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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 3 octobre 2024

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), en séance publique et à huis clos, avec vidéoconférence, afin d’examiner le projet de loi C-294, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (interopérabilité).

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : J’aimerais souhaiter la bienvenue aux participants en personne et à distance. Il s’agit d’une réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.

Je m’appelle Pamela Wallin et je préside les délibérations du comité. J’aimerais vous présenter les membres du comité présents aujourd’hui : notre vice-président, le sénateur Loffreda, le sénateur Deacon de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Gignac, la sénatrice Marshall, le sénateur Massicotte, la sénatrice Martin, le sénateur Varone et le sénateur Yussuff.

Nous entamons aujourd’hui l’examen du projet de loi C-294, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (interopérabilité).

Nous avons le plaisir d’accueillir en personne Jeremy Patzer, le député de la circonscription de Cypress Hills—Grasslands, en Saskatchewan, et parrain du projet de loi C-294. Je vous remercie de votre travail. Votre projet de loi a cheminé et, grâce à vous, il est porté à notre attention aujourd’hui. Nous entendrons maintenant vos remarques liminaires. À vous la parole.

Jeremy Patzer, député, Cypress Hills—Grasslands, Saskatchewan, parrain du projet de loi, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invité à témoigner au sujet de mon projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-294. J’aimerais remercier le sénateur Housakos d’avoir parrainé mon projet de loi et le sénateur Deacon, qui en est le porte-parole. Je vous suis reconnaissant de votre travail.

Je suis ravi de pouvoir affirmer que le projet de loi C-294 a été adopté à l’unanimité à la Chambre des communes à toutes les étapes du processus.

Nous n’entendons pas souvent le mot « interopérabilité ». Dans le cas qui nous occupe, le terme est lié à la technologie et il peut être ardu de comprendre le problème technique qu’il représente. En revanche, le projet de loi est relativement simple et facile à comprendre.

Il propose d’apporter une modification attendue depuis longtemps à la Loi sur le droit d’auteur, qui prévoit un certain nombre d’exemptions pour contourner les mesures techniques de protection, ou MTP.

Ma motivation à présenter cette modification à la Loi sur le droit d’auteur découle d’une situation qui a été portée à mon attention par un fabricant de ma circonscription. Les serrures numériques sont de plus en plus utilisées dans la machinerie en raison de la sophistication accrue des appareils et de leur contrôle numérique.

Auparavant, pour rendre une pièce d’équipement agricole interopérable, il suffisait de connecter quelques tuyaux hydrauliques ensemble. Au fil du temps, des câbles ont été ajoutés, au fur et à mesure que les écrans et les contrôles numériques se sont répandus.

Au départ, les MTP avaient pour but de favoriser l’innovation. Toutefois, elles sont maintenant utilisées par de grands fabricants d’équipement d’origine, ou FEO, afin de nuire aux petites et moyennes entreprises. Parfois, ils les forcent simplement à accepter des conditions indiquant que le FEO est l’unique propriétaire du logiciel, malgré le fait que l’utilisateur est propriétaire de l’équipement dans lequel se trouve le logiciel. Parfois, les conditions incluent un libellé interdisant la rétro-ingénierie du produit. Voilà l’essence même du problème.

Aucune exemption actuelle sur l’interopérabilité prévue dans la Loi sur le droit d’auteur n’offre suffisamment de certitude ni de clarté pour les petits fabricants. C’est pourquoi il importe d’offrir une plus grande certitude et une plus grande clarté pour les cas où il convient de contourner les MTP dans le simple but de permettre l’interopérabilité, conformément à ce qui est indiqué dans les dispositions restrictives de mon projet de loi.

La concurrence alimente l’innovation. L’innovation alimente le progrès. Si nous n’apportons pas de modification afin d’offrir plus de certitude et de clarté aux agents d’innovation, le Canada perdra son avantage historique.

Pour conclure, l’interopérabilité ne touche pas uniquement l’agriculture. Elle se répercute sur tous les domaines de l’économie de portée nationale. Le projet de loi s’avère un premier pas qui nous permettra de nous adapter à un monde numérique en constante évolution. Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie pour vos remarques liminaires.

Nous entamerons la période de questions en commençant par notre vice-président, le sénateur Loffreda.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie d’être là, monsieur Patzer. Je vous félicite d’avoir déposé un projet de loi dont nous avions grandement besoin.

Lorsqu’il est question de la Loi sur le droit d’auteur, les préoccupations juridiques sont toujours une priorité. J’ai appris récemment dans une lecture l’existence d’une cause de la cour fédérale, Nintendo of America c. King.

Étant donné les aspects économiques entourant l’interopérabilité, et son importance, pourquoi, à votre avis, y a-t-il eu si peu de causes devant les tribunaux?

M. Patzer : La cause Nintendo of America c. King a eu un effet paralysant à l’échelle de l’industrie, encore plus pour les agents d’innovation de façon générale que dans le domaine des jeux vidéos.

Si l’on tient compte du précédent créé par cette décision et que l’on regarde les amendes et les pénalités qui pourraient être imposées aux petits joueurs, on constate qu’une cause devant les tribunaux pourrait entraîner la chute d’une entreprise, par exemple chez nos petits fabricants partout au pays, tels que Honey Bee Manufacturing, Degelman ou MacDon. Ces entreprises alimentent l’innovation, mais elles ne sont pas assez grandes pour survivre à une poursuite en justice. Elles ont besoin de plus de clarté et de certitude. C’est ce que nous tentons de faire avec le projet de loi.

Le sénateur Loffreda : Croyez-vous que le projet de loi cadre avec les conclusions du tribunal? Y a-t-il d’autres préoccupations?

M. Patzer : Comme je l’ai dit, il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Il faudra apporter d’autres modifications, notamment à la Loi sur la concurrence, qui relève normalement des autorités provinciales.

Pour ce qui est de la Loi sur le droit d’auteur, le projet de loi offrira aux entreprises la certitude nécessaire pour contourner une MTP afin d’accéder à de l’information dans le but d’assurer l’interopérabilité d’un produit.

Je crois fermement — et notamment avec le témoignage que nous avons entendu dans une séance de comité de la Chambre des communes — que les grandes entreprises qui ont créé un logiciel unique disposeront encore de certaines forces. Elles ne risquent pas de se faire pirater ni de se faire soutirer de l’information additionnelle qui n’est pas censée être communiquée. Le système de justice s’avère suffisamment robuste pour offrir cette certitude.

Toutefois, cette disposition permettra aux petits fabricants, qui sont les principaux agents d’innovation de l’économie, d’accéder à l’information dont ils ont besoin de manière légale à l’avenir.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie d’être là, monsieur Patzer, et je vous remercie de votre travail dans ce dossier. Vous avez adopté un angle précis. Le projet de loi engendrera de nombreux avantages pour les agriculteurs et d’autres entrepreneurs.

Par contre, j’ai entendu dire qu’il ne bénéficiera qu’aux gens de l’Ouest du pays. Je sais qu’il bénéficiera aux agriculteurs de la Nouvelle-Écosse, s’il est adopté.

Étant donné votre expérience, pourriez-vous nous donner une idée de l’ampleur des avantages que tireront nos fabricants, nos exploitants et nos consommateurs de l’interopérabilité, qui nous permettra de tirer pleinement profit de la valeur des produits que nous achetons et de bien intégrer ce concept dans nos vies?

M. Patzer : Quand on regarde l’économie dans son ensemble, certaines régions du pays se spécialisent dans un domaine ou se débrouillent mieux que d’autres dans un secteur donné.

Nous avons de la chance en Saskatchewan. L’agriculture est le principal moteur de l’économie. Dans d’autres régions du pays, ce sont plutôt les mines ou l’industrie forestière.

Certaines pièces d’équipement sont très spécialisées. Il y a parfois un grand FEO qui fabrique un produit générique, non spécialisé. Si c’est comme en agriculture, certaines des plus petites entreprises ont vu le jour grâce à une personne qui a déjà travaillé dans cette industrie et qui a identifié un problème précis qui n’a pas été réglé par ce grand FEO.

Ce petit fabricant peut fabriquer un produit spécialisé qui servira à extraire le minerai de fer plus efficacement. Quant à l’industrie forestière, l’abattage pourrait se faire de manière plus efficiente. Il y a aussi l’enjeu de la santé et sécurité.

Concernant la sécurité, les entreprises pourraient fabriquer des pièces d’équipement spécialisé afin d’accroître la sécurité des employés.

Comme je l’ai dit, il s’agit d’une question qui touche l’ensemble de l’économie. L’interopérabilité est présente dans de nombreuses sphères de nos vies, bien que nous n’en ayons pas toujours conscience. Parfois, il s’agit de choses très simples comme de brancher une souris dans un ordinateur. La souris est peut-être fabriquée par une marque peu connue et vous la branchez dans un système Dell. L’interopérabilité fait le travail. Vous branchez la souris, et elle fonctionne.

Nous avons atteint un point où il n’y a pas d’interopérabilité pour les grandes pièces d’équipement. Jadis, quand on vivait sur une ferme, on branchait l’écimeuse à l’aide de quelques tuyaux hydrauliques, car à l’époque tout était statique. Il fallait tout simplement ajuster la pression. De nos jours, tout est numérique et électronique et on ne peut plus simplement connecter un tuyau pour tout régler.

Si l’on prend les opérateurs d’équipement lourd, par exemple, pensons au godet qui se trouve à l’avant du chargeur à direction différentielle d’un véhicule Bobcat. À l’époque, vous n’aviez qu’à le fixer, et le tour était joué. De nos jours, dans de nombreuses industries, on ne peut plus tout simplement attacher certaines composantes. C’est pourquoi nous parlons des diverses spécialités à l’échelle du pays. Il faut s’assurer que les agents d’innovation soient en mesure de fabriquer certains produits qui répondent aux besoins précis d’une industrie, et pas seulement en agriculture, mais dans tous les secteurs de l’économie.

Le sénateur C. Deacon : Je peux vous dire que dans le secteur des bleuets en Nouvelle-Écosse, un secteur important dans les provinces maritimes, l’interopérabilité s’avère essentielle pour optimiser l’exploitation des moissonneurs de bleuets, qui sont maintenant très sophistiqués. Je vous remercie.

La sénatrice Marshall : J’ai trois questions. D’abord, ces modifications peuvent-elles se faire en modifiant le règlement, ou est-ce que ce qui est proposé est la seule manière d’y parvenir? La loi prévoit une disposition à laquelle le gouvernement peut avoir recours pour apporter des modifications par l’entremise d’un règlement. Avez-vous envisagé cette avenue?

M. Patzer : Je l’ai envisagée. Dans le cadre de consultations préliminaires auxquelles nous avons participé, on nous a indiqué qu’il faudrait modifier la loi, ce qui implique de passer par le processus législatif. À mon avis, il serait possible de modifier certains règlements. Ce serait possible. Je n’ai pas d’exemple concret sous la main. Les prochains témoins pourraient peut-être répondre à cette question. Je suis d’avis qu’il existe des façons de modifier les règlements et que des options législatives supplémentaires sont possibles.

Nous avons procédé de la sorte dans le but d’obtenir autant de certitude et de clarté que possible, directement et de manière ciblée. Lors de l’étude en comité, nous avons accepté certains amendements proposés par les représentants du gouvernement à cet égard.

La sénatrice Marshall : L’un des points qui me préoccupent, c’est le fait que nous apportons des modifications disparates dans la Loi. Aujourd’hui, nous étudions votre projet de loi, mais hier, nous en examinions un autre qui modifiera la Loi sur le droit d’auteur. J’ai remarqué ces dernières années que tout se fait à la pièce plutôt que d’agir de façon globale.

Cela vous préoccupe-t-il? Vous détenez une pièce du puzzle, mais plusieurs personnes ont d’autres pièces. Toutes ces pièces s’imbriquent-elles correctement les unes avec les autres?

M. Patzer : Je pense que tout peut s’imbriquer correctement. En 2019, la Loi sur le droit d’auteur a fait l’objet d’un examen exhaustif. Nous voilà en 2024 et aucun changement n’a été apporté à la Loi sur le droit d’auteur par suite de cet examen. En attendant que le gouvernement apporte ces modifications d’envergure, nous avons l’occasion de faire quelques menus changements par-ci par-là.

Je ne pense pas que ces interventions feront entrave à une mesure législative plus imposante qui pourrait être proposée — ou non —, mais je juge essentiel de faire ces petites modifications parce que vu la vitesse à laquelle évolue le monde numérique — où l’ordinateur acheté aujourd’hui sera obsolète demain —, il est important que nous essayions d’adopter le plus rapidement possible des lois qui tiennent compte de cette réalité.

Si nous tournons notre regard vers l’avenir pour voir où iront les choses dans les domaines de l’agriculture, de la fabrication et des éléments autonomes qui seront mis sur le marché, mon projet de loi contribuera à donner de la certitude aux innovateurs qui travaillent à cet égard. Je ne pense donc pas que ce changement risque d’être dépassé quand il entrera en vigueur.

La sénatrice Marshall : Lorsque vous avez rédigé votre projet de loi et effectué vos recherches, je suis sûre que vous avez entendu bien des gens qui appuient votre projet de loi, mais avez-vous entendu plusieurs opposants? Je ne parle pas ici de ce que vous avez entendu à la Chambre des communes, car je suis sûre qu’avant que votre projet de loi n’arrive là, vous avez parlé à beaucoup de gens. Qu’avez-vous entendu pendant que vous prépariez votre projet de loi et parliez à diverses personnes et organisations?

M. Patzer : J’ai effectivement entendu un fabricant local, mais c’était au cours des négociations de ce que nous appelons maintenant l’accord Canada—États-Unis—Mexique, ou ACEUM. Les États-Unis accordent une exemption beaucoup plus large sur le plan de l’interopérabilité. Ils ont un régime différent dans le cadre duquel ils accordent ces exemptions différemment du Canada, mais à un niveau supérieur à celui qui était en place au Canada.

Je n’ai pas rencontré d’opposition à mon projet de loi en dehors des comités, car tout ce que nous faisons avec mon projet de loi, c’est nous amener au même niveau que nos homologues américains, européens et australiens. Si j’avais cherché à en faire plus, je pense que j’aurais commencé à recevoir des réactions négatives de la part de grandes industries, mais il se trouve que les groupes qui ont appuyé mon projet de loi représentaient aussi certains des grands fabricants d’équipement d’origine qui, autrement, se seraient peut-être opposés à mon projet de loi. D’après les commentaires que j’ai reçus, j’obtiens le soutien unanime de l’industrie.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie.

La sénatrice Martin : Merci beaucoup de témoigner. Je sais que votre projet de loi a reçu un appui unanime à la Chambre. Vous voici donc devant nous aujourd’hui.

Nous avons entendu parler des avantages pour tout un éventail d’industries. Ma première question porte sur le secteur des technologies. Pouvez-vous nous dire comment votre projet de loi pourrait avoir une incidence sur les petites entreprises et les jeunes pousses?

M. Patzer : Les petites entreprises en démarrage ont besoin de certitude, car elles assument l’entièreté du risque. Un seul faux pas et elles se font rayer de la carte par un gros joueur. Quand on regarde les géants de la technologie agir dans le monde, s’ils n’aiment pas ce que fait un plus petit joueur, ils peuvent trouver une petite infraction en vertu de quelque chose d’aussi simple que la Loi sur le droit d’auteur. Ils peuvent leur faire signifier leur avis d’infraction et la jeune pousse déclarera forfait.

Nous avons besoin d’un régime réglementaire et juridique qui instaure une atmosphère propice à l’innovation. C’est là que mon projet de loi s’avère utile. Nous attendons toujours les changements d’envergure dont nous avons parlé plus tôt au sujet de la Loi sur le droit d’auteur et de la Loi sur la concurrence. Ces modifications seront utiles et bénéfiques. L’objectif consiste à créer un écosystème où les petits innovateurs et la prochaine génération d’innovateurs peuvent avoir la certitude et la clarté dont ils ont besoin dans l’avenir. C’est ce que nous espérons accomplir avec cette initiative.

La sénatrice Martin : Les États-Unis, l’Union européenne et l’Australie ont déjà des mesures en place. Nous essayons donc simplement de rattraper nos plus grands concurrents et nos alliés.

M. Patzer : Oui, c’est exactement cela. Au Canada, nous avons un assez bon réseau de gens qui se lancent en affaires, mais qui quittent ensuite le pays. Nous voulons que les innovateurs créent un produit, mais aussi qu’ils prennent de l’expansion et prospèrent. Je pense qu’une partie de ces changements aidera à faire croître ces entreprises ici, au Canada, afin qu’elles ne partent pas pour bénéficier des régimes plus avantageux offerts aux États-Unis, en Europe ou ailleurs. Ici encore, c’est là que notre régime doit être un peu plus souple pour pouvoir répondre aux besoins et aux exigences actuels du monde numérique tel qu’il est.

La sénatrice Martin : C’est un point très important.

Comment le projet de loi C-294 répond-il au besoin d’interopérabilité tout en assurant la protection des droits de propriété intellectuelle des fabricants, particulièrement dans les cas où le contournement des MTP peut donner lieu à la rétro-ingénierie de la technologie exclusive?

M. Patzer : Une partie de l’amendement que j’ai accepté devant un comité réglait en partie ce problème pour que nos obligations commerciales soient toujours respectées. C’est notamment pour cette raison que nous avons accepté les amendements que nous avons apportés.

Le libellé du projet de loi qui concerne les exclusions et les limites est très important pour que la personne qui a investi beaucoup de temps et d’argent pour développer un logiciel exclusif bénéficie toujours de cette couche de sécurité.

Les petites entreprises ne s’intéressent pas au logiciel privé. L’interopérabilité concerne l’accès et l’utilisation. Le droit d’auteur permet d’avoir une copie d’un produit obtenu légalement. L’interopérabilité concerne l’accès et l’utilisation. Mon projet de loi vise à créer la bonne dichotomie entre les deux afin que les gens puissent accéder aux informations dont ils ont besoin sans nécessairement devoir acheter une nouvelle machine. Par exemple, une nouvelle moissonneuse-batteuse coûte plus de 1 million de dollars. Pour une petite entreprise, il est impossible d’acheter chaque nouveau modèle de moissonneuse-batteuse de John Deere, Case IH, New Holland, Fendt ou de toutes ces marques différentes.

La mesure législative permet aux entreprises d’accéder simplement à l’information sans avoir à étudier le logiciel privé. C’est à cet égard que la disposition offre de la certitude, selon moi. Le libellé est très précis et très ciblé pour que les mesures de protection soient en place pour que le développement de logiciels privés se poursuive tout en permettant aux innovateurs d’accéder à l’information dont ils ont besoin.

La sénatrice Martin : Je vous remercie.

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de témoigner, monsieur Patzer. Je sais que c’est un travail difficile, et j’espère que nous en viendrons à bout.

Le comité de la Chambre a apporté un certain nombre d’amendements au projet de loi lorsqu’il a été présenté à l’autre chambre à la suite de l’audience. Est-ce que ces amendements renforcent le projet de loi ou le modifient d’une façon qui pourrait vous poser des problèmes en ce qui concerne ses recommandations?

M. Patzer : Pour ce qui est de renforcer le projet de loi, ici encore, parce que nous avons dans le monde tellement d’accords commerciaux qui comportent des mesures de protection de la propriété intellectuelle — et c’est là que les MTP entrent en jeu —, il faut avoir nos obligations à l’esprit et les respecter. Je pense que les amendements que j’ai acceptés ont contribué à renforcer le projet de loi à cet égard afin d’offrir de la certitude et de la clarté aux petits fabricants, qui sinon s’exposeraient à des litiges potentiels de l’extérieur du Canada au sujet des MTP et d’autres mesures semblables. Nous ne voulions pas que cela se produise; ainsi, quand nous avons reçu les amendements proposés et entendu des témoignages selon lesquels ils renforceraient le projet de loi à cet égard, c’était important pour moi et pour les supporteurs du projet de loi.

Le sénateur Yussuff : Certains secteurs s’opposent-ils au projet de loi tel qu’il est maintenant? À l’évidence, la Chambre a fini de l’examiner et nous en sommes maintenant saisis. Nous allons entendre des gens qui veulent venir témoigner, mais certains se montrent-ils encore réfractaires en affirmant que nous ne devrions pas aller aussi loin et que ce projet de loi va causer des problèmes ou des difficultés au chapitre de l’opérabilité parce que d’autres techniciens et compagnies de service pourront maintenant accéder à de l’équipement auquel ils n’avaient pas accès auparavant?

M. Patzer : Je n’ai rien entendu de tel. Mon bureau n’a reçu aucune communication à ce propos. Comme je l’ai mentionné plus tôt, étant donné que nous n’avons été que jusqu’à un certain niveau, nous sommes à égalité avec les autres pays. De cette façon, nous ne créons pas de nouveau précédent forçant l’industrie à tenter de suivre le mouvement et de rattraper le retard. Cela a contribué à créer cet environnement.

Il s’est avéré utile de travailler avec divers secteurs de l’économie. Je vois les choses d’un point de vue agricole, mais nous avons demandé l’appui de l’association de la construction lourde et de certains exploitants miniers et forestiers, juste pour connaître le point de vue de leurs industries. Ils ont appuyé sans réserve cette initiative.

Certaines associations représentent des personnes qui s’y sont peut-être opposées au début, mais ce n’est plus le cas maintenant parce que, comme je l’ai dit, nous sommes seulement allés au niveau qui s’applique déjà dans d’autres pays. Ce n’est pas quelque chose de nouveau et d’inhabituel pour les fabricants. C’est une des principales raisons pour lesquelles nous n’avons pas rencontré de résistance de la part des grands acteurs du secteur.

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie du travail que vous accomplissez.

Le sénateur Varone : Merci, monsieur Patzer, de témoigner.

Je voulais parler de l’expérience vécue avec l’équipement. Vous avez parlé de l’équipement lourd et de l’interopérabilité de l’équipement. Il y a des acteurs comme CASE, Bobcat et Caterpillar. On peut acheter leur équipement de base, mais les accessoires rendent l’équipement productif. Au chapitre de l’interopérabilité, êtes-vous en train de dire que le projet de loi permettra maintenant à un marteau-piqueur CASE de fonctionner sur un Bobcat de Caterpillar, ou est-ce que cette mesure s’adresse aux innovateurs tiers qui vendent sur le marché les pièces de rechange qui vont avec ces machines? Je veux avoir une idée de la façon dont cela fonctionne dans la vraie vie.

M. Patzer : Oui, vous avez tout compris. C’est exactement ce que nous ciblons : les pièces complémentaires. Par exemple, Cat fabriquerait des pièces qui sont ensuite arrimées à une plus grosse machine.

Le sénateur Varone : Elles se connectent d’une manière particulière.

M. Patzer : Oui, elles peuvent se connecter d’une manière particulière, mais le fabricant peut également installer un verrou numérique qui empêchera un tiers de fabriquer une pièce d’équipement très spécialisée qui serait arrimée à leur équipement principal. Ce projet de loi vise à permettre à ce groupe tiers d’accéder aux renseignements dont il aurait besoin sur cette plateforme principale — sans enfreindre la loi — pour que son produit fonctionne avec la machine principale. Je le répète : cela ne lui permet pas de violer le droit d’auteur du logiciel dans la pièce principale du fabricant d’origine. Il peut simplement obtenir les informations dont il a besoin pour que son produit fonctionne.

Le sénateur Varone : Le projet de loi n’inquiète-t-il pas les fabricants de machines? Ils font une fortune avec leurs accessoires parce qu’ils détiennent la propriété exclusive de leurs machines.

M. Patzer : Oui, ils s’inquiètent, mais une fois encore, je n’ai pas entendu de protestation de leur part. J’ai rencontré certains des grands acteurs, dont Finning Canada de Swift Current. Nous avons parlé de l’interopérabilité, et cette compagnie était d’accord. J’ai parlé à un concessionnaire de CASE dans ma circonscription, et il était entièrement d’accord. Cela lui convenait parce qu’en fin de compte, les concessionnaires veulent pouvoir vendre le produit, n’est-ce pas? S’ils ont une gamme complète de produits à vendre, c’est mieux pour eux. C’est aussi mieux pour l’utilisateur final. Cela profite également au constructeur principal, car l’agriculteur ou à la société de construction lourde peut acheter sa machine principale préférée et se procurer ensuite les petites pièces spécialisées qui lui permettront de faire un travail supérieur et plus efficace sur le terrain. Voilà l’objectif.

Le sénateur Varone : Je vous remercie.

Le sénateur C. Deacon : Monsieur Patzer, votre témoignage nous est très utile, car il apporte beaucoup de clarté dans ce dossier.

Avec ce projet de loi, on aide les entreprises canadiennes à croître à l’échelle nationale et internationale. Les innovateurs canadiens en bénéficieront, mais les utilisateurs de leurs innovations en profiteront aussi parce que la concurrence sera plus vive, ce qui améliorera l’innovation, la productivité et le rapport coût-efficacité. C’est une bonne chose à tous les égards.

Je donnerai suite aux propos du sénateur Varone. Je m’étonne que les fabricants internationaux n’aient pas adopté une telle mesure. Elle existe dans d’autres pays où ils doivent permettre l’accès aux fins d’interopérabilité. Cela prouve l’importance de tenir nos lois et règlements à jour. Si nous ne forçons pas les fabricants à donner accès aux informations, même s’ils le font dans tous les autres marchés, ils ne le feront pas ici et les Canadiens y perdront au change. Personne n’a fait cela de son plein gré, n’est-ce pas?

M. Patzer : Non, c’est rarement volontaire, en partie parce que certains grands fabricants veulent garder le marché captif et être les seuls à pouvoir vendre tous les produits de leur marque. Ils veulent assurer la pureté de la marque dans bien des cas. Cela facilite peut-être la vente de leurs produits, mais cela ne signifie pas nécessairement que le client obtiendra le meilleur produit. Voilà où le bât blesse.

Soit dit en passant, le droit de la concurrence canadien aurait un rôle à jouer à cet égard. Je n’aborde pas la question dans mon projet de loi, mais c’est un autre facteur qui a une incidence dans ce domaine. Quels accords de vente les fabricants tentent-ils d’imposer aux utilisateurs finaux? Cherchent-ils à protéger la pureté de la marque?

Nous essayons de mettre en place un système qui permet aux innovateurs de fabriquer leurs produits tout en nous assurant que la concurrence existe sur le marché.

La compagnie pour laquelle je travaillais, Honey Bee Manufacturing, a vu le jour dans un atelier érigé dans une cour de ferme. Les premières années, ses produits étaient fabriqués dans un atelier. Il manquait de produit permettant une récolte efficace, particulièrement sur le genre de terres cultivées dans le Sud de la Saskatchewan. La compagnie a conçu un produit de qualité supérieure, et les grands joueurs n’ont pas tardé à voir ce qu’elle faisait et à tenter de construire leur propre équivalent. Les concurrents ont alors commencé à se multiplier sur le marché.

Voilà comment on stimule l’innovation : avec la concurrence. Mais l’idée vient de quelqu’un qui possède de l’expérience concrète. Je suis sûr que nous pourrions parler à n’importe qui dans n’importe quelle industrie qui pourrait nommer quelqu’un qui a travaillé dans l’industrie, détecté un problème et conçu un produit supérieur dans son atelier.

J’ai travaillé pour une entreprise de construction à Saskatoon. Nous avons construit un atelier pour une entreprise de pavage, qui avait fabriqué une bonne partie de son propre équipement de pavage. Ces produits doivent quand même fonctionner avec ceux des grandes marques. Voilà un autre exemple où quelqu’un a trouvé comment on pouvait faire mieux grâce à son expérience vécue. Vu la façon dont les machines sont maintenant numériques et connectées, ce n’est pas possible sans certitude quant à l’avenir.

Cette entreprise de pavage ne pourra pas faire ce qu’elle a fait jusqu’à maintenant si nous n’apportons pas les modifications nécessaires dans nos lois pour réagir à la réalité sur le terrain.

Le sénateur C. Deacon : Il est crucial que nous tenions nos lois et règlements à jour pour que l’innovation puisse naître et prospérer au Canada. Merci beaucoup.

La présidente : J’aimerais soulever un dernier point. Je pense que quelqu’un en a parlé rapidement, mais vous ne voyez pas d’autres problèmes du côté de l’ACEUM? Il s’agit selon vous d’un élément positif, qui nous place au même niveau que nos homologues, et cette question ne sera pas soulevée à la table des négociations?

M. Patzer : C’est exact; les amendements que nous avons reçus des représentants du gouvernement visent à garantir que nous nous conformons à ces accords commerciaux, en particulier à l’ACEUM, car c’est l’accord qui vient d’être négocié, signé et adopté. Le témoin qui nous a parlé de la nécessité d’assurer l’interopérabilité et d’apporter des modifications à notre Loi sur le droit d’auteur nous est venu des négociations de l’ACEUM à la fin de 2019 ou au début de 2020, lorsque ces négociations étaient en cours.

La présidente : Oui, je vous remercie. On nous dit — à propos de nombreux textes législatifs, et pas seulement de ces deux-là — qu’il est important de garder une longueur d’avance, mais aussi d’assurer une certaine cohérence avec les pratiques de nos partenaires commerciaux.

Le sénateur Loffreda : Dans vos observations liminaires, vous avez mentionné d’autres industries. Pensez-vous que ces amendements à ce projet de loi pourraient avoir des conséquences sur d’autres industries et, dans l’affirmative, l’une d’entre elles pourrait-elle s’opposer à ces amendements?

J’ai lu un document de la Canada West Foundation sur le rôle des législateurs provinciaux. On y expose certaines inquiétudes quant au fait que les législateurs provinciaux doivent collaborer. Pensez-vous que les législateurs provinciaux vont collaborer pour atténuer certaines de ces préoccupations — sans aller dans les détails des préoccupations soulevées — dont je suis certain que vous êtes au courant?

M. Patzer : Oui, lorsque nous en étions aux premières étapes de ce projet de loi, j’ai eu quelques brèves interactions avec des représentants du gouvernement provincial de la Saskatchewan pour leur parler de ce qu’ils envisageaient de faire au niveau provincial.

Ils étaient parfaitement conscients de ce problème, mais ils attendaient encore que l’on révise la Loi sur le droit d’auteur fédérale et que l’on y apporte des modifications avant d’aller de l’avant, car ils voulaient connaître la norme nationale avant d’apporter des modifications à leurs lois provinciales.

Dans ce pays, lorsque nous procédons à des révisions au niveau fédéral, nous devons nous assurer que nous mettons rapidement en œuvre certains de ces changements. Les provinces attendent encore que nous établissions cette norme. Peut-être que lorsqu’elles prendront connaissance des changements de moindre envergure engendrés par mon projet de loi et d’autres projets de loi actuellement à l’étude, elles voudront apporter des changements fragmentaires.

Quant aux autres industries, elles ne pourront qu’en bénéficier. Encore une fois, les seules personnes qui pourraient s’y opposer sont celles qui cherchent à conserver la pureté de leur marque, ce qui est anticoncurrentiel et ne sert pas les intérêts des utilisateurs finaux et des innovateurs de ce pays.

La présidente : Très bonne remarque. Merci d’avoir conclu sur ce point.

Merci, Jeremy Patzer, parrain du projet de loi C-294 et député de Cypress Hills—Grasslands, au centre de l’univers, en Saskatchewan.

Nous allons conclure cette partie de la séance. Encore une fois, merci beaucoup, monsieur Patzer.

Nous avons le plaisir d’accueillir notre deuxième groupe de témoins en personne. Vous les reconnaissez peut-être. Ils étaient présents hier, nous savons donc quel travail ils accomplissent. Nous connaissons vos noms, mais permettez-moi de vous présenter à nouveau.

Nous accueillons des représentants du ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique du Canada : Patrick Blanar, directeur, Direction de la politique du droit d’auteur et des marques de commerce; et Luc Laforest, analyste principal de politiques, Direction de la politique du droit d’auteur et des marques de commerce.

Monsieur Blanar, je pense que c’est vous qui allez prononcer les observations liminaires, alors allez-y.

Patrick Blanar, directeur, Direction de la politique du droit d’auteur et des marques de commerce, Innovation, Sciences et Développement économique Canada : Madame la présidente, monsieur le vice-président et chers membres du comité, comme nous l’avons dit hier, l’objectif principal de la Loi sur le droit d’auteur est d’encourager l’innovation et la créativité dans l’intérêt de l’ensemble de la société. Comme on l’a indiqué, le régime des mesures techniques de protection, ou MTP, a été intégré à la Loi sur le droit d’auteur en 2012 afin de faciliter l’émergence de nouveaux modèles commerciaux et d’encourager la distribution d’œuvres numériques.

Contrairement au cas de la réparation, le régime des mesures techniques de protection, ou MTP, renferme déjà une exception pour l’interopérabilité. La portée de cette exception MTP s’applique à rendre interopérables deux programmes d’ordinateur. Cependant, avec le nombre croissant de produits avec logiciel qui comprennent des MTP, par exemple de l’équipement agricole, réaliser l’interopérabilité peut exiger plus que rendre deux programmes d’ordinateur interopérables.

[Traduction]

Le projet de loi C-294 modifierait la Loi sur le droit d’auteur afin d’élargir l’exception existante qui autorise le contournement des MTP à des fins d’interopérabilité.

Le projet de loi C-294 garantirait aux Canadiens que le cadre du droit d’auteur autorise le contournement des MTP pour rendre les programmes d’ordinateur ou les dispositifs auxquels ils sont intégrés, interopérables avec d’autres programmes d’ordinateur, d’autres dispositifs ou d’autres composantes. Le projet de loi C-294 préciserait également que l’exception s’applique aux tiers qui aident les propriétaires de produits à atteindre l’interopérabilité, à condition que le programme informatique ait été obtenu légalement. En facilitant l’interopérabilité, on aiderait les agriculteurs canadiens et les petits fabricants à développer et à installer des accessoires pour tracteurs adaptés à des activités agricoles particulières.

Je vous remercie et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci. Nous allons commencer, comme d’habitude, par notre vice-président, le sénateur Loffreda.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie d’être à nouveau parmi nous aujourd’hui. Vous avez mentionné la nécessité d’encourager l’innovation et la productivité, qui sont essentielles à l’économie canadienne. Comment le projet de loi C-294 soutient-il l’innovation et la concurrence dans les industries qui dépendent de produits et de technologies interopérables? Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Comment ce projet de loi favorisera-t-il la collaboration entre les différents secteurs et encouragera-t-il les avancées technologiques? Comme vous l’avez mentionné, l’innovation est essentielle, tout comme la productivité et la concurrence.

M. Blanar : Merci beaucoup pour votre question. C’est une question importante.

Pour revenir à l’objectif de la Loi sur le droit d’auteur et du régime des MTP, ceux-ci ont été conçus pour permettre la création de nouveaux modèles d’affaires pour les œuvres numériques. Au fil des années, nous avons constaté qu’on les utilisait pour protéger différents modèles d’affaires qui n’étaient pas nécessairement liés au secteur de la création. Je pense que l’un des exemples qui viennent à l’esprit de beaucoup de gens est celui des imprimantes et des cartouches. Souvent, le modèle d’affaires consiste à vendre une imprimante bon marché et des cartouches très chères. Les fabricants peuvent le faire parce que, grâce à l’utilisation d’un logiciel et, maintenant, grâce à l’utilisation de MPT destinées à protéger ce logiciel, seules leurs cartouches d’imprimante permettent à la communication entre ces deux dispositifs.

Ce projet de loi permettra d’accroître la concurrence sur ce marché et sur de nombreux autres marchés semblables.

Pour ce qui est de l’innovation, l’entreprise Honey Bee Manufacturing — je sais que M. Patzer en a parlé — nous a dit qu’elle créait de l’équipement spécialement conçu pour répondre aux réalités particulières du secteur agricole canadien. Cette approche permet à l’innovation de prospérer et évite la dépendance par rapport à une grande multinationale qui aurait créé la base du tracteur ou de la moissonneuse-batteuse. On ne dépend pas du fait qu’ils possèdent ces connaissances locales pour adapter le produit. Nous pourrions ensuite peut-être exporter ces connaissances locales et les appliquer dans d’autres domaines.

Cette approche permet à ce niveau de concurrence et d’innovation d’exister au niveau local, ce qui est selon moi extrêmement important.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La sénatrice Marshall : Ma question est d’ordre plus général. Nous avons ce projet de loi — hier, vous étiez ici pour parler d’un autre projet de loi — et il semble que de nombreux amendements soient adoptés de façon fragmentaire. Par exemple, en ce qui concerne la Loi sur la gestion des finances publiques — je sais que vous n’en êtes pas responsable — ou la Loi sur la concurrence, nous recevons tous ces amendements de façon fragmentaire, ce qui donne l’impression que nos lois n’évoluent pas assez rapidement.

Si nous avons deux amendements à apporter à un texte de loi, je me demande ce que fait le ministère. Pourquoi le ministère ne propose-t-il pas des amendements pour moderniser la loi de manière à ce que ces modifications soient présentée comme un ensemble complet au lieu de par l’entremise de projets de loi d’initiative parlementaire distincts présentés de manière fragmentaire? Je me demande s’ils s’intègrent bien les uns aux autres.

Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Pourquoi ne veillons-nous pas à ce que la loi reste moderne? Pourquoi les Américains et les Australiens sont-ils si en avance sur nous? Je ne comprends pas.

M. Blanar : Tout d’abord, je ne pense pas que les Américains et les Australiens soient si en avance sur nous, en particulier...

La sénatrice Marshall : Ils sont en avance sur nous.

M. Blanar : Je pense que les Américains ont actuellement une longueur d’avance sur nous, car ils procèdent à un examen triennal de leur régime de MTP. Ils le font tous les trois ans, ce qui leur a permis de créer certaines exceptions. Ces dernières font également l’objet d’un examen tous les trois ans, ce qui n’offre pas nécessairement la même stabilité à long terme, car si les facteurs changent, ils peuvent les annuler.

Je sais que les Australiens ont le droit de réparer, et tout cela est très lié.

La sénatrice Marshall : Pourquoi votre ministère n’essaie-t-il pas de moderniser la loi? Pourquoi la modernisation se fait-elle de façon fragmentaire, sous la forme de projets de loi d’initiative parlementaire? C’est ma question.

M. Blanar : Le droit de réparer faisait partie du mandat de mon ministre. Les projets de loi d’initiative parlementaire ont été déposés et, honnêtement, l’impasse dans laquelle nous nous trouvions est en partie due au fait que nous ne pouvons pas apporter d’amendement à des articles qui ont déjà été amendés et qui sont actuellement examinés par la Chambre sans créer un certain degré de chaos.

Nous attendions que l’on achève l’étude de ces deux projets de loi. Nous prévoyons déjà d’examiner ces projets de loi, une fois que nous saurons ce qu’il adviendra de la Loi sur le droit d’auteur, afin de déterminer si d’autres modifications pourraient être apportées à la Loi sur le droit d’auteur pour faciliter la réparation et l’interopérabilité.

La sénatrice Marshall : J’étudierai volontiers tout amendement au projet de loi émanant du ministère, et j’attends donc ce moment avec impatience. Merci.

La présidente : Je pense que nous devrons aborder cette question un autre jour, mais au cours des discussions de ces deux derniers jours, nous n’avons cessé d’entendre qu’il y a beaucoup d’innovation et de créativité ici, mais que ces inventions se dispersent, ne prennent pas suffisamment d’ampleur, ou sont vendues à des Américains. Nous avons toujours le même problème et nous essayons de trouver des mécanismes et des solutions pour rester compétitifs et soutenir les personnes qui innovent. La sénatrice Marshall fait écho aux témoignages que nous avons entendus ces deux dernières années sur cette question.

Le sénateur C. Deacon : Je vais essayer de m’appuyer sur les commentaires perspicaces de la sénatrice Marshall.

La professeure Alissa Centivany, de l’Université Western, est une excellente chercheuse dans ce domaine au Canada, et nous devrions être très fiers de son travail.

Elle estime que cette loi ne va pas assez loin. Au lieu de permettre l’interopérabilité, elle pense qu’on devrait l’imposer. Je pense que nous l’avons vu au sein de l’Union européenne l’année dernière ou il y a deux ans, lorsque les prises USB-C sont devenues la norme imposée pour le chargement et la connexion des appareils, afin que tout le monde n’ait pas 15 cordons d’alimentation différents pour chaque appareil. Il arrive que ces cordons ne fonctionnent pas. Le but est de simplifier la vie des gens et de permettre cette simplicité dans un monde où l’internet des objets, dans les domaines industriel et commercial, ne ralentit tout simplement pas pour les consommateurs.

Qu’en pensez-vous, surtout à la lumière de ce que vient de dire la sénatrice Marshall? Pourquoi n’allons-nous pas plus loin? Pourquoi ne suivons-nous pas l’exemple de l’Union européenne et d’autres pays, qui disent : « Non, vous devez démontrer l’interopérabilité sur les marchés dans lesquels vous faites affaire »?

Nous pourrions le faire au moyen de normes. Nous pourrions le faire de nombreuses façons. C’est la raison pour laquelle les avions restent dans le ciel, pour la plupart, et c’est ce que garantit que les voitures sont sûres. C’est grâce aux normes.

M. Blanar : Cette question est bien plus vaste que celle du droit d’auteur, mais je suis personnellement d’accord pour dire qu’il s’agit de bonnes mesures. Au bout du compte, la vente de produits relève davantage des provinces que du gouvernement fédéral.

Au bout du compte, ce projet de loi vise à garantir que la Loi sur le droit d’auteur ne constitue pas un obstacle à toutes ces choses. Nous croyons fermement que c’est ce que fait ce projet de loi, et nous voulons nous assurer que lorsque le législateur, que ce soit au niveau fédéral ou provincial, décidera qu’il est prêt à prendre ces mesures — et si de nouvelles normes voient le jour — la Loi sur le droit d’auteur ne constituera pas un obstacle.

En outre, c’est bien de dire qu’il y a une nouvelle norme, et que la norme exige l’utilisation de prises USB-C, comme vous l’avez dit, et il est formidable qu’on puisse les utiliser pour l’alimentation, mais sans ces changements... Ils existent déjà, mais si l’on élargit la capacité d’interopérabilité de façon à ce que tous les appareils soient alimentés au moyen d’une prise USB, ne devions-nous pas également nous assurer que si quelqu’un veut créer un nouvel adaptateur qui offre également des capacités de réseau via une prise USB, il ne s’agisse pas d’un appareil propriétaire. À ce stade, l’appareil final pourrait utiliser le logiciel et l’on pourrait procéder à une rétro-ingénierie afin d’en tirer parti. Je pense que c’est ce que fait ce projet de loi.

Le sénateur C. Deacon : Il s’agit d’une première étape importante.

M. Blanar : Tout à fait.

Le sénateur C. Deacon : Merci.

La présidente : En guise de suivi rapide, le député Patzer nous a dit qu’il avait appris, lors de consultations auprès de son propre gouvernement provincial, que les provinces attendent en quelque sorte qu’Ottawa agisse. Elles ne veulent pas continuer à travailler sur cette question et que l’on conteste les mesures qu’elles prendront ou qu’on leur dise qu’elles ne sont pas conformes à la loi ou autre. C’est un peu ce que disait la sénatrice Marshall. Ne vous incombe-t-il pas de prendre les devants?

M. Blanar : En ce qui concerne la réparation et l’interopérabilité, n’importe qui peut prendre l’initiative. Nous devons tous travailler ensemble. Nous devons réellement déployer des efforts de collaboration pour que le public ait accès aux appareils qu’il souhaite utiliser et que les entreprises veillent à ce que les produits puissent communiquer entre eux. Nous ne voulons pas enfermer les consommateurs dans un écosystème donné qui les empêcherait de réparer leurs appareils. Au bout du compte, la Loi sur le droit d’auteur ne doit pas servir à les empêcher de le faire.

La présidente : Oui, je pense que vous avez raison sur ce point.

Le sénateur Yussuff : Monsieur Blanar, je vous remercie à nouveau de comparaître une deuxième fois. Vous allez peut-être vous lasser de nous, ou peut-être que c’est nous qui nous lasserons de vous; je ne le sais pas.

Pour en revenir à ces deux projets de loi — celui d’hier et celui d’aujourd’hui — s’ils sont adoptés par le Parlement et deviennent loi, comment le ministère pense-t-il promouvoir ces changements afin que les Canadiens sachent qu’ils ont désormais le droit légal de réparer leurs appareils, un droit qui n’était pas si facilement accessible auparavant? La connaissance est vraiment importante, de même que l’obtention du soutien de toutes les petites entreprises qui essaieront de saisir les opportunités qui découleront de l’adoption de cette loi. Le ministère a-t-il un plan pour promouvoir cette loi, ou va-t-il se contenter de l’adopter et espérer que les gens en découvrent l’existence ou en entendent parler d’une manière ou d’une autre?

M. Blanar : Je sais que le gouvernement a récemment achevé une deuxième série de consultations sur le droit à la réparation. C’est une autre section du ministère qui s’en charge. Ils abordent cette question d’un point de vue plus général que le droit d’auteur. Nous avons en fait mené une consultation en 2021 sur les aspects du droit d’auteur liés à la réparation et à l’interopérabilité. Les récentes consultations pourraient nous permettre de tirer des enseignements et de lancer de nouvelles initiatives.

Notre direction générale a mis en place un programme visant à parrainer des cliniques juridiques sur la propriété intellectuelle. Nous essayons de faire connaître la propriété intellectuelle en général et les changements à venir. Nous continuerons de nous occuper de cet aspect de la question. Je précise encore une fois que la réparation et l’interopérabilité sont des questions beaucoup plus vastes que celles du droit d’auteur. Nous ferons évidemment savoir aux praticiens du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle que ces changements sont en cours. Nous espérons que cela contribuera grandement à diffuser ces connaissances auprès de ceux qui ont besoin de les connaître.

Le sénateur Yussuff : Comme vous le savez, on cherche à défendre ces intérêts depuis longtemps. Les organisations de consommateurs affirment qu’il est grand temps d’apporter ces changements, et ce pour deux raisons : la durabilité, bien sûr, mais aussi le fait qu’en fin de compte, il peut être moins coûteux de réparer quelque chose que de le remplacer.

Le ministère envisage-t-il de collaborer avec certaines de ces organisations ou de recommencer certains de ces travaux et de défendre ces intérêts? Bien entendu, nous aimerions que les Canadiens soient beaucoup mieux informés à cet égard afin qu’ils sachent au moins comment gérer ces situations. Le plus souvent, lorsqu’un produit ne fonctionne pas, nous le mettons à la décharge, et nous le remplaçons par le modèle suivant, quel qu’il soit.

M. Blanar : Dans le cadre de la consultation sur le droit à la réparation qui vient de s’achever, le ministère a travaillé avec Environnement et Changement climatique Canada. Il ne s’agit certainement pas d’une initiative dont le reste du gouvernement est tenu à l’écart. L’ensemble du gouvernement prend certainement part à cette initiative, et je sais que cette initiative sera traitée de la même manière lorsqu’il s’agira de rendre publics ses résultats.

Le sénateur Yussuff : J’ai une petite histoire à raconter. J’ai acheté une bouilloire, et elle a cessé de fonctionner. Je voyais bien que le problème était lié au couvercle. J’ai appelé le fabricant, et je lui ai dit : « La bouilloire est en parfait état, mais le couvercle a besoin d’un ressort. Puis-je acheter le ressort? » On m’a répondu que, non, je ne pouvais pas acheter le ressort. J’ai dû me débarrasser de la bouilloire parce que le ressort était cassé et que le couvercle ne s’ouvrait plus.

Ce que je veux dire, c’est que les Canadiens vivent les mêmes frustrations jour après jour. J’ai cherché sur Internet un autre moyen d’acheter le ressort, mais je n’ai trouvé aucun ressort pour réparer le couvercle où que ce soit. C’est malheureusement la réalité que nous vivons. Que s’est-il passé? La bouilloire a fini à la poubelle alors qu’elle ne présentait aucun problème. Je suis le mécanicien de la maison, mais ce que je veux faire valoir, c’est qu’il s’agit d’un problème courant dans tous les ménages du pays.

Ces deux projets de loi sont attendus depuis longtemps. Ils seront extrêmement bénéfiques pour le pays s’ils offrent de plus grandes possibilités de réparer les choses, au lieu de se contenter de s’en débarrasser.

Le sénateur Varone : Je suis favorable au projet de loi, mais voici ce qui me pose un problème : le droit d’auteur permet aux inventeurs d’être rémunérés pour leurs inventions. L’interopérabilité réduit le rendement des droits d’auteur pour ceux qui les détiennent. C’est le contraire de ce qui se produit dans le cas suivant. Dans l’industrie pharmaceutique, les propriétaires de médicaments de marque bénéficient d’un délai d’exploitation avant que les fabricants de médicaments génériques puissent tirer parti des médicaments en question.

Avant que l’interopérabilité ne devienne une réalité, a-t-on envisagé de prévoir un délai qui permettrait au détenteur des droits d’auteur de récupérer l’argent qu’il a investi? Cela concerne la créativité, mais si nous flouons les inventeurs, ne scions-nous pas la branche sur laquelle nous sommes assis?

M. Blanar : Premièrement, c’est le droit des brevets qui récompense les inventeurs, et non le droit d’auteur. L’inventeur d’une nouvelle invention brevetable ne sera pas touché par ce que nous faisons en ce moment.

Le sénateur Varone : Excellent. D’accord.

M. Blanar : En ce qui concerne l’interopérabilité, nous pensons qu’elle aidera en fait l’écosystème dans son ensemble, car elle permettra à un plus grand nombre de personnes de retoucher certains aspects de l’invention, de l’améliorer potentiellement et de créer des accessoires ou des moyens d’étendre l’utilité d’un produit. C’est en fait un principe abordé dans le droit des brevets, selon lequel il est possible d’élaborer quelque chose à partir de ce qui a été fait auparavant.

En fin de compte, l’une des réserves importantes de cette exemption — et je sais que le député Patzer en a parlé —, c’est la disposition d’exclusion. Si la mesure technique de protection, ou MTP, est contournée et s’il s’avère que cela n’a pas été fait à des fins d’interopérabilité ou de réparation, mais plutôt à des fins de contrefaçon, l’exemption ne s’applique pas en premier lieu. Elle ne devient pas un moyen de défense contre la contrefaçon. Elle protège également les inventeurs, les créateurs et les développeurs de logiciels de cette manière.

Le sénateur Varone : Je vous remercie de vos réponses.

Le sénateur Loffreda : J’aimerais donner suite à la question du sénateur Varone et à la question que j’ai posée plus tôt, et vous avez mentionné la possibilité d’élaborer quelque chose à partir de ce qui a été fait auparavant.

Disposons-nous de mesures suffisantes pour prévenir l’utilisation potentiellement abusive des exceptions au droit d’auteur? Dans l’affirmative, quelles mesures ont été mises en place, en particulier dans les cas où l’interopérabilité pourrait porter atteinte à la propriété intellectuelle? S’agit-il d’une préoccupation?

M. Blanar : C’est une excellente question. C’est certainement une préoccupation, et je précise encore une fois que c’est la raison pour laquelle une disposition d’exclusion est prévue à la fois dans le projet de loi C-244 et dans le projet de loi C-294. Par conséquent, dès que le contournement est utilisé à des fins de contrefaçon, l’exemption ne s’applique plus. Elle ne devient pas un moyen de défense et ne crée pas une situation où tout est permis et quelqu’un peut prétendre qu’il a contourné la MTP à des fins d’interopérabilité et qu’il a ensuite ouvert le verrou numérique, créant ainsi une situation où tout est permis.

L’exemple que j’aime utiliser est celui d’un vrai verrou. Cela revient à dire que je peux crocheter le verrou si je suis propriétaire de l’appartement qui se trouve derrière le verrou, et que je peux autoriser quelqu’un à le faire pour moi. Mais disons que je loue cet appartement à quelqu’un. Si je crochète le verrou dans le but de voler quelque chose à la personne qui y vit, alors le crochetage du verrou devient illégal même si je suis le propriétaire de l’appartement.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie de vos réponses.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie de vous être joint à nous et de nous donner des réponses claires. Nous avons étudié ces deux projets de loi en même temps parce qu’il existe une corrélation et un lien étroit entre les deux. De votre point de vue, cela n’a pas posé de problème, n’est-ce pas? Je veux confirmer que vous pensez que la façon dont nous étudions la question est sensée et que le fait de présenter ces projets de loi en même temps apportera les éclaircissements dont la Loi sur le droit d’auteur a peut-être besoin à l’heure actuelle.

M. Blanar : Ces deux projets de loi se complètent très bien. Nous disons souvent que le projet de loi C-294 ne porte pas sur le droit à la réparation, mais qu’il s’inscrit dans le même esprit. Il repose sur l’idée que si nous nous efforçons de préserver l’utilisation des produits, et que nous tentons d’éviter qu’ils ne finissent dans des sites d’enfouissement, ces genres d’efforts nous aideront, qu’il s’agisse de la réparation des produits, de leur utilisation continue ou de leur amélioration.

Le sénateur C. Deacon : J’aime la façon dont vous avez décrit cela. Les projets de loi accomplissent des choses différentes, mais ils s’inscrivent dans le même esprit. Il s’agit vraiment de réduire les coûts assumés par les consommateurs, de réduire les déchets et d’augmenter la productivité.

M. Blanar : Tout à fait.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie de vos réponses.

La présidente : Je vous remercie tous de votre participation. L’examen de ces deux mesures législatives a été très efficace. Monsieur Blanar, je vous suis reconnaissante de votre travail, et je vous en remercie, vous et votre collègue, M. Laforest, qui relevez tous deux de la Direction de la politique du droit d’auteur et des marques de commerce. Vous pouvez prendre congé demain, car nous n’aurons plus besoin de vous interroger. Toutefois, nous vous sommes reconnaissants de vos contributions.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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