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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 31 mars 2022

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 3 (HE), par vidéoconférence, pour étudier de nouvelles questions concernant le mandat du comité.

Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je suis Paul Massicotte, sénateur du Québec et président du comité.

Aujourd’hui, nous tenons une séance hybride du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qu’ils sont priés de garder leur micro éteint en tout temps, à moins que le président leur donne la parole. Lorsque vous parlez, veuillez le faire lentement et clairement.

Pour ceux qui prennent part à cette réunion par Zoom, veuillez utiliser la fonction « lever la main » pour demander la parole.

Pour ceux qui sont présents dans la salle, je vous demanderais d’indiquer à la greffière votre intention de parler. Je ferai de mon mieux pour permettre à tous ceux qui veulent poser une question de le faire, mais pour y arriver, je vous demande d’être brefs dans vos questions et préambules. Ceci s’adresse également à nos témoins.

Si un problème technique survient, particulièrement en ce qui concerne l’interprétation, veuillez m’en faire part ou l’indiquer à la greffière, afin que nous puissions le régler rapidement.

Veuillez noter qu’il se pourrait que nous devions suspendre la séance si des problèmes techniques surviennent, afin d’assurer que tous les membres soient en mesure d’y participer pleinement.

J’aimerais maintenant présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui. Nous avons la sénatrice Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan; le sénateur Claude Carignan, c.p., du Québec; la sénatrice Rosa Galvez, du Québec; le sénateur Clément Gignac, du Québec; la sénatrice Mary Jane McCallum, du Manitoba; la sénatrice Julie Miville-Dechêne, du Québec; le sénateur Dennis Glen Patterson, du Nunavut; la sénatrice Judith Seidman, du Québec; la sénatrice Karen Sorensen, de l’Alberta; la sénatrice Josée Verner, c.p., du Québec.

Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent. Aujourd’hui, nous nous réunissons, conformément à notre ordre de renvoi général, pour entreprendre une étude basée sur l’hydrogène.

Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons, de l’Association canadienne de l’hydrogène et des piles à combustible, Mark Kirby, président et chef de la direction, ainsi que Sabina Russell, directrice générale et cofondatrice de Zen Clean Energy Solutions.

Bienvenue à tous et merci d’avoir accepté notre invitation.

Nous allons débuter avec M. Kirby. Monsieur Kirby, vous avez la parole.

[Traduction]

Mark Kirby, président et chef de la direction, Association canadienne de l’hydrogène et des piles à combustible : Merci beaucoup, honorables sénateurs.

Je vous parle de North Vancouver, qui est le territoire traditionnel et non cédé des Salish du littoral — Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh. Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui.

Vous avez probablement déjà entendu dire que l’hydrogène est à la mode. Vous avez probablement entendu dire qu’il sera la clé de voûte de la carboneutralité en 2050 et qu’en fait jusqu’à 30 % de nos besoins énergétiques ultimes seront comblés par de l’hydrogène propre d’ici 2050. Vous avez également entendu parler des énormes possibilités économiques que cela représente, avec plus d’un demi-billion de dollars de projets annoncés jusqu’en 2030, dont bon nombre ici au Canada.

Cependant si vous êtes comme beaucoup de Canadiens, vous vous demandez probablement encore comment fonctionne cette forme d’énergie, pourquoi elle est si importante et si elle est vraiment propre. Compte tenu de la position que vous occupez, vous vous demandez sans doute ce que le gouvernement canadien devrait faire pour éventuellement appuyer l’hydrogène.

Je vais commencer par la dernière de ces questions. Pour que les Canadiens profitent pleinement des possibilités offertes par l’hydrogène, il faudra d’abord mettre en place de nombreuses mesures et politiques, ainsi que des projets de développement. Je vais me concentrer sur trois de ces aspects.

Premièrement, il faudra véritablement soutenir les adopteurs précoces de véhicules à pile à combustible. Les coûts sont à la baisse, mais il faudra attendre jusqu’en 2030 avant que les véhicules commerciaux à pile à combustible soient largement disponibles et moins coûteux que ceux à essence ou au diesel. Le Canada subventionne déjà l’achat d’autobus zéro émission par l’entremise d’Infrastructure Canada, et un soutien semblable doit être offert aux camions et aux autres véhicules.

Deuxièmement, la Norme sur les combustibles propres qui sera lancée cette année pourrait permettre d’uniformiser les règles du jeu en ce qui concerne le coût de l’hydrogène par rapport à celui du diesel et de l’essence, cela en attendant que le réseau de distribution d’hydrogène soit établi et que l’hydrogène soit en fait moins cher que le diesel. Toutefois, la Norme sur les combustibles propres doit être conçue de manière à soutenir l’investissement du secteur privé dans les stations d’avitaillement en hydrogène. C’est ce qui se passe en Californie et en Colombie-Britannique grâce à leurs normes sur les carburants à faible teneur en carbone.

Troisièmement, créons 30 centres de production-distribution d’hydrogène au pays d’ici 2030. De tels centres réduiraient les risques à l’investissement, amélioreraient le rendement et attireraient plus d’investissements. Ils favoriseraient l’innovation, le perfectionnent les compétences et mèneraient à des réductions notoires des GES. Cependant, de tels centres ne peuvent apparaître tout seuls et ils devront faire l’objet d’investissements en ce qui a trait aux études, aux analyses économiques, à la gestion professionnelle, à la communication avec les parties prenantes et aux infrastructures.

Pour illustrer l’importance de ces mesures, considérons la mobilité. Le gouvernement a dit que 100 % des véhicules légers seront à zéro émission d’ici 2035 et que 100 % des camions le seront d’ici 2040. Disons que vous possédez un parc de taxis ou de camions. Vous savez que vous devez atteindre la carboneutralité et vous aimeriez adopter des véhicules électriques pour y parvenir parce qu’ils sont sûrs, simples, fiables et d’un excellent rendement. Néanmoins, la question de l’alimentation électrique vous préoccupe. Bien sûr, les batteries d’accumulateurs conviennent dans de nombreux cas, mais vous vous inquiétez du coût de la livraison de l’électricité à vos installations. Vous vous inquiétez de l’espace nécessaire pour les bornes de recharge et des coûts qu’elles représentent, de la perte de productivité de vos chauffeurs et du temps d’immobilisation de vos véhicules pendant qu’ils sont en charge. Vous songez aussi au manque à gagner attribuable à une réduction des distances de déplacement due à une faible autonomie ou à une capacité d’emport moindre, sans parler de toute la question de la résilience en ce qui a trait à la gestion des livraisons d’urgence, des nouveaux clients, des trajets par temps froid, des changements d’itinéraire et des pannes de courant. En fait, vous êtes probablement suffisamment inquiet pour ne pas passer au tout électrique à moins que quelqu’un ne vous rassure. Et nous savons tous à quel point les camionneurs peuvent être entêtés. À cause de tout cela, le Canada n’atteindra pas ses objectifs en matière de véhicules à émission nette zéro.

Ce dont vous avez en fait besoin, c’est d’une puissance condensée — d’un moyen de capter la foudre, de la condenser, de la mettre en bouteille et de la transporter jusqu’à ce que vous en ayez besoin. C’est ce qu’offrent les piles à hydrogène qui sont des contenants compacts, légers et sécuritaires aptes à fournir une quantité incroyable d’électricité sûre, propre et fiable pour alimenter votre véhicule électrique, et qui, de plus, peuvent être remplis rapidement, proprement et de façon pratique.

Si vous combinez cette capacité à celle des batteries d’accumulateurs, alors vos conducteurs et vos véhicules seront plus rentables que jamais. Ce serait merveilleux. Vous ne seriez plus inquiet, et nous pourrions passer à la décarbonisation des transports. Malheureusement, votre entreprise ne peut pas se permettre de payer plus qu’aujourd’hui. C’est pourquoi nous avons besoin de subventions pour les premiers utilisateurs, de la Norme sur les combustibles propres pour rendre les carburants concurrentiels et de centre de production-distribution pour disposer d’un système à grande échelle, économique et viable pour justifier les investissements dans la production de ce combustible.

J’ai essayé de me limiter à trois recommandations, mais j’en ajouterai une quatrième. Nous devons parler aux Canadiens du rôle vital que jouera l’hydrogène et nous engager à faire en sorte que les Canadiens d’un océan à l’autre aient un accès abondant à l’hydrogène le plus propre et le moins coûteux du monde. Ce combustible facilitera grandement l’atteinte de la carboneutralité. Merci beaucoup.

Le président : Avant de passer aux questions, je propose que nous entendions également Mme Russell afin que nous puissions poser nos questions aux deux témoins en même temps.

Sabina Russell, directrice générale et cofondatrice, Zen Clean Energy Solutions : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de participer à cette discussion sur le potentiel de l’hydrogène au Canada.

J’aimerais commencer par souligner que je vous parle de Vancouver, soit des territoires non cédés des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.

Zen est une société d’experts-conseils qui se spécialise dans l’hydrogène et les piles à combustible, et notre équipe a travaillé en étroite collaboration avec RNCan à l’élaboration de la Stratégie canadienne de l’hydrogène qui a été publiée en décembre 2020. La stratégie est un appel à l’action urgent.

Il est tout simplement nécessaire de déployer l’hydrogène à grande échelle partout au Canada pour nous permettre d’atteindre nos objectifs de décarbonisation et de respecter nos engagements en matière de changements climatiques. Nous ne pourrons pas atteindre la carboneutralité sans hydrogène.

L’hydrogène est un vecteur d’énergie polyvalent qui peut être fabriqué par différentes filières. Le Canada a la chance d’être riche en matières premières qui entrent dans la production d’hydrogène. Notre électricité est l’une des plus propres au monde. Cette énergie propre, conjuguée aux ressources en eau douce du Canada, peut être utilisée pour produire de l’hydrogène grâce à l’électrolyse. Le Canada possède également d’abondantes réserves de combustibles fossiles et il est un chef de file en matière d’innovation et de potentiel de stockage géologique pour permettre le captage et le stockage du carbone. Nous aurons besoin de ces deux filières — la bleue et la verte — et d’autres, novatrices, pour produire suffisamment d’hydrogène afin de répondre à la demande intérieure et de servir le marché mondial en croissance rapide.

L’hydrogène peut être utilisé comme combustible des véhicules électriques à pile à combustible à haut rendement et à émission zéro, de même que pour des formes d’énergie stationnaire. Il peut être brûlé pour produire de la chaleur sans émissions de carbone et, à court terme, il est possible de le mélanger au gaz naturel pour décarboniser nos gazoducs. L’hydrogène est également utilisé comme matière première dans des procédés industriels comme la production d’ammoniac et de méthanol, ainsi que dans la valorisation et le raffinage du pétrole pour produire de l’essence et du diesel. À l’avenir, nous verrons émerger de nouvelles industries utilisant l’hydrogène comme matière première.

La stratégie énonce une vision audacieuse, mais réalisable pour 2050. Voici ce que nous pourrions voir au Canada si nous agissions avec l’urgence et la raison d’être nécessaires pour atteindre la carboneutralité d’ici la même période.

Jusqu’à 30 % de l’énergie du Canada pourrait être produite sous forme d’hydrogène. Nous pourrions être l’un des trois principaux producteurs d’hydrogène propre dans le monde. Les véhicules électriques à pile à hydrogène — j’en conduis un aujourd’hui — nous auront aidés à progresser pour établir un parc complet de véhicules à zéro émission partout au Canada. Nous verrons des piles à hydrogène, surtout dans les applications les plus difficiles comme le camionnage sur longues distances et le transport en commun, où les batteries ne peuvent tout simplement pas faire le travail. Le déploiement de ces véhicules à hydrogène sera rendu possible grâce à un réseau de stations d’avitaillement déployé à l’échelle du pays et offrant un approvisionnement rapide, sûr et fiable aux consommateurs.

Le réseau de gazoducs du Canada aura été réaménagé pour transporter de l’hydrogène et des mélanges d’hydrogène et de gaz naturel dans certaines régions, et nous aurons ainsi décarbonisé nos systèmes de chauffage.

Il est important de noter que tout ce travail aura permis de créer plus de 350 000 emplois dans le secteur, plus de 50 milliards de dollars par année en revenus annuels dans le secteur de l’hydrogène provenant directement de déploiements nationaux et d’un marché d’exportation de l’hydrogène bien établi et florissant. Il sera possible de réaliser tout cela tout en permettant une réduction annuelle des émissions qui pourrait atteindre 190 mégatonnes.

Tout cela semble bien beau, mais comment y parvenir?

À court terme, nous devrons jeter les bases du système. Au cours des cinq prochaines années, l’accent sera mis sur la mise en œuvre d’infrastructures d’approvisionnement, de distribution et d’avitaillement en hydrogène dans des centres de production-distribution concentrés géographiquement, et nous commençons d’ailleurs à en voir apparaître. Des règlements comme la Norme sur les combustibles propres et le mandat fédéral sur les VZE sont des signaux stratégiques importants pour stimuler l’investissement nécessaire dans le secteur aujourd’hui. Nous devons également favoriser le développement du marché d’exportation en nous attaquant aux obstacles auxquels sont confrontés les promoteurs de projets majeurs. Cela comprend des tarifs d’électricité plus élevés dans certaines des régions concurrentes et un manque d’incitatifs à la production comme celui envisagé par nos voisins du Sud.

À moyen terme, soit dans les cinq années qui suivront, nous amorcerons une croissance et une diversification du réseau où un plus grand nombre de demandes d’utilisation finale seront concurrentielles sur le plan des coûts et de la disponibilité sur le marché. Je lance d’ailleurs le défi suivant : que 30 centres de production-distribution d’hydrogène soient ouverts au Canada d’ici 2030.

Enfin, c’est à long terme, de 2030 à 2050, que nous récupérerons les fruits de tous ces travaux préliminaires et de l’expansion rapide du marché dans toutes les applications.

Nous sommes un chef de file dans le domaine de l’hydrogène et des piles à combustible, depuis les grandes percées dans le domaine de l’électrolyse il y a plus de 100 ans et les technologies des piles à combustible ces quatre dernières décennies. Nous possédons une expertise et un leadership en matière d’innovation qui sont reconnus à l’échelle mondiale, ainsi que des ressources naturelles stratégiques. De plus en plus de projets sont en cours d’élaboration au Canada, mais honnêtement, les progrès sont plus lents que ce dont nous avons besoin. La question est donc de savoir si notre pays a la volonté d’appuyer la stratégie par des mesures audacieuses afin de parvenir à sa vision de l’hydrogène en 2050. Cela reste à voir, mais je dirais que les signaux sont vraiment encourageants.

Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons passer aux questions.

La sénatrice Galvez : Ma question s’adresse à M. Kirby. Il y a trois choses dont vous n’avez pas parlé dans votre exposé. Quelle est la meilleure matière première et la meilleure source d’énergie pour produire de l’hydrogène? Nos pipelines actuels qui transportent du pétrole et du gaz sont-ils bons pour transporter de l’hydrogène? Devons-nous en construire de nouveaux? En ce qui concerne les coûts, compte tenu de la situation — et vous savez que le gouvernement nous impose une dette internationale énorme —, le gouvernement devrait-il choisir des technologies à subventionner, comme nous l’avons fait pour le pétrole et le gaz? Devrions-nous choisir des gagnants et des perdants? Merci.

M. Kirby : Merci beaucoup pour ces excellentes questions, et je vais y répondre dans l’ordre.

Si j’ai bien compris, la première question portait sur la fabrication de l’hydrogène et vous voulez savoir s’il existe une façon meilleure qu’une autre de produire de l’hydrogène.

Je dirais qu’au Canada, nous célébrons la diversité de l’hydrogène et qu’il existe de nombreuses façons d’en fabriquer. Il existe de nombreuses sources d’énergie qu’il est possible de convertir en hydrogène. C’est vraiment l’un de ses avantages. Vous pouvez produire de l’hydrogène à partir d’une énergie propre et renouvelable, comme l’énergie solaire, éolienne et hydroélectrique. On peut le fabriquer à partir de l’énergie nucléaire. On peut le fabriquer à partir de la biomasse. Certains de nos membres travaillent sur de nouvelles technologies pour convertir la biomasse en hydrogène.

Il est aussi possible de fabriquer de l’hydrogène propre à partir de combustibles fossiles, à condition de gérer les émissions de carbone. C’est l’élément clé, et le Canada est un chef de file dans ce domaine. Il y a des façons de prendre les ressources de combustibles fossiles que nous avons la chance de posséder et de les convertir en hydrogène de façon efficace et de gérer ce CO2 — pour qu’il ne devienne pas un gaz à effet de serre. Les entreprises canadiennes bénéficient de technologies de pointe. On peut aussi recourir à la pyrolyse pour faire du carbone élémentaire. On peut en faire par captage, séquestration et stockage. Nous avons des entreprises de premier plan dans ce domaine au Canada.

Quand je pose la question à mes membres — qui sont actifs dans toute la gamme que j’ai citée —, tous s’accordent à dire que nous avons besoin de beaucoup d’hydrogène et que nous avons besoin de divers moyens pour le fabriquer, en tirant parti de toutes nos ressources énergétiques. Cette concurrence sera une bonne chose, car elle permettra de réduire les coûts et d’accroître la disponibilité.

Il faudra mettre des normes en place, et nous y travaillons. Ces normes servent à mesurer l’intensité en carbone du cycle de vie complet de chaque filière de production. Nous avons besoin de ces systèmes, et ils doivent être certifiés pour que les gens puissent avoir l’assurance que l’hydrogène qu’ils achètent est bel et bien de l’hydrogène propre. C’est nécessaire et nous sommes sur le point d’y parvenir. En même temps, de nombreuses nouvelles technologies sont mises au point pour produire de l’hydrogène.

J’oublie déjà la deuxième question que vous m’avez posée, sénatrice.

La sénatrice Galvez : Ce qui est peut-être le plus important, c’est la façon dont nous payons pour cela.

M. Kirby : Évidemment, le secteur privé devra assumer la facture. Il faudra adopter des politiques en vue de stimuler les investissements par le secteur privé. On constate que de grandes entreprises proposent des projets, mais dans les faits, elles auront besoin d’un soutien dans les prochaines années. Nous aurons donc effectivement du soutien du gouvernement. On le constate en Europe, aux États-Unis, au Japon et dans bien d’autres pays.

Le Canada le fait par le biais du Fonds pour les carburants propres. Nous avons l’appui d’Infrastructure Canada pour les autobus zéro émission. Nous avons le FSI d’ISDE pour la transformation propre, mais il faut plus. Dans les prochaines années, il faudra orienter certaines technologies vers l’hydrogène et vers des technologies propres à l’hydrogène quand celles-ci seront au point.

Avec le temps, l’hydrogène sera en fait moins cher que le diesel. Les véhicules à pile à hydrogène coûteront la même chose que les véhicules à essence et au diesel et bien sûr que les véhicules à batterie. Nous ne sommes pas condamnés à devoir proposer des prix plus élevés pendant très longtemps encore. Nos produits baisseront et seront très concurrentiels. Les camionneurs et d’autres usagers de la route pourront profiter de produits meilleur marché fonctionnant avec des piles à hydrogène, mais il faudra du temps pour que cela se fasse, et l’aide du gouvernement fédéral est nécessaire entretemps si nous voulons en profiter pleinement.

La sénatrice Galvez : Merci.

Le président : J’aimerais donner à tous les sénateurs le temps de poser une question principale et une question subsidiaire. Je demanderais donc à tout le monde d’être succinct, y compris à nos témoins, afin que tout le monde ait un tour.

La sénatrice Seidman : Merci à nos deux témoins d’être avec nous ce matin.

Ma question s’adresse à vous, monsieur Kirby. En fait, j’aimerais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Galvez.

Dans un article d’opinion publié par le Hill Times à la fin de février, l’auteur affirme que le Canada n’est plus un chef de file en ce qui concerne la technologie de l’hydrogène et des piles à combustible. En fait, ce que dit cet article, c’est qu’entre 2004 et 2019, le Canada a réduit de deux tiers ses dépenses en R-D sur l’hydrogène, de sorte que nous dépensons maintenant le tiers de ce que nous dépensions au début de 2004.

La technologie canadienne des piles à combustible est exploitée partout dans le monde dans des autobus, des trains de banlieue et d’autres modes de transport, mais pas chez nous. Par exemple, le Canada n’a pas d’autobus à pile à combustible, d’après ce que j’ai lu, et l’office qui construit le réseau de trains de banlieue dans le Sud de l’Ontario a jugé que les piles à combustible étaient trop risquées.

Comment comprenez-vous cela et pourquoi notre technologie est-elle exploitée partout dans le monde, mais pas au Canada?

M. Kirby : J’approuve le contenu de l’article. Je le connais bien. Il ne fait aucun doute que l’appui du Canada aux piles à hydrogène s’est érodé après les Jeux olympiques de 2010. Les raisons sont probablement nombreuses et variées. Les conditions étaient différentes à l’époque.

Cependant, je suis très fier de dire que nos membres ont amené la technologie sur la scène mondiale et qu’ils continuent de s’y distinguer. Ils se tournent vers d’autres marchés étrangers. Ils sont présents en Chine, en Californie et en Europe, où ils vendent leurs produits et services.

Mais, effectivement, lorsque je me suis joint à l’association, un de mes mandats était d’en faire plus au Canada. Nous avons besoin que la technologie de l’hydrogène se déploie davantage chez nous. Il le faut si nous voulons préserver notre avance technique, et une des grandes priorités que nous avons depuis est d’appliquer concrètement la technologie au Canada, pour le bien du Canada et pour contribuer à la croissance et au maintien de cette industrie de calibre mondial que nous avons.

Mme Russell : Oui, c’est effectivement ce qu’il faut retenir de l’article du Hill Times. Depuis 2019, nous assistons à un revirement incroyable : il y a beaucoup d’investissements dans le secteur.

L’autre chose qui a empêché le déploiement au Canada, c’est que nous ne trouvions pas les bons signaux dans les politiques en vigueur chez nous. Notre entreprise travaille beaucoup en Californie, où le California Air Resources Board a émis un mandat d’autobus non polluant en vertu du règlement ICT, l'Innovative Clean Transit, et il y en a maintenant un pour les camions. C’est ce genre de réglementation qui pousse à agir, et c’est donc là que s’en vont beaucoup de nos piles à combustible — les piles à combustible de Ballard et les châssis d’autobus de New Flyer, deux entreprises canadiennes. On trouve beaucoup de nos autobus en Californie, mais pas encore chez nous. Il y a des activités en cours pour changer cela.

La sénatrice Seidman : Vous avez tous les deux indiqué ce que le gouvernement peut faire pour aller de l’avant, mais si vous convenez tous les deux avec l’article du Hill Times que nous n’allons pas du tout dans cette direction à l’heure actuelle, comment voulez-vous que nous accédions à vos recommandations?

M. Kirby : Pour être clair, je suis tout à fait d’accord avec Mme Russell. Les choses ont complètement changé, et il est étonnant de voir grandir l’intérêt et les activités au Canada, mais il reste encore beaucoup à faire. C’est ce que j’ai dit au début, certaines des choses que nous recommandons.

Il y a de très bonnes mesures qui ont été prises. Le Canada a maintenant en place certaines des politiques les plus avancées dans le monde. Nous surveillons ce que les autres font et nous suivons leur exemple. Nous devons continuer à le faire. Il faut, comme je l’ai dit, mettre à profit la Norme sur les combustibles propres et favoriser l’utilisation de l’hydrogène. Nous avons besoin de financement pour les premiers utilisateurs. Nous voyons beaucoup d’entreprises investir dans des technologies de production pour les approvisionner.

Nous devons travailler du côté de la demande. Comment pouvons-nous stimuler la demande? Comment pouvons-nous encourager nos industries à adopter ces produits? Cela repose en grande partie sur la mienne. Nous devons aller sur le terrain, présenter nos bons produits, mais nous avons besoin d’aide pour aller de l’avant.

Mme Russell : Nous ne sommes peut-être pas des meneurs dans le déploiement au Canada et il est vrai que nous avons réduit les investissements en R-D pendant un temps, mais nous sommes toujours des meneurs en ce qui concerne la technologie et les ressources humaines. Partout dans le monde, on considère le Canada et surtout la Colombie-Britannique comme un noyau de savoir-faire et d’innovation. Les braises ont couvé durant les temps difficiles, mais elles se sont ravivées récemment. Il n’est donc pas trop tard pour nous rattraper. Il suffit de peser sur l’accélérateur, mais nous pouvons y arriver.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question porte sur les modes de transport. On le voit dans la note de la Bibliothèque du Parlement et la sénatrice Galvez en a glissé un mot dans sa première question. Je comprends que vous représentez une association, et peut-être que certains de vos membres seraient plus à même de répondre à ma question d’un point de vue technique, mais le sujet qui m’intéresse est le transport de l’hydrogène. Je fais référence au fait qu’on peut le mélanger avec le gaz naturel et utiliser les pipelines pour régler le problème du transport de l’hydrogène.

Pouvez-vous nous parler un peu des enjeux du transport de l’hydrogène et nous dire comment un gazoduc peut être une des solutions?

Le président : Voulez-vous la réponse des deux témoins?

Le sénateur Carignan : Oui.

[Traduction]

Mme Russell : On a fait beaucoup de progrès en transport de l’hydrogène par gazoduc. Cela se fait dans certains grands projets en Europe et cela commence au Canada, notamment avec Enbridge à Markham, en Ontario.

La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons mettre jusqu’à 20 % de volume d’hydrogène dans le gaz naturel aujourd’hui sans avoir de problèmes avec la compatibilité des matériaux ou le rendement des appareils au bout de la ligne. Je fais une petite mise en garde à ce sujet. Qu’on aille jusqu’à 10 % ou à 20 %, cela dépend — cela dépend toujours quand on est ingénieur — si on parle des pipelines de transport à haute pression, qui sont faits en acier, ou du réseau de distribution où on trouve plutôt des pipelines en polyéthylène à basse pression. Ils sont plus compatibles avec l’hydrogène et peuvent atteindre des limites plus élevées.

Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire aujourd’hui sans apporter de gros changements, et on s’emploie déjà beaucoup dans l’industrie à moderniser les pipelines de transport existants pour qu’ils puissent acheminer de l’hydrogène à cent pour cent. Il arrive un moment où on n’a plus besoin de procéder par mélange et où il est logique de dire qu’on a maintenant un pipeline à hydrogène. Il sera assez facile de moderniser certains de nos pipelines, et le bon sens voudra qu’on en construise de nouveaux pour acheminer l’hydrogène. Mais oui, on fait beaucoup de progrès dans ce domaine, notamment grâce à l’Association canadienne du gaz. La plupart de nos services publics de gaz naturel examinent actuellement de près leurs propres réseaux pour en déterminer les limites et voir ce qui est possible à court terme.

M. Kirby : Mme Russell décrit assez bien la situation. Il n’y a pas d’obstacle fondamental aux pipelines à hydrogène pur. Il y a des pipelines en service au Canada depuis de nombreuses années qui transportent l’hydrogène de façon sûre et fiable. Il n’y a donc aucun obstacle technique fondamental. Les canalisations en place doivent être vérifiées, certaines conviendront, d’autres non. Il est certainement très possible et peu coûteux de transporter l’hydrogène par pipeline, et j’irai jusqu’à dire que nous devons nous y préparer. Au cours des prochaines décennies, nous devrons passer à une très forte production d’hydrogène dans des régions à faible coût, et nous devrons utiliser des pipelines pour l’acheminer vers les grands centres urbains, vers les côtes pour l’exportation et vers les grandes usines de liquéfaction. Nous devons planifier cela dès maintenant, penser aux pipelines à hydrogène et nous assurer d’obtenir l’approbation de la société et l’agrément des collectivités touchées.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je ne sais pas qui pourrait répondre à ma question. Je crois que c’est vous, monsieur Kirby, qui avez mentionné que la difficulté du Canada à choisir l’hydrogène s’explique par la question du danger des cellules, que vous appelez en anglais fuel cells, et qui avait été invoqué pour que les autobus ne puissent pas utiliser cette technologie.

J’aimerais connaître ces dangers. Évidemment, je sais que vous représentez les intérêts de l’industrie, mais quels sont les dangers connus et appréhendés en ce qui concerne ces cellules?

[Traduction]

M. Kirby : Je vous remercie de la question. Depuis 40 ans que je travaille avec l’hydrogène, que je construis de l’équipement pour l’hydrogène, que je le distribue et que je le transporte, que je le manipule et que je m’en sers, j’ai appris à le respecter énormément. C’est un gaz inflammable. On le transporte habituellement sous pression. On peut le transporter sous forme de liquide cryogénique, et il y a des risques à gérer quand on le manipule et qu’on l’utilise, tout comme il y en a pour l’essence, le gaz naturel et tant d’autres produits que nous utilisons. Mais je suis aussi à l’aise avec lui et je l’ai manipulé en toute sécurité pendant tout ce temps.

Il y a des normes élaborées au fil des ans pour gérer les matériaux que nous utilisons, les contrôles que nous appliquons, la sécurité de l’équipement que nous construisons. Le Canada s’est distingué dans l’élaboration d’un grand nombre de ces normes. J’ai une grande confiance et je supervise des équipes de jeunes ingénieurs qui savent pouvoir travailler en toute confiance avec l’hydrogène.

À trois pâtés de maisons d’où je suis actuellement, il y a une station de ravitaillement en hydrogène construite selon les codes et les normes par une entreprise canadienne. Il y a une pompe à hydrogène juste à côté d’une pompe à essence. Mme Russell et moi-même nous sommes rendus à cette station-service. Il suffit d’ouvrir l’accès au réservoir de votre voiture, de brancher la buse d’hydrogène et de faire le plein tout en regardant votre cellulaire, ce qu’on n’est pas censé faire, je sais. C’est comme faire le plein d’essence.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une deuxième question, qui en est une de néophyte.

En ce moment, on a plutôt des automobiles avec des piles électriques et on est en train d’essayer de bâtir un réseau pour recharger ces piles électriques. Vous, ce que vous proposez, c’est d’ajouter dans les automobiles des cellules d’hydrogène ou d’ajouter tout un réseau pour recharger ces automobiles avec de l’hydrogène, même s’il y a déjà des piles électriques.

Est-ce que je comprends bien que vous voudriez que les deux se trouvent dans les automobiles, les piles et l’hydrogène? Expliquez-moi cela, parce que je ne suis pas une spécialiste de l’automobile ni de l’hydrogène.

Le président : Est-ce que cette question s’adresse aux deux témoins?

La sénatrice Miville-Dechêne : À ceux ou celles qui peuvent répondre en vulgarisant leur réponse.

[Traduction]

M. Kirby : Je vais commencer en disant que nous avons besoin des deux. Nous avons besoin à la fois de bornes de recharge pour les véhicules électriques et de stations de ravitaillement pour les véhicules à hydrogène. C’est la combinaison des deux qui va nous permettre de remplacer entièrement les moteurs à combustion interne, et de le faire à moindre coût qu’avec seulement l’un ou l’autre des deux.

Mme Russell : Je pense que la question portait un peu sur la présence simultanée d’une batterie et d’une pile à combustible dans un véhicule. Je vais peut-être ajouter quelque chose à propos des véhicules, car je crois que cela faisait partie de votre question.

Les véhicules à pile à combustible, les véhicules à batterie, sont tous deux des véhicules électriques. Ils ont beaucoup d’éléments communs. Le véhicule à pile à combustible a un groupe motopropulseur différent. Il n’a pas besoin d’être adapté ou quoi que ce soit. Voyez-le comme si on remplace la batterie par un réservoir d’hydrogène dans une pile à combustible qui ressemble beaucoup à une batterie. L’hydrogène y circule avec l’oxygène capté dans l’air, et il se produit une réaction chimique semblable à celle d’une batterie. Tous les véhicules à pile à combustible sont quand même munis d’une batterie qui capte l’énergie du freinage par récupération, mais sa taille est différente de celle d’un simple véhicule électrique à batterie.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Bonjour et merci.

Ma question s’adresse aux deux témoins. Il faut évidemment des subventions pour l’innovation et l’investissement, assez importantes pour être efficaces. Connaissez-vous un programme fédéral qui soit lié à des programmes provinciaux? Je pose cette question parce que la Saskatchewan a annoncé en juin 2020 son Petroleum Innovation Incentive, qui encourageait l’idée d’extraire l’hydrogène des ressources pétrolières disponibles. Je me demande si les gouvernements provinciaux et territoriaux travaillent de concert avec le gouvernement fédéral pour créer des programmes complémentaires. Êtes-vous au courant de cela? Plus précisément, le programme du gouvernement de la Saskatchewan est-il lié de quelque façon aux programmes fédéraux qui sont offerts?

Ma première observation, c’est que nous avons besoin de plus de financement, à un niveau qui donnera de bons résultats. Quel doit être ce niveau? Il faut que ce soit mieux dirigé et mieux coordonné. Il faut de meilleures politiques et, par conséquent, de meilleurs programmes pour travailler de concert et obtenir de meilleurs résultats. J’aimerais entendre les deux témoins à ce sujet. Quel est l’écart à combler? Que faut-il vraiment faire du point de vue des politiques pour avoir des programmes efficaces?

M. Kirby : La situation au Canada varie évidemment d’une province à l’autre, ce qui est normal. Certaines provinces sont très en faveur de l’hydrogène et collaborent étroitement avec le gouvernement fédéral pour construire des stations de ravitaillement, par exemple. Je pense à la Colombie-Britannique, qui en compte 18, et au Québec, qui en compte 8. Voilà ce que peut donner la coopération entre les provinces et le gouvernement fédéral.

En Alberta, le pôle mondial de l’hydrogène est situé à Edmonton et dans les environs. C’est pourquoi nous y tenons deux grands congrès. C’est grâce à la coopération avec le gouvernement fédéral si l’Alberta peut maintenant produire l’hydrogène le moins cher au monde, et la plus grande partie de cet hydrogène. Nous ne nous rendons pas compte de ce que nous avons. Nous en sommes déjà là en Alberta.

Il y a donc eu une très bonne coopération. Il en faut plus. Lorsqu’il s’agit d’installer des stations de ravitaillement ou de déployer des véhicules à hydrogène, nos membres ont besoin de l’aide du gouvernement fédéral. Ils en ont besoin pour faciliter l’achat de ces véhicules, mais ils se tournent aussi vers les provinces. Pour qu’un projet puisse aller de l’avant, il faut aussi du financement provincial.

Je reviens au début : il faut aider ceux qui sont les premiers à adopter la technologie. Il faut financer la création de pôles de l’hydrogène et en démontrer la nécessité. Il faut avoir des politiques en place, comme la Norme sur les combustibles propres, qui fournissent l’analyse de rentabilité et qui uniformisent les règles du jeu. C’est là que doit s’harmoniser l’action des gouvernements fédéral et provinciaux si nous voulons rester à l’avant-garde dans le domaine des piles à hydrogène et compter là-dessus pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Voilà à quoi cela se résume. Si nous n’arrivons pas à déployer les véhicules à hydrogène et à mettre en place l’infrastructure nécessaire pour compléter les batteries et les biocarburants, nous n’atteindrons pas la carboneutralité en 2050.

Mme Russell : Je suis tout à fait d’accord avec le sénateur Arnot lorsqu’il dit que nous avons besoin d’une meilleure harmonisation entre les provinces et le gouvernement fédéral.

Chez Zen Clean Energy, en plus de faire des interventions stratégiques, nous travaillons avec des clients pour faire avancer des projets. C’est ce qui nous tient le plus à cœur : faire avancer les choses et peser dans la balance. À l’heure actuelle, c’est très difficile parce qu’il faut aller chercher le financement à chacune des différentes sources, si modestes qu’elles soient, et il faut le faire une à la fois. Il faut convaincre le gouvernement fédéral. Nous pouvons maintenant compter sur le gouvernement provincial et son fonds pour les stations de ravitaillement, mais pour les véhicules, nous devons aller puiser dans un autre fonds. Pour la liquéfaction, c’en est un autre. Il faut être très déterminé et têtu comme M. Kirby et moi, qui travaillons dans le secteur depuis longtemps, pour ne pas tout laisser tomber. Pour accélérer les démarches, il faut les faciliter.

Il y a quelques bons exemples. Il y a quelques années, Technologies du développement durable Canada, TDDC, a lancé un appel conjoint avec le ICE Fund de la Colombie-Britannique. On pouvait obtenir jusqu’à 66 % du financement pour des projets d’énergie propre, mais seulement si on avait une technologie vraiment novatrice en phase de démarrage. Pour le déploiement à grande échelle, nous allons avoir besoin de différents types de fonds du même genre, offerts conjointement par une province et le gouvernement fédéral.

En Colombie-Britannique, c’est vraiment emballant que la norme sur les carburants à faible teneur en carbone ait été adoptée. Elle a été extrêmement efficace dans le cas de l’hydrogène. Le Règlement sur les combustibles propres entre aussi en vigueur. Ces deux mesures pourront probablement être cumulées en Colombie-Britannique. La province collabore avec le gouvernement à cette fin. Cela donnera aussi un élan énorme.

Le sénateur Arnot : Avez-vous des commentaires à faire sur l’absence de politique au niveau fédéral et sur le manque de coordination? Autrement dit, quels conseils donneriez-vous aux décideurs pour assurer la coordination et orienter les efforts pour faire avancer ce dossier?

M. Kirby : Il s’agit d’examiner les politiques qui se sont révélées efficaces dans le monde pour appuyer l’adoption des technologies zéro émission et les objectifs de véhicules à émission nulle. Nous avançons en ce sens. C’est un aspect qui a fait ses preuves pour favoriser l’adoption. De plus, il a été démontré que la Norme sur les combustibles propres, comme nous l’avons dit, aide à stimuler l’investissement du secteur privé dans les postes de ravitaillement. Ce sont là deux de nos besoins stratégiques essentiels au Canada.

Mme Russell : J’espère vraiment que les décideurs pourront commencer par la fin. Souvent, la politique consiste à passer à l’étape suivante pour une amélioration progressive, et nous finissons par ne pas tenir compte de certaines technologies qui seront nécessaires pour le dernier 30 % de notre décarbonisation. C’est en quelque sorte une question de philosophie, mais des politiques prévoient désormais davantage des étapes progressives. Si nous adoptons la carboneutralité, en commençant par cet objectif, nous avons besoin de tous les leviers.

Nous avons besoin d’une politique axée sur le rendement et non prescriptive. Ce que je veux dire par là, c’est que si notre objectif est la décarbonisation, nous ne devrions pas exclure de technologie. Tout ce qui peut permettre d’atteindre l’objectif ou le rendement que nous essayons d’atteindre devrait pouvoir être harmonisé avec la politique qui est mise en place.

La sénatrice Sorensen : Merci aux intervenants. Vous avez tous les deux été en mesure de présenter vos arguments de façon claire et, pour ma gouverne, simple. Je vous en sais gré.

J’ai quelques questions de débutante. Vous pouvez peut-être répondre à la première. Je vais poser la suivante à M. Kirby, simplement parce qu’il a utilisé le terme à quelques reprises : pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un centre de déploiement? Je sais que nous en avons un à Edmonton, et j’examine ce qu’on y fait. Leurs activités varient-elles selon les régions?

Deuxièmement, je crois que l’objectif était de 30. Combien en avons-nous?

M. Kirby : C’est aussi une excellente question.

La sénatrice Sorensen : Merci. J’ai parfois l’impression d’être une débutante ici.

M. Kirby : Toute la question des centres de déploiement me tient à cœur. Vous parlerez à M. Layzell après moi, et il continuera probablement de parler des centres de déploiement. Il a été un visionnaire dans ce domaine.

Pour un centre de déploiement, il suffit de regrouper la demande autour de l’offre. L’un des défis liés à l’hydrogène, c’est qu’il coûte assez cher de le transporter. Puisque nous n’avons pas encore de pipelines, le transport du lieu de production au lieu d’utilisation coûte cher. Alors, que faites-vous? Vous procédez à un regroupement pour réduire au minimum les coûts de distribution, de sorte qu’il n’y a pas seulement un autobus de déployé, mais plutôt des autobus, des camions et des trains, ainsi qu’un besoin de transformation industrielle — une aciérie ou une usine de produits chimiques — de pair avec les services publics, et l’hydrogène peut être mélangé au gaz naturel, ce qui mène à des économies d’échelle, qui permettent de réduire les coûts, et qui se traduisent par un avantage économique. C’est ce que nous faisons — rassembler tous ces éléments.

La sénatrice Sorensen : C’est très utile.

M. Kirby : Ce n’est pas mon idée; c’est ce qui se passe partout dans le monde. C’est la façon dont les choses se développent.

Le président : Madame Russell, vouliez-vous ajouter quelque chose?

Mme Russell : C’était une bonne façon d’expliquer en quoi consiste un centre de déploiement.

La sénatrice Sorensen : Apparemment, nous obtiendrons plus d’information, mais je vous remercie néanmoins, monsieur Kirby. C’était un témoignage utile. À un moment donné, je pensais qu’il ne s’agissait que d’un groupe de réflexion, alors je suis heureuse que ce soit un mécanisme plus opérationnel.

Ma deuxième question est aussi assez simple, et nous pourrons peut-être obtenir des réponses très concises. J’aime bien avoir un bon plan stratégique, mais j’aime que des objectifs mesurables y soient rattachés, j’aime y voir des stratégies et des dates précises. J’ai examiné nos notes de la bibliothèque, qui traitent des piliers de la stratégie, mais elles ne sont pas très concises. Je regardais simplement la stratégie en soi, et j’y vois une section sur les facteurs temporels. Ma question s’adresse à vous deux. Sur un plan très subjectif, quelle note donneriez-vous au Canada à l’heure actuelle? Sur une échelle de 1 à 10, où en sommes-nous dans cette stratégie, sachant que nous avons des objectifs pour 2030 et 2050?

Le président : Nous aimerions une note rapide. C’est à vous.

Mme Russell : Je peux attribuer une note, et j’irais peut-être avec un C+. Je suis d’accord. J’aime voir des objectifs intelligents avec des paramètres définis, et ayant rédigé cette stratégie au nom de RNCan, chaque fois qu’elle a été examinée par différents groupes et gouvernements à différents niveaux, elle a été édulcorée. Soyons honnêtes. Tout le monde a des intérêts différents. Nous en avions donc mis quelques-uns dans la stratégie, mais ils n’ont pas été retenus. En ce qui concerne les « 30 centres de déploiement d’ici 2030 », pour être honnête, j’essaie de commencer à donner des chiffres parce que nous les voyons prendre une forme qui ne fait pas partie de la stratégie. Mais en fin de compte, j’attribuerais un C+.

M. Kirby : Je suis d’accord avec Mme Russell pour dire que nous obtenons actuellement un C+. Il y a beaucoup d’intention de faire avancer les choses, mais nous devons mettre en place ces normes et des mesures concrètes.

La sénatrice McCallum : Je me sens également très néophyte ici.

J’aimerais maintenant parler des peuples autochtones, plus précisément du racisme environnemental et géographique qui existe. Les terres autochtones demeurent des lieux attrayants, qu’il s’agisse de terres destinées à la production hydroélectrique ou à l’extraction de métaux pour les batteries des véhicules électriques, bien qu’il s’agisse de deux domaines distincts. Ce racisme sera-t-il perpétué avec les piles à combustible? Quelles sont les zones de conflit potentielles, comme les pipelines, dont nous devons être conscients? La question que je pose est la suivante : le Canada atteindra-t-il la carboneutralité au détriment, encore une fois, de la santé et de la vie des peuples autochtones?

M. Kirby : Je ferai de mon mieux pour répondre à votre question, sénatrice.

Les possibilités économiques sont énormes. Nous avons eu un certain nombre de discussions avec des groupes des Premières Nations. Je sais qu’il y a un certain nombre de Premières Nations qui s’apprêtent à faire preuve de leadership en utilisant leurs ressources pour produire de l’hydrogène et à aider à codiriger des projets qui produiront de l’hydrogène ou à aider leurs collectivités à déployer des technologies de l’hydrogène.

À ce stade-ci, il est difficile de dire comment les choses se dérouleront. Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit dans l’hydrogène qui empêche la participation des Premières Nations. Au contraire, prenons seulement l’exemple d’une petite communauté qui dispose d’une source d’énergie locale, que ce soit la biomasse, l’énergie éolienne ou solaire. Elle veut en profiter pour assurer son chauffage, son électricité et son carburant de transport, et ce, de façon rentable. En combinant l’hydrogène, les batteries et d’autres technologies, elle peut le faire. Ces communautés peuvent être indépendantes sur le plan énergétique et, au lieu d’être obligées d’importer du diesel à un prix plus élevé et d’être désavantagées en raison de leurs coûts énergétiques, elles peuvent utiliser leurs sources d’énergie locales pour potentiellement, avec le développement et le travail, être rentables.

Mme Russell : C’était une bonne réponse.

Pour répondre à la question, je dirais simplement : « J’espère vraiment que non. » Nous avons fait tellement de tort dans le passé, et nous devons faire les choses différemment à l’avenir.

Le passage à la carboneutralité devrait nous aider tous à assainir l’air et l’eau, car l’hydrogène a beaucoup de propriétés différentes de celles de carburants comme l’essence, le diesel et le bitume qui circulent dans nos systèmes énergétiques aujourd’hui. En cas de déversement, ils sont très dangereux pour ceux qui nous entourent. Peu importe ce que nous faisons en tant qu’êtres humains, nous créons habituellement des dommages quelconques. Si nous construisons de nouveaux pipelines, et il ne sera pas possible de l’éviter, il faut examiner ce qu’ils contiennent. Quand je regarde l’hydrogène, je me sens tellement mieux, parce que s’il fuit, il se disperse rapidement et ne contamine pas le sol. C’est tout simplement un carburant très différent et plus propre.

Je pense donc qu’il y aura des améliorations, mais nous devons travailler très fort à l’avenir.

La sénatrice McCallum : Votre industrie reçoit-elle déjà des subventions? Si elle devient prédominante, est-ce que les coûts vont augmenter?

M. Kirby : Le gouvernement, à divers niveaux, a appuyé les carburants propres en général, et l’hydrogène en particulier, de sorte que nous en retirons certains avantages aujourd’hui. Ces mesures sont nécessaires pour faire avancer les choses.

Mais fondamentalement, l’hydrogène est moins cher que l’essence et le diesel une fois que nous avons l’infrastructure en place et les postes de ravitaillement dont nous avons besoin. Il sera très concurrentiel sur le plan des coûts et nous permettra de ne plus dépendre du transport du pétrole et du gaz qui coûte cher partout au pays, comme l’a dit Mme Russell.

Il y aura aussi des augmentations de coûts, comme pour le chauffage. Aujourd’hui, nous utilisons du gaz naturel bon marché. Avec le temps, il va falloir arrêter de l’utiliser. Les solutions de rechange seront l’électricité et l’hydrogène. Le fait de disposer de ces deux systèmes permettra de réduire au minimum l’augmentation des coûts de chauffage de nos maisons et de nos entreprises. Si nous investissons judicieusement et que nous en tirons parti, nous pourrons réduire au minimum les répercussions de la propreté. Tout cela vaut pour le chauffage. Le coût du transport devrait en fait diminuer.

Le président : Madame Russell, vouliez-vous ajouter quelque chose?

Mme Russell : Non, je pense que c’était bien dit, merci.

Le président : J’ai une brève question avant de passer au deuxième tour.

Nous parlons beaucoup de la façon de rendre notre produit plus concurrentiel et de la façon de le faire fonctionner. Il semble que nous fassions de bons progrès, même si nous ne méritons qu’une note de C+. Quoi qu’il en soit, y a-t-il une possibilité à l’échelle internationale qui nous permettrait, comme pays, de profiter de nos connaissances et d’être plus concurrentiels? De quoi s’agit-il? S’agit-il d’emplois locaux? Y a-t-il un avantage autre que de simplement fournir de l’hydrogène aux Canadiens? Madame Russell, veuillez commencer.

Mme Russell : Bien sûr. Excusez-moi, pouvez-vous répéter la dernière partie de votre question?

Le président : Y a-t-il quelque chose que nous pourrions gagner en tant que pays avec ces connaissances et cette capacité? Nous parlons de consommation locale, mais cette technologie a-t-elle une portée internationale?

Mme Russell : Tout à fait. C’est une occasion en or pour nous. Évidemment, le Canada est un pays exportateur d’énergie. Nous avons des ressources extraordinaires pour notre propre utilisation et nous approvisionnons des partenaires partout dans le monde. Avec l’hydrogène, les possibilités sont énormes.

Pour être honnête, bon nombre des projets de notre entreprise qui sont en cours de développement sont des projets à grande échelle de type gigawatt qui visent à utiliser l’eau propre et l’électricité propre du Canada pour produire de l’hydrogène, le transformer en ammoniac et l’exporter. Cette ressource quitte le Canada, mais elle crée ici une production en vrac qui peut servir à alimenter notre marché local pour réduire les coûts — les économies d’échelle. Tous les promoteurs de projets qui cherchent à attirer des investissements étrangers directs au Canada reconnaissent que nous n’y parviendrons que si nous créons des emplois ici. Nous avons besoin d’une fabrication locale. Il y aura des emplois pour faire fonctionner les usines. Franchement, je pense que le message envoyé à certains d’entre eux est le suivant : « Nous avons aussi besoin que vous investissiez dans notre R-D ici et que vous travailliez avec nos entreprises locales. » Il y a tellement d’avantages indirects aux débouchés internationaux.

Nous avons aussi de nombreuses entreprises qui produisent des biens et des services qui sont utilisés à destination finale. Ballard fabrique des piles à combustible pour de nombreux véhicules en Chine. Une grande partie de nos produits sont envoyés au Japon et en Corée du Sud à partir de la côte Ouest. Ensuite, en Europe, il y a de grandes possibilités et de nouveaux partenariats entre l’Allemagne et le Canada au chapitre de l’hydrogène, ainsi qu’entre les Pays-Bas et le Canada. Ce commerce ne fait que commencer. Il y a là de grandes possibilités.

M. Kirby : Les 160 sociétés membres de l’Association canadienne de l’hydrogène et des piles à combustible, la CHFCA, vendent des produits et des services partout dans le monde aujourd’hui. Je peux vous donner des statistiques tirées d’une enquête récente que nous sommes en train de préparer. Parmi les petites organisations, les revenus ont augmenté de 329 % entre 2017 et 2021; et l’emploi global a augmenté de 60 %, et parmi les petites entreprises, il a augmenté de 109 %. On investit dans ces entreprises pour les aider à croître et à accroître leur production. Il y a actuellement d’énormes avantages économiques, et cela peut se poursuivre si nous soutenons le secteur comme il se doit.

Le président : Merci. Le temps est presque écoulé. Je vais demander aux sénateurs Carignan et Galvez de poser leurs questions. Mesdames et messieurs les témoins, veuillez prendre note des questions, et je vous demanderai d’y répondre en une seule intervention.

[Français]

Le sénateur Carignan : Hier, je parlais avec le dirigeant d’une aciérie au Québec. Il voulait utiliser de l’hydrogène. Nous accueillons ces temps-ci des témoins et je faisais mon travail de membre du comité. C’était extrêmement intéressant. Il m’expliquait comment on peut réduire de façon extrêmement importante les gaz à effet de serre produits par de gros consommateurs industriels, dont les aciéries et les cimenteries. Je pense à Port-Daniel—Gascons, notamment, qui est un des principaux producteurs de gaz à effet de serre au Québec. Ils ont beaucoup contribué à l’augmentation des gaz à effet de serre.

Pourriez-vous me parler un peu de ce sujet? Ne serait-ce pas le genre de priorisation qu’on pourrait faire, soit fournir de l’hydrogène à ces gros consommateurs pour avoir un impact plus rapide sur la réduction des gaz à effet de serre, plutôt que de créer tout un réseau de distribution pour l’automobile, par exemple?

[Traduction]

La sénatrice Galvez : M. Kirby dit que nous avons eu plusieurs sources pour produire de l’hydrogène, mais je m’interrogeais sur la situation du projet Quest. Comment se fait-il que certains disent qu’au lieu de réduire les émissions, il les augmente? L’entreprise a démenti cette affirmation. Quel est donc le problème? S’agit-il d’un problème de données ou de transparence? Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Mme Russell : En ce qui concerne les grandes industries, et la production d’acier représente certes une excellente occasion pour l’hydrogène, je pense que nous devrions nous concentrer sur les applications à grande échelle qui sont de grands émetteurs. En fait, nous avons examiné certaines exploitations sidérurgiques et minières au Québec et nous y voyons d’excellentes possibilités.

Le défi est toutefois le suivant. Bon nombre de ces grandes industries utilisent l’hydrogène pour le chauffage. Dans l’acier, on l’utilise pour la réduction directe et pour la production de chaleur. À titre de comparaison, il s’agit d’énergie bon marché. Nous parlons ici de mazout C et de gaz naturel, une énergie bon marché, mais très nocive, mais tout le monde tient compte des aspects économiques. La façon la plus rentable d’utiliser l’hydrogène aujourd’hui réside dans le transport, et c’est pourquoi nous parlons beaucoup de transport. L’hydrogène remplace l’essence et le diesel, avec des moteurs plus efficaces.

Quand on parle de centres de déploiement, on parle aussi de réunir de multiples utilisations finales au même endroit. La meilleure chose à faire, c’est de jumeler une forte demande à un site industriel où nous fabriquons de l’hydrogène dans cette optique, et de décarboniser des produits comme l’acier, mais nous fournissons également de l’hydrogène pour un marché de transport local, parce que c’est alors une façon de tirer une valeur de ce carburant de transport.

Pour ce qui est du projet Quest, il est frustrant, pour quelqu’un qui travaille dans l’industrie depuis tant de temps, de lire certains articles publiés. Mais voyons... est-ce que le premier projet d’une nouvelle technologie répond toujours à ses objectifs d’efficacité à long terme? Bien sûr que non. Il n’est évidemment pas aussi efficace que si l’on construisait l’usine le même jour. Cependant, je trouve qu’on a publié beaucoup d’information trompeuse sur la réduction des émissions. M. Kirby pourra probablement vous donner quelques faits, car je ne suis pas d’accord avec la conclusion selon laquelle le captage et la séquestration du carbone accroissent les émissions. Ce n’est pas vrai du tout. Il est bien possible que l’un des premiers projets se soit heurté à quelques difficultés dont on a tiré des leçons, mais notre jugement général ne devrait pas reposer sur cette seule expérience.

M. Kirby : À la base, pour répondre à la première question, je suis tout à fait d’accord sur le fait que la transformation industrielle nous présente une occasion en or, mais nous ne pouvons pas obtenir l’un ou l’autre; nous devrons accepter les deux. Nous devrons décarboner le transport, ce qui génère une source massive d’émissions; nous devrons décarboner la transformation industrielle, ce qui génère une source massive d’émissions, et nous devrons faire les deux. En les combinant dans des centres, comme Mme Russell l’a dit, nous pouvons le faire de façon plus rentable et plus efficiente.

Quant au projet Quest, quand John Glenn a fait sa première orbite autour de la Terre, nous ne l’avons pas critiqué parce qu’il ne s’est pas rendu jusqu’à la Lune. Le projet Quest a débuté il y a plus de 10 ans. C’était une nouvelle technologie qui permettait de séquestrer plus de 3 ou 4 millions de tonnes de CO2, je crois. Eh bien oui, il ne capte pas tout le CO2 émis par ces procédés. Il en capture seulement un peu plus de la moitié.

Les nouvelles technologies capteront 95 % du carbone. Elles découlent de la technologie du projet Quest. Elles s’appuient sur les leçons que le Canada a tirées de cette expérience, et elles captureront 95 % du carbone. Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’en mettant en place une nouvelle capacité de production d’hydrogène, on ne reproduira pas les méthodes de la société Quest. On atteindra 95 %, et c’est ce que font les gens. Les nouveaux projets capteront 95 % du carbone. C’est très propre et cela nous met sur la voie de la carboneutralité.

Le président : Je remercie M. Mark Kirby, président et chef de la direction de l’Association canadienne de l’hydrogène et des piles à combustible, ainsi que Mme Sabina Russell, directrice et cofondatrice de Zen Clean Energy Solutions, de leur disponibilité et de nous avoir fait part de leurs connaissances. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous reprendrons probablement cette conversation avec vous très bientôt.

[Français]

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons, à titre personnel, Normand Mousseau, professeur de physique et directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier de l’Université de Montréal, David Layzell, architecte des systèmes énergétiques de L’Accélérateur de transition, de l’Université de Calgary, et James Meadowcroft, professeur à l’École de politique publique et d’administration de l’Université Carleton.

[Traduction]

Bienvenue à tous et merci d’être parmi nous ce matin. Nous allons commencer par M. Mousseau.

[Français]

Vous avez la parole.

Normand Mousseau, professeur de physique et directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier, Université de Montréal, à titre personnel : Merci pour cette invitation. Je suis très honoré d’être ici. Je suis également, outre les titres que vous avez donnés, cofondateur et directeur scientifique de L’Accélérateur de transition, dont on va parler davantage tout à l’heure. Je suis aussi membre fondateur du conseil d’administration de l’Institut climatique du Canada.

L’analyse que je vais présenter va s’appuyer notamment sur tout ce travail, mais aussi sur les perspectives énergétiques canadiennes, qui sont des analyses de scénarios de décarbonation pour le Canada en s’appuyant sur les modélisations technico-économiques les plus sophistiquées au Canada aujourd’hui.

Dans la transition énergétique, le rôle de l’hydrogène n’est pas complètement établi, donc il y a encore beaucoup de questions sans réponse.

D’abord, il faut comprendre que la nature même de l’hydrogène est complexe. Il peut être une source d’énergie secondaire, grâce à l’hydrogène gris ou bleu qui est produit à partir du reformage du méthane. C’est une nouvelle énergie, si l’on veut, ou un vecteur énergétique, c’est-à-dire une façon de stocker de l’énergie électrique, que l’on appelle l’hydrogène vert, produit à partir de l’électrolyse de l’eau. Ce sont deux enjeux différents sur le plan de l’accès à l’énergie.

On doit aussi considérer l’évolution des technologies dans la production de l’hydrogène, notamment dans la production de l’hydrolyse, mais aussi dans la production d’hydrogène bleu, c’est-à-dire des énergies à faibles émissions de carbone. Il y a des enjeux là-dessus, mais on a également vu une évolution des technologies dans son utilisation, que ce soit pour des sources de chaleur ou d’électricité.

Enfin, il faut considérer la diversité du système énergétique canadien. Les approvisionnements en différents types d’énergie partout au pays sont très différents, ce qui soulève des enjeux et signifie qu’on ne peut pas nécessairement appliquer une solution unique dans tout le Canada.

Dans nos modélisations, il est clair que l’atteinte des objectifs climatiques au Canada s’appuiera avant tout sur une électrification large des services énergétiques avec, en parallèle, la décarbonation de la production d’électricité. L’électricité ne pourra pas tout faire directement. C’est pour cela que d’autres sources et vecteurs énergétiques seront nécessaires pour des usages particuliers, afin de renforcer la résilience du système énergétique — on en a parlé un peu avant — et pour augmenter l’alignement entre une offre et une demande énergétiques.

Puisque l’hydrogène seul ou en composé chimique n’émet pas de gaz à effet de serre dans son utilisation, c’est certainement, et on le découvre de plus en plus, un complément idéal qu’on peut classer dans le contexte d’hydrocité — hydrogène plus électricité — qui créerait un système énergétique intégré. Il y a des défis importants qui persistent. D’abord, il faut produire de l’hydrogène avec une source à faibles émissions de GES. Selon moi, si l’on veut vraiment embarquer dans l’hydrogène, il est essentiel d’indiquer très, très rapidement ce qu’on veut dire par hydrogène de bas carbone, car c’est une définition qui peut être resserrée dans le temps. C’est absolument important.

Quand on parle de bas carbone, il s’agit d’un cycle de vie complet à partir du méthane, depuis l’extraction jusqu’à la production d’hydrogène. Cela doit être bien encadré, sinon il y aura une opposition qui empêchera la transformation. Il faut s’assurer que l’utilisation de l’hydrogène permet d’atteindre la carboneutralité. Cela ne doit pas être une excuse pour maintenir en place un réseau de gaz naturel ou maintenir des hydrocarbures fossiles autour. On voit quand même des tensions de ce côté.

Il faudra aussi des stratégies régionales, parce que le réseau électrique actuel est très différent partout au Canada et que l’hydrogène vert coûte beaucoup plus cher à produire que ce que devrait coûter l’hydrogène bleu, qu’on ne produit pas encore présentement. Les rôles seront différents dans tout le Canada et il faudra en tenir compte. Quand on parle d’hydrogène, il faut bien comprendre qu’on a des prix extrêmement différents en fonction de la façon dont on produit l’hydrogène, et que ces prix auront un impact sur le rôle optimal qu’il jouera dans les différentes structures.

Ensuite, on a besoin d’une véritable approche de politique industrielle. On a parlé des pôles d’appui ou de structuration, qui sont essentiels, et avec L’Accélérateur de transition, on est impliqué dans de tels pôles. Le Canada n’a pas une approche très efficace de politique industrielle en général, et pas seulement avec l’hydrogène.

La stratégie de l’hydrogène qui a été proposée reste très dispersée et vague et ne permet pas vraiment de structurer une transition ou une réelle transformation. On a besoin d’une approche proactive qui va rassembler les bons joueurs, identifier les barrières réglementaires structurelles à l’hydrogène et trouver comment on va soutenir le rôle optimal de l’hydrogène, plutôt que de se disperser ou de soutenir des choses qui n’ont pas de sens du point de vue économique. Merci.

Le président : Merci, monsieur Mousseau.

[Traduction]

David Layzell, architecte des systèmes énergétiques, L’Accélérateur de transition, Université de Calgary, à titre personnel : Je suis très heureux d’être ici et de comparaître devant le comité aujourd’hui.

Je suis l’architecte des systèmes énergétiques de l’Accélérateur de transition. Il s’agit d’un organisme de bienfaisance pancanadien sans but lucratif qui a été créé il y a environ trois ans pour accélérer la transition vers un avenir énergétique carboneutre. Mes collègues, Normand Mousseau et James Meadowcroft, et moi-même avons participé à la mise sur pied de ce programme. Il est indépendant de l’Université de Calgary. Il ne fait pas partie de l’Université de Calgary. C’est ma deuxième casquette.

La transition vers une économie de l’hydrogène n’est pas seulement importante pour l’environnement. Elle offre aussi au Canada une rare occasion économique de générer 100 milliards de dollars par année pour la mise au point de nouveaux transporteurs d’énergie à émission zéro que nous pourrions utiliser au pays et exporter dans le monde.

Le Canada, comme nous l’avons déjà entendu dire dans cette présentation, offre l’une des sources les moins coûteuses de production d’hydrogène bleu et vert. Le Québec a la capacité de produire l’hydrogène vert, et l’Alberta et la Saskatchewan pourront produire l’hydrogène bleu. Cela ouvre des débouchés très intéressants. L’hydrogène pourrait être un moyen de réunir les diverses régions du Canada autour d’une vision commune de l’avenir énergétique, ce qui serait un changement très bienvenu pour notre pays, à mon avis.

À l’heure actuelle, l’un des plus grands défis d’une nouvelle économie de l’hydrogène est la nécessité de développer la demande en hydrogène. Je crois que le premier groupe de témoins, M. Kirby et Mme Russell, vous l’a déjà dit. S’il y a une demande, à notre avis, les forces du marché se développeront de manière à y répondre. Cependant, comme M. Kirby l’a affirmé de façon très éloquente, il sera crucial au début de coordonner l’offre et la demande dans des régions concentrées, de créer une échelle efficace dans des pôles d’hydrogène afin d’en réduire les coûts et d’en accélérer le déploiement.

En examinant les instruments politiques qui nous permettraient de nous concentrer sur la demande, j’ai quelques observations à souligner.

Il faudra d’abord créer des pôles d’hydrogène. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent coordonner leurs efforts pour fournir un soutien financier efficace aux organismes de développement économique régional afin qu’ils évaluent la faisabilité de mettre en place de nouvelles chaînes de valeur de l’hydrogène. Dans l’Accélérateur de transition, nous appelons cela des rapports de base.

Ensuite, il faut offrir un financement efficace aux régions les plus prometteuses pour créer ces pôles d’appui qui réuniront les consortiums et d’où on lancera des projets pilotes ainsi que des projets de démonstration et de commercialisation. En fait, ces pôles serviront à bâtir l’économie de l’hydrogène dans ces régions et à créer de nouvelles chaînes de valeur qui relieront l’offre à la demande.

Deuxièmement, il faudra créer une demande dans le secteur du transport lourd. Comme le groupe précédent l’a souligné, le transport est le domaine qui facilitera le déploiement de l’économie de l’hydrogène.

Nous devrons également créer une demande d’hydrogène pour les secteurs du chauffage et de l’électricité. Compte tenu du coût de l’énergie actuel, il serait plus difficile d’utiliser de l’hydrogène, disons, pour le chauffage des locaux ou pour le chauffage industriel. Mais lorsqu’on compare l’utilisation de l’hydrogène et celle de l’électricité pour le chauffage dans de nombreux pays, l’hydrogène est dans bien des cas une solution plus judicieuse. Nous ne pouvons cependant pas en décider maintenant. Il faut commencer par mener des programmes pilotes et des démonstrations. Par exemple, il faudra essayer d’injecter de l’hydrogène — un mélange d’hydrogène — dans des gazoducs, puis mettre en place l’infrastructure nécessaire et enfin, le moment venu, convertir l’hydrogène pur pour chauffer des bâtiments industriels, résidentiels et commerciaux.

Troisièmement, il y a la demande de stations de ravitaillement en hydrogène. Elle est très importante. Nous ne pourrons pas passer à l’hydrogène pour le camionnage lourd, les autobus et les trains si nous n’avons pas l’infrastructure et les postes de ravitaillement en carburant nécessaires pour alimenter ces véhicules. Il faudra des subventions pour installer des stations de ravitaillement stratégiquement autour des pôles et des corridors d’hydrogène. Il faudra également soutenir les programmes de formation collégiale sur la construction et sur l’entretien de ces stations.

Ma quatrième observation concerne les infrastructures de stockage et de transport de l’hydrogène. Il faudra fournir des subventions de capital pour le stockage et le transport de l’hydrogène, notamment pour les compresseurs, pour les liquéfacteurs, pour les pipelines d’hydrogène — ils seront extrêmement importants — et pour les cavernes de sel où stocker de grandes quantités d’hydrogène pour faire face aux changements saisonniers et temporels de la demande et de l’offre. Il faudra aussi soutenir l’adaptation des gazoducs au transport d’hydrogène pur. Il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine.

Enfin, pour que l’hydrogène soit considéré comme un carburant à faibles émissions de GES, il faudra adopter une production d’hydrogène à faibles émissions de carbone afin de respecter la norme relative aux émissions maximales de gaz à effet de serre pendant son cycle de vie. Je suggère que l’on assujettisse toutes les émissions de combustibles fossiles des entreprises à une taxe sur le carbone. On pourra alors utiliser ces recettes pour faire passer ces entreprises à la production de carburants à émission zéro, comme l’hydrogène ou l’ammoniac, afin qu’elles abandonnent leur production des carburants que nous devons remplacer, soit l’essence, le diesel, le carburéacteur et le gaz naturel.

Merci beaucoup de m’avoir invité à vous présenter ces observations.

Le président : Merci beaucoup.

Monsieur Meadowcroft, à vous la parole.

James Meadowcroft, professeur, École de politique publique et d’administration, Université Carleton, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

Il sera extrêmement difficile d’atteindre la carboneutralité au cours des prochaines décennies, car cela nous forcera à abandonner les combustibles fossiles dans toutes nos utilisations finales. Nous devons donc nous concentrer sur les émissions des procédés de diverses industries et de l’agriculture. Nous devrons aussi, bien sûr, éliminer le dioxyde de carbone de l’air afin d’atteindre la vraie « neutralité », si vous voulez bien. Ces technologies sont encore immatures, incertaines et très coûteuses.

Nous faisons donc face à un grand défi. Toutes les études menées à l’étranger laissent entendre que l’hydrogène sera un pilier essentiel, parce que nous ne pouvons pas tout électrifier. Nous avons particulièrement besoin de carburants à faible teneur en carbone pour le transport lourd, pour les gros camions, les trains, les traversiers et autres ainsi que pour l’industrie lourde, notamment l’acier, le ciment et autres, pour le chauffage à haute température et peut-être aussi pour d’autres types de chauffage.

Le Canada est bien placé pour produire l’hydrogène requis pour cet effort de décarbonisation. Nous avons pour cela des technologies et beaucoup de ressources, comme l’ont souligné les témoins précédents.

Je vais vous présenter d’autres points à considérer au sujet de l’hydrogène.

Premièrement, au cours de ces prochaines décennies, il sera essentiel à la décarbonisation.

Deuxièmement, comme M. Layzell l’a souligné, l’hydrogène ouvre pour le Canada d’excellents débouchés économiques qui profiteront à notre économie et à notre secteur de l’exportation. Nous y gagnerons autant sur le plan économique que sur le plan environnemental. Cependant, je voudrais souligner deux autres points.

D’abord, d’une certaine façon, l’hydrogène sera un facteur d’unité nationale, parce que nous pourrons l’exploiter de diverses façons en utilisant des ressources situées dans différentes régions du pays, ce qui contribuera à les unir. Cela m’amène à mon deuxième point, à savoir que dans une certaine mesure, le secteur des combustibles fossiles pourrait survivre dans un monde énergétique décarboné.

L’une des voies de production de l’hydrogène consiste à transformer les combustibles fossiles en captant et en stockant le carbone ou en utilisant d’autres moyens qui empêchent les gaz à effet de serre de s’échapper dans l’atmosphère. Cela permettrait au Canada de continuer d’exporter de l’énergie, même dans un monde entièrement décarboné.

Ce sont là de bonnes raisons de porter attention à l’hydrogène.

Je voudrais aussi souligner une chose que des témoins précédents ont déjà mentionnée. On hésite toujours à définir le rôle que le gouvernement devrait assumer dans le développement de nouvelles technologies. Le gouvernement devrait-il sélectionner les entreprises qui s’en chargeront? Personne ne veut que le ministre de l’Énergie affirme qu’il aime une certaine entreprise parce que son beau-frère y travaille, ou quelque chose du genre. Nous ne voulons pas sélectionner les entreprises de cette manière. Cependant, le gouvernement doit participer au développement de technologies énergétiques à grande échelle. Le Canada n’aurait pas eu d’industrie nucléaire sans la participation du gouvernement, et il n’y aurait pas eu non plus de sables bitumineux en Alberta. Dans tous les pays du monde, le gouvernement joue un rôle de premier plan dans le développement de technologies énergétiques à grande échelle. Il contribue à la construction des infrastructures, à l’établissement des normes et autres.

Cela m’amène à la question de la stratégie industrielle, ou économique, dont a parlé M. Mousseau. À l’avenir, elle sera cruciale pour de nombreux secteurs du Canada. Dans vingt, trente ou quarante ans, le monde de l’énergie sera complètement transformé. Si nous voulons que le Canada soit prospère et concurrentiel dans ce monde-là, il nous faudra une stratégie industrielle verte, ou à faibles émissions de carbone, quel que soit le nom qu’on lui donne. L’hydrogène en sera évidemment un élément essentiel. Il n’est pas le seul élément au Canada, mais il est essentiel.

Pour ce faire, les différents ordres de gouvernement devront établir une série de politiques, d’initiatives et, surtout, une vision à long terme, parce que nous ne savons pas vraiment par où commencer. Nous devons réfléchir à la façon dont nous voulons que l’hydrogène soit intégré à nos systèmes énergétiques dans 20 ou 30 ans, parce qu’il faudra tout ce temps pour en préparer l’utilisation. Il existe de nombreuses politiques précises. Il y a le mandat des véhicules à émissions zéro. Les véhicules lourds auraient vraiment besoin de rouler à l’hydrogène. Il faudra développer les pôles d’hydrogène. Nous pourrions discuter de bien des choses, mais nous devrons le faire avec clarté dans le cadre d’une vision visant à bâtir une nouvelle économie énergétique pour les Canadiens.

Merci.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci à nos témoins. Ma question s’adresse à M. Mousseau.

Vous avez parlé, un peu trop brièvement à mon goût, des tensions présentes dans le marché de l’hydrogène. Ce que vous avez dit, c’est que, évidemment, il y a différentes façons d’en produire, mais il faut quand même que toutes les façons mènent à la carboneutralité, ce qui nous rapporte aux différences dans la production de l’hydrogène, que l’on soit en Alberta ou au Québec.

Est-ce que tout cela est viable en même temps, alors que l’une des méthodes capture le CO2 et que l’autre n’en produit pas?

Toutefois, vous avez dit que c’est beaucoup plus cher de faire de l’hydrogène vert que de l’hydrogène bleu; il semble y avoir des contradictions. J’aimerais vous entendre parler des tensions, parce que votre collègue a parlé d’un programme qui pourrait favoriser l’unité nationale. On ne semble donc pas tout à fait sur la même longueur d’onde.

M. Mousseau : Merci pour cette question. Tout d’abord, quand je parle de tensions, l’hydrogène n’est, évidemment, pas produit de la même façon partout au Canada.

Il faut comprendre que l’hydrogène vert n’est pas une nouvelle énergie. On prend de l’électricité, on la transforme en hydrogène et on perd 30 % de l’énergie durant la transformation. Ce n’est donc pas une énergie qui va ajouter quoi que ce soit ou compenser pour l’électricité.

Dans le cas de l’hydrogène bleu, qui est le seul hydrogène qu’on peut imaginer produire, c’est une nouvelle énergie. On prend le gaz naturel et on le transforme; c’est donc une nouvelle énergie secondaire qui ajoute un plus au système actuel et qui est produite à plus faible coût, même dans un contexte où l’on va faire de la séquestration.

Je suis d’accord pour dire que, en ce moment, on ne fait pas de séquestration à 90 % ou 95 % dans un cycle de vie. Il y a des défis et il faut se demander si on va y arriver. Tout n’est pas résolu actuellement dans cette question de production. Nos modélisations montrent qu’on n’a pas le choix; il va falloir s’appuyer sur l’ensemble si on veut atteindre la carboneutralité.

Finalement, ce n’est pas tant dans la production d’hydrogène qu’il faut voir la question nationale que dans son utilisation, c’est-à-dire qu’il y aura des technologies d’utilisation de l’hydrogène, que ce soit dans l’industrie lourde, le transport lourd, dans certaines applications de pointe et d’autres, qui vont varier un peu partout au pays, mais qui vont provoquer plusieurs transformations, si l’on veut. Donc, la demande d’utilisation de l’hydrogène variera au Canada, mais c’est une façon de voir une transformation qui viendra appuyer l’électrification à des degrés divers partout au pays.

[Traduction]

M. Layzell : Comme nous l’avons déjà souligné, il est très difficile de transporter et de stocker l’hydrogène. Si l’on veut établir un pôle d’hydrogène au Québec, il faudra utiliser de l’hydrogène vert, parce que cette province produit beaucoup d’électricité. Elle est peu coûteuse, et il est possible de l’amener jusqu’aux installations de production d’hydrogène.

En Alberta, nous produisons déjà chaque jour environ 5 000 ou 6 000 tonnes d’hydrogène. C’est une matière première industrielle, et nous avons des projets de plusieurs milliards de dollars pour produire de l’hydrogène en relâchant de très faibles émissions de carbone. D’ici à 2025, nous commencerons à les voir. Je dirais qu’il est plus logique de le faire en Alberta, qui ne dispose pas de grandes ressources hydroélectriques et d’électricité à faible teneur en carbone pour produire de l’hydrogène bleu.

En fait, une fois produit, l’hydrogène, c’est de l’hydrogène. Je vois ici une occasion de favoriser l’hydrogène vert et l’hydrogène bleu et de déterminer où ils serviront le mieux. Nous avons besoin des deux pour réaliser la transition vers la carboneutralité.

Le président : Monsieur Meadowcroft, vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. Meadowcroft : Je suis satisfait de ces réponses.

La sénatrice Galvez : Je remercie nos témoins. Cette conversation était très intéressante.

Vous avez tous trois mentionné la nécessité de revoir notre politique industrielle. Le Canada a bien réussi à fixer ses engagements, mais il n’a jamais atteint ses objectifs de réduction des émissions. À mon avis, cela découle de l’absence d’une politique industrielle ou de la difficulté d’en établir une. Nous savons que nous devons investir dans des technologies efficaces et respecter nos engagements climatiques. Pourriez-vous nous nommer une ou deux conditions dans lesquelles cette politique industrielle fonctionnerait, afin que dans notre rôle de législateurs, nous puissions exercer des pressions en ce sens?

[Français]

M. Mousseau : Je vais d’abord laisser parler mes deux autres collègues, qui sont plus au courant des questions de développement industriel, puis je reviendrai pour compléter.

[Traduction]

M. Layzell : Pendant la majeure partie des 25 dernières années où nous avons voulu réduire sensiblement nos émissions de gaz à effet de serre, la plupart des politiques du gouvernement canadien ont visé des réductions progressives. Il y a deux ou trois ans, le concept de carboneutralité est né. Je ferais valoir, au sein de l’Accélérateur de transition et personnellement, que la carboneutralité change tout. Il y a des millions de façons d’obtenir des réductions progressives, mais lorsqu’on parle de carboneutralité pour 2050, la plupart de ces réductions progressives sont écartées, et il reste relativement peu de choses à faire. Je dirais que c’est un progrès incroyable au Canada que de commencer à parler de carboneutralité et à vraiment comprendre ce que nous devons faire. Cela nous ramène vraiment, par exemple, à l’aspect industriel.

Nous devons réduire massivement nos émissions, mais lorsqu’on sait qu’il faut arriver à la carboneutralité, il faut savoir d’où proviennent les émissions. Or, 46 % des émissions au Canada viennent de la combustion finale distribuée de l’essence, du diesel, du carburéacteur et du gaz naturel. De toute évidence, nous devons remplacer ces vecteurs énergétiques. Nous devons articuler tout cela, obtenir la collaboration du gouvernement fédéral et des provinces là-dessus et décider par quoi nous allons les remplacer.

L’électricité à zéro émission est probablement le plus grand vecteur énergétique à zéro émission pour l’avenir. L’hydrogène joue aussi un rôle très important. Les biocarburants viennent en troisième lieu. Il n’y en a pas beaucoup d’autres qui peuvent réellement atteindre l’objectif. Cela nous permet d’avoir une pensée claire pour avoir un dialogue avec notre industrie au sujet de la voie de transition à suivre pour chacun de ces secteurs, qu’il s’agisse de l’acier, de ce que feront les secteurs pétrolier et gazier, et cetera. Il y a des options pour chacun.

Nous devons changer le problème que nous voulons résoudre ici. Il ne s’agit pas seulement de réductions progressives; il faut plutôt viser zéro émission.

M. Meadowcroft : J’ajouterais une chose. Lorsque je parlais de politique industrielle, je parlais non seulement de la décarbonisation de l’industrie, mais aussi de la mise en place d’industries concurrentielles, avec accent sur les exportations et ce genre de choses.

Pour cette partie de la réponse à votre question, il faut commencer par voir quelle est la situation économique du Canada et quelles sont les ressources que nous pourrions exploiter dans un monde à faible densité de carbone. Par exemple, nous avons beaucoup de biomasse, nous avons ces ressources minérales qui seront nécessaires pour les batteries et toutes sortes d’utilisations à la faveur desquelles l’électrification se répandra dans les sociétés à l’échelle internationale, et nous avons les ressources forestières pour fournir tout le bois et pour réduire le contenu en carbone des bâtiments.

Il faut voir ce que nous avons déjà et que nous faisons bien — les compétences et les technologies — et les industries qui peuvent être transformées à l’avenir. Ensuite, il faut penser prospectivement, dresser des feuilles de route pour ces industries et voir comment les intégrer dans de puissants secteurs concurrentiels à l’échelle mondiale, et ainsi de suite.

Le Canada est un pays de taille moyenne à l’économie axée sur l’exportation. Nous sommes exposés au commerce. Cela fixe certains critères pour le genre d’industries que nous pouvons développer. Nous ne devançons pas la Chine en construction de panneaux solaires, mais il y a de nombreux créneaux importants dans une économie à faible intensité de carbone où nous pourrions prospérer. Mais nous devons les identifier dès maintenant pour aller de l’avant avec notre propre politique climatique et pour gérer notre économie de manière à faire notre contribution à l’échelle internationale.

[Français]

Le président : Monsieur Mousseau, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Mousseau : Oui, j’ai quelques éléments à ajouter. Tout d’abord, il y a un aspect important qu’il faut comprendre. Nous devons réduire les barrières. L’utilisation de l’hydrogène comporte plusieurs obstacles, et il en va de même pour la transformation. Or, on porte peu attention à ces enjeux. Il faut passer par la réglementation pour faciliter le développement. Souvent, c’est un aspect que l’on oublie. Des projets pilotes sont mis sur pied et on est incapable de passer à l’étape suivante.

De plus, il faut intégrer des marchés. Au Canada, bien souvent, on soutient le développement de technologies, mais on n’ouvre aucune porte sur le marché. La façon dont sont conçus les appels d’offres fait en sorte qu’on ne peut pas appuyer ces technologies pour les raisons de réglementation que j’ai mentionnées, soit le design des appels d’offres et autres. On a un gros problème de ce côté. Il nous manque donc une vision intégrée du moment où l’on développe jusqu’au moment où l’on déploie à grande échelle. C’est un peu ce que veulent faire les hubs tels qu’on les conçoit présentement. Cet enjeu est majeur. Dans le plan du gouvernement fédéral qui a été déposé hier, on voit un grand manque d’attachement; on voit plusieurs programmes et dépenses, mais sans vision intégrée vers un but bien défini. C’est comme cela que les politiques doivent être structurées.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui. C’est très instructif.

Ma question s’adresse à M. Mousseau. Le Trottier Institute for Science and Public Policy a mené une étude approfondie, documentée dans une publication, sur les perspectives énergétiques canadiennes en 2021. Vous avez beaucoup parlé de stratégies régionales aujourd’hui également. La Saskatchewan a été l’une des premières administrations à adopter des technologies de séquestration du carbone. Pourriez-vous commenter les procédés de production d’hydrogène bleu et leur lien avec le captage et la séquestration du carbone, surtout pour ce qui est des défis liés au captage à grande échelle.

[Français]

M. Mousseau : En fait, cet aspect est crucial. Il faudra que l’on fasse de la séquestration. À l’échelle mondiale, aucune infrastructure ne fait de séquestration sur le plan du cycle de vie complet pour nous amener au point qui nous permettrait de parler réellement d’hydrogène bleu. Il faudra investir dans ces technologies dans un contexte bien particulier et avec l’objectif de dire : « Voici la production que l’on vise comme produit final. » Comment s’assurer que toute la ligne de production vers l’hydrogène nous amène à 90 % ou 95 %? Il ne suffit pas de parler d’un point ici, d’un point là, de cette machinerie ou de celle-là. Il faut une vision intégrée pour s’assurer que, à chaque étape, on réduit les émissions. Les enjeux technologiques, on l’a vu avec le projet Boundary Dam, en Saskatchewan, posent un défi considérable. Il est important que l’on ait des exemples pour apprendre et construire. Toutefois, nous n’en sommes pas là.

[Traduction]

M. Layzell : Le captage du CO2 doit se faire à très grande échelle pour être rentable. Nous l’avons appris en Saskatchewan et grâce aux travaux réalisés sur le captage et le stockage du carbone en Alberta. Ces travaux confirment qu’il faut capter 1 ou 2 millions de tonnes de dioxyde de carbone par année, ce qui signifie qu’on ne captera pas le CO2 à la sortie du tuyau d’échappement de chaque voiture ou de la cheminée de chaque maison. C’est avec les très grandes installations industrielles qu’il faut travailler.

Si l’on veut capter du CO2, il est logique aussi de changer le procédé de génie chimique de ce qu’on essaie de faire également. Par exemple, lorsqu’on fait de l’hydrogène à partir de gaz naturel, on remplace le procédé de reformage vapeur-méthane par le procédé auto-thermo. L’auto-thermo est un procédé différent produisant un flux de CO2 pur qui coûte moins cher comme procédé normal pour la production d’hydrogène bleu. Mais cela se fait à très grande échelle, si bien que les investissements en infrastructure peuvent se justifier.

Ce qu’il faut faire, je pense, c’est commencer à penser aux corridors de CO2 — les corridors pipeliniers — pour que les entreprises mettent du dioxyde de carbone dans les pipelines et centralisent ainsi la séquestration géologique pour la surveiller, la gérer et la déployer économiquement en toute sécurité.

Le sénateur Arnot : Encore une fois, j’ai une question pour M. Mousseau.

Monsieur Mousseau, dans le document du Trottier Institute sur les perspectives énergétiques canadiennes, vous parlez du rôle de l’agriculture. Vous parlez en fait d’un changement de paradigme dans la gestion de l’utilisation des terres, dans les changements alimentaires et dans les nouvelles méthodes de production. Pourriez-vous m’en dire un mot et m’expliquer tout cela dans le contexte de l’industrie agricole et me dire ce que cela peut faire pour appuyer les changements requis?

[Français]

M. Mousseau : Je ne suis pas du tout un spécialiste de l’agriculture. Les questions sur la transformation du secteur agricole sont complexes. On a beaucoup d’incertitudes quant aux technologies à venir, et même quant aux transformations alimentaires en amont, pour déterminer comment les gens vont changer leur alimentation. On peut identifier les enjeux. Toutefois, on n’a pas les réponses en ce moment. Malheureusement, mon domaine est davantage le secteur de l’énergie que le secteur agricole.

[Traduction]

M. Meadowcroft : Lorsque nous considérons les voies de transition vers la décarbonisation dans différents secteurs, il est très important de comprendre que les transitions et les changements dans ces secteurs se font par étapes. Il y a une première étape d’exploration et de découverte, en quelque sorte, de ce qu’il faut faire, puis une phase de déploiement de masse, et enfin une phase d’ajustement final. L’agriculture est l’un de ces secteurs où nous savons qu’il y a des problèmes. Nous avons des idées. Par exemple, l’agriculture sans labour est un bon moyen. Il y a des choses qui contribuent à la solution, mais il n’y a pas de solution unique. Le contraste avec les véhicules légers, par exemple, est très clair. Faites-les simplement électriques, et le problème est réglé. Mais l’agriculture, c’est beaucoup plus compliqué. C’est différent selon la région, la culture, le sol et le climat. Je pense, sénateur, que vous avez mis le doigt sur quelque chose. C’est l’un des exemples d’un secteur difficile qui nécessitera de l’expérimentation et de l’innovation en technologie et en pratiques agricoles, ainsi que des ajustements de société.

[Français]

Le sénateur Gignac : Merci à nos témoins. Le sénateur Carignan a posé la question à nos invités précédents sur la conversion des pipelines qui pourraient éventuellement transporter de l’hydrogène. Monsieur Mousseau, ai-je compris que l’hydrogène vert coûte plus cher à produire que l’hydrogène bleu? J’essaie de comprendre.

Est-ce que, dans cette transition énergétique, ce sera potentiellement plus économique pour le marché québécois d’importer l’hydrogène bleu de l’Alberta plutôt que de le produire ici, et peut-être garder notre électricité pour l’exporter aux Américains? J’aimerais vous entendre sur une potentielle collaboration entre le Québec et l’Alberta pour l’utilisation plus efficace de l’hydrogène.

M. Mousseau : C’est une très bonne question, sénateur. En effet, comme l’hydrogène vert est produit à l’électricité, il est préférable d’utiliser l’électricité quand on peut et de garder l’hydrogène vert comme complément. Il est un peu illusoire de penser qu’on va exporter de l’hydrogène vert. Ailleurs dans le monde, il sera produit en général par des énergies intermittentes. La nuit, lorsqu’il vente, il n’y a pas de demande d’hydrogène. Ce sera des prix plus faibles qu’au Québec, parce qu’on peut stocker l’eau.

Cette question sur l’importation d’hydrogène pour certains procédés industriels où nous aurons besoin d’hydrogène à moindre coût, c’est une éventualité que nous devons évaluer. Comment va-t-on l’importer? Sous forme de méthane qu’on transformerait ici pour stocker le CO2? Nous n’avons pas beaucoup d’endroits où nous pouvons stocker le CO2 au Québec. Ces enjeux doivent être évalués et nous devons faire des analyses économiques pour nous assurer d’un bon équilibre, mais il ne faut pas s’obstiner à dire que, parce qu’on a beaucoup d’électricité, il faut faire de l’hydrogène vert ou utiliser absolument de l’hydrogène vert au détriment d’autres solutions. Il faut regarder l’ensemble pour trouver les solutions les plus appropriées, économiques et équilibrées.

[Traduction]

M. Meadowcroft : Pour renforcer le propos de M. Mousseau, aujourd’hui nous avons des systèmes énergétiques plutôt distincts. Nous avons l’essence pour les voitures, le gaz pour le chauffage des bâtiments et les utilisations industrielles, l’électricité pour nos appareils, et tout cela est très distinct. Pour l’avenir, il y aura un regroupement de ces éléments. Les utilisations finales des combustibles fossiles ne brûleront plus de gaz dans les maisons ni d’essence dans les voitures. L’électricité fera beaucoup plus, mais elle sera interreliée avec l’hydrogène. Mais qu’est-ce qui servira à quoi? Cela dépend de l’évolution des prix et des technologies. Nous ne savons pas encore tout, mais nous savons que nous allons avoir besoin à la fois de plus d’électricité et d’une électrification à plus grande échelle, qu’il faudra compléter par l’hydrogène. Ils se rejoindront de part et d’autre, car l’hydrogène peut servir à stocker de l’énergie de sources renouvelables quand on ne l’utilise pas, et il peut faire des choses auxquelles l’électricité se prête peut-être un peu moins bien.

[Français]

Le sénateur Gignac : Rapidement, est-ce trop tôt ou est-ce qu’on commence à voir des caisses de retraite [Difficultés techniques]? Il nous faut des prévisions à long terme, de 20 à 30 ans. Est-ce que vous commencez à voir des joueurs comme les caisses de retraite, ou sommes-nous encore à l’étape où les gouvernements doivent appuyer le financement?

Le président : À qui s’adresse votre question?

Le sénateur Gignac : Aux trois.

[Traduction]

M. Layzell : Nous discutons activement avec les gestionnaires de fonds de pension au sujet des possibilités qu’offre l’hydrogène. Le secteur suscite beaucoup d’intérêt. Il n’a pas encore commencé à faire des investissements importants dans l’hydrogène, mais je sais qu’il envisage d’y investir à grande échelle, ce qui serait considéré comme étant du côté vert de son portefeuille. Nous avons besoin de clarté et de directives de la part des gouvernements fédéral et provinciaux, pour nous lancer dans cette voie. Cela atténuera les insécurités. Il serait également très utile que les divers partis politiques s’entendent pour considérer l’hydrogène comme s’inscrivant dans une vision commune de l’avenir énergétique, de telle sorte que les programmes ne soient pas abandonnés après un éventuel changement de gouvernement.

[Français]

Le sénateur Carignan : C’est vraiment fascinant. J’adore ce comité. Moi, je mise sur le nucléaire. On n’en a pas beaucoup parlé dans notre document de présentation; on parle d’hydrogène noir dans le cas du nucléaire. Bien sûr, on en a moins ici, mais il y en a beaucoup en France. Le président Macron a présenté son plan énergétique. Il parle d’utiliser l’énergie nucléaire pour produire de l’hydrogène vert pour que la France soit autosuffisante d’ici 2030. C’est un plan que le président Macron a déposé en octobre 2021.

Je voudrais vous entendre sur la plus-value de l’hydrogène noir ou vert, selon l’étiquette qu’on veut lui donner à des fins de marketing. J’aimerais connaître la plus-value et le degré de compétitivité entre le vert et le bleu, par exemple.

Le président : À qui s’adresse votre question?

Le sénateur Carignan : Aux trois. Nous avons trois experts fantastiques.

Le président : Voulez-vous commencer, monsieur Mousseau?

M. Mousseau : Pour la question de l’hydrogène noir, en principe, si je comprends bien, il est fabriqué à partir du reformage; on va donc faire de l’hydrogène en utilisant la chaleur perdue des centrales nucléaires. L’hydrogène vert provient de l’électricité. On a le même problème qu’avec l’hydroélectricité : il s’agit d’électricité que l’on transforme. Ce n’est pas de la nouvelle énergie. Il faut, à ce moment-là, faire cela quand on n’a pas besoin d’électricité, sinon on va le dépenser.

Par exemple, si l’Ontario utilise ses centrales nucléaires avec des centrales au gaz naturel et décide d’utiliser l’électricité des centrales nucléaires pour faire du gaz naturel en laissant rouler les centrales au gaz naturel, cela n’a pas vraiment de raison d’être. Il faut donc considérer que les meilleures pratiques doivent être adaptées à la réalité locale. Le Canada a assurément une réalité où les centrales nucléaires ne jouent pas le même rôle en matière d’appui ou de surplus électrique qu’en France. Par exemple, la nuit, les centrales sont obligées de rouler et la demande est moins forte, donc on est obligé de vendre l’électricité à perte.

[Traduction]

M. Layzell : Je pourrais ajouter un commentaire. Il est sûr que certaines centrales nucléaires de l’Ontario sont très intéressées et commencent à construire des unités d’électrolyse pour produire de l’hydrogène. Le défi que pose la construction d’une centrale nucléaire pour la production d’électricité, puis d’hydrogène, c’est que le coût de l’électricité rend l’hydrogène peu rentable. L’une des nouvelles technologies en voie de mise au point en Ontario est la production thermique, qui permet de produire de l’hydrogène directement à partir de la chaleur nucléaire. Ce n’est pas encore commercialisé, à ma connaissance, et cela pourrait changer la donne, de sorte qu’on ne passerait même plus par l’électricité; l’hydrogène serait produit directement par la chaleur nucléaire.

M. Meadowcroft : Pour l’avenir, on pourrait imaginer qu’il soit possible de construire une centrale nucléaire optimisée pour la production d’hydrogène plutôt que pour la production d’électricité. Mais nous ne devrions pas être trop obsédés pour l’instant par la provenance de l’hydrogène. L’essentiel est qu’il soit faible en carbone. Je pense que la création d’une norme progressiste pour décarboniser, pour être sûr... vous savez, l’hydrogène carbonique ne produit pas 50 % d’émissions. Il doit être faible en émissions et finir par être carboneutre. Personnellement, peu m’importe la provenance, pourvu qu’il soit aussi bon marché et aussi faible en carbone que possible.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’aimerais vous entendre également sur la question des transports. Je vois qu’il y a des projets d’Airbus, notamment un projet d’avion à l’hydrogène. Il se fait aussi beaucoup de recherche et développement en matière de transport par paquebots. Quel est l’avenir de ces projets et jusqu’à quel point sera-t-il nécessaire d’adapter nos aéroports et nos ports à l’accueil de telles infrastructures? Pour les avions, c’est peut-être un peu trop tôt, mais du moins pour les bateaux et les trains?

M. Mousseau : J’aimerais revenir sur ce que disait M. Meadowcroft. Il faut commencer par se concentrer sur les secteurs où il est plus facile de voir des investissements. On n’est pas obligé de se projeter tout de suite dans 30 ou 40 ans. Si, dans nos projets, on voit une structure à l’hydrogène, il faut commencer dès maintenant à articuler la production et à se demander comment on peut structurer la demande localement pour être en mesure de faire les transformations.

Je suis désolé de revenir souvent là-dessus, mais c’est un peu l’approche de notre développement. Par exemple, si on parle des trains ou de modes de transport qui fonctionnent avec des corridors et que nous avons un bon contrôle sur l’approvisionnement en hydrogène, c’est tout à fait raisonnable d’inclure tout cela dans notre analyse aujourd’hui.

Toutefois, dans un contexte international où on ne contrôle pas tous les ports partout sur la planète, il n’y a pas d’urgence à se lancer dans ce genre de projets, parce que l’importance de l’hydrogène livré et de la transformation sera mineure ici. On peut attendre qu’il y ait des ententes intégrales.

Donc, selon moi la politique industrielle, c’est de savoir comment commencer dès aujourd’hui sans avoir réponse à tout, mais en faisant des investissements qui vont structurer le plus rapidement possible une compréhension de la filière de l’hydrogène sur les plans de la demande, des équilibres, des technologies et du savoir-faire. C’est beaucoup plus intéressant que de se lancer dans toutes sortes de projets pilotes partout au pays, des projets indépendants et déstructurés, qui vont tous tomber à l’eau les uns après les autres, faute d’être en mesure de les maintenir.

[Traduction]

M. Layzell : Quant aux aéroports, nous travaillons avec diverses administrations aéroportuaires, non pas pour transporter ou mettre de l’hydrogène dans les avions, mais pour en mettre dans les véhicules au sol qui transportent les bagages et déplacent les avions. Vous devriez voir d’ici six à huit mois certains aéroports annoncer des démonstrations et des projets pilotes avec l’hydrogène. Il faudra encore une dizaine d’années avant que les avions à hydrogène ne volent, je crois.

M. Meadowcroft : Pour revenir aux carrefours encore une fois, nous l’avons mentionné à maintes reprises. Il s’agit vraiment de créer le lien entre l’offre locale et la demande locale. C’est ce qui donne la capacité de prendre de l’expansion et d’aller plus loin. Pour une analogie historique, les systèmes électriques n’ont pas commencé par le réseau. Ils ont commencé par une centrale indépendante qui desservait l’usine locale et la collectivité locale, avant de prendre de l’expansion. Il y avait donc Niagara Falls et l’industrie avoisinante, avant qu’elles prennent de l’expansion et que le réseau soit connecté. C’est la même chose au Québec. Il y avait de nombreuses sociétés d’énergie au Québec avant qu’Hydro-Québec ne les regroupe. Le réseau est la dernière chose, pas la première. Alors que nous avons besoin de pipelines d’hydrogène et de toutes sortes de choses grandioses, ce qu’il faut faire aujourd’hui, c’est développer ces carrefours propres à chaque endroit, pour relier l’offre et la demande, bâtir, faire la preuve des concepts et les développer avant de nous connecter avec les autres.

[Français]

Le sénateur Carignan : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : La Colombie-Britannique, le Manitoba, le Québec et le Labrador sont autant de sites de mégabarrages, de sorte qu’ils seraient des sites de production d’hydrogène vert et noir. Pour un site de production qui est isolé sur les terres du Nord et les terres autochtones, le transport et les pipelines seraient nécessaires. À quoi ressemblent le transport, le stockage et la distribution locale? Où les carrefours et les réseaux seraient-ils situés?

[Français]

M. Mousseau : En fait, on va déplacer l’électricité. Quand on a déjà les lignes électriques, on va les déplacer pour produire l’hydrogène près des centres d’utilisation, parce que le coût du transport de l’hydrogène est beaucoup plus élevé, surtout que les infrastructures ne sont pas construites en fonction de l’électricité. Dans ce contexte, avec les ressources actuelles de production, on déplacerait les électrons et on le ferait sur les lieux ou près des lieux d’utilisation.

[Traduction]

M. Meadowcroft : L’exception serait les collectivités isolées qui ne sont pas raccordées au réseau d’électricité, où la production d’hydrogène pourrait être utile pour la collectivité comme moyen de stockage pour les petites centrales hydroélectriques ou éoliennes ou quelque chose du genre. Dans ces contextes, on pourrait y produire de l’hydrogène, qui servirait alors de vecteur de stockage, et peut-être pour des carburants et des choses du genre.

M. Layzell : À l’instar d’un certain nombre de collectivités des Premières Nations et des Territoires du Nord-Ouest, nous explorons le potentiel de l’ammoniac comme transporteur, comme vecteur énergétique à zéro émission. Dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, le diesel joue un rôle très important dans l’économie de l’énergie. Il faut des solutions de rechange à zéro émission, et l’Accélérateur de transition a un certain nombre d’étudiants qui travaillent à des projets visant à explorer les possibilités. Ils travaillent avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et les collectivités des Premières Nations.

La sénatrice Anderson : Les Territoires du Nord-Ouest ont été une bonne introduction pour cela. Si je ne m’abuse, l’eau fait partie intégrante du développement hydroélectrique. Cela aurait-il une incidence sur les sources d’eau au Canada et dans l’Arctique, où, comme on l’a mentionné, un grand nombre des collectivités isolées ont des réservoirs et transportent l’eau par camion jusqu’aux résidences? L’industrie s’inquiète-t-elle de l’utilisation de l’eau et de la quantité d’eau qu’il faut pour produire de l’hydrogène?

[Français]

M. Mousseau : Il ne faut pas beaucoup d’eau pour produire de l’hydrogène. Par exemple, si on transformait toute l’électricité du Québec en hydrogène, on aurait besoin d’une semaine seulement de transformation de l’eau à Montréal. Ce n’est pas une très grande quantité d’eau.

Évidemment, dans les communautés où l’accès à l’eau est difficile, la gestion avec l’hydrogène exigerait des efforts particuliers pour s’assurer d’avoir accès à l’eau, mais on n’a pas besoin d’une immense quantité d’eau.

[Traduction]

La sénatrice Anderson : Merci. Outre les ressources en eau, quelles sont les ressources naturelles requises pour l’utilisation et la production d’hydrogène?

[Français]

M. Mousseau : Pour ce qui est des ressources nécessaires à la production d’hydrogène comme telle, on parle des électrolyseurs qui n’ont pas besoin de matériaux particuliers. C’est dans l’utilisation de l’hydrogène que se situent les matériaux importants, surtout lorsqu’on parle de piles à combustible, par exemple, où on a besoin de platine et de métaux rares qui facilitent la catalyse et la séparation de l’hydrogène pour produire l’électricité.

Donc, les enjeux d’accès aux ressources naturelles se trouvent beaucoup plus dans les technologies d’utilisation de l’hydrogène, surtout pour l’électricité. S’il s’agit de brûler l’hydrogène, cela ne pose pas de problème, mais c’est vraiment sur ces enjeux — on parle souvent de métaux rares — qu’il faudra travailler pour trouver d’autres solutions pour permettre un déploiement à plus grande échelle. C’est dans ce contexte que cela se passe.

Le président : Merci. J’ai une question avant que la réunion se termine. Comme vous le savez tous, il y a un plan pour augmenter le prix du carbone; certains appellent cela une taxe sur le carbone. C’est très important pour aligner les intérêts des joueurs et c’est fondamental pour s’assurer de prendre de bonnes décisions et de comprendre tous les coûts. Est-ce que je me trompe en disant cela, et dans l’affirmative, je me trompe sur quoi plus particulièrement? Monsieur Mousseau?

M. Mousseau : Les coûts, même avec la taxe sur le carbone, ne changent pas énormément. Le coût du gaz naturel reste très abordable. Dans le contexte des combustibles, des carburants, ce n’est pas tant la taxe sur le carbone que toutes les autres taxes et tous les autres enjeux qui font augmenter le prix du diesel et qui font que l’hydrogène bleu est déjà compétitif par rapport au diesel dans le transport.

Donc, il y a déjà des secteurs où l’hydrogène est compétitif, mais pour ce qui est du gaz naturel, les enjeux sont tels que, actuellement, il n’est pas encore compétitif sur le plan du chauffage des espaces, par exemple.

[Traduction]

M. Layzell : Il est certain que si vous avez 170 $ la tonne de CO2 pour le gaz naturel, cela porte le prix du chauffage au gaz naturel à un niveau qui est à distance de frappe de l’hydrogène bleu qui alimente le chauffage domestique en Alberta, si bien que le prix du carbone est très important dans le cadre de la stratégie de transition.

M. Meadowcroft : Je suis complètement d’accord pour dire que la tarification du carbone sera très utile et qu’elle est très importante, mais les obstacles aux changements aux systèmes dont nous parlons sont multiples. Il y a des problèmes de réglementation et il y a des règles de sécurité, ainsi que des capitaux à mobiliser. Les obstacles ne manquent pas. C’est un grand pas en avant, mais les gouvernements peuvent encore faire plus à divers niveaux pour libérer le potentiel de l’hydrogène.

[Français]

Le président : Je remercie les témoins : Normand Mousseau, professeur de physique et directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier de l’Université de Montréal, David Layzell, architecte des systèmes énergétiques de L’Accélérateur de transition, de l’Université de Calgary, et James Meadowcroft, professeur à l’École de politique publique et d’administration de l’Université Carleton. Merci à vous trois.

[Traduction]

Merci de nous avoir fait part de vos connaissances. Nous avons beaucoup appris. Nous en avons probablement encore beaucoup à apprendre, mais merci d’avoir été des nôtres ce matin.

(La séance est levée.)

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