LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 26 septembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (fiducie réputée — fruits et légumes périssables).
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Bonjour à tous et bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente du comité.
J’aimerais faire un rappel à tous concernant les microphones. Veuillez vous assurer de garder votre oreillette loin de tous les microphones en tout temps.
J’aimerais présenter les membres du comité qui sont présents ici aujourd’hui : le sénateur Loffreda, qui est le vice-président; la sénatrice Bellemare; le sénateur Deacon, de la Nouvelle-Écosse; la sénatrice Marshall; la sénatrice Martin; le sénateur Massicotte; le sénateur McNair; la sénatrice Ringuette; le sénateur Varone; et le sénateur Yussuff.
Aujourd’hui, nous poursuivrons notre examen du projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (fiducie réputée — fruits et légumes périssables).
Nous avons le plaisir d’accueillir en personne Luc Mougeot, président de la Corporation de règlement des différends dans les fruits et légumes; Massimo Bergamini, directeur général des Producteurs de fruits et légumes du Canada; Quinton Woods, gestionnaire des ventes et des opérations de l’usine à Gwillimdale Farms Ltd. et membre du conseil d’administration des Producteurs de fruits et légumes du Canada pour l’Ontario.
Bon, désolée. Nous ne les avons pas dans le bon ordre ici.
Merci d’être ici. Je suis désolée que nous n’ayons pas beaucoup de temps. Nous vous invitons à commencer par vos déclarations liminaires.
Luc Mougeot, président-directeur général, Corporation de règlement des différends dans les fruits et légumes : Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité, de me permettre de m’adresser à vous concernant le projet de loi C-280.
Comme il a été mentionné, je suis président-directeur général de la Corporation de règlement des différends dans les fruits et légumes, ou CRD. En plus de fournir des services de règlements des différends dans l’industrie des fruits et légumes frais au nom de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, nous fournissons également une expertise technique sur l’atténuation des risques financiers. Nous offrons un service d’approbation de la solvabilité d’une entreprise au moment des demandes d’adhésion et obligeons les membres à se soumettre à nos services de médiation et d’arbitrage pour régler les différends afin de faciliter le paiement équitable et le plus rapidement possible des vendeurs, et, au bout du compte, des producteurs. Toutefois, ce système ne fonctionne bien que lorsque les participants s’acquittent de leurs obligations financières à mesure qu’elles deviennent exigibles.
Les fondateurs de la CRD ont entrepris d’établir un système de règlement des différends obligatoire, un service d’inspection dédié et un outil d’insolvabilité comme celui dont nous discutons aujourd’hui. À l’heure actuelle, seul l’outil d’insolvabilité demeure en attente. Cette loi fournirait à nos producteurs l’occasion de récupérer une partie de leur gagne-pain.
Ce qui frustre encore plus nos producteurs, c’est que le Canada et les États-Unis disposaient de programmes particuliers offerts à l’un et à l’autre pour le règlement des différends commerciaux concernant les fruits et légumes frais. Les producteurs canadiens avaient accès aux services américains, mais ceux-ci ont été limités, car le système canadien n’offre pas d’outil d’insolvabilité comparable pour aider les producteurs américains tel que l’aborde le projet de loi proposé.
On dit souvent qu’il existe déjà des protections des agriculteurs dans le régime de faillite canadien. Je pense qu’il a maintenant été bien établi que ces dispositions liées à la rapidité et à la récupération des produits ne fonctionnent tout simplement pas pour les fruits et légumes, vu leur caractère périssable, la chaîne d’approvisionnement, la transformation et d’autres problèmes d’identité.
D’après mon expérience, ce qui justifie le plus cette loi est le nombre de sociétés qui ferment tout simplement leurs portes et de propriétaires qui abandonnent leurs entreprises. Pire encore, les producteurs et les vendeurs sont forcés de baisser grandement les prix afin que certains acheteurs évitent la faillite.
Avec cette loi, un producteur aurait une certaine garantie d’être traité équitablement. Cette loi ne constitue pas une garantie de paiement et est à coût nul pour le gouvernement, or elle apporte un grand allégement à de nombreux risques et rétablira le traitement préférentiel des Canadiens aux services de règlement des différends des États-Unis.
Merci encore une fois de l’occasion que vous m’avez donnée, et je suis impatient de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup.
Massimo Bergamini, directeur général, Producteurs de fruits et légumes du Canada : Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis le nouveau directeur général des Producteurs de fruits et légumes du Canada, ou PFLC. Je suis accompagné de M. Quinton Woods, qui est membre de notre conseil d’administration et gestionnaire des ventes et des opérations de l’usine de Gwillimdale Farms à Bradford, en Ontario.
Je souhaite remercier le comité de l’occasion de présenter un exposé sur le projet de loi C-280. Les Producteurs de fruits et légumes du Canada militent en faveur de la protection financière contenue dans le projet de loi C-280 depuis près de 40 ans. Le secteur des fruits et légumes doit composer avec des produits périssables et de courtes fenêtres de vente. La réalité, c’est que les lois actuelles sur l’insolvabilité n’offrent aucune protection aux producteurs qui ne peuvent récupérer des biens qui perdent rapidement de la valeur. Le projet de loi C-280 viendrait combler cette lacune.
Les préoccupations que nous soulevons aujourd’hui et que nous soulevons depuis près de 40 ans ne sont pas théoriques. La faillite en 2023 de Lakeside Produce à Leamington, en Ontario, a laissé plus de 188 millions de dollars de dettes aux producteurs et aux fournisseurs. L’effondrement de l’entreprise a provoqué de vifs remous au sein de la communauté des producteurs, certains producteurs individuels signalant des pertes allant jusqu’à 500 000 $. Pour les exploitations agricoles familiales de petite et moyenne taille, ces pertes ont été absolument dévastatrices.
Si les protections maintenant offertes en vertu du projet de loi C-280 avaient été en place, elles auraient offert une protection financière bien nécessaire contre la perte catastrophique de revenu. J’inviterai maintenant Quinton Woods à nous faire part de son point de vue.
Quinton Woods, gestionnaire des ventes et des opérations de l’usine, Gwillimdale Farms Ltd., et membre du conseil d’administration pour l’Ontario, Producteurs de fruits et légumes du Canada : Merci, monsieur Bergamini, et bonjour.
Le projet de loi C-280 offre également la possibilité de paver la voie au rétablissement de la Perishable Agricultural Commodities Act, ou PACA, une protection pour les producteurs canadiens aux États-Unis. En 2014, mon employeur, Gwillimdale Farms, a subi une perte financière importante à cause d’un client américain qui a cessé ses paiements. Nous n’avons eu d’autre choix que de lancer une plainte officielle contre cette entreprise par l’intermédiaire de la PACA aux États‑Unis.
Malheureusement, le jour où nous avons déposé la plainte officielle, les États-Unis ont retiré la réciprocité pour les vendeurs canadiens. Ce changement a fait en sorte que nous étions tenus de déposer une caution équivalant au double de la valeur de notre réclamation. À l’époque, notre réclamation était de 100 000 dollars américains. Nous n’étions pas en mesure de déposer la caution requise de 200 000 dollars américains et avons été forcés de retirer notre réclamation.
Si le Canada avait disposé d’un système de protection financière, nous aurions été en mesure d’aller de l’avant avec notre plainte sans être obligés de déposer une caution. Le rétablissement des protections prévues dans la PACA permettrait d’atténuer de tels risques dans l’avenir.
Cette loi n’entraîne pas de responsabilité financière et n’oblige pas le gouvernement à fournir son appui. Elle agit comme une forme de gestion des risques commerciaux qui ne nécessite aucun financement gouvernemental, tout en offrant des avantages importants pour les producteurs. Elle renforcera la stabilité du secteur des fruits et légumes, en faisant la promotion de l’équité des pratiques commerciales et de la viabilité et de la croissance à long terme.
Une industrie des fruits et légumes nationaux robuste et stable est essentielle pour assurer la sécurité et la souveraineté alimentaires des Canadiens. En protégeant les producteurs, le projet de loi C-280 garantit une offre durable de fruits et légumes frais pour les consommateurs canadiens.
Dans ce contexte, il est important de souligner que, en l’absence de cet outil d’atténuation des risques financiers, les producteurs canadiens considéreront de plus en plus les États-Unis comme une base plus sécuritaire pour leur production, à cause de la sécurité fournie par la protection contre l’insolvabilité des États-Unis.
En 2021, 40 % des fruits et légumes canadiens étaient exportés aux États-Unis. Le projet de loi C-280 s’aligne sur l’objectif du gouvernement du Canada d’augmenter les exportations, de faire croître la production canadienne et la sécurité alimentaire en renforçant une industrie des fruits et légumes canadiens résiliente.
En outre, les définitions incluses dans le projet de loi tiennent compte des réalités de notre industrie, reconnaissant que les fruits et les légumes pourraient être réemballés ou transformés, mais qu’ils demeurent la propriété effective du fournisseur. C’est un détail important. Cela offre aux producteurs une couche de protection supplémentaire et garantit la justice et l’équité dans ces transactions souvent complexes.
Nous pressons le comité d’examiner les avantages du projet de loi C-280 pour le secteur des fruits et légumes canadien, les consommateurs nationaux et la stabilité globale du marché et d’assurer son adoption rapide. Je suis impatient de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup. Nous avons maintenant rejoint Ron Lemaire, président de l’Association canadienne de la distribution de fruits et légumes. Allez-y s’il vous plaît avec vos commentaires. Vous nous entendez?
Ron Lemaire, président, Association canadienne de la distribution de fruits et légumes : Je vous entends bien. Bonjour, j’espère que vous m’entendez bien.
Au nom de l’Association canadienne de la distribution de fruits et légumes et de plus de 880 entreprises membres dans la chaîne d’approvisionnement des fruits et légumes, je souhaite remercier le comité de m’offrir la possibilité de présenter l’appui de notre secteur au projet de loi C-280, un outil essentiel adapté aux besoins pour une industrie unique qui n’est actuellement pas protégée.
Comme le comité le sait, le projet de loi C-280 a reçu un soutien de 99,7 % à la Chambre des communes. Au cours des dernières années, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire et le Comité permanent des finances de la Chambre des communes ont recommandé à maintes reprises l’établissement d’un mécanisme de fiducie réputée pour les vendeurs de fruits et légumes frais, y compris, récemment, dans le rapport de juin du Comité de l’agriculture sur l’amélioration de la résilience du secteur horticole du Canada.
En outre, les députés et les sénateurs ont reçu de nombreuses lettres conjointes signées par 35 associations nationales et régionales exigeant l’adoption du projet de loi C-280. Nous avons déposé des copies de ces lettres auprès du comité ici aujourd’hui.
Je tiens à rappeler que l’industrie des fruits et légumes ne demande pas un traitement spécial. Nous recherchons un outil adapté aux besoins pour protéger notre secteur, qui est essentiel et permet d’améliorer la sécurité alimentaire.
Actuellement, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité contient déjà un droit de priorité absolue pour les agriculteurs et de reprise de possession lorsque les acheteurs font faillite. Mais ces dispositions ne fonctionnent pas pour les vendeurs de fruits et légumes frais. Vu la vitesse avec laquelle nos produits passent à travers le système et sont consommés ou se gâtent, il est très rare que les fruits et légumes frais puissent faire l’objet d’une reprise de possession en vertu de la loi. La disposition de « priorité absolue » pour les agriculteurs dans la loi ne s’applique pas non plus aux fournisseurs de fruits et légumes, car elle énonce que le produit doit avoir été fourni dans les 15 jours de la faillite ou de la nomination d’un séquestre. Cette période de 15 jours est trop courte pour notre secteur, car les modalités de paiement pour les fruits et légumes frais sont généralement de 30 jours ou plus. De nombreuses études, y compris celles effectuées par la Bibliothèque du Parlement, ont conclu que ces dispositions ne fonctionnaient pas pour le secteur des fruits et légumes frais.
Il est aussi important de reconnaître, tout comme le fait le projet de loi C-280, que tous les fournisseurs de la chaîne d’approvisionnement des fruits et légumes frais sont essentiels à la stabilité du marché. Les emballeurs, les grossistes, les courtiers et d’autres agissent comme intermédiaires entre les producteurs, les détaillants et les services alimentaires, et il est essentiel qu’ils reçoivent la protection nécessaire que les paiements puissent redescendre la chaîne jusqu’aux producteurs.
De plus, le mécanisme de fiducie réputée qui serait établi en vertu du projet de loi C-280 fonctionnerait de la même manière que la Perishable Agricultural Commodities Act des États-Unis, ou PACA, comme on l’a noté. L’expérience américaine démontre que les vendeurs protégés par la fiducie ont davantage accès au crédit, et non pas moins, car les prêteurs reconnaissent la sécurité offerte par la fiducie.
Comme on l’a mentionné, le projet de loi C-280 offrirait une protection équivalente à celle fournie à l’industrie aux États-Unis en vertu de la PACA américaine, qui couvre tous les fournisseurs de la chaîne d’approvisionnement, et conférerait donc au Canada la capacité de mettre en vigueur la protection réciproque pour les exportateurs canadiens en vertu de la PACA, protection qui a été perdue en 2014.
Une lettre d’engagement envoyée le 12 mai 2016 par l’USDA au sous-ministre adjoint de l’époque Fred Gorrell a confirmé les étapes nécessaires en vue de l’établissement de systèmes de réciprocité et de systèmes comparables. Ces quatre critères décrits dans la lettre ont été reconfirmés lors d’une réunion en avril dernier à Washington, entre des députés canadiens, des sénateurs et M. Bruce Summers, l’administrateur de l’Agricultural Marketing Service de l’USDA, l’organe responsable de la PACA.
Les dispositions sur la fiducie réputée sont la pièce manquante de la réciprocité qui sera établie par le projet de loi C-280. Cela permettra aux États-Unis de remettre en vigueur l’accès préférentiel offert aux exportateurs canadiens au système de règlement des différends par l’intermédiaire de la PACA.
Je dois rappeler que le projet de loi C-280 est une bonne politique publique et une mesure de protection pour nos communautés agricoles locales et rurales, en maintenant l’intégrité de nos chaînes d’approvisionnement alimentaire et en soutenant la sécurité alimentaire nationale du Canada.
Pour terminer, j’encourage le comité et tous les sénateurs à s’appuyer sur le momentum du soutien presque unanime à la Chambre des communes et à adopter le projet de loi C-280, tel qu’il est rédigé.
Merci beaucoup de votre temps. J’ai hâte de répondre à vos questions.
La présidente : Merci, monsieur Lemaire. Nous allons passer aux questions, en commençant par le vice-président.
Le sénateur Loffreda : Merci aux intervenants d’être ici ce matin.
Dans sa réponse à un rapport du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes en 2020, qui a recommandé que le gouvernement fédéral établisse la fiducie présumée limitée et prévue par la loi pour les producteurs de fruits et légumes, le gouvernement fédéral a exprimé des préoccupations. Il a déclaré que, dans le cadre d’une telle fiducie, il serait plus difficile pour les créanciers qui prêtent aux acheteurs de fruits et légumes de récupérer les pertes en cas de faillite d’un acheteur. Ce risque accru pour les prêteurs, comme l’a expliqué le gouvernement, pourrait les rendre moins enclins à offrir du crédit aux acteurs de ce secteur.
Mon expérience de plus de 35 ans dans le secteur m’amène à souscrire à cette évaluation.
Pensez-vous que l’adoption du projet de loi C-280 aura une incidence sur l’accès au crédit pour les entreprises de fruits et légumes et les personnes qui œuvrent dans le secteur?
J’adresse ma question à tous les intervenants qui souhaitent y répondre.
M. Lemaire : Comme je l’ai souligné dans mon témoignage, nous avons vu ce dossier en action aux États-Unis, et nous n’avons relevé aucun problème d’accès au crédit. En fait, nous avons constaté une stabilisation des prêts, car le prêteur sait que le vendeur, le producteur, l’emballeur et l’expéditeur des fruits et légumes sont protégés par une garantie et que le prêt à ces entités s’effectue dans un environnement sûr et stabilisé. De plus, cela repose sur les possibilités commerciales d’expansion des prêts dans l’ensemble de notre chaîne d’approvisionnement des fruits et légumes.
Ainsi, dans le cadre de l’expérience aux États-Unis et d’une structure semblable ici au Canada, nous ne voyons pas d’incidence. De plus, nos conversations avec des personnes issues du secteur bancaire, qui sont retraitées, et d’autres, qui sont des prêteurs du secteur agricole, ont révélé que, bien qu’ils craignent d’en parler publiquement devant le comité ou avec les médias, ils appuient notre secteur.
La présidente : Y a-t-il d’autres commentaires rapides autour de la table?
M. Woods : Trois des plus grandes associations qui représentent notre industrie le demandent, alors si nous avions une préoccupation concernant les prêts, je pense que cela y répondrait.
Le sénateur C. Deacon : Merci, chers témoins, d’être ici.
La nourriture provient non pas des épiceries, mais des fermes. Bien sûr, nous devons protéger nos producteurs. C’est l’irritant dans notre relation commerciale avec les États-Unis depuis un certain temps, probablement depuis les années 1980, je dirais.
Je veux saisir les répercussions sur les producteurs et les exportateurs canadiens : l’ampleur du problème, les dommages causés, le coût du règlement des différends aujourd’hui par rapport aux marges de l’industrie. La différence est énorme sur les ventes brutes et les marges.
Quelles possibilités sont ouvertes? Pourriez-vous nous en donner des exemples concrets, si possible, monsieur Lemaire? Ce serait formidable. Je suis heureux de vous voir tous ici. Vous pourriez peut-être commencer par cela.
M. Lemaire : Merci, sénateur Deacon. Je serais heureux de le faire. Je céderai peut-être ensuite la parole à M. Quinton Woods, qui a une expérience réelle.
De nombreuses entreprises dans l’ensemble de notre chaîne d’approvisionnement de fruits et légumes qui participent à des stratégies d’exportation aux États-Unis ont dû se contenter de miettes ou se retirer de transactions. La difficulté, c’est de consigner cette information. Une bonne partie de celle-ci est anecdotique, car il n’y a pas de mécanisme ni de structure de reddition de comptes pour consigner ces transactions d’affaires ou la perte d’affaires avec les États-Unis.
Mais comme bon nombre de nos membres qui ont exporté… et je vais vous donner des exemples de certaines marchandises qui pourraient être expédiées... et l’on argumenterait avec les États‑Unis au sujet de la qualité ou du grade. L’acheteur proposerait 50 cents le dollar. Sans accès à la Corporation de règlement des différends de manière réciproque, comme M. Woods l’a souligné, doubler la valeur de la caution est hors de portée pour de nombreux acteurs de notre industrie, à cause des marges très serrées avec lesquelles ils travaillent et de la façon dont nos affaires sont structurées.
Dans de nombreux cas, ils se retirent ou acceptent des prix dérisoires pour des produits pour lesquels ils devraient obtenir 80 à 100 % du dollar. C’est factuel, et cela se passe tous les jours dans notre secteur sans le modèle de réciprocité.
M. Woods : Vous avez raison, sénateur Deacon: les marges dans notre industrie sont très faibles. Lorsque nous sommes forcés d’accepter des situations comme celles mentionnées par M. Lemaire, cela nuit à la croissance, au développement et à l’augmentation de la production. Cela freine de nombreuses exploitations. Je sais que de nombreuses fermes ont réduit leur production à cause de ces types de situations, et elles n’ont pas pu planter toutes leurs cultures l’année suivante. Cela entraîne assurément des conséquences, tant du point de vue financier que du point de vue de la sécurité alimentaire.
Nous ne produisons probablement pas autant que nous le devrions au pays, et cela tient au fait que nous n’avons pas de modèle de protection financière.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je vais poser ma question en français à MM. Woods et Mougeot et peut-être à M. Lemaire. Premièrement, j’aimerais connaître la taille moyenne des fermes des producteurs de fruits et légumes. Est-ce que ce sont des petites, des moyennes ou de grandes entreprises qui sont concernées?
Deuxièmement, si on adopte ce projet de loi, les bénéfices seront-ils plus grands pour les producteurs américains ou pour les producteurs canadiens, ou est-ce que c’est à peu près équivalent?
Troisièmement, y a-t-il d’autres dispositifs dans le monde que ce qui existe actuellement aux États-Unis?
[Traduction]
M. Lemaire : Je peux répondre rapidement. Merci de votre question. Je céderai ensuite la parole à M. Woods.
Pour ce qui est du nombre de fermes, nous parlons habituellement d’environ 10 000 fermes de fruits et légumes au pays. Parmi ces 10 000 fermes, 7 500 sont des petites entreprises. Des négociants — donc les grandes fermes ou d’autres exploitants — consolideront une bonne partie de la production, puis la vendront dans le système. C’est très complexe par rapport à la façon dont un produit circule ensuite.
Cet outil protège le tissu des régions rurales du Canada. Grâce à lui, nous favorisons et soutenons la capacité de ces petites fermes de savoir qu’elles seront payées. Lors d’une faillite, elles pourraient obtenir des miettes. Ou bien le montant total. Sans cela, cependant, elles ne reçoivent rien.
La manière de favoriser les affaires avec les exploitations de petite et moyenne taille, dans le cadre de nos activités d’un bout à l’autre de l’industrie, c’est d’en tenir compte. C’est propre à l’Amérique du Nord, aux États-Unis et au Canada. Puisque nous sommes le plus grand partenaire commercial l’un de l’autre pour les fruits et légumes frais, c’est équitable pour les deux parties. J’améliorerais et je solidifierais également une relation commerciale qui stimule les emplois et notre économie. Tout le monde oublie que le secteur des fruits et légumes et l’agriculture sont l’un des plus grands moteurs économiques du Canada.
Avec cet outil, nous pouvons favoriser et continuer de stimuler le secteur des fruits et légumes frais en vue de l’avenir et permettre aux petites fermes et aux exploitations familiales de prospérer.
Je vais céder la parole à M. Woods.
M. Woods : Les producteurs de fruits et légumes représentent environ 14 000 exploitations agricoles au Canada, ce qui comprend presque 120 cultures différentes, pour une valeur totale de ventes à la ferme de 6,8 milliards de dollars. Cela va d’une ferme de 10 000 $ à des exploitations de plusieurs millions ou centaines de millions de dollars.
Comme M. Lemaire le dit, la réciprocité avec les États-Unis serait très équitable. Cela offrirait également aux vendeurs américains une protection contre les entreprises canadiennes grâce à l’accès à notre mécanisme de protection financière. Les entreprises canadiennes auraient accès au leur également.
Dans l’ensemble, ce serait une excellente relation.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci de votre présence ici aujourd’hui; c’est très apprécié.
[Traduction]
J’ai un petit problème, mais dans ma tête, il est gros. Toutes ces choses… Je sais que la faillite est difficile pour tout le monde. Cela veut dire que des gens perdront de l’argent. Lorsque vous faites faillite, personne ne veut plus investir d’argent. Alors si nous trouvons un moyen de vous donner plus d’argent, cela signifie essentiellement que nous prenons cet argent supplémentaire à des fermes comme la vôtre, principalement à des petites entreprises, parce que les banques sont probablement bien réservées. Quiconque n’a pas de garantie perdra une proportion plus élevée. Je me sens mal pour vous, mais c’est ça la faillite.
Maintenant, dites-moi pourquoi nous devrions prendre l’argent réservé à d’autres exploitations familiales de petite et moyenne taille et vous le donner? Pourquoi cela serait-il équitable?
On pourrait faire valoir que tout le système est déséquilibré; il faut le revoir entièrement. C’est peut-être la bonne réponse. Peut-être que ce n’est simplement pas équitable. Mais le fait de sélectionner et de vous donner cet argent en l’enlevant à quelqu’un d’autre... j’ai des problèmes avec cela.
Voulez-vous dire quelque chose?
M. Woods : Je vais dire quelque chose à ce sujet. Le concept de la fiducie réputée est que, lorsque nous vendons nos fruits et légumes, ceux-ci seraient vendus en vertu d’une fiducie. Donc, si l’un de nos clients fait faillite, nous aurions accès aux liquidités et aux créances par l’intermédiaire de cette fiducie.
Nous ne prenons pas…
Le sénateur Massicotte : [Difficultés techniques] au détriment de prendre l’argent d’un autre petit créancier.
M. Woods : Mais nous devons également comprendre qu’il existe déjà des priorités absolues pour l’agriculture. Elles ne fonctionnent tout simplement pas pour notre industrie, car les normes de notre industrie ne suivent pas les critères des priorités absolues.
Le sénateur Massicotte : Est-ce parce que les gens comme nous ont pris la mauvaise décision lorsqu’elle a été prise, elle n’a pas été prise correctement?
M. Woods : Je pense que cela ne tient qu’à l’évolution du temps et de l’industrie. Comme M. Lemaire l’a dit plus tôt, nous avons 15 jours à partir de la fourniture pour présenter une réclamation en vertu de cette priorité absolue, alors que notre industrie fonctionne généralement dans des délais de 30 jours nets.
La présidente : Nous allons juste permettre à M. Lemaire d’apporter une précision, parce que vous avez fait référence dans vos commentaires au fait que même avec la priorité absolue, cela n’englobe pas ce groupe particulier.
M. Lemaire : C’est exact.
La présidente : D’accord, allez-y et expliquez cela un instant, merci.
M. Lemaire : Comme M. Wood le disait, c’est ainsi que l’outil est structuré. C’était un excellent point du sénateur : le gouvernement a-t-il mal agi en établissant ce critère? Le gouvernement essayait de créer un modèle qui engloberait tous les agriculteurs. C’est un système très complexe à corriger lorsqu’il y a autant de différences au sein du secteur agricole. Pour notre secteur lui-même, les fruits et légumes frais, ce n’est pas structuré de la manière dont la Loi sur la faillite et l’insolvabilité a été rédigée à l’époque.
Nous avons reçu M. Ron Cummings, l’une des personnes qui ont aidé à établir la loi originale, qui a conçu ce que vous avez sous les yeux aujourd’hui à partir de ses connaissances de la manière de corriger efficacement ce qui n’était pas en place au départ.
À ce sujet, nous n’enlevons rien aux autres. À titre d’exemple pour le sénateur, en cas de faillite — et à propos de la note de M. Woods, par rapport à ce qui est visé par la fiducie — si je vends mes framboises et que j’essaie de les récupérer, elles sont parties; elles sont ou bien pourries, ou bien vendues ou à la poubelle. Mais si je suis une autre petite entreprise — disons que je suis un fournisseur d’équipement — je peux entrer et reprendre possession de ma ligne de production ou de mon tracteur. Il y a des choses dans le système qui sont physiques, que l’on peut prendre.
Nous n’avons pas cette capacité. C’est vraiment le cœur de la question, pourquoi cela fonctionne si bien en vertu du cadre américain et comment la structure est établie ici pour soutenir de manière efficace les agriculteurs et les vendeurs de fruits et légumes au Canada.
La présidente : Merci. C’est très important, car je pense que l’on a mal compris, pensant que l’on était visé par cette mesure, mais à cause de la nature du produit, c’est très différent.
La sénatrice Ringuette : Il n’est pas question de récupérer ou de reprendre possession. Si l’entité fait faillite, personne n’y touche, jusqu’à ce que le groupe d’avocats spécialisés en faillites ou de comptables n’intervienne. Il faut corriger les faits.
Le sénateur Bellemare a posé une question très pertinente. Je peux peut-être la reformuler autrement pour vous, monsieur Mougeot, afin que vous puissiez y répondre. On nous a dit que 40 % des fruits canadiens sont envoyés aux États-Unis. Quelle est la valeur des fruits et légumes américains qui entrent au Canada chaque année?
M. Mougeot : En tant que corporation de règlement des différends, nous ne faisons pas ce genre de suivi. M. Lemaire est mieux placé pour répondre à votre question concernant les importations. Désolé.
M. Lemaire : À l’heure actuelle, notre industrie génère plus de 10 milliards de dollars au Canada. Si nous regardons le pourcentage des produits importés, nous remarquons que le pourcentage de produits provenant des États-Unis est très élevé. Cependant, nous évoluons dans un marché mondial, ce qui signifie que nos produits proviennent de l’Amérique du Sud et de toutes sortes de pays.
La sénatrice Ringuette : Je m’excuse de vous interrompre, mais il se peut que j’aie à clarifier ma question. Ma question était la suivante : À quoi correspond la valeur des fruits et légumes que le Canada importe annuellement des États-Unis? Ce chiffre devrait figurer dans les statistiques du Canada. Je pense que vous devriez connaître la réponse.
M. Lemaire : C’est exact. Pour donner une estimation au pied levé, à l’heure actuelle, je dirais que la valeur des produits importés des États-Unis correspond à un chiffre situé entre 6 et 10 milliards de dollars.
La sénatrice Ringuette : Donc, cela correspond à peu près à la valeur de la production totale des fruits et légumes au Canada. Ainsi, cette loi devrait, en fait, être très favorable aux producteurs américains par rapport à ce que nous exporterions aux États-Unis, sur une échelle de milliards de dollars.
La question que je vous pose, avant que le président ne m’interrompe, est la suivante : pourquoi ces producteurs n’ont‑ils pas saisi l’occasion de faire garantir le paiement total de leurs produits en s’adressant à Exportation et Développement Canada, l’entité fédérale qui fournit cette assurance paiement?
La présidente : À qui s’adresse donc votre question? À M. Lemaire?
La sénatrice Ringuette : À quiconque peut répondre.
M. Lemaire : Si j’ai bien compris, la question concernait la mobilisation des ressources d’Exportation et Développement Canada, c’est bien ça?
La sénatrice Ringuette : Non. Exportation et développement Canada fournit une assurance paiement pour tout produit que le Canada vend à une entité étrangère, quelle qu’elle soit. Pourquoi ce secteur des fruits et légumes en particulier n’a-t-il pas tiré profit de ce régime garanti à 100 %?
M. Lemaire : Malheureusement, c’est un problème avec lequel je compose depuis 1998, lors de mes débuts dans l’industrie des fruits et légumes frais. J’étais alors membre du conseil de coopération en matière de réglementation chargé de passer en revue ce dossier… Nous avions, de concert avec le gouvernement du Canada, procédé à une analyse de plusieurs aspects en lien avec l’affacturage, l’assurance ainsi que d’autres outils pouvant être potentiellement suggérés à la place du cadre de fiducie réputée proposé.
Au cours de l’analyse, nous avions découvert qu’une grande portion de l’industrie ne pouvait pas être assurée en raison de son mode de fonctionnement, et du coût de cette assurance par rapport à ses marges de profit. Les entreprises décidaient alors de s’autoassurer et de prendre ce risque, ce qui nuit, encore une fois, au fonctionnement de l’entreprise. Par conséquent, les investissements en matière d’innovation, d’améliorations apportées aux immobilisations, et ainsi de suite, en sont affectés.
Une fois tout ce travail réalisé — travail que le gouvernement du Canada a exécuté dans le dossier par l’entremise d’Agriculture et Agroalimentaire Canada — nous avions découvert, après avoir consulté tous les autres outils, dont certains, mais pas tous, sont aujourd’hui mobilisés dans certains segments de l’industrie, que le régime en question causait des disparités dans l’industrie.
Cet outil fournit donc des conditions de concurrence équitables pour tous les segments de l’industrie, de laserre au maraîcher de légumes de plein champ, et ainsi de suite. Je vais demander à mes collègues s’ils ont quelque chose à ajouter à ce propos.
M. Mougeot : Je dirais qu’aux États-Unis, les producteurs canadiens ont toujours accès à l’outil d’insolvabilité, qui a…
La sénatrice Ringuette : [Difficultés techniques] les outils d’insolvabilité au Canada.
M. Mougeot : Oui, mais pas sur les fruits et légumes. Il rend l’application aux fruits et légumes très difficile.
Aux États-Unis, la priorité est donnée aux fruits et légumes. En cas d’insolvabilité, la première chose qu’ils regardent, ce sont les comptes clients et comptes créditeurs des fruits et légumes frais, avant de passer à la situation d’insolvabilité en général.
Comme l’a fait remarquer M. Lemaire, cela signifie que l’assurance est très coûteuse pour notre secteur. Et donc, il est plus avantageux pour les producteurs de vendre leurs produits aux États-Unis que dans le reste du pays, comme l’a fait remarquer M. Woods. Les États-Unis deviennent le marché de préférence.
Mais inversement, étant donné que nous ne disposons pas d’un outil d’insolvabilité, nous avons découvert, grâce à des études menées dans le cadre de discussions avec le CCCD, que lorsque les exportateurs et producteurs américains exportent leurs produits au Canada, les Canadiens paient 10 à 15 % plus cher. Cela signifie que les acheteurs canadiens paient une surcharge de 10 à 15 % pour couvrir les pertes potentielles causées par l’insolvabilité au Canada. Donc au final, ce sont les Canadiens qui se retrouvent à payer, dans une certaine mesure, pour l’absence d’outil d’insolvabilité.
Cela signifie que les États-Unis deviennent le marché de préférence que les producteurs canadiens choisissent pour y exporter leurs fruits et légumes de haute qualité, au détriment du marché local.
La sénatrice Martin : Je remercie nos témoins. Vous avez répondu à certaines de mes questions, y compris celles concernant les répercussions du projet de loi sur les communautés des fermes rurales, le nombre de ces communautés que l’on retrouve, et ainsi de suite. Parmi ces communautés rurales, 75 % sont des petites entreprises, et pour cette seule raison, je suis très favorable à ce projet de loi.
Monsieur Lemaire, je sais que vous avez mentionné que le projet de loi avait le potentiel de renforcer la sécurité alimentaire au Canada, et, il me semble que vous, monsieur Bergamini, avez mentionné que la protection financière pour les producteurs, conformément à ce projet de loi, atténue des inquiétudes nationales plus larges concernant la souveraineté alimentaire et la résilience de la chaîne d’approvisionnement. Je suis curieux de connaître les répercussions de ce projet de loi sur la sécurité et la souveraineté alimentaires, ainsi que sur les prix à la consommation. Pouvez-vous apporter plus de précisions?
M. Bergamini : Merci, sénatrice Martin.
Avant de vous faire part de mes commentaires, je vais répondre à une question posée par le sénateur Bellemare. J’ai grandi dans une petite ferme maraîchère dans la région de la Montérégie, au Québec. Par expérience, je connais les marges avec lesquelles les petits fermiers doivent composer. Heureusement, nous n’avons pas vécu ce genre de situation catastrophique avec nos acheteurs, mais je peux vous dire, en raison des difficultés que nous traversions quotidiennement, que ce genre de situation aurait été absolument catastrophique pour ma famille. C’est la réalité pour beaucoup de communautés de fermiers, à plus forte raison pour chaque producteur.
Quand il est question de sécurité et de souveraineté alimentaires, nous devons comprendre comment le système de politiques en général renforce le cadre dans lequel nos aliments sont produits dans notre pays.
Cette idée peut être perçue comme une mesure technique, mais le système de politiques est très important dans la mesure où il permet de renforcer la sécurité, et l’essence même de la résilience et la viabilité de cette activité essentielle de notre pays.
Pour ce qui est des répercussions sur le prix des aliments, et cetera, mes collègues se sont exprimés là-dessus. Il s’agit d’une industrie intégrée verticalement, donc le renforcement de la protection des producteurs aura des répercussions positives en amont et en aval de la chaîne d’approvisionnement. Grâce à cette mesure, qui a fait l’objet de poursuites pendant 40 ans, ne l’oublions pas. Ce ne sont pas des problèmes ou des débats qui datent d’aujourd’hui; ces mesures ont fait l’objet de poursuites pendant 40 ans, et voici qu’aujourd’hui, nous sommes près de la ligne d’arrivée. Je suis inquiet, sénateurs… et sauf votre respect… la perfection est véritablement l’ennemi du bien. Nous devons nous montrer très pragmatiques en ce qui concerne notre position actuelle, sans entrer dans des discussions politiques plus larges. Il se pourrait que ce soit notre meilleure chance si nous voulons fournir une sécurité supplémentaire aux familles et aux communautés de fermiers dans tout le pays.
Le sénateur Varone : Merci à tous les témoins d’être ici. Je suis très favorable à la cause des fermiers.
J’ai besoin que vous m’éduquiez au sujet de la chaîne d’approvisionnement, car la limitation du crédit et le risque de défaillance ne sont pas les mêmes dans toute la chaîne d’approvisionnement. La moitié de notre entreprise familiale œuvre dans le secteur de l’accueil, donc nous savons ce que c’est que d’aller acheter nos fruits et légumes aux points de vente alimentaires. Mais lorsque nous faisons nos achats, nous payons rubis sur l’ongle en argent comptant. Il n’y a pas d’autres modalités ou possibilités de crédit.
Donc, veuillez s’il vous plaît m’éduquer au sujet de votre chaîne alimentaire. Vous avez mentionné à trois reprises que le système de crédit offert par la ferme aux grossistes ou aux emballeurs diffère de celui offert en aval, avant que les aliments se retrouvent dans nos assiettes. Jusqu’à preuve du contraire, il est impossible de sortir du Costco avec des fruits et légumes frais sans les avoir payés. Il en va de même pour Loblaws. Pourquoi cette différence au sommet de la chaîne alimentaire?
M. Lemaire : Je peux peut-être répondre à cette question.
Il y a plusieurs éléments dans le système. Pour ce qui est des consommateurs qui achètent chez Loblaws, Costco, ou chez d’autres types de grands détaillants, ils achètent un produit. À l’heure actuelle, dans le secteur de la vente au détail, on demande des modalités de paiement dépassant même 60 jours. Certains détaillants acceptent ces conditions. On s’intéresse également à un modèle qui comprend des rabais si le système met en place des modalités de paiement anticipé. C’est la réalité de ce qui se passe actuellement.
Lorsque vous allez d’un point de vente d’aliments aux marchés de gros à Toronto, Montréal et Vancouver, et que vous achetez des produits sur place, vous êtes un peu comme le consommateur dans la mesure où vous achetez des produits pour les ramener à votre exploitation.
Le modèle n’est pas le même pour les restaurants qui commandent des produits chez Gordon Food Service, ou GFS, ou chez Sysco. Ils émettent une commande, et ils obtiennent des produits. Il est difficile d’affirmer que chaque partie de la chaîne d’approvisionnement fonctionne selon les mêmes modalités de paiement. Si un producteur vend ses pommes de terre à un autre producteur, lequel, à son tour, les vend à un grossiste, 30 jours de plus sont ajoutés aux modalités. En fonction du produit vendu, et de la façon de le vendre, il peut y avoir un délai potentiel de 45 jours au chapitre des modalités de crédit dans la chaîne d’approvisionnement.
Si les choses étaient aussi simples que de faire pousser ses produits, de les vendre à une entité centrale, et que le cycle de paiement ne prenne que 10 à 15 jours, nous ne serions pas ici aujourd’hui. Nous aurions un système fluide qui fonctionnerait. Mais, ce n’est pas comme cela que l’industrie des fruits et légumes fonctionne, car l’interaction de tous les intervenants est complexe, du producteur aux fournisseurs de services alimentaires, en passant par les grands détaillants, les détaillants indépendants, les grossistes, les courtiers, aux revendeurs et tous les autres intervenants qui garantissent que les Canadiens ont de quoi manger dans leur assiette.
Je demanderais à M. Woods d’ajouter quelque chose, en s’inspirant de son expérience.
Le sénateur Varone : Juste pour clarifier les choses, où est-ce que le risque de défaillance survient dans la chaîne d’approvisionnement?
M. Woods : Le risque de défaillance de crédit peut survenir à tous les niveaux. Nous avons récemment vu qu’elle s’est produite au niveau du négociant ou du consolidateur, mais au bout du compte, il y a des inquiétudes à tous les niveaux de la chaîne car les marges sont très serrées. Concrètement, nous n’avons aucune base solide, et ces défaillances peuvent apparaître à tout moment.
Pour préciser sur ce que disait M. Lemaire, les modalités vont de 28 à 75 et même à 90 jours.
La présidente : D’accord.
Le sénateur Yussuff : J’ai quelques questions. Pour commencer, je remercie tous les témoins de leur présence.
La présidente : Nous n’avons presque plus de temps. Veuillez être bref.
Le sénateur Yussuff : Est-ce que j’ai l’occasion de poser ma question? Je vais y procéder de ma propre façon. Sinon, je pourrais vous laisser poser la question.
La présidente : Nous n’avons tout simplement plus de temps. C’est tout.
Le sénateur Yussuff : Ce n’est pas de ma faute. Je n’ai pas prévu un cadre de temps limité pour que les témoins s’expriment. Je pense disposer des mêmes privilèges que les autres membres du comité, dans la mesure où je peux poser ma question, quelques questions, et je pense qu’il est pertinent de tenter de comprendre le problème.
Une disposition sur la priorité absolue existe dans la loi sur la faillite et l’insolvabilité. La période de 15 jours s’applique aux produits agricoles, c’est-à-dire, aux fruits et légumes. Évidemment, il y a aussi une période de 30 jours. Si nous allongeons la période de 15 jours à 30 jours, conformément à la disposition de la loi actuelle relative à la priorité absolue, est-ce que cela résoudrait votre problème?
M. Mougeot : Je vais répondre à cette question si vous le voulez bien. Pour répondre à la question précédente du sénateur Varone, où se situe habituellement le risque? Nous n’avons pas vu de cas d’insolvabilité de détaillants ni d’insolvabilité générale de grands détaillants au Canada. La partie intermédiaire du marché, entre le producteur et le détaillant, où se trouvent les grossistes et les distributeurs, est la partie risquée.
Si vous examinez la disposition actuelle, elle concerne le producteur. Une fois que le producteur vend son bien à un consolidateur, c’est la seule transaction qu’il peut faire. Ensuite, le consolidateur le vend à un distributeur et à un grossiste. Ce sont les grossistes et les distributeurs qui représentent le plus grand risque pour nous. Si l’un d’eux devient insolvable, ce producteur ne pourra peut-être pas obtenir l’argent directement du consolidateur. Ce sera au consolidateur de l’obtenir. Dans le régime actuel, ce consolidateur, parce qu’il n’est pas un producteur, ne pourrait pas aller chercher quelque chose.
Ce n’est pas le cas aux États-Unis. Si un maillon de la chaîne se brise, cette chaîne peut être couverte par cette priorité absolue. Cela permet quand même à l’argent de continuer à circuler vers le bas de la chaîne, car il peut être retiré de ce maillon brisé et il pourra continuer à être remboursé aux producteurs.
M. Lemaire : Puis-je ajouter quelque chose rapidement? M. Mougeot a parlé des grands détaillants. Il faut se rappeler que Target a fait faillite. Lorsque Target a fait faillite au Canada, Sobey’s était le fournisseur de Target, alors Sobey’s a acheté tous les fruits et légumes frais et les a livrés. Si Sobey’s ne s’était pas assurée elle-même et n’avait pas payé les millions de dollars dus à nos agriculteurs canadiens, nous aurions assisté à la disparition traumatisante de l’exploitation agricole familiale dans tout le pays. Cela aurait été lourd de conséquences.
Nous avons travaillé en étroite collaboration pour nous assurer que ces agriculteurs sont payés. Cela ne peut pas arriver. Nous ne pouvons pas compter sur la bonne volonté de certaines de ces grandes entreprises de s’autoassurer. Ce n’est pas ainsi que nous devrions faire des affaires alors que nous devons mettre en place une structure pour soutenir la résilience et la stabilité du marché en cas de faillite.
Le sénateur Yussuff : En 2020, lorsque cette question a été débattue au Comité de l’agriculture et des forêts, on a mené une enquête préliminaire pour comprendre à quel point le problème était complexe et difficile. On a maintenant estimé qu’il correspondait à 0,01 %. Y a-t-il des preuves démontrant que le problème aurait été plus grave que ce qui a été présenté? Est-il plus grave? Parce que, encore une fois, nous n’avons toujours pas réussi à déterminer l’ampleur du problème que nous essayons de résoudre.
M. Mougeot : Le problème avec les chiffres cités dans cette étude réside dans les capacités de production de rapports et la capacité d’extraire ces renseignements des statistiques. En raison du niveau de granularité, il n’est pas possible de les ventiler directement selon les fruits et légumes frais.
L’autre chose qui se produit, comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, c’est que des gens abandonnent leur entreprise. Comme les producteurs, entre autres, ne sont pas des créanciers garantis ou n’ont pas accès à ces fonds, il n’y a aucune raison pour eux d’acculer quelqu’un à la faillite, car il ne restera plus d’argent pour eux. Le coût et le processus rendent la situation difficile, alors on laisse ces abandons se produire. Ils ne sont pas non plus signalés. Cela arrive souvent.
Je le constate au sein de la Corporation de règlement des différends : nous résilions régulièrement l’adhésion de membres qui cessent d’exploiter leur entreprise. Il ne s’agit que d’argent impayé, qui n’est pas réclamé et qui ne peut pas l’être parce que, comme je l’ai dit, les producteurs présentent une requête en insolvabilité, puis les créanciers garantis interviennent et en prennent une bonne partie. Il ne reste plus rien à ce moment-là.
La présidente : Je dois vous arrêter ici. Merci beaucoup à tous nos témoins. Encore une fois, je suis désolée pour le peu de temps dont nous disposons, mais nous avons également le parrain du projet de loi avec nous aujourd’hui. Nous vous sommes vraiment reconnaissants d’avoir fourni autant de renseignements. Merci.
Chers sénateurs, nous avons le plaisir d’accueillir deux témoins par vidéoconférence. Nous entamons nos discussions avec Miranda Killam, surintendante associée du Bureau du surintendant des faillites du Canada, et Jean-Daniel Breton, président sortant du conseil d’administration et membre du Comité des pratiques des entreprises de l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation.
Je vous souhaite la bienvenue aujourd’hui par vidéoconférence. Madame Killam, vous avez la parole.
Miranda Killam, surintendante associée, Bureau du surintendant des faillites Canada : Merci, madame la présidente, et chers membres du comité.
Je m’appelle Miranda Killam et je suis surintendante associée. Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui au nom du Bureau du surintendant des faillites, ou BSF, qui exerce une surveillance du régime d’insolvabilité du Canada en vertu de l’application de la loi, sans lien de dépendance avec le gouvernement du Canada.
Le BSF délivre des permis et réglemente les professionnels de l’insolvabilité, supervise la conformité des intervenants au processus d’insolvabilité et assure un cadre réglementaire efficace.
Je suis heureuse d’avoir l’occasion de m’adresser au comité aujourd’hui au sujet du projet de loi C-280, qui donnerait aux vendeurs de fruits et légumes frais une fiducie réputée pour leurs créances impayées en cas d’insolvabilité d’un acheteur de fruits et légumes frais, ce qui signifie qu’ils seraient payés avant les créances de tous les autres créanciers, quelles que soient l’importance du fournisseur et l’importance de la créance impayée.
Afin de garantir l’intégrité du régime canadien d’insolvabilité et de préserver les éléments importants que sont l’efficacité, la certitude et la prévisibilité, toute modification doit être soigneusement examinée dans un contexte plus large. La création d’exceptions fragmentaires au régime de distribution existant, comme de nouvelles priorités, des priorités absolues ou des fiducies réputées, peut avoir des répercussions sur l’ensemble du régime d’insolvabilité.
Comme vous le savez, Elisabeth Lang, la surintendante des faillites, a soulevé des préoccupations opérationnelles et des conséquences imprévues potentielles qui pourraient survenir si le projet de loi est adopté. Je vais résumer brièvement ces préoccupations.
Premièrement, comme les fiducies réputées confèrent un titre de participation sur les biens fournis ou sur le produit de leur vente jusqu’au remboursement complet de la dette, elles peuvent avoir de réelles répercussions négatives sur le coût et/ou la disponibilité du crédit, ainsi que sur le recouvrement des autres créanciers. La faillite est un jeu à somme nulle, ce qui signifie que le débiteur n’a pas suffisamment d’actifs pour payer tous les créanciers. Les politiques, comme la fiducie réputée du projet de loi C-280, qui feraient en sorte que certains créanciers seraient payés davantage, font par définition perdre davantage à d’autres créanciers. Cela peut avoir une incidence sur le crédit, car les prêteurs tiennent compte des attentes de remboursement en cas d’insolvabilité lorsqu’ils décident s’ils accorderont du crédit et à quelles conditions.
Compte tenu de ces répercussions négatives, les fiducies réputées sont généralement réservées aux intérêts publics impérieux dans les scénarios où un créancier ne peut se protéger au moyen de dispositions contractuelles. Un exemple appréciable est la fiducie réputée en faveur de la Couronne pour les déductions fiscales des employés en cas d’insolvabilité d’un employeur. La fiducie réputée du projet de loi C-280 paierait les réclamations relatives aux fruits et légumes frais avant les fiducies réputées existantes pour l’Agence du revenu du Canada, ou ARC, qui protègent l’impôt sur le revenu non versé, et les cotisations au Régime de pensions du Canada et à l’assurance-emploi des travailleurs canadiens, ce qui entraînerait un transfert des contribuables canadiens aux vendeurs de fruits et légumes frais en cas d’insolvabilité. Actuellement, aucune réclamation commerciale privée ne bénéficie d’une fiducie réputée, créée en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, ou LFI, ou de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.
Le BSF s’inquiète d’un écart par rapport au principe fondamental de l’insolvabilité selon lequel les créanciers dans une situation similaire devraient recevoir un traitement similaire dans les procédures d’insolvabilité. Le régime d’insolvabilité est un équilibre délicat entre les intérêts, et le projet de loi C-280 ferait pencher la balance en faveur d’une réclamation d’un créancier commercial au détriment de toutes les autres. Bien que les pertes impayées en cas d’insolvabilité soient une réalité dans une économie de marché fondée sur le crédit, un traitement spécial de l’insolvabilité pour certains créanciers doit être appuyé par des preuves qui justifient les circonstances particulières du créancier et qui démontrent que les mesures fondées sur le marché visant à réduire les risques d’insolvabilité des créanciers seraient inefficaces. D’après les données du BSF, les pertes du secteur des fruits et légumes frais restent très faibles.
[Français]
Deuxièmement, le projet de loi C-280 pourrait augmenter le nombre de dossiers orphelins en matière d’insolvabilité dans le secteur des produits frais.
Le recours aux fiducies réputées ne peut être imposé qu’en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, dans le cadre de faillites et de mises sous séquestre administrées par des syndics autorisés en insolvabilité.
Si des réclamations au titre de fiducies réputées excèdent les actifs disponibles pour payer les honoraires et les dépenses du syndic, ce dernier pourrait refuser le dossier. Si un dossier n’est pas administré par un syndic et qu’aucun des actifs n’est liquidé, les taux de recouvrement pour les créanciers au dossier, y compris les vendeurs de produits frais, diminueront.
Un plus grand nombre de dossiers d’insolvabilité orphelins dans le secteur des produits frais entraînerait la non-réalisation d’actifs, la perte de recettes fiscales ainsi que la perte de prestations pour des salaires impayés en vertu du Programme de protection des salariés.
[Traduction]
Enfin, troisièmement, la disposition actuelle d’entrée en vigueur, telle que formulée, signifie que le projet de loi C-280 s’appliquerait aux procédures d’insolvabilité en cours. Autrement dit, une procédure d’insolvabilité pourrait commencer avec un ensemble de règles qui changerait à mi-chemin de la procédure après l’entrée en vigueur du projet de loi C-280, ce qui perturberait les arrangements commerciaux existants et minerait la certitude juridique et les arrangements contractuels. Pour maintenir l’équité et la certitude, qui sont la pierre angulaire d’un régime d’insolvabilité efficace, toute modification des lois canadiennes sur l’insolvabilité devrait être rédigée de manière à ce qu’elle ne s’applique qu’aux dossiers présentés après l’entrée en vigueur de la loi.
Merci, et j’attends avec impatience vos questions.
La présidente : Merci.
Monsieur Breton, allez-y.
Jean-Daniel Breton, président sortant du conseil d’administration et membre du Comité des pratiques des entreprises, Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation : Bonjour, madame la présidente et distingués membres du comité. L’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation, ou ACPIR, est une organisation nationale comptant environ 1 400 membres et associés qui pratiquent dans le domaine de la réorganisation et l’insolvabilité auprès des particuliers et des entreprises. Les membres de l’ACPIR jouent divers rôles dans les dossiers d’insolvabilité au Canada, notamment ceux de syndics de faillite, de syndics agissant dans le cadre de propositions concordataires, de séquestres et de contrôleurs nommés par le tribunal.
En raison de la nature de leur travail, les syndics autorisés en insolvabilité ne représentent aucun groupe précis : à titre d’officiers de justice, ils doivent plutôt administrer les mandats conformément à la loi et dans l’intérêt de toutes les parties prenantes.
Le mandat de l’ACPIR comprend la promotion d’un régime d’insolvabilité et de réorganisation équitable, transparent et efficace au Canada. Pour atteindre cet objectif, l’ACPIR participe notamment, à la demande du gouvernement, à des consultations sur des projets de loi ou des changements réglementaires, et elle intervient dans des affaires judiciaires. Elle est d’ailleurs intervenue dans dix affaires devant la Cour suprême du Canada.
Nous avons préparé un mémoire à l’intention du comité, dans lequel nous présentons notre point de vue sur le projet de loi C-280. En résumé, nous croyons que le projet de loi part d’une bonne intention, mais qu’il n’est pas judicieux et qu’il est peu susceptible d’atteindre les objectifs énoncés. Au contraire, nous estimons qu’il risque de rendre l’administration des dossiers d’insolvabilité plus coûteuse et moins efficace.
Notre mémoire soulève plusieurs points problématiques. Premièrement, les créanciers qui pourraient bénéficier de la protection ne sont pas bien définis. Les discours prononcés à la Chambre et au Sénat ainsi que le titre même du projet de loi suggèrent que la protection s’appliquerait aux agriculteurs. Bien que le texte du projet de loi ne soit pas clair à ce sujet, il semble faire référence à un groupe plus vaste de fournisseurs.
Deuxièmement, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité prévoit déjà des mesures de protection pour un large éventail d’activités, notamment l’élevage du bétail, la culture de fruits, de légumes et de céréales, la production d’œufs l’industrie laitière, l’apiculture, la pêche et l’aquaculture. Donc, la protection existe déjà.
Troisièmement, les fournisseurs seraient protégés par une fiducie réputée. Il s’agit du même mécanisme de protection que celui prévu par la Loi de l’impôt sur le revenu et d’autres lois fiscales pour les réclamations de la Couronne. Depuis le début des années 1980, ces fiducies réputées font l’objet de litiges devant les tribunaux, même encore en 2024. Selon la jurisprudence basée sur plus de 40 ans de litiges, nous croyons que la fiducie réputée envisagée par le projet de loi ne serait probablement pas efficace pour protéger les réclamations des fournisseurs.
Quatrièmement, le projet de loi risque de semer de la confusion dans le système de priorité, ce qui entraînerait un manque de prévisibilité et de transparence dans la loi. Cinquièmement, le projet de loi ne contient pas de dispositions transitoires. Sixièmement, l’objectif du projet de loi est de résoudre un problème de réciprocité avec les États-Unis, c’est‑à‑dire qu’il vise à reproduire la protection offerte par la Perishable Agricultural Commodities Act, ou PACA, des États-Unis. Il existe toutefois plusieurs différences importantes entre le projet de loi et la PACA, de sorte que rien ne garantit que le projet de loi assurera une telle réciprocité.
De plus, notre mémoire comprend un commentaire général, à savoir s’il est judicieux d’apporter des modifications fragmentaires à la législation sur l’insolvabilité afin de répondre aux préoccupations d’un groupe particulier. La surintendante des faillites a aussi soulevé ce point dans son mémoire sur ce projet de loi, et nous sommes d’accord avec elle. Nous estimons que lorsqu’il s’agit d’allouer des ressources limitées, il serait préférable d’aborder ces changements dans le cadre d’un examen exhaustif de la loi, lorsque tous les intérêts des parties prenantes peuvent être pris en compte, ainsi que les effets des changements sur chaque partie prenante.
Comme je l’ai mentionné précédemment, l’ACPIR est toujours prête à participer à un tel exercice afin que notre législation demeure équitable et pertinente.
Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Merci beaucoup. Nous allons commencer nos questions maintenant.
Le sénateur Loffreda : Je remercie les témoins d’être ici.
Le capital est une ressource importante dans toutes les industries. D’après une réponse du gouvernement à un rapport de 2020 d’un comité de la Chambre des communes, le projet de loi C-280 augmentera les risques pour les prêteurs, ce qui les rend plus hésitants à accorder un crédit aux entreprises du secteur. Nous nous sommes demandé si le projet de loi renforcerait la sécurité alimentaire, mais j’aimerais avoir votre avis sur la question.
Si les grossistes ou ceux qui se trouvent à la fin de la chaîne d’approvisionnement, c’est-à-dire les entreprises à qui nous, le public, achetons des produits, ont des contraintes financières, comment cela peut-il renforcer la sécurité alimentaire? Ne s’agit‑il pas d’insécurité alimentaire, s’ils manquent de capitaux et qu’ils ne peuvent pas emprunter? Aucune entreprise ne peut fonctionner uniquement avec ses propres liquidités.
J’ai travaillé dans le secteur de la finance pendant plus de trois décennies, et il y avait, par exemple, des épiceries pour lesquelles nous avions établi une marge de 50 % des stocks non périssables moins les créances antérieures, et où une fiducie réputée devient une créance antérieure. Par conséquent, cela limite le crédit que l’on peut accorder à l’entreprise du bout de la chaîne, ou le public achète.
M. Breton : Merci de la question. Je vais essayer d’y répondre.
Quant à savoir comment cela touchera les crédits, c’est un peu comme regarder dans une boule de cristal; personne ne sait avec certitude à quel point et dans quelle mesure cela touchera les crédits. Il est certain qu’un risque accru n’est jamais à coût nul. Dès qu’il y a une augmentation perçue du risque, il y a un coût associé à cette augmentation.
Le précédent groupe de témoins a discuté du même problème, en ce qui concerne les modalités de crédit. À l’époque où ces protections ont été intégrées dans la LFI, les politiques acceptées en matière de crédit dans les secteurs agricole et maraîcher prévoyaient un délai de paiement très court. Je me souviens de l’époque où les modalités de paiement déclarées étaient de sept jours et d’une autre époque où elles étaient de 15 jours. C’est sur cette base que l’on a instauré ces protections.
Bien sûr, la nécessité du marché et les restrictions imposées par les acheteurs assez puissants pour dicter les conditions font en sorte que les fournisseurs doivent aujourd’hui allonger la durée des crédits. La prolongation de la durée des crédits a un coût, qui est le risque de perdre de l’argent en raison de l’insolvabilité. De la même façon, si les prêteurs considèrent qu’il y a un risque accru, cela pourrait s’accompagner d’un coût accru, à savoir une perte des facilités de crédit, de l’accessibilité au crédit ou d’une augmentation du taux d’intérêt.
La présidente : Madame Killam, je crois que vous vouliez intervenir?
Mme Killam : Si vous le permettez, merci, madame la présidente. J’aimerais faire remarquer que les prêteurs prendront en considération leur risque accru, si la balance penche en faveur d’une partie particulière, ce qui augmentera le coût pour les acheteurs et les consommateurs de fruits et légumes frais, et cela se répercutera sur les consommateurs.
Les mesures proposées dans le projet de loi augmentent le risque pour les prêteurs, parce qu’il est possible de trouver un autre créancier avec une fiducie réputée d’un montant inconnu qui sera payé en premier. Quand les risques augmentent, les prêteurs refusent généralement de prêter de l’argent, exigent une garantie ou augmentent le taux d’intérêt. C’est une des raisons pour lesquelles les fiducies réputées sont réservées aux intérêts publics impérieux dans les scénarios où un créancier ne peut se protéger au moyen de dispositions contractuelles. J’ai d’autres choses à dire, mais je les garderai peut-être pour une autre question.
Le sénateur C. Deacon : Merci. J’aimerais revenir sur ce que vous disiez à propos des motifs de politique publique impérieux. Pendant la pandémie, nous avons vu à quel point il est primordial d’avoir nos propres capacités de production au Canada, surtout de production alimentaire, quand les choses tournent au vinaigre.
Je voudrais vous poser une question sur ce que vous avez fait dans le passé pour aider à régler ce problème, surtout au chapitre des produits les plus périssables. Il y a des agriculteurs qui gagnent de l’argent en très peu de temps; leurs intrants sont utilisés sur une longue période, et leurs revenus sont générés sur une période très courte. Je dirais que les exportations dans notre secteur agroalimentaire sont une priorité, selon ce que le gouvernement a déclaré, mais personne n’a fait quoi que ce soit pour corriger ce déséquilibre commercial et permettre aux producteurs de produits périssables de respirer.
Compte tenu de la priorité relative aux motifs de politique publique impérieux, qui est de produire nous-mêmes nos aliments — ce qui signifie que l’agriculture doit être rentable et attirer les jeunes pour qu’ils prennent la relève —, selon vous, où faut-il intégrer cela? C’est un dossier avec lequel Ottawa jongle depuis 40 ans sans rien y faire.
Mme Killam : Merci. Oui, le gouvernement a bien étudié les questions générales liées à la fiducie réputée, au cours des 15 dernières années. En collaboration avec l’industrie, entre 2007 et 2009, un groupe de travail fédéral-provincial a étudié les pratiques de paiement dans le secteur des fruits et légumes frais, et il a conclu que la PACA, comme la fiducie réputée pour les vendeurs de fruits et légumes frais, n’était pas justifiée. Une fiducie réputée n’était pas recommandée. Ce mécanisme n’était pas recommandé en raison de ses effets négatifs sur le crédit et des petits paiements de faillite. Il y avait les pertes en dehors de l’insolvabilité, dues au non-paiement, aux longs délais de paiement, aux mauvaises pratiques de crédit et aux différends quant à la qualité, qui étaient beaucoup plus élevées.
De plus, en 2014, le Conseil de coopération en matière de réglementation entre le Canada et les États-Unis a examiné les options de paiement du secteur des fruits et légumes frais. Les conclusions du précédent groupe de travail fédéral-provincial sur les faibles pertes dues à la faillite ont été confirmées. Ce qui a été recommandé, ce sont les outils financiers d’atténuation fondés sur le marché visant à réduire les pertes, comme l’assurance, les cautions et l’affacturage.
Je peux également noter que, en 2014, Innovation, Sciences et Développement économique Canada a lancé un examen législatif des lois canadiennes en matière d’insolvabilité et, dans le document de consultation, on demandait aux parties prenantes leurs commentaires sur les meilleures protections pour les vendeurs de fruits et légumes frais. Le secteur des fruits et légumes frais ainsi que d’autres groupes d’intervenants ont fourni des observations sur cette question. Alors que le secteur des fruits et légumes frais était en faveur de la fiducie réputée, les prêteurs et les experts en insolvabilité s’y opposaient.
Le sénateur C. Deacon : Donc, plus on s’éloigne de la ferme, moins il y a d’intérêt. Le fait est que les agriculteurs disent que cela n’augmente pas leurs coûts d’emprunt parce qu’ils ont une relation avec leur prêteur, et ils ont donc une idée plus précise. Quoi qu’il en soit, merci.
La sénatrice Marshall : Merci beaucoup. J’aimerais revenir sur les questions du sénateur Deacon.
En ce qui concerne les deux lois qui seront modifiées, si ce projet de loi est adopté, quand ont-elles fait l’objet d’un examen approfondi? Je pense à la Loi de l’impôt sur le revenu. On a reçu beaucoup de demandes pour que la Loi de l’impôt sur le revenu soit révisée.
En ce qui concerne les lois qui seraient modifiées par ce projet de loi, à quand remonte leur dernier examen complet?
Mme Killam : Le dernier examen législatif complet remonte à 2009. Certaines modifications mineures ont été apportées par d’autres moyens, comme les projets de loi omnibus, mais le dernier examen complet remonte à 2009.
La sénatrice Marshall : Cela fait un bout de temps. Vous disiez en réponse au sénateur Deacon que la question a été soulevée en 2014, je crois, selon ce que vous avez dit?
Mme Killam : Oui. C’est exact. J’avais d’autres choses à dire à ce sujet, mais je me suis arrêtée. C’est plutôt le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts qui a fait l’examen du projet de loi.
La sénatrice Marshall : Il l’a fait?
Mme Killam : Oui.
La sénatrice Marshall : L’examen de 2014, bien qu’il ne faisait pas partie d’un examen complet, remonte à 10 ans. Le problème, c’est que c’est ponctuel, le gouvernement apporte des modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu une à une. Cette question est ponctuelle, et cela pose problème. Je ne pense pas que cela soit le problème auquel vous pensez. Quand le prochain examen complet est-il censé avoir lieu?
Mme Killam : Actuellement, il y a un examen réglementaire portant sur un certain nombre d’amendements proposés, et nous espérons le mener à terme, mais cela prend du temps. Par la suite, l’objectif est d’entamer des discussions, de créer une table de discussion stratégique et de discuter des prochaines étapes. Nous aimerions en faire plus souvent qu’actuellement, mais cela peut prendre du temps.
Si je puis me permettre, j’aimerais répondre à l’une de vos questions sur les mesures ponctuelles. J’aimerais faire une remarque pour répondre aux commentaires sur l’approche fragmentée. Ce que l’on craint, c’est que les projets de loi fragmentaires qui créent des exceptions au régime de distribution de l’insolvabilité aient un effet domino et poussent les autres groupes d’intervenants à demander d’autres exceptions, et cela affaiblit chaque fois l’équilibre fragile des intérêts et rendements de tous les créanciers. Je voulais juste faire cette remarque. Idéalement, il y aurait un examen complet où l’on tiendrait compte, comme nous l’avons fait remarquer, des répercussions et des interactions avec toutes les parties prenantes.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je vais vous poser à tous les deux une question sur le même sujet. Vous dites que ce projet de loi comporte beaucoup de défauts. Si c’est vrai qu’il a beaucoup de défauts, pourquoi les États-Unis ont-ils prévu une telle protection pour les agriculteurs dans ce secteur?
M. Breton : Je vais commencer, si vous le voulez bien.
Je ne suis pas un spécialiste des lois américaines. J’ai lu les dispositions du code américain qui traitent de la protection pour les fermiers. J’en ai conclu que la protection est extrêmement différente.
Ce que la Perishable Agricultural Commodities Act (PACA) introduit comme protection est une vraie fiducie; cela veut dire qu’elle crée une obligation pour les acheteurs de produits de conserver le produit de la vente dans un compte en fiducie, et c’est ce compte qui est distribué.
La protection envisagée ne prévoit pas une vraie fiducie, mais une fiducie présumée. Notre expérience nous montre que ce ne sera pas une protection efficace. La même disposition que celle qui est envisagée est assez équivalente à la disposition qui existait dans la Loi de l’impôt sur le revenu dans les années 1990.
Cela a été modifié plusieurs fois par la suite, parce que les décisions jurisprudentielles au cours du temps ont indiqué que ces dispositions étaient insuffisantes pour créer une fiducie ou même une vraie fiducie présumée qui protégerait les intérêts du créancier.
Les dispositions de la loi américaine ne visent pas l’insolvabilité; elles visent les transactions ordinaires et prévoient un mécanisme de règlement des différends. Par exemple, si des biens sont envoyés à un acheteur américain et qu’il y a une dispute quant à la qualité des biens, il y a un processus en vertu de cette loi pour régler les différends. Ce processus n’existe pas dans la fiducie présumée envisagée ici. C’est une fiducie présumée qui ne dépendrait pas d’une dispute commerciale, mais strictement de l’impossibilité de payer qui provient de la faillite ou de la mise sous séquestre de la compagnie débitrice ou de l’acheteur des biens.
La sénatrice Bellemare : Diriez-vous que la fiducie présumée est plus ou moins efficace que le système américain?
M. Breton : Selon moi, de la manière dont elle est rédigée, la fiducie présumée sera moins efficace que le système américain.
[Traduction]
La présidente : Vouliez-vous dire quelque chose, madame Killam?
Mme Killam : J’aimerais apporter une précision. Comme mon collègue l’a dit, ce domaine est en dehors de mes responsabilités. Je ne suis pas une experte du droit américain, mais je voulais souligner un point qui a été mentionné.
Même si le projet de loi était adopté, la fiducie réputée ne s’appliquerait toujours pas aux acheteurs solvables comme il s’applique aux États-Unis. Selon les études sur la question au Canada, la plupart des problèmes de paiement dans le secteur des fruits et légumes frais sont dus à la lenteur des paiements, aux paiements partiels ou au non-paiement, par les acheteurs solvables.
La sénatrice Ringuette : J’ai deux questions. Madame Killam, merci beaucoup. En moins de cinq minutes, vous avez mis en relief l’essentiel de nos inquiétudes concernant ce projet de loi.
Ma question est la suivante : vous avez mentionné différents rapports, dans votre réponse, pourriez-vous les transmettre à la greffière du comité pour que nous puissions les examiner?
Mme Killam : Oui, nous pouvons le faire. Absolument, oui.
La sénatrice Ringuette : Monsieur Breton, vous avez dit que ce projet de loi n’assure pas la réciprocité. Pourriez-vous nous en dire davantage?
M. Breton : Comme je l’ai dit plus tôt dans la réponse à la précédente question, la PACA prévoit la mise en place d’une véritable fiducie. Cela nécessite d’affecter des fonds et de les mettre de côté. Ces fonds serviront ensuite dans le processus de règlement des différends. Il ne s’agit pas seulement d’une question de disponibilité de fonds en cas d’insolvabilité. C’est ce qui se produit si vous avez des fonds spécifiquement affectés à un compte en fiducie distinct qui garantit le paiement en cas d’insolvabilité. Mais leur processus prévoit également un processus de règlement des différends dans le cas où, par exemple, il y a un problème lié à la qualité des produits livrés. Si la catégorie est incorrecte ou contestée, il existe alors un processus pour déterminer exactement la nature de la réclamation contre la fiducie et de la traiter.
Ce processus n’existe pas dans la fiducie réputée envisagée dans le projet de loi C-280. Par conséquent, nous ne pouvons pas savoir à l’avance si cette disposition serait considérée comme suffisante par les autorités américaines chargées d’accorder la réciprocité aux agriculteurs canadiens pour s’assurer qu’ils ont accès à la protection américaine.
J’aimerais mettre les choses en contexte. En fait, ce que l’on vous demande de faire au moyen de ce projet de loi, c’est de rédiger une loi visant à protéger les agriculteurs américains, et de rédiger une loi américaine visant à protéger les agriculteurs canadiens. C’est ce que l’on vous demande de faire au moyen de cet argument de réciprocité.
Aujourd’hui, il s’agit d’un argument valide. Nos créanciers qui se trouvent dans une situation similaire devraient bénéficier des mêmes types de protection, mais il ne s’agit pas vraiment d’une question d’insolvabilité; c’est une question de commerce extérieur.
La présidente : Merci beaucoup de ces commentaires.
Le sénateur Varone : Merci de votre témoignage. Je l’ai trouvé très intéressant et pertinent.
Selon moi, il y a une différence dans la diminution du crédit tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Au fil du temps, cette question est devenue le véritable nœud du problème. Cela dit, je me demande vraiment si les fruits et légumes doivent faire partie de la famille des fiducies réputées ou même de la catégorie de la super priorité.
Pourriez-vous répondre à la question suivante : Y a-t-il un instrument de sécurité qui n’est ni une fiducie réputée ni une super priorité, qui serait comparable à des créanciers garantis, comme les banques?
M. Breton : La question s’adresse-t-elle à moi?
La présidente : Veuillez adresser votre question à l’un des témoins.
Le sénateur Varone : Je m’excuse, l’un ou l’autre.
La présidente : Monsieur Breton, allez-y.
M. Breton : Oui, les créanciers pourraient vraisemblablement obtenir une garantie conventionnelle pour protéger leurs créances, mais dans la pratique, elle est très difficile à obtenir, lorsqu’il y a un déséquilibre dans la structure du pouvoir lors de la négociation entre un acheteur et un vendeur.
Les banques peuvent facilement négocier une garantie, parce que c’est une condition préalable pour obtenir un crédit. Cela est très facilement fait. Aujourd’hui, l’intérêt des fournisseurs est plutôt axé sur la vente de leurs produits que sur la garantie du paiement. La préoccupation est présente — le paiement doit toujours être fait —, mais leur principale préoccupation est de réaliser des ventes, d’augmenter leurs ventes et d’ouvrir de nouveaux marchés. Il serait difficile de négocier ces types de montages financiers. Il pourrait y avoir d’autres méthodes, des garanties gouvernementales, l’assurance et la mise en commun des risques.
Mme Killam : Même s’il est vrai que le secteur des fruits et légumes frais est exposé à des risques financiers en raison du défaut de paiement des vendeurs, les études sur cette question, comme je l’ai dit plus tôt, montrent que la plupart de ces risques découlent des différends liés au paiement, à la lenteur des paiements et aux paiements partiels, par les acheteurs solvables. Les statistiques dont nous disposons ont montré que les pertes découlant du non-paiement dues à l’insolvabilité des acheteurs sont très faibles par rapport aux pertes associées à ces autres sources.
Il convient de noter que le projet de loi C-280 s’applique seulement si l’acheteur de fruits et légumes frais est insolvable et qu’il ne permettrait pas d’atténuer les risques liés aux problèmes de non-paiement plus importants auxquels le secteur fait face.
La sénatrice Martin : Madame Killam, vous venez de rappeler que les pertes demeurent faibles ou très faibles, mais nous avons également entendu que la marge bénéficiaire est extrêmement faible et que les pertes sont catastrophiques pour ces agriculteurs.
Des témoins du groupe précédent ont dit que l’exemple des États-Unis montre comment les dispositions du projet de loi C-280 pourraient également être efficaces au Canada. Je sais que vous avez fait part de votre inquiétude concernant ce projet de loi, donc, ma question est la suivante : Qu’y a-t-il dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité actuelle qui l’empêche d’aider les vendeurs de fruits et légumes frais à faire face à ces défis spécifiques? Nous entendons dire qu’ils sont dans une situation désespérée. Sans ce projet de loi, comment allons-nous répondre à ces préoccupations?
Mme Killam : Pour revenir à votre question sur les marges bénéficiaires, selon nous, il serait utile de fournir quelques données, quelques statistiques. D’après nos données, comme je l’ai dit plus tôt, les pertes dues à l’insolvabilité dans le secteur des fruits et légumes frais demeurent très faibles; elles ont fluctué entre 0,08 et 0,02 % des ventes de l’industrie, ces dernières années. Si l’on examine certaines données historiques, entre 2017 et 2022, il n’y a eu que 20 faillites dans le marché des fruits et légumes frais, et 14 chez les grossistes en fruits et légumes, pour une moyenne de 6,8 faillites par an.
Cette année-là...
La sénatrice Martin : Je m’excuse de vous interrompre, mais ces pourcentages représentent quand même des familles et des agriculteurs. Je sais, j’ai entendu que cela ne touche que 1 % du secteur, mais nous parlons de familles. Je sais qu’il y a des statistiques, mais nous parlons des 140 000 agriculteurs et des répercussions sur les petites entreprises, qui représentent 75 % du secteur.
Les chiffres peuvent dire une chose, mais la réalité sur le terrain, comme l’ont dit les témoins du précédent groupe, c’est que les répercussions sont catastrophiques. Comment allons-nous régler ce problème sans ce projet de loi?
Mme Killam : La Loi sur la faillite et l’insolvabilité prévoit actuellement quelques protections que mon collègue a mentionnées. D’après ce que je comprends, certaines de ces protections concernent les agriculteurs. J’ai entendu dire qu’elles pourraient ne pas suffire. Je peux les passer en revue, si c’était utile... passer en revue les protections prévues dans la loi; cela serait-il utile?
La sénatrice Martin : Oui.
Mme Killam : Il existe actuellement des protections pour ce groupe vulnérable, et je le comprends.
Actuellement, les agriculteurs, les pêcheurs et les aquaculteurs bénéficient d’une protection. En particulier, les vendeurs de fruits et légumes frais et les autres fournisseurs de biens non payés peuvent récupérer les biens identifiables invendus dans les 30 jours suivant leur livraison à un acheteur qui a fait faillite ou qui a été mis sous séquestre.
Aujourd’hui, les agriculteurs et les producteurs maraîchers bénéficient également d’une garantie.
Le commentaire que je ferais à ce chapitre, c’est que, si ces protections sont jugées insuffisantes, je pense qu’elles pourraient faire l’objet d’un examen, mais d’un examen holistique tenant compte des avis ou des interactions des autres parties prenantes.
La sénatrice Martin : Pendant cet examen, ils font face à des pertes aux conséquences catastrophiques. Trente jours, c’est long. Cet outil a fait l’objet de poursuites pendant 40 ans, d’après ce que nous avons entendu plus tôt. Je constate que rien n’est fait, actuellement. Il faut examiner très attentivement ce projet de loi.
Le sénateur Yussuff : J’aimerais remercier les témoins d’être ici. Vous nous fournissez beaucoup d’éléments de contexte pour l’examen de ce projet de loi, sachant que vous êtes tous les deux les experts sur lesquels nous devons compter pour nous guider dans ce que nous faisons, ici.
Le problème qui m’inquiète le plus, c’est les conséquences imprévues, les conséquences que ce projet de loi pourrait avoir. Madame Killam, le point que vous avez soulevé plus tôt, dans le contexte de l’impôt sur le revenu non versé, des prestations du Régime de pensions du Canada et des prestations de l’assurance-emploi, si ce projet de loi devait être adopté, essentiellement, étant donné sa structure, cela serait déplacé et les travailleurs et les contribuables devront composer avec cette réalité. J’imagine que les conséquences seront les mêmes dans le Programme de protection des salariés, qui a normalement la priorité pour les réclamations, quand le gouvernement effectue des paiements aux travailleurs qui n’ont pas reçu leurs salaires non versés, leurs indemnités de départ ou leurs indemnités de congé annuel.
Pourriez-vous éclaircir ce point, s’il vous plaît?
Mme Killam : Oui, je peux le faire.
Selon la loi actuelle, les créances des vendeurs de fruits et légumes frais ne sont pas garanties, ce qui signifie qu’elles sont sur le même pied d’égalité que celles des autres créanciers non garantis, comme les fournisseurs, les sous-traitants, les prêteurs non garantis et certains types de créances d’employés. Si le projet de loi C-280 est adopté, les créanciers des fiducies réputées seraient payés non seulement avant les autres créanciers non garantis, mais avant tous les autres créanciers, dont l’Agence du revenu du Canada; la fiducie réputée pour les retenues à la source des employés; la super priorité accordée aux salaires impayés; la super priorité accordée au passif non capitalisé des régimes de pensions prévus dans le projet de loi C-228, qui a reçu la sanction royale en avril 2023; ainsi que la super priorité limitée accordée aujourd’hui à tous les autres agriculteurs, pêcheurs, aquaculteurs, fournisseurs et créanciers des vendeurs de fruits et légumes frais insolvables.
Le sénateur Yussuff : Si je comprends bien ce que vous nous dites, nous devons faire attention et essayer d’écouter. Autant nous aimerions régler le problème, autant nous pourrions nuire grandement aux arrangements pris par ceux que nous tentons également de protéger, dans le contexte de la loi sur la faillite. Ma description est-elle exacte?
Mme Killam : Oui, je serais d’accord avec cela.
Pour assurer l’intégrité de l’ensemble du système canadien et maintenir les éléments de l’efficience et de la prévisibilité, tout amendement doit être étudié attentivement dans le contexte plus général. La création d’exceptions fragmentaires au schéma de distribution actuel, comme cette priorité accordée à la fiducie réputée, a des effets. Elles incitent également d’autres groupes d’intervenants à demander d’autres exceptions et cela affaiblit, chaque fois, l’équilibre fragile des intérêts et des rendements de tous les créanciers.
La présidente : Merci beaucoup, madame Killam et monsieur Breton, de votre témoignage d’aujourd’hui. Nous apprécions vos commentaires et vos points de vue. Merci d’être venus.
Nous allons maintenant passer à notre dernier témoin. Le député, Scot Davidson se joint à nous. Il est le député de York—Simcoe, et le parrain du projet de loi C-280. Merci beaucoup de vous joindre à nous, aujourd’hui.
Scot Davidson, député, York—Simcoe, Ontario, parrain du projet de loi, à titre personnel : Merci, madame la présidente, sénatrices et sénateurs, d’être ici aujourd’hui. Je pensais que nous allions avoir une pause de 30 secondes. J’allais vous donner à tous un Gwilly, la mascotte de la ville de Bradford West Gwillimbury, fournisseur des fruits et légumes du Canada, que je représente.
La présidente : Nous procéderons à une remise solennelle de la mascotte un peu plus tard.
M. Davidson : Je pense que nous devrions le faire. C’est important. Tout le monde en serait heureux à Bradford.
Je remercie les membres du comité de me donner l’occasion d’enfin comparaître devant vous, en tant que parrain du projet de loi C-280.
Ce projet de loi vise à établir un mécanisme de protection financière, une fiducie réputée limitée, pour s’assurer que les producteurs de fruits et légumes frais sont payés en cas de faillite de l’acheteur.
Dans sa forme actuelle, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité reconnaît déjà l’importance de l’agriculture au Canada et la nécessité de renforcer la position des agriculteurs en tant que créanciers, durant les procédures de faillite. Le problème, c’est que, en pratique, actuellement, la super priorité accordée aux agriculteurs et les dispositions relatives au droit de possession des agriculteurs, prévues dans la loi, ne sont pas adaptées aux producteurs de fruits et légumes frais dont les acheteurs deviennent insolvables. La reprise de possession est rarement possible, puisque les fruits et légumes frais se gâtent rapidement et sont rapidement vendus aux clients ou intégrés dans d’autres produits. De plus, le délai de 15 jours fixé par la loi est trop court pour un secteur dont les modalités de paiement sont généralement de 30 jours ou plus, bien après qu’un produit a été vendu, transformé ou consommé par les consommateurs.
Pour cette raison, les agriculteurs canadiens font face à des pertes importantes et parfois insurmontables, lorsqu’un acheteur fait faillite. Ils doivent faire la queue avec tous les autres créanciers pour se faire payer. Bon nombre sont contraints de renoncer à une dette, à l’argent qui leur est dû. Ces faillites ont un effet domino sur le secteur, et mettent les agriculteurs et d’autres producteurs dans des situations difficiles, alors qu’ils doivent déjà faire face à l’inflation actuelle, aux problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement et à d’autres pressions qui touchent leurs faibles marges bénéficiaires.
Ce qui touche davantage le secteur des fruits et légumes frais, c’est que les agriculteurs ne pourront avoir accès aux protections financières qui existent aux États-Unis sans assumer des coûts financiers importants. Je tiens à rappeler au comité que cela n’a pas toujours été ainsi. Dans le passé, le Canada était le seul pays au monde qui avait un accès préférentiel aux mécanismes de règlement des différends prévus dans la United States Perishable Agricultural Commodities Act, connue dans le secteur sous le nom de PACA. Cependant, les États-Unis ont révoqué cet accès, en octobre 2014, en raison de l’absence de mécanisme de réciprocité au Canada.
Aujourd’hui, les vendeurs canadiens doivent verser une caution importante qui vaut deux fois la valeur des marchandises expédiées, simplement pour faire une réclamation au titre de la PACA. Cela désavantage fortement les agriculteurs canadiens, compte tenu du volume élevé de produits vendus aux États-Unis. Il ne fait aucun doute que le secteur des fruits et légumes frais occupe une place importante dans l’économie canadienne. Il génère 33 milliards de dollars de ventes supplémentaires, plus de 17,4 milliards de dollars de valeur ajoutée et plus de 249 000 emplois équivalents à temps plein pour les Canadiens, pour plus de 9,8 milliards de dollars en salaires.
Mais nous sommes ici aujourd’hui parce que le statu quo ne fonctionne pas. Les caractéristiques uniques du secteur des fruits et légumes frais le rendent particulièrement vulnérable aux faillites. Les dispositions actuelles de nos lois sur la faillite, qui reconnaissent l’importance de l’agriculture, ne fonctionnent pas pour ce secteur. Le Parlement doit agir pour remédier à cette situation, au moyen de ce projet de loi. C’est pour cette raison que les députés se sont joints à moi pour parler de ce projet de loi.
Je demanderai aux sénatrices et aux sénateurs de prendre en considération la volonté de la Chambre des communes, les points de vue des intervenants sur le terrain et la nécessité de soutenir le rôle que joue ce secteur dans notre économie en croissance pour protéger la sécurité alimentaire de notre pays. Je vous exhorte tous à appuyer le projet de loi dans sa forme actuelle, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions, aujourd’hui. Merci de m’avoir invité.
Le sénateur Loffreda : Monsieur Davidson, bienvenue à notre comité, et je vous félicite de présenter ce projet de loi et de l’avoir fait approuver à la Chambre des communes. Nous remercions nos agriculteurs. Nous avons tous de l’empathie et de la compassion pour eux, et nous voulons qu’ils réussissent, mais nous avons certaines inquiétudes importantes concernant ce projet de loi, et j’aimerais vous en faire part.
Nous venons d’entendre les précédents groupes de témoins, des experts de l’insolvabilité et de l’accès au crédit. Ils ont dit que la plupart des acheteurs de fruits et de légume sont des acheteurs solvables. De plus, je regarde la réponse à un rapport de 2020 du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire qui recommandait au gouvernement fédéral d’établir une fiducie statutaire réputée pour les producteurs de fruits et légumes; le gouvernement a expliqué que les pertes totales de tous les créanciers du secteur canadien des fruits et légumes frais s’élevaient à moins de 0,1 % des ventes totales, au cours des dernières années.
Dans la même réponse — mon dernier mot à propos de cette question —, le gouvernement fédéral a expliqué son point de vue selon lequel une fiducie statutaire réputée rendrait la tâche plus difficile pour les créanciers qui prêtent à des acheteurs de produits... des acheteurs, et non pas des agriculteurs. Nous soutenons tous les agriculteurs. Les acheteurs de fruits et légumes sont ceux à qui les consommateurs achètent les produits, à qui le public achète. Les prêteurs courent un risque accru en accordant des prêts aux acheteurs de fruits et légumes. Par conséquent, cela touche les coûts qui peuvent être refilés au consommateur. Il y a des contraintes en matière de capital, et cela touche le crédit.
Par conséquent, j’aimerais que vous répondiez à ces inquiétudes et, peut-être, que vous nous convainquiez, nous, les sénatrices et les sénateurs présents, qu’il est possible d’atténuer certaines préoccupations et certains risques. Le capital est une ressource extrêmement importante dans toutes les industries. Nous soutenons tous les agriculteurs, mais nous ne voulons pas que le consommateur soit pénalisé par un coût plus élevé ou moins de produits, parce que l’acheteur ne peut pas acheter ces fruits et légumes.
M. Davidson : Merci, sénateur, de la question. J’ai entendu la fin de ce que disait, je crois, un représentant du gouvernement ou la personne qui témoignait avant moi, sur les acheteurs solvables. Je crois qu’il existe actuellement un mécanisme, appelé la DRC, qu’elle n’a pas mentionné, et qui s’occupe de certains paiements lents et d’autre chose.
L’adoption du projet de loi C-280 ne nuira pas à l’accès au crédit des entreprises de fruits et légumes. Cette fiducie réputée change simplement le calcul de la garantie disponible du créancier. En raison de la fiducie réputée, l’acheteur a moins de garanties disponibles, et le vendeur en a plus. Les créanciers peuvent prendre des décisions pertinentes en matière de prêt en se fondant sur ces calculs.
En rendant les paiements plus prévisibles tout au long de la chaîne de valeur — de l’agriculteur au distributeur, du distributeur au détaillant —, une fiducie réputée permet aux prêteurs de prévoir plus facilement les flux de trésorerie disponibles pour rembourser les prêts de chaque maillon de la chaîne de valeur. Il sera plus facile, et non pas plus difficile, d’accorder des prêts, grâce à une prévisibilité accrue.
D’après des examens menés par des tiers, aux États-Unis, la fiducie répétée prévue dans la PACA aux États-Unis a eu un effet positif sur les producteurs, les emballeurs et les consommateurs du secteur des fruits et légumes frais. Une fiducie réputée entraînerait des effets positifs similaires.
Encore une fois, la loi sur la faillite actuelle précise qu’ils... et je sais que tout le monde ici le sait. Les agriculteurs bénéficient de la super priorité. La loi le dit. Mais le problème pour les producteurs de fruits et légumes frais, c’est que cela ne fonctionne pas pour eux. C’est de cela qu’il s’agit. J’ai entendu quelques représentants du gouvernement dire « cela va avoir un effet domino ». Pas un seul secteur agricole au Canada ne le demande, à l’exception des producteurs de fruits et légumes frais.
Le sénateur Loffreda : [Difficultés techniques] — crée une créance antérieure, et la créance antérieure limite le capital de l’acheteur de fruits et de légumes. J’y ai passé 35 ans, la plupart dans le secteur des prêts, et je peux vous dire le nombre d’heures que j’y ai consacrées, et c’est plus de 50. Croyez-moi, cela limitera le capital des acheteurs. Je pense que le gouvernement a raison de le dire. C’est un risque. C’est une préoccupation. Il faut l’atténuer, et je suis prêt à écouter vos remarques pour savoir comment on pourrait atténuer ces préoccupations. Mais on ne peut pas en débattre. Cela augmentera les coûts, et limitera le capital de ceux qui achètent auprès des producteurs de fruits et légumes.
M. Davidson : Je pense que les banques gèrent actuellement le risque, et elles peuvent gérer le risque à ce chapitre.
Le sénateur Loffreda : Elles sont les meilleures gestionnaires du monde. Je le sais. J’ai travaillé dans ce secteur.
M. Davidson : C’est exact. Pour ceux qui craignent que le crédit sera élevé pour les producteurs de fruits et légumes frais, je ne pense pas que ce soit le cas. Je ne pense pas que cela arrivera. D’après les preuves provenant des États-Unis, je ne crois pas que cela arrivera.
Le sénateur Loffreda : Permettez-moi de ne pas être d’accord avec vous, mais je vous félicite d’avoir présenté le projet de loi.
M. Davidson : Merci.
Le sénateur C. Deacon : Les exportations agricoles nous tiennent à cœur, en tant que pays, monsieur Davidson. Selon moi, cela réduit le risque des exportations sur les marchés mondiaux, où nous pouvons obtenir un prix supérieur pour les produits. D’après moi, il serait très important de gérer ce risque pour les agriculteurs. La rentabilité des producteurs est également une priorité de politique publique impérieuse.
Je ne cesse d’entendre des personnes qui ne sont pas concernées par l’agriculture parler de ses effets. Si vous pouviez passer en revue les coûts et les avantages tels que vous les voyez aujourd’hui, parce qu’ils semblent importants, de mon point de vue, en tant qu’ancien entrepreneur qui a été exposé aux types de risques que l’on veut gérer.
M. Davidson : Le projet de loi C-280 est avantageux pour les Canadiens. Il profite aux agriculteurs, qui ont de bonnes chances d’être payés. Il profite aux distributeurs et aux détaillants canadiens, qui ne seraient plus un deuxième choix sur le marché américain. Il approuve la disponibilité, le prix et la qualité des fruits et légumes frais. Bien sûr, les consommateurs canadiens bénéficieront de tout cela. Il permettra d’améliorer la sécurité alimentaire nationale, qui est si cruciale pour les Canadiens.
Il est possible que les banques et les créanciers similaires assument le coût du projet de loi C-280, puisqu’il prévoit qu’ils seront moins prioritaires, mais il ne s’agit pas d’un coût accru pour le gouvernement ou pour la société canadienne. C’est plutôt un transfert des coûts d’une partie prenante à une autre.
Je pense que les agriculteurs ne doivent plus assumer ce coût. Cela touche l’économie et la sécurité alimentaire nationale de notre pays, au chapitre des fruits et légumes frais. Les prêteurs sont bien mieux placés pour absorber les effets de répartition d’une fiducie réputée que les petits agriculteurs et producteurs qui, comme nous le savons tous ici, subissent déjà des pressions de toutes parts. Je ne pense pas que cela touchera l’accès au crédit.
La présidente : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Bienvenue à notre comité, monsieur Davidson. Ma question est complexe, parce que le problème est complexe. Si je comprends bien votre projet de loi, il vise à s’assurer, par le biais d’une fiducie, que les fermiers canadiens pourront avoir une protection aux États-Unis. Ce projet de loi protégera les agriculteurs contre les faillites des acheteurs canadiens. J’ai résumé cela très schématiquement.
Premièrement, le projet de loi C-280 va-t-il affecter uniquement les relations d’exportation et d’importation, ou aura‑t‑il aussi un impact chez les agriculteurs canadiens qui vendent au Canada? Seront-ils protégés de cette manière?
Deuxièmement, nous avons entendu des critiques assez importantes provenant du secteur des faillites et du milieu financier. Vous avez affirmé qu’ils vont davantage soutenir la facture de cette protection. Pourquoi ne pas avoir proposé, plutôt qu’une fiducie, un système exactement semblable à la PACA américaine pour le Canada?
[Traduction]
M. Davidson : Merci, sénateur, de poser ces questions. Je peux vous dire que je ne suis pas un expert. Je suis un député qui va sur le terrain, et nous avons ici des techniciens et des gens du secteur. Ce que je peux vous dire, c’est que les consultations menées pendant la rédaction de ce projet de loi, premièrement, étaient exhaustives et ont été dirigées par certains des plus grands spécialistes canadiens de ce secteur et du droit de la faillite.
En 2012, il y avait un groupe de travail fédéral-provincial-territorial. Agriculture et Agroalimentaire Canada a commandé un rapport évaluant la pertinence des diverses mesures de protection et des modèles s’appliquant au secteur des produits frais. Le groupe de travail a examiné des titres, des groupes d’assureurs, des fonds mutuels, il a examiné des chambres de compensation et de nombreux autres modèles d’affacturage. Aucun des modèles examinés en 2012 n’a été jugé adéquat. Ils étaient insuffisants pour la compétitivité des coûts, l’impact sur le marché — leur applicabilité au commerce transfrontalier Canada–États-Unis était un problème — et l’accessibilité aux acheteurs comme aux vendeurs.
Quand on rédige un projet de loi d’initiative parlementaire, il est important de respecter, comme vous le savez, sénateur, la compétence provinciale. Les producteurs de fruits et de légumes de tout le Canada, de Leamington à Bradford West Gwillimbury, du Québec à la Colombie-Britannique, ont besoin de ce projet de loi. Cette industrie fait appel à ce projet de loi, car les dispositions actuelles de la loi sur la faillite ne fonctionnent pas.
Nous avons entendu des représentants du gouvernement demander s’il allait y avoir un examen. « Il y en aura peut-être un. L’examen durera 10 ans. » Nous entendons cela depuis des années. Mesdames et messieurs, je crois que vous pouvez comprendre, compte tenu de la situation du Canada, de l’économie et des difficultés auxquelles font face les agriculteurs, les risques qu’ils affrontent, particulièrement les producteurs de fruits et de légumes frais. Pour les sénatrices et sénateurs ici présents, qui pensent peut-être que d’autres entreprises du secteur agricole vont comparaître devant nous; non, parce qu’elles ont des choses à traiter. Au Québec, la gestion de l’offre, pour commencer. Le grain est protégé. Certains pourraient se poser des questions à propos du bœuf. « Qu’en est-il du bœuf? » Le bœuf est vendu à l’encan. Les producteurs de bœuf reçoivent un chèque sur-le-champ. Le bœuf est vendu à un abattoir. C’est rubis sur l’ongle.
Le secteur des fruits et légumes frais est important et unique, au Canada. C’est pourquoi il réclame ce projet de loi.
Le sénateur Yussuff : Monsieur Davidson, merci d’être là. Je sais que vous habitez dans une région du pays où vous voyez la réalité, et je suis certain que les gens viennent vous parler même lorsque vous allez au restaurant, et encore plus quand vous visitez une ferme. Vous entendez constamment parler des problèmes.
Je sais que vous essayez de régler un problème dans le contexte de ce que le projet de loi essaie d’accomplir. Au même niveau, nous avons entendu la sous-commissaire du bureau des faillites ou de l’insolvabilité, et certainement les organisations fiduciaires, dire qu’il y avait des défis inhérents dans le projet de loi que vous proposez.
Laissez-moi vous demander quelque chose de spécifique. J’ai entendu vos arguments. Vous dites que les banquiers comprennent la situation critique des agriculteurs, car il y a déjà une super priorité intégrée au projet de loi. Vous avez dit que l’une des raisons pour lesquelles la protection de la super priorité ne fonctionne pas tient aux produits livrés dans les 15 jours, à cause de la faillite, puisque les modalités de crédit sont de 30 jours, voire plus dans certains cas.
Ne serait-il pas plus équitable pour les autres créanciers ordinaires, mis à part dans les secteurs agricole et de la pêche, d’amender la super priorité pour qu’elle reflète le crédit sur les fruits et légumes frais, par exemple, en passant d’un délai de 15 jours à un délai de 30 ou 45 jours, pour mieux tenir compte des défis et des problèmes que vous avez cernés en lien avec les systèmes de paiement, qui ne correspondent pas à la manière dont les producteurs d’aliments frais se font payer lorsqu’ils livrent leurs produits au pays? Nous ne voulons pas, d’un côté, créer une situation où nous déplaçons les autres et causons des dommages au système actuel.
M. Davidson : C’était une excellente question, sénateur. Vous allez tout de suite recevoir un Gwilly, seulement parce que vous êtes assis près de moi.
Merci de la question. J’aimerais dire deux choses là-dessus. En tant que député, la plus belle partie de mon travail, c’est quand je vais dans la communauté et que je visite des exploitations agricoles. Sénateur, je représente le marais Holland, qui fournit le Canada entier en fruits et légumes. Nous fournissons 80 % des fruits et légumes frais qui sont consommés en Ontario, par exemple. Ils viennent de cette riche terre noire que vous voyez le long de la route 400. J’aimerais vous inviter tous à visiter la région.
Le sénateur Yussuff : J’y passe en voiture régulièrement.
M. Davidson : Alors, vous savez exactement où c’est. Vous devriez vous y arrêter un jour. La chose importante à savoir, ce que l’on apprend en discutant avec de petits agriculteurs, c’est que les conditions sont passées de 30 jours à 45, et, maintenant, à 60 jours. Tout le monde me dit « monsieur Davidson, on nous écrase. »
Premièrement, ma suggestion serait d’amender la loi. Supposons qu’il nous faut deux ans pour arriver à une entente, ici, sur la question de savoir s’il faudrait que ce soit 30 ou 45 jours. Pendant ce temps, alors que le monde change, nous en sommes déjà à 60 jours. Le temps qu’il y ait une réaction... Je pense que le temps est un facteur essentiel, ici. Nous avons sous les yeux un projet de loi solide dont les agriculteurs ont besoin.
Si je peux parler du secteur des fruits et légumes frais, nous avons à York—Simcoe des céleris de la taille de canots, de la taille de pagaies. Mais ce produit n’a pas la même durée de conservation que la plupart des autres produits agricoles comme, par exemple, le grain.
Le grain, comme nous le savons, est protégé par la commission des grains. Si vous voulez parler des œufs, de la volaille et de la gestion de l’offre, tous les autres secteurs ont cela. Le secteur des fruits et légumes frais est le seul secteur de l’industrie agricole canadienne qui n’a absolument aucune protection. C’est probablement l’un des secteurs les plus importants.
Je ne porte pas de lunettes. Je crois que c’est grâce à toutes les carottes que je mange, chez moi, dans ma ville, Brandford West Gwillimbury. Voilà à quel point c’est important.
Le sénateur Yussuff : J’essaie de comprendre et, en même temps, j’entends ce que nous disent les fonctionnaires qui administrent la loi sur la faillite et ce que nous disent les fiduciaires, qui veulent tous trouver un équilibre. Je pense que l’idéal est de veiller à ce que personne ne soit lésé, dans le contexte où se trouvent les producteurs de fruits et légumes frais. Je pense que la loi, dans son libellé actuel, pose des problèmes et j’essaie de trouver une solution, de ne pas adopter une loi qui aura des conséquences non désirées et pourrait faire plus de mal que de bien et de reconnaître que nous voulons tous trouver une solution.
M. Davidson : Merci, sénateur. Comme je l’ai dit au début, M. Cummings est le grand spécialiste de la faillite au Canada qui a rédigé ce projet de loi avec nous pendant que je menais des consultations. À nouveau, M. Webber, ancien dirigeant de la DRC et membre du ministère de l’Agriculture des États-Unis à la direction générale de la PACA, nous a fourni une aide précieuse.
Encore une fois, les témoins précédents nous ont un peu induits en erreur en n’invoquant pas la DRC, par exemple. Nos producteurs de fruits et légumes frais en tirent parti, je crois que vous avez entendu plus tôt les représentants de la DRC le dire.
C’est un projet de loi solide. Il a été approuvé à l’autre endroit, comme tout le monde aime le dire, et nous aimerions le voir entrer en vigueur.
Le sénateur Varone : Merci, monsieur Davidson, d’être là. Je traverse le marais Holland en voiture chaque fin de semaine lorsque je me rends à mon chalet. Je le vois à l’automne, à l’été, au printemps et à l’hiver. C’est l’un des plus beaux endroits de l’Ontario.
J’ai déjà fait partie du secteur de la construction résidentielle et on me disait toujours : « Vous serez payés quand nous le serons. » C’était la devise de la plupart des entrepreneurs généraux. Vous n’êtes pas payé tant que moi je ne le suis pas. Tout cela a changé quand la pénurie de travailleurs spécialisés est devenue réalité dans le secteur de la construction. Les entrepreneurs généraux se sont réglementés eux-mêmes, car les arrangements relatifs au crédit étaient différents; ils ont changé, tout simplement.
Comment répondriez-vous à la critique selon laquelle cette augmentation du délai de crédit a été créée par vos membres? Je dis cela, parce que nous avons entendu des témoins dire que le crédit accordé par les agriculteurs est passé de 7 à 14 jours, puis à 30 jours et qu’il est maintenant de 60 jours. Il y a des gens dans votre secteur, dans la chaîne d’approvisionnement, qui écrabouillent les agriculteurs. Comment change-t-on cela?
M. Davidson : Comment change-t-on cela, maintenant? Nous vivons, comme vous le savez tous, mesdames et messieurs, dans un monde très compétitif. La priorité des Canadiens et du gouvernement devrait être la sécurité alimentaire.
Sénateur, j’aimerais raconter une petite anecdote, si vous le voulez bien. Je me posais toujours la question « Comment cela s’est-il concrétisé pour toi »? L’anecdote que je raconte se déroule pendant une période dont nous n’aimons plus parler; la COVID. Un agriculteur est venu me voir, lorsque je me promenais, un jour, je lui ai demandé : « Comment vont les choses, ce printemps? »
C’était pendant la COVID. Alors que le monde s’écroulait. Nous ne savions pas s’il y aurait des faillites bancaires ou des faillites de société.
L’agriculteur m’a répondu « je ne crois pas que je vais ensemencer mes champs cette année ».
Je lui ai dit « vraiment? »
« Non. Je vais être très honnête. Ensemencer mes champs me coûtera quelques millions de dollars, alors que je peux simplement rester à la maison et payer seulement les taxes et les impôts. Je passerai peut-être mon tour, ce printemps. »
J’ai dit : « Attendez un instant, pourquoi feriez-vous cela? »
Il a dit « J’ai trop peur de ne pas être payé. La ferme appartient à ma famille depuis 200 ans, et tout ce travail me coûtera des millions de dollars et beaucoup d’effort. Si je vends mes produits frais et que je ne me fais pas payer, je vais perdre ma ferme. » Il m’a dit « Je ne demande pas une aumône du gouvernement. Je veux simplement m’assurer d’être payé pour mes produits. »
Je suis resté là et j’ai dit, en tant que député, « premièrement, cela prouve l’importance de la sécurité alimentaire. S’il vous plaît, ne faites pas cela, car vous verrez les prix augmenter. Nous allons avoir des problèmes d’approvisionnement à l’épicerie. »
C’est un secteur. Je dirais même que c’est un secteur unique. Il est assez différent du secteur de la construction domiciliaire. Nous le voyons à nouveau dans la super priorité intégrée dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, où les agriculteurs sont spéciaux parce qu’ils ont une super priorité, mais, pour les producteurs de fruits et de légumes frais, cette partie de la loi ne fonctionne pas.
C’est un petit amendement que nous pouvons en vérité changer. Vous tous, dans cette salle, avez le pouvoir de l’adopter avec l’accord de la Chambre des communes, et de réellement protéger la sécurité alimentaire des agriculteurs dans l’ensemble du pays.
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Martin : Premièrement, merci beaucoup. Je crois que c’était très important de vous entendre directement. Vous avez déjà répondu à certaines de mes questions, mais, dans votre déclaration liminaire, vous avez mentionné le mois d’octobre 2014, où on a révoqué un accès aux agriculteurs canadiens en raison du manque de réciprocité au Canada pour les producteurs des États-Unis.
En ce qui concerne la PACA, est-ce que l’adoption de votre projet de loi réglera ce problème? Rendra-t-elle nos producteurs plus compétitifs aux États-Unis et ailleurs?
M. Davidson : Merci de la question, sénateur. Voilà tout le travail que j’ai mis dans ce projet de loi. Nous sommes même allés à Washington. Il a été très bien reçu.
Nos hôtes m’ont dit : « Vous êtes un peu en retard. À quel moment allez-vous mettre la PACA en œuvre pour le bien de nos deux pays? »
Les États-Unis, que cela nous plaise ou non, sont nos voisins, d’excellents voisins, et nos plus grands partenaires commerciaux. Les interactions entre agriculteurs dans le commerce transfrontalier sont très importantes pour eux.
J’ai dit « Que faut-il pour avoir la réciprocité? Comment cela fonctionnera-t-il avec les États-Unis? »
Ils m’ont dit « Je serais fier de vous soutenir si vous adoptez ce projet de loi. Il ne faudra que quelques semaines pour obtenir cette réciprocité. »
Encore une fois, il y a une ferme de ma circonscription, dans les précédents témoignages. Les propriétaires doivent déposer des cautions d’un montant deux fois supérieur. Cela devient tellement hors de prix, maintenant, à cause des marges serrées, et nos agriculteurs sont exposés à tous les risques, entre autres.
La présidente : J’aimerais revenir rapidement à quelque chose que vous avez dit. Les producteurs vendent au marché des États-Unis, car ils y ont une meilleure protection, et, s’il y avait une meilleure protection ici, nous serions peut-être en mesure de prioriser les ventes dans notre propre pays.
M. Davidson : Le projet de loi a pour seul but de rassurer les agriculteurs sur le fait qu’ils se feront payer. Aux États-Unis, avec la PACA, les données montrent que cela a augmenté la production des fermes.
Nous avons la chance, au Canada, d’avoir les meilleures terres arables. Je sais que nous avons cette chance à York—Simcoe, dans le marais Holland. Encore une fois, les sénatrices et les sénateurs sont tous bienvenus. Voilà pourquoi ce projet de loi est si important et je vous encourage tous à l’adopter le plus rapidement possible.
La sénatrice Bellemare : Les problèmes en matière de faillite des agriculteurs les ont-ils empêchés de cultiver ces dernières années?
M. Davidson : D’après les agriculteurs à qui j’ai parlé — je le répète, une faillite majeure a eu lieu à Leamington. J’appellerais Leamington le berceau de la tomate, un autre produit maraîcher.
Ce sont de plus petites exploitations, de plus petites fermes familiales. C’est le tissu même du Canada. Voilà pourquoi c’est si important.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Davidson, parrain du projet de loi C-280 et député de York—Simcoe, centre du monde des fruits et légumes.
Je vais vous accorder 30 secondes pour distribuer vos cadeaux à tous les députés. J’aimerais premièrement vous remercier d’être venu et de vous être joint à nous aujourd’hui. Je remercie aussi les sénatrices et sénateurs de leur participation.
Qu’êtes-vous en train de distribuer, monsieur Davidson? Quelle est cette mascotte?
M. Davidson : C’est la mascotte de Bradford West Gwillimbury. On en fabrique des milliers par année et on les vend au festival de la carotte, si vous voulez le savoir. Tous les profits sont ensuite versés aux manoirs Ronald McDonald.
La présidente : Excellent. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)