LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 31 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (fiducie réputée — fruits et légumes périssables).
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues, la séance du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie est ouverte. Je m’appelle Pamela Wallin, et je suis la présidente du comité. Permettez-moi de vous présenter les membres du comité qui participent aujourd’hui : le sénateur Loffreda, qui est notre vice-président, le sénateur Deacon, le sénateur Fridhandler, la sénatrice Marshall, la sénatrice Martin, le sénateur Massicotte, le sénateur McNair, la sénatrice Ringuette, le sénateur Varone et le sénateur Yussuff.
Nous poursuivons aujourd’hui notre examen du projet de loi C-280. Nous avons un programme très chargé et très serré aujourd’hui : nous recevons deux groupes de témoins, puis, comme nous en avons discuté, nous passerons à l’étude article par article. Nous devons donc bien gérer notre temps. Pour ce faire, je vous prie tous de poser vos questions sans faire de préambules. Nous examinons tous ce projet de loi depuis un certain temps, et j’aimerais que le plus grand nombre possible de personnes participent aujourd’hui.
Pour la première partie de notre réunion, nous avons le plaisir d’accueillir, en personne, deux représentants de l’association Ontario Greenhouse Vegetable Growers : Richard Lee, directeur général, et Rob Peeters, vice-président, Opérations et stratégie, Nature Fresh Farms. Avez-vous une déclaration préliminaire à faire, messieurs?
Richard Lee, directeur général, Ontario Greenhouse Vegetable Growers : Honorables sénateurs, je suis ici au nom de nos membres pour appuyer le projet de loi C-280. Je suis accompagné aujourd’hui de M. Rob Peeters, vice-président, Opérations et stratégie, Nature Fresh Farms, qui a été touché par la faillite d’un vendeur de fruits et légumes.
Les agriculteurs que nous représentons contribuent pour plus de 1,4 milliard de dollars en valeur à la ferme et 1,5 milliard de dollars en exportations à valeur ajoutée. Le gagne-pain et la sécurité financière de nos membres sont importants pour assurer l’avenir de la sécurité alimentaire en Amérique du Nord.
Les producteurs de fruits et légumes frais sont l’un des rares producteurs du pays à n’avoir aucune assurance qu’ils seront payés pour les produits qui sortent de leur ferme. Contrairement à d’autres denrées, la nature périssable de notre produit réduit nos chances de récupérer les biens en cas d’insolvabilité ou de faillite d’un vendeur.
Le Canada était le seul pays dont les producteurs avaient accès à la Perishable Agricultural Commodities Act — la loi sur les denrées agricoles périssables —, ou PACA, du département de l’Agriculture des États-Unis, et ce, jusqu’en 2014, année à laquelle notre accès a été annulé en raison de l’absence d’un programme de garantie de paiement semblable ici au Canada. Comme plus de 85 % de nos produits sont expédiés au sud de la frontière, notre dépendance à l’égard du commerce ne peut être sous-estimée. L’adoption du projet de loi C-280, tel que présenté, rétablirait la réciprocité pour les Canadiens, garantirait leurs paiements, assurerait leur compétitivité et éviterait tout effet négatif sur la chaîne d’approvisionnement.
Le libellé actuel du projet de loi veillerait à ce que la réciprocité avec les États-Unis soit rétablie. Tout amendement visant à limiter la portée uniquement aux agriculteurs n’offrira pas la même protection que celle accordée par la PACA. Le projet de loi se veut une mesure de protection supplémentaire, en prévision du prochain événement catastrophique, afin de soutenir les agriculteurs qui produisent des aliments pour l’Amérique du Nord. Ces risques seront évités si le projet de loi C-280 est adopté dans sa forme originale.
En 2023, Lakeside Produce, un agent de vente, a déclaré faillite pour plus de 187 millions de dollars, ce qui a entraîné des pertes d’environ 1,5 million de dollars pour les vendeurs partout au Canada.
Au nom de nos agriculteurs et en mon nom personnel, je tiens à vous remercier de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur le projet de loi C-280.
La présidente : Merci beaucoup à vous deux d’être des nôtres aujourd’hui et de nous aider à examiner une dernière fois cette mesure législative. Nous allons entamer la période des questions, en commençant par notre vice-président, le sénateur Loffreda.
Le sénateur Loffreda : Je remercie nos témoins de leur présence.
Nous valorisons nos producteurs de fruits et légumes et nous avons de la compassion pour eux. Il y a toutefois une préoccupation, également partagée et exprimée par des témoins experts : la création de cette fiducie réputée et le fait de permettre aux agriculteurs, en cas d’insolvabilité, de se faire rembourser avant les banques et avant tous les autres créanciers pourraient accroître les risques et augmenter le coût des prêts, ce qui pourrait en fin de compte entraîner une hausse du prix des fruits et légumes. Cela vous inquiète-t-il? Avez-vous entendu d’autres personnes exprimer cette crainte?
M. Lee : Je vous remercie, sénateur, de la question.
Je pense que la crise de l’abordabilité est un problème auquel nous faisons face en tant que Canadiens. Lorsqu’il s’agit d’assurer la sécurité alimentaire et de veiller à ce que les agriculteurs soient payés pour le produit qu’ils ont cultivé à la ferme, il est important de garantir — c’est un principe commercial — qu’on sera payé pour ce qu’on cultive ou produit. Voilà pourquoi il s’agit d’une mesure de protection supplémentaire.
Je crois que le comité a également entendu l’argument selon lequel il y a très peu de risques qu’un vendeur de fruits et légumes fasse faillite ou devienne insolvable. Si c’est le cas, l’adoption du projet de loi offrira aux producteurs la protection dont ils ont tant besoin pour soutenir la compétitivité et améliorer nos relations commerciales avec les États-Unis. Je ne vois pas en quoi l’adoption du projet de loi fera augmenter les coûts des fruits et légumes frais ou les rendra moins abordables.
Le sénateur C. Deacon : Quarante pour cent de nos fruits et légumes sont exportés. Si nos exportations doivent être protégées, les agriculteurs auront à verser, si j’ai bien compris, une caution de 200 %. Le projet de loi nous aiderait-il à accroître nos exportations vers les États-Unis, ce qui augmenterait notre capacité de production alimentaire nationale?
M. Lee : Je vous remercie, sénateur.
Je peux parler au nom de nos membres. Au cours des cinq dernières années, nos exportations ont augmenté de plus de 5 %. Nous avons aussi augmenté la superficie cultivée en conséquence afin d’équilibrer l’offre et la demande.
Grâce à cette capacité et au rétablissement de la réciprocité avec la PACA, il y aurait certainement une croissance des investissements au Canada. Beaucoup de nos membres vont au sud de la frontière. Ils y trouvent des politiques plus favorables, et ils peuvent avoir accès à une fiducie semblable à celle prévue par la PACA. Par conséquent, du point de vue des investissements et des retombées économiques, ce serait assurément un outil qui inciterait les producteurs à réinvestir dans leurs exploitations actuelles pour soutenir ces activités d’exportation.
La sénatrice Marshall : Monsieur Lee, vous appuyez le projet de loi, mais il y a eu des discussions sur un amendement possible. En avez-vous pris connaissance? En gros, il s’agit de supprimer le terme « fournisseur » et de le remplacer par les mots « [...] un producteur agricole primaire de fruits ou légumes périssables [...] ou une personne qui achète [...] de tels fruits ou légumes [...] », ce qui réduit la portée. Pouvez-vous nous dire comment vous interprétez cet amendement? Et l’appuyez-vous?
M. Lee : Nous appuyons la version originale du projet de loi. Malheureusement, le problème, c’est qu’il n’y a pas de solution universelle. La chaîne de valeur est un système très compliqué. M. Peeters pourra peut-être ajouter quelque chose à ce sujet.
Dans le cas de l’Ontario Greenhouse Vegetable Growers, un producteur ne peut que cultiver ses légumes, un emballeur ne peut qu’emballer les produits et un négociant ne peut que les vendre. Souvent, cette chaîne de valeur s’étend au-delà de ces trois transactions. Elle pourrait englober un revendeur, un grossiste et, au bout du compte, le consommateur final. Par conséquent, modifier ce projet de loi pour éliminer toute cette chaîne de valeur mettrait en péril les agriculteurs ainsi que cette chaîne de valeur.
La sénatrice Marshall : Avons-nous le temps d’entendre l’avis de M. Peeters? Il en a fait l’expérience.
La présidente : Oui.
Rob Peeters, vice-président, Opérations et stratégie, Nature Fresh Farms, Ontario Greenhouse Vegetable Growers : Je vous remercie, sénatrice.
J’ajouterai quelques mots aux observations de M. Lee. Nature Fresh Farms est une exploitation serricole de 150 acres, située à Leamington, en Ontario. Nous sommes également un distributeur. Nous avons établi des partenariats avec des fournisseurs de services logistiques et des producteurs tiers qui ont été touchés par la faillite de Lakeside.
En fait, outre les répercussions directes sur Nature Fresh Farms en ce qui concerne nos flux de trésorerie ou nos finances, nous avons constaté que des producteurs tiers et des entreprises de logistique hésitaient à continuer de faire affaire avec des producteurs canadiens en raison du risque qu’ils doivent assumer pour compenser une faillite éventuelle. Si vous rétrécissez la portée, comme vous venez de l’expliquer, cela ne réglera pas le problème. Lorsque notre entreprise, nos fournisseurs et nos partenaires ont été touchés par la faillite de Lakeside, on nous a imposé des conditions de paiement à la livraison. De toute évidence, cela a une incidence importante sur nos liquidités. Il faut donc garder une portée large pour nous assurer de couvrir tous les aspects de la chaîne de valeur.
La présidente : Merci beaucoup, messieurs.
Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup d’être des nôtres aujourd’hui.
J’ai une simple question à poser. Quelqu’un m’a dit que vous pouviez souscrire une assurance pour éviter de subir des dommages en cas de faillite d’un fournisseur. Est-ce bien le cas? Cette option est-elle offerte, et à quel prix?
M. Peeters : À ma connaissance, nous avons épuisé tous les moyens de nous protéger et de protéger nos producteurs et nos partenaires. Je fais confiance aux experts financiers de mon entreprise pour prendre les meilleures décisions d’affaires, et malheureusement, nous n’avons pas été en mesure de trouver quoi que ce soit qui nous protégerait dans une telle situation.
Le sénateur Massicotte : Autrement dit, vous ne convenez pas que le gouvernement offre une assurance, même pour les exportations?
M. Lee : Sénateur, si vous me le permettez, même si nous pouvons nous prévaloir d’une assurance, cela coûte cher. C’est une assurance coûteuse pour...
Le sénateur Massicotte : Avez-vous des chiffres à nous donner?
M. Lee : Je ne les ai pas sous la main. Nous pourrions les transmettre au comité après la réunion.
Le sénateur Massicotte : Je vous en saurais gré.
M. Lee : Certainement. Mais la réalité, c’est que la réciprocité ajouterait cette mesure de sécurité à un coût minimal. Cela ne coûte pratiquement rien au gouvernement, et le projet de loi peut ainsi protéger ces producteurs. C’est une mesure de protection. C’est un filet de sécurité. La question n’est pas de savoir si la prochaine faillite aura lieu, mais bien quand elle surviendra.
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie.
La sénatrice Ringuette : L’ensemble du cadre qui nous a été présenté repose littéralement sur le fait que ces produits sont périssables, alors que la PACA aux États-Unis englobe aussi les fruits et légumes congelés. Pourtant, les produits congelés ne sont pas périssables, du moins selon ma conception des choses. Je ne sais pas si c’est différent pour vous. Ensuite, pour faire partie du programme de fiducie réputée, il faut détenir une licence en vertu de la PACA. Or, le projet de loi dont nous sommes saisis ne prévoit aucun processus d’octroi de licences, ni pour les producteurs canadiens ni pour les producteurs américains. Quelle serait la solution pour régler ce problème?
M. Lee : Je vous remercie, sénatrice.
Pour avoir accès à un mécanisme de règlement des différends, il faut obtenir une licence en vertu de la PACA ou auprès de la Corporation de règlement des différends. Le vendeur de fruits et légumes serait toujours tenu d’en être membre pour y avoir accès.
Nos 170 membres en Ontario sont donc membres de la DRC ou de la PACA.
La sénatrice Ringuette : Que désigne l’acronyme DRC?
M. Lee : C’est la Corporation de règlement des différends. Je suis désolé.
La sénatrice Ringuette : Qu’est-ce qu’on vous offre? Une sorte de licence? Il s’agit d’une tierce partie, mais la licence ne reconnaît pas votre rôle dans un processus, dans la chaîne de valeur.
M. Lee : Absolument. La Corporation de règlement des différends, dans le cas de nos membres, nous permet d’avoir un mécanisme de règlement des différends ici au Canada...
La sénatrice Ringuette : Ce n’est pas une licence.
M. Lee : ... semblable à ce qui est prévu par la PACA.
La sénatrice Martin : Je sais que vous avez exprimé votre appui au projet de loi dans sa forme actuelle, et vous avez parlé de l’importance de rétablir la réciprocité. Pourriez-vous nous expliquer en quoi la modification éventuelle de la définition de « fournisseur » pourrait nuire à l’obtention de la réciprocité?
M. Lee : Je crois que ce ne sera pas la même couverture que celle prévue actuellement aux termes de la PACA, et par conséquent, on n’offrirait pas la même réciprocité. Afin de protéger l’ensemble de la chaîne de valeur, je pense qu’il est important de laisser le projet de loi dans sa forme actuelle pour nous assurer d’obtenir cet accès au marché étatsunien et au commerce par l’entremise de la PACA.
La sénatrice Martin : C’est ce que je voulais savoir. Merci.
Le sénateur Varone : Hier, le Conference Board du Canada a envoyé à 12 sénateurs une liste des faillites dans l’ensemble du Canada, par industrie, et la moyenne nationale est de 1,1 %. Le taux pour le secteur agricole est de 0,37 %. Pourquoi vous sentez-vous plus en droit que quiconque au Canada d’avoir accès à une fiducie réputée?
M. Lee : Je vous remercie, sénateur.
Je ne crois pas que nous sommes en droit d’avoir accès à cette fiducie réputée. Ce que nous recherchons, c’est cette mesure de sécurité. Il s’agit d’un irritant commercial de longue date entre les États-Unis et le Canada. En fait, le projet de loi restaure et stabilise la chaîne de valeur pour faire en sorte qu’il y ait des relations commerciales de confiance entre les parties.
Nous parlons de l’abordabilité et de la hausse des coûts qui en découlera. C’est ce qui se passera s’il y a une autre faillite. C’est ce qui fera grimper les coûts. Il s’agit de protéger les victimes, c’est-à-dire les agriculteurs qui cultivent des aliments pour assurer la sécurité alimentaire.
Le sénateur Varone : Oui. Comprenez-vous qu’aux États‑Unis, il n’y a pas de fiducie réputée pour titriser vos créances? C’est dans la catégorie des créanciers garantis en tant que fiducie. Ici, vous voulez avoir accès à la catégorie de fiducie réputée qui est réservée à ce que je considère comme des éléments plus importants.
M. Lee : Je pose la question suivante au Sénat : si le risque minimal de 0,37 % est bien réel, pourquoi ce projet de loi ne serait-il pas adopté pour offrir cette protection afin de soutenir les aliments que vous consommez? Si le risque est minime et qu’il n’en coûte rien au gouvernement, pourquoi ce projet de loi ne réussirait-il pas?
La présidente : Je vous remercie de votre réponse.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de votre présence parmi nous.
Je reconnais que nous avons un problème, mais j’ai du mal à le comprendre. Prenons l’exemple de Lakeside Produce, que vous connaissez tous très bien. Je crois comprendre que cette faillite a touché environ 17 entreprises productrices, de même que 300 travailleurs. Dans le cadre du PPS, le Programme de protection des salariés, chacun de ces travailleurs pouvait faire une réclamation d’environ 2 000 $ et, en fin de compte, selon mes calculs, cela représente un total d’environ 600 000 $.
Le projet de loi change essentiellement la donne. Ces travailleurs ne se verront plus accorder la priorité absolue parce que le gouvernement fédéral passera en premier. Vous les retirez du système, de sorte que les contribuables doivent maintenant payer les 600 000 $ auxquels ces travailleurs auraient droit. Je trouve cela très problématique parce que le PPS a été créé pour faire en sorte que les travailleurs touchent un salaire, leur indemnité de congé, leur indemnité de départ, et qu’on s’occupe d’eux, en plus de leurs cotisations au Régime de penses du Canada et à l’assurance-emploi, ce qui n’était pas possible avant.
Je reconnais qu’il y a un problème que nous essayons de régler, mais nous créons aussi un autre problème, parce que pour les hommes et les femmes qui travaillent dans ces...
La présidente : Très bien, écoutons la réponse.
Le sénateur Yussuff : ... au bout du compte, ils ont aussi des défis et des responsabilités semblables à l’égard de leur famille, et cela les sort du système.
M. Lee : Je suis d’accord. Dans le cas de Lakeside Produce, le nombre de 600 travailleurs n’est pas vraiment équivalent. Il s’agit d’une entité de marketing.
Le sénateur Yussuff : C’était 300, et j’ai fait le calcul en fonction des 17 entreprises.
M. Lee : Je l’envisagerais du point de vue du producteur et de sa contribution à l’économie. Les 170 producteurs cumulent plus de 32 000 emplois, alors quelles seront les conséquences sur ces producteurs s’ils ne sont pas en mesure de payer leur facture ou de récupérer les produits qui ont été vendus, mais pour lesquels ils n’ont pas pu recevoir les fonds?
En moyenne, il y a 4 100 acres à travers l’Ontario avec une moyenne d’environ 6,5 travailleurs à travers toute la chaîne de valeur. Par conséquent, ces 300 travailleurs ne pèsent pas très lourd par rapport aux pertes qui pourraient se produire s’il y a une autre faillite ou quand il y en aura une autre.
Le sénateur Yussuff : Je pourrais avancer le même argument en me basant sur les données dont nous disposons. Il s’agit de 0,01 % des faillites sur le marché des fruits et légumes, c’est donc un très petit problème. Je reconnais qu’il y a un problème. Je pense simplement que ce que nous avons fait pour modifier la loi créera d’autres problèmes.
La présidente : Nous devons faire un tour de table. Avez-vous une courte observation à formuler à ce sujet?
M. Lee : Ce que je dirai encore une fois, c’est que si le risque est si minime, pourquoi hésite-t-on à adopter ce projet de loi pour soutenir l’agriculture?
La sénatrice Robinson : Après une discussion avec le sénateur Varone, j’ai posé une question à la Bibliothèque du Parlement au sujet de l’ordre de priorité en cas de faillite, et j’ai cru comprendre que les employés et toute personne visée par le projet de loi C-280 qui seraient touchés par une faillite seraient traités sur un pied d’égalité. Leurs besoins seraient établis au prorata et tous les fonds provenant de l’insolvabilité seraient répartis en conséquence et leur seraient versés selon le même ordre de priorité. J’aurais voulu savoir si vous êtes au courant de cela et connaître votre point de vue à ce sujet.
La présidente : Quelqu’un a-t-il une réponse? Nous avons entendu des choses contradictoires. Nous avons entendu le point de vue du sénateur Yussuff, alors que d’autres soutiennent que cela...
La sénatrice Robinson : C’est ce qu’ont dit les analystes de la Bibliothèque du Parlement. Leur position est qu’ils seront traités de la même manière et qu’ils ont le même statut que les autres créanciers.
La présidente : Avez-vous des questions?
La sénatrice Robinson : Non, je n’en ai pas.
M. Lee : Madame la présidente, je peux ajouter quelque chose à ce propos.
J’ai vécu une faillite partielle lors de ma nomination, et comme la sénatrice Robinson vient de le dire, les actifs sont distribués au prorata en conséquence.
La présidente : Voilà qui a le mérite d’être clair.
Le sénateur C. Deacon : Si vous le permettez, j’aimerais aborder la question du volume des échanges. C’est un aspect des choses qui a été pris en considération, attendu que le fait qu’il puisse y avoir plus d’importations vers les États-Unis que d’exportations canadiennes vers les États-Unis est une raison de ne pas aller de l’avant. Savez-vous si et dans quelle mesure le volume des échanges et le risque de crédit évoluent parallèlement ou s’ils sont différents de part et d’autre? En réalité, les exportateurs canadiens sont très désavantagés lorsqu’ils vendent sur ce marché, mais si les règles du jeu étaient uniformisées, cela créerait-il un autre désavantage?
M. Lee : Je pense que cela créerait un désavantage. Cela nous permettrait de répondre à l’offre et à la demande des marchés américains. La valeur des exportations de fruits et légumes vers les États-Unis s’élève à 1,7 milliard de dollars. La part attribuable à l’Ontario Greenhouse Vegetable Growers est de 1,5 milliard de dollars. C’est un montant considérable. Encore une fois, l’absence de stratégie et de soutien appropriés pour ces agriculteurs de l’Ontario pousse cet investissement vers les États-Unis, y compris dans toute cette chaîne de valeur découlant des emplois créés.
Le sénateur Loffreda : Nous sommes d’accord pour dire que les taux d’insolvabilité et les risques sont très faibles ici. Vous avez dit à plusieurs reprises que le risque est faible, alors pourquoi ne pas adopter le projet de loi. Ne pensez-vous pas que cela créerait un précédent? Qui sera le prochain à créer une fiducie réputée?
Nous avons parlé de l’assurance d’Exportation et développement Canada, ou EDC. Il existe une assurance de l’EDC qui couvre 90 % des pertes assurées. Pour ce qui est du taux, on ne peut pas le connaître parce qu’il est établi en fonction du risque. Comme vous le savez, chaque cas est évalué en fonction du risque. Or, comme le risque est très faible, le coût de l’assurance serait très bas.
Plutôt que de créer un précédent et d’ouvrir la grande porte — « Entrez. Nous allons créer une fiducie réputée pour vous; vous êtes important pour notre chaîne d’approvisionnement » —, ne pensez-vous pas qu’il serait plus simple, dans les cas où il y a un problème, d’assurer la créance à un coût minimum?
M. Lee : Comme je l’ai indiqué, nous sommes heureux de vous fournir ces chiffres en ce qui concerne l’étendue de nos producteurs, mais cet irritant commercial existe depuis longtemps.
En ce qui concerne la création d’un précédent, nous sommes l’un des seuls groupes de producteurs à ne pas disposer d’un mécanisme de recouvrement des fonds en dehors du programme d’assurance auquel nos membres cotisent. Le précédent a donc déjà été créé, et nous sommes une aberration. Nous sommes l’un des seuls groupes de producteurs au Canada à ne pas disposer d’un mécanisme de recouvrement des coûts associés à la culture.
Le sénateur Massicotte : Ma question faisait suite aux trois autres. Nous parlons de la répartition des recettes. C’est la loi sur la faillite, mais ce que vous demandez, c’est d’être une exception. Pourquoi accepterions-nous d’être l’exception? Qu’en est-il du producteur de viande? Qu’en est-il des autres petites entreprises? Pourquoi changeriez-vous délibérément les règles pour vous donner un avantage par rapport à tous les autres?
M. Lee : Encore une fois, sénateur, il s’agit d’un irritant de longue date. Nous dépendons tellement des exportations. Cela représente 85 % de notre production. Or, sans cette réciprocité, la prochaine faillite perturbera la chaîne de valeur, les investissements et l’avenir de l’agriculture ici au Canada.
Le sénateur Massicotte : Pour répondre à ma question, je suis un homme d’affaires et je suis confronté à ce problème en permanence. Lorsque vous dirigez une entreprise, il y a un risque que votre fournisseur ou votre partenaire ne dispose pas de fonds ou de liquidités suffisants, et que vous vous retrouviez en situation d’insolvabilité. Comme vous l’avez mentionné, vous avez des experts qui examinent cela pour vous. Pourquoi auriez‑vous un ensemble de règles différent de celui de toutes les autres petites entreprises?
M. Lee : Nous avons aussi nos propres risques. Il s’agit de denrées périssables. Nous ne sommes pas en mesure de récupérer ces coûts. Dans le cas d’un producteur de viande, vous parlez de quelque chose qui peut être stocké plus longtemps que nos produits. La durée de conservation de nos produits est d’environ sept à dix jours, et cela comprend les frais d’expédition.
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie.
La présidente : Merci, messieurs, d’être intervenus avec si peu de préavis pour répondre à ces dernières interventions rapides.
Pour notre prochain groupe d’experts, nous avons le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence, Timothy Dean Henkel, avocat, Henkel Law. Je tiens à remercier M. Henkel de s’être joint à nous depuis l’Espagne — malgré les crises météorologiques que l’on sait — et d’avoir trouvé tout l’équipement nécessaire pour ce faire. Monsieur Henkel, je vous souhaite la bienvenue et je vous invite à nous faire part de votre déclaration liminaire.
Timothy Dean Henkel, avocat, Henkel Law, A.P., à titre personnel : Merci beaucoup. Je suis avocat et je pratique le droit commercial depuis 36 ans. Mon cabinet est situé à Miami, en Floride. Mon parcours professionnel complet figure sur le site Web de mon cabinet, à l’adresse miamibusinesslitigators.com.
Depuis 1994 et au cours des 30 dernières années, j’ai représenté des entreprises et des particuliers dans le secteur des produits frais aux États-Unis, en tant qu’avocat de société et avocat plaidant. Outre ma pratique d’avocat privé, j’agis également à titre d’avocat général pour l’Amérique du Nord pour deux sociétés américaines de produits frais, Fyffes North America Inc. et Sol Group Marketing Company, qui toutes deux approvisionnent le marché étatsunien et exportent des produits au Canada.
Je connais bien la notion de fiducie qui figure dans la Perishable Agricultural Commodities Act américaine — la loi sur les denrées agricoles périssables —, ou PACA, car j’ai représenté de nombreux clients producteurs dans des affaires qui la concernait. Sur mon site Web, vous trouverez une référence aux différents procès que j’ai menés en lien avec cette loi. J’ai donné des cours de formation juridique sur la PACA, y compris un cours donnant un aperçu général de cette dernière et un séminaire distinct sur les effets que la fiducie de la PACA peut avoir sur les prêteurs et les banques.
Pour l’essentiel, la fiducie de la PACA est une fiducie en capital. Une fois que les produits, qui constituent un actif de la fiducie, sont livrés par un vendeur à un acheteur, l’acheteur non payé devient un bénéficiaire de la fiducie et détient un titre de propriété équitable non seulement sur les fruits et légumes vendus, mais aussi sur tous les produits dérivés, y compris les comptes clients et les recettes en espèces. Les produits et les dérivés restent en fiducie jusqu’à ce que le vendeur ait été payé intégralement. C’est ce que prévoit la PACA. Tous les vendeurs de produits sont payés intégralement et rapidement. L’acheteur agit en tant que fiduciaire au profit de tous les vendeurs de produits non payés jusqu’à ce que le paiement soit effectué dans son intégralité.
La fiducie de la PACA protège efficacement les vendeurs de produits frais sans imposer de contraintes excessives au secteur américain de l’affacturage et des banques, qui accorde des prêts aux entreprises du secteur des fruits et légumes et aux agriculteurs. Lors de la promulgation de la loi, les premières inquiétudes du secteur bancaire américain et de ses avocats, à savoir que les prêteurs allaient devoir contenir le crédit accordé au secteur, ne se sont tout simplement pas matérialisées. Les prêteurs se sont informés des dispositions de la PACA, ils ont appris à s’en accommoder, et les prêts au secteur agricole se sont maintenus sans fléchir, et ce, depuis 40 ans maintenant.
Comme la fiducie de la PACA donne la priorité au paiement des vendeurs de fruits et légumes, la probabilité d’être payé en totalité augmente considérablement. Les banques et les sociétés d’affacturage ont la possibilité d’exiger des emprunteurs du secteur agricole qu’ils fournissent tous les renseignements et tous les documents nécessaires pour que les banques puissent établir le risque, fixer le prix du crédit de manière appropriée et, dans le cas d’acteurs irresponsables ou trop faibles, refuser de prêter, tout simplement. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons pour lesquelles la PACA a été adoptée : pour veiller à ce que seules des parties probes sur le plan financier participent à l’industrie.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de prendre part à cette procédure très importante. Je serai ravi de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup. Une fois encore, nous vous présentons nos excuses pour les problèmes que nous avons eus et pour le court préavis que nous vous avons donné.
Nous allons commencer les questions. Je rappelle aux sénateurs qu’ils sont priés de ne pas faire de longs préambules à leurs questions. Nous connaissons bien le sujet.
Le sénateur Loffreda : Je remercie notre témoin de sa présence.
Au Canada, la question n’est pas de savoir si les prêts seront réduits. Ce n’est pas le problème. Le problème, c’est que le risque va augmenter en raison de la priorité qui sera créée. Or, si le risque évalué augmente, le rendement que les banques ou les prêteurs voudront obtenir augmentera également. Cela n’a peut‑être pas été le cas aux États-Unis, mais j’aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet.
Je n’entrerai pas dans les détails — je n’en ai pas le temps —, mais les banques canadiennes prêtent de la même manière que les banques américaines. C’est la raison pour laquelle la dynamique est complètement différente au Canada. Étant donné que le nombre de faillites et les taux d’insolvabilité sont si bas, pourquoi le Canada aurait-il besoin de ce projet de loi?
M. Henkel : Je vous remercie de la question.
En ce qui concerne la dernière partie, les États-Unis sont un bon exemple de la raison pour laquelle la fiducie enchâssée dans la PACA est si indispensable. Vu le grand nombre de banques qui existent aux États-Unis, il arrive que certaines d’entre elles ne s’informent tout simplement pas et n’agissent pas de manière responsable. J’ai plaidé dans de nombreux procès où des banques avaient prêté à des entreprises agricoles alors qu’elles n’avaient aucune idée de ce qu’était la PACA. Elles sont intervenues et ont utilisé des procédures légales pour saisir tous les actifs, laissant les vendeurs sans aucun actif pour payer les produits périssables qu’ils avaient vendus. Cela devrait couvrir la deuxième partie de votre question.
En ce qui concerne l’évaluation des risques, je ne sais pas comment le crédit est accordé au Canada, mais les banquiers américains sont au courant de l’existence de la PACA, et celle-ci n’a en rien entravé le flux de crédit destiné à l’industrie. Tout ce que je peux dire, c’est que la fiducie établie aux termes de la PACA existe depuis 40 ans et qu’elle fonctionne très bien. Les seules plaintes que l’on trouve dans la littérature concernent les premières années qui ont suivi l’adoption de la loi et de sa fiducie, en 1984, mais après cela, plus rien. Pour moi, cela signifie que ce n’est pas un problème important.
Le sénateur C. Deacon : Je remercie notre témoin d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Je présume que vous n’êtes pas en Espagne pour des vacances.
Cet accord entre nos deux pays a duré 30 ans. Il a commencé en 1994 et s’est terminé en 2014. Connaissez-vous la raison pour laquelle le Canada s’est retiré de l’accord en 2014 et savez-vous pourquoi l’accord a pris fin?
M. Henkel : Je ne crois pas que c’est le Canada qui s’est retiré. Ce que je comprends, c’est que le département de l’Agriculture des États-Unis, ou USDA, qui administre la PACA, a mené des négociations continues avec les autorités canadiennes pour que le Canada mette en œuvre une protection fiduciaire semblable à celle de la PACA, afin que les vendeurs américains au Canada soient traités de la même manière qu’aux États-Unis.
En 2014, l’USDA a supprimé la dérogation à l’obligation de double caution. C’est très important, car, aux États-Unis, la fiducie de la PACA n’est qu’une partie de la loi. La PACA établit également le processus de plainte officielle à l’USDA, qui est un moyen puissant pour les vendeurs de produits, les agriculteurs, de recouvrer leurs créances. Il n’y a pas de jury. C’est l’USDA, considéré comme les experts du secteur, qui tranche le litige. C’est beaucoup plus rapide, car vous êtes payé dans un délai d’environ un an, un an et demi au maximum, alors qu’un procès peut durer plusieurs années. C’est beaucoup moins cher. Les frais d’avocat sont beaucoup moins élevés.
La chose la plus importante et la raison pour laquelle, à mon avis, le Canada devrait adopter la fiducie de la PACA, c’est que vous bénéficierez d’une indemnité de réparation de l’USDA. Cela signifie simplement que l’acheteur qui n’a pas payé les produits, s’il n’honore pas la réparation, perdra sa licence. La licence est obligatoire aux États-Unis. Si vous perdez votre licence, vous ne pouvez plus faire de commerce. C’est l’énorme marteau qui permet aux vendeurs impayés de recouvrer leurs créances. C’est bien mieux que de passer par un procès, même un procès fédéral dans le cadre de la PACA, où les frais d’avocat sont énormes. De surcroît, même si vous gagnez le procès, vous devez vous débrouiller pour vous faire payer.
Le fait d’avoir cette possibilité en rétablissant la réciprocité afin d’être en mesure de déposer une plainte officielle au département de l’Agriculture sans avoir à déposer une double caution serait un avantage pour le Canada. Du reste, si je comprends bien les négociations, il semble que l’USDA est prêt à rouvrir le dossier et à se débarrasser de cette exigence de double caution si le Canada adopte un mécanisme fiduciaire semblable à celui de la PACA.
Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup.
Le sénateur Varone : Je vous remercie, monsieur Henkel.
Ma compréhension du droit américain de la faillite est limitée, mais je sais que, de manière générale, il existe quatre catégories de créanciers : les créanciers garantis, les créanciers non garantis prioritaires, les créanciers non garantis généraux et les détenteurs d’actions. Chacune de ces catégories de créanciers a la possibilité de créer une fiducie. Où se situe la PACA dans cette hiérarchie de créanciers? Où ces créanciers se situent-ils?
M. Henkel : La PACA se situe au sommet. Des litiges ont même démontré que ces créanciers passent avant l’avocat de la faillite. Ils bénéficient d’une priorité extrême. Ils sont payés en premier. Si les actifs sont insuffisants pour payer tous les créanciers du trust prévu par la PACA, ils divisent les actifs au prorata.
En général, pour donner un exemple de faillite à laquelle j’ai participé, je mentionne que Country Fresh avait une entreprise au Canada qui a fait faillite. Nous avons suivi la procédure de faillite qui s’est déroulée au Texas, dans le cadre de laquelle j’ai dirigé la défense des intérêts du groupe de créanciers aux termes de la PACA. Résultat : tous les créanciers de la fiducie prévue par la PACA ont été remboursés au complet. Malheureusement, les participants au recours collectif que je représentais et qui avaient vendu leurs produits au Canada n’ont pas été payés étant donné qu’ils ne pouvaient avoir recours à la PACA. Ils ont considéré cela comme une perte.
Voilà un excellent exemple de l’intérêt pour les vendeurs canadiens et américains de fruits et légumes de disposer d’un recours comme celui prévu par la PACA, de manière à ce que, si la personne à qui ils vendent leurs fruits et légumes périssables... il faut se souvenir de la nature de ce secteur. Vous vendez des produits grandement périssables dont vous ne pourrez jamais reprendre possession, et vous les vendez parfois à des milliers de kilomètres. La valeur de chaque chargement est énorme. Un seul chargement de semi-remorque peut représenter des dizaines de milliers de dollars. Le vendeur de fruits et légumes a besoin de cette protection pour être payé. En fin de compte, s’il est payé, les banques auront davantage de garanties. Le vendeur de fruits et légumes aura de l’argent pour payer ses travailleurs et ses impôts. Tout le monde bénéficie d’un tel recours.
Le sénateur Varone : Je vous remercie.
Le sénateur Fridhandler : Monsieur Henkel, je ne sais pas si vous avez eu l’occasion d’examiner le projet de loi canadien, mais j’aimerais savoir s’il y a une équivalence entre ce que vous appelez les « vendeurs de fruits et légumes » en vertu de la PACA et les fournisseurs qui sont mentionnés dans notre projet de loi.
M. Henkel : Je n’ai qu’une compréhension minimale du projet de loi, alors ma réponse sera assortie de cette mise en garde. Si j’ai bien compris, à moins que la mesure législative soit identique à celle des États-Unis, vous perdrez la réciprocité et l’avantage que vous essayez d’obtenir. Je suppose que vous pourriez en discuter avec le département de l’agriculture des États-Unis pour déterminer si les dispositions seraient acceptables.
D’après ce que j’ai compris, l’amendement va modifier les personnes qui auront le droit de demander un recours. Je pense que cette modification porterait un coup fatal à la réciprocité et que vous perdriez l’avantage même que vous essayez d’obtenir en promulguant la fiducie prévue par la PACA.
Le sénateur Fridhandler : Y a-t-il une limite pour ce que vous qualifieriez de vendeurs de fruits et légumes? Par exemple, les grandes exploitations agricoles sont-elles couvertes par la PACA, ou y a-t-il des conditions à remplir pour être considéré comme un vendeur de fruits et légumes?
M. Henkel : La portée de la PACA s’étend à toute personne qui achète ou vend des denrées agricoles périssables ou qui offre d’en acheter ou d’en vendre. Il n’y a pas de limite monétaire. Je peux vendre un seul chargement de semi-remorque et avoir droit à un recours, ou mon industrie peut rapporter plusieurs milliards de dollars. Il n’y a certainement pas de limite monétaire. Il s’agit d’un recours.
J’ai entendu l’intervenant précédent parler brièvement de la chaîne d’approvisionnement. C’est tout à fait exact. Les agriculteurs vendent leurs produits à des sociétés de commercialisation. Les sociétés de commercialisation les vendent à des courtiers. Les courtiers les vendent à des distributeurs. Toute une chaîne d’approvisionnement participe à ce processus. Ce n’est pas simple. Les agriculteurs ne vendent pas leurs produits directement à Walmart. Ils ne les vendent pas directement à Costco. Ils ont recours à une chaîne d’approvisionnement. Voilà pourquoi il est essentiel d’assurer l’intégrité des paiements à tous les niveaux de la chaîne.
La sénatrice Robinson : Je crois savoir qu’au Canada, le Règlement sur la salubrité des aliments au Canada exige que toute personne qui transporte des fruits et des légumes obtienne un permis. La situation au Canada est semblable. Je pense que vous indiquez qu’un permis est mentionné dans la PACA.
Au cours de votre déclaration préliminaire, vous avez déclaré que seules les entreprises financièrement viables demeuraient dans le secteur. Pourriez-vous, s’il vous plaît, expliquer ce concept ou nous en dire davantage à ce sujet?
M. Henkel : Le département de l’agriculture des États-Unis a fait de l’octroi de permis une politique qui prévoit des sanctions en cas de non-paiement. Si vous consultez les publications du secteur des fruits et légumes, le livre rouge, le livre bleu, vous verrez presque chaque semaine des vendeurs de fruits et légumes qui, dans le passé, étaient encore des entreprises viables, mais qui n’ont pas payé leurs factures à temps. Ils feront l’objet de sanctions, qui prennent généralement la forme d’une amende. Si la situation perdure, leur permis peut même leur être retiré. Le résultat final — et le département de l’agriculture des États-Unis l’a mentionné —, c’est que nous voulons qu’il n’y ait que des entreprises financièrement viables, parce que la nourriture est évidemment absolument essentielle, et que le paiement est le lubrifiant qui permet à la nourriture d’arriver sur les tables. Le département de l’agriculture des États-Unis a clairement indiqué que nous ne voulons pas qu’il y ait des entreprises précaires ou des entreprises qui ne peuvent pas payer leurs factures à temps. En éliminant ces entreprises, le travail des banques devient beaucoup plus facile. Elles ont affaire à des entreprises financièrement sûres, et elles savent que si leur client n’est pas payé, elles peuvent avoir recours à la procédure prévue par la PACA, être payées. Des garanties permettent de payer la banque, et tout le monde y gagne.
La présidente : Je vous remercie de vos réponses.
La sénatrice Ringuette : Le département de l’agriculture des États-Unis dispose d’un système complet de permis octroyés à tous les intervenants du processus, allant du producteur au supermarché. Nous n’avons pas un système de ce genre au Canada. Selon vous, que se passera-t-il sur le plan de la réciprocité si nous ne disposons pas d’un tel système?
M. Henkel : Les agriculteurs et les cultivateurs ne sont pas tenus de détenir un permis octroyé en vertu de la PACA du département de l’agriculture des États-Unis. Seuls les négociants sont tenus d’en détenir un. Je ne peux pas discuter du système canadien ou vous faire part de mon avis à son sujet, car j’ignore ce qu’il en est. Mais en vertu de la PACA, les agriculteurs américains ne sont pas tenus de détenir un permis prévu par cette loi. Ce permis est réservé à ceux que j’appellerai les acheteurs et les courtiers. Les producteurs ne sont pas tenus de détenir un permis prévu par la PACA.
Le sénateur Massicotte : Vous avez dit que tout le monde y gagnait. Mais je pensais que le système fonctionnait de la manière suivante : lorsque vous disposez de certaines recettes, les créanciers garantis, comme les banquiers et ceux qui accordent des prêts surtout bancaires, ont la priorité, compte tenu de la garantie dont ils bénéficient. Par conséquent, il y a un groupe de créanciers, généralement composé de petites entreprises, qui peuvent en souffrir. Mais s’il y a un processus grâce auquel une partie de ces recettes, qui sont généralement assez limitées, est essentiellement attribuée à certains créanciers comme point de départ, il me semble que ceux qui ne bénéficient pas de cette priorité sont perdants. Par conséquent, tout le monde ne gagne pas. Seul un petit secteur gagne, en raison de sa capacité à influencer les législateurs. Dans l’intervalle, où est l’équité?
M. Henkel : Je vous remercie de votre question.
Vous avez certainement raison. S’il n’y a que 100 $ d’actifs dans la fiducie prévue par la PACA, les créanciers aux termes de la PACA seront privés de 120 $, et il ne restera rien pour les autres. Il n’y a aucun doute à ce sujet. Je dirais seulement qu’en politique, il appartient aux politiciens de déterminer ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.
À mon avis, en tant qu’avocat ayant travaillé dans le secteur des fruits et légumes pendant trois décennies, l’alimentation est absolument essentielle à notre économie et à notre société, et la possibilité d’être payé est tellement essentielle qu’il vaut la peine de protéger ce type d’industrie où des produits périssables sont vendus à des prix élevés à un acheteur que vous n’avez jamais rencontré en personne et dont vous ne pouvez pas vérifier la solvabilité. En fin de compte, cette protection est indispensable pour assurer le commerce et l’alimentation dont nous avons tous besoin.
Le sénateur Yussuff : Quelle priorité sera accordée aux retenues et aux salaires non payés des employés, comme les cotisations à des régimes de retraite et les autres contributions, aux termes du système de faillite comparativement à la Perishable Agricultural Commodities Act, ou PACA?
M. Henkel : Je vous remercie de votre question.
D’après mon expérience, la PACA prime en général sur les priorités juridiques, quelles qu’elles soient. Résultat : les juges siégeant en faillite, qui sont plus compétents en matière de liquidations et de réorganisations, trouvent un moyen de protéger les intérêts des employés. C’est ce que je les ai vu faire, par exemple, dans le cas de Country Fresh, où les employés ont été payés en entier. Il est certain que dans le cas d’une réorganisation, lorsque l’entreprise est viable et que la direction est responsable, les employés sont payés si l’entreprise échappe à la faillite. C’est là le résultat final. Il peut y avoir des restructurations ou des pertes d’emploi, mais les salariés sont généralement payés par l’intermédiaire de leurs salaires, et de leurs impôts sont également versés.
Il y aura des cas où il n’y aura pas d’actif et où tout le monde perdra au change, y compris les vendeurs de fruits et de légumes. Ce n’est pas comme si les vendeurs de fruits et de légumes étaient payés intégralement, pendant que tous les autres ne reçoivent rien. En général, dans le cas d’une fiducie à faible actif ou d’une faillite, tout le monde est perdant. La question est donc de savoir s’il est juste que les vendeurs de fruits et de légumes qui ont cultivé ces produits ne soient pas payés en premier. C’est simplement une question de priorité.
Le sénateur McNair : Je vous remercie, monsieur Henkel, du témoignage que vous avez apporté aujourd’hui.
Pouvez-vous m’expliquer quelles sont les conditions de paiement standard sur lesquelles l’agriculteur et l’acheteur s’entendent? Quelles sont les conditions habituelles?
M. Henkel : En général, l’agriculteur souhaite que l’acheteur le paie délai de 30 jours ou moins. La fiducie prévue par la PACA ne s’applique qu’aux octrois de crédit à court terme. En règle générale, aucun intervenant du secteur n’accorde un délai de plus de 30 jours. Le délai de paiement normal prévu par la PACA est de 10 jours. L’industrie accorde des délais de paiement de 10 à 20 jours. Si vous acceptez des délais de paiement supérieurs à 30 jours, vous ne pouvez pas vous prévaloir de la fiducie prévue par la PACA.
La présidente : Monsieur Henkel, je vous remercie beaucoup de vous être joint à nous depuis l’Espagne aujourd’hui. Je sais que c’était compliqué, et nous vous sommes vraiment reconnaissants de votre point de vue. Merci.
M. Henkel : Merci.
La présidente : Nous allons maintenant procéder à l’étude article par article du projet de loi. Comme vous l’avez constaté, de hauts fonctionnaires se sont joints à nous au cas où il y aurait des questions à éclaircir. Nous accueillons donc Martin Simard, directeur principal, Direction de l’entreprise, de la concurrence et de l’insolvabilité; Paul Morrison, analyste principal des politiques, Direction de l’entreprise, de la concurrence et de l’insolvabilité. Nous recevons également un représentant d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, c’est-à-dire Tom Rosser, sous-ministre adjoint, et nous espérons que M. Chhabra, qui était parmi nous la semaine dernière, se joindra à nous. Il est directeur général de la Direction générale des politiques-cadres du marché, et il se trouve quelque part dans l’édifice.
Nous passons maintenant à l’étude article par article du projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (fiducie réputée — fruits et légumes périssables).
Pour commencer, je vais passer en revue quelques-uns de nos principes de fonctionnement.
Premièrement : si, à un moment donné, un sénateur n’est pas sûr de savoir où nous en sommes dans le processus, qu’il demande des éclaircissements. Je tiens à m’assurer qu’à tout moment, nous avons la même compréhension de l’étape que nous franchissons.
Deuxièmement : en ce qui concerne la mécanique du processus, lorsque plus d’un amendement à un article est proposé, les amendements doivent être présentés dans l’ordre des lignes de l’article qu’ils touchent.
Troisièmement : si un sénateur est opposé à un article en entier, la procédure appropriée ne consiste pas à proposer une motion visant à supprimer la totalité de l’article, mais plutôt à voter contre l’article, qui fait partie intégrante du projet de loi.
Quatrièmement : certains des amendements proposés pourraient avoir des conséquences sur d’autres parties du projet de loi. Par conséquent, si un sénateur propose un amendement, il serait utile qu’il indique au comité les autres articles du projet de loi sur lesquels cet amendement pourrait avoir un effet, afin de faciliter ce processus. Dans le cas contraire, il sera difficile pour les membres du comité de continuer à prendre des décisions de manière cohérente.
Cinquièmement : étant donné qu’aucun avis n’est nécessaire pour proposer des amendements, les amendements ne peuvent évidemment pas avoir fait l’objet d’une analyse préliminaire en vue de déterminer ceux qui pourraient avoir des conséquences pour d’autres amendements et ceux qui pourraient être contradictoires.
Sixièmement : si jamais les membres du comité s’interrogent à propos du processus ou du bien-fondé de n’importe quelle partie des délibérations, ils peuvent certainement faire un rappel au Règlement. En tant que présidente, j’écouterai les arguments, je déterminerai si le débat relatif à une question ou un décret a été suffisamment long, et je rendrai une décision.
Septièmement : Le comité est le maître absolu de ses travaux dans les limites établies par le Sénat, et les sénateurs peuvent faire appel d’une décision en demandant au comité plénier si la décision doit être maintenue.
Huitièmement : je souhaite rappeler aux sénateurs qu’en cas d’incertitude quant au résultat d’un vote à voix haute ou à main levée, le moyen le plus efficace de résoudre le problème consiste à demander un vote par appel nominal, qui fournit évidemment des résultats sans ambiguïté.
Enfin, les sénateurs sont conscients que tout vote qui aboutit à une égalité des voix a pour effet d’annuler la motion en question.
Avez-vous des questions à propos de tous ces principes?
Le sénateur Massicotte : Je ne sais pas comment aller de l’avant. Je serai direct à cet égard. Je suis favorable à la résolution que notre collègue, le sénateur Varone, a présentée concernant les amendements. En même temps, je rejette le projet de loi dans son ensemble parce qu’il est très injuste. Que dois-je faire pour voter en ce sens? Devons-nous procéder paragraphe par paragraphe et simplement conserver...
La présidente : Vous pouvez appuyer l’amendement et voter contre.
Le sénateur Massicotte : D’accord.
La présidente : En fin de compte.
Le sénateur Massicotte : Vous attendez jusqu’à la toute fin avant de procéder au vote final?
La présidente : C’est ce qui se produit. Ensuite, nous demandons si l’amendement est adopté. Si, pour une raison ou une autre, vous souhaitez soutenir un amendement, même si vous ne soutenez pas le projet de loi... l’amendement pourrait, dans certains cas, modifier l’avis ou le vote d’un sénateur, mais si ce n’est pas le cas, vous êtes... d’accord?
Avant que nous allions de l’avant, avez-vous des commentaires ou des questions à formuler?
Le sénateur C. Deacon : J’en appelle maintenant à mes collègues. Si vous avez l’intention de rejeter le projet de loi, j’espère que vous le ferez dans la chambre du Sénat et que vous expliquerez les raisons pour lesquelles vous le faites. Il s’agit d’un projet de loi important pour notre secteur agricole et pour les producteurs de fruits et légumes périssables. Chers collègues, je vous demande de soutenir l’amendement, qu’il vous plaise ou non, mais si vous souhaitez rejeter le projet de loi, faites-le au Sénat et soyez transparents à cet égard. Je veux dire, oui, faites‑le si vous voulez voter contre le projet de loi.
La présidente : Oui, votez contre le projet de loi.
Le sénateur Loffreda : Seul le Sénat peut torpiller le projet de loi.
La présidente : Nous transmettons le projet de loi au Sénat pour la troisième lecture. Je vous remercie, sénateur Varone.
Plaît-il au comité de procéder à l’étude article par article du projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (fiducie réputée — fruits et légumes périssables)? Oui ou non.
Des voix : Oui.
La présidente : Consentez-vous à suspendre l’adoption du titre?
Des voix : Oui.
La présidente : Consentez-vous à suspendre l’adoption de l’article 1, qui contient le titre abrégé?
Des voix : Oui.
La présidente : L’article 2 est-il adopté?
Des voix : Oui.
La présidente : Avez-vous répondu par la négative, sénateur Varone? Allez-vous proposer l’amendement maintenant?
Le sénateur Varone : J’ai des commentaires sur ce qui explique mon opposition à l’adoption de l’article, puis je vais passer directement à l’amendement.
La présidente : Vous pouvez lire votre amendement puis formuler vos commentaires.
Le sénateur Varone : J’ai d’abord les commentaires qui expliquent l’amendement. Je vais donc faire l’inverse. Merci.
Merci de votre indulgence, chers collègues sénateurs. Mes préoccupations sont légitimes, et mes amendements proposés ne sont pas sans conséquence. Ce ne sont pas des amendements pour le plaisir d’amender. S’ils sont adoptés, ils créeront un projet de loi fort, clair et encore moins ambigu qui accordera à ces agriculteurs la protection dont ils ont besoin.
J’espère que vous avez eu la chance de lire le document que j’ai transmis vendredi et qui décrit mes préoccupations. Je vais expliquer brièvement comment j’en suis arrivé là, et l’idée était d’abord d’essayer de renforcer l’objet du projet de loi, à savoir protéger les agriculteurs en cas de faillite ou d’insolvabilité.
J’avais deux amendements pour définir ce qu’on entend par agriculteur, pour que ce soit effectivement l’agriculteur qui est avantagé dans ces faillites ou ces insolvabilités et pas d’autres intervenants de la chaîne d’approvisionnement, comme les Loblaw, Costco ou Sobeys de ce monde.
J’avais des préoccupations par rapport à la formulation « réputés être détenus en fiducie » puisque je ne comprenais pas parfaitement son incidence sur la hiérarchie de créditeurs dans la législation canadienne sur les faillites.
J’ai confirmé que le libellé dans le projet de loi C-280 était ambigu et qu’il se traduirait par des litiges concernant l’emplacement de la fiducie dans la hiérarchie canadienne en matière de faillite, et il est possible qu’il nuise au statut de fiducie réputée qui est uniquement accordé pour les retenues à la source : les cotisations à l’assurance-emploi, le Régime de pensions du Canada, la Loi sur le Programme de protection des salariés, c’est-à-dire le Saint-Graal de la hiérarchie canadienne en cas de faillite.
Puisque la hiérarchie américaine en cas de faillite ne comprend pas de catégorie pour le statut de fiducie réputée, et que si on accorde le statut de fiducie réputée aux producteurs canadiens de fruits et légumes frais et que l’on comprend la réciprocité correspondante qui s’ensuivrait, les producteurs américains de fruits et légumes frais pourraient utiliser le statut de fiducie réputée et être sur un pied d’égalité pour les déductions à la source, les cotisations à l’assurance-emploi, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur le Programme de protection des salariés, j’ai conclu qu’il fallait apporter d’autres amendements au projet de loi C-280.
Ma définition précédente d’« agriculteur » n’allait pas assez loin, et je souhaite remercier la sénatrice Robinson de son intervention et de nous avoir appris quelque chose en soulignant que le terme « négociant » renvoie aux personnes qui regroupent les fruits et légumes frais des petits producteurs et qui les commercialisent. Par conséquent, j’ai modifié ma définition concernant la « vente à la ferme » que m’a fournie l’Association canadienne de la distribution de fruits et légumes en ajoutant les négociants principaux.
Il convient de souligner le courriel transmis par la greffière hier. Le Conference Board of Canada a confirmé que, en 2023, le taux de faillite, le taux d’insolvabilité et le taux de proposition de consommateur dans les secteurs canadiens de l’agriculture, des forêts, de la pêche et de la chasse étaient beaucoup moins élevés que la moyenne nationale de tous les autres secteurs.
Cela dit, on peut toutefois avancer qu’aucune protection renforcée contre la faillite n’est nécessaire pour ce secteur au Canada, et il est réellement important pour nos exportations canadiennes de fruits et légumes frais vers les États-Unis de rétablir la réciprocité avec nos voisins du sud. Par conséquent, je souhaite aller de l’avant avec les amendements que je propose.
Comme je l’ai décrit dans une note du document sur la hiérarchie, au Canada, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité prévoit six catégories de paiements. La première est la priorité absolue et la deuxième est la fiducie présumée, et les autres catégories correspondent toutes à leurs équivalents américains. Les amendements que je propose décrivent clairement où se situeraient les réclamations des agriculteurs dans la législation canadienne sur les faillites, à savoir dans la catégorie des créanciers garantis, sous les créditeurs présumés ou les fiducies présumées et sous les priorités absolues. Et c’est là qu’elles se situent aux États-Unis.
Mes amendements sont donc simples et accomplissent quatre choses simples, qui sont toutes conçues pour aider les agriculteurs canadiens : premièrement, ils procurent une définition d’« agriculteur », pour qu’ils puissent vraiment tirer des avantages; deuxièmement, ils comprennent et définissent le négociant, pour garantir les mêmes avantages; troisièmement, ils garantissent que tout ce qui est réputé être dans une fiducie est couvert par le statut de créditeur garanti; et quatrièmement, ils garantissent que la hiérarchie en cas de faillite du Canada correspond à celle des États-Unis.
Les amendements ont été distribués hier. Je peux les lire, ou nous pouvons poursuivre.
La présidente : Nous pouvons commencer, et, comme nous le faisons au Sénat, nous n’avons également pas besoin de tout lire. Les gens ont des copies. Sénatrice Marshall, avez-vous une question?
La sénatrice Marshall : Puis-je poser une question au sénateur?
Le sénateur Varone : Absolument.
La présidente : Je pense que nous devons le faire après. Nous devons proposer l’amendement puis tenir un débat, plutôt que d’avoir la discussion avant. Nous le ferons lorsque l’amendement aura été proposé.
L’honorable sénateur Varone propose que le projet de loi C-280, à l’article 2, page 1, ligne 9, soit modifié par substitution, à la ligne 9 et 10, de ce qui suit... puis-je me dispenser d’en faire la lecture?
Des voix : Oui.
La présidente : D’accord. Tout le monde lit en même temps. C’est maintenant le moment de tenir un débat et de poser des questions.
La sénatrice Marshall : Merci. Puis-je poser une question au sénateur?
Le sénateur Varone : Oui.
La sénatrice Marshall : Lorsque je lis votre amendement, je vois qu’il insiste beaucoup sur la référence aux fournisseurs, et vous les avez répartis dans deux groupes : les producteurs agricoles primaires et les acheteurs de fruits périssables. C’est un peu comme si vous aviez divisé la chaîne d’approvisionnement. C’est mon interprétation.
Les témoins que nous avons entendus ce matin, M. Henkel et M. Lee, ont tous les deux dit catégoriquement qu’ils n’étaient pas d’accord, que nous ne devrions pas diviser la chaîne d’approvisionnement. M. Lee a dit que nous devons protéger l’ensemble de la chaîne pour permettre une comparaison avec les États-Unis, et M. Henkel a également dit à l’occasion que l’intégrité des paiements est nécessaire à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement.
Pouvez-vous nous dire pourquoi vous la divisez ainsi?
Le sénateur Varone : Oui, c’est surtout parce que les personnes que je veux protéger sont celles qui accordent du crédit dans le système : les agriculteurs, les personnes qui regroupent les produits, les négociants. Ce sont ces personnes qui accordent le crédit. Les Sobeys et Costco de ce monde n’en accordent pas, et ils ne peuvent donc pas être considérés comme un fournisseur et n’ont pas besoin d’un soutien dans ce projet de loi. C’était la principale raison.
La sénatrice Marshall : Lors de son témoignage, M. Henkel n’a pas dit que tout le monde vend ses produits à Walmart ou à Costco, à ces grandes entreprises. Vous semblez donc avoir tout simplement fracturé cette chaîne d’approvisionnement, mais ce n’est pas bien défini. Ce n’est pas uniquement Costco qui n’obtiendra pas son argent. Ce sera aussi des entreprises de plus petite taille.
Le sénateur Varone : J’ai laissé le passage pour englober les négociants et j’ai essayé de rendre le libellé le plus vaste possible pour englober les vendeurs primaires.
La sénatrice Martin : Je pense qu’il n’est pas assez vaste, comme l’ont dit nos témoins précédents en parlant de la nécessité de retrouver une réciprocité.
L’amendement comprend deux volets, soit un pour limiter la définition de « fournisseur » et un autre pour ajouter un créancier garanti. Nous nous opposons aux deux pour un certain nombre de raisons.
Premièrement, le projet de loi a été intentionnellement rédigé pour inclure dans les mesures de protection les emballeurs, les distributeurs, etc. Lorsqu’on remplace les fournisseurs par les agriculteurs ou les négociants, on élimine cette protection.
Comme l’a signalé l’Association canadienne de la distribution de fruits et légumes, une fiducie réputée favoriserait l’équité et la stabilité financière tout au long de la chaîne et appuierait les paiements des fournisseurs jusqu’aux producteurs.
Les Producteurs de fruits et légumes du Canada ont dit :
L’interdépendance des éléments de la chaîne qui assure l’offre de fruits et légumes frais et congelés de la ferme à la table est une autre raison qui justifie la nécessité de protéger les fournisseurs à tous les niveaux, en commençant par les producteurs, mais sans oublier les grossistes, les distributeurs et les courtiers.
Deuxièmement, si cet amendement est adopté, les producteurs canadiens n’auront pas accès — c’est ce que nous venons tout juste d’entendre — aux dispositions sur le règlement des différends de la Perishable Agricultural Commodities Act des États-Unis. Or, le rétablissement de cet accès était l’une des principales raisons pour présenter ce projet de loi. L’Association canadienne de la distribution de fruits et légumes l’a souligné en disant que :
[...] limiter la définition de « fournisseur » en vertu du projet de loi C-280 ne créerait pas de protection équivalente à celle offerte à l’industrie aux États-Unis en vertu de la Perishable Agricultural Commodities Act (PACA), qui couvre tous les fournisseurs de la chaîne, ce qui nuirait donc à la capacité du Canada d’obtenir le rétablissement d’une protection réciproque pour les vendeurs canadiens conformément à la PACA.
Cela signifie que cet amendement va sabrer l’objet du projet de loi.
Je sais qu’on s’est penché là-dessus au comité de la Chambre, et l’idée a été rejetée, mais nous l’examinons à nouveau. Je pensais que les témoins d’aujourd’hui avaient vraiment répondu à beaucoup de ces préoccupations.
Je crains qu’un amendement — un rejet du projet de loi au comité ou le dépôt d’un rapport au Sénat — vienne en fait sabrer l’objet du projet de loi et essentiellement le torpiller. Comme nous l’avons entendu, le processus a été long.
Je vis dans une zone urbaine du Canada. Je ne comprends pas pleinement le dossier, mais lorsque j’écoute nos fonctionnaires ainsi que d’autres témoins, je crois qu’il est très important de garder la définition telle qu’elle est. C’est bien documenté et étudié. Merci.
Le sénateur C. Deacon : Je suis persuadé, sénateur Varone, que vous proposez cela avec la plus grande intégrité et que vous croyez que c’est ce qu’il y a de mieux pour le projet de loi. Je n’en doute pas une seconde.
Ce qui me préoccupe, c’est que nous avons déjà vu que lorsque nous amendons un projet de loi d’initiative parlementaire, il se retrouve au bas du Feuilleton à la Chambre et refait rarement surface. C’est presque arrivé il y a trois ans avec le projet de loi C-208 et les transferts intergénérationnels. Il a presque été amendé, mais le Sénat a tenu le coup. On nous a dit qu’il y aurait un énorme problème si l’amendement était apporté et qu’une équité était offerte aux agriculteurs. Le problème n’est jamais survenu. À la fin, trois ans plus tard, les gens de Finances Canada ont comblé une lacune pour régler un problème urgent selon eux qui avait mis dans l’embarras la ministre des Finances qui s’était retrouvée en première page du Globe and Mail pour avoir tenté de s’opposer à la volonté du Parlement à trois reprises après l’adoption du projet de loi.
S’il y a un problème ici, si les témoins d’aujourd’hui se sont trompés et, en fait, si vous réglez le problème d’une façon qui respecte l’objet du projet de loi, c’est une avenue possible. L’autre possibilité, c’est peut-être que les problèmes perçus et que vous cherchez à régler n’existent pas. S’ils surviennent, le gouvernement aura intérêt à les régler.
Nous pouvons torpiller ce projet de loi au comité en votant contre ou en l’amendant, et le Sénat peut accepter. Cela dit, je siégeais au Comité de l’agriculture et des forêts il y a quatre ou cinq ans. C’est une source d’irritation constante pour les producteurs d’aliments. Nous avons vu pendant la COVID à quel point la production alimentaire nationale est importante pour notre pays.
En ce qui me concerne, malgré le fait que je suis convaincu que vous avez les meilleures intentions, je ne peux pas appuyer l’amendement.
La sénatrice Ringuette : Il n’y a pas si longtemps, notre comité s’est prononcé à l’unanimité pour que les travailleurs arrivent en tête de liste en cas de faillite. Nous nous sommes penchés sur ce passage du projet de loi d’exécution du budget, et nous l’avons appuyé à l’unanimité. Nous disons maintenant que les travailleurs canadiens ne sont pas assez bons. Il n’y a pas de réciprocité par rapport aux États-Unis en ce qui concerne la protection de leurs travailleurs et de leurs salaires.
Ce matin, le juriste américain nous a dit que pour assurer cette partie de la délivrance des permis et avoir accès à cette fiducie réputée aux États-Unis, la facture doit être payée dans les 10 à 20 jours. Sinon, on n’a pas accès au système. J’aimerais avoir l’occasion — si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera peut-être au Sénat — d’inclure une véritable réciprocité et de demander ici que les paiements ou les factures soient réglés en l’espace de 10 à 20 jours, comme aux États-Unis. À défaut de quoi, on n’aurait pas accès au système. Ce serait une véritable réciprocité.
La sénatrice Marshall : De façon générale, de nombreux sénateurs estiment que c’est un projet de loi imparfait, mais nous adoptons tout le temps des projets de loi imparfaits. S’il est adopté et qu’il pose un problème, je suis d’accord avec le sénateur Deacon et nous pourrons le modifier dans le prochain projet de loi omnibus. Je n’ai jamais vu de projet de loi parfait.
La sénatrice Martin : J’ai pour les fonctionnaires une question qui repose sur ce que la sénatrice Ringuette vient tout juste de dire.
S’il est adopté, ce projet de loi va-t-il rétablir l’équivalent du mécanisme de règlement des différends de la PACA pour les producteurs canadiens?
Tom Rosser, sous-ministre adjoint, Direction générale des services à l’industrie et aux marchés, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Madame la présidente, il reste à voir si le projet de loi initial serait reconnu comme étant équivalent par les autorités américaines. Nous ne leur avons pas officiellement demandé leur avis à ce sujet.
Je réagis à cela largement en temps réel. À mon avis, la probabilité que cela se produise pourrait être atténuée par les amendements proposés. C’est une question de probabilité. Il n’y a aucune garantie que cela va se produire que le projet de loi soit amendé ou non.
Le sénateur Loffreda : Plutôt que de risquer de faire augmenter le prix des fruits et légumes pour tous les consommateurs, dans certaines situations, les agriculteurs peuvent souscrire une assurance offerte par Exportation et développement Canada qui peut aller de 1 à 1,5 %. C’est ce que le secteur bancaire m’a confirmé. On ne va pas nous donner un prix pour l’assurance d’Exportation et développement Canada puisque c’est en fonction du risque, de toute évidence. Ce projet de loi augmente le risque pour les prêteurs. Il augmentera les coûts des prêts. À proprement parler, il y a des solutions simples.
Comme l’a dit le sénateur Deacon, nous reconnaissons l’importance des agriculteurs. Si ce projet de loi reçoit la sanction royale, nous n’aurons pas moins de fruits et légumes, mais ils coûteront peut-être plus cher parce que le rapport risque-rendement l’emporte toujours lorsqu’il est question de prêts.
Je n’en ai pas le moindre doute. C’est ce que je constate depuis 35 ans. Merci.
Une voix : Passons au vote.
La présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?
Des voix : Non.
Des voix : D’accord.
La présidente : Nous allons faire un vote par appel nominal. Merci.
Sara Gajic, greffière du comité : L’honorable sénatrice Wallin.
La sénatrice Wallin : Non.
Le sénateur Massicotte : Non à l’amendement, n’est-ce pas? Je veux que ce soit clair.
La sénatrice Wallin : Non à l’amendement. Est-ce que je donne la bonne réponse?
Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de vous aider.
La présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement, ou l’amendement proprement dit? Êtes-vous d’accord? Je vais répondre par la négative; je ne suis pas d’accord.
Mme Gajic : L’honorable sénatrice Wallin?
La sénatrice Wallin : Non. Je dois le dire une fois de plus.
Mme Gajic : L’honorable sénateur Deacon?
Le sénateur C. Deacon : Non.
Mme Gajic : L’honorable sénateur Fridhandler?
Le sénateur Fridhandler : Oui.
Mme Gajic : L’honorable sénateur Loffreda?
Le sénateur Loffreda : Oui.
Mme Gajic : L’honorable sénatrice Marshall?
La sénatrice Marshall : Non.
Mme Gajic : L’honorable sénatrice Martin?
La sénatrice Martin : Non.
Mme Gajic : L’honorable sénateur Massicotte?
Le sénateur Massicotte : Oui.
Mme Gajic : L’honorable sénateur McNair?
Le sénateur McNair : Oui.
Mme Gajic : L’honorable sénatrice Ringuette?
La sénatrice Ringuette : Oui.
Mme Gajic : L’honorable sénateur Varone?
Le sénateur Varone : Oui.
Mme Gajic : L’honorable sénateur Yussuff?
Le sénateur Yussuff : Oui.
Mme Gajic : La motion est adoptée par 7 voix contre 4. Personne ne s’est abstenu de voter.
La présidente : Je déclare la motion d’amendement adoptée.
L’article 2 modifié est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : Poursuivons.
L’article 3 est-il adopté? Sénateur Varone?
Le sénateur Varone : D’accord.
La présidente : Pardon?
Le sénateur Varone : Pardon? Pouvons-nous recommencer? Je n’étais plus à la bonne place.
La présidente : Avez-vous un autre...
Le sénateur Varone : Oui, j’ai un amendement, et la greffière l’a distribué.
La présidente : D’accord. Mes collègues l’ont-ils lu? Il n’y a plus de débat à ce stade-ci, donc... non, nous allons parvenir à ces chiffres.
L’honorable sénateur Varone propose que le projet de loi C-280, à l’article 3, page 3, soit modifié par substitution, aux lignes 13, 14 et 15, de ce qui suit... voulez-vous l’entendre, ou puis-je me dispenser d’en faire la lecture?
Des voix : C’est bon.
La présidente : D’accord, tout le monde a une copie. Y a-t-il des commentaires ou matière à débat?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?
Des voix : Non.
Des voix : Oui.
La présidente : Voulez-vous un vote par appel nominal?
Mme Gajic : L’honorable sénatrice Wallin.
La sénatrice Wallin : Non.
Mme Gajic : L’honorable sénateur Deacon.
Le sénateur C. Deacon : Non.
Mme Gajic : L’honorable sénateur Fridhandler.
Le sénateur Fridhandler : Oui.
Mme Gajic : L’honorable sénateur Loffreda.
Le sénateur Loffreda : Oui.
Mme Gajic : L’honorable sénatrice Marshall.
La sénatrice Marshall : Non.
Mme Gajic : L’honorable sénatrice Martin.
La sénatrice Martin : Non.
Mme Gajic : L’honorable sénateur Massicotte.
Le sénateur Massicotte : Oui.
Mme Gajic : L’honorable sénateur McNair.
Le sénateur McNair : Oui.
Mme Gajic : L’honorable sénatrice Ringuette.
La sénatrice Ringuette : Oui.
Mme Gajic : L’honorable sénateur Varone.
Le sénateur Varone : Oui.
Mme Gajic : L’honorable sénateur Yussuff.
Le sénateur Yussuff : Oui.
Mme Gajic : La motion est adoptée par 7 voix contre 4. Personne ne s’est abstenu de voter.
La présidente : Bien. L’article 3 modifié est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : L’article modifié est adopté.
L’article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : Le titre est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : Le projet de loi modifié est-il adopté?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
La présidente : Voulez-vous un vote par appel nominal, ou est-il adopté avec dissidence? Il est adopté avec dissidence. Bien. Le Sénat va en être saisi.
Est-il convenu que le légiste et conseiller parlementaire soit autorisé à apporter toute modification technique, grammaticale ou autre modification non substantielle nécessaire par suite des amendements adoptés dans les deux langues officielles?
Des voix : D’accord.
La présidente : Le comité souhaite-t-il annexer des observations au rapport? Non? Merci.
Est-il convenu que je fasse rapport du projet de loi modifié au Sénat dans les deux langues officielles?
Des voix : D’accord.
La présidente : Mesdames et messieurs, merci. Nous avons réglé la question, et ce sera donc renvoyé au Sénat.
Comme l’a souligné le sénateur Deacon, si quelqu’un souhaite en discuter ou renforcer les points qu’il a soulevés d’une façon ou d’une autre, ce sera la place pour le faire. Il y aura un vote en troisième lecture. Je vous remercie tous beaucoup.
(La séance est levée.)