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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 9 octobre 2024

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 16 h 18 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner le projet de loi C-244, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (diagnostic, entretien et réparation); et le projet de loi C-294, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (interopérabilité).

Le sénateur Tony Loffreda (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour à tous, et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je suis le sénateur Tony Loffreda et je suis le vice-président du comité. Je voudrais vous présenter les membres du comité. En fait, au lieu de les présenter, je vais leur demander de se présenter eux-mêmes.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bienvenue à tous. Clément Gignac, du Québec

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Fridhandler : Daryl Fridhandler, de l’Alberta.

Le sénateur Yussuff : Hassan Yussuff, de l’Ontario.

Le sénateur Varone : Toni Varone, de l’Ontario.

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

Le vice-président : Merci, et bienvenue. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-244, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur (diagnostic, entretien et réparation). Les témoins devant nous ne discuteront que du projet de loi C-244. Nous passerons au projet de loi C-294 ensuite. Dans le premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir, en personne, Lucas Malinowski, directeur, Affaires fédérales, Constructeurs mondiaux d’automobiles du Canada; Craig Drury, ancien président et vice-président de Vermeer Canada Inc., Associated Equipment Distributors; et Christina De Toni, vice‑présidente, Politiques et affaires gouvernementales, Association canadienne du logiciel de divertissement. Et, par vidéoconférence, nous accueillons Marla Poor, conseillère juridique principale, Politique et affaires gouvernementales, Nintendo de l’Amérique, Association canadienne du logiciel de divertissement.

Je crois que les trois organisations prononceront des déclarations préliminaires. Nous commencerons par M. Malinowski. Vous avez la parole.

Lucas Malinowski, directeur général, Affaires fédérales, Constructeurs mondiaux d’automobiles du Canada : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui au nom des Constructeurs mondiaux d’automobiles du Canada. Comme le président l’a mentionné, mes commentaires porteront sur le projet de loi C-244.

Les Constructeurs mondiaux d’automobiles du Canada sont une association commerciale nationale qui représente les intérêts canadiens de 16 des constructeurs automobiles les plus respectés au monde, avec plus de 25 marques sur le marché automobile canadien.

La fabrication automobile soutient directement plus de 125 000 emplois bien rémunérés au Canada, et nous travaillons fort pour nous assurer que ce secteur canadien demeure un élément clé de la chaîne de valeur électrifiée nord-américaine.

Les constructeurs automobiles ont toujours soutenu la réparabilité et la durabilité de leurs véhicules, construisant des voitures de plus en plus fiables qui, lorsqu’elles sont correctement entretenues, servent les conducteurs canadiens pendant des centaines de milliers de kilomètres.

À cette fin, depuis 2010, la Norme canadienne visant les renseignements sur l’entretien des véhicules automobiles, ou NCREVA, a été mise en place pour que le marché secondaire ait le même accès que les concessionnaires des constructeurs automobiles aux renseignements sur l’entretien et la réparation, ainsi qu’à la formation et à l’outillage spécialisé pour assurer des réparations adéquates aux véhicules. Après la soudaine disparition du site Web du marché secondaire qui regroupait les informations sur l’entretien et les réparations des fabricants d’équipement d’origine, les constructeurs automobiles ont créé casisonestop.ca pour fournir un point d’accès public unique aux portails d’entretien et de réparation de chaque fabricant.

Les constructeurs automobiles doivent respecter des exigences élevées en matière d’émissions et de sécurité, y compris en ce qui concerne la protection de la vie privée et les systèmes connectés, pour que leurs véhicules puissent être vendus sur le marché canadien. Nous luttons aussi actuellement contre des niveaux historiques de vols de voitures au Canada.

La NCREVA assure l’accès aux informations sur la réparation et l’entretien tout en garantissant la sécurité et l’intégrité des systèmes automobiles essentiels aux émissions et à la sécurité.

Le projet de loi propose d’adopter une approche uniforme du droit à la réparation. Les voitures ne sont pas confrontées aux mêmes problèmes d’obsolescence planifiée ou de durabilité que ceux que nous observons dans d’autres secteurs. L’étude du comité a déjà soulevé les enjeux potentiels du projet de loi, qui ne doivent pas être considérés comme quelque chose que le gouvernement pourra régler plus tard par le biais de la réglementation ou d’un autre projet de loi. L’ouverture des systèmes cruciaux des véhicules à tous et à chacun a de sérieuses implications. C’est pourquoi nous demandons au comité d’amender le projet de loi C-244 afin d’exclure les systèmes de sécurité et d’émissions des véhicules, comme cela a été fait pour les enregistrements sonores.

À défaut, nous demandons au comité d’amender le projet de loi C-244 afin d’y inclure un mécanisme d’examen, à l’instar du processus triennal de réglementation aux États-Unis, et, au strict minimum, nous demandons au comité de formuler une observation sur la nécessité de veiller à ce que le gouvernement tienne compte des conséquences potentielles de ces modifications à la Loi sur le droit d’auteur sur la sécurité et les émissions des véhicules, et les systèmes de protection de la vie privée.

Merci de votre attention, et je suis impatient de répondre à vos questions.

Le vice-président : Merci, monsieur Malinowski. Monsieur Drury, nous allons maintenant entendre votre déclaration préliminaire.

Craig Drury, ancien président et vice-président de Vermeer Canada Inc., Associated Equipment Distributors : Merci, monsieur le président. Je suis ici aujourd’hui en tant qu’ancien président d’Associated Equipment Distributors et vice-président des opérations chez Vermeer Canada.

Vermeer Canada est un concessionnaire d’équipements industriels à service complet qui se spécialise dans la vente d’équipement, les pièces, le service et le soutien. Notre association représente des entreprises qui vendent, louent et entretiennent des équipements essentiels pour des secteurs tels que la construction, l’agriculture, la sylviculture et l’exploitation minière. Au Canada, nous employons plus de 27 000 personnes. Il s’agit principalement de transactions interentreprises.

Nous soutenons pleinement le droit des clients à réparer leur équipement. En fait, les outils de diagnostic, les pièces et les informations sur les réparations sont déjà disponibles dans la plupart des cas. Nous savons qu’un équipement inutilisé est synonyme de perte de temps et d’argent. Il est donc dans notre intérêt de maintenir les machines en état de marche, que ce soit par l’intermédiaire de nos techniciens de maintenance, du client ou de fournisseurs tiers. Je mets au défi le comité de demander à ceux qui appuient le projet de loi C-244 de vous dire précisément ce qu’ils veulent que les concessionnaires et les fabricants d’équipement fournissent et qui n’est pas déjà disponible. Presque toutes les réparations peuvent être effectuées par le client ou par une entreprise de réparation indépendante sans qu’il soit nécessaire de faire appel à un technicien de service du concessionnaire.

Nous ne sommes toutefois pas favorables à un accès illimité aux logiciels essentiels qui régissent la protection de l’environnement et la sécurité, ce que permettrait le projet de loi C-244. Permettre l’accès à ces logiciels pourrait avoir des conséquences dangereuses. Il pourrait saper les contrôles d’émissions et désactiver les dispositifs de sécurité qui protègent les opérateurs et le public. Les personnes non qualifiées qui tenteraient de réparer des machines sophistiquées pourraient se mettre en danger et mettre d’autres personnes en danger.

D’autres législateurs en Amérique du Nord ont examiné attentivement cette question et ont exempté les équipements lourds. Nous sommes très différents des produits de consommation courante tels que les téléphones et les réfrigérateurs. New York, la Californie, l’Oregon et le Minnesota ont exempté les équipements hors route.

Le Parlement et votre comité doivent prendre le temps de bien faire les choses. Un amendement devrait être proposé à l’étape du comité afin d’envoyer un message clair aux provinces : l’exemption des véhicules hors route permettra de protéger les travailleurs, les communautés et l’environnement.

Merci.

Le vice-président : Merci, monsieur Drury. Madame De Toni, nous allons maintenant entendre votre déclaration préliminaire.

Christina De Toni, vice-présidente, Politiques et affaires gouvernementales, Association canadienne du logiciel de divertissement : Merci, monsieur le président et honorables membres du comité.

[Français]

Je vous remercie de l’invitation à comparaître aujourd’hui.

[Traduction]

L’Association canadienne du logiciel de divertissement, ou ACLD, représente les principaux fabricants de consoles de jeux vidéo, les éditeurs, les petits et grands développeurs indépendants et les distributeurs nationaux. Je suis accompagné aujourd’hui de Marla Poor, de Nintendo de l’Amérique.

Le Canada est un acteur de premier plan dans l’industrie mondiale des jeux vidéo, avec plus de 900 studios actifs employant plus de 32 000 personnes d’un océan à l’autre. Notre industrie s’appuie sur les mesures techniques de protection, ou MTP, intégrées aux consoles pour se prémunir contre les tentatives de piratage sophistiqué, protéger les droits de propriété intellectuelle, assurer la sécurité des consommateurs et des données, et jouer un rôle précieux en encourageant et en récompensant l’innovation dans le secteur des jeux vidéo au Canada.

De bonnes intentions motivent le mouvement du droit à la réparation, mais le projet de loi C-244 adopte une approche universelle ne faisant aucune distinction entre un réfrigérateur intelligent, un tracteur ou une console de jeu. Trois des quatre lois américaines sur le droit à la réparation excluent explicitement les consoles de jeux, tandis que la quatrième reconnaît que les consoles sont différentes des autres appareils électroniques. Contrairement à la plupart des appareils électroménagers et électroniques grand public, les consoles de jeux ne font pas l’objet d’une obsolescence planifiée.

Pour notre secteur, le projet de loi C-244 pourrait créer un contexte dans lequel le piratage, ainsi que la vente et le téléchargement illégaux de jeux vidéo augmenteraient au Canada, et exposerait le secteur au vol de contenu, porterait atteinte à la vie privée des joueurs et permettrait à des personnes mal intentionnées de modifier les consoles sous prétexte de les réparer.

Les consoles de jeux sont des produits fiables. Celles qui sont sorties il y a plus de 20 ans sont toujours appréciées. Cette durée de vie contraste fortement avec celle d’autres produits électroniques grand public.

La satisfaction des consommateurs en matière de réparation de consoles reste très élevée. Notre association estime que la loi fédérale ne doit pas adopter une approche uniforme, et nous recommandons que les consoles de jeux, les composants et les périphériques soient exclus du projet de loi.

Merci.

Le vice-président : Nous passerons aux questions. Je rappelle aux sénateurs que les questions et les réponses doivent être concises et porter sur le projet de loi C-244. Nous commencerons par la sénatrice Marshall, membre de notre comité directeur.

La sénatrice Marshall : Je remercie les témoins de leur présence. Messieurs Malinowski et Drury, vous avez tous deux parlé des effets du projet de loi, et vous avez tous deux fait référence aux employés. Monsieur Malinowski, vous avez également mentionné le vol de voitures. Pouvez-vous donner plus de détails sur les conséquences négatives du projet de loi pour votre organisation? Jusqu’à présent, nous n’avons entendu que des points positifs.

M. Malinowski : Merci de la question, madame la sénatrice. Modifier la Loi sur le droit d’auteur pour permettre aux gens de contourner les MTP peut rendre vulnérables les systèmes cruciaux des véhicules à, disons-le franchement, des intervenants mal intentionnés.

Au Canada, avec des taux records de vol de voitures, on nous demande pourquoi on ne rend pas les voitures plus difficiles à voler. L’une des façons de rendre les voitures plus difficiles à voler et de renforcer les systèmes est de mettre à jour les logiciels et de les protéger. Une ouverture générale sous le couvert du droit à la réparation ou au diagnostic permettra à davantage des personnes peu scrupuleuses d’accéder à ce logiciel, de le contourner et de faciliter le vol d’un véhicule ou la modification des paramètres de sécurité, voire des paramètres d’émission, d’un véhicule. C’est une préoccupation que nous avons parce que les véhicules sont strictement réglementés sur le marché canadien pour de bonnes raisons.

La sénatrice Marshall : Ce projet de loi aurait-il des conséquences sur les garanties associées à vos automobiles?

M. Malinowski : Qu’est-ce qui se passerait avec la garantie? Je ne peux pas parler pour un véhicule donné, car les garanties varient. Il est certain qu’une manipulation du logiciel ou des systèmes électriques peut entraîner l’annulation de la garantie.

La sénatrice Marshall : Pourriez-vous indiquer les répercussions sur la sécurité des véhicules?

M. Malinowski : Certainement. La loi sur la sécurité automobile comporte de nombreux règlements, avec des exigences concernant les ceintures de sécurité et, de plus en plus, des éléments tels que les systèmes de freinage automatique et les caméras de recul. Si quelqu’un n’aime pas que sa voiture s’arrête lorsqu’un enfant traverse soudainement la rue, il pourrait théoriquement contourner ce système si nous donnons accès aux MTP. Vient ensuite la question de la responsabilité. Si nous mettons sur le marché canadien un véhicule équipé de ce système et que nous certifions qu’il fonctionne, mais que, Dieu nous en préserve, quelqu’un contourne le système et qu’il se produit un accident, on demandera au constructeur automobile pourquoi le système n’a pas fonctionné. Nous devrons alors déterminer s’il s’agit d’un problème de fabrication ou si quelqu’un a contourné le système.

La sénatrice Marshall : Pourriez-vous également nous parler des répercussions sur les organisations que vous représentez?

M. Drury : Je serai bref et j’essaierai de ne pas répéter ce qui a déjà été dit. L’une de nos préoccupations en matière de sécurité concerne les équipements lourds, comme les équipements agricoles, qui comportent de nombreux systèmes de sécurité. Par exemple, il y a un interrupteur de siège, ce qui signifie qu’il faut être assis sur le siège pour faire fonctionner l’équipement. Pour les opérateurs, il arrive que cela ne convienne pas. Ils veulent pouvoir faire autre chose. Il est possible de désactiver cette fonction si l’on a accès au bon code dans le logiciel.

La sénatrice Marshall : Le projet de loi a-t-il des effets sur les employés des organisations que vous représentez?

M. Drury : Oui, car si les clients font cela et que nous ne le savons pas, nous pouvons penser que la machine va réagir d’une certaine manière, mais elle réagit d’une autre.

La sénatrice Marshall : Vous disiez que vous représentiez 27 000 employés. Bien.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bienvenue aux témoins. Ma question s’adresse à Mme De Toni. Ce que je connais des consoles de jeu, ce sont mes petits-enfants qui me l’ont expliqué. J’ai porté par contre le chapeau de ministre du Développement économique au gouvernement du Québec, donc je connais l’importance des jeux vidéo. Je porte donc une attention particulière à vos inquiétudes.

En 2023, le Québec a adopté le projet de loi 29 contre l’obsolescence programmée. En quoi ce projet de loi adopté au Québec vous réconforte-t-il? Est-ce plutôt complémentaire à ce qui est analysé ici? Pouvez-vous me donner une idée des initiatives prises par le gouvernement du Québec à ce sujet?

Mme De Toni : Merci de votre question, sénateur. Oui, le projet de loi 29 a en effet été adopté. Le gouvernement du Québec a publié récemment une série de règlements à ce sujet et on en attend plusieurs qui viseront vraiment ce que j’appellerai la « garantie », qui porteront donc réellement sur la question du droit à la réparation. Ce n’est pas assez clair pour notre industrie en ce moment. On attend donc les règlements pour préciser l’impact que cela aura, d’abord sur notre industrie, mais également sur d’autres industries.

Le sénateur Gignac : Merci; cela m’aide à me situer.

[Traduction]

Le sénateur Gignac : Ma prochaine question s’adresse à vos collègues du secteur automobile. Depuis 2015, je pense que les autorités réglementaires américaines sont autorisées à contourner les mesures de protection lorsque cela s’avère nécessaire. Comment ce projet de loi se compare-t-il à la législation américaine, s’il vous plaît ?

M. Malinowski : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur, et je vous prie de m’excuser de répondre en anglais. Je dirais que l’approche américaine est très différente, en ce sens qu’il y a une protection générale des mesures techniques de protection, et qu’il est possible de demander des exemptions dans des cas spécifiques. Il s’agit d’une approche beaucoup plus contrôlée que la modification générale de la Loi sur le droit d’auteur prévue par le projet de loi C-244, en se disant qu’on résoudra peut-être plus tard les problèmes qui en découlent. Voilà en tout cas ce qui préoccupe mon secteur et, comme vous l’entendez, d’autres aussi.

Si vous le permettez, j’aimerais faire une remarque sur le projet de loi 29 du Québec, qui est également important pour cette discussion. Certains partisans du projet de loi C-244 disent que nous avons besoin de modifications à la Loi sur le droit d’auteur afin que les provinces et d’autres administrations puissent mettre en place un cadre pour le droit à la réparation. Mais comme on peut le voir, le Québec agit déjà. Il a adopté une loi, et nous attendons les détails de la réglementation. Et tout cela sans les modifications à la Loi sur le droit d’auteur du projet de loi C-244, alors je remets en question le besoin de ces modifications.

Le sénateur Gignac : Pour conclure, avant de passer à mes collègues, je dirai qu’au Sénat, nous sommes la chambre de mûre réflexion. Dans certains cas, la barre est haute pour modifier un projet de loi, et cela dépend du type de projet de loi, du soutien donné, ainsi que du type de diligence raisonnable fait à l’autre endroit. Lorsqu’ils ne font pas leur travail, nous faisons le nôtre.

Une observation claire pourrait-elle être suffisante pour ce projet de loi, ou devons-nous passer par des amendements? Car si nous adoptons des amendements, on sait ce que cela signifie. Peut-être les accepteront-ils ou peut-être pas, et peut-être y aura‑t-il des élections entretemps. On sait donc ce que cela représente.

M. Malinowski : Oui. Merci, sénateur. Je ne vous envie pas d’avoir à étudier un projet de loi qui a été adopté à l’unanimité à l’autre endroit. Comme je l’ai dit, notre préférence serait d’apporter un amendement au projet de loi même si nous savons que le texte sera renvoyé à la Chambre et que ce sont les députés qui détermineront s’ils acceptent ou non l’amendement. Je m’en remets à votre sagesse pour juger du bien-fondé de cet amendement — que nous souhaitons voir adopter — ou au moins d’une observation, en espérant que le gouvernement en tiendra compte.

Le sénateur C. Deacon : Félicitations, monsieur le président. Vous faites d’ores et déjà un excellent travail. Que dire de plus?

Le vice-président : J’ai une équipe formidable.

Le sénateur C. Deacon : Je suis enchanté de m’entretenir avec les témoins. Merci de vous être joints à nous. Je vais commencer par le secteur automobile. L’accord relatif à la Norme canadienne visant les renseignements sur l’entretien des véhicules automobiles, le CASIS, a été établi en 2009. Est-ce exact?

M. Malinowski : L’accord a été signé en 2010.

Le sénateur C. Deacon : Très bien. C’était en 2010. Les technologies ont progressé depuis. En comparant mon automobile de 2010 avec les nombreux modèles de 2024 que j’ai vus, je constate une augmentation notable des composantes informatiques. Le CASIS est incomplet. Il n’est plus à jour parce que les percées technologiques n’y ont pas été ajoutées. L’autre chose que je voulais souligner est sa nature facultative. Est-ce vraiment le cas? Les mesures en place ne fonctionnent pas. Vous avez parlé de l’accord lorsque nous nous sommes rencontrés, et vous en parlez encore aujourd’hui. Ce n’est pas suffisant. C’est ce que constatent les gens comme moi qui ont connu ce régime et qui ont dû aller pour rien chez le concessionnaire.

Je veux me pencher sur la sûreté, la sécurité et l’intégrité en m’attardant particulièrement aux vols d’automobiles. Les voleurs parviennent à contourner les mesures techniques de protection. Ils déjouent déjà le système. Il faut instaurer un nouveau système. Comment le statu quo pourrait-il nous permettre de régler le problème?

M. Malinowski : Merci de la question, sénateur. Encore une fois, merci de prendre le temps de nous rencontrer avant l’étude du comité. J’ai quelques points à soulever. En effet, les voleurs contournent déjà dans certains cas les systèmes automobiles. Nous nous efforçons constamment de renforcer ces systèmes. Avec leurs moyens sophistiqués, les groupes du crime organisé vont toujours tenter de les contourner. Il n’existe pas de solution miracle, mais je suis d’avis qu’il faut diversifier notre arsenal à cet effet.

À propos du CASIS, cela fonctionne à mon avis. Le texte de l’accord n’a pas changé, mais des signataires se sont ajoutés. Le député Miao a mentionné que les constructeurs n’étaient pas tous des parties à l’accord, mais je ne sais pas à quels constructeurs il pensait. Le refus de Tesla de signer l’accord avait créé des remous, mais le constructeur a fini par le signer. Même si Tesla n’est pas membre de mon association ou membre de l’Association canadienne des constructeurs de véhicules, nous les avons convaincus de signer l’accord. Nous leur avons présenté nos arguments, et ils ont adhéré à l’accord.

Le sénateur C. Deacon : Cela ne s’est pas produit. C’est difficile...

M. Malinowski : Oui. Ils sont une des parties au CASIS, sénateur. Je tiens à préciser que leurs informations, comme celles des autres fabricants d’équipement d’origine, sont publiées sur notre site Web.

Le sénateur C. Deacon : Il manque des informations par contre. L’accord n’est pas obligatoire et les informations ne sont pas exhaustives.

M. Malinowski : L’accord n’est pas obligatoire, mais tous les grands constructeurs y ont adhéré.

Le sénateur C. Deacon : Le mettent-ils à jour? Ce n’est pas le cas selon ce que j’ai constaté.

M. Malinowski : Pourriez-vous fournir un exemple? J’essaie seulement de comprendre...

Le sénateur C. Deacon : Ils n’actualisent pas l’accord, puisqu’ils n’y ajoutent pas les avancées technologiques de leurs véhicules.

M. Malinowski : Laissez-vous entendre que le site Web renferme des informations périmées?

Le sénateur C. Deacon : Les informations d’un bon nombre de constructeurs sont désuètes.

M. Malinowski : Nous pouvons certainement vérifier ces informations. D’ailleurs, l’accord a pour objet de donner accès au public à des informations à jour.

Le sénateur C. Deacon : La seule chose qui me préoccupe, c’est que nous ayons constaté l’incapacité des mesures techniques de protection à prévenir les vols de véhicules. Un économiste du ministère des Finances cité dans un article du Globe and Mail a affirmé que les exportations dont la valeur est la plus élevée au Canada en ce moment sont les exportations de véhicules volés. L’heure est grave. Je ne suis toujours pas convaincu que cela va rendre les vols plus difficiles, puisque le crime organisé sait déjà comment les contourner.

Je veux me pencher à présent sur la question de la garantie. La garantie de véhicules ayant été modifiés ou réparés de façon inappropriée serait annulée. On l’a vu avec les logiciels. Je crois bien que la garantie serait nulle. Ce serait un risque énorme que prendraient les propriétaires de véhicules ou d’équipements. Est‑ce que je me trompe?

M. Malinowski : Voulez-vous répondre, monsieur Drury?

M. Drury : Dans ces circonstances, la garantie serait certainement annulée. Il y a des risques associés à la modification de certains systèmes très coûteux installés dans les équipements lourds construits aujourd’hui. Du point de vue de certains, par exemple, en enlevant le système de contrôle des émissions du moteur et en se défaisant par le fait même de la nécessité d’utiliser le fluide d’échappement diésel, on peut aller chercher plus de chevaux-vapeur. Cet avantage peut l’emporter sur la garantie aux yeux du propriétaire de l’équipement. Cela vient nuancer le raisonnement sur la garantie.

Le sénateur C. Deacon : Ils mettent en jeu la garantie liée à leur équipement qui peut valoir des centaines de milliers de dollars.

M. Drury : C’est exact.

Le sénateur C. Deacon : Merci.

Je voudrais discuter avec Mme Poor de la poursuite intentée par Nintendo. C’est un plaisir de vous revoir. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Vous avez réussi à contrer les attaques d’un pirate qui avait volé des renseignements personnels détenus par Nintendo ainsi que piraté un jeu et peut-être aussi — je ne me souviens pas des détails — des composantes ou des informations que renfermait le jeu. Vous êtes parvenue à le déjouer même si les actes en question étaient illégaux. Le pirate était arrivé à ses fins en contournant les mesures techniques de protection.

Où est le problème, alors? Les actions que je viens de décrire vont demeurer illégales. En quoi le projet de loi empirerait-il la situation dans votre cas?

Marla Poor, conseillère juridique principale, Politique et affaires gouvernementales, Nintendo de l’Amérique (Association canadienne du logiciel de divertissement) : Merci de la question. Je suis ravie de vous revoir et de constater l’attention que vous portez à ce dossier.

Les dispositions anti-contournement des lois du Canada — et les dispositions anti-contournement des lois des pays signataires des traités Internet de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle — apportent une aide cruciale à Nintendo, comme vous l’avez dit, dans sa lutte contre les contrefacteurs, mais aussi contre les trafiquants de dispositifs de contournement.

Nous luttons depuis des années contre l’utilisation de puces pirates dans nos consoles. Ce phénomène a pris énormément d’ampleur. Le projet de loi C-244 ajoute une exemption générale aux dispositions les plus importantes de la Loi sur le droit d’auteur. Cette exemption laisse entendre que sous le prétexte de réparer une console, il est possible de contourner la loi pour jouer, non pas à un seul jeu, mais à des centaines ou à des milliers de jeux avec des fichiers téléchargés illégalement sur Internet.

Le programme d’application de la loi de Nintendo, à l’instar de nombreux autres programmes d’application de loi de titulaires de droit d’auteur, a pour objet de viser, non pas des utilisateurs en particulier, mais plutôt les auteurs d’actes malveillants. Nous contestons l’exemption générale qui serait ajoutée à l’une des dispositions de la Loi sur le droit d’auteur les plus importantes pour Nintendo. Nous offrons un service hors pair de réparation des consoles. Notre bilan est très honorable. Nous subventionnons les réparations. Nous ne faisons pas d’argent avec les réparations ni avec le matériel d’ailleurs. C’est avec les logiciels que Nintendo réalise des profits.

La première chose que nous voulons, une fois les consoles réparées, c’est de les remettre le plus rapidement possible aux consommateurs parce que nous souhaitons qu’ils achètent d’autres logiciels.

Le sénateur C. Deacon : J’aimerais revenir à la question. Que des individus soient déjà en mesure de faire du piratage en contournant les mesures techniques de protection, cela signifie que la protection est limitée. Vous avez fait appel aux tribunaux pour lutter contre les pirates.

Vu ce que je viens de dire, je suppose que vous mettez au point d’autres moyens pour protéger votre logiciel.

Mme Poor : Nous essayons toujours de protéger nos logiciels. Nous jouons constamment au chat et à la souris avec des groupes de pirates extrêmement habiles qui proposent toutes les semaines de nouveaux types de dispositifs de contournement. Ils emploient pour leurs dispositifs les mêmes méthodes de commercialisation que les nôtres. C’est ahurissant.

Les autorités douanières saisissent des dispositifs de contournement partout dans le monde.

Les problèmes engendrés par les dispositifs de contournement pour Nintendo ne s’apparentent pas vraiment aux violations du droit d’auteur, qui ne se produisent qu’une fois, tandis que les dispositifs de contournement permettent de jouer à des centaines de jeux vidéo téléchargés illégalement. Les risques sont beaucoup plus élevés pour nous.

Le sénateur C. Deacon : Merci.

Le vice-président : J’ai une autre question dans la même veine. Vu l’ampleur de ces problèmes, trouvez-vous surprenant qu’il n’y ait pas eu davantage de poursuites au Canada?

Mme Poor : Parlez-vous de poursuites liées à des jeux vidéo?

Le vice-président : Je parle de poursuites liées à l’interopérabilité, au droit d’auteur et à l’équilibre entre les besoins des consommateurs et le droit d’auteur.

Mme Poor : Pour Nintendo, sachez que de porter devant les tribunaux un cas comme celui de 2012, je crois — où la cour a rendu un jugement qui nous accordait 12 millions de dollars contre le trafiquant de dispositifs de contournement —, nous a coûté des millions de dollars.

Nous n’avons pas toujours besoin d’aller au bout de ce type de poursuite. Nous envoyons souvent des avis de cessation et d’abstention. Nous débusquons les individus qui se livrent à ces activités et nous nous efforçons de négocier avec eux. Nous essayons de résoudre le problème avant d’intenter des poursuites qui pourraient nous coûter des millions de dollars.

Je ne sais pas pour les autres, mais de notre côté, nous continuons d’appliquer les lois au Canada. Nous n’avons peut‑être pas porté une affaire de contournement aussi loin que cette fois-là. Je mentionne que l’individu en cause est un récidiviste avec qui nous avons eu de nouveau maille à partir après-coup.

Le vice-président : Merci.

Le sénateur Massicotte : J’ai du mal à comprendre, et je suis certain que mes collègues ressentent la même chose. Je ne suis pas votre raisonnement. Je comprends vos préoccupations. Vous avez peur. C’est humain d’avoir peur de l’inconnu. Vous dites que certaines choses pourraient arriver et vous anticipez quelque chose de désastreux.

Aidez-moi à comprendre. Je veux savoir comment mesurer cela. J’ai écouté vos commentaires et je ne m’attendais pas à ce que vous disiez autre chose.

Parmi les pays du G7, lesquels ont établi un système semblable et ont exempté le même système dans certaines situations? L’exemption que nous avons pour le domaine médical, faudrait-il l’étendre à autre chose? Que font les autres pays du G7?

M. Drury : Je suis seulement au courant de ce qui est en vigueur aux États-Unis. Comme vous l’avez dit tout à l’heure, leur approche ne se limite pas à une loi sur le droit de réparer. Dans les États de New York, de la Californie, de l’Oregon et du Minnesota, les équipements lourds sont visés par une exemption seulement en raison des dangers liés au contournement des mesures techniques de protection. Il y a réellement des risques pour la sécurité.

Le sénateur Massicotte : Pourquoi ne pas aller de l’avant et apporter des modifications si cela ne fonctionne pas? En cas de désastre...

M. Drury : Dans notre cas, ce pourrait être une question de vie ou de mort. Je vais vous donner un exemple. Prenons une grue dotée d’un logiciel qui contrôle le poids des charges en fonction de la capacité de la machine. Un individu qui ne modifierait que légèrement le logiciel pourrait entraîner le dépassement de la limite et mettre des personnes en danger.

Le sénateur Massicotte : Lorsque nous y pensons, à peu près n’importe quoi peut arriver. Au volant de votre véhicule, vous êtes à la merci des conducteurs qui pourraient changer de voie de façon intempestive. Même s’ils sont importants, ces dangers n’ont rien à voir avec les logiciels.

Comment régler des problèmes qui relèvent de la nature humaine? C’est impossible de se protéger et d’éliminer tous les risques qui menacent la société. Même traverser la rue fait peur parfois.

M. Drury : Dans notre cas, je le répète, les mesures techniques de protection permettent de gérer une partie de ces risques.

M. Malinowski : Vous avez raison, sénateur. Comme vous l’avez dit, il y a des risques inhérents, et nous essayons de les réduire au minimum dans des situations où des automobiles de 4 000 livres roulent à 100 kilomètres à l’heure entourées d’autres véhicules qui se déplacent à la même vitesse. Nous ajoutons sans cesse des technologies qui accroissent la sécurité des automobiles telles que le système de freinage automatique et le système d’assistance au maintien dans la voie. Les technologies de conduite autonome sont de plus en plus répandues, ce qui permet au véhicule devant vous...

Le sénateur Massicotte : Avons-nous besoin de vos systèmes? Nous serions peut-être mieux sans ces technologies.

M. Malinowski : Nous voulons préserver l’intégrité du système. Les consommateurs doivent avoir la certitude que le système de leur véhicule fonctionne bien et que celui du véhicule dans la voie adjacente de l’autoroute 401 n’a pas été modifié. C’est une noble cause que de préserver cela du mieux que nous le pouvons.

Le sénateur Massicotte : N’empêche que vous ne savez pas si d’autres pays du G7 ont adopté des mesures semblables. Comment les choses se passent-elles au Québec? Vous accusez mon collègue de ne pas avoir fait son travail — votre commentaire ne l’a pas du tout ébranlé. Au fait, comment les choses se passent-elles au Québec? Le bilan est-il catastrophique? Y a-t-il des collisions d’automobiles roulant à 100 kilomètres à l’heure?

M. Malinowski : Le système, comme je l’ai dit tout à l’heure, n’est pas entièrement en place au Québec. La loi a été adoptée, mais les règlements ne sont pas encore pris. Dans nos conversations avec le gouvernement du Québec, nous avons soulevé la question des vols d’automobiles. L’Ontario et le Québec sont les deux provinces...

Le sénateur Massicotte : Quelle a été leur réponse?

M. Malinowski : Le gouvernement se penche sur la question en ce moment parce qu’il n’y avait pas pensé au départ. Le dossier relève de deux organismes gouvernementaux séparés : le ministère de la Sécurité publique et l’Office de la protection du consommateur. Il va sans dire que les différents organismes gouvernementaux ne communiquent pas toujours entre eux. Nous avons attiré l’attention du gouvernement sur la question et nous l’avons informé qu’elle pourrait avoir une incidence sur la lutte contre le vol de véhicules.

Le sénateur Massicotte : Vous ne savez pas quelle a été sa réponse?

M. Malinowski : Nous l’attendons encore.

Le sénateur Massicotte : Vous attendrez peut-être longtemps.

La sénatrice Martin : Je vous remercie de votre présence. Mes collègues ont posé certaines de mes questions, mais j’aimerais creuser un peu plus. D’abord, monsieur Malinowski, vous avez proposé un amendement relatif à un mécanisme d’examen. Avez-vous témoigné devant le comité de la Chambre des communes? Lui avez-vous proposé le même amendement? Si c’est le cas, manifestement, il n’a pas été adopté. Le projet de loi a été adopté à l’unanimité par la Chambre; c’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui. J’aimerais mieux comprendre le mécanisme d’examen que vous proposez. Pouvez-vous nous fournir plus de détails sur l’amendement que vous nous demandez d’examiner?

M. Malinowski : Nous vous demandons, premièrement, d’amender le projet de loi pour exclure les systèmes de sécurité et d’émissions des véhicules. Si cette proposition est rejetée, nous vous demandons, au minimum, de prévoir un mécanisme en vertu duquel les répercussions des modifications apportées à la loi feront l’objet d’un examen après une période donnée. Comme le sénateur Massicotte l’a mentionné, avant que les modifications entrent en vigueur, on peut difficilement prédire exactement quels effets elles auront. Il se peut très bien que dans deux ou trois ans, nous nous retrouvions devant le comité pour parler des conséquences non voulues des modifications. On pourrait intégrer un mécanisme d’examen à la Loi sur le droit d’auteur afin que les modifications fassent automatiquement l’objet d’un examen au bout d’un certain temps. Les modifications ont-elles les conséquences voulues sur le droit à la réparation ou ont-elles les répercussions négatives que l’on appréhendait? La proposition est pertinente.

La sénatrice Martin : Avez-vous témoigné devant le comité de la Chambre des communes?

M. Malinowski : Non, je ne faisais pas partie de l’association à l’époque, mais un représentant de l’association a témoigné devant le comité de la Chambre. À ce moment-là, la seule recommandation était d’exempter les systèmes d’échappement et de sécurité des véhicules. Nous avons modifié légèrement nos recommandations et nous les avons hiérarchisées étant donné que le projet de loi a été adopté à l’unanimité par la Chambre des communes.

La sénatrice Martin : Monsieur Drury, dans la réponse que vous avez donnée au sénateur Massicotte, vous avez nommé des États qui prévoient des exemptions. Aux États-Unis, la décision d’accorder une exemption revient-elle à chaque État?

M. Drury : Je dirais que les États-Unis ont un peu d’avance sur le Canada : là-bas, le droit à la réparation relève de la compétence des États. Jusqu’à maintenant, notre industrie a été exemptée des projets de loi relatifs au droit à la réparation.

La sénatrice Martin : Vous avez donné les exemples de l’interrupteur de siège et de la grue. Pendant que vous fournissiez vos explications, je me disais que pour les opérateurs des appareils, c’est aussi une question de vie ou de mort. Il leur importe que les réparations soient bien faites. Nous prenons tous la question très au sérieux; je ne fais qu’écouter.

Madame De Toni, vous avez mentionné, durant votre déclaration préliminaire, que vous craignez que le secteur soit exposé au vol de contenu. Vous êtes entrée dans les détails.

Je réfléchis à l’importance du droit à la réparation et au choix que nous donnons à la population canadienne. Nous examinons attentivement les préoccupations que vous avez soulevées. Voulez-vous nous fournir plus de détails sur l’ampleur du risque que représente le vol de contenu?

Mme De Toni : Je vous remercie pour la question, sénatrice Martin. Je demanderais à Mme Poor de donner plus de détails parce que le risque ne touche pas seulement le vol de contenu; il touche aussi la protection des renseignements personnels des joueurs. C’est un enjeu très important pour notre industrie.

La sénatrice Martin : Madame Poor, j’aimerais en savoir plus sur l’ampleur des risques liés au vol de contenu. Concrètement, quels sont ces risques?

Mme Poor : D’abord, il ne faut pas oublier qu’à l’heure actuelle, nous n’empêchons personne de réparer sa console. Si quelqu’un veut faire réparer sa console, il peut l’apporter à un atelier de réparation. Rien ne l’empêche de le faire. Nous n’interdisons pas les réparations.

Le problème que nous pose le projet de loi, c’est l’ampleur de l’exception à une disposition fondamentale de la Loi sur le droit d’auteur qui est essentielle pour nous. La disposition anti‑contournement est conçue spécifiquement pour faire en sorte que les mesures de sécurité que nous appliquons à nos consoles dans le but de protéger notre propriété intellectuelle ne puissent pas être piratées ou déjouées.

Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.

La sénatrice Martin : J’essaie simplement de comprendre le risque d’exposition dont vous parlez. Durant votre déclaration préliminaire, vous avez dit qu’il serait dangereux d’exposer le secteur au vol de contenu. J’essaie juste de comprendre l’ampleur du risque.

Mme Poor : Quand nos mesures techniques de protection sont contournées, il devient possible d’accéder illégalement à du contenu illicite à partir de notre système. Si le système est déverrouillé, l’utilisateur peut télécharger n’importe quel jeu vidéo au monde et jouer à ce jeu. Presque tous les jeux vidéos et tous les contenus se trouvent quelque part sur Internet. La raison pour laquelle nous avons recours à des mesures techniques de protection, c’est pour empêcher les gens d’utiliser notre système pour jouer aux jeux illégaux accessibles en ligne. La disposition anti-contournement et les mesures techniques de protection que nous utilisons bloquent l’accès aux jeux illégaux.

Le sénateur Yussuff : J’ai plusieurs questions. Je vais m’adresser d’abord à Mme Poor.

Le projet de loi ne contourne pas la protection contre le piratage pour votre secteur ou votre industrie. Ai-je raison? Le projet de loi C-244 ne contourne pas la protection contre le piratage dont vous jouissez aujourd’hui en vertu de la loi canadienne.

Mme Poor : Ne contourne pas? Il y a des exceptions...

Le sénateur Yussuff : Autrement dit, il sera toujours illégal de pirater votre produit.

Mme Poor : Oui.

Le sénateur Yussuff : Le projet de loi ne change rien à cela. Vous craignez qu’un utilisateur puisse modifier sa console de façon à pouvoir télécharger un dispositif quelconque. Si vous arriviez à trouver cet utilisateur, vous pourriez le poursuivre en justice ou prendre des mesures contre lui.

Mme Poor : Nous savons que des ateliers de réparation le font. Ce ne sont pas tous les ateliers de réparation, bien entendu, mais vous n’avez qu’à vous rendre sur Reddit et à faire quelques recherches pour voir que les gens font appel aux ateliers de réparation pour faire modifier leurs consoles.

Le sénateur Yussuff : Sauf votre respect, des gens commettent beaucoup d’actes illégaux qui sont interdits aujourd’hui par la loi. On ne peut pas simplement mettre au point un projet de loi pour empêcher cela. Il faut trouver ces gens et prendre des mesures contre eux parce que leurs actions sont illégales. La loi actuelle les interdit, et si le projet de loi est adopté, il les interdira aussi.

Les gens continueront à commettre des actes illégaux. Je pense qu’il est juste de dire que le Canada attend depuis des décennies d’obtenir le droit à la réparation, et ce, en raison des faux arguments utilisés par l’industrie pour nous empêcher d’avancer. Nous semblons avoir du retard par rapport à l’Europe et nous sommes certainement en retard sur les États-Unis. Je reconnais qu’il y a des exemptions et que des préoccupations ont été soulevées.

Permettez-moi d’en venir à l’argument de mes collègues des secteurs de la construction d’automobiles et de la machinerie lourde. Je comprends l’importance de sauvegarder les mesures de protection de l’environnement et de sécurité intégrées aux véhicules. Si le droit à la réparation est accordé, je présume que les provinces n’auront qu’à apporter une légère modification de forme à leurs lois — puisque ce sont souvent les provinces qui octroient les licences aux personnes qui travaillent sur l’équipement — pour sauvegarder les mesures de protection de l’environnement et de sécurité intégrées aux véhicules. À mes yeux, le projet de loi C-244 ne vise pas à contourner cette réalité.

Comme vous l’avez mentionné dans votre exemple, monsieur Drury, manœuvrer une grue n’est pas une mince affaire. Il faut avoir une formation adéquate non seulement pour la manœuvrer, mais aussi pour la réparer, étant donné les répercussions que le contournement des mesures pourrait avoir sur les travailleurs. Si j’étais propriétaire d’une grue, je m’assurerais que le réparateur est titulaire d’une licence avant qu’il n’y touche, parce que si ma grue s’écroule et tue quelqu’un, c’est lui qui sera tenu responsable.

J’essaie de concilier mon approche sensée aux arguments que vous avancez; je les trouve irrecevables. Je reconnais que des mesures réglementaires sont nécessaires pour résoudre les problèmes que vous soulevez, mais je trouve que vous poussez le bouchon beaucoup trop loin pour tenter de me convaincre, même si je comprends vos préoccupations.

Essayez de concilier ces deux points de vue parce que la population canadienne attend ce projet de loi depuis des dizaines d’années. Pendant que nos partenaires commerciaux aux quatre coins du monde avancent, nous faisons semblant d’être impuissants à agir. Franchement, nous avons l’air idiots.

M. Drury : Tout d’abord, je tiens à préciser que notre industrie appuie le droit à la réparation. Nous voulons que nos clients prennent soin de leurs machines. Nous les soutenons. Vous avez raison : si ce sont de bons entrepreneurs et de bons travailleurs qui comprennent les appareils et qui suivent la formation, nous sommes là pour les soutenir. Malheureusement, dans les faits, beaucoup se moquent de la sécurité ou de la protection de l’appareil. Tout ce qu’ils veulent, c’est finir le travail et se faire rémunérer.

À notre avis, en facilitant le contournement des mesures techniques de protection, le projet de loi augmente le risque que de telles situations se produisent. C’est notre avis. Pour nous, c’est une question de sécurité publique.

Le sénateur Yussuff : Je précise que j’ai déjà été mécanicien certifié. Je ne le suis plus aujourd’hui, mais je l’ai été pendant longtemps. Chaque fois que je touchais à un véhicule, j’avais la responsabilité légale de m’assurer que chacune de mes actions était conforme à ma formation. Si j’avais contourné les mesures de sécurité, j’aurais pu perdre ma certification.

M. Drury : Moi aussi.

Le sénateur Yussuff : La société comptera toujours des malfaiteurs; la loi devrait nous permettre de les attraper et de les poursuivre en justice. Le projet de loi doit être adopté pour donner à la population canadienne les droits qu’elle demande depuis des décennies.

M. Drury : Je le répète, nous sommes pour le droit à la réparation. Je veux simplement que vous sachiez que dans notre industrie, le fait de permettre à des personnes qui ne savent pas ce qu’elles font de modifier les appareils pose des risques considérables.

Le sénateur Yussuff : Je vous dirais à toutes et à tous que je ferais volontiers des observations sur les arguments que vous soulevez au sujet de la sécurité. Ces arguments sont nécessaires, mais ils ne nous empêchent pas d’adopter le projet de loi. Ce sont des observations. Je ne veux pas que nous omettions de prendre les mesures qui s’imposent pour le bien du Canada en prétendant que c’est la bonne chose à faire. Selon moi, ce serait la mauvaise chose à faire, et nous avons attendu trop longtemps que les projets de loi en arrivent à ce point.

M. Malinowski : Je vous remercie pour vos commentaires, sénateur Yussuff. Ils sont bien reçus. Comme l’industrie de M. Drury, nous soutenons aussi le droit à la réparation. Je ne suis pas mécanicien certifié, mais je m’intéresse à la mécanique. J’aime assurer moi-même l’entretien de mes véhicules. J’y prends plaisir et je trouve très important de veiller à ce que les consommateurs conservent la possibilité de réparer eux-mêmes leurs appareils.

Une grande partie des frustrations liées au droit à la réparation n’ont rien à voir avec l’industrie lourde ou les véhicules. Le droit à la réparation pose de réels problèmes au Canada, et il faut absolument les régler. Notre préoccupation, c’est que la modification généralisée de la Loi sur le droit d’auteur pourrait avoir des conséquences non voulues, et il nous incombe de les porter à l’attention des législateurs comme vous.

Le sénateur Yussuff : Merci.

Le sénateur Varone : Je vous remercie de votre présence. Je suis convaincu de l’importance du droit à la réparation et j’appuie le libellé du projet de loi, mais je suis tout aussi convaincu de l’importance d’empêcher les gens de modifier les appareils, d’enfreindre la loi, de compromettre la sécurité des systèmes d’émissions ou de violer le droit d’auteur. C’est le dilemme devant lequel nous nous trouvons.

D’autres industries ont trouvé des moyens d’autoriser l’accès. Je n’entends pas « accès » dans le sens du droit à la réparation. Je ne peux pas accéder à mes comptes bancaires sans être soumis au processus d’authentification à deux facteurs. Je ne peux même pas accéder à mon compte Uber Eats sans l’authentification à deux facteurs. Avant que quelqu’un puisse contourner une mesure technique de protection, y a-t-il moyen — je réfléchis aux observations — de créer un registre pour que vous sachiez qui accède au système, qui fait des réparations, qui contourne les mesures de protection ou qui fait quoi que ce soit? Les banques le font quotidiennement. Je ne peux pas utiliser mon ordinateur du Sénat sans passer par l’authentification à deux facteurs. Il existe des outils. Je comprends les questions que vous soulevez, mais je pense qu’il y a moyen de contourner tous les problèmes dont vous avez parlé.

M. Malinowski : En fait, sénateur Varone, les mesures techniques de protection sont analogues à l’authentification à deux facteurs. Elles servent à veiller à ce que seules les personnes autorisées et compétentes puissent accéder aux composantes du logiciel ou du système du véhicule. Ce que vous cherchez existe déjà; c’est ce que nous essayons de protéger. Nous craignons qu’en vertu de la disposition généralisée, il soit possible de contourner les mesures de protection à des fins de réparation ou de diagnostic.

Le sénateur Varone : La banque me donne régulièrement accès à mes comptes. Elle sait que c’est moi parce qu’elle peut vérifier mon identité. Si le projet de loi est adopté, il doit exister des moyens que vous pouvez utiliser pour vérifier l’identité des personnes qui accèdent au système et pour détecter les cas de fraude.

M. Malinowski : S’il s’agit de fraude, peut-être. Par exemple, s’il vous faut une clé de remplacement pour votre véhicule parce que vous avez perdu vos clés, le fabricant a un système qui lui permet de savoir qui demande une clé de remplacement pour ce véhicule.

Le sénateur Varone : J’ai perdu mon véhicule parce qu’ils l’ont volé. C’était un véhicule à l’épreuve du vol; ils avaient donc besoin d’une clé. Ils sont entrés par effraction dans la maison. Quoi qu’il en soit, c’est un vol. La criminalité, cela reste de la criminalité.

Le vice-président : Sénateur Varone, est-ce que ça va?

Le sénateur Varone : Ça va, merci.

Le vice-président : Est-ce que d’autres témoins veulent faire des commentaires à ce sujet?

M. Drury : Nous faisons cela dans notre industrie. C’est notre mesure technique de protection, essentiellement. Nous formons les gens, nous leur donnons les bons outils et nous nous assurons qu’ils comprennent ce qu’ils peuvent faire par la suite. En tant que fournisseur d’équipement ayant des moteurs Caterpillar, nous recevons une formation et le fabricant nous reconnaît comme sous-distributeurs — pour utiliser un terme rapide et facile pour décrire cela — afin que nous puissions avoir accès et faire le travail. Le fait que nous ayons suivi la formation est rassurant. Donc, l’industrie est déjà sur la bonne voie. Nous le faisons déjà et nous laissons les clients entretenir leur équipement, avec une formation de sécurité adéquate, de façon à ce qu’ils n’abîment pas leur machinerie. Pour répondre à votre question, nous savons qui entre et qui sort.

Le sénateur Massicotte : Tant mieux pour vous. Votre client fera directement appel à vous. Il ne s’adressera pas à quelqu’un d’autre pour débloquer le système. Vous devez vendre vos produits et votre marque.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je ne connais pas grand-chose aux droits d’auteur. Par contre, à titre de législateurs, on sait que les projets de loi présentés par des députés et des sénateurs sont des projets de loi qui nous tiennent à cœur, car ils portent sur des sujets importants, et il y a souvent des manières de simplifier un problème qui peut sembler complexe. Je pense que le droit à la réparation, c’est quelque chose que tout le monde partage; nous sommes en retard à cet égard et il faut aller de l’avant. Si je comprends bien, vous dites que ce projet de loi est trop universel, trop vaste.

Ma question est la suivante : quelle architecture aurait dû adopter le projet de loi pour se comparer à des projets de loi qui existent ailleurs et qui ont été mis en œuvre dans différentes instances gouvernementales? C’est une façon simple d’accéder aux besoins, mais quelle serait l’approche qui serait, selon vous, la plus appropriée?

[Traduction]

M. Malinowski : Merci, sénatrice. Je reconnais que les projets de loi d’initiative parlementaire et les projets de loi d’intérêt privé émanant de sénateurs doivent concilier simplicité avec la complexité de bon nombre de ces enjeux. Il faudrait peut-être modifier la Loi sur le droit d’auteur pour créer une disposition permettant de demander des exemptions pour le contournement des mesures de protection technologiques, comme ce qui se fait aux États-Unis, où la Digital Millennium Copyright Act prévoit une protection complète des mesures de protection technologiques. Cette loi comprend toutefois un mécanisme permettant, à intervalles réguliers, la présentation de demandes d’exemption. Il existe un processus. On présente les risques et les avantages potentiels, et cela fait l’objet d’une révision aux deux ans. C’est une approche inverse, qui n’est pas celle du projet de loi C-244.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Aux États-Unis, est-ce que cela prend une bureaucratie pour que ce processus s’applique? Il n’y a pas de bureaucratie comme cela ici. Cela veut-il dire qu’aux États-Unis, il y a un ministère avec des fonctionnaires qui doivent donner les permissions?

[Traduction]

M. Malinowski : Je ne comprends pas très bien comment cela fonctionne, mais cela se fait par l’intermédiaire de la Bibliothèque du Congrès.

La sénatrice Bellemare : Je vois.

La sénatrice Ringuette : Je suis peut-être vieux jeu, mais personnellement, quand je pense à la sécurité des voitures, par exemple, je pense aux coussins gonflables, aux freins et à la direction. Je cherche activement une nouvelle voiture sur le marché actuellement. J’ai donc visité de nombreux concessionnaires. Le point commun de tous ces véhicules, c’est une panoplie de gadgets qui n’ont rien à voir avec la sécurité. Si vous avez un permis de conduire, vous devriez être capable de voir quand vous franchissez une ligne. Je leur ai tous dit que je n’ai pas besoin de ces gadgets. Je peux conduire moi-même. Invariablement, leur réponse, quelle que soit la marque, était qu’il suffit de les déconnecter. C’est ce qu’ont dit les concessionnaires. J’essaie de concilier mon expérience de magasinage des deux derniers mois avec ce que vous dites par rapport à ce que l’industrie automobile considère comme de la sécurité.

M. Malinowski : Merci, sénatrice. Tout d’abord, je vous félicite de chercher une nouvelle voiture. J’espère que vous trouverez quelque chose.

La sénatrice Ringuette : Cela va coûter cher.

M. Malinowski : J’espère que vous trouverez un véhicule qui vous satisfera. Vous soulevez d’importants points, et je suis ravi d’en parler. Bon nombre de ces technologies sont imposées et exigées par les organismes de réglementation fédéraux, soit la National Highway Traffic Safety Administration aux États-Unis ou Transports Canada. Plus de technologies de ce genre sont imposées à la suite de recherches qui ont démontré que ces technologies augmentent la sécurité et réduisent l’incidence d’accidents et de blessures graves.

Ces systèmes peuvent être désactivés dans certains cas. Par exemple, si vous êtes une excellente conductrice, vous pouvez désactiver le système d’aide au maintien dans la voie. En fin de compte, les organismes de réglementation diront qu’il y a certains systèmes qu’ils ne veulent pas que le consommateur puisse désactiver. Par exemple, dans le cas du système de freinage automatique, si vous regardez votre passager et que la voiture qui vous précède freine, votre voiture freinera pour vous. Les organismes de réglementation peuvent décider de rendre ce système obligatoire, et vous ne pourrez pas le désactiver. Il s’agit d’une exigence réglementaire imposée aux constructeurs automobiles pour tout nouveau véhicule mis sur le marché.

Notre préoccupation, c’est que si vous ne voulez pas désactiver ce système, vous devrez vous assurer qu’il fonctionne comme il faut. Si quelqu’un peut contourner les mesures techniques de protection et apporter des modifications que le constructeur n’a pas prévues, de sorte que les systèmes de sécurité ne fonctionnent pas comme on s’y attend parce qu’ils ont été altérés, cela aura des conséquences sur la sécurité.

La sénatrice Ringuette : On m’a déjà dit que je pouvais retirer le système.

M. Malinowski : Certains constructeurs automobiles offrent la possibilité de le désactiver. Dans certains cas, le système se remettra en marche au démarrage du véhicule. J’ai mes propres opinions là-dessus, mais nul besoin d’aborder cela ici.

Le sénateur C. Deacon : Je serai bref. Le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail stipule qu’aucun appareil ne doit être utilisé ou mis en service si un de ses dispositifs de sécurité est inutilisable, et qu’aucun dispositif de sécurité fixé à un appareil ne doit être modifié, dérangé ou rendu inutilisable. Nos directives en matière de santé et de sécurité sont très claires, et le fardeau de la responsabilité que cela entraînerait pour quiconque répare un appareil, possède l’appareil ou en permet l’utilisation par contrat serait considérable.

M. Drury : Je suis ici pour dire qu’il y a eu des décès dans notre industrie parce que cela n’a pas été respecté. On peut avoir toutes les lois, les règles et la réglementation du monde, mais certains ne les respectent pas, parfois avec de très lourdes conséquences. Nous sommes d’avis que l’adoption de cette mesure entraînera une légère augmentation du risque dans notre industrie.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie beaucoup de votre présence aujourd’hui.

Le sénateur Gignac : Nous avons beaucoup d’expérience. Il s’agit d’un projet de loi d’intérêt privé, mais vous faites du lobbying. La diligence raisonnable n’est pas la même pour un projet de loi d’intérêt privé que pour un projet de loi émanant du gouvernement, car dans ce cas, nous avons la possibilité de discuter avec les fonctionnaires et tous les experts. C’est plus compliqué dans le cas d’un projet de loi d’intérêt privé. En outre, très souvent, l’industrie se réveille soudainement, à la dernière minute, et se rend compte qu’un projet de loi d’intérêt privé a été examiné à l’autre endroit et se trouve maintenant au Sénat.

Y a-t-il des leçons à tirer, en particulier lorsqu’il s’agit de questions techniques de ce genre? Comme bon nombre de mes collègues — ou du moins personnellement —, je n’ai pas d’expertise dans ce domaine. J’ai entendu de bons arguments des deux côtés. C’est compliqué.

Avez-vous l’impression d’avoir tiré des enseignements? De votre point de vue, y a-t-il une différence importante lorsqu’il s’agit d’un projet de loi émanant du gouvernement ou d’un projet de loi d’intérêt privé? Merci.

M. Malinowski : Absolument, sénateur. Je suis certain que vous l’avez constaté lorsque les projets de loi émanent de l’autre endroit : il y a une différence importante.

Le sénateur Gignac : Avez-vous réussi à communiquer avec les fonctionnaires, ou est-ce difficile parce que ce n’est pas un projet de loi émanant du gouvernement? C’est un projet de loi d’intérêt privé. Avez-vous eu l’occasion de discuter avec des fonctionnaires, ou pas vraiment?

M. Malinowski : À l’occasion. J’ai un dernier point : la principale différence, c’est que le gouvernement a une plus grande capacité de consulter l’industrie et de l’informer de ses intentions. Une bonne partie du travail a déjà été faite avant le dépôt d’un projet de loi, comparativement à la capacité d’un parlementaire de consulter l’industrie et de dire : « Je pense à faire ceci ».

Le sénateur Gignac : Vous devez être surpris lorsqu’il s’agit d’un projet de loi d’intérêt privé au lieu d’un projet de loi émanant du gouvernement. Est-ce une affirmation juste?

M. Malinowski : Cela dépend.

M. Drury : Dans ce cas-ci, premièrement, je suis dans l’industrie. Je ne suis pas un lobbyiste. Je représente l’industrie. Deuxièmement, nous avons travaillé sur cette question dans le cas du projet de loi précédent, dont j’oublie le numéro. C’était un projet de loi d’initiative parlementaire, parrainé par M. Bryan May, qui portait à l’origine sur le droit de réparer. Ensuite, le député Miao a présenté cette mesure législative. Donc, cela signifie que nous travaillons là-dessus depuis cinq ou six ans, probablement. En fait, nous avons eu des rencontres avec M. Patrick Belanger, l’un des rédacteurs de politiques. Cette mesure n’est pas une surprise. Nous y travaillons depuis un certain temps.

Mme De Toni : Du point de vue des jeux vidéo, nous travaillons à ce dossier depuis le début avec le gouvernement et les députés qui siègent à des comités. Nous n’avons pas été pris par surprise. Nous avons eu des consultations et des discussions à ce sujet avec divers acteurs au sein du gouvernement et du côté de la Chambre.

Le sénateur Gignac : Cela a été réitéré dans le dernier budget. Je remercie mon collègue d’avoir souligné que le gouvernement a clairement indiqué, dans le dernier budget, qu’il appuie ces projets de loi.

Mme De Toni : Oui.

Le sénateur Gignac : Merci.

Le sénateur Varone : Vous avez parlé d’exemptions tout à l’heure. Ces exemptions doivent-elles être incluses dans le projet de loi en modifiant la version actuelle, ou peuvent-elles être établies par règlement après coup?

M. Malinowski : C’est une excellente question qui s’adresse peut-être aux fonctionnaires d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Je sais que dans le cas des enregistrements sonores, par exemple, un amendement a été apporté au projet de loi lui-même à l’étape du comité. Cela n’a pas été repoussé à l’étape de la réglementation.

Le sénateur Varone : Certes, mais par rapport au droit de réparer, je pense que l’adoption de cette mesure législative, le cas échéant, sera suivie d’une multitude de règlements. Je me demande simplement s’il s’agit de l’étape appropriée pour créer les exemptions.

M. Drury : Nous pensons que cela doit être une exemption. Je vais vous donner un exemple. Je dirais qu’il y a actuellement des milliers de moteurs diésel qui fonctionnent illégalement. Il n’y a pas de pas de mécanisme d’application. Selon moi, nous n’avons pas les ressources nécessaires pour assurer l’application. Voilà pourquoi nous demandons un amendement.

Mme De Toni : Nous préférons également une exemption dans le projet de loi.

Le vice-président : Madame Poor, voulez-vous ajouter quelque chose à cela?

Mme Poor : Merci beaucoup. Nous sommes très reconnaissants du temps qui nous est accordé.

Le vice-président : Je remercie nos témoins. Bienvenue à notre deuxième groupe de témoins. Chers collègues, nous avons maintenant le plaisir d’accueillir notre deuxième groupe de témoins. Ils sont venus parler des deux projets de loi, mais nous diviserons le tout en ayant des séries de questions distinctes sur le projet de loi C-294 et le projet de loi C-244. Nous commencerons par le projet de loi C-244 jusqu’à 17 h 50, environ, selon la façon dont les choses se dérouleront autour de la table. La séance se termine à 18 h 15 précises. Je ferai de mon mieux pour gérer le temps.

Je ne veux pas empêcher les collègues de discuter entre eux autour de la table, mais je vous demanderais d’éviter de parler fort durant les travaux du comité de façon à ne pas nous empêcher d’entendre les questions et les réponses. Je vous demande cette faveur.

Accueillons maintenant nos témoins. Représentant les Producteurs de grains du Canada, nous avons le directeur général, M. Kyle Larkin, et le président, M. Andre Harpe. Représentant l’Association des industries de l’automobile du Canada, nous accueillons M. Jean-François Champagne, président et chef de la direction; M. Chris Kinghorn, vice‑président, Stratégie et croissance, NAPA Canada et Traction/TruckPro Canada (UAP Inc.); M. Daryll O’Keefe, premier vice‑président, Réseau Fix Canada. M. Tyler Threadgill, vice‑président aux affaires extérieures chez LKQ Corporation se joint à nous uniquement pour la discussion sur le projet de loi C-244.

Je crois comprendre que les trois organismes ont une présentation. Monsieur Harpe, nous allons commencer par vous. La parole est à vous.

Andre Harpe, président, Producteurs de grains du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie les membres du comité de nous avoir invités aujourd’hui pour témoigner.

Je suis un producteur de grains de la région de Peace River, dans le Nord de l’Alberta. Je suis également le président des Producteurs de grains du Canada, ou PGC, et je suis accompagné aujourd’hui par notre directeur général, Kyle Larkin.

À titre de porte-parole national des producteurs de grains canadiens, les PGC représentent plus de 65 000 producteurs de grains, d’oléagineux et de légumineuses. Étant moi-même producteur de grain, je comprends très bien la nécessité de politiques de droit de réparer au Canada. Depuis longtemps, les céréaliculteurs canadiens ont l’habitude réparer leur propre équipement, comme les tracteurs, les semoirs, les pulvérisateurs et les moissonneuses-batteuses. Ces équipements peuvent coûter plus d’un million de dollars et représentent d’importants achats d’immobilisations pour de nombreux agriculteurs.

Malheureusement, les progrès technologiques de l’équipement agricole ont créé des obstacles qui empêchent les agriculteurs de continuer à réparer leur propre équipement. En raison de l’absence de politiques de droit de réparer au Canada, les fabricants d’équipement ont conservé les logiciels de diagnostic ou les vendent à fort prix, généralement sous forme d’abonnement annuel. Cela a obligé les agriculteurs à dépenser des milliers de dollars supplémentaires pour obtenir l’aide de leur concessionnaire local ou à payer des abonnements coûteux.

En outre, les rapports sur la main-d’œuvre au Canada et la fondation Associated Equipment Distributors, ou AED, révèlent que les concessionnaires sont confrontés à d’importantes pénuries de main-d’œuvre. Par conséquent, les appels de service peuvent prendre des jours, voire des semaines, avant d’être traités. Pendant les périodes critiques de l’année, en particulier les périodes d’ensemencement et de récolte, ces retards peuvent nuire à la production agricole.

Le projet de loi C-244 est la première étape vers la création d’un cadre fédéral du droit de réparer qui permettrait aux agriculteurs de continuer à réparer leur propre équipement.

La compatibilité des diverses pièces d’équipement est un autre élément essentiel du droit de réparer. Depuis des décennies, les agriculteurs comptent sur la compatibilité des pièces et des équipements pour accroître l’efficacité de leur production. Bon nombre d’exploitants utilisent des pièces et équipements de différents fabricants. Cependant, l’interopérabilité de ces systèmes devient plus difficile en raison de nouvelles restrictions logicielles imposées par les fabricants d’équipements d’origine, ou OEM. Par exemple, les pièces de Honey Bee Manufacturing, une entreprise qui fabrique des pièces pour moissonneuses‑batteuses — têtes de coupe, faucheuses-andaineuses, et courroies à grains —, ne sont plus compatibles avec certains modèles récents de moissonneuses-batteuses John Deere.

Dans le même ordre d’idées, d’autres innovations technologiques dans le domaine agricole, notamment les plateformes de gestion des exploitations, utilisent un réseau de contrôleurs, un port de type CAN, pour la connexion physique avec les systèmes de l’équipement, et ces connexions sont souvent rejetées par le logiciel de l’équipement.

À l’instar des autres consommateurs canadiens, les agriculteurs devraient avoir le droit d’acheter l’équipement et les pièces qui leur conviennent le mieux. Or, sans le projet de loi C-294 qui soutient l’interopérabilité, ils sont contraints de s’approvisionner auprès d’un seul fabricant de pièces d’origine. Ce comportement anticoncurrentiel freine également l’innovation agricole au Canada, qui est nécessaire pour accroître la productivité des terres agricoles. Le projet de loi C-294 favorise le choix des agriculteurs et l’innovation technologique nécessaire aux gains de productivité.

Je vous remercie et je serai heureux de répondre à vos questions tout à l’heure.

Le vice-président : Merci.

Monsieur Champagne, c’est à votre tour de prononcer votre déclaration liminaire.

Jean-François Champagne, président et chef de la direction, Association des industries de l’automobile du Canada : Merci, monsieur le président, de cette occasion de nous prononcer sur ces projets de loi. Nos commentaires porteront surtout sur le projet de loi C-244.

[Français]

Bonjour. Je suis Jean-François Champagne, président et chef de la direction de l’Association des industries de l’automobile du Canada.

[Traduction]

L’Association des industries de l’automobile du Canada, ou AIA Canada, représente le secteur de l’entretien automobile, fort de plus de 4 000 établissements membres à travers le Canada qui emploient près d’un demi-million de personnes au pays.

Je suis accompagné aujourd’hui de Daryll O’Keefe, vice‑président directeur de Réseau Fix Canada, un chef de file mondial de la réparation de carrosseries, de vitres et de pièces mécaniques; et de Chris Kinghorn, vice-président de la stratégie et de la croissance chez UAP Inc., un chef de file de la distribution et de la vente de pièces, d’accessoires de rechange et d’outils pour les automobiles et les véhicules lourds au Canada.

Les voitures représentent généralement la deuxième dépense la plus importante pour les familles canadiennes. L’accès aux informations dans le marché secondaire pour les réparations et les diagnostics est essentiel pour maintenir un marché compétitif et de faibles coûts de réparation. Le projet de loi C-244 traite des serrures numériques et représente une amélioration pour le marché secondaire et les conducteurs. Toutefois, des lacunes subsistent, notamment l’absence de sanctions pour les fabricants qui restreignent l’accès aux données de réparation.

Les constructeurs automobiles nous ont dit que le droit à la réparation ne posait pas de problème, mais des cas concrets prouvent le contraire. Des consommateurs nous décrivent régulièrement l’impossibilité pour les ateliers de réparation locaux d’accéder aux informations sur les réparations, ce qui oblige les conducteurs à se rendre chez un concessionnaire où les coûts sont plus élevés.

Pendant ce temps, d’autres administrations adoptent des textes de loi sur le droit à la réparation. De nombreux États américains, l’Union européenne, l’Australie et, plus récemment, le Québec ont adopté des lois obligeant les équipementiers à partager les informations sur les réparations. Il est temps que le Canada rattrape son retard. Il est essentiel que les propriétaires de véhicules — et non les constructeurs automobiles — soient les propriétaires des données relatives à leur véhicule.

En conclusion, le projet de loi C-244 doit être adopté rapidement, et le cadre du droit à la réparation du gouvernement fédéral doit inclure les véhicules pour être vraiment efficace.

Je vous remercie. Je suis impatient de répondre à vos questions.

[Français]

Le vice-président : Merci, monsieur Champagne.

[Traduction]

Monsieur Threadgill, nous allons maintenant écouter votre déclaration liminaire.

Tyler Threadgill, vice-président, Affaires extérieures, LKQ Corporation : Je vous remercie. Honorables président et sénateurs, je m’appelle Tyler Threadgill et je suis le vice‑président des affaires gouvernementales pour LKQ Corporation pour les États-Unis et le Canada. Mon collègue Derek Willshire, qui travaille à Lévis, vous salue et regrette de ne pouvoir être présent aujourd’hui.

C’est un privilège d’être avec vous pour discuter du projet de loi C-244 — une étape cruciale pour améliorer le droit à la réparation au Canada. Compte tenu du soutien unanime qu’il a reçu à la Chambre des communes, il est essentiel que ce projet de loi soit adopté rapidement pour éviter que les Canadiens ne perdent les avantages qu’il promet. Je suis encouragé par l’engagement de ce comité à faire avancer ce projet de loi.

Le projet de loi C-244 est essentiel pour garantir le droit à la réparation, en particulier pour les petites entreprises et les consommateurs des régions rurales, qui vivront des difficultés considérables si aucune mesure n’est prise.

Chez LKQ, nous nous spécialisons dans la distribution de pièces de rechange automobiles — de marques originales et d’autres marques — dans toute l’Amérique du Nord. En outre, nous sommes le plus grand recycleur de véhicules au monde : nous en recyclons plus de 900 000 chaque année en Amérique du Nord.

Au Canada, LKQ emploie plus de 1 100 personnes à 37 emplacements. Cependant, notre main-d’œuvre ne représente qu’une petite fraction des plus de 490 000 travailleurs du marché secondaire de l’automobile au Canada. L’entretien des véhicules devient de plus en plus complexe, et les consommateurs ont donc de moins en moins d’options pour les réparations. L’entente sur la Norme canadienne visant les renseignements sur l’entretien des véhicules automobiles, ou NCREVA, établie en 2009, est dépassée, car elle ne tient pas compte des progrès technologiques qui ont transformé l’industrie automobile.

Le projet de loi C-244 vise à préserver la liberté des consommateurs de choisir où et comment ils réparent leurs véhicules. Nous croyons fermement que ce projet de loi devrait être adopté.

Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire, et nous sommes impatients de collaborer avec vous sur un cadre global qui renforcera le droit à la réparation pour tous les Canadiens.

Merci beaucoup.

Le vice-président : Merci.

Nous allons maintenant passer aux questions. Je rappelle aux membres de rester concis dans leurs questions et leurs réponses. Je vous demande également de limiter vos questions au projet de loi C-244. Vers 17 h 45, nous passerons à la discussion sur le projet de loi C-294.

La sénatrice Marshall : Je vais commencer par M. Threadgill, mais d’autres intervenants voudront peut-être faire des commentaires.

J’ai lu votre mémoire, monsieur Threadgill, et bien que vous souteniez le projet de loi C-244, vous faites de nombreuses références à d’autres textes législatifs — à d’autres projets de loi — qui reçoivent également un appui. Ce qui me préoccupe, c’est que tous ces amendements sont pratiquement faits indépendamment les uns des autres. Si on souhaite un régime de droit à la réparation, comment savoir si tous les morceaux vont s’imbriquer et donner un résultat sensé?

Pouvez-vous nous donner votre avis? Vous soutenez le projet de loi C-244. Je crois que vous avez dit appuyer le projet de loi C-231. Vous aimiez le projet de loi C-59, alors pourquoi soutiendriez-vous ce projet de loi, qui n’est qu’un petit morceau du casse-tête? Quelles mesures aimeriez-vous voir? Pensez-vous que, au terme du processus, vous pourrez appuyer le résultat?

M. Threadgill : Merci beaucoup de la question.

Ce projet de loi est un élément essentiel, étant donné que les serrures numériques sont utilisées pour empêcher les ateliers de réparation d’avoir accès à l’information nécessaire pour réparer les voitures.

Mais vous avez également raison de dire que ce projet de loi ne suffira pas. Nous pensons que ce projet de loi est un grand pas en avant; nous aimerions qu’il devienne une loi. Nous aimerions ensuite continuer à travailler à l’élaboration d’un cadre plus large qui garantira aux consommateurs et aux petites entreprises l’accès à toutes les données dont ils ont besoin pour réparer un véhicule.

Il faudra aussi que les constructeurs automobiles soient responsables de fournir l’accès aux données. Sinon, le processus sera tout simplement trop long pour les petits ateliers des régions rurales canadiennes qui devront demander l’accès aux données aux constructeurs automobiles pour réparer les voitures de leurs clients. Soit les ateliers perdront des clients, soit les clients seront privés de leurs véhicules pendant une longue période.

Bien que nous considérions le projet de loi C-244 comme un élément essentiel de ce processus, nous pensons qu’il faudra aller plus loin.

La sénatrice Marshall : Quelle proportion du casse-tête le projet de loi C-244 représente-t-il, selon vous? Pensez-vous qu’il s’agit d’un petit ou d’un grand pas? Avons-nous encore un long chemin à parcourir ou sommes-nous à mi-chemin?

M. Threadgill : Je dirais qu’il s’agit d’un pas moyen. Nous avons encore du chemin à parcourir, mais c’est une étape importante. Avec ce projet de loi, je pense que le gouvernement montre son engagement en faveur du droit à la réparation de manière plus générale.

La sénatrice Marshall : D’accord.

J’aimerais vous entendre messieurs Harpe et Champagne, parce que vous soutenez également le projet de loi. J’aimerais savoir si vous avez des craintes parce que ce projet de loi n’est qu’un morceau du casse-tête. J’aimerais aussi savoir quelle orientation vous aimeriez voir le gouvernement prendre à long terme.

Kyle Larkin, directeur général, Producteurs de grains du Canada : Je vous remercie de la question.

Je suis d’accord avec M. Threadgill : le projet de loi C-244 est le début d’une conversation. Aux États-Unis, chaque État élabore son propre projet de loi sur le droit à la réparation pour répondre aux besoins de ses habitants. Au Canada, la Loi sur le droit d’auteur empêche de nombreuses provinces d’adopter leur propre loi sur le droit à la réparation.

Le projet de loi C-244 est le début d’une conversation qui ouvre le cadre du droit à la réparation afin que les provinces, comme l’Alberta et la Saskatchewan, puissent adopter leur propre législation qui conférera ce droit à leurs agriculteurs.

La sénatrice Marshall : Les Américains s’y prennent-ils petit à petit, comme nous, ou ont-ils une approche plus globale? Je suis inquiète parce qu’on avance un petit pas à la fois.

M. Larkin : Aux États-Unis, la situation varie d’un État à l’autre. Certains États américains ont une population supérieure à celle du Canada. Les décideurs répondent aux besoins de leurs populations.

Ici, au Canada, c’est encore une fois une responsabilité provinciale. Le Québec a pu élaborer son propre texte de loi, mais si nous adoptons des projets de loi comme le projet de loi C-244 — si la loi fédérale change —, la province pourra aller encore plus loin. C’est pourquoi des provinces comme la Saskatchewan, l’Alberta, le Manitoba et d’autres aimeraient adopter une loi sur le droit à la réparation, mais n’ont pu le faire parce qu’elles sont bloquées par les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur.

La sénatrice Marshall : Vous appuyez donc le projet de loi et vous n’avez pas de craintes découlant du fait que c’est seulement un morceau du casse-tête?

M. Larkin : C’est exact.

La sénatrice Marshall : D’accord.

Je crois que M. O’Keefe voulait dire quelque chose.

Daryll O’Keefe, vice-président directeur, Réseau Fix Canada, Association des industries de l’automobile du Canada : Je parle au nom d’AIA Canada, que je représente.

Selon nous, le projet de loi C-244 n’est pas incomplet; il s’attaque à un problème, à savoir les serrures numériques — les mesures de protection qui nous empêchent d’accéder aux informations dont nous avons besoin pour réparer en toute sécurité les véhicules du marché secondaire. Fondamentalement, 75 % des Canadiens vivent à proximité de grands centres de fabrication où se trouvent des concessionnaires, de sorte que 25 % des Canadiens n’y ont tout simplement pas accès. Imaginez que vous conduisez un véhicule sophistiqué à Sudbury, en Ontario, et qu’il n’y a pas de concessionnaire qui permet d’accéder aux dispositifs de sécurité du véhicule. Il pourrait s’agir d’une Tesla ou d’une Nissan Leaf, qui sont des véhicules sophistiqués. Le fardeau commercial qui pèse alors sur le centre de réparation est le suivant : qu’est-il censé faire? Transporte-t-il le véhicule à Toronto, qui est le centre le plus proche susceptible d’être autorisé à avoir accès à ces données? Conduisez-vous vous-même le véhicule de manière dangereuse parce que vous n’avez pas les moyens de le faire transporter?

Voilà les craintes fondamentales par rapport à l’accès aux données.

Il y a un autre sujet, certainement, entourant le droit à la réparation : l’accès à la formation appropriée de l’équipementier pour savoir comment le véhicule a été construit. Il s’agit là des questions mécaniques plus fondamentales qui, vous le comprendrez sans doute, sont très importantes.

N’oublions pas non plus les problèmes d’approvisionnement liés à ces programmes. L’accès aux pièces est également restreint. Il s’agit d’éléments distincts qui relèvent du droit à la réparation, mais le point concernant le verrouillage de données est propre au sujet. C’est le point de départ. C’est ce dont nous avons besoin en premier lieu pour réparer les véhicules en toute sécurité.

La sénatrice Marshall : Vous n’avez donc aucune inquiétude. Merci.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je trouve les commentaires très éclairants. Si je comprends bien, le projet de loi C-244 permet d’ouvrir la porte à des législations plus sophistiquées à l’échelle provinciale. Il existe une caractéristique canadienne à la problématique du droit à la réparation, et ça, c’est une petite clé. Comment expliquer que le projet de loi C-244 et le projet de loi C-294 concernent la même problématique? J’aimerais comprendre tout de suite le lien entre ces deux projets de loi.

M. Larkin : Merci pour la question, sénatrice.

[Traduction]

Je serais heureux de répondre à cette question.

À notre avis, le projet de loi C-244 concerne le cadre plus large du droit à la réparation. De son côté, le projet de loi C-294 est très axé sur l’interopérabilité, qui est importante dans le secteur agricole, où une variété de pièces provenant de divers fabricants peuvent être différentes ou identiques. Comme l’a dit M. Harpe dans sa déclaration préliminaire, on peut avoir une moissonneuse-batteuse John Deere qui est maintenant incompatible avec des pièces d’autres fabricants. Nous avons donné l’exemple de Honey Bee Manufacturing. C’est un fabricant d’écimeuses dans le Sud de la Saskatchewan. L’entreprise emploie plus de 100 Canadiens. Ils ne peuvent plus monter leurs nouvelles écimeuses sur ces moissonneuses‑batteuses John Deere. C’est un véritable défi pour eux.

Nous mettons les deux projets de loi dans le même panier, mais ils sont distincts et s’attaquent à deux défis différents pour les agriculteurs.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Est-ce que cela signifie que nous pourrions recevoir d’autres projets de loi pour d’autres secteurs à l’avenir, puisqu’il n’y a pas de politique gouvernementale plus complète?

[Traduction]

M. Larkin : La bonne nouvelle, c’est que le gouvernement du Canada a enfin entamé une consultation sur le droit à la réparation. Il avait promis une initiative il y a deux ans. Il l’a finalement lancée cet été. KPMG a communiqué avec un certain nombre d’entre nous pour entamer une consultation. Cela ne fait donc que commencer. Une conversation plus large est certainement en cours.

Toutefois, comme l’ont dit mes collègues, nous pensons que les projets de loi C-244 et C-294 constituent le début de la conversation. Ils visent des points particuliers et ouvrent la voie aux provinces pour qu’elles puissent réellement proposer des textes de loi plus ciblés.

Aux États-Unis, la législation de l’État de New York, par exemple, exempte un certain nombre de biens, mais vise surtout les téléphones portables. Mais dans d’autres États, comme le Wisconsin, par exemple, où les agriculteurs sont beaucoup plus nombreux que dans un État comme New York, la législation vise davantage les moissonneuses-batteuses et les tracteurs. Les Américains répondent en grande partie aux besoins de leurs électeurs.

C’est probablement ce que nous verrions au Canada : une province comme la Saskatchewan ciblerait probablement davantage les moissonneuses-batteuses et les tracteurs, et peut‑être qu’une province comme l’Ontario inclurait un certain nombre d’autres biens.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Massicotte : J’entends tous les commentaires et j’essaie de les synthétiser. Dans certains cas, nous n’en avons pas fait assez. Certains craignent que nous en fassions trop et appellent à une plus grande souplesse. Ma réaction ressemble un peu à celle de ma collègue : la meilleure chose à faire serait peut‑être de préciser dans le projet de loi — de faire une observation — qu’il devrait y avoir un examen tous les cinq ans. Les choses changent. Peut-être que pour certains, ce n’est pas suffisant. Pour certains d’entre vous, c’est trop. Au moins, si nous oublions un élément ou si quelque chose change, un examen quinquennal obligerait le gouvernement à revoir la loi. Est-ce une bonne idée?

M. O’Keefe : C’est probablement une approche judicieuse, si l’on pense à l’accélération de la technologie dans ces véhicules. Un magazine de l’industrie a publié un rapport sur l’adoption des systèmes de conduite avancés qui sont protégés. Nous devons être en mesure de les rajuster lorsque nous réparons les véhicules. Mais 50 % des voitures vendues aujourd’hui sont équipées de 94 % des 14 systèmes avancés les plus populaires qui nécessitent un accès aux données afin de pouvoir être recalibrés en toute sécurité. C’est nécessaire même si nous changeons un pare-brise, ajustons une ceinture de sécurité ou effectuons un réglage de la géométrie d’un véhicule — si un conducteur a heurté un trottoir avec une voiture, il faut faire un réglage de la géométrie. Lorsqu’on répare une voiture munie de ces systèmes de sécurité — les systèmes évolués d’aide au conducteur, ou SÉAC —, il faut alors recalibrer les systèmes qui détectent la déviation de trajectoire et qui contiennent tous les radars.

Sans ces données, on peut faire très peu d’étapes d’entretien sur ces véhicules pour les recalibrer en toute sécurité. Il n’est pas réaliste de toujours envoyer les véhicules aux fabricants de pièces d’origine. Compte tenu de l’évolution du taux d’adoption, je pense que la courbe est très raide. Je ne sais pas à quoi ressembleront ces systèmes dans deux ans. Ils pourraient être très différents.

Il y aura peut-être un point de contrôle pour la revalidation de la perspective relative à l’accès. Nous aurons peut-être besoin d’un accès accru dans trois ans.

Le sénateur Massicotte : Est-ce que d’autres témoins sont d’accord? Est-ce que c’est une bonne idée?

M. Harpe : En ce qui a trait à l’équipement, les contrôles sont toujours une bonne chose. Je n’y vois pas de problème. Je suis d’accord. L’équipement agricole représente le domaine où les changements sont les plus rapides. La situation évolue extrêmement rapidement. Il est toujours bon de l’évaluer et de voir où nous en sommes.

Le sénateur Massicotte : Merci.

Le sénateur C. Deacon : Cela n’arrive jamais ici. J’aimerais que vous nous parliez des occasions d’affaires et des possibilités pour les consommateurs, afin que nous comprenions dans quelle mesure cela faciliterait la vie de beaucoup de monde. J’habite dans une région rurale de la Nouvelle-Écosse, alors je comprends bien les avantages, mais pourriez-vous les expliquer au comité?

Chris Kinghorn, vice-président, Stratégie et croissance, NAPA Canada et Traction/TruckPro Canada (UAP Inc.), Association des industries de l’automobile du Canada : Avec plaisir. Merci, sénateur. À NAPA Canada et à TruckPro Canada, nous avons de nombreuses installations de service en milieu rural. Au Canada, le plus grand marché est métropolitain et le deuxième plus grand marché est rural. Nous avons beaucoup d’installations de réparation qui appartiennent à des propriétaires indépendants. J’ai ventilé cette partie du marché. En gros, 53 % des installations de service après-vente, qui représentent près de 10 000 emplacements dans tout le pays, se trouvent dans des marchés ruraux et tertiaires. Ces professionnels peuvent effectuer des réparations avancées et offrir un service de diagnostic sur les véhicules d’aujourd’hui.

Pour mettre les choses davantage en perspective, sur les 26 millions de véhicules dans le parc automobile, 3,8 millions sont sous garantie. Les autres ne le sont pas, ce qui représente la grande majorité des gens qui cherchent des solutions de rechange pour l’entretien de leur voiture, sans parler de la proximité. Sur les 10 000 installations, 3 600 sont des concessionnaires des fabricants d’équipement d’origine. Nous aimons les concessionnaires; nous faisons beaucoup d’affaires avec eux. Ils sont d’excellents partenaires et nous aident dans bien des cas. Cependant, on restreint la capacité dans les régions éloignées ou dans celles qui comptent des travailleurs qualifiés qui ont suivi un programme de quatre ans pour obtenir l’attestation Sceau rouge... qui sont qualifiés pour réparer un véhicule.

De plus, à l’heure actuelle, on surinvestit dans les outils parce que les propriétaires des garages doivent accéder à divers types de systèmes. Ils peuvent avoir quatre ou cinq outils d’analyse parce qu’ils doivent trouver des solutions de rechange. Il faut penser à cela.

On peut aussi penser au temps pour le consommateur. Si les technologies sont avancées et que nous avons une capacité limitée, nous ne pouvons pas réparer les véhicules rapidement, ce qui augmente les coûts de réparation, les coûts de formation et surtout le temps pour les consommateurs.

Le sénateur C. Deacon : Lorsque j’étais plus jeune, si un problème survenait avec la moissonneuse-batteuse au mois de novembre, par exemple, je la réparais.

M. Larkin : Exactement. Les agriculteurs ont des siècles d’expérience dans la réparation de leurs équipements, mais ils ont dû faire face à des défis récemment, surtout pendant les périodes critiques de l’année. Il y a deux périodes très importantes : l’ensemencement, qui a généralement lieu au printemps, et la récolte, qui a lieu en ce moment.

Si votre moissonneuse-batteuse, votre semoir, votre pulvérisateur ou tout autre type d’équipement que vous utilisez tombe en panne, vous ne pouvez pas attendre une ou deux semaines pour que votre concessionnaire vous réponde. Vous devez récolter vos céréales et vos cultures au moment où elles sont prêtes, au moment où le niveau d’humidité atteint le bon niveau.

La production et la productivité alimentaires représentent des occasions d’affaires. Si les moissonneuses-batteuses restent en veilleuse pendant deux ou trois semaines en attendant une réparation, nous risquons une détérioration des aliments, des rendements, etc.

La deuxième occasion d’affaires concerne les mécaniciens indépendants. Ce que nous constatons, surtout dans les régions rurales du Canada et dans les Prairies, c’est qu’il y a de moins en moins de concessionnaires au fil des ans. Il y a 20, 30 ou 40 ans, les agriculteurs avaient accès à beaucoup plus de concessionnaires dans les Prairies. De nos jours, certains agriculteurs ou mécaniciens doivent parcourir des centaines de kilomètres pour avoir accès aux services ou à l’équipement. Les projets de loi C-244 et C-294 pourraient permettre aux mécaniciens indépendants d’accéder aux logiciels de diagnostic, et donc d’effectuer les réparations. Ils pourraient offrir leurs services dans les collectivités locales plutôt qu’à des centaines de kilomètres de distance.

Nous savons que les concessionnaires et le secteur font face à de grandes pénuries de main-d’œuvre. La situation n’est pas très reluisante, alors nous avons besoin de politiques qui permettront la réparation des équipements, et c’est une façon facile de le faire.

Le sénateur C. Deacon : Merci.

Le sénateur Varone : Nous vous remercions d’être avec nous.

Ma question se fonde sur les commentaires des témoins du groupe précédent, qui ont parlé du droit de réparer les véhicules tout comme vous, mais qui souhaitaient tout de même qu’il y ait certaines exemptions, que ce soit pour la sécurité des véhicules ou de l’équipement, le contrôle des émissions et la protection du droit d’auteur. J’aimerais connaître votre position sur ces exemptions relatives au droit de réparer.

M. O’Keefe : Je vous remercie pour la question. C’était intéressant d’entendre cela, parce que j’ai eu l’impression, en écoutant les témoins qui nous ont précédés, que leurs propos étaient de nature très protectrice, et qu’ils souhaitaient restreindre l’accès en raison de choses qui pourraient se produire à l’avenir.

Je peux vous parler de l’envers de la médaille : que se passe-t-il si vous n’y avez pas accès? J’ai parlé des voitures dans les régions éloignées. Si un système de sécurité a été compromis et que nous avons une infrastructure au Canada... Nous avons des techniciens agréés qui passent par le Programme du Sceau rouge et qui exercent leurs activités dans des entreprises légales et autorisées. Ce sont de petites entreprises familiales qui investissent massivement dans le perfectionnement des compétences, la formation et l’équipement de ces installations. Ils sont parfaitement et légitimement capables, en vertu de tous les mandats dans le pays où nous vivons, de réparer ces véhicules. Nous nous protégeons donc contre je ne sais trop quoi. Je ne pense pas que ces gens vont enfreindre la loi.

Je ne crois pas non plus que quiconque ait l’intention de dérégler le système de freinage d’un véhicule, par exemple. Je ne sais pas, sur le plan législatif, contre quoi on essaie de se protéger et contre quoi les lois générales au Canada ne nous protègent pas déjà.

M. Harpe : Dans l’industrie agricole, il est question du droit de réparer, et non du droit de modifier, je crois. Il faut se rappeler que nous avons pour la plupart des fermes familiales et nous voulons rentrer chez nous le soir, avec les nôtres. Nous voulons donc pouvoir réparer nos équipements quand nous le voulons ou quand nous le pouvons, parce que ce qu’a dit M. Larkin est tout à fait juste : il faut parfois attendre des jours pour voir un mécanicien. Je sais que je perdrais moins de cheveux si je pouvais réparer l’équipement quand je le veux. La situation est assez stressante.

En ce qui a trait à la modification de l’équipement agricole, la sécurité est toujours la priorité. Tout le monde le reconnaît. Je ne crois pas que cela va changer.

Le sénateur Varone : Vous ne croyez pas que des exemptions soient nécessaires dans ce cas particulier?

M. Harpe : Non.

Le vice-président : Je suis heureux de vous entendre dire que la sécurité prévaut.

Le sénateur Yussuff : J’aimerais céder mon temps de parole au sénateur Fridhandler.

Le vice-président : Avant d’entendre le sénateur Fridhandler, nous allons entendre la sénatrice Ringuette.

La sénatrice Ringuette : Si j’achète une voiture, un réfrigérateur ou une moissonneuse-batteuse, j’en suis la propriétaire. Pourquoi ne puis-je pas aussi être la propriétaire des données? Si je choisis de faire appel à un mécanicien agréé, je peux lui donner le mot de passe pour accéder à mes données. Si je décide de ne pas le faire, c’est mon choix. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. O’Keefe : Je peux le faire. Dans le cadre de mes fonctions, je passe beaucoup de temps sur le terrain. Nous avons un réseau de plus de 600 installations de réparation au Canada. Au cours des trois dernières semaines, j’ai visité un grand nombre de ces installations d’un bout à l’autre du pays dans le cadre de réunions régionales. Les exploitants me disent que leurs clients, comme vous, qui sont propriétaires d’une voiture ou d’un autre véhicule, ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas accès à ces systèmes afin de pouvoir faire réparer leur véhicule à l’endroit de leur choix. La voiture qu’ils possédaient il y a deux ans n’avait peut-être pas un tel système... Ils conduisaient peut-être encore leur Ford F-150 de 1989, qu’ils faisaient réparer par Tony, chez Fix Auto Sudbury depuis 25 ans, mais aujourd’hui, ils se font dire qu’il n’est plus possible de faire réparer leur véhicule là-bas, parce qu’on n’a plus accès aux systèmes. Ces clients n’étaient pas au courant. Personne ne leur a dit que l’achat ne visait pas les données ou l’accès aux systèmes de sécurité qui sont nécessaires pour conduire en toute sécurité.

La sénatrice Ringuette : En tant que consommateurs, nous pensons être les propriétaires de ce que nous achetons, mais dans les faits, ce n’est pas vraiment le cas.

M. O’Keefe : Pas du tout. Je ne suis pas un expert du domaine commercial, mais on me dit toujours que les données valent de l’or. Il semble que quelqu’un tente de garder la main sur votre trésor dans le cadre de cette relation.

La sénatrice Ringuette : Merci.

Le sénateur Fridhandler : Je comprends la nécessité du droit de réparer, mais la Loi sur le droit d’auteur vise à protéger les gens qui créent la propriété intellectuelle. Dire que n’importe qui a le droit de prendre les systèmes d’un concessionnaire pour réparer sa voiture sans l’indemniser pour la propriété intellectuelle qu’il a créée... Cela relève du contrôle du fabricant d’équipement d’origine. Par exemple, on ne peut pas acheter un tableau pour ensuite le reproduire dans un livre et en vendre des exemplaires. Vous n’achetez pas le droit d’auteur. Vous n’achetez pas la propriété intellectuelle lorsque vous achetez une voiture. Vous ne pouvez pas en faire des copies. En même temps, je pense qu’il y a là une question juridique, mais c’est le rôle du gouvernement d’essayer de trouver le juste équilibre.

Je me demande pourquoi il y a une telle collusion sur le marché et pourquoi il n’y a pas eu de concessionnaires ou de fabricants qui se sont manifestés afin de faciliter les choses pour tout le monde. Si vous vivez dans le nord de l’Alberta et que je peux vous vendre un tracteur que vous pouvez réparer vous‑même, et que je vous donne toutes les technologies dont vous avez besoin pour le faire, vous allez vouloir me l’acheter à moi plutôt qu’à un autre fabricant qui vous impose toutes ces restrictions. Est-ce que la collusion entre les fabricants est telle qu’il n’y a pas personne qui sort du lot pour faciliter la réparation des voitures ou des moissonneuses-batteuses? C’est l’aspect du libre marché. Pouvez-vous nous parler de cette dynamique? Je pense que cette collusion entre les fabricants pour dresser ces obstacles est anticoncurrentielle.

M. Harpe : Je vous parle évidemment du domaine agricole, mais la réponse courte à votre question, c’est oui. Dans la plupart des cas, pour ce que j’appellerais une exploitation de taille commerciale ou normale, on ne peut pas acheter de l’équipement que l’on peut ensuite réparer soi-même.

Je vais vous donner un exemple. J’ai des moissonneuses-batteuses qui ont trois ans, et j’ai eu un problème avec l’une d’entre elles cet automne. J’ai téléphoné à mon concessionnaire... parce que le problème revenait, et que la machine ne fonctionnait tout simplement pas. J’ai téléphoné à mon concessionnaire parce que je pensais savoir quel était le problème, mais je ne pouvais pas en être certain. Bref, la première chose que fait un mécanicien de nos jours, c’est brancher un ordinateur. Mais le fait est que, pour y avoir accès, on en revient à cela. Mon gestionnaire de service aimerait beaucoup que je puisse lui dire quel est le problème et, où nous en sommes. Mais, en même temps, peu importe qu’il s’agisse de la marque John Deere, CLAAS ou de tout autre marque, c’est leur équipement et ce sont leurs données, comme nous venons de l’entendre. Ce qu’ils veulent, ce sont des données.

Je peux vous donner un autre exemple, qui s’est passé il y a deux ans. John Deere avait un nouveau modèle de pulvérisateur, qui était en démonstration seulement. Quelqu’un avait essayé de le démarrer avant d’en avoir la permission. Cette personne a reçu un appel d’un représentant de John Deere, qui lui demandait ce qu’elle faisait avec le pulvérisateur. Tout est surveillé de très près.

La sénatrice Ringuette : C’est Big Brother.

M. Harpe : Oui, les sociétés savent exactement ce qu’on fait avec leur équipement.

Le sénateur Fridhandler : Et il n’y a pas de concurrent qui pourrait faire preuve de plus de souplesse que ceux qui vous mettent des bâtons dans les roues.

M. O’Keefe : C’est intéressant, et c’est une question très pertinente. Je ne suis pas avocat, et il y a certains éléments que je ne veux pas aborder.

Nous avons parlé de l’entente relative à la Norme canadienne visant les renseignements sur l’entretien des véhicules automobiles, ou NCREVA, conclue il y a quelques années et à laquelle la plupart des fabricants ont adhéré. Ils avaient convenu que le marché secondaire de la réparation devait avoir accès aux modules qui se trouvaient dans les voitures. En ce qui concerne le port OBD-II, qui permet de brancher un outil d’analyse pour voir certains modules dans la voiture... Il s’agissait d’une question de sécurité. Tout le monde s’entendait pour dire que tous les commerçants qui offraient un service après-vente, qu’il s’agisse d’un concessionnaire ou d’un fournisseur de services indépendant, devait avoir accès à ces modules pour assurer la sécurité de la voiture.

Le hic, avec les nouveaux véhicules, c’est que la NCREVA n’a pas suivi le rythme, même si elle était volontaire et qu’elle comportait déjà des lacunes. Ce n’est plus ainsi que nous accédons aux modules ni aux données extrêmement sophistiquées qui sont également nécessaires pour assurer la sécurité des voitures, parce que les nouveaux véhicules n’ont plus ce type de ports. Les renseignements sont tous contenus... Ils sont transmis par voie électronique sur Internet ou lorsque vous vous rendez chez le concessionnaire, mais seul le concessionnaire du fabricant d’équipement d’origine y a accès, à moins qu’il n’autorise l’accès à d’autres. C’est ce qui fait la différence dans cette situation.

S’ils étaient d’accord à l’époque, lorsque les systèmes étaient simples, pour dire qu’il fallait être en mesure d’accéder aux modules pour des raisons de sécurité, pourquoi ne seraient-ils pas aussi d’accord — maintenant que les systèmes sont plus sophistiqués — pour dire que nous avons simplement besoin d’accéder à la même idée, même si elle est plus complexe et plus fournie en données qu’avant? Je pense, comme vous l’avez laissé entendre, que la différence réside dans les données et la propriété.

Le vice-président : Merci, messieurs.

Nous allons passer au projet de loi C-294, pour peu que nous ayons des questions à cet égard. Étant donné qu’il n’y a personne sur la liste, je vais donner le coup d’envoi, ou du moins je vais tenter de le faire. Vous avez mentionné qu’il existe un droit de réparation et non un droit de remplacement ou de modification. J’ai une question d’ordre général : quelles sont les mesures en place pour prévenir l’utilisation abusive potentielle des exceptions au droit d’auteur, en particulier dans les cas où l’interopérabilité pourrait porter atteinte à la propriété intellectuelle? Cette question s’adresse à tous les membres de notre groupe d’experts qui voudraient y répondre. Monsieur O’Keefe, je vous vois hocher la tête. Je dois en choisir un.

M. O’Keefe : Je ne suis pas un expert du projet de loi C-294, mais je comprends les implications de cette question des pièces de rechange. Dans le monde dans lequel nous vivons, pour la fonctionnalité des véhicules, il est absolument essentiel d’avoir recours au marché secondaire pour trouver les pièces de rechange qui permettront de maintenir la viabilité des véhicules au-delà de leur période de garantie. Nous ne pouvons pas systématiquement acheter de nouvelles pièces auprès des distributeurs d’équipements d’origine, car cela ne contribue tout simplement pas à assurer la longévité des véhicules.

Par exemple, s’il s’agit d’une voiture qui a cinq ans, même une police d’assurance ne paiera pas pour une nouvelle pièce de rechange d’un fabricant d’équipement d’origine lorsqu’il existe une pièce certifiée sur le marché secondaire. Je dis « certifiée » parce qu’il existe toutes sortes d’organisations. Nous vivons dans une société réglementée où les fabricants, qu’il s’agisse de pièces d’origine ou de pièces de rechange, sont tenus de produire des pièces de rechange sécuritaires et fiables. Si nous avons dit, en tant que Canadiens, qu’il est possible de remplacer cette pièce par une pièce provenant du marché secondaire, je ne vois pas pourquoi cela ne serait pas un argument légitime.

Le vice-président : Y a-t-il d’autres membres de notre groupe d’experts qui souhaitent dire quelque chose à ce sujet?

M. Harpe : Je vais peut-être compléter rapidement. Il s’agit de [difficultés techniques]. Nous avons parlé d’accessoires pour les moissonneuses-batteuses ou d’autres choses de ce genre, mais je prends un exemple de quelque chose qui devrait être assez simple, c’est-à-dire un système GPS pour un tracteur. Lorsque vous achetez un tracteur, vous devez choisir votre système GPS. Il n’en existe que trois ou quatre. Il n’y en a pas beaucoup. Vous leur dites : « Je voudrais un John Deere. » Vous devez aussi acheter — nous en avons parlé — le déverrouillage numérique pour ce système, ce qui coûte assez cher. Dans quelques années — le GPS est une technologie qui évolue également —, vous pourriez décider que vous voulez vous équiper de la nouvelle technologie, que vous souhaitez changer de système GPS. Or, c’est quelque chose que je ne peux plus faire, parce que vous avez acheté le déverrouillage pour l’autre système. Si je veux le changer, ils peuvent le permettre, mais vous devrez peut‑être acheter un autre déverrouillage. Cela dit, la plupart d’entre eux ne le permettront tout simplement pas.

M. Kinghorn : Je vais parler au nom de l’industrie des poids lourds. Il s’agit d’une grande partie de l’économie canadienne, bien sûr, avec les camions de transport, etc. Beaucoup de ces équipements peuvent être commandés sur mesure. Pour certaines combinaisons de moteurs et de transmissions, celles-ci sont configurées lorsque le véhicule est commandé et peuvent relever du système de la marque du fabricant d’équipement d’origine. Toutefois, lorsqu’il s’agit de configurer un certain type de transmission ou de différentiel qui peut comporter des composants électroniques — l’interopérabilité entre ces composants —, sans un accès ouvert à ces informations, il devient très difficile pour le marché secondaire d’être en mesure d’entretenir ces véhicules.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je vais poser une question plus large pour revenir sur le groupe précédent. On a des projets de loi qui semblent vous satisfaire. Dans un monde idéal, auriez‑vous préféré des projets de loi plus substantiels issus du gouvernement?

[Traduction]

M. Larkin : Je peux sans doute répondre à cette question. Je pense que la réponse est « oui ». En fin de compte, nous aurions aimé voir un projet de loi émanant du gouvernement qui aurait couvert toute la question du droit à la réparation, mais, à ce stade, nous devons évidemment nous contenter de ce que nous avons. Nous sommes satisfaits des projets de loi C-244 et C-294, même s’il s’agit certainement d’un premier pas. C’est le début d’une conversation sur le droit à la réparation. Ces projets de loi sont dans les premiers à être adoptés concernant le droit à la réparation. Nous les appuyons donc sans réserve, mais nous voulons que la conversation se poursuive. Nous sommes avec le gouvernement, et nous serons assurément avec vous aussi.

Le sénateur Yussuff : Cette question semble toujours compliquée, mais elle ne l’est pas. Si j’ai bien compris, il n’y a pas un seul fabricant au monde qui construit toutes les pièces de l’équipement. Ils font toujours appel à des sous-traitants pour construire les pièces, puis ils les assemblent. Nous avons toujours cette idée que lorsque vous achetez une voiture, quelle que soit la marque, c’est le fabricant qui l’a construite. En réalité, il y a en Ontario 1 000 différents fabricants de pièces automobiles qui fournissent l’industrie.

La question de l’interopérabilité devient très frustrante parce que les fabricants permettent à toutes ces pièces de fonctionner ensemble lorsqu’ils montent la voiture, mais après l’avoir vendue, ils font en sorte qu’il soit très difficile pour vous d’acheter une pièce à quelqu’un d’autre pour l’installer sur cette voiture, alors qu’ils ne la fabriquent pas. Autrefois, ils le faisaient. Aujourd’hui, ils ne le font plus.

En tant que société et dans le système juridique, nous n’avons pas tenu compte de cette réalité. En Ontario, Magna produit de nombreuses pièces détachées pour l’industrie automobile, pour différentes marques. Or, la réalité, c’est que lorsque votre voiture a besoin de quelque chose, qu’il s’agisse de pièces NAPA ou d’un autre fabricant de pièces automobiles, ils rendent très difficile l’utilisation de ces pièces sur le même véhicule, qu’ils ne fabriquent pas en premier lieu parce qu’ils détiennent la disposition relative aux licences.

Je pense que les Canadiens doivent comprendre que, d’une manière complexe, il en va de même pour, disons, un réfrigérateur, question de laisser de côté les voitures parce qu’ils n’ont pas d’autres fabricants. C’est la même chose. Le vendeur vient chez moi et me dit : « Le circuit imprimé ne fonctionne plus. Je peux vous installer le circuit imprimé KitchenAid ou le circuit imprimé suivant. Ils font exactement la même chose, alors que voulez-vous, monsieur? » Je réponds : « Je veux que vous répariez cette fichue chose, alors dites-moi ce que ça prend. » Ce que je veux dire, c’est qu’en tant que consommateurs, nous sommes comme des idiots. Ils nous traitent comme des idiots parce que nous ne comprenons pas comment l’appareil fonctionne.

Je pense que les Canadiens doivent vraiment comprendre la complémentarité de ces projets de loi, car l’interopérabilité est un élément fondamental pour faire en sorte que tel ou tel appareil ne soit pas un objet que l’on jette dans le garage et qu’il est aussi possible de le réparer.

Pour en revenir à l’équipement lourd ou, en l’occurrence, à l’équipement agricole, il est évident que vous devriez pouvoir acheter une pièce qui s’ajouterait à votre tracteur — si vous vouliez faire autre chose avec votre tracteur —, mais nos lois n’ont pas évolué en ce sens. Je pense qu’il est vraiment important que les consommateurs et la société comprennent cet état de fait si nous voulons faire en sorte qu’il y ait des options pour les consommateurs et que le prix des choses diminue un tant soit peu. Les fabricants d’équipement d’origine sont très chers. Je pense qu’il est essentiel que ces projets de loi se complètent. Je suis d’accord pour dire que nous pourrions avoir un texte de loi plus complet, mais étant donné qu’il s’agit de deux projets de loi d’initiative parlementaire, c’est selon moi la meilleure option que nous avons. Je crois que nous devons aller de l’avant. Oui, il serait bon que le gouvernement y ajoute un complément à un moment donné, mais pour l’instant, je pense que ces deux choses sont nécessaires pour faire avancer toute la question du « droit à la réparation » dans ce pays.

Le vice-président : Si quelqu’un n’est pas d’accord, n’hésitez pas à vous exprimer.

M. Kinghorn : Je ne suis pas en désaccord. Merci, sénateur, de votre question et de vos observations.

La réalité, c’est que le marché actuel est une sorte d’oligopole. Nous avons un petit nombre d’acteurs qui contrôlent un secteur où les actifs sont importants. Pour ce qui est de NAPA — et mon homologue , ici, de LKQ Corporation —, la société a 600 000 références dans son système, ce qui nécessite un investissement considérable. Pour être en mesure de soutenir le marché secondaire de l’automobile à nos points de vente — réparation et entretien —, nous n’achetons pas des pièces auprès de petites entreprises, mais auprès de fabricants de premier niveau. Dans de nombreux cas, il s’agit du même manufacturier que celui qui fournit le fabricant d’équipement d’origine qui est en mesure de répondre aux demandes du marché secondaire de l’automobile : moi-même ou mes homologues.

Ce que vous soulevez est certainement valable. La plupart des consommateurs ne le réalisent pas ou ne le reconnaissent pas, mais c’est le cas.

Le sénateur Varone : Selon vous, le droit à la réparation implique-t-il que l’équipement doit être réparable?

M. Harpe : Selon moi, oui, cela devrait être le cas. Malheureusement, comme nous en avons discuté, cela renvoie au fait que, dans l’agriculture, nous n’avons pas cette latitude. Nous ne pouvons pas remplacer quelque chose. Si l’on croit qu’il faut beaucoup de temps pour trouver un mécanicien, sachez que pour trouver une pièce d’équipement, c’est encore plus long. Oui, il faut réparer.

M. Kinghorn : En réalité, comme le prix des véhicules a beaucoup augmenté, plus les Canadiens sont en mesure d’entretenir et d’utiliser leur véhicule sur une longue période, mieux c’est. Il est essentiel de leur donner des options et la possibilité de réparer leur véhicule pour le marché secondaire, ou de leur fournir des mécaniciens qui peuvent le faire.

Le vice-président : Merci. Si vous avez d’autres observations à formuler, n’hésitez pas à nous les faire parvenir par écrit. Nous en serons ravis.

Merci beaucoup à Lucas Malinowski, Craig Drury, Christina De Toni, Marla Poor, Kyle Larkin, Andre Harpe, Jean-François Champagne, Chris Kinghorn, Daryll O’Keefe et Tyler Threadgill. Je vous remercie d’avoir été des nôtres aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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