet de loi que les sénateurs tentent de bien comprendre, sans qu’un organisme comme le BSIF soit là pour les guider quant à l’orientation à prendre du point de vue réglementaire et législatif, et compte tenu du fait qu’il faut prendre l’ensemble du pays en considération, c’est la réalité à laquelle nous nous heurtons.

Pour aller un peu plus loin, comme vous le savez, les gestionnaires de régimes de retraite privés réévaluent constamment où ils choisissent d’investir leur argent, parce qu’il s’agit de l’argent de leurs membres. Ils veulent obtenir du rendement. Ils veulent s’assurer de pouvoir payer les pensions. Je sais par expérience que bon nombre de mes collègues syndicalistes font un travail incroyable pour atténuer le risque dans la façon dont ils alimentent les institutions de prêt.

Je terminerai sur ce point : BlackRock, qui est probablement l’une des plus grandes entreprises privées du marché mondial, a décidé de ne plus financer le secteur des combustibles fossiles par l’octroi de prêts. Elle l’a fait avec succès en tant qu’institution financière privée. Aujourd’hui, elle joue un rôle de chef de file à cet égard. Elle montre au monde que c’est possible, que c’est le choix qu’elle fait. Elle a pris cela en considération dans ses habitudes de prêt, bien qu’elle doive produire du rendement pour ses investisseurs.

Il s’agit d’une question d’équilibre, et nous essayons de trouver cet équilibre dans ce projet de loi, afin de pouvoir aider une collègue qui essaie de dire au gouvernement que nous devons teinter notre politique de manière à avancer beaucoup plus vite dans une certaine direction, afin de ne pas être à la traîne des grandes tendances mondiales.

Si vous voulez bien réagir à cela, je vous en serais très reconnaissant.

La présidente : Il reste une minute au sénateur pour cela. Je vous remercie.

Mme Segal : Merci, sénateur Yussuff. Je serai brève, alors.

Vous avez mentionné une initiative volontaire de Black Rock, qui a pris des engagements concernant ses investissements dans les combustibles fossiles. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, je vous encourage à lire un article scientifique publié récemment à Oxford, selon lequel les engagements volontaires en matière de climat pavent la voie à des solutions réglementaires et législatives telles que la Loi sur la finance alignée sur le climat, mais n’ont pas tellement de valeur en eux-mêmes. Ils ne s’appliquent pas uniformément dans l’ensemble de l’économie. Ils créent des conditions inégales entre les entreprises et n’ont pas la fiabilité d’une politique gouvernementale.

Black Rock pourrait changer sa politique demain matin. Elle n’a pas la même responsabilité que le gouvernement dans ses politiques. C’est un point très important.

Deuxièmement, vous avez souligné l’importance de la production pétrolière et gazière au Canada. Je dirais que le risque de devoir s’en affranchir graduellement pour financer de nouvelles industries ne découle pas d’un projet de loi tel que la Loi sur la finance alignée sur le climat, mais s’inscrit plutôt dans une trajectoire mondiale. L’Agence internationale de l’énergie prévoit que la demande mondiale de combustibles fossiles atteindra son apogée et amorcera sa descente dans les prochaines années.

Tout cela pour dire que des politiques comme la Loi sur la finance alignée sur le climat contribueront à faire en sorte que le Canada commence à investir dans l’économie de l’avenir au lieu de se contenter de rester englué dans une époque révolue.

Le sénateur Loffreda : Merci encore une fois d’être parmi nous, madame Segal. Nous sommes tous profondément préoccupés par les changements climatiques, et il est impératif d’agir de toute urgence. Je suis d’accord.

Notre économie est essentielle à notre bien-être. Vous avez entendu les préoccupations des sénateurs aujourd’hui. Les emplois sont essentiels à notre croissance économique.

Avez-vous analysé les effets de tout cela, afin d’apaiser les nombreuses inquiétudes concernant notre économie, nos emplois et nos investissements? Le cas échéant, je vous prierais de porter votre analyse à notre attention. Si vous pouvez répondre brièvement à cette question, je vous en serais reconnaissant.

Enfin, quel genre de consultations menez-vous? Vous avez parlé de vos consultations auprès des institutions financières. Avez-vous sondé les acteurs du secteur de l’énergie et les autres parties prenantes sur le financement de notre transition vers des sources d’énergie plus propres? C’est le même secteur qui doit financer tous ces projets, le secteur financier. Considérez-vous qu’il s’agit d’une initiative essentielle et pensez-vous que ce projet de loi favorisera efficacement l’atteinte de cet objectif?

Mme Segal : Merci, sénateur Loffreda. Concernant les consultations, oui, un certain nombre d’institutions financières appuient le projet de loi, comme vous l’avez souligné, notamment les coopératives de crédit telles que Vancity et Desjardins, ainsi que certains fonds de gestion des investissements.

Ensuite, il est vrai que les emplois sont très importants, pour construire une bonne économie verte pour les Canadiens d’aujourd’hui et de demain.

On s’attend à ce que le nombre d’emplois dans le secteur des sables bitumineux et de la production pétrolière diminue de plus de 90 % au cours des prochaines décennies. Cela n’est pas attribuable à une quelconque politique canadienne, mais bien à la trajectoire mondiale.

Une politique comme la Loi sur la finance alignée sur le climat préparerait à la fois notre main-d’œuvre, nos entreprises et notre secteur financier à se tourner vers l’avenir et à se mobiliser pour combler le fossé qui se creuse en raison de facteurs exogènes, qui nous poussent à abandonner le pétrole et le gaz. Plus de deux millions d’emplois devraient être créés dans le secteur des énergies propres au cours des prochaines années. Il s’agit d’un domaine très prometteur dans lequel je pense que nous avons besoin d’investir davantage afin de créer et saisir ces bons emplois verts.

De plus, d’un point de vue économique général, il est démontré que l’action climatique, qui comprend la transition vers les énergies renouvelables, permettra aux Canadiens de réaliser des économies sur leurs factures de chauffage et d’électricité. Bref, dans l’ensemble, pour répondre à votre question, sénateur Loffreda, oui, le passage à une économie verte permettra d’améliorer le sort des Canadiens, à la fois en réduisant leurs factures et en augmentant les possibilités d’emploi.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Sur ce, nous allons mettre fin à la séance pour que les sénateurs puissent retourner dans l’autre bâtiment. Julie Segal, gestionnaire principale des programmes de financement du climat à Environmental Defence Canada, merci de vous être jointe à nous aujourd’hui. Merci aux sénateurs pour leur intérêt et leurs questions. Nous nous reverrons dans deux semaines.

Mme Segal : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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