LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 9 mai 2024
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 29 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour à tous et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis présidente du comité.
Un rappel rapide : il faut utiliser les écouteurs noirs, pas les gris, au cas où il y en aurait encore, et les placer le plus loin possible du microphone. Nous essayons d’avoir le moins de rétroactions acoustiques possible.
Je vais présenter les membres du comité qui sont là aujourd’hui : le sénateur Loffreda, vice-président, le sénateur Deacon, le sénateur Gignac, la sénatrice Marshall, le sénateur Massicotte, la sénatrice Miville-Dechêne, la sénatrice Petten, le sénateur Varone et le sénateur Yussuff. Nous accueillons la sénatrice Galvez, et nous poursuivons notre examen du projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Je tiens à vous remercier encore une fois de l’esprit de coopération que vous avez manifesté hier. La séance d’aujourd’hui est aussi très chargée. Nous entendrons deux témoins au cours de la première heure et un autre au cours de la suivante. Nous allons tâcher de faire preuve de rigueur et de nous en tenir à l’objet du débat.
Les membres du premier groupe de témoins que nous avons le plaisir d’accueillir sont Gina Pappano, directrice exécutive d’InvestNow, qui comparaît en personne, et Eric Usher, directeur, Initiative financière, Programme des Nations unies pour l’environnement, qui participe par vidéoconférence.
Bienvenue à vous deux. Merci de vous joindre à nous. Nous allons commencer par votre exposé liminaire, madame Pappano.
Gina Pappano, directrice exécutive, InvestNow : Bonjour. Merci de m’avoir invitée à témoigner. Je comparais pour parler du projet de loi S-243, Loi sur la finance alignée sur le climat.
Je suis directrice exécutive d’un organisme sans but lucratif, InvestNow, dont la mission est de contrer le mouvement de désinvestissement au Canada. Le terme « désinvestissement » désigne l’engagement des grands fonds de dotation, des régimes de retraite, des fonds institutionnels et des banques à s’abstenir de tout investissement dans des entreprises ou des projets pétroliers et gaziers. Ils les éliminent du répertoire de leurs placements et trahissent ainsi leur responsabilité envers leurs actionnaires simplement parce que ces entreprises sont actives dans le secteur des ressources naturelles.
Le projet de loi S-243 porte sur le désinvestissement parce qu’il est si étroitement prescriptif qu’il découragera les investissements dans les sociétés pétrolières et gazières au Canada. Son objectif est de mobiliser le secteur financier canadien contre le secteur de l’énergie en vue d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Ce plan n’augure rien de bon pour un pays dont le secteur le plus productif — et de loin, selon une étude que Philip Cross et Jack Mintz viennent de publier — est celui du pétrole et du gaz. Cross et Mintz soutiennent en effet que les ressources demeurent la poule aux œufs d’or du Canada. Elles soutiennent les exportations, la productivité, les revenus et les recettes gouvernementales. Mais le projet de loi minerait non seulement le libre marché et le secteur de l’énergie, mais aussi l’économie canadienne elle-même.
Lorsque je travaillais à la Bourse de Toronto et à la Bourse de croissance TSX, le rôle du groupe de développement des affaires était de faire le tour du monde pour inciter les entreprises à s’inscrire à nos bourses. Notre principal argument de vente était l’accès au capital, surtout pour les secteurs des ressources et pour les petites sociétés de prospection de ces secteurs.
De nos jours, nous voyons des sociétés comme Shell, qui est la société britannique à la valeur la plus élevée et la plus importante cotée à la Bourse de Londres, envisager de laisser cette bourse pour s’inscrire à celle de New York. Pourquoi? Parce que le géant du pétrole a l’impression que le Royaume-Uni est un environnement d’investissement de plus en plus hostile. L’accès au capital est essentiel à la prospérité du secteur des ressources. Si les entreprises ne peuvent pas avoir accès au capital chez elles, elles iront là où elles peuvent l’obtenir.
L’exemple de Shell et de la Bourse de Londres devrait être un avertissement pour les pays comme le Canada qui, par des engagements et des efforts en matière de carboneutralité, par un plafonnement des émissions — ou plutôt de la production — et d’autres politiques défavorables au secteur des ressources créent un environnement hostile pour les sociétés et les investisseurs du secteur pétrolier et gazier.
C’est précisément le résultat auquel tend le projet de loi S-243. Et pour l’obtenir, il se déploie sur un champ d’action extrêmement vaste. Par exemple, il impose des contraintes aux nominations aux conseils d’administration des entités déclarantes, y compris aux institutions financières fédérales et aux sociétés assujetties à la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Il exige que chaque conseil d’administration compte au moins un membre qui a vécu une expérience intense liée aux dommages physiques ou économiques causés par les changements climatiques.
Le projet de loi dispose en outre que ne peut être nommé au conseil d’une entité déclarante quiconque contrôle des capitaux, des actions ou des droits de vote ou détient une participation ou un intérêt reconnu en droit dans une organisation qui ne correspond pas à la description d’entité alignée sur les engagements climatiques. Pour être considérée comme « alignée », une organisation doit être déterminée à éviter toute nouvelle infrastructure d’approvisionnement en combustibles fossiles et toute prospection de nouvelles réserves de combustibles fossiles et plutôt à planifier un avenir sans combustibles fossiles.
L’objet de ces dispositions est de veiller à ce qu’aucune personne ayant une expérience pertinente dans le domaine de l’énergie des hydrocarbures au Canada ne soit autorisée à siéger à l’un de ces conseils, tout en garantissant que chaque conseil ait au moins un membre dont la principale contribution sera de préconiser l’anéantissement du secteur.
On en arrive ainsi non seulement à l’environnement d’investissement le plus hostile qu’on puisse imaginer, mais aussi à un empiétement important sur la bonne gouvernance d’entreprise.
De façon plus générale, le projet de loi S-243 et le mouvement vers la carboneutralité d’ici 2050 sont contre-productifs, en fin de compte. La thèse sous-jacente est que, s’il élimine son pétrole et son gaz, le Canada pourra jouer un rôle dans la réduction des émissions mondiales de dioxyde de carbone. Les faits infirment cette thèse.
En 2022, 82 % des besoins énergétiques primaires du monde étaient comblés par le pétrole, le gaz naturel et le charbon. La demande mondiale de ces carburants, loin de diminuer, est à la hausse. Si le pétrole et le gaz que le monde veut obtenir et dont il a besoin ne proviennent pas des entreprises canadiennes, ils seront fournis par des régimes autoritaires dans des pays mal réglementés et antidémocratiques qui respectent moins bien que nous les droits de la personne et l’environnement. Les émissions augmenteront et la performance environnementale diminuera. Les Canadiens ordinaires seront encore plus durement touchés, car l’économie sera paralysée, des entreprises et des industries fermeront leurs portes, des travailleurs perdront leur emploi et le prix de l’énergie grimpera en flèche. Entretemps, la demande mondiale de pétrole et de gaz sera satisfaite par des pays autres que le Canada. Pourquoi le gouvernement, les organismes de réglementation, les banques et les investisseurs voudraient-ils s’engager dans cette voie?
Quels sont les effets d’une politique trop étroitement prescriptive? Il suffit de voir ce qui se passe en Europe. Les divers pays européens adoptant des politiques semblables, de nombreux fabricants énergivores sont allés s’installer ailleurs, ont considérablement réduit leur production ou ont carrément fermé leurs portes. Le secteur manufacturier a besoin d’énergie, et des mesures législatives comme le projet de loi S-243 visent à rendre l’énergie plus coûteuse et moins abondante.
Le pétrole et le gaz sont un pilier essentiel de la prospérité du Canada. L’investissement dans le pétrole et le gaz est essentiel au bon fonctionnement de notre économie, à la création d’emplois, à l’innovation, à la perception de recettes gouvernementales et à la réduction des émissions mondiales.
Le projet de loi S-243 est un projet de loi prescriptif et excessif qui, en visant à supprimer l’une des industries les plus productives du Canada, causera des dommages irréversibles au Canada.
Merci.
La présidente : Je vous remercie de votre intervention. Nous passons maintenant à M. Usher pour son exposé liminaire.
Eric Usher, directeur, Initiative financière, Programme des Nations unies pour l’environnement : Merci beaucoup.
Je suis directeur au Programme des Nations unies pour l’environnement, le PNUE, où je suis responsable de l’Initiative financière, un partenariat mondial qui réunit l’ONU et un groupe de quelque 550 banques et assureurs mondiaux — dont un grand nombre du Canada — qui travaillent à l’élaboration du programme de finances durables.
Au fil des ans, nous avons établi des cadres axés sur la durabilité parmi les plus importants dans le secteur financier, y compris les principes de l’investissement responsable, les principes de l’assurance durable et les principes des services bancaires responsables.
Je précise que je présente mes observations de façon volontaire et à titre personnel et qu’elles ne doivent pas être interprétées comme une renonciation aux privilèges et immunités des Nations unies.
Comme l’a bien expliqué le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, entre autres, les changements climatiques présentent des risques pour le système financier. En fait, pas plus tard que la semaine dernière, le Comité de Bâle a officiellement intégré les risques climatiques à ses principes de base qui établissent les normes générales de réglementation pour maintenir la stabilité du système financier mondial.
Il est de plus en plus reconnu que le mauvais alignement des flux de capitaux avec les objectifs climatiques mondiaux peut entraîner des risques financiers à court, à moyen et à long terme pour les institutions financières prises individuellement, ainsi qu’une incidence sur la stabilité financière globale.
La réglementation financière peut soutenir et encourager l’harmonisation entre les flux financiers et le programme climatique mondial de deux façons. Premièrement, il peut aider à mieux gérer les risques physiques et les risques de la transition liés aux changements climatiques. La nouvelle ligne directrice B-15 du Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF, sur la gestion des risques climatiques, est un outil important si nous voulons renforcer la résilience des institutions financières du Canada.
Deuxièmement, la réglementation financière peut s’appuyer sur les engagements volontaires de l’industrie pour encourager le financement de la transition économique du Canada vers une économie saine et durable. Ces dernières années, les initiatives réglementaires sur le financement durable ont augmenté considérablement dans les différentes administrations, dans le but, par exemple, d’accroître la transparence de l’information sur la durabilité, de s’attaquer au blanchiment écologique et de renforcer les pratiques de gestion des risques liés au climat. Cette évolution est une condition préalable importante si nous voulons intensifier les alignements sur la carboneutralité dans l’ensemble du système financier et de l’économie. Mais il est également très important de noter que la réglementation financière ne peut vraiment encourager le financement de transition que si elle trouve un écho dans une approche pangouvernementale de la réglementation et est associée à des mesures et à des engagements significatifs dans l’économie réelle.
S’inscrivant dans les développements mondiaux, le Canada a exprimé son engagement à faire la transition vers une économie et une société carboneutres, et la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité a joué un rôle fondamental. Je me réjouis que le Canada reconnaisse que le secteur privé, en particulier le secteur financier, a un rôle clé à jouer. La création, en 2018, du Groupe d’experts canadien sur la finance durable et, en 2021, du Conseil d’action en matière de finance durable, ou CAFD, sont des étapes importantes à cet égard.
L’approche du Canada en matière de partenariat actif entre les organismes de réglementation et l’industrie est louable. L’action volontaire de l’industrie a été un moteur clé de la finance durable au Canada, comme en témoigne l’intégration des considérations de durabilité dans les activités de beaucoup d’institutions financières. Par exemple, elles considèrent la durabilité comme une priorité clé de leur stratégie d’affaires. Elles en tiennent compte dans leurs politiques de gouvernance et de rémunération. Elles implantent des systèmes d’analyse des risques liés au climat et de l’impact de leur financement, et elles ont commencé à faire des déclarations sur la durabilité.
La plupart des activités sont volontaires et sont en grande partie le fait de signataires des cadres ou des alliances des Nations unies dont j’ai parlé. Les mesures volontaires et l’action réglementaire doivent continuer d’aller de pair, donnant aux institutions financières la latitude voulue pour innover et, en même temps, manifestant une adoption plus importante par le marché, un apprentissage plus poussé et une ambition et une innovation toujours plus grandes.
J’accueille favorablement le fait que la Loi sur la finance alignée sur le climat met l’accent sur l’amélioration de la communication et de la déclaration des efforts déployés par les entreprises pour aligner leurs activités sur les engagements de carboneutralité. Ces rapports sont importants pour renforcer la transparence, la crédibilité et, au bout du compte, l’efficacité des engagements de carboneutralité dans l’ensemble de l’économie et, enfin, pour garantir l’intégrité de la transition. L’élaboration de normes internationales de déclaration — notamment grâce au Conseil international des normes de durabilité — devrait être mise de l’avant afin d’assurer une affectation optimale des capitaux à la transition vers la carboneutralité. Dans ce contexte, nous sommes très heureux de collaborer avec le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité pour élaborer des normes de rapport harmonisées avec celles du Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité.
Pour ce qui est des ajustements à l’attente de risque, j’invite à la prudence, car les bons coefficients de pondération doivent, d’abord et avant tout, demeurer sensibles au risque. À ce jour, aucune administration n’a modifié son attente de risque ou les dispositions prises en conformité du Pilier 1 en fonction uniquement du climat ou de la durabilité.
Quelques pays se sont toutefois penchés sur la question. Ainsi, l’Autorité bancaire européenne déconseillait récemment d’apporter des changements en raison de problèmes opérationnels — essentiellement, comment calculer et calibrer exactement les coefficients de pondération avec la distorsion éventuelle de la gestion des risques.
De même, la Réserve fédérale américaine ne semble pas actuellement encline à modifier les coefficients de pondération du risque en fonction de leur caractère écologique, mais pour l’instant, je vous invite à la prudence en ce qui concerne pareils changements et à faire jouer pleinement d’autres outils réglementaires, comme la planification de la transition pour mieux la favoriser.
De manière générale, le rôle de la réglementation financière ne peut être efficace que s’il s’inscrit dans une démarche pangouvernementale. Un aspect essentiel de cette démarche est l’élaboration de voies de réduction des émissions sectorielles pertinentes pour l’économie réelle.
Il y a aussi la possibilité d’utiliser une taxonomie canadienne comme outil prospectif pour accélérer la transition vers la carboneutralité. Les taxonomies sont souvent considérées comme un outil statique. Il est très important d’uniformiser les cadres réglementaires. Une quarantaine de pays sont en train d’élaborer des taxonomies aujourd’hui. Nous devons les élaborer ensemble pour répondre avec clarté et cohérence aux besoins du secteur financier et privé. Sur ce, je cède la parole. Merci.
La présidente : Merci beaucoup de votre témoignage et de votre patience au sujet de nos problèmes techniques. Nous allons passer tout de suite aux questions, et je propose que vous les adressiez directement aux personnes que vous voulez voir répondre.
Le sénateur Loffreda : Merci, madame Pappano et monsieur Usher. J’ai une question pour M. Usher. J’ai devant moi une lettre de vous, datée du 4 décembre 2023. Je vous lis une phrase qui a retenu mon attention :
Afin de jouer leur rôle et d’accélérer la décarbonisation de leurs portefeuilles, les institutions financières canadiennes et mondiales ont besoin d’un environnement politique prévisible et favorable.
En tant qu’ancien banquier, j’adore le mot « prévisible ». Cela aide au bon jugement et aux bonnes décisions. Pouvez-vous prévoir les répercussions économiques de ce projet de loi? Est-ce qu’elles sont prévisibles? Si elles le sont, je suis certain que cela va rassurer notre comité quant au maintien d’une économie durable pour l’avenir.
M. Usher : C’est une question très importante. Je vais vous donner l’exemple de ce que j’appelle « l’effet Tesla ». Non pas que je veuille me prononcer sur le PDG de l’entreprise de véhicules électriques, mais il n’y a pas une industrie aujourd’hui qui met en doute l’arrivée imminente de changements et de perturbations. Nous le voyons dans le secteur de l’automobile. La prévisibilité est ce que les investisseurs et les financiers recherchent pour comprendre comment le monde va changer. Lorsque nous parlons de climat, il y a le changement climatique physique, il y a ce que nous appelons les risques matériels, mais il y a aussi le risque de transition, où on se demande comment les politiques et les technologies vont changer la compétitivité de différents acteurs dans différents secteurs.
Ce qui est d’une importance cruciale ici en prévisibilité et en gestion des risques, c’est de se demander si un secteur est capable de ne pas regarder en arrière pour comprendre ce qui n’a pas marché et éviter de faire pareil à l’avenir, mais plutôt de regarder en avant et d’essayer de prédire comment le monde va changer, comment va changer chaque industrie que les banques financent, qui gagnera et qui perdra au change.
La prévisibilité qu’on recherche en affaires, ce qu’on essaie de comprendre, premièrement, ce sont les données scientifiques, parce qu’à suivre le nombre de parties par million de carbone dans l’atmosphère, on voit bien que les changements climatiques ne vont pas disparaître. Ils sont toujours là et, comme je le disais, ils sont clairement considérés maintenant comme un risque financier, pas seulement un risque climatique. Deuxièmement, on veut pouvoir prédire quelle sera la réponse stratégique du gouvernement pour être en mesure de gérer à la fois les risques matériels et la transition vers une économie à faible teneur en carbone.
Pour les investisseurs et les financiers, il est donc très important de voir et de comprendre l’intention du gouvernement et l’approche pangouvernementale. C’est ainsi qu’ils pourront prendre des décisions d’investissement ou de crédit avec un degré de certitude sur lequel ils pourront compter à l’avenir pour faire leur travail.
La présidente : Merci, monsieur Usher.
La sénatrice Marshall : Ma question s’adresse à Mme Pappano. Merci beaucoup de votre présence. La documentation qui nous a été fournie est très intéressante.
On dit que vous avez présenté des propositions aux assemblées générales annuelles de plusieurs banques, mais qu’elles ont été rejetées. Je pense que les actionnaires visent l’équilibre des enjeux environnementaux tout en essayant de maximiser le rendement de leur investissement. Vous avez dit que vous alliez essayer de nouveau.
Êtes-vous en mesure de nous dire pourquoi vos propositions ont échoué? Il faut regarder en arrière et essayer de déterminer pourquoi parce que vous avez dit que vous alliez essayer de nouveau. J’aimerais beaucoup savoir pourquoi vous pensez avoir échoué et comment vous allez vous y prendre à l’avenir. Comment allez-vous réviser votre proposition?
Mme Pappano : Cette année, c’était la deuxième année que nous faisions des propositions aux actionnaires, et il est très difficile d’amener les gens à voter contre ce que le conseil recommande. Le processus est ainsi fait qu’il faut beaucoup d’efforts pour aller à l’encontre de la recommandation du conseil d’administration et de la direction.
Beaucoup d’investisseurs institutionnels votent par procuration, suivant un processus très compliqué.
Ce que j’ai l’intention de faire l’année prochaine, c’est d’approcher les grands investisseurs et de leur présenter mon dossier bien avant les réunions, pour essayer de les amener à voter contre ce que le conseil d’administration et la direction leur disent de faire.
J’ai reçu beaucoup d’appuis, même de la part d’administrateurs de sociétés minières et d’autres industries qui dépendent du pétrole et du gaz. Ils ont sympathisé avec moi et m’ont dit de continuer, que les choses allaient changer. Les autres propositions ont commencé il y a environ cinq ans, et elles ont peu à peu rallié des appuis.
La sénatrice Marshall : J’avais l’impression que c’était trois banques qui étaient en cause, mais c’était toutes les grandes banques?
Mme Pappano : L’an dernier, c’était trois banques; cette année, c’est cinq.
La sénatrice Marshall : Merci beaucoup. C’est intéressant.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur Usher, vous avez une perspective plus internationale que beaucoup d’entre nous. Lorsque vous examinez la ligne directrice B-15 du BSIF, comment faut-il la renforcer pour que le Canada continue d’avancer dans la direction indiquée par le projet de loi S-243? À mon avis, c’est un outil dont nous disposons déjà pour régler le problème, et nous pourrions peut-être faire pression pour continuer d’aller dans ce sens.
M. Usher : Je ne suis pas un expert de la ligne directrice du BSIF. Les divulgations sont certainement le point de départ pour toute entreprise commerciale, y compris les banques ou même les investisseurs, pour comprendre son degré d’exposition et son risque.
Une des principales difficultés, évidemment, est la comparabilité des divulgations. C’est là qu’interviennent l’ISSB, le CCNID, c’est-à-dire le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité, et l’effort progressif pour obtenir toujours plus de transparence et comprendre où se situent les risques. Je crois que la ligne directrice B-15 est un grand pas dans cette direction. J’ai l’impression que, souvent, le problème, surtout lorsque nous avons affaire à de grandes banques canadiennes qui sont très exposées au sud de la frontière et partout dans le monde, c’est que les méthodes de divulgation varient toujours d’un État à l’autre. Il y a encore beaucoup de travail à faire en matière de comparabilité.
C’est pourquoi l’ISSB et le CCNID sont très importants. Qu’on investisse dans un État ou dans un autre, ce qu’on veut, c’est de la clarté, sans quoi il n’y a pas de comparaisons possibles. Comme nous le savons, le climat est un enjeu mondial et, par conséquent, nous avons davantage besoin d’un cadre de concertation. Je ne peux pas en dire plus au sujet de la ligne directrice B-15 du BSIF.
Le sénateur C. Deacon : La réponse que j’en tire, c’est qu’il s’agit clairement d’avoir plus de transparence d’une manière qui puisse fonctionner entre les marchés. C’est comparable d’un marché à l’autre. À votre connaissance, ce serait la seule façon de continuer à l’améliorer et à la renforcer.
M. Usher : C’est un point de départ très important. Tout le monde doit d’abord faire preuve de transparence pour comprendre où se situent les risques. Ensuite, bien sûr — et c’est là en bonne partie l’esprit du projet de loi S-243 —, où faut-il aller? C’est là qu’on commence à parler de plans de transition et du rôle qui consiste non seulement à obtenir un instantané de l’empreinte carbone d’une entreprise aujourd’hui, mais, ce qui est encore plus important, à comprendre où elle s’en va demain et comment évaluer ce risque.
La présidente : Merci.
Le sénateur Gignac : Ma première question s’adresse à Mme Pappano. En fait de juste divulgation, reconnaître l’importance de l’industrie pétrolière et gazière au Canada...
Cela dit, j’aimerais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Marshall au sujet des interventions aux assemblées annuelles. Dans votre proposition aux actionnaires de Suncor lors de la récente assemblée annuelle, vous avez fait valoir que la promesse de carboneutralité de Suncor repose sur le dogme et l’idéologie et devient une croisade coûteuse et risquée sur le plan économique. Vous ajoutez que Suncor a l’obligation économique et morale d’abandonner ses objectifs de carboneutralité. Dans sa réponse, l’entreprise disait qu’elle s’engagerait à se décarboniser.
Votre proposition a été rejetée par 99 % des actionnaires à l’assemblée annuelle. Puisque les actionnaires se concentrent sur le profit, pouvez-vous expliquer pourquoi votre proposition a été rejetée? Est-ce parce que vous allez un peu trop loin?
Mme Pappano : Je ne prétends pas savoir ce que pensent les actionnaires, mais je sais qu’il faut faire des efforts pour apporter un changement lorsque la direction et le conseil d’administration vous disent de voter contre une proposition. Encore une fois, j’ai reçu des appuis et je vais revenir à la charge.
Il n’y a eu aucun plan détaillé ou chiffré — aucun plan du tout — pour atteindre la carboneutralité. Ce qui me préoccupe, c’est le Canada. Je me soucie des Canadiens ordinaires. Que fera le Canada sans son secteur pétrolier et gazier? La Chine ouvre deux mines de charbon par mois, je crois. C’est une initiative mondiale, mais moi, je le fais pour les Canadiens ordinaires.
Le secteur manufacturier en Ontario dépend surtout du pétrole et du gaz. Qu’allons-nous exporter? Que feront les Canadiens? Quelle incidence y aura-t-il sur les emplois? Les risques sociaux sont aussi importants à considérer. Pour l’innovation, pour tout, pour notre économie, nous avons besoin d’investissements. Ces projets de loi prescriptifs chassent les investissements, ce qui rend très difficile pour les banques d’investir dans les sociétés pétrolières et gazières.
La présidente : Merci. Pour que ce soit bien clair, votre interprétation du projet de loi est qu’il limitera également l’investissement dans la transition vers la carboneutralité, et pas seulement le financement effectif de l’activité pétrolière et gazière en général.
Mme Pappano : Oui, cela va affecter le financement en général, mais cela va aussi affecter notre économie si nous n’avons pas ces secteurs-là; ce sont nos poules aux œufs d’or.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question pour M. Usher.
Vous avez parlé en termes élogieux de toute la partie du projet de loi S-243 qui parle de divulgation. Pourriez-vous, en termes simples et compréhensibles, nous expliquer en quoi, sur la divulgation, la Loi sur la finance alignée sur le climat est plus avancée et meilleure pour le climat que ce qui existe avec les régulateurs actuels?
[Traduction]
M. Usher : La ligne directrice B-15 du BSIF est une première étape très importante. En réaction à certains propos de ma collègue témoin, nous devons comprendre que la gestion des risques signifie aussi comprendre que le monde change. Si nous ne sommes pas capables d’investir dans les changements en cours, nous allons traîner de la patte.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Larry Fink, le PDG de BlackRock, le plus important investisseur au monde, subit beaucoup de pression aux États-Unis sur la question de la transition climatique. Sa lettre financière annuelle est lue par l’ensemble du secteur financier. Cette année, sa lettre disait que ce n’est pas une affaire d’activisme climatique. Le fait est que le monde est en train de changer, et pour nos actionnaires, nous allons devenir les champions de ces changements. Nous allons faire de bonnes affaires en menant essentiellement la transition énergétique. Je pense que la Loi sur la finance alignée sur le climat devient très importante en offrant un cadre où la communauté financière du Canada puisse montrer concrètement quel rôle elle entend jouer aux commandes de cette transition.
Nous devons comprendre l’industrie pétrolière et gazière. Elle a toujours joué un rôle très important dans l’économie canadienne en créant des emplois, mais elle est exposée au risque. Ce n’est pas la source de pétrole la plus propre qui sera la dernière goutte, c’est la moins chère, et le pétrole et le gaz canadiens ne sont pas les moins chers. À partir de la méthode d’alignement de la LFAC, on examine l’idée de l’alignement sur la transition, qui est manifestement fondée sur la science, mais aussi sur l’action industrielle dans le monde, ce qui montre que c’est ce qui se passe.
Par conséquent, il est essentiel de passer d’une gestion très transactionnelle des risques à une gestion harmonisée sur votre portefeuille, ce qui signifie qu’il faut l’aligner sur l’évolution de l’économie. C’est l’avantage de la LFAC.
Le sénateur Varone : Ce qui me préoccupe, c’est la gouvernance du conseil d’administration. À part mes collègues sénateurs, qui d’autre est un expert du climat et comment en devenez-vous un? Quelles études faut-il faire?
J’ai suivi des cours à l’Institut des administrateurs de sociétés de l’Ontario, dont j’ai consulté le site Web ce matin, et il n’y a pas un seul programme concernant le climat. Il y en a sur la gouvernance, la diversité, l’équité et l’inclusion, mais les éléments humains des banques, elles sont dirigées par des êtres humains. Comment deviennent-ils des experts? J’aimerais vous poser la question suivante à tous les deux : où allez-vous? Quelle est la scolarité? Qu’est-ce qui fait de vous un expert pour prendre les décisions qui s’imposent?
La présidente : Je vous demanderais à tous les deux de répondre brièvement. Monsieur Usher, vous avez environ 30 secondes.
M. Usher : Très bonne question, très difficile, mais la réalité, c’est que quand vous avez une exigence ou une attente, vous devez trouver les moyens de livrer la marchandise, et je pense que la pression est là. De nos jours, les grandes banques et les banques mondiales augmentent leur capacité non pas de façon centralisée, mais dans l’ensemble de leurs équipes sectorielles — acier, ciment, agriculture —, elles intègrent l’expertise climatique dans ces équipes. Cela va du conseil d’administration jusqu’au niveau opérationnel. C’est un défi, mais la réalité, c’est que parfois le fait d’avoir des attentes en matière de gouvernance stimule également le renforcement de ces capacités.
Mme Pappano : La prescription, vous éliminez quiconque a une expérience quelconque du pétrole et du gaz, ce qui ne veut pas dire qu’il ne comprend pas le climat, car je suis certaine qu’il le comprend, étant donné les années passées à travailler dans le secteur pétrolier et gazier. Dire aux gens qu’ils ne peuvent pas faire partie d’un conseil d’administration ou qu’une entreprise ne peut pas nommer un expert au sein de son conseil d’administration parce qu’ils font partie d’une industrie donnée est de la mauvaise gouvernance. Je ne crois pas qu’il s’agisse là d’une bonne gouvernance d’entreprise.
La présidente : Merci beaucoup.
Le sénateur Massicotte : Merci d’être parmi nous aujourd’hui. Je m’adresse à M. Usher. Je suis tout à fait d’accord avec les objectifs, les risques et le fait que nous avons de graves défis à relever et que nous sommes sérieusement engagés en ce sens, mais mon problème aujourd’hui, c’est le projet de loi S-243. C’est la question que je me pose et que nous devons trancher sous peu. Que recommandez-vous? Recommandez-vous que nous approuvions le projet de loi tel qu’il est proposé ou que nous procédions autrement? Qu’en pensez-vous?
M. Usher : Je dirais que j’appuie fortement le projet de loi. La seule mise en garde que je ferais concerne la pondération du risque, car je crois qu’il s’agit d’un domaine qui n’a pas fait ses preuves, puisqu’on ne sait toujours pas si les secteurs à faibles émissions de carbone présentent moins de risques que ceux à fortes émissions de carbone. Évidemment, cela varie d’une industrie à l’autre, mais dans l’ensemble, pour ce qui est de la raison d’être du projet de loi, je dirais personnellement que je l’appuie sans réserve.
Je pense que l’industrie est en faveur, et le problème tient en partie au fait qu’elle cherche à obtenir une certitude en matière de politiques et une interopérabilité entre les administrations. Comme nous le savons, d’autres pays agissent plus rapidement que le Canada, de sorte que les acteurs financiers canadiens risquent d’être laissés pour compte.
Le sénateur Massicotte : Mark Carney témoignait devant nous hier. Il voulait aussi exclure toutes les mesures incitatives ou liées à la rémunération qui sont dans le projet de loi. Êtes-vous d’accord?
M. Usher : Vous voulez parler de l’intégration des régimes de rémunération?
Le sénateur Massicotte : Oui, mais aussi de la façon dont il pourrait être motivé ou organisé pour être plus constructif ou plus réel.
M. Usher : Pour vous donner une perspective mondiale, si l’on prend notre cadre bancaire mondial, les Principes pour une banque responsable des Nations unies, 30 % des banques à l’échelle mondiale intègrent les objectifs de durabilité dans la rémunération des dirigeants. Cela commence donc à devenir une norme de l’industrie. Je ne connais pas les chiffres pour le Canada, mais je pense que cela devient une pratique normale dans de nombreux pays. Bien sûr, il y a des détails sur la façon dont cela doit se faire dans le cadre d’une bonne gouvernance, mais, dans l’ensemble, je serais en faveur de l’inclure à la fois dans la gouvernance et dans la rémunération.
Le sénateur Massicotte : Merci.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence. Monsieur Usher, j’ai quelques questions concernant votre témoignage et plus particulièrement le projet de loi.
Je comprends parfaitement ce que vous dites en ce qui concerne les pratiques des banques et les prêts, et je suppose que cela s’appliquera au secteur pétrolier et gazier. Vous dites que la méthodologie n’a pas encore fait toutes ses preuves et qu’il y a donc un risque à faire quelque chose quand on ne connaît pas les conséquences.
En ce qui concerne les actionnaires du grand public et, au demeurant, la politique gouvernementale, croyez-vous que la divulgation par les banques de leurs actifs et de là où ils sont détenus devrait être obligatoire dans le contexte de la connaissance par le public? Ce n’est pas l’argent des banques. C’est l’argent des Canadiens et des actionnaires, mais également, en ce qui concerne les objectifs de politique publique du gouvernement visant à atteindre nos cibles de carboneutralité entre 2030 et 2050, pensez-vous qu’il devrait y avoir plus d’améliorations pour ce qui est de la divulgation par les banques afin que nous sachions ce que font nos banques. Ainsi, si vous achetez des actions d’une banque, vous comprenez ce qu’elle fait en ce qui concerne sa politique de placement.
M. Usher : Oui, je suis d’accord. À titre de comparaison, quand vous achetez une boîte de soupe, vous regardez sur l’étiquette et vous voyez quels sont les ingrédients. Quand vous avez votre régime de retraite ou quand vous investissez dans des actions bancaires ou que vous les prenez en votre qualité de client, vous devriez avoir la transparence nécessaire pour comprendre leur position et, essentiellement, leur exposition et leurs actions.
Bien sûr, il faut que ce soit gérable, et l’un des défis que nous avons avec beaucoup de banques, c’est le nombre de divulgations de conformité qu’on leur demande de faire. C’est un fardeau lourd, et je pense qu’il faut comprendre que les organismes de réglementation jouent un rôle pour aussi être raisonnables dans la façon dont ils s’attendent à ce que les divulgations soient faites.
Dans l’ensemble, nous croyons que c’est important, et dans certaines administrations, en raison de cette transparence, on commence à comprendre beaucoup plus l’état de la transition dans différentes industries, ce qui renforce le désir d’investir dans la réussite. Les Européens sont certainement les chefs de file à cet égard. Ils ont mis en place leur taxonomie, qui est très transparente, et maintenant vous commencez à voir où vont les dépenses en capital dans les entreprises de chaque industrie en Europe, et vous pouvez voir quelle industrie est en retard et laquelle est en avance. En fin de compte, la transparence aide à faire avancer les solutions économiques nécessaires.
La présidente : Merci beaucoup. Nous essaierons de vous redonner la parole au deuxième tour si nous en avons le temps.
La sénatrice Galvez : Merci. Ma question s’adresse également à M. Usher.
J’ai observé l’évolution de ces pays et de ces administrations et les répercussions sur d’autres domaines. Êtes-vous d’accord avec moi pour dire que si le secteur financier du Canada — vous avez dit qu’il était un peu en retard — ne va pas dans cette direction, cela va avoir une incidence sur d’autres choses, comme notre croissance, notre compétitivité, par exemple? Nous sommes sur le point d’adopter une étude sur une loi concernant les emplois durables. Comment allons-nous financer cela si le secteur financier ne bouge pas? Ici, au Canada, le secteur financier ce n’est pas seulement les banques, mais aussi les régimes de retraite et les assurances.
M. Usher : Oui, je suis d’accord, et je pense que l’avenir du développement économique du Canada doit être axé sur la lutte contre les changements climatiques. Je pense aussi que l’industrie pétrolière et gazière a peut-être un rôle à jouer à cet égard, mais c’est de toute évidence le cas du secteur bancaire et de celui des investissements.
Il ne s’agit pas seulement de savoir comment on s’y prend dans le cas du pétrole et du gaz. Il s’agit de savoir dans quelle mesure ils investissent activement dans la transition. Les banques canadiennes ne sont pas des chefs de file en matière d’investissement dans les énergies renouvelables, et je dirais que si vous regardez les banques européennes, aucune d’entre elles ne figure parmi les 10 premiers bailleurs de fonds des combustibles fossiles. Beaucoup de Canadiens, d’Américains et d’Asiatiques le sont; pas un seul Européen. Si vous regardez la liste des 10 principaux bailleurs de fonds pour les énergies renouvelables à l’échelle mondiale, 7 sur 10 sont des Européens, ce qui donne une idée de l’orientation des banques européennes par rapport aux banques canadiennes ou nord-américaines. Je pense qu’en comparant les banques canadiennes et américaines, les banques aux États-Unis, elles œuvrent encore beaucoup dans les secteurs du pétrole et du gaz, ainsi que du charbon, mais elles sont très actives en matière de financement des énergies renouvelables, et je pense que les banques canadiennes ont du rattrapage à faire.
Enfin, les minéraux critiques, l’industrie de l’exploration au Canada, comme nous le savons — et le secteur financier qui les appuie — sont des chefs de file mondiaux. Nous devons aider à orienter cela vers les minéraux critiques. Il y a beaucoup de capacité au Canada pour le faire, y compris les banques et les investisseurs; ils doivent renforcer cette capacité.
La sénatrice Petten : Monsieur Usher, à votre avis, le projet de loi est-il l’une de ces politiques publiques axées sur une transition vers une économie à faibles émissions de carbone qui est conforme à la science?
M. Usher : Oui. Évidemment, il s’agit de dimensions différentes, la science et la politique. Ce n’est pas parce qu’on met en œuvre le projet de loi qu’on va atteindre une trajectoire de 1,5 degré, ou quel que soit le chiffre. Il comporte des éléments notables pour aligner le système financier et économique sur les données scientifiques, mieux que le simple fait d’avoir le projet de loi sur le BSIF à lui seul.
Je dois souligner, comme je l’ai dit dans mon témoignage, que l’action volontaire est également importante pour le prouver. C’est difficile. Vous ne voulez pas que cela devienne une approche de conformité pure et simple où les banques et les investisseurs commencent à voir cela comme de simples cases cochées. Ce qu’il nous faut, c’est de le faire d’une façon qui permette au secteur privé d’innover et de démontrer comment il pense que cela devrait être fait. La façon de l’appliquer sera également très importante.
La présidente : Madame Pappano, j’aimerais vous poser la même question que le sénateur Massicotte : y a-t-il des parties du projet de loi qui vous semblent utiles ou rejetez-vous l’ensemble du projet de loi?
Mme Pappano : Je rejette le projet de loi. Je pense qu’il est trop prescriptif, très onéreux, sans tenir compte — je sais que M. Usher a parlé de l’Europe. Mais la force du Canada, l’énergie, c’est notre économie. On ne peut pas exploiter les minéraux sans énergie. Vous avez besoin de pétrole et de gaz. Il n’y a pas d’autre solution dans le Nord ou ailleurs. Ce sont nos forces.
J’ai travaillé à la Bourse de Toronto. Elles étaient nos deux plus grandes industries, avec la technologie et les technologies propres. Je dirais que c’est le développement énergétique. Il peut y avoir des innovations dans toutes ces industries. Mais je pense qu’il est téméraire de ne pas investir dans notre industrie fondamentale.
La présidente : Merci.
Le sénateur Loffreda : Ma prochaine question s’adresse à M. Usher et à Mme Pappano, si nous avons le temps.
Dans quelle mesure croyez-vous qu’une loi est nécessaire pour réglementer nos institutions financières en ce qui concerne le risque climatique? Nous sommes tous d’accord avec le risque climatique, la lutte contre les changements climatiques et la nécessité d’aller dans la bonne direction.
Dans quelle mesure croyez-vous que nous devrions les réglementer et légiférer au lieu de laisser faire l’industrie, qui est reconnue pour être l’un des meilleurs gestionnaires de risque au monde. Nous avons les banques les mieux gérées? Quand je regarde les sondages, c’est soit l’Australie ou le Canada, soit le Canada ou l’Australie. On s’échange le rang. Pour une industrie, nous sommes les meilleurs au monde. Pourquoi ne pas les laisser gérer leurs risques de façon indépendante avec l’aide du BSIF? Croyez-vous qu’il soit nécessaire de légiférer à ce moment-ci?
La présidente : Brièvement, monsieur Usher. Merci.
M. Usher : Pour revenir à ce que vous disiez tout à l’heure, le secteur privé recherche la certitude. Il peut prévoir de nombreux avenirs en fonction de la certitude qu’il perçoit, dont une grande partie provient du gouvernement et de la réglementation. Il est important de prévoir l’avenir, et un tel projet de loi peut aider à le faire.
En même temps, je reconnais que cela ne devrait pas être trop contraignant. Cela devrait permettre au secteur privé d’innover, de gérer ses risques — il sait mieux que quiconque quels sont ses risques — et de fournir un cadre plus large.
Vous voulez que les banques aient un plan de transition. C’est ce dont il est question dans de nombreuses enceintes aujourd’hui. À moins d’avoir un plan, il est difficile de savoir où on va aller à l’avenir. C’est ce que la Loi sur la finance alignée sur le climat doit faire.
Le sénateur Loffreda : Ce projet de loi n’est pas trop contraignant? Des témoins très crédibles nous ont dit qu’il l’était. Vous ne pensez pas que ce soit le cas? Avez-vous lu le projet de loi?
M. Usher : Je m’interroge sur la pondération du risque. Je vois beaucoup d’éléments qui se retrouvent dans d’autres mesures législatives dans d’autres régions, alors je ne dirais pas que cette loi va trop loin.
Mme Pappano : Encore une fois, il n’y a pas de plan détaillé et chiffré ni de plan sur le coût de la carboneutralité. Le sénateur Loffreda a parlé de prévisibilité. Il n’y a pas de prévisibilité. Nous n’avons aucune idée de ce qui se passera dans nos industries au cours des 26 prochaines années. Nous avons besoin de capitaux pour l’innovation. Cela permettra d’innover dans le domaine du pétrole et du gaz et d’extraire le pétrole du sol de façon plus propre. La demande augmente. Le pétrole et le gaz viendront de quelque part. Il devrait venir du Canada. Nous ne devrions pas restreindre le secteur canadien des ressources.
La sénatrice Marshall : J’ai une autre question pour Mme Pappano, car cela m’intéresse beaucoup.
Qu’est-ce qui a motivé vos résolutions d’actionnaires? Voyez-vous des signes indiquant que les banques se retirent du financement du pétrole et du gaz? Pensez-vous, étant donné que l’on parle beaucoup de la carboneutralité, qu’il s’agit d’une possibilité réelle, ou était-ce plutôt une attaque préventive? Vous savez mieux ce qui se passe dans le secteur bancaire.
Mme Pappano : Comme je l’ai mentionné plus tôt, j’ai travaillé à la Bourse de Toronto et à la Bourse de croissance TSX. Je suis née et j’ai grandi à Toronto. Je n’ai jamais vraiment compris les secteurs des ressources. On n’y pense pas vraiment quand on vit en Ontario. J’ai appris que ces secteurs étaient très importants pour l’emploi et l’économie. Notre économie repose sur l’énergie. Cela ne fait aucun doute. La sécurité énergétique joue également un rôle.
Ce qui m’a motivée, c’est que j’ai vu ce qui se passait, d’abord, dans les universités. On a demandé aux fonds de dotation des universités de cesser d’investir dans les sociétés pétrolières et gazières. On est ensuite passé aux régimes de pension. Maintenant, on s’adresse aux banques.
C’est tellement prescriptif. On ne permet pas aux investisseurs de participer. On ne tient pas compte des droits des actionnaires parce qu’on élimine un bassin d’investissement simplement parce qu’une entreprise est une société pétrolière et gazière. Je ne suis pas d’accord.
Je pense que notre secteur devrait être renforcé parce que nous voulons que le pétrole et le gaz canadiens rejoignent plus de gens que le pétrole et le gaz provenant d’autres pays. Comme je l’ai déjà dit, je m’intéresse surtout au Canada. Si nous avons un secteur de l’énergie fort, nous pourrons faire plus pour réduire les émissions.
Le sénateur Gignac : Ma question s’adresse à M. Usher. Comme mon collègue, le sénateur Loffreda, j’ai passé la majeure partie de ma carrière dans le secteur financier, le secteur de l’assurance et le secteur bancaire. Je crois savoir un peu ce qui s’y passe.
J’ai un problème quand on compare les banques canadiennes aux banques européennes parce que les banques canadiennes reflètent l’économie canadienne. Il ne faut pas se leurrer, il n’y a pas de pays européens parmi les 20 premiers producteurs de pétrole.
Étant donné que nous sommes très favorables aux objectifs du projet de loi, mais qu’ils sont trop prescriptifs tels qu’ils nous sont présentés, pourriez-vous nous en dire plus sur les banques norvégiennes plutôt que sur les banques européennes? Avez-vous des suggestions ou des lectures sur les banques norvégiennes, relativement au projet de loi dont nous sommes saisis, afin que nous puissions connaître les meilleures pratiques de la Norvège, qui est un important producteur?
M. Usher : Je pense que c’est une très bonne question. Les banques norvégiennes sont également assez modernes en ce qui concerne leur approche face au climat. La plupart des banques norvégiennes se sont fixé des objectifs de carboneutralité.
Le fonds pétrolier norvégien, l’appellation courte que j’utilise, est l’un des plus importants fonds souverains au monde et il est très progressiste.
Je suis d’accord avec l’autre témoin pour dire que le désinvestissement présente beaucoup de faiblesses. À mon avis, sur les marchés de capitaux liquides, un désinvestissement mène à un autre investisseur. On ne change pas le financement à moins de le faire à grande échelle.
Le fonds pétrolier norvégien mène une politique d’engagement très active avec les entreprises qu’il possède, les plus grandes entreprises, les plus grands émetteurs, en travaillant essentiellement avec eux sur leur transition. Je pense que la comparaison est intéressante et qu’il convient de l’approfondir.
Pour terminer rapidement, ce qui est d’une importance cruciale pour l’économie canadienne, ce n’est pas de dire que quelque chose est vert ou n’est pas vert, y compris en ce qui concerne le financement, c’est la transition, l’« écologisation ». C’est là que le secteur pétrolier et gazier et les industries à forte intensité de ressources — le système financier canadien doit financer l’écologisation ou la transition de ces emplois et de ces entreprises. C’est la particularité du contexte canadien. Tout comme les Japonais, les Australiens et les Sud-Africains, nous ne pouvons pas avoir un mécanisme ou un type de financement unique, il faut qu’il soit adapté à l’objectif visé. Je crois que c’est tout à fait possible, et que l’économie canadienne peut prospérer en faisant cette transition.
Le sénateur Yussuff : Je remercie nos témoins. Monsieur Usher, je vais essayer de comprendre. De toute évidence, ce projet de loi nous oriente vers ce que nous pouvons faire en ce qui concerne les institutions financières du pays. Nous devons également comparer cela à la tendance mondiale et à ce que les banques font en matière de divulgation. De toute évidence, la ligne directrice B-15 entraîne beaucoup de réformes. C’est-à-dire dans la façon dont les banques divulguent maintenant leurs renseignements.
Que pourriez-vous nous dire au sujet des tendances mondiales dont nous pourrions nous inspirer pour l’avenir de notre secteur financier? Nous sommes à la limite. Il y a deux façons d’y arriver : soit le gouvernement dictera les exigences aux banques, soit les banques elles-mêmes s’imposeront l’obligation de commencer à divulguer plus d’informations sur ce que nous savons de leurs actifs.
M. Usher : Je pense qu’il y a une troisième possibilité, c’est-à-dire que d’autres pays décideront de ce qui arrivera aux banques canadiennes. C’est parce que dans la réglementation européenne, la directive CSRD sur les rapports de durabilité des entreprises entre en vigueur cette année pour les entreprises européennes, y compris les banques. En 2027, elle s’appliquera aux organisations opérant en Europe, dont 1 100 entreprises canadiennes et toutes les banques de Bay Street. Elles devront rendre compte aux Européens, essentiellement, d’une manière très similaire à ce que prévoit la LFAC.
Il y a aussi le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ou MACF, que vous connaissez peut-être, que les Européens appliquent au commerce mondial. Le Canada, avec sa tarification du carbone est, je crois, en très bonne position. Vous êtes un chef de file mondial en matière de tarification du carbone. Mais pour ce qui est des banques et des autres entreprises qui sont visées et réglementées de façon extraterritoriale, c’est ce qui s’en vient. C’est une autre raison pour laquelle il est très important que la législation canadienne s’harmonise avec ces tendances mondiales.
Le sénateur C. Deacon : Vous avez tous les deux évoqué le risque de voir le marché du pétrole se tourner vers le producteur le moins cher au fil du temps. Les investissements des banques dans les infrastructures s’échelonnent sur une période de plusieurs générations.
Entrevoyez-vous un risque prudentiel potentiel émerger si la valeur du pétrole canadien est, peut-être, minée par des prix du marché qui ne sont pas au niveau voulu pour que l’industrie soit rentable?
Mme Pappano : Le problème à l’heure actuelle, c’est que le problème de l’offre entraîne une hausse des prix de sorte que l’énergie devient inabordable pour les Canadiens et les fabricants. Ce que je propose, c’est que notre industrie soit dynamique et qu’elle maintienne les prix de l’énergie à un niveau bas. Je pense que nous avons besoin d’une énergie abondante et abordable pour soutenir tous nos secteurs des ressources et notre secteur manufacturier. Au Royaume-Uni ou en Allemagne, la désindustrialisation est en cours. Je ne pense pas que ce soit ce que nous voulons pour le Canada.
M. Usher : Désolé, non, je n’ai pas de commentaire à faire sur cette question.
La présidente : Je sais que M. Usher doit pouvoir partir à temps. Je reviendrai à vous, sénatrice Marshall, pour une très brève deuxième question.
La sénatrice Marshall : Madame Pappano, j’ai examiné vos propositions aux banques. Pensez-vous que les banques veulent simplement continuer comme d’habitude et que l’adoption de vos propositions reviendrait presque à une déclaration de guerre? En regardant la façon dont ces propositions sont formulées, je me suis dit que les banques ne voudraient peut-être pas les adopter, et qu’elles allaient simplement continuer de prêter de l’argent aux sociétés pétrolières et gazières sans en parler.
Mme Pappano : Eh bien, elles ont déjà été signalées à la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, ou CVMO, par les groupes qui leur ont fait des propositions d’actionnaires. Vont-elles simplement accepter? Eh bien, cela ne voudra rien dire non plus.
Cette année, nous avons demandé un rapport précis pour montrer comment la carboneutralité influera sur l’économie canadienne, et les banques ont dit qu’elles ne faisaient pas ce genre de chose. Personne ne fait de rapport sur ce que la carboneutralité signifie pour notre économie. Nous parlons d’un changement radical de notre façon de faire des affaires, et personne ne prend le temps de penser aux coûts sociaux ou économiques.
La sénatrice Marshall : Je crois que vous avez parlé du Royaume-Uni et de l’Allemagne dans une de vos remarques précédentes.
Mme Pappano : Oui. Ces pays ressentent les coûts de la désindustrialisation à l’heure actuelle. Je dirais que nous sommes cinq ans en arrière.
La sénatrice Marshall : Cela s’en vient.
Mme Pappano : Si nous les suivons, nous pouvons envisager la désindustrialisation du Canada.
La sénatrice Marshall : Merci.
La sénatrice Galvez : Madame Pappano, vous n’avez pas parlé des changements climatiques et des solutions à ces changements, ni du fait que les phénomènes météorologiques extrêmes détruisent beaucoup d’actifs. Faites-vous le lien entre les émissions liées aux changements climatiques et la nécessité d’une transition?
Mme Pappano : Je ne crois pas que le fait de ne pas investir dans notre secteur pétrolier et gazier aidera à réduire les émissions. Comme je l’ai dit, vous ne pouvez pas nier que la demande de pétrole et de gaz augmente. Beaucoup de pays veulent encore relever leur niveau de vie...
La sénatrice Galvez : Pensez-vous que les changements climatiques sont réels?
Mme Pappano : Je pense que l’investissement mènera à la réduction des émissions parce que l’investissement mène à l’innovation. Je pense que le Canada possède le meilleur secteur pétrolier et gazier, et que cela mènera à l’innovation et à la réduction des émissions. Nous l’avons vu dans les champs pétrolifères du Canada où Suncor Energy a réduit ses émissions année après année, et c’est ce que je propose également.
La présidente : Je vais remercier M. Usher parce que je sais qu’il a un horaire très serré. Monsieur Usher, directeur de l’Initiative financière du Programme des Nations unies pour l’environnement, je vous remercie de votre temps et de votre témoignage aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous allons vous laisser vous sauver.
Je sais que le sénateur Yussuff voulait ajouter quelque chose, si vous voulez bien poser votre question à Mme Pappano. Merci, monsieur Usher.
M. Usher : Merci.
Le sénateur Yussuff : Madame Pappano, en toute franchise, les banques ne sont pas des institutions qui existent en vase clos des changements de politique publique et de société. La société canadienne reconnaît qu’il faut améliorer notre initiative de lutte contre les changements climatiques. C’est un fait. Les Canadiens sont inquiets. Les banques, dans le contexte de leurs responsabilités, tout comme les pétrolières, essaient de faire leur part. Nous pouvons discuter du rythme auquel elles avancent ou pas, mais j’ai l’impression que vous nagez à contre-courant.
Mme Pappano : Mais des sondages récents...
Le sénateur Yussuff : Permettez-moi de terminer. C’est très important. Il y a des changements en cours, et vous dites que nous ne devrions rien modifier à ce que nous faisons. Je dis que nous ne vivons pas en vase clos...
La présidente : Nous allons la laisser répondre, merci.
Mme Pappano : Ce que je veux dire, c’est que je ne crois pas que le fait d’enlever des capitaux à notre secteur primaire aidera le Canada ou les citoyens ordinaires à assumer le coût élevé de l’énergie. Les gens ont à choisir entre chauffer leur maison ou manger, et c’est la réalité de notre monde à l’heure actuelle. Je ne pense pas que le fait de priver notre secteur pétrolier et gazier de capitaux aidera à régler ces problèmes.
Le sénateur Massicotte : J’ai une brève question. Vous travaillez pour un organisme sans but lucratif.
Mme Pappano : Oui.
Le sénateur Massicotte : Qui sont vos principaux contributeurs?
Mme Pappano : Des citoyens ordinaires de partout au Canada et même des États-Unis et de l’Europe...
Le sénateur Massicotte : Donc, pas seulement une ou deux parties.
Mme Pappano : Non. Beaucoup de gens comme vous et moi.
La présidente : Je vous remercie de cette information.
Mme Gina Pappano, directrice exécutive, InvestNow, et, bien sûr, M. Usher, dont j’ai parlé, du Programme des Nations unies pour l’environnement. Merci beaucoup de votre témoignage d’aujourd’hui. Notre deuxième ronde est sur le point de débuter aujourd’hui, et nous avons le plaisir d’accueillir Mark Cameron, vice-président, Relations externes, de l’Alliance Nouvelles voies. Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d’avoir accédé à votre fauteuil aussi rapidement.
Nous allons commencer par votre déclaration préliminaire, monsieur Cameron. Vous avez la parole.
Mark Cameron, vice-président, Relations externes, Alliance Nouvelles voies : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs.
Je suis heureux de m’adresser à vous aujourd’hui au nom de l’Alliance Nouvelles voies. L’Alliance représente les six plus grands producteurs de sables bitumineux du Canada, soit Canadian Natural, Cenovus, ConocoPhillips Canada, Imperial, MEG Energy et Suncor. Ensemble, nos six entreprises exploitent 95 % de la production de sables bitumineux au Canada. Cela représente plus de trois millions de barils par jour.
Le secteur des sables bitumineux représente environ 3 % du produit intérieur brut, ou PIB, total du Canada et représente 255 000 emplois directs et indirects. L’an dernier, le secteur a versé plus de 20 milliards de dollars en impôts et en redevances à tous les ordres de gouvernement au Canada.
Nous sommes fiers de notre contribution à l’économie canadienne, mais nous reconnaissons aussi que nous sommes d’importants émetteurs de gaz à effet de serre. C’est pourquoi, en 2021, nos six entreprises se sont réunies pour s’engager conjointement à atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
Notre industrie a déjà fait des progrès importants dans la réduction des émissions. Nous avons réduit l’intensité de nos émissions, ou nos émissions par baril, de 23 % entre 2009 et 2022.
Mais pour aller plus loin dans la réduction des émissions afin d’atteindre le genre d’objectifs ambitieux que le Canada s’est fixés pour 2030 et la cible ultime de carboneutralité d’ici 2050, il ne suffira pas d’en arriver à des améliorations progressives de l’intensité d’une année à l’autre, mais il faudra des changements significatifs dans notre rendement en matière d’émissions. C’est pourquoi nos entreprises s’engagent non seulement à réduire leurs émissions à long terme, mais aussi à collaborer à ce qui serait l’un des plus grands réseaux de captage et de stockage du carbone au monde dans le Nord de l’Alberta.
Le projet de l’Alliance Nouvelles voies comprendrait l’installation d’unités de captage du carbone dans 14 projets de sables bitumineux, la construction d’un pipeline de 400 kilomètres de long entre Fort McMurray et Cold Lake, puis le stockage du dioxyde de carbone de ces 14 sites en profondeur dans des aquifères salins.
Le captage du carbone est la seule façon de réduire de façon significative les émissions de gaz à effet de serre produites par l’exploitation des sables bitumineux d’ici 2030. D’autres technologies — qu’il s’agisse des petits réacteurs modulaires, de l’utilisation accrue de solvants dans l’exploitation des sables bitumineux ou de l’utilisation d’hydrogène pour la production de vapeur — pourraient être envisageables à long terme, mais elles ne sont pas disponibles sur le marché aujourd’hui.
Nous croyons qu’il est possible — et que cela relève de la responsabilité du Canada à l’échelle mondiale — d’être un fournisseur de pétrole sûr, fiable et respectueux des valeurs démocratiques sur les marchés mondiaux aussi longtemps que la demande existera, tout en continuant de réduire les émissions produites par nos activités jusqu’à la carboneutralité.
Pour ce faire, nous devons travailler avec vous. Pour que les gouvernements et l’industrie puissent s’acquitter de leurs obligations pour 2030 et 2050, il faut des partenariats entre l’industrie, les gouvernements fédéral et provinciaux, les Premières Nations et les communautés autochtones, ainsi qu’avec les prêteurs et les investisseurs comme les institutions financières du Canada. Pour réussir, il faut travailler ensemble.
Malheureusement, à notre avis, le projet de loi S-243 rendrait ce genre de partenariat plus difficile. En imposant des restrictions au financement du pétrole et du gaz en général, ce projet de loi pourrait, en fait, limiter les progrès que nous devons réaliser vers un avenir carboneutre. Une pondération de risque de 1 250 % sur tout nouveau financement de l’exploitation pétrolière et gazière et de 150 % sur l’infrastructure pétrolière et gazière existante rendra difficile le financement précis de l’infrastructure propre dont nos entreprises ont besoin.
De plus, l’exigence selon laquelle les plans de lutte contre les changements climatiques des institutions financières ne peuvent pas inclure le captage et le stockage du carbone à grande échelle pourrait empêcher les institutions financières du Canada d’investir dans des projets de décarbonation comme celui de l’Alliance, qui serait l’un des plus grands projets de captage et de stockage du carbone au monde, ou même d’agir à titre de prêteurs auprès des Premières Nations qui pourraient vouloir devenir des partenaires financiers du projet de l’Alliance.
Le captage et le stockage du carbone est un élément essentiel de toute feuille de route pour atteindre la carboneutralité. En fait, l’Agence internationale de l’énergie, ou AIE, et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC, des Nations unies, plaident en faveur du captage et du stockage d’environ 8 à 15 milliards de tonnes de carbone d’ici 2050 pour que le monde atteigne la carboneutralité. C’est mille fois la cible du projet de l’Alliance. Le Canada peut être un chef de file dans cette transformation, mais seulement si nous réalisons les projets.
Le captage du carbone est une technologie éprouvée à l’heure actuelle. L’Ouest canadien compte quatre grandes installations de captage du carbone — deux en Saskatchewan et deux en Alberta — qui ont déjà permis de séquestrer 40 millions de tonnes de dioxyde de carbone. Le projet de l’Alliance permettrait de passer à un niveau supérieur, et il est important que les institutions financières du Canada puissent devenir des partenaires dans ce genre de projets de technologies de réduction des émissions.
Nous croyons qu’il existe déjà d’importants mécanismes de reddition de comptes financiers mis au point par des organismes de réglementation comme le Bureau du surintendant des institutions financières et des instances internationales comme le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques et les Normes internationales d’information financière, ou IFRS. Nous craignons que ce projet de loi du Sénat ne puisse que semer la confusion dans un contexte de rapports financiers déjà complexe.
Nous espérons que le Sénat pourra travailler avec l’industrie — que ce soit dans le secteur pétrolier et gazier ou dans le secteur financier — pour atteindre notre objectif commun de carboneutralité, plutôt que de mettre en place de nouvelles mesures qui pourraient, en fait, entraver les progrès en matière de climat. Sur ce, je suis prêt à répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Cameron.
Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Cameron, d’être ici. Je vais commencer par citer une déclaration de votre président :
Les changements climatiques sont un défi majeur, et l’industrie des sables bitumineux a un rôle essentiel à jouer dans la réduction des émissions provenant des activités d’exploitation. Notre objectif de carboneutralité aidera notre pays à assurer un avenir durable.
Je conviens que c’est un énorme défi, et nous savons tous que nous devons nous attaquer aux changements climatiques. Pouvez-vous nous en dire plus sur les avantages de ce projet de loi pour vous aider à y arriver ou les préoccupations qu’il soulève pour vous, et pourquoi tant de personnes estiment-elles que nous prenons du retard et que nous ne nous attaquons pas de façon proactive à des enjeux clés de façon à nous rapprocher de nos objectifs?
M. Cameron : Ce qui nous préoccupe, c’est que le projet de loi prévoit deux ou trois mesures qui appliqueraient une pondération supplémentaire au secteur pétrolier et gazier et qui limiteraient la capacité d’inclure le captage du carbone dans les plans de lutte contre les changements climatiques des institutions financières. Nous pensons que ces mesures auraient l’effet contraire de l’intention prévue. Nous sommes absolument convaincus que le gouvernement a un rôle à jouer pour aider à lancer ces projets. Les crédits d’impôt à l’investissement que le gouvernement actuel a mis de l’avant et le programme d’encouragement au captage du carbone de l’Alberta que le gouvernement de cette province met en œuvre sont des exemples de ce genre de mesures.
La politique relative aux contrats sur différence que le gouvernement a annoncée est une autre mesure qui, selon nous, pourrait être utile. Le système de tarification du carbone, en général, incite à la fois à réduire les émissions et à surperformer en captant les émissions et en vendant les crédits ainsi accumulés. Il y a donc un certain nombre de mesures en place qui aident à atteindre cet objectif. Malheureusement, je pense que le Canada n’a pas le même genre d’incitatif que les États-Unis avec l’Inflation Reduction Act ou que l’Europe avec son New Deal vert. Nous avons une fondation au Canada, mais ce genre de mesure législative qui rendra plus difficile pour les institutions financières d’investir dans ces projets n’aidera pas.
La sénatrice Marshall : Vous n’appuyez donc pas le projet de loi, mais nous devons quand même atteindre la carboneutralité. Quels sont les obstacles? Vous disiez que le Canada n’est pas aussi progressiste que certains pays européens. Vous savez, le projet de loi prévoit plein de crédits d’impôt pour nous aider à atteindre la carboneutralité. Qu’est-ce qu’il nous manque?
M. Cameron : Nous appuyons les crédits d’impôt à l’investissement prévus dans le projet de loi C-59 à la Chambre. Nous aimerions que des améliorations ou des modifications soient encore apportées, mais dans l’ensemble, c’est un programme très positif.
Le gouvernement fédéral dit qu’il accordera une déduction de 50 % pour les projets de captage du carbone. C’est un pas dans la bonne direction, mais ce n’est toutefois pas comparable à ce que font les États-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège. Dans ces pays, des incitatifs financiers plus généreux sont offerts pour le captage du carbone. Comme je l’ai dit, le captage du carbone est une technologie éprouvée, mais elle coûte cher. C’est difficile dans des industries comme la nôtre parce que nous devons être concurrentiels à l’échelle mondiale. Nous ne pouvons pas exiger plus pour un baril de pétrole parce qu’il y a captage du carbone, et un producteur d’acier ne peut pas exiger plus pour l’acier parce qu’il y a captage du carbone, et c’est la même chose pour un producteur de ciment ou d’engrais. Nous devons offrir des incitatifs qui nous permettent de demeurer concurrentiels à l’échelle mondiale.
La sénatrice Marshall : Qu’en est-il des incitatifs fiscaux prévus dans le projet de loi d’exécution du budget? Je pense qu’il y en a peut-être un ou deux qui sont sur le point d’être mis en œuvre ou qui l’ont été, mais il y en a quatre, cinq ou six qui ne l’ont pas encore été. Est-ce un obstacle?
M. Cameron : C’est le calendrier de mise en œuvre qui pose problème. Si les crédits d’impôt à l’investissement étaient déjà en place, les projets pourraient déjà commencer à progresser plus rapidement. Il y a d’autres mesures à envisager, comme les contrats sur différence pour la réduction des émissions de carbone et le Carbon Capture Incentive Program de l’Alberta, parce que la plupart des projets sont en Alberta. Il nous faut tout un train de mesures.
Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Cameron, d’être des nôtres aujourd’hui. Je me range aux arguments que vous faites valoir pour expliquer que le projet de loi actuel est difficile à accepter; cela ne me pose aucun problème.
Cela dit, je me pose les mêmes questions. Pourquoi ne pas réduire? Pourquoi mettre autant l’accent sur le gouvernement? En fait, il y a environ un mois et demi, le ministre était très fâché lorsqu’il a dit que l’industrie devait se présenter à la table. On parle de 16 milliards de dollars. Vous voulez l’aide du crédit d’impôt à l’investissement et tous les autres. Que se passe-t-il? De quoi s’agit-il? Vous dites que c’est prouvé. La technologie n’a pas fait toutes ses preuves. La technologie dont vous avez besoin est expérimentale et n’a pas fonctionné dans certains secteurs. Certains alimentent la conjecture en disant que vous mettez une éternité à bouger. Vous chercheriez à retarder votre décision en attendant les élections. Que leur répondez-vous?
M. Cameron : Vous soulevez plusieurs points. Premièrement, nous n’attendons pas. Nous avons déjà déposé notre demande réglementaire pour le pipeline en mars. Nous faisons des travaux d’ingénierie de base, ou FEED, et des travaux préalables sur les projets de captage du carbone et le pipeline; nous menons des consultations avec les Autochtones dans toute la région. Nous avons probablement dépensé 100 millions de dollars l’an dernier et en dépenserons encore 100 millions cette année uniquement pour les aspects de développement préalable du projet.
Pour en arriver à une décision finale en matière d’investissement, il nous faut toutes les mesures financières dont nous avons parlé. Nous sommes toujours en discussion avec les gouvernements fédéral et provinciaux à ce sujet. Il s’agit d’une technologie éprouvée, particulièrement dans le secteur dont nous parlons dans la couche de basalte précambrienne, dans le nord de l’Alberta. Nous avons déjà le projet Quest de Shell pour le captage et le stockage du carbone dans la même formation géologique. Il a pu capter du dioxyde de carbone. Oui, il y a des projets ailleurs dans le monde qui n’ont pas fonctionné, mais leur géologie est différente de celle du Nord de l’Alberta et de la Saskatchewan, qui ont la meilleure géologie pour le captage du carbone en Amérique du Nord, sinon dans le monde.
Le sénateur Massicotte : Qui survivra au bout du compte? C’est le produit le moins cher qui survivra. Dans le cas d’une entreprise, on dit qu’il faut y arriver. Suncor réalise un profit de 1 milliard de dollars par trimestre, après impôt, etc. Pourquoi ne pouvez-vous pas en financer davantage vous-même? Pourquoi est-ce toujours la faute de quelqu’un d’autre?
M. Cameron : Nos entreprises envisagent d’investir des sommes importantes dans ces projets. Nous investirions plus de 16 milliards de dollars en capital, et pourrions espérer en récupérer les deux tiers en crédits d’impôt. Mais s’il y a des dépassements de coûts et ainsi de suite, c’est notre responsabilité. Nous investissons beaucoup dans ces projets qui ne produisent rien de plus. Ces produits sont essentiels...
Le sénateur Massicotte : Et c’est confirmé? Le public sait cela? Vous avez dit que c’est décidé. La décision est-elle ferme? Allez-vous produire et lancer les projets?
M. Cameron : Les projets ne sont pas encore au stade de la décision finale en matière d’investissement parce que nous n’avons pas tous ces différents éléments en place, mais c’est bien l’intention. Les entreprises mettront leur argent sur la table, mais, espérons-le, elles collaboreront également avec les gouvernements fédéral et provincial.
Le sénateur C. Deacon : J’aimerais poursuivre dans la même veine que le sénateur Massicotte. Les marchés mondiaux dominent. Le pétrole le plus cher n’est pas celui qui sera acheté et qui pourrait augmenter de valeur avec le temps. Nos banques prêtent pour le long terme. Si un actif perd de la valeur, cela pourrait présenter un risque prudentiel que la banque ne reconnaît pas nécessairement parce qu’elle peut ne pas prévoir cette réduction de prix au départ.
J’aimerais vraiment savoir comment vous voyez l’évaluation correcte de ce risque sur les marchés aujourd’hui de manière à ne pas créer un nouveau risque prudentiel à cause de cela.
M. Cameron : C’est une excellente question. Je pense qu’il y a pas mal d’incompréhension quant à la façon dont les sables bitumineux canadiens se comparent aux autres réserves de pétrole dans le monde.
Dans le cas des sables bitumineux, contrairement au forage classique, on ne fore pas un millier de puits pour se retrouver à sec avec 500 et trouver du pétrole avec 200. On sait où se trouve la ressource. Il s’agit d’investir les capitaux pour l’extraire. Le gros des capitaux est déjà investi. Il s’agit en fait de réduire les coûts d’exploitation à long terme. Sur ce plan, les sables bitumineux sont très concurrentiels.
Il y a un bon article de Kent Fellows de l’Université de Calgary intitulé Last Barrel Standing?. Cela a été fait pour l’Institut C.D. Howe. Essentiellement, il compare les sables bitumineux canadiens à d’autres réserves comme celle du Permien, où il faut continuer d’explorer et d’investir de nouveaux capitaux année après année. Dans le cas des sables bitumineux, les capitaux ont été investis dans les années 1990, et il s’agit maintenant de réduire les coûts d’exploitation et de montrer qu’ils sont concurrentiels à long terme avec ceux d’autres territoires.
Le sénateur C. Deacon : En ce qui concerne les investissements que vous faites dans le captage et le stockage du carbone, quelles seront les retombées technologiques pour notre pays? Pour faire partie de la solution, il vous suffirait de réduire vos propres émissions — une réduction est ce dont nous avons désespérément besoin pour atteindre nos objectifs —, ou encore d’utiliser ces mêmes innovations pour commencer à réduire les émissions partout dans le monde ou ailleurs.
M. Cameron : Voilà une excellente question. L’Alberta est déjà une chef de file dans ce domaine. Beaucoup d’entreprises de technologie viennent de l’Alberta et du Canada. Carbon Engineering a vu le jour en Alberta, est basée en Colombie-Britannique et a maintenant déménagé aux États-Unis, mais elle était une entreprise novatrice de captage direct dans l’air. Svante travaille à un captage du carbone de deuxième génération, un différent type de filtre. Nous voyons apparaître de nouvelles entreprises qui pourront ensuite vendre leur expertise de par le monde. De plus, le Canada a beaucoup d’expérience du sous-sol. Nous avons des géologues, des consultants, etc., qui peuvent ensuite aller en Indonésie, au Brésil ou ailleurs aider à lancer des projets de captage du carbone dans ces pays. Le potentiel est énorme.
Le sénateur Gignac : Bienvenue à notre témoin. Je ne suis pas un expert en captage du carbone, mais je sais que des études montrent, comme le sénateur Massicotte l’a mentionné, que nous avons besoin de beaucoup de fonds publics pour financer un projet. En fait, le projet phare de Shell sur le captage du carbone a conclu un assez bon accord avec le gouvernement de l’Alberta, un accord de deux pour un que Greenpeace a qualifié de « crédit fantôme ». L’Alberta a donné beaucoup d’argent.
Croyez-vous que la taxe sur le carbone soit une façon d’éliminer progressivement les subventions aux sables bitumineux? Autrement dit, si la taxe sur le carbone augmente, la rentabilité suivra et le gouvernement fédéral et celui de l’Alberta auront besoin de moins d’argent pour faire leurs frais. Pourriez-vous m’expliquer cela? Je ne suis pas un expert.
M. Cameron : Oui, absolument. La tarification du carbone fait partie de la solution. En 2030, si le prix du carbone atteint 170 $ la tonne, nous aurons un incitatif de 170 $ pour réduire nos émissions. L’une des raisons pour lesquelles l’accord Quest prévoyait des crédits de deux pour un, ce qui était bien connu à l’époque — il n’y avait pas de secret; c’était un accord négocié en 2015 —, c’est qu’à ce moment-là, le prix du carbone n’était que d’environ 30 $, 40 $ ou 50 $. Les crédits doubles leur ont donné suffisamment d’incitatifs pour aller de l’avant et réaliser le projet. La tarification du carbone fait absolument partie de la solution.
Le sénateur Gignac : Essentiellement, cela aidera le modèle si la taxe sur le carbone augmente à faire ses frais et nécessitera moins d’argent des contribuables. C’est aussi simple que cela.
M. Cameron : Ce n’est pas aussi simple que cela parce que cela impose un fardeau au reste de notre production. Il y a bien un moment idéal où c’est suffisant pour encourager la décarbonisation, sans que cela ne nous rende moins concurrentiels à l’échelle mondiale. C’est l’équilibre qu’il faut trouver.
La sénatrice Petten : Une analyse de l’Institut Pembina démontre que, malgré les profits records des dernières années, l’industrie des sables bitumineux n’investit pas dans des efforts de décarbonisation alignés sur les engagements climatiques. Je me demande quels progrès l’Alliance Nouvelles voies a réalisés en fait de mesures de décarbonisation.
M. Cameron : Comme je l’ai mentionné, depuis 2009, l’industrie a réduit de 23 % l’intensité carbonique par baril. Il y a toutes sortes de projets technologiques en cours et toutes sortes de mesures d’efficacité énergétique pour réduire l’intensité carbonique, mais cela a réduit l’intensité carbonique alors que la production augmentait, de sorte que les émissions nettes ont continué d’augmenter.
Pour réduire les émissions à grande échelle, nous avons besoin de changements technologiques graduels, dont le CSC, c’est-à-dire le captage et le stockage du carbone, est le premier, mais il y a l’hydrogène, les petits réacteurs modulaires et d’autres technologies qui pourraient être utilisées dans les années 2030 ou 2040. Il y a toutes sortes d’initiatives en cours. Par exemple, Suncor est en train de remplacer ses anciennes chaudières à coke par une cogénération efficace au gaz naturel. À lui seul, ce projet promet une réduction d’environ deux ou trois mégatonnes.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous écoute, monsieur Cameron, et en tout respect, il me semble qu’il n’y a pas mal de contradictions dans votre discours. L’industrie pétrolière est la plus grande polluante et elle nous empêche d’atteindre nos objectifs en matière de climat. Vous n’arrivez pas à diminuer cela parce que la production augmente encore et encore, parce que comme vous voulez faire des profits, vous voulez vendre le plus possible. Ensuite, vous dites que la capture du carbone est une solution, vous réclamez des subventions pour réussir à continuer de vendre plus. Tout cela est assez difficile à comprendre pour un citoyen ordinaire qui croit à un environnement propre et qui se dit : « Pourquoi ne pas diminuer la production? »
Pourquoi ne pas payer pour devenir plus propre? D’autant plus que la capture du carbone, comme l’a dit mon collègue, n’est pas une façon non controversée de diminuer vos émissions. On se demande si la technologie va suivre vos ambitions. Comment vous débattez-vous dans ces contradictions qui sont difficiles à suivre et à accepter?
[Traduction]
M. Cameron : Merci beaucoup de votre question, madame. La question est fondamentale : comment le Canada doit-il chercher à réduire ses émissions? Devons-nous chercher à réduire les émissions provenant de la production réelle au Canada ou voulons-nous réduire les émissions du produit sous-jacent? S’il cessait de vendre quatre millions de barils de pétrole par jour, le Canada les remplacerait par du pétrole du Venezuela, de l’Arabie saoudite, de l’Iran et des autres pays producteurs. À l’heure actuelle, ce pétrole est en grande demande, surtout de la part des raffineries du Midwest américain, qui sont conçues pour les sables bitumineux canadiens. En fait, les seuls substituts possibles sont le Venezuela et le Mexique.
Il y a une demande pour le pétrole. Le Canada est l’un des pays les plus sûrs, les plus démocratiques et les plus respectueux des droits de la personne et les normes du travail les plus rigoureuses de tous les pays producteurs de pétrole. Les statistiques vous révéleront que le Canada et la Norvège se classent au premier et au deuxième rang partout. Où le pétrole devrait-il être produit si ce n’est au Canada? Comme je l’ai dit, le pétrole constitue 3 % du PIB du Canada. C’est 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 250 000 emplois. Et ce, dans le secteur des sables bitumineux seulement; le secteur conventionnel en compte autant. Tel est le choix que le Canada doit faire.
Le sénateur Yussuff : Merci, monsieur Cameron, d’être ici. Vous avez un travail difficile, et je ne vous envie pas pour les efforts que vous faites à l’Alliance Nouvelles voies, mais je suis certain que ce message vous est familier, alors je ne vais pas répéter des choses que vous avez déjà entendues.
Il y a un sentiment de frustration au sujet de la lenteur de la décarbonisation par l’industrie. Il vous a fallu beaucoup de temps pour vous réveiller et reconnaître que les choses étaient en train de changer. Malheureusement, il n’est pas toujours possible de faire ce que l’on veut selon son propre échéancier. J’avoue que je vieillis, ce qui signifie dans les faits que je dois ajuster ma vision concernant beaucoup de mes réflexions et de mes actions.
Ce que je veux dire, tout simplement, c’est que les contribuables ne peuvent pas financer à eux seuls les changements qui sont nécessaires. Je reconnais qu’ils pourraient jouer un rôle, et c’est là qu’entre en jeu le gouvernement fédéral. Par ailleurs, lorsque les Canadiens regardent leurs institutions financières dans ce pays, ils se disent qu’elles doivent jouer un rôle dans la décarbonisation de notre économie, et nous pensons que vous devez déployer davantage d’efforts pour divulguer ce que vous faites à cet égard. Il en va de même pour les fonds de pension.
Comment conciliez-vous le défi que vous devez relever pour obtenir des ressources pour financer la décarbonisation, tout en obtenant l’appui du public pour ce que vous essayez de faire en matière de décarbonisation de votre industrie?
M. Cameron : Je pense qu’il est tout à fait légitime d’examiner le secteur financier et de se demander comment il peut aider à financer la décarbonisation et à atteindre la carboneutralité. La plupart des banques canadiennes ont adhéré à la Glasgow Financial Alliance for Net Zero. La question que nous nous posons au sujet de ce projet de loi, c’est que certaines des mesures prévues pourraient, à notre avis, compliquer les choses si le captage du carbone est exclu comme moyen d’atteindre ces cibles ou s’il y a pondération des risques pour toute la production pétrolière et gazière. À tout le moins, les projets pétroliers et gaziers qui visent la décarbonisation ne devraient pas être assujettis à ce genre de restrictions.
Autrement, il y a essentiellement deux façons de décarboniser au niveau industriel, c’est-à-dire en construisant de nouvelles industries propres, ou en procédant au nettoyage des industries polluantes existantes. En excluant ce deuxième type d’investissements du portefeuille, on se prive de la moitié des outils de la boîte à outils.
Le sénateur Yussuff : Monsieur Cameron, il est très important pour nous de reconnaître que les banques ne sont pas des institutions publiques, mais bien privées. Les actionnaires pourraient décider demain matin qu’ils ne veulent plus prendre le risque. Ce que je veux dire, c’est que l’industrie doit trouver une façon de faire ce que vous tentez de faire d’une manière qui pourrait encore représenter comment vous atteindrez l’objectif au bout du compte, que ce soit dans le cadre de ce projet de loi ou autrement.
M. Cameron : C’est exactement ce que nous essayons de faire. Nous essayons de déterminer la voie à suivre pour atteindre la carboneutralité, la première phase de cela étant le plus grand projet de captage du carbone au monde dans le Nord de l’Alberta.
Le sénateur Varone : Merci, monsieur Cameron, d’être ici. Les changements climatiques sont réels. Le risque climatique est réel. Je comprends ce que vous dites au sujet du projet de loi, mais ce que je retiens, c’est la question de l’échéancier. La carboneutralité d’ici 2030 est problématique pour l’Alliance Nouvelles voies. Expliquez-moi ce qui est moins problématique. Jusqu’où êtes-vous prêts à aller pour atteindre les objectifs énoncés dans le projet de loi?
M. Cameron : Je pense que l’atteinte de la carboneutralité en 2030 est impossible pour à peu près n’importe quelle industrie. Je crois que la plupart des industries ont un horizon de 2050 pour y arriver. Une partie de la question a trait à la définition de la carboneutralité. Nous pensons pouvoir atteindre la carboneutralité grâce à nos activités, mais nous produirons quand même encore du pétrole en 2050. Selon certaines définitions de la carboneutralité, il ne devrait plus y avoir de production de pétrole en 2050 ou seulement 20 millions de barils par jour ou quelque chose du genre. Si c’est la définition de la carboneutralité, elle ne fonctionnera pas pour notre industrie. Mais une définition qui dit que notre industrie ne devrait pas avoir d’émissions nettes provenant de sa production correspond à ce que nous visons. C’est un objectif extrêmement difficile à atteindre, mais nous pensons que nous y parviendrons d’ici 2050. Il faut toutefois déployer des efforts substantiels dès maintenant, et ne pas attendre jusqu’en 2045.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui. J’aimerais aborder d’autres types de risques, les phénomènes météorologiques extrêmes se rapprochant beaucoup de la région où les sables bitumineux sont exploités — sécheresses, feux de forêt — et Fort McMurray ayant été dévastée l’an dernier. Il y a aussi d’autres types de risques. Par exemple, tout ce qui se passe aux États-Unis arrive au Canada à un moment donné.
À l’heure actuelle, aux États-Unis, les litiges représentent un risque très concret. Je suis certaine que vous savez que le Congrès a mené une étude, qu’il est en train de faire des recherches au sujet des sociétés pétrolières — ce qu’elles savaient, comment elles le savaient —, et qu’il y a 2 300 dossiers litigieux, ce qui constitue un argument très convaincant.
J’aimerais que vous réagissiez à cela, mais d’abord je veux revenir au fonds souverain de la Norvège dont nous a parlé un témoin précédent, en nous disant que nous devrions nous comparer à cela et que ce fonds sert à financer la transition. Étant donné que mes collègues se demandent tous d’où devrait provenir l’argent, quelle est votre réaction à cette affirmation?
M. Cameron : Je ne peux pas vraiment me prononcer sur les litiges aux États-Unis concernant ce que les sociétés pétrolières américaines savaient en 1985, ou je ne sais quoi, au sujet des changements climatiques. Je dirais que les sociétés pétrolières canadiennes, en particulier dans le secteur des sables bitumineux, reconnaissent depuis longtemps la réalité des changements climatiques et se sont attaquées à la tâche. C’est la raison pour laquelle l’Alliance Nouvelles voies a été créée. Ces entreprises ont toutes pris un engagement commun envers la carboneutralité et elles disent toutes que les changements climatiques sont un problème grave.
La deuxième partie de votre question portait sur le fonds souverain norvégien. L’Alberta a l’Alberta Heritage Savings Trust Fund. On n’y a pas investi autant d’argent que la Norvège dans son fonds souverain, mais ce principe est très fort. De toute évidence, nous pensons que l’une des façons pour notre industrie de contribuer à cela, c’est par les impôts et les redevances, que nous payons plus que toute autre industrie, sauf peut-être les banques.
L’an dernier, je crois que le gouvernement de l’Alberta a reçu 17 milliards de dollars en redevances sur le bitume. C’est donc en partie la raison pour laquelle nous demandons un investissement public dans ces projets. Nous sommes le plus important fournisseur de revenus et de redevances parmi toutes les industries.
Le sénateur Loffreda : Monsieur Cameron, vous avez dit que l’industrie pétrolière canadienne a compris la réalité des changements climatiques, et nous croyons tous fermement, y compris vous-même, que nous devons lutter énergiquement pour en venir à bout. Ce projet de loi vous permettrait-il d’investir dans les sources d’énergie renouvelable, la mise en place de technologies de captage et de stockage du carbone et l’adaptation ou l’adoption de pratiques de production plus propres, qui sont inévitables, ou accélérerait-il les progrès en ce sens? Cela doit être notre objectif à tous. Ce projet de loi va-t-il vous aider à y arriver?
Enfin, pouvez-vous nous dire comment le projet de loi s’harmonise avec ces objectifs et s’il facilitera la transition vers des pratiques énergétiques plus propres?
M. Cameron : Le projet de loi pourrait entraîner de plus grands investissements dans certaines formes d’énergie propre, comme les énergies renouvelables, mais pour les autres choses que vous avez abordées, comme le captage du carbone ou les procédés industriels propres, il aura l’effet contraire. Essentiellement, les projets pétroliers et gaziers, même ceux qui réduisent les émissions, seraient bloqués par les banques. Pour nous, c’est le risque que présente ce projet de loi.
La présidente : Toujours dans la même veine, je crois que vous avez parlé du captage du carbone et de son exclusion du processus. Y a-t-il d’autres exemples? Je pose toujours la même question. Les banques financent les activités pétrolières et gazières, mais elles financent également des activités de transition par ce même secteur.
M. Cameron : Exactement.
La présidente : Cela veut-il dire qu’avec ces restrictions, nous perdrons deux types d’accès au financement?
M. Cameron : C’est le risque que présente le projet de loi parce qu’il prévoit que pour une nouvelle production, il y aurait une pondération du risque de 1 250 %, et pour une production existante, une pondération du risque de 150 %. Est-ce que cela signifie que si quelqu’un lance un nouveau projet plus propre qu’un ancien, il ne sera plus en mesure de le financer? Voilà le défi qui se pose. Je sais que le Conseil d’action en matière de finance durable, ou CAFD, travaille à la définition du financement transitoire, alors je pense qu’il serait bon d’examiner ce qui est transitoire par rapport à ce qui existe déjà.
La présidente : Cette distinction n’est pas claire non plus. C’est ce qui m’inquiète.
La sénatrice Marshall : J’aimerais revenir sur la question de l’argent. La plupart des technologies dont vous avez besoin maintenant pour atteindre la carboneutralité ne sont pas encore mises au point. D’où viendra l’argent? Vous avez dit avoir besoin de plus d’investissements publics. Je pense que le gouvernement fédéral arrive au bout de sa capacité d’apporter une aide significative. Il existe déjà six ou sept crédits d’impôt, qui n’ont pas encore été tous mis en œuvre.
L’industrie est-elle en mesure de financer elle-même une bonne partie de ces activités? Je ne vois tout simplement pas comment les contribuables pourraient investir plus d’argent dans une technologie qui n’est qu’expérimentale.
M. Cameron : Je ne crois pas que cette technologie ne soit qu’expérimentale. Il s’agit en grande partie d’une technologie éprouvée. Je crois que nos six entreprises consacrent environ 1 milliard de dollars par année à la recherche environnementale, et une bonne partie de cette somme va à des projets concrets, comme le projet de remplacement des chaudières à coke de Suncor dont j’ai parlé, un projet de 1,5 ou 2 milliards de dollars. Il y a donc déjà de l’argent qui est investi par les entreprises. À l’heure actuelle, cet investissement entraîne des changements graduels de l’ordre de 1 % par année environ. Pour accélérer les changements, nous aurions besoin de quelque chose comme un grand réseau de captage du carbone ou de petits réacteurs modulaires qui coûtent des centaines de millions ou des milliards de dollars. Même pour des grandes entreprises comme les nôtres, ce sont des risques qui, selon nous, ne devraient pas être entièrement assumés par le secteur privé, surtout lorsque nos concurrents du monde entier obtiennent des investissements gouvernementaux beaucoup plus importants.
La sénatrice Marshall : Je comprends ce que vous dites, mais même si d’autres administrations aident davantage financièrement que nos gouvernements, je pense que notre gouvernement arrive à la limite de ce qu’il peut donner. C’est tout ce que je dis.
M. Cameron : Je me contenterai de signaler que nous n’avons pas reçu beaucoup d’argent du gouvernement fédéral. Pour le projet Quest de Shell dont il a été question plus tôt, environ 800 millions de dollars ont été fournis par l’Alberta et environ 150 millions de dollars par le gouvernement fédéral. Jusqu’à maintenant, aucun de ces crédits d’impôt n’est en place.
La présidente : Des sommes éventuelles, en effet.
Le sénateur Gignac : Monsieur Cameron, vous avez une carrière très impressionnante. Vous avez de l’expérience dans le secteur des affaires. Vous avez été conseiller principal en politiques auprès du premier ministre Harper. Vous avez des diplômes de l’Université McGill et de l’Université de la Colombie-Britannique, alors je peux reconnaître que vous comprenez notre environnement.
Nous essayons de défendre certaines choses ici. Beaucoup d’entre nous trouvent que le projet de loi va trop loin, qu’il est trop intrusif, mais l’idée est bonne. Le projet de loi va trop loin, mais nous essayons de trouver des solutions.
Pourriez-vous nous parler des fonds de pension? Les fonds de pension ont une période d’amortissement de 30, 40 ou 50 ans, et votre industrie joue un rôle important à ce chapitre. Elle crée de la richesse. Le Québec bénéficie des acquisitions, grâce à l’Alberta, mais il y a les changements climatiques. Nous devons faire quelque chose.
Y aurait-il une façon pour le fonds de pension du gouvernement fédéral de faire une différence? Ce gros fonds de pension investit dans l’énergie renouvelable en Chine et en Inde, mais il n’est pas très actif au Canada. Ce n’est pas exactement lié au projet de loi, mais puisque vous êtes là, pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Comment pouvons-nous y parvenir sans attaquer l’industrie pétrolière et gazière, tout en éliminant progressivement les subventions des contribuables?
M. Cameron : Excellente question. Comme représentant de grandes entreprises à la recherche de capitaux, je dirais qu’il serait bon que les grandes caisses de retraite jouent un rôle plus important au Canada, mais comme futur retraité, je ne sais pas jusqu’où je voudrais limiter leur capacité à investir et à obtenir le meilleur rendement possible. C’est une question d’équilibre.
Je sais que le gouvernement actuel s’y intéresse. Les fonds de pension sont actifs dans ce domaine. Wolf Midstream, qui est propriétaire de l’Alberta Carbon Trunk Line, l’un des projets en cours, appartient en fait majoritairement à l’OIRPC, l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada. Les fonds de pension sont actifs dans ce domaine, et nous discutons régulièrement avec leurs dirigeants, mais j’aime bien l’idée que les fonds de pension investissent dans des projets en fonction de leur bien-fondé.
Le sénateur Gignac : La question est la suivante : peut-il y avoir partage des risques comme dans le cas du Fonds de croissance du Canada Inc. avec Investissements PSP?
M. Cameron : Oui.
Le sénateur Gignac : Ce pourrait être la voie à suivre pour le gouvernement du Canada. Quoi qu’il en soit, 75 % du financement du captage se fait à même l’argent des contribuables. Nous dépensons donc déjà beaucoup d’argent public.
Avec le partage des risques — puisque la technologie va s’améliorer — et d’ici 10 ans, peut-être sera-t-il possible d’atteindre le seuil de rentabilité sans l’argent des contribuables. Je ne sais pas. Il faut trouver une solution.
M. Cameron : Non, je pense que nous serions tout à fait ouverts au partage des risques et des profits.
Nous ne cherchons pas à faire beaucoup d’argent avec ces projets. Nous avons dit au gouvernement que, en cas de rendements ultérieurs, nous serions heureux de partager les hausses comme les risques.
La présidente : Justement, au sujet des fonds de pension, nous nous nous sommes heurtés à beaucoup de résistance de la part de gens qui voulaient même venir en discuter ici parce qu’ils étaient très inquiets à l’idée que les gouvernements dictent aux établissements financiers — et, donc, aux investisseurs — comment placer leur argent. Comme vous le dites, vous voulez prendre votre retraite un jour, et vous voulez donc vous assurer que votre fonds de pension soit profitable pour que vous puissiez vous retirer et ne pas participer à ce qui serait un débat de politique publique.
Comment concilier tout cela?
M. Cameron : Je vous laisse le soin de répondre à cette question, mesdames et messieurs.
Oui, évidemment, le Canada possède certains des meilleurs fonds de pension au monde. Ils ont un horizon à long terme, et nous souhaitons effectivement les intéresser à notre secteur et, notamment, à certains projets de décarbonisation à long terme.
Mais je ne suis pas sûr de vouloir entrer dans le détail des restrictions géographiques ou autres qui s’appliqueraient aux investissements.
La présidente : C’est la question des mesures volontaires ou obligatoires...
M. Cameron : Oui.
La présidente : Je pense que c’est ce qui inquiète les gens.
Le sénateur C. Deacon : J’aimerais revenir sur ce point et sur ce que vous avez dit tout à l’heure, à savoir que les fonds de pension s’intéressent aux projets les plus valables, les moins risqués et les plus rentables.
Quel est le coût total par tonne de carbone séquestré selon la technologie que vous utilisez maintenant? Pas les coûts subventionnés, mais les coûts entièrement chiffrés.
M. Cameron : Il y a différentes façons de les calculer. Selon les calculs effectués par des groupes comme S&P Global et d’autres, cela se situerait probablement entre 200 et 250 $ la tonne, mais il y a d’autres façons de calculer.
Le sénateur C. Deacon : Compte tenu de la permanence et dûment vérifiés selon les normes mondiales les plus élevées?
M. Cameron : Oui. L’un des avantages réels du captage du carbone, notamment dans le nord de l’Alberta, c’est qu’une tonne enfouie dans le sol est vraiment stockée définitivement. C’est une forme beaucoup plus sûre de stockage du carbone que dans un arbre qui finira par brûler, pourrir ou finir dans de la tourbe, etc. C’est un stockage permanent.
Le sénateur C. Deacon : Compte tenu des projets actuels et de votre orientation, quel pourcentage d’émissions provenant des sables bitumineux aura-t-on capté et stocké à titre permanent et d’ici combien de temps?
M. Cameron : Au terme de la première étape de Nouvelles Voies, nous aurons probablement réduit nos émissions d’environ 20 % grâce au captage du carbone. Nous examinons aussi d’autres technologies en ce moment.
Le sénateur C. Deacon : Non pas selon l’intensité, mais selon les émissions totales...
M. Cameron : La première étape est la réduction complète des émissions. Nous pensons pouvoir atteindre 40 ou 50 mégatonnes.
Le sénateur C. Deacon : D’ici quand?
M. Cameron : D’ici les années 2040, pour environ la moitié de nos émissions.
Le sénateur C. Deacon : C’est encore loin.
M. Cameron : C’est encore loin, oui.
Le sénateur C. Deacon : C’est encore loin.
M. Cameron : Oui.
Le sénateur C. Deacon : Merci.
Le sénateur Massicotte : C’est aussi mon avis. Il y a de l’impatience dans l’air. Je continue de croire que la meilleure solution est le captage et le stockage du carbone et qu’il faut appuyer ces mesures, mais nous en avons assez de soutenir et de négocier sans qu’aucun accord soit conclu. Je voulais que vous le sachiez. Je pense qu’il est temps d’agir. Il est temps de se mettre en marche.
Dans l’un des rapports annuels que j’ai lus récemment, il est question du coût par baril et de la concurrence. Quels étaient ces chiffres? Vous vous en souvenez? C’était une réduction importante.
M. Cameron : Il faudrait que je sache de quel rapport annuel vous parlez.
L’un des enjeux est que les sables bitumineux du Canada sont une source à fort coût d’investissement et que, comme je vous l’ai dit, les coûts se situent surtout en amont, dans l’investissement en capital, et non en aval dans les frais d’exploitation. Mais nous sommes en concurrence à l’échelle mondiale, et, à l’heure actuelle, il n’y a pas de prix avantageux pour un produit à plus faible teneur en carbone.
Les investisseurs se tournent vers le Brésil, la Guyane et le Moyen-Orient. Le Canada doit donc être concurrentiel sur ce marché.
La présidente : Mes collègues vous ont parlé d’impatience dans l’air, et nous savons que ce sentiment est partagé par la population en général, mais quelles seraient les solutions de rechange? En fait, ce n’est pas votre travail. C’est celui de quelqu’un d’autre. Vous pouvez bien assainir vos propres activités et faire des progrès à cet égard, mais je ne crois pas qu’il y ait une solution de rechange compte tenu de la demande actuelle de pétrole et de gaz et de leur utilisation dans notre économie et à l’échelle mondiale.
M. Cameron : La demande de pétrole dépasse toujours les 100 millions de barils par jour. En fait, même la demande de charbon continue d’augmenter depuis quelques années. La demande de pétrole n’est pas près de disparaître.
Je dois également souligner que, même si les véhicules électriques atteignent les maximums prévus, cela ne réduira en réalité la demande de pétrole que d’environ 25 %. Si nous passions entièrement aux véhicules électriques d’ici les années 2030 ou 2040, on utiliserait encore du pétrole pour d’autres modes de transport qu’on ne peut pas remplacer par des batteries, et pour toutes sortes d’autres produits.
À notre avis, les sables bitumineux canadiens pourraient, à long terme, vraiment produire des produits sans émission, comme de l’asphalte, des fibres de carbone, etc., qui seront plus en demande dans l’avenir.
La présidente : Il faudrait aussi que les véhicules électriques puissent fonctionner dans le froid, ce qui n’est pas le cas.
Le sénateur Yussuff : L’expérience de la Saskatchewan en matière de captage du carbone est bien réelle. Le projet fonctionne, on l’a vu, mais le gros problème est qu’il fonctionne tant que la subvention est là. Enlevez la subvention, et tout s’arrête.
Ce que je veux souligner ici est que, comme mes collègues l’expriment aussi, les contribuables canadiens, les Canadiens en général, veulent savoir pendant encore combien de temps ces subventions vont être accordées.
On le constate en Saskatchewan, qui va devoir relever le défi. Avez-vous tiré des leçons de cette expérience et qu’est-ce que cela vous dit de l’avenir de votre projet?
M. Cameron : Certainement. Il y a quatre projets en cours. Il y a le projet de captage du carbone de Boundary Dam, qui est un projet d’exploitation du charbon en Saskatchewan.
Le sénateur Yussuff : J’y suis allé et j’ai vu comment cela fonctionnait.
M. Cameron : Ce projet nous a beaucoup appris sur les aspects techniques du captage du carbone, mais je crois que, sur le plan économique, le captage du carbone ne produit pas plus d’électricité ou de pétrole; il s’agit simplement de nettoyer le procédé, et c’est très coûteux. Il faut trouver un moyen de tarifer l’externalité, comme la tarification du carbone ou quelque chose de ce genre, qui fait office d’incitatif.
Au final, on peut, au choix, subventionner, réglementer ou offrir un incitatif fondé sur les prix. Ce sont vraiment les trois seuls moyens de changer les comportements.
Le sénateur Yussuff : Vous devez donc tenir compte de cette expérience, de l’expérience de votre projet et de l’impatience de la population concernant la subvention, parce que tout pourrait changer. Si les subventions sont retirées, qu’arrivera-t-il à votre projet?
M. Cameron : S’il n’y avait pas de subventions, comme le crédit d’impôt à l’investissement ou le Carbon Capture Incentive Program de l’Alberta, ces projets n’existeraient pas. Le choix serait alors de continuer à produire avec des émissions plus élevées ou d’arrêter la production. C’est le choix qu’il nous reste.
La présidente : Ni l’une ni l’autre de ces solutions ne permet d’aller plus loin ni ne règle le problème.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais poursuivre la conversation sur cette fascinante question du captage du carbone.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, les sociétés pétrolières et gazières doivent commencer à renoncer à l’idée illusoire que le captage du carbone est une solution réaliste. Je vais citer John Moffet, sous-ministre adjoint à Environnement et Changement climatique Canada, qui a témoigné devant notre Comité de l’énergie :
Le grand problème dont nous entendons parler est qu’il s’agit d’un moyen très coûteux de continuer à produire du pétrole et du gaz [...] À un moment donné, le monde entier doit cesser d’utiliser le pétrole et le gaz.
Ce n’est pas vraiment une question technique, mais plutôt une question de risque moral. Devrait-on aller dans ce sens et permettre que l’on continue d’utiliser du pétrole et du gaz? C’est un fonctionnaire qui parle. Il soulève la question du risque moral. Vous posez-vous cette question?
M. Cameron : Comme je l’ai dit, c’est une question fondamentale. Je pense que la réponse doit venir des décideurs, et non des entreprises du secteur.
La sénatrice Miville-Dechêne : Mais vous êtes un citoyen.
M. Cameron : Oui, bien sûr. Il y a une demande mondiale de pétrole. À hauteur de plus de 100 millions de barils par jour. En fait, elle continue d’augmenter. Le Canada doit-il répondre à cette demande mondiale ou doit-il plutôt — par souci de sa responsabilité climatique — commencer à cesser la production avant que d’autres pays ne le fassent et en paie l’énorme prix économique?
Les consommateurs et les citoyens s’impatientent peut-être des subventions versées pour le captage du carbone. Si nous perdions 250 000 emplois, 20 milliards de dollars de revenus et 3 % de notre PIB, je crois qu’ils seraient encore plus mécontents.
La présidente : Nous allons en rester là. Merci beaucoup de votre présence parmi nous aujourd’hui, monsieur Cameron.
Je tiens à rappeler à mes collègues que nous aurons maintenant une pause, après quoi nous passerons à l’étude du budget. Nous avons énormément de contraintes de temps pendant ces réunions.
Je vous demande à tous de vous préparer. Nous avons un plan pour essayer de respecter l’échéancier. Tout le monde ne participera pas à toutes les sections. Combien de sections avons-nous déjà? Seize. Il y aura beaucoup de travail à faire au cours des deux ou trois prochaines semaines jusqu’au 10 juin.
Le sénateur Massicotte : J’ai remarqué que quatre ou cinq de mes collègues regardent cette petite machine quand ils posent une question. Et ils ont l’air tellement intelligents. Est-ce qu’on peut acheter cela quelque part?
La présidente : Je crois que c’est fait à base de pétrole et de gaz, sénateur Massicotte. Vous risquez d’avoir des problèmes.
Merci, chers collègues. Merci encore à M. Cameron. Au plaisir de vous revoir dans une semaine.
(La séance est levée.)