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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 8 mai 2024

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit avec vidéoconférence aujourd’hui à 17 h 27 (HE) pour étudier le projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour et bienvenue à tous. Nous sommes au Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente de ce comité.

Au bénéfice de nos interprètes, je vous rappelle d’utiliser les nouvelles oreillettes et de les garder aussi loin que possible du microphone en les plaçant à l’envers sur la table.

Sont des nôtres aujourd’hui notre vice-président, le sénateur Loffreda ainsi que le sénateur Gignac, la sénatrice Miville-Dechêne et le sénateur Deacon.

Nous sommes très heureux d’accueillir ici même M. Mark Carney, président et chef des investissements de transition chez Brookfield Asset Management Inc. Nous vous prions de nous excuser d’avoir dû retarder le début de cette séance en raison des votes au Sénat. Je ne crois pas avoir besoin de rappeler que M. Carney a été gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre. Nous allons maintenant vous laisser la parole, monsieur Carney, pour vos remarques préliminaires. Merci beaucoup.

Mark Carney, président et directeur de l’investissement de transition, Brookfield Asset Management Inc., à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente. C’est un grand honneur pour moi d’être ici.

[Français]

Merci, madame la présidente, de votre invitation à participer à l’examen de ce projet de loi important. Je voudrais saluer l’initiative de la sénatrice Galvez. Bâtir un système financier durable est essentiel pour permettre au Canada de gérer les risques associés au changement climatique et de profiter d’occasions considérables pour créer une économie durable. Permettez-moi d’être clair dès le départ.

La finance ne peut pas mener cette transition seule. La finance est une facilitatrice et elle a un rôle catalyseur qui accélère les initiatives des gouvernements et des entreprises.

Plus les politiques climatiques des gouvernements sont crédibles et prévisibles, plus les investisseurs pourront financer avec prévision, créant un cercle vertueux d’investissements à grande échelle, de décarbonation plus rapide, de création d’emplois supplémentaires et de croissance accélérée.

[Traduction]

Par exemple, je pense que les règles relatives aux fonds propres des banques ne devraient pas être modifiées pour tenir compte des objectifs climatiques.

C’est plutôt la divulgation d’informations sur le climat et la planification de la transition qui devraient permettre aux principales parties prenantes — dirigeants d’entreprise, conseils d’administration et autorités de contrôle prudentiel — d’anticiper et de gérer la croissance des risques physiques et de transition associés au changement climatique.

À ces fins, quatre éléments fondamentaux sont nécessaires : des informations sur le climat utiles à la prise de décisions; des plans de transition vers la carboneutralité; des taxonomies fournissant des définitions communes du financement de la transition; et la conception de scénarios par les institutions financières et des simulations de crise par leurs autorités prudentielles. À cet égard, le Canada est à la traîne par rapport à ses pairs internationaux.

Lors de la COP 26 tenue à Glasgow, plus de 40 pays ont lancé le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (ISSB) afin de créer une base de référence mondiale sur l’information liée au développement durable, faisant fond sur les recommandations d’application optionnelle du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC).

L’ISSB a finalisé ses normes l’année dernière. Elles ont été approuvées par l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) et le Conseil de stabilité financière (CSF), et de nombreux gouvernements sont en train de les mettre en œuvre, ce qui devrait toucher plus de 100 000 entreprises.

En revanche, les efforts canadiens en matière de divulgation d’informations sur le climat ont été disparates, tardifs et en deçà des normes internationales. Les autorités provinciales de réglementation des valeurs mobilières ont mené des consultations au sujet des recommandations concernant le principe « se conformer ou s’expliquer » et sur une approche qui exigerait des émetteurs qu’ils ne divulguent que les émissions de portée 1. La consultation actuelle du Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) devrait être terminée d’ici la fin de l’année, avec des résultats s’appliquant à partir de 2025, soit un an après la date d’entrée en vigueur des normes de l’ISSB. En outre, les normes proposées par le CCNID prolongent d’un à deux ans la période de dispense recommandée par l’ISSB pour les informations sur les émissions de portée 3, de sorte que le Canada serait en retard de deux ans par rapport à l’UE, et ce, sans raison apparente.

En outre, une fois finalisées, les normes du CCNID seront d’application volontaire et devront être intégrées après examen aux règles par les autorités canadiennes en valeurs mobilières pour assurer une divulgation obligatoire.

J’accueille favorablement les exigences proposées dans ce projet de loi pour que les entreprises élaborent et divulguent leurs objectifs de carboneutralité et leurs plans de transition. À cette fin, il sera important de tirer parti des cadres mondiaux en place.

Actuellement, plus de 250 grandes entreprises financières devraient publier des plans de transition cette année, conformément au cadre de l’Alliance financière de Glasgow pour la carboneutralité (GFANZ), qui est décrit dans mon mémoire écrit plus étoffé qui sera transmis au comité. Le cadre GFANZ est mis en œuvre par les autorités des principaux centres financiers, y compris le Royaume-Uni, les États-Unis, en vertu des principes du Trésor établis par la secrétaire Yellen, l’UE, par le truchement d’exigences obligatoires, elles aussi détaillées dans mon mémoire, et d’autres pays importants qui mettent en œuvre des plans de transition, y compris le Japon, Hong Kong, Singapour et la Suisse.

Une fois de plus, le Canada risque de prendre du retard, même si en septembre 2022, le Conseil d’action en matière de finance durable a publié sa feuille de route établissant des critères de sélection et mettant de l’avant 10 recommandations pour une taxonomie canadienne, recommandations qui restent sans réponse.

Selon moi, le Canada devrait instaurer une exigence de planification de la transition assortie d’une taxonomie pour toutes les entreprises, conformément au cadre GFANZ.

[Français]

Pour conclure, ce projet de loi pose implicitement un défi primordial dans la surveillance du secteur financier au Canada, en raison du fait qu’il faut remédier à l’absence de responsabilités explicites en matière de gestion des risques systémiques.

Dans d’autres sphères de compétence, cette responsabilité macroprudentielle est attribuée à une entité spécifique, généralement une banque centrale, comme la Banque d’Angleterre, ou un ministère des Finances, comme le Trésor américain. Ensuite, diverses autorités sont chargées de gérer les conséquences systémiques de leurs actions.

Au Canada, nous dépendons trop de la coopération au cas par cas. Le climat est un exemple précis et majeur de ce problème général.

[Traduction]

Ces lacunes amplifient l’impact négatif de la lenteur du Canada à se doter d’un système financier durable en misant sur l’investissement, la création d’emplois et la compétitivité de notre économie. Sénateurs, nous pouvons faire mieux. Je vous remercie de votre attention.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Carney. Tout le monde aura compris que nous disposons de très peu de temps. Nous devons donc nous ajuster en conséquence. Vous aurez droit à deux minutes et demie chacun pour votre question et la réponse. Plus la question sera longue, moins M. Carney aura de temps pour y répondre. Je vais me montrer extrêmement stricte afin que chacun puisse poser sa question.

Nous commencerons par notre vice-président, le sénateur Loffreda.

Le sénateur Loffreda : Merci, madame la présidente, et merci, monsieur Carney, de votre présence aujourd’hui. C’est un honneur et un privilège de vous avoir parmi nous. Dommage que nous n’ayons pas plus de temps à notre disposition.

Félicitations pour votre livre, Values, que j’ai lu avec grand intérêt. Vous y soulignez, tout comme vous l’avez fait dans vos remarques liminaires, le rôle important que doivent jouer les institutions financières dans la lutte contre le changement climatique. J’aimerais que vous nous indiquiez dans quelle mesure, selon vous, nos institutions financières s’attaquent efficacement aux risques liés au climat et contribuent à une économie plus durable. Pensez-vous que ce projet de loi est une solution envisageable dans la pratique? Étant donné les ressources disponibles, les circonstances et les contraintes, est-ce que sa mise en œuvre pourrait produire les résultats escomptés?

M. Carney : Merci beaucoup, sénateur. Merci d’avoir lu ce livre. Vous avez toute ma sympathie.

Je dirais que, comme c’est le cas ailleurs dans le monde, le processus suit son cours en ce qui a trait plus particulièrement à la capacité de nos institutions financières de gérer ces risques liés au climat. Comme vous le savez aussi bien que moi, il y a deux aspects à considérer. Il y a d’abord les impacts physiques du changement climatique, mais l’élément le plus important est en fait le risque lié à la transition et la capacité à prévoir quelles industries et quels secteurs réussiront cette transition et lesquels prendront du retard en déterminant où se situent les principaux risques pour ces institutions.

D’après ce que je suis à même de constater, nous ne sommes pas encore à la fine pointe en matière de conception de scénarios, ou de simulations de crise, si on utilise la terminologie des autorités financières — et je sais que vous avez entendu le surintendant à ce sujet. L’exercice de simulation de crise à venir nous sera d’un grand secours, notamment pour arriver à mieux comprendre où se situent les risques et les possibilités. Je dirais donc que c’est plutôt acceptable, mais pas à la fine pointe, comme les institutions financières canadiennes ont l’habitude de l’être.

S’il y a une exception à cette règle, ce serait nos grands fonds de pension qui saisissent très bien les grandes lignes du processus de transition. Il ne s’agit pas seulement de financer une démarche écologique, mais aussi de cibler les secteurs à l’origine des émissions pour contribuer à leur réduction. Ce sont des solutions qui doivent être déployées dans l’ensemble des économies de la planète.

En terminant, vous vouliez surtout savoir si les mesures prévues sont envisageables dans les faits. Certains aspects de la loi proposée sont tout à fait réalisables et même essentiels. Dans mes observations préliminaires, j’ai mis l’accent sur la transition. Je souhaiterais que la loi et le cadre qui en découlera puissent assurer une certaine cohérence dans la divulgation en temps utile d’informations complètes sur le climat. Nos institutions financières, nos entreprises et notre pays en ont vraiment besoin pour bien gérer la situation.

Par ailleurs, comme je l’ai indiqué, je ne recommanderais pas que l’on donne suite aux propositions touchant les règles de fonds propres, même s’il était possible de le faire.

La présidente : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Gignac : Merci d’être avec nous, monsieur Carney. Au cours des 10 dernières années, vous avez été un champion très influent pour sensibiliser les autres sur les changements climatiques et faire en sorte que le secteur de la finance fasse sa juste part. Ce projet de loi a été déposé en mars 2022; un an plus tard, comme vous le savez, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a publié la ligne directrice B-15, qui comprend notamment des dispositions sur le plan de la divulgation.

Voici ma question. Ce projet de loi va très loin, puisqu’il va imposer des réserves sur le plan du capital. Habituellement, ce sont les autorités réglementaires qui font cela. Est-ce bien que ce projet de loi aille aussi loin en imposant du capital additionnel, ou devrait-on plutôt laisser cette décision au BSIF? Quels seraient les impacts, puisque cela entrerait en vigueur un an après l’adoption du projet de loi?

M. Carney : Au fond, c’est la responsabilité des banques de gérer les risques et de prendre des décisions afin de légiférer. Comme vous le savez, c’est la responsabilité du BSIF de superviser et de faire la surveillance des risques. Peut-être qu’il serait important de changer de temps en temps le montant qui est octroyé à des fonds propres pour les risques.

[Traduction]

Premièrement, il m’apparaît trop intrusif de chiffrer précisément le niveau de risque associé à toutes les mesures prévues dans le projet de loi.

Deuxièmement — si je peux permettre un commentaire général, question de vous laisser un peu de temps —, l’un des éléments à considérer dans la transition vers la cible de 1,5 degré est le fait qu’il y aura encore des investissements dans les combustibles fossiles pendant une période assez longue. Dans ce contexte, il faut surveiller de près le rapport entre le financement, d’une part, des sources énergétiques à la base d’une économie à faibles émissions de carbone et, d’autre part, de celles permettant de soutenir notre économie aujourd’hui et pendant la transition. C’est d’autant plus primordial au sein d’une économie comme celle du Canada où le secteur en question occupe une place si importante.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui, monsieur Carney. Nous vous en sommes vraiment reconnaissants.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC, et l’Agence internationale de l’énergie, ou AIE, ont estimé qu’il faudrait éliminer jusqu’à 10 milliards de tonnes de carbone atmosphérique d’ici 2050. Le Canada dispose des capacités nécessaires pour déployer un réseau d’installations de captage direct du carbone dans l’air. Quelles politiques le Canada peut-il mettre en œuvre pour accroître la liquidité des marchés des crédits pour l’élimination du carbone?

M. Carney : C’est une question plutôt complexe. Je pense qu’il y a plusieurs choses qu’un pays comme le nôtre peut et doit faire. La première — en sachant bien qu’il s’agit d’une industrie importante — serait d’exploiter pleinement nos capacités de captage du carbone à la source, ce qui est différent, comme vous le savez, du captage direct dans l’air, qu’il s’agisse des sables bitumineux, de notre secteur sidérurgique, de notre secteur chimique ou d’autres investissements dans ces domaines. À ce titre, je me réjouis des dispositions prévues dans le budget de 2023, lesquelles doivent être mises en œuvre afin d’aider à soutenir le développement de ces technologies et, en fin de compte, les investissements dans ces secteurs. Je dirais également que les premières incursions du Fonds canadien de croissance dans l’émission de contrats sur différence sont utiles.

Les politiques de ce genre, et notamment les contrats sur différence, peuvent favoriser l’innovation et contribuer à l’élimination du carbone dans l’atmosphère.

Pour ce qui est toutefois, dans une perspective plus générale, de la capture directe dans l’air et de toutes les formes de captage du carbone, y compris les solutions basées sur la nature et les solutions technologiques, la possibilité que vous évoquez d’accroître la liquidité du marché des crédits de carbone doit passer par ce que j’appellerais l’intégrité de bout en bout, et par le fait même l’intégrité de l’offre. Autrement dit, il faut qu’il y ait captage du carbone, et ce, en permanence, mais on doit aussi assurer l’intégrité du côté de la demande, c’est-à-dire que les entités autorisées à acheter ces crédits doivent tout mettre en œuvre pour réduire leurs propres émissions. Ce n’est pas une échappatoire, mais plutôt un moyen de faciliter la transition.

Je ne vous ennuierai pas avec les autres aspects de la question, même s’ils auraient tout lieu d’intéresser le comité, car le temps va nous manquer. Je dirai seulement que nous devons assurer l’intégrité du marché, mais aussi son bon fonctionnement.

La présidente : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous parlez surtout de divulgation, mais j’aimerais vous entendre un peu sur le concept de la double matérialité. On dit de plus en plus maintenant que ces rapports de divulgation ne doivent pas seulement parler des risques pour l’entreprise et pour les banques, mais aussi des risques que les impacts de l’urgence climatique créent sur les personnes.

La double matérialité est au cœur même de ce projet de loi, mais vous semblez dire que des rapports de divulgation simple sur les risques sont suffisants. Cela ne semble pas suffire en Europe, en tout cas.

M. Carney : Vous avez raison, madame la sénatrice. L’Europe est la seule qui a un cadre avec la double matérialité.

[Traduction]

C’est le seul gouvernement d’envergure à avoir un tel cadre, et c’est justement pour cette raison que l’ISSB ne prévoit rien en ce sens. Le concept de double importance relative n’est pas enchâssé dans cette base de référence planétaire.

À mon avis — et question de gagner du temps —, je dirais que ce principe de la double importance relative est plus pertinent dans le contexte de la divulgation financière liée à la nature, qu’il faut distinguer de la divulgation d’information relative aux changements climatiques. Ce n’est donc pas prévu pour le moment dans la base de référence.

Le sénateur Housakos : Monsieur Carney, soutenez-vous la taxe carbone de Justin Trudeau, une taxe carbone qui, selon sept premiers ministres sur dix et la grande majorité des Canadiens, accable la classe ouvrière d’un bout à l’autre du pays?

M. Carney : Pour en revenir aux questions dont nous discutons ici aujourd’hui, je vous dirais, comme je l’ai déjà souligné dans mes observations préliminaires, qu’un secteur financier qui divulgue les informations voulues, qui a des plans de transition et qui bénéficie, au même titre que l’économie, d’un marché de crédits carbone, a comme avantage de favoriser l’ajustement. Il permet de financer des solutions, ce qui est l’essentiel, ainsi que de gérer les risques et d’aider les travailleurs à accéder à de meilleurs emplois.

Les résultats sont optimisés lorsqu’on peut s’appuyer sur une politique climatique crédible et prévisible. Même si cette politique peut s’inscrire dans un avenir lointain, si elle est crédible, l’ajustement peut commencer dès maintenant, ce qui nous permet de bâtir une économie meilleure.

La politique climatique comporte bien des aspects différents, comme la réglementation, les subventions, les crédits d’impôt, la tarification du carbone et les crédits d’émission de carbone, mais il est essentiel, à mon avis, alors que nous érigeons ce système financier qui permet de trouver des solutions pour les Canadiens, que tout ce qui doit être changé soit remplacé par quelque chose d’au moins aussi bon.

Ainsi, pour tout changement devant être apporté, il convient de mettre en place une option encore plus efficace qui conservera cette crédibilité et cette prévisibilité ayant le pouvoir de stimuler l’investissement. Nous sommes actuellement dans une situation où nous avons besoin de 2 billions de dollars d’investissements au cœur de notre économie...

Le sénateur Housakos : Monsieur Carney, pouvez-vous répondre à la question? Êtes-vous en faveur de la taxe carbone de Justin Trudeau? Un oui ou un non suffira.

M. Carney : Ce que je veux dire...

Le sénateur Housakos : Je n’ai entendu ni oui ni non.

M. Carney : C’est l’avantage d’être témoin. On peut dire ce que l’on pense...

Le sénateur Housakos : Et l’avantage d’être sénateur, c’est de pouvoir poser la question.

Est-ce que vous êtes en faveur de la taxe carbone de Justin Trudeau? Je dois en effet vous rappeler que le Canada est actuellement en 62e position sur 67 pays pour ce qui est de l’indice de vulnérabilité au changement climatique.

Je pose donc à nouveau ma question. La taxe carbone fonctionne-t-elle et êtes-vous en faveur de la taxe carbone de Justin Trudeau?

M. Carney : Il est important que nous ayons un système financier tourné vers l’avenir et disposant des informations nécessaires à sa bonne gestion, et que nous ayons une politique climatique crédible et prévisible.

Le sénateur Cardozo : Merci d’être des nôtres, monsieur Carney. Vos exposés sont toujours très intéressants.

J’aimerais savoir ce que vous pensez, en votre qualité d’envoyé spécial pour le financement de l’action climatique des Nations unies, des autres pays qui s’engagent dans des mesures telles que le projet de loi S-243?

M. Carney : Si j’avais à classer les autres pays, ou les autres gouvernements, je dirais que les Européens ont commencé tôt, et qu’ils ont donc une longueur d’avance. À mon avis, ils ont commis quelques erreurs, comme c’est souvent le cas lorsqu’on agit en précurseur. La plus grande erreur qu’ils ont commise est que leur taxonomie s’appuie sur une définition trop étroite de ce qui est écologique et de ce qui peut constituer un actif de transition. Ainsi, on a diminué les incitatifs à cibler les secteurs à l’origine des émissions et à offrir des solutions dans l’ensemble de l’économie.

Par exemple, il est assez difficile, dans le cadre de la taxonomie européenne, de financer une entreprise sidérurgique qui commence à réduire ses émissions, parce qu’elle ne pourra pas à court terme s’approcher sensiblement de la cible de 1,5 degré.

Les Européens ont donc une longueur d’avance. Le Royaume-Uni a emboîté le pas à l’Union européenne pour des raisons évidentes, mais il est désormais en mesure de se distinguer, notamment sur le plan de la taxonomie, de sorte que je le placerais au deuxième rang et probablement en position de passer éventuellement en tête.

Il faut considérer la rapidité avec laquelle les choses évoluent en Asie. Je crois donc qu’il ne faut pas sous-estimer la capacité des autorités asiatiques, de Singapour à la Chine, à évoluer très rapidement vers ces types de cadres, avec les capitaux qui suivent de près.

Mon dernier point, parce que je tiens à ce que cela figure au compte rendu, est que le contenu carbone sera au cœur des considérations du point de vue commercial. Cela se produira bien plus tôt que prévu. À ce titre, j’aimerais attirer l’attention sur deux éléments. D’une part, il y a l’accord conclu à Dubaï par des compagnies pétrolières comme ExxonMobil et Saudi Aramco pour éliminer leurs émissions de méthane — lequel est responsable de 45 % du réchauffement climatique — d’ici 2030 tout en doublant l’efficacité énergétique. Je veux aussi souligner l’allocution prononcée par John Podesta il y a deux semaines concernant la création du groupe de travail de la Maison Blanche sur le climat et le commerce, qui portait explicitement sur le contenu carbone dans la sphère commerciale.

La sénatrice Martin : Je voudrais revenir à la question de mon collègue, à savoir si vous êtes pour ou contre la taxe carbone. Je n’ai pas entendu de réponse claire.

M. Carney : Je pense que cette taxe a eu son utilité jusqu’à présent. Je crois que l’on peut toujours chercher à optimiser les choses et qu’un pays devrait toujours être ouvert à de meilleures solutions.

Mais il faut que ces solutions...

La sénatrice Martin : Désolé, monsieur Carney. Je vais prendre cela pour un oui, mais je dois passer à ma prochaine question.

M. Carney : J’ai indiqué que la taxe a été utile jusqu’à présent. C’est ce que j’ai dit.

La sénatrice Martin : Oui, merci.

Une partie des dépenses massives du gouvernement libéral sur des projets liés au climat vise à atteindre les objectifs énoncés dans le projet de loi. Ce projet de loi me préoccupe beaucoup. Vous avez également déclaré que le gouvernement libéral dépensait trop et vous avez mis en garde contre le risque de dépenser à tout vent.

Je profite de l’occasion pour vous poser la question suivante : quels programmes et dépenses du gouvernement libéral supprimeriez-vous?

Le sénateur Downe : J’invoque le Règlement, madame la présidente. Nous discutons du projet de loi à l’étude. Nous ne parlons pas du prix des brouettes ou d’autres articles. La question est irrecevable.

La présidente : Non, c’est un cadre de discussion ouvert.

M. Carney : Tout d’abord, vous avez lu quelque chose à voix haute qui me prête des propos que je n’ai pas tenus. Si vous souhaitez me citer, assurez-vous que la citation est correcte. Je ne suis pas autorisé à faire un rappel au Règlement, mais je me permets de le faire.

Mon prochain point est directement lié au sujet qui nous concerne. Ce qui importe, vu l’ampleur de ce qui doit être fait pour rendre notre économie concurrentielle, c’est que les rares ressources gouvernementales catalysent un maximum de financements et d’investissements privés pour créer des emplois et décarboniser. Pour être concurrentiel, le Canada devra notamment réduire ses émissions de carbone.

J’ai mentionné plus tôt le Fonds de croissance du Canada et les contrats sur différence, qui permettent d’attirer des centaines de millions de dollars en investissements, avec comme seul risque un passif éventuel pour le gouvernement. Cela vient rejoindre la question du sénateur C. Deacon sur la capture du carbone, qui est l’une des industries dont notre pays a besoin pour réussir.

Il s’agit de la différence entre les dépenses, d’une part, et les investissements catalyseurs et les programmes pertinents, d’autre part. Je m’arrêterai là : ce qui est pertinent, c’est que le projet de loi et vos délibérations servent à discerner le type de système financier dont nous avons besoin au Canada pour maximiser l’impact de ces programmes gouvernementaux.

La présidente : Merci beaucoup. Votre temps de parole s’est écoulé.

Le sénateur Yussuff : Monsieur Carney, merci d’être des nôtres aujourd’hui.

Je reconnais que notre secteur bancaire joue un rôle important dans l’économie. Il finance la création d’emplois. Il finance l’industrie dans une large mesure.

Le projet de loi impose essentiellement aux banques des obligations de divulgation et crée un risque élevé pour certains... Quelles mesures le gouvernement peut-il utiliser pour indiquer que notre secteur financier doit être beaucoup plus résilient en matière de divulgation, mais aussi prendre en considération le risque qu’il court lorsqu’il accorde des prêts à des institutions qui pourraient être affectées par l’évolution et le virage de l’économie?

M. Carney : Il me semble, selon ma lecture ou mon souvenir, que le projet de loi, c’est-à-dire la loi proposée, prévoit notamment un rapport annuel du BSIF ou Bureau du surintendant des institutions financières.

Le projet de loi réunit de manière claire et compréhensible à la fois les institutions financières individuelles et, collectivement, les institutions financières et leur prise de position par rapport aux risques liés au climat, à la fois physiques et transitoires, et la façon dont elles réagissent. J’ai une recommandation. Les plus grandes institutions financières du monde commencent à déclarer le ratio relatif entre le financement accordé à l’énergie conventionnelle et celui accordé à l’énergie propre émergente, parce que c’est une mesure très utile pour la gestion des risques. C’est le cas notamment de J.P. Morgan, par exemple, qui vient de prendre une décision dans ce sens. Or, ce ratio s’avérerait utile dans le cadre de vos responsabilités élargies pour l’économie et son avenir.

La sénatrice Petten : Monsieur Carney, vous avez déclaré qu’il faut impérativement atteindre la carboneutralité. Comment ce projet de loi contribuerait-il à atteindre cet objectif, et y a-t-il des améliorations ou des changements à apporter au projet de loi?

M. Carney : Oui. La finance doit être au cœur de nos efforts. Je dirais que nous voulons influer sur tous les aspects de notre système financier, et l’une des choses mises en évidence par le projet de loi, c’est qu’on ne peut se limiter aux banques. Il y a aussi les fonds de pension, les organes de réglementation et Exportation et développement Canada, notre agence de crédit à l’exportation.

Si les gouvernements mettent en place des politiques qui sont cohérentes avec un plan de financement de la transition, ils seront alors crédibles. C’est l’élément crucial. Le projet de loi n’en prévoit pas, mais je vous le dis maintenant. Ensuite, je pense que nous pouvons compter sur nos entrepreneurs, nos innovateurs, nos entreprises et les Canadiens pour trouver ces solutions, mais tous les aspects sont nécessaires.

Le projet de loi et les éléments que je souligne proposent un plan de transition. La seule chose que j’ai apprise sur la gestion des crises, et j’en ai géré quelques-unes, c’est qu’un plan vaut mieux qu’aucun plan. Si nous sommes dans une crise climatique, et c’est bien le cas, et nous sommes dans une situation économique où nous avons besoin d’un plan pour en sortir, je pense qu’il est raisonnable de demander aux institutions financières d’avoir un plan. Il ne s’ensuit pas, cependant, que vous leur dictiez exactement ce qu’elles doivent faire. Elles ont un plan si le système réagit.

La sénatrice Petten : Merci.

Le sénateur Varone : Merci, monsieur Carney. Je suis du monde de la petite entreprise. J’ai été constructeur et promoteur immobilier. J’ai toujours trouvé que les institutions financières avaient un comportement curieux. Elles nous prêtaient toujours de l’argent quand nous n’en avions pas besoin et nous le reprenaient quand nous en avions besoin.

Il y a quelques années, j’ai construit l’un des premiers lotissements résidentiels à émissions nettes zéro à Toronto grâce à un système géothermique. C’était un système génial. Tout fonctionnait et j’ai vendu le lotissement à une société de copropriété, qui n’a pas pu obtenir de financement.

La question que je me pose concerne le projet de loi qui nous est soumis. Vous avez parlé des prêts aux projets carbone et des prêts aux projets verts, du rapport entre eux, et d’un échéancier selon lequel ces prêts se côtoient et ensuite un type de prêt prend le dessus sur l’autre. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Carney : Oui. C’est une excellente question.

À titre de clarification, mes propos visaient uniquement l’énergie. En ce qui concerne votre question, qui est très pertinente d’ailleurs, c’est ce qu’on appelle une « taxonomie », un détail qui n’est pas explicité dans le projet de loi, mais qui est au cœur de la transition.

Si je peux m’exprimer ainsi, il y a eu une vision simple du monde, qui consistait à appuyer sur un interrupteur vert, et tout le monde faisait un virage au vert du jour au lendemain. Or, le monde ne fonctionne pas ainsi. La réalité, celle que nous devons regarder en face, c’est que nous évoluons dans un continuum de solutions. Dans l’exemple que vous avez donné et que je me permets de résumer pour gagner du temps, l’élément crucial, c’est l’énergie à émissions nettes zéro obtenue grâce à la géothermie. Le lotissement présente beaucoup d’avantages, mais il a tout de même généré quelques émissions liées aux matériaux de construction, etc. Les efforts sont reconnus dans la transition comme actif de transition, et ils ont autant de valeur qu’un champ de modules photovoltaïques ou une éolienne purement verts.

Permettez-moi de tirer une dernière chose au clair. Il est question d’un marché mondial de 150 000 milliards de dollars, pour lequel tout le monde se bouscule. Cela représente 40 % des actifs financiers mondiaux. C’est plus que le PIB mondial. Je pourrai vous expliquer les calculs nécessaires pour arriver à ces chiffres une autre fois, mais c’est ainsi.

Les détenteurs de ces actifs sont tous à la recherche d’actifs de transition. Ils cherchent à transformer leurs actifs qui ne font pas partie de la solution en ceux qui en font partie. L’exemple que vous venez de donner, les institutions financières, qu’il s’agisse d’un fonds de pension canadien, d’une banque ou autre, devraient être fortement incitées.

C’est pourquoi nous avons besoin d’une taxonomie, comme je l’ai indiqué dans ma déclaration. C’est pourquoi il n’est pas bon que les recommandations du CAFD, le Conseil d’action en matière de finance durable, soient restées lettre morte depuis deux ans. Nous devons les mettre en application pour qu’il soit clair que les gens sont incités à soutenir vos successeurs dans des projets de ce type.

Le sénateur Massicotte : Merci d’être avec nous cet après‑midi. C’est un plaisir de vous revoir.

Je suis arrivé en retard, malheureusement, mais pourriez-vous nous résumer votre avis sur le projet de loi? Nous essayons de voir si le projet de loi S-243 est bon, s’il comporte des lacunes, et ce qui doit être changé.

M. Carney : Pour résumer rapidement, je pense que ce qui est bien, c’est qu’il vise à attirer l’attention sur la nécessité pour le secteur financier de s’aligner sur la transition.

Là où je ne suis pas d’accord avec le projet de loi, c’est la définition de ce qui est aligné. Choisissons-nous, au moyen d’une loi, de dicter cet alignement, par exemple, avec des règles en matière de capital qui sont punitives? À mon avis, elles seraient punitives actuellement dans le cas des investissements dans les combustibles fossiles. Ou bien disons-nous que nous œuvrons au moyen d’une divulgation complète et d’une planification de la transition, et que nous utilisons ensuite nos autorités, dans ce cas le BSIF et la Banque du Canada, pour effectuer un test de résistance au sein du système et développer cette expertise. C’est ce que je préconise depuis des années. Ensuite, il y a l’interaction de ce système avec les politiques climatiques. Il s’agit là de l’élément central, même si d’autres éléments, tels que les crédits carbone, doivent entrer en jeu. Cependant, je ne suis pas d’accord avec certaines dispositions de la version actuelle du projet qui en viennent à dicter le comportement d’une institution financière au Canada par rapport aux prêts et investissements.

Le sénateur Massicotte : Merci.

La présidente : Merci. Pour donner suite à la question du sénateur Massicotte, je suppose que si le gouvernement au pouvoir voulait le faire, nous le verrions soit dans un budget, soit dans un texte de loi à part entière. Il s’agit d’imposer des règles aux institutions financières, mais, par défaut, nous imposons également des règles aux consommateurs, c’est-à-dire aux personnes qui placent leur argent dans des banques et des institutions. Or, je veux prendre ces décisions moi-même; je ne veux pas qu’une quatrième partie les prenne.

M. Carney : Nous devons reconnaître que les différentes institutions financières doivent poursuivre des stratégies quelque peu différentes. C’est ainsi que l’on obtient une stratégie résiliente. Sur le plan du climat... Pardon, vous avez parlé du point de vue du consommateur, mais je vais m’expliquer sur le plan du climat. Il reste une certaine quantité d’émissions dans le budget carbone. En tant qu’institution financière, je devrais essayer de décider comment je vais m’attaquer au problème. Certaines institutions financières décideront d’investir dans le financement de l’énergie éolienne, solaire, verte, etc., et ces secteurs ont besoin de beaucoup de capitaux; d’autres institutions regarderont du côté des émissions. Elles pourraient se trouver dans une situation où leurs émissions réelles par rapport à leur bilan augmentent parce qu’elles sont passées, par exemple, du financement du secteur technologique, dont les émissions sont relativement faibles, à celui de l’industrie lourde, comme l’automobile, l’acier, etc. Les réductions d’émissions attendues de ces activités, si elles sont réalisées, sont énormes. Nous avons besoin d’autant, sinon plus, de ces activités dans notre économie si nous voulons atteindre nos objectifs en matière de climat.

La présidente : Le consommateur, et ensuite l’investisseur doivent choisir une institution qui donne la priorité à tous les besoins auxquels le gouvernement accorde des incitatifs. Mais si le projet de loi est si prescriptif, cela me prive également de mon choix, n’est-ce pas?

M. Carney : Oui. De toute évidence, les Canadiens peuvent avoir des avis différents. Certains accorderont une grande importance au fait que leur compagnie d’assurance, leur institution financière, ou toute autre personne faisant partie de la solution, soit perçue comme participant enthousiaste à la transition. C’est pourquoi nous avons besoin d’informations.

J’a un dernier élément à ajouter. Dans mon mémoire, j’ai mentionné quelque chose appelé Net-Zero Data Public Utility. C’est un problème pour le Canada. Toutes les grandes économies y participent. Toutes les grandes économies demanderont à leurs principales institutions financières de faire rapport dans le cadre de ce mouvement. Tous les autres acteurs des grandes économies auront un accès libre, gratuit et en temps réel aux informations. Nous n’en faisons pas encore partie, alors que nous le devrions. Moi-même, ainsi que d’autres acteurs pourrons faciliter l’adhésion du Canada. Nous devrions en faire partie parce que les Canadiens méritent d’avoir les informations nécessaires pour prendre ces décisions.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Galvez : Nous nous sommes croisés à la COP. Merci beaucoup. Nous avons entendu le gouverneur de la Banque du Canada qui a déclaré que le changement climatique représentait un risque élevé pour le système financier et l’économie canadienne. Nous avons ensuite reçu le surintendant du BSIF qui a prévenu que nous sommes en retard et que la ligne directrice B-15 s’arrête à la divulgation.

Le Canada se réchauffe, en moyenne, deux à trois fois plus vite qu’ailleurs. Dans l’Arctique, le réchauffement est de cinq à sept fois plus rapide qu’ailleurs. C’est la raison pour laquelle nous assistons à des phénomènes météorologiques extrêmes plus dévastateurs, comme les feux de forêt. Étant donné que la plupart de notre argent investi dans le système financier va aux combustibles fossiles et que le coût des phénomènes météorologiques extrêmes augmente beaucoup plus vite que le PIB, quels sont les risques pour le Canada? Quels sont les risques si nous continuons à prendre du retard par rapport à nos pairs, y compris les États-Unis avec leur loi sur la réduction de l’inflation?

M. Carney : Tout d’abord, moi-même étant enfant du Nord, j’ai vu, comme d’autres, les conséquences dévastatrices que nous subissons en tant que pays nordique.

Deuxièmement, en ce qui concerne notre position dans le secteur des combustibles fossiles à l’avenir, il faut avoir des coûts peu élevés pour être concurrentiel, et ce, quel que soit le type de combustible fossile. Cela a toujours été le cas. Le produit doit également provenir d’un pays à faible risque, en d’autres termes, d’un fournisseur fiable qui, de plus, génère de faibles émissions de carbone. Je songe aux accords antérieurs et à l’accord de Dubaï qui prévoit une réduction de 45 % des émissions. Il existe un plan pour que l’exploitation des sables bitumineux se fasse à faible teneur en carbone, comme celui de la Pathways Alliance et d’autres, mais nous devons réussir la mise en œuvre du plan pour avoir accès au secteur.

Il s’agit d’une occasion en or pour le Canada. Notre production énergétique est propre à 85 %, et nous avons le potentiel de l’augmenter considérablement. Le carbone intégré sera un facteur déterminant de l’accès au marché. Je vous renvoie aux remarques de M. Podesta, ainsi qu’à celles de Mario Draghi prononcées il y a trois semaines, qui abonde dans le même sens. Je pense également au MACF, au Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Nous devons réduire nos émissions. Compte tenu de nos relations commerciales, nous pouvons devenir la plaque tournante du secteur.

La présidente : Je dois vous arrêter là. Nous avons largement dépassé le temps de parole prévu.

Le sénateur Loffreda : Monsieur Carney, selon un document publié en 2021 et intitulé Climate-related financial risk management and the role of capital requirements, la Banque d’Angleterre a déclaré que le cadre réglementaire des capitaux n’est pas adapté à la lutte contre les causes du changement climatique. La banque suggère que les capitaux soient utilisés pour traiter les conséquences plutôt que les causes du changement climatique. Que pensez-vous des conclusions de la Banque d’Angleterre?

M. Carney : Je suis plutôt d’accord. Ma réponse courte va vous faire gagner du temps. Je pense que la banque a raison. Le défi réside dans la gestion des risques. Je le sais pour avoir supervisé le secteur de l’assurance et de l’assurance catastrophe en tant que gouverneur de la Banque d’Angleterre. Le passé n’est pas l’annonciateur du futur. Ce n’est pas comme le risque de crédit, où l’on examine des données cohérentes et où l’on a une assez bonne idée de ce qui va se passer ensuite parce qu’il y a une évolution. C’est pourquoi l’analyse de scénarios et d’autres techniques, ainsi que les tests de résistance, sont nécessaires pour les risques liés au climat. Ensuite, on se sert de la divulgation d’informations pour prendre des décisions. Le régime de fonds propres actuel, qui évalue le risque réel, comme le risque de perte, de liquidité et autre, est adapté à l’objectif.

[Français]

Le sénateur Gignac : Vous avez mentionné être d’accord sur le fait d’avoir plus de divulgation et de tests de résistance. Quel est le risque si on va plus loin sur le plan de la réglementation et si les États-Unis n’harmonisent pas leurs politiques avec les nôtres en même temps? Est-ce qu’il y a des conséquences inattendues? De quel ordre seraient-elles? Est-ce un danger d’avoir une réglementation différente de celle des Américains?

M. Carney : Oui, c’est toujours un danger. À ce moment-ci, il est probable que la Californie ait une réglementation de divulgation plus stricte que celle du Canada. Actuellement, c’est l’inverse qui se produit.

Le sénateur Gignac : Pour la divulgation, ça va, mais si on y va avec des exigences de fonds propres différées, ne serait-ce pas une bonne idée?

[Traduction]

M. Carney : Oui, pour les exigences de fonds propres, mais si nous faisons des tests de résistances et qu’ils n’en font pas, cela représentera un énorme avantage pour nous. Ce ne serait pas la première fois que les banques canadiennes gèrent mieux les risques que les banques américaines.

La présidente : Je vous remercie.

Le sénateur Housakos : Monsieur Carney, en mars dernier, vous avez rencontré le président de la Chine, un pays qui a l’un des pires bilans environnementaux au monde et certaines des pires normes du travail au monde — ce qui comprend des violations des droits de la personne et des camps de travail forcé. Pourtant, Brookfield est l’un des investisseurs les plus importants en Chine. Est-ce là les conseils que vous avez donnés à Brookfield, à savoir d’investir en Chine plutôt qu’au Canada? Quelles seraient les raisons autres que le rendement des investissements et la violation de certaines de ces normes qui sont si importantes pour les Canadiens?

M. Carney : Eh bien, tout d’abord, sénateur, Brookfield respecte absolument toutes les conventions relatives à l’esclavage moderne, par exemple celles au Royaume-Uni, qui ont précédé celles au Canada — mais nous les avons évidemment ici aussi —, et l’entreprise a établi des politiques très précises et efficaces qui doivent être suivies sur le terrain tout au long des chaînes d’approvisionnement qui fournissent des technologies d’énergie propre, car la Chine — comme vous le savez peut-être, mais juste au cas où vous ne sauriez pas — est aussi le plus grand fournisseur de nombreuses technologies d’énergie propre ainsi que, de loin, l’investisseur le plus important dans ces technologies sur le terrain en Chine.

Nous gérons nos chaînes d’approvisionnement avec beaucoup de soin — et j’ajouterais que notre expertise en matière d’approvisionnement se situe à l’extérieur du Canada — et nous diversifions nos activités. Nous sommes aussi l’un des plus grands investisseurs dans la diversification de ces chaînes d’approvisionnement de la Chine vers d’autres pays — notamment en Amérique du Nord — et nous aimerions beaucoup diversifier ces investissements dans notre propre pays, c’est-à-dire le Canada.

La présidente : Je vous remercie de vos réponses.

Le sénateur Massicotte : Vous êtes convaincu que le captage et stockage de dioxyde de carbone va fonctionner, mais vous savez que de nombreuses expériences ont donné des résultats décevants. Êtes-vous tout à fait convaincu que cela fonctionnera ou cela reste-t-il à prouver?

M. Carney : Cela dépend. Ce n’est pas universellement économique. Cela dépend de la concentration de CO2 à la source ou des gaz à effet de serre à la source. Évidemment, plus la concentration est élevée à la source et plus le réservoir est proche, plus la probabilité de rentabilité et de réussite est élevée.

Cela dépend donc en partie de plusieurs choses. C’est encore une technologie qui — en général — nécessite une certaine forme de soutien. Autrement dit, il s’agit encore des premières étapes et l’innovation et les économies d’échelle ne sont pas encore au point.

Je vous dirais que je suis tout à fait convaincu, sénateur, que le Canada devrait déployer des efforts très sérieux et déterminés qui nécessiteront la participation de tous les ordres de gouvernement — au moins le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux —, de notre secteur financier et de nos grandes entreprises, afin de tenter de faire fonctionner ces systèmes et de les faire fonctionner à grande échelle, car ce sera nécessaire pour assurer la compétitivité des sables bitumineux et pour favoriser l’expansion de l’industrie de l’hydrogène, et ce sera également très avantageux pour l’industrie lourde. Toutefois, il n’y a aucune garantie. Nous avons encore du travail à faire et, s’il y a une constante — et je sais que votre temps est limité —, c’est que nous manquons tous de temps lorsqu’il s’agit de ces enjeux. Il est temps de lancer les travaux. Nous devons nous attaquer à ces enjeux. Nous devons cesser de débattre de ces questions dans le secteur financier. Nous devons plutôt mettre les choses en place, et si vous envisagez d’apporter de grands changements dans la politique climatique, il serait préférable de proposer quelque chose de mieux pour remplacer ce qui sera éliminé.

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie, monsieur Carney, d’être ici aujourd’hui. La seule façon de trouver des solutions et de commencer à faire des progrès est d’avoir des marchés bien réglementés qui permettront aux capitaux de circuler vers des projets qui fonctionnent de manière fiable, et c’est ce que nous avons fait précédemment dans le secteur minier. C’est aussi ce que nous avons fait dans le secteur pétrolier et gazier. Y a-t-il quelque chose qui empêche — à part la manière dont nous réglementons ces marchés — le Canada d’être un chef de file dans ce domaine à l’avenir?

M. Carney : En ce qui concerne le secteur financier, je pense que non. Je pense que ce qui nous ralentit, c’est que nous ne disposons toujours pas des normes convenues dont nous discutons depuis une heure. J’irais même plus loin. En effet, je pense que le Canada a suffisamment d’expérience et de crédibilité pour ne pas se contenter de suivre ces discussions. Nous devrions plutôt les mener. Et si vous me le permettez, j’aimerais souligner, encore une fois — votre comité le sait, mais j’aimerais le répéter —, que nos principaux fonds de pension jouissent d’un grand respect bien mérité dans le monde entier parce qu’ils sont prêts à prendre des risques et qu’ils fournissent des solutions. Ils ont besoin de ces renseignements et, bien franchement, ils obtiennent ces renseignements et ces approches ailleurs, et nous devrions les fournir sur le marché intérieur.

La présidente : Je suis désolée pour les intervenants qui n’ont pas eu la chance de participer à la deuxième série de questions, mais je vous suis reconnaissante de votre coopération au cours de cette réunion écourtée. Monsieur Carney, je vous remercie de votre patience et de vos réponses concises. C’est tout pour aujourd’hui. Nous nous reverrons demain.

(La séance est levée.)

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