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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 12 mai 2022

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 55 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé.

Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Paul Massicotte. Je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité.

Aujourd’hui, nous tenons une séance hybride du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins que vous êtes priés de garder votre micro éteint en tout temps, à moins d’être reconnu par le président. Lorsque vous parlez, veuillez le faire lentement et clairement. Je ferai de mon mieux pour permettre à tous ceux qui veulent poser une question de le faire. Pour y arriver, je vous demande d’être bref dans vos questions et préambules. Chaque sénateur aura droit à une question et à une question supplémentaire ou de suivi. Veuillez mentionner à qui s’adresse la question.

J’aimerais également rappeler aux témoins qu’ils ont un total de cinq minutes pour faire leurs remarques liminaires.

Maintenant, j’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui : la sénatrice Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; le sénateur Arnot, de la Saskatchewan; le sénateur Carignan, c.p., du Québec; la sénatrice Galvez, du Québec; le sénateur Gignac, du Québec; la sénatrice McCallum, du Manitoba; la sénatrice Miville-Dechêne, du Québec; le sénateur Patterson, du Nunavut; la sénatrice Seidman, du Québec; la sénatrice Sorensen, de l’Alberta; la sénatrice Verner, c.p., du Québec.

J’aimerais également souligner la présence du parrain du projet de loi, le sénateur Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

Aujourd’hui, nous continuons notre étude du projet de loi S-5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé.

Pour notre premier panel, nous accueillons, de l’Assemblée des Premières Nations, Kúkpi7 Judy Wilson, cheffe, Victor Odele, analyste principal des politiques de recherche, et Graeme Reed, analyste principal des politiques. Du Congrès des peuples autochtones, nous accueillons Elmer St. Pierre, chef national, et Joshua McNeely, directeur de l’environnement.

Bienvenue à tous et merci d’avoir accepté notre invitation. Cheffe Wilson, vous avez maintenant la parole.

[Traduction]

Kúkpi7 Judy Wilson, cheffe, Assemblée des Premières Nations : [Mots prononcés dans une langue autochtone] Cheffe Judy Wilson. J’appartiens à la bande indienne de Neskonlith et je suis membre et secrétaire-trésorière de l’Union of British Columbian Indian Chiefs et du First Nations Leadership Council, en Colombie-Britannique. Je vous appelle depuis le territoire non cédé des Secwepemc au nom de l’Assemblée des Premières Nations, comme la cheffe régionale Adamek me l’a demandé.

Avant de commencer, je tiens à souligner la Journée de la campagne Moose Hide, qui est le 12 mai, où l’on prend position pour mettre fin à la violence contre les femmes, les enfants et les filles autochtones. Je tiens à souligner la Journée de la campagne Moose Hide.

C’est un honneur d’être ici aujourd’hui pour vous faire part des perspectives de l’Assemblée des Premières Nations concernant le projet de loi S-5. Dans le court laps de temps qui nous est alloué pour les déclarations liminaires, je veux me concentrer sur la participation de longue date de l’APN à la modernisation de la LCPE, sur les préoccupations relatives au projet de loi S-5 et sur les recommandations.

En ce qui concerne la participation de l’APN à la modernisation de la LCPE, les Premières Nations ont une relation unique, sacrée et réciproque avec la Terre mère et tous les êtres vivants. Les produits chimiques et les déchets toxiques constituent des menaces importantes pour cette relation et, par conséquent, menacent nos moyens de subsistance, notre sécurité alimentaire et nos conditions socioéconomiques, notre spiritualité et notre bien-être général.

Depuis des dizaines d’années, les chefs en assemblée expriment leurs préoccupations au sujet de la discrimination environnementale, du racisme et de l’exposition disproportionnée aux sources de pollution et aux activités dangereuses auxquelles les Premières Nations sont exposées. Ces préoccupations sont depuis longtemps documentées dans les divers efforts de réforme de la LCPE. L’APN y a participé en 2005 et en 2016. En 2016, nous avons rappelé nos préoccupations de 2005 concernant le manque de protection des droits inhérents constitutionnels, des droits inhérents issus de traités et des droits inhérents reconnus à l’échelle internationale, ainsi que le vide réglementaire de longue date créé par la partie 6, qui n’a toujours pas été comblé.

Lors de notre comparution en 2016 devant le comité permanent, l’APN a reconnu qu’un changement et un dialogue véritables prennent du temps. Or, cette réalité contraste fortement avec la vitesse vertigineuse à laquelle de nouveaux produits chimiques et composés potentiellement toxiques ont été déployés dans notre environnement. Malheureusement, sous sa forme actuelle, la version 2022 du projet de loi ne donne ni les outils nécessaires au Canada pour suivre le rythme ni ne répond aux préoccupations que l’APN soulève depuis plus de 20 ans.

Pour ce qui est de nos préoccupations concernant le projet de loi S-5, soyons clairs : le projet de loi apporte à la LCPE des améliorations et des changements bienvenus. Cependant, il ne tient absolument pas compte des aspects de la LCPE qui ont trait aux préoccupations et aux besoins des Premières Nations en matière de protection de l’environnement.

Plus précisément, quatre aspects du projet de loi se démarquent. Premièrement, le projet de loi n’a pas prévu de modifications de la partie 9 pour combler le vide réglementaire concernant les réserves, ce qui laisse les Premières Nations à la traîne en ne donnant pas la priorité à l’obligation de protéger les Premières Nations contre les substances toxiques. Deuxièmement, malgré une mention dans le préambule, le projet de loi ne s’aligne pas sur les normes minimales contenues dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Troisièmement, il y a un manque d’applicabilité. Sous sa forme actuelle, il n’y a pas de responsabilisation ni de réparation pour la violation de la Déclaration des Nations unies sur le droit à un environnement sain. Quatrièmement, il manque des modifications dans la partie 6 pour tenir compte de la question des plantes et des animaux génétiquement modifiés au Canada, ce qui est une préoccupation majeure pour les Premières Nations.

Selon ces critères, le projet de loi S-5 ne répond pas aux propres normes de modernisation et d’amélioration du gouvernement canadien en ce qui concerne les droits et les intérêts des Premières Nations. Nos enfants et les personnes vulnérables ne peuvent pas attendre encore 20 ans pour un changement véritable, et l’environnement ne peut pas non plus supporter d’autres années de faibles mesures alors que les dommages et les toxines continuent de s’accumuler.

En ce qui concerne les recommandations, il est clair que nous ne pouvons pas agir mollement dans ce domaine. Le statu quo n’a pas réussi à protéger les peuples des Premières Nations et l’environnement. Le projet de loi S-5 ne peut pas être une poursuite du statu quo. Il devrait plutôt être guidé par le même genre d’engagement sacré à respecter et à protéger la terre et les eaux que celui qui a assuré la subsistance de nos ancêtres depuis des temps immémoriaux et à en tirer des leçons. Ces enseignements doivent constituer le fondement du projet de loi.

Le projet de loi doit refléter clairement et sans équivoque qu’il n’y a pas de plus grande priorité que la santé des Canadiens, des peuples autochtones et de l’environnement dont nous dépendons tous.

Le Canada doit reconnaître que le projet de loi est, dans un sens très réel, un projet de loi sur la réconciliation; la réconciliation avec les autres, mais aussi avec la terre. Nous nous attendons à ce que le projet de loi dans sa version définitive soit un texte de loi modernisé qui intègre entièrement la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones; qui est conforme aux meilleures normes internationales; qui garantit que le droit à un environnement sain est inclus en tant que droit exécutoire; qui exige la responsabilisation en cas de violation du droit à un environnement sain; qui comble le vide réglementaire ou assainit le bourbier juridictionnel qui fait que les réserves des Premières Nations se retrouvent actuellement entre les mailles du filet des compétences fédérales et provinciales en matière de protection de l’environnement; et qu’il donne la priorité aux intérêts et aux préoccupations des Premières Nations sur les questions relatives à l’introduction d’organismes génétiquement modifiés.

En conclusion, l’APN est reconnaissante des efforts déployés pour la rédaction du projet de loi S-5 et souhaite qu’une version nettement améliorée soit adoptée dans la législation. Les recommandations présentées dans notre mémoire sont réalistes et réalisables et elles visent à répondre aux préoccupations de longue date des Premières Nations concernant la modernisation de la LCPE. L’APN attend avec impatience que le projet de loi S-5 continue d’améliorer sa volonté d’offrir de l’aide dans ce processus.

Merci. Kukstemc.

Le président : Merci beaucoup.

Victor Odele ou Graeme Reed, voulez-vous ajouter quelque chose? Sinon, nous passerons au Congrès des peuples autochtones. Elmer St. Pierre est ici, ainsi que Joshua McNeely.

Elmer St. Pierre, chef national, Congrès des peuples autochtones : Merci, monsieur le président, et merci au comité permanent. Je suis chef national du Congrès des peuples autochtones.

Avant de commencer, j’aimerais reconnaître le territoire traditionnel et non cédé des Mohawks, où je me joins à vous aujourd’hui depuis Kingston, en Ontario.

Le CPA est la voix nationale des Indiens inscrits et non inscrits vivant hors réserve, des Métis et des Inuits du Sud au Canada. Nous représentons nos 11 organisations provinciales et territoriales.

En ce qui concerne le projet de loi S-5, je suis ici pour présenter la perspective autochtone sur la législation. En tant qu’Autochtones, nous ne faisons qu’un avec la terre, nous sommes liés à elle et à toutes ses créations. Nous avons l’obligation et la responsabilité de protéger la Terre mère pour les nombreuses générations à venir.

Lorsqu’il envisage la mise en œuvre, l’élaboration et l’échéancier de deux ans, le gouvernement doit considérer toutes les organisations autochtones nationales comme des intervenantes de premier plan lorsqu’il utilise le principe de la justice environnementale. Tous les peuples autochtones doivent se voir offrir les capacités de base pour pouvoir prendre part à ces consultations dans chacune de nos collectivités. Nous avons des connaissances traditionnelles et des modes de vie qui respectent la Terre mère. Le CPA recommande que tous les peuples autochtones soient inclus dans la mise en œuvre du projet de loi.

Je vais maintenant céder la parole à Joshua McNeely, directeur de l’environnement du CPA, qui fournira des renseignements supplémentaires. Merci, monsieur le président, et merci au comité permanent de m’avoir permis de prendre la parole.

Joshua McNeely, directeur de l’environnement, Congrès des peuples autochtones : Merci, chef national.

Je vous appelle depuis le territoire traditionnel non cédé des Micmacs à Oxford, en Nouvelle-Écosse.

Bien que le CPA soit favorable à l’introduction d’un droit à un environnement sain, je voulais ajouter quelques points qui pourraient causer des problèmes en cours de route avec le projet de loi.

La LCPE se concentre principalement sur la gestion des produits chimiques et la prévention de la pollution. Cependant, les Canadiens s’attendent à ce que le droit à un environnement sain soit universel. De nombreuses autres activités humaines causent des dommages à l’environnement et bafouent nos droits, et ces activités sont réglementées par d’autres lois. Quel est le recours des Canadiens lorsque ce droit n’est pas explicitement reconnu dans d’autres lois? Le Parlement a-t-il l’intention de faire en sorte que la LCPE l’emporte sur d’autres lois à cet égard? Si oui, est-il équipé pour le faire?

Deuxièmement, le droit à un environnement sain n’est pas bien défini dans le projet de loi S-5. Je crois que l’intention de l’article 5.1 reconnaît ce fait et tente de nous donner quelques années pour délibérer davantage. Cependant, j’estime que l’article 5.1 n’est pas à la hauteur, car il est axé sur la mise en œuvre. Je pense que nous devrions nous concentrer sur l’élaboration du texte, en particulier sur les principes que le Parlement peut, après quelques années, adopter dans la LCPE afin de clarifier davantage ce droit. Par souci de clarté, je propose que nous conservions le libellé du préambule et que nous modifiions ultérieurement la législation en tant que droit évolutif.

Pour commencer sur cette voie, il existe une législation modèle dans d’autres administrations dont nous pouvons nous inspirer. Je pense que l’adoption de droits procéduraux, tels que ceux exprimés dans la Convention d’Aarhus en Europe, ou ceux proposés par le projet de loi H.R.5986 des États-Unis, ou même dans le Pacte mondial qui fait l’objet de discussions internationales en ce moment, nous donne beaucoup de matière à réflexion dans le projet de loi S-5, comme le droit d’accéder à l’information, de participer aux processus décisionnels et d’accéder à la justice environnementale. En particulier pour les communautés racialisées sur le plan environnemental, comme les peuples autochtones, nous exigeons que le fardeau de la preuve soit renversé afin que les promoteurs soient tenus de prouver la sécurité de leurs produits et de leurs projets.

Enfin, comme dernier point, le CPA s’intéresse surtout à la façon dont le droit de chaque Canadien à un environnement sain recoupe les droits des peuples autochtones tels qu’ils sont exprimés dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Bien que nous soyons favorables à l’élargissement du droit à un environnement sain afin d’inclure tous les Canadiens, nous sommes préoccupés par le fait que des cadres de mise en œuvre concurrents pourraient apparaître.

Merci, monsieur le président.

Le président : Merci beaucoup. Pour commencer nos questions, je donne la parole au parrain, le sénateur Kutcher.

Le sénateur Kutcher : Je remercie les témoins.

J’ai deux questions. J’aimerais entendre M. Reed et M. Odele, et n’importe qui d’autre également.

Les peuples autochtones ont-ils participé à des discussions concrètes sur la façon d’améliorer la biosurveillance et d’autres types de travaux de recherche en toxicologie afin que l’on s’assure que leurs besoins et leurs réalités sont pris en considération?

Ensuite, comment l’introduction des perspectives autochtones pourrait-elle servir à orienter l’élaboration du Plan de gestion des produits chimiques que le projet de loi S-5 établira?

Mme Wilson : La mobilisation est importante. L’Assemblée des Premières Nations a participé en 2005 et en 2016. Nous soulignons qu’il doit y avoir davantage de mobilisation.

Les bandes doivent faire face à tellement de choses en Colombie-Britannique. Nous avons dû composer avec des rivières atmosphériques, des incendies de forêt, des inondations, le dôme thermique et la COVID, puis le 215. Les bandes sont submergées par une quantité de problèmes et de crises. Il est important qu’il y ait des ressources et un soutien pour aider les bandes à s’exprimer. L’Assemblée des Premières Nations s’occupe de la mobilisation. Elle est en mesure d’organiser des réunions spéciales et d’établir des liens avec les bandes afin de recueillir leur contribution à l’élaboration de ces plans et d’expliquer en quoi consistent la LCPE et ces choses réglementaires. Il y a un vide, comme on l’a mentionné.

Je vais demander à M. Reed d’ajouter des commentaires par rapport à vos questions. Merci de votre question, monsieur le sénateur.

Graeme Reed, analyste principal des politiques, Assemblée des Premières Nations : Meegwetch, monsieur le sénateur, pour la question. Je vais commencer, puis j’inviterai M. Odele à fournir d’autres commentaires.

Je voulais parler de deux points. Pour répondre à votre question sur la biosurveillance, M. Odele pourra vous faire part de différentes initiatives auxquelles les Premières Nations ont participé, en collaboration avec l’APN. Je pense à des études nationales comme la FEHNCY et la FNFNES. Il pourra vous en dire plus à ce sujet.

Pour revenir sur un point que la Dre Horn a soulevé ce matin, l’établissement de bases de référence en collaboration avec les Premières Nations a été insuffisant. À mon avis, cela est lié à l’incapacité des Premières Nations de participer véritablement à l’élaboration et à la détermination des priorités de recherche et à la collecte de cette information.

Votre question concerne les points de vue particuliers sur le PGPC, et M. Odele pourrait être en mesure d’y répondre plus en détail. Il existe des disjonctions ontologiques fondamentales entre la manière dont la science et nos systèmes de connaissances abordent certaines questions — qui sont en fait nos propres systèmes de science — dont nous pourrions parler plus en détail.

Peut-être, monsieur Odele, pourriez-vous en dire davantage?

Victor Odele, analyste principal des politiques de recherche, Assemblée des Premières Nations : En ce qui concerne la participation des Premières Nations, je dirais qu’il n’y a pas eu une grande participation concrète des Premières Nations à la LCPE ou aux discussions sur la protection de l’environnement en général.

Pour ce qui est de la biosurveillance, je dirais que, à l’heure actuelle, comme vous le savez probablement, le programme de biosurveillance de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé ne comprend pas les Premières Nations qui vivent dans les réserves, ce qui constitue une énorme lacune et présente un gros problème de manque de données sur l’exposition.

Comme M. Reed l’a mentionné, on a mis en œuvre des études pour tenter de combler cette lacune. L’une d’entre elles est l’Initiative de biosurveillance des Premières Nations, qui a été menée entre 2008 et 2013; il y a la First Nations Food, Nutrition & Environment Study; et en ce moment, il y a la Food, Environment, Health and Nutrition of First Nations Children and Youth Study. Toutes ces études comportent une composante de biosurveillance. Le véritable problème est que ces études ne sont pas assez étendues, pas assez fréquentes et qu’elles ne sont pas mises en œuvre dans la même mesure que le programme de biosurveillance de Santé Canada.

Il est nécessaire de consulter les Premières Nations afin d’établir un système de biosurveillance et de surveillance environnementale qui permet de garantir une biosurveillance et une surveillance environnementale régulières et fréquentes des environnements des Premières Nations, en particulier compte tenu de la longue histoire d’exposition des Premières Nations aux contaminants. En raison de ce problème, il doit y avoir une certaine forme de biosurveillance récurrente et fréquente des environnements des Premières Nations.

M. McNeely : Les points que M. Reed et d’autres ont soulevés sont importants pour montrer que les Premières Nations ne participent pas ou ne sont pas prises en considération dans la biosurveillance. Pour la population vivant hors réserve qui est répartie partout au Canada dans les milieux urbains et ruraux, il y a un manque de participation à la biosurveillance et à l’élaboration du PGPC. C’est d’autant plus problématique que notre population est dispersée au Canada.

Le sénateur Kutcher : À partir de ce que M. Reed a dit sur l’importance de la fusion ontologique des différentes perspectives, pensez-vous qu’un cadre différent serait utile pour guider l’élaboration du Plan de gestion des produits chimiques dans le projet de loi S-5? M. Reed ou M. Odele peuvent répondre.

M. Odele : Il y a certainement une possibilité pour cela, et c’est une des choses que les Premières Nations font valoir. Il est tout à fait possible d’intégrer une approche autochtone fondée sur les valeurs à l’évaluation et à la gestion des risques au Canada. Souvent, lorsque l’évaluation des risques est effectuée, elle ne tient pas compte des importants contextes des Premières Nations et des Autochtones. Par exemple, lorsqu’une évaluation des risques est effectuée par rapport au poisson, elle porte généralement sur les filets, et nous savons que les Premières Nations et les Autochtones consomment plus que des filets, de sorte que, bien souvent, ces évaluations des risques sont réalisées d’une manière qui ne tient pas nécessairement compte de la profondeur, du contexte et des réalités vécues par les Premières Nations. Il y a assurément une occasion et un besoin d’intégrer le système de valeurs des Autochtones dans notre processus d’évaluation des risques. Je veux dire, je ne suis pas un expert en la matière. Je sais qu’il y a des universitaires et des spécialistes autochtones chevronnés des Premières Nations qui travaillent sur l’approche des valeurs autochtones de l’évaluation des risques qui doit être présentée à la table sur ce sujet.

[Français]

La sénatrice Galvez : Ma question s’adresse à Mme Wilson et à M. McNeely.

[Traduction]

Vous savez qu’il leur a fallu 20 ans pour examiner la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et que nous ne pouvons pas rater cette occasion de la rendre aussi forte que possible. Je comprends que c’est un progrès, d’avoir le droit à un environnement sain. Je sais que cela figure dans le préambule, et certaines personnes estiment que cela pourrait même être inutile dans cette situation.

Nous avons adopté la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Elle figure maintenant dans le préambule. Je comprends que l’on puisse dire que la loi évoluera et que l’on pourra élaborer de meilleurs textes, mais à vrai dire, je pense que l’occasion s’offre et que nous devons la saisir, parce que l’expérience montre que cela ne se produira pas si nous laissons les choses telles qu’elles sont.

Ma question est la suivante : comment pouvons-nous concrètement la renforcer et comment pouvons-nous relier le préambule du droit à un environnement sain à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones d’une manière plus forte et plus solide? Merci.

Mme Wilson : Nos recommandations visaient à ne pas laisser les Premières Nations pour compte. Nous devons avoir l’obligation de protéger les Premières Nations des substances toxiques.

Je parlais justement avec M. Reed et M. Odele d’un exemple qui serait celui des collectivités touchées par les sables bitumineux. Comment la LCPE les aide-t-elle? Cela affecte l’eau. Il y a quatre nations : la Première Nation Chipewyan, les Cris de Fort McKay, les Cris de Fort McMurray et les Cris de Mikisew; elles sont touchées par l’exploitation des sables bitumineux, tant par les toxines présentes dans l’eau que par l’augmentation récente du nombre de cancers et d’autres maladies. Alors, comment protéger ces Premières Nations?

Pour y parvenir, nous devons nous assurer que la LCPE a plus de substance, et il est aussi important de s’aligner sur la déclaration des Nations unies. Le troisième point que nous avons soulevé est l’applicabilité — donc ce qui se passe — et la responsabilisation et la réparation pour toute violation concernant ces nations qui ont droit à un environnement sain. Je me tourne à nouveau vers M. Odele ou M. Reed s’ils veulent ajouter quelque chose à cette question particulière.

Mais selon moi, en tant que cheffe, je regarde toujours ces questions en me demandant comment les expliquer visuellement. Ce sont les bandes auxquelles je peux penser dans les sables bitumineux. Comment pouvons-nous les aider? Il y a bien d’autres nations dans des situations similaires.

Monsieur Odele ou monsieur Reed?

M. Reed : Oui. Meegwetch Kúkpi7; et meegwetch, sénatrice. Je suis heureux de vous voir. J’ai deux réflexions, puis j’inviterais également M. Odele, s’il a quelque chose à ajouter.

La première est une réflexion générale sur la mise en œuvre de la loi sur la DNUDPA, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en tant qu’occasion présentée dans un projet de loi qui exige l’opérationnalisation des normes minimales contenues dans ce projet de loi. Je pense que vous avez raison, sénatrice. C’est maintenant qu’il faut faire évoluer ce genre de réflexion pour passer des simples références dans le préambule à l’ensemble du projet de loi et à l’opérationnalisation de ces dispositions.

Nous pourrions souligner les différentes manières de respecter certains des principes clés. Évidemment, les principes 3, 18 et 19, ceux qui respectent le droit à l’autodétermination des Premières Nations; ceux qui assurent la participation des organisations représentatives des Premières Nations en tant que gouvernements au processus décisionnel; ainsi que la prise en considération du consentement libre, préalable et éclairé dans les décisions entourant la désignation des substances toxiques; l’évaluation des répercussions et, pour répondre à la première partie de votre question, le droit à un environnement sain.

Je dirais qu’une partie de ce qui est contenu dans notre mémoire représente deux composantes de cela; d’une part, comment nous assurons-nous que ce droit est aligné sur les systèmes de connaissance des Premières Nations qui incluent ce que le chef national et Kúkpi7 ont communiqué : le lien entre un environnement sain, des gens en santé, des communautés saines et des nations saines n’est pas toujours bien articulé dans l’interprétation des droits au sein d’un cadre de pensée occidental. À cet égard, les composantes culturelles d’un environnement sain brillent par leur absence dans la définition actuelle de ce droit, tout comme la tentative d’équilibrer ce droit avec les différentes composantes.

On a formulé dans le cadre de notre mémoire des recommandations pour remettre en question la tentative de trouver un juste équilibre que nous voyons dans la loi entre les facteurs économiques et d’autres facteurs et le fait de savoir s’il s’agit d’une façon appropriée de caractériser le droit. De plus, comment pouvons-nous respecter les normes internationales relatives au droit à un environnement sain? Je pense que M. McNeely a mentionné certains de ces exemples.

Dans notre mémoire, nous avons aussi parlé d’une récente résolution des Nations Unies qui parle d’un environnement propre, sain et durable, et cela semble être la norme internationale contenue dans la loi.

Pour conclure, et peut-être que M. Odele veut ajouter autre chose, la décision d’inclure dans la loi un plan de mise en œuvre sur deux ans semble insuffisante par rapport à la priorité d’action que Kúkpi7 Wilson a communiquée dans sa déclaration liminaire. Dans la mesure où nous pouvons ouvrir la voie à ce que sera ce plan de mise en œuvre, je pense que c’est mieux. Ce qui nous intéresse, c’est de faire respecter les normes minimales contenues dans la Déclaration des Nations Unies et d’inclure les droits internationaux inhérents et les droits issus de traités protégés par la Constitution que détiennent les Premières Nations.

M. McNeely : C’est une question importante, parce que dans la LCPE actuelle, il y a l’article 22 qui confère à chaque Canadien la possibilité de demander des comptes au ministre. Cet article n’est pas utilisé, parce qu’il est très limité dans son application aux enquêtes du ministre. Même le comité permanent à la Chambre, lorsqu’il s’est penché sur la question en 2017, a reconnu que l’article 22 pourrait être un moyen de donner du mordant à la LCPE pour que les organisations et les collectivités puissent non seulement demander des comptes au ministre, mais aussi aux contrevenants à la LCPE dans le cadre de procédures civiles. Des recommandations, ainsi qu’un certain nombre de recommandations par des témoins experts ont été faites à la Chambre. C’est une façon de faire.

Je ne cesse de faire référence à ces droits procéduraux et au fait de pouvoir, nous-mêmes, déterminer ces droits. Je ne veux pas tout contester. Quelque chose comme cela en dit long sur l’intention d’une loi, plus que les simples déclarations du préambule.

La sénatrice McCallum : Je veux souhaiter la bienvenue à tous nos invités et vous remercier de vos exposés.

Les Premières Nations se trouvent dans une situation très particulière si l’on tient compte de l’histoire et du lien étroit entre les lacunes intergouvernementales des lois fédérales et provinciales et la façon dont cela a permis à l’industrie de remplir la vie des Premières Nations de toxines.

Ce matin, j’ai posé une question à la Dre Horn concernant le terme « vulnérabilité » et le fait de savoir s’il est adéquat. Je veux citer Elizabeth McGibbon, qui a dit ceci :

Le discours sur la vulnérabilité suppose qu’une personne ou une communauté est en quelque sorte plus encline à subir des inégalités en matière de santé, de la même manière qu’une personne peut être encline à attraper un rhume.

[...] il est temps de changer notre façon de penser et de reconnaître explicitement les menaces qui sont à l’origine d’une mauvaise santé : la colonisation, la recolonisation, le postcolonialisme, la politique économique néolibérale [...]

... dans le domaine des ressources naturelles, qui a contribué à la toxicité qui existe dans nos communautés et qui a une incidence sur les communautés et la vie des Premières Nations dans une mesure très particulière.

Pensez-vous que les termes « vulnérabilité » et « droit à un environnement sain » soient adéquats, ou croyez-vous qu’ils doivent être clarifiés?

Le président : À qui adressez-vous cette question?

La sénatrice McCallum : Je pensais à M. McNeely, à Mme Wilson et à M. Reed.

Mme Wilson : Je pense que vous touchez à quelque chose qui est vraiment important, sénatrice, à savoir la façon dont nous utilisons le contexte colonial pour décrire et interpréter. Je pense que M. Reed en a déjà expliqué une partie. Cela découle en grande partie de la doctrine coloniale de la découverte, de tous les traumatismes intergénérationnels, des répercussions intergénérationnelles, de l’installation dans des réserves et de la dépossession de nos territoires, et aussi du fait que les conseils de bande n’ont pas beaucoup de pouvoir de réglementation sur les aménagements faits sur leur territoire ou sur leur contribution, comme M. Reed l’a déjà mentionné.

Le terme « vulnérabilité » est-il approprié pour décrire toutes les conséquences intergénérationnelles? Nous avons été confrontés au même problème en présentant des exposés cette semaine au Rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de religion ou de croyance. Nous avons dit qu’il s’agissait de concepts coloniaux et que nous devions les élargir. À notre manière, nous avons parlé de notre mode de vie, par exemple. Dans ce contexte, avec les « vulnérabilités », cela limite déjà peut-être ce qui a eu des conséquences pour nous. Ce n’est pas juste les toxines qui apparaissent soudainement dans nos cours d’eau ou les contaminants; c’est une longue histoire d’effets génocidaires et intergénérationnels sur notre peuple.

Je me tourne vers M. Reed ou M. Odele pour en dire davantage à ce sujet. Je pense que votre réflexion est sur la bonne voie, sénatrice, pour ouvrir et élargir certains de ces contextes et termes coloniaux. Je vous remercie.

M. Reed : Je pourrais peut-être juste ajouter brièvement quelque chose. Meegwetch pour cela, sénatrice. Je suis également ravi de vous voir.

Je pense à deux petits commentaires. Le premier, l’ajout de la définition des populations vulnérables est encore insuffisant par rapport aux priorités exprimées par les Premières Nations pour combler la partie 9, le vide réglementaire dans les réserves. S’il s’agit d’un mécanisme provisoire pour ne pas régler les autres problèmes majeurs que les Premières Nations ont recensés depuis plusieurs décennies, alors nous sommes un peu dans une situation problématique.

En ce qui concerne la définition particulière, je pense que ce que Kúkpi7 a ajouté — et votre question l’illustre — c’est la nécessité d’intégrer cette lentille structurelle, intergénérationnelle et intersectionnelle à la façon dont nous interprétons la vulnérabilité. Nous avons fait de gros efforts dans le contexte des Premières Nations pour nous éloigner de la pensée axée sur les déficits et nous rapprocher d’une pensée axée sur les forces qui donne l’autonomie aux Premières Nations, mais aussi, comme l’a dit Kúkpi7, décortique en réalité les héritages structurels de la colonisation des Premières Nations qui créent ces déterminants de la santé, et le fait que les déterminants structurels de la santé sont importants dans ce contexte.

Je dirais également que l’expression « populations vulnérables » ne représente pas toujours les droits spécifiques des Premières Nations. En réalité, les Premières Nations sont souvent exposées à des risques accrus en raison de l’héritage colonial, mais nous ne sommes pas dans la même situation que les autres communautés en raison de ces droits — nos droits inhérents, les droits inscrits dans les traités et les droits protégés par la Constitution. Par conséquent, il faudra peut-être se demander si les Premières Nations sont bien prises en considération dans cette définition.

La sénatrice McCallum : Le projet de loi ajoute une nouvelle obligation pour les ministres de tenir compte des populations vulnérables et des effets cumulatifs et précise que les ministres doivent tenir compte des informations accessibles concernant les populations vulnérables et les effets cumulatifs au moment de réaliser certaines évaluations des risques et d’en interpréter les résultats. Qui définira qui sont ces populations vulnérables? Qui va communiquer avec elles? Vont-elles s’auto-identifier ou est-ce approprié si le gouvernement fédéral les identifie? Il s’agit de savoir comment les approcher. Il s’agirait de nouveau du même groupe.

Mme Wilson : Je vais répondre rapidement. En tant que cheffe de ma communauté, il arrive que nous recevions un courriel du gouvernement fédéral nous disant simplement : « Nous allons communiquer avec vous; voici la date. » Cela ne fonctionne pas pour nous. Comme je l’ai mentionné, nous affrontons déjà une crise après l’autre, et nous avons besoin d’un meilleur contexte quant à l’importance de la communication et à l’engagement. C’est là où l’Assemblée des Premières Nations est vraiment précieuse pour nos communautés. Elle aide à établir le contexte. Elle aide à expliquer. Elle aide les chefs et la communauté à s’engager et à faire les présentations en notre nom.

Je vais laisser M. Reed et M. Odele parler d’un meilleur engagement. Je sais que nous l’avons fait sur un certain nombre de questions. Je dirais simplement que le fait que le gouvernement fédéral nous envoie simplement un courriel ne constitue pas un consentement libre, préalable et éclairé qui est adéquat ou suffisant, et les délais sont toujours très serrés.

M. Reed : Meegwetch, sénatrice. En guise de brève réponse, je crois que la question se rattache très profondément aux points qui ont été soulevés plus tôt quant à la participation des Premières Nations à la biosurveillance et à d’autres études. Nous avons relevé qu’il existe des lacunes et un manque de participation, tout comme ce que M. Odele a mentionné au sujet de l’évaluation des risques et du fait que cette évaluation ne cadre pas toujours avec les systèmes de connaissances des Premières Nations.

Afin d’y parvenir et pour habiliter les Premières Nations, comme on pourrait le mentionner, il est nécessaire d’avoir ce genre de participation gratifiante, d’inclusion et de consentement libre, préalable et éclairé qui correspond aux exigences techniques de la collecte de nos propres données et de la communication des décisions à partir de celles-ci et les soutient. Si, comme nous l’avons dit, il s’agit d’un modèle qui maintient le statu quo, à savoir que le gouvernement fédéral se contente de demander l’avis des Premières Nations, ce ne suffira pas — comme l’a demandé le sénateur Galvez — vraiment à rendre opérationnels les principes contenus dans la déclaration des Nations unies.

M. Odele et M. McNeely souhaitent peut-être ajouter quelque chose.

M. Odele : Si je peux ajouter quelque chose rapidement, je suis d’accord avec tout ce qui a été dit jusqu’à présent. Il est nécessaire de mener des consultations et de s’engager fortement, et cela est essentiel pour bon nombre des questions que vous avez soulevées concernant la LCPE. Il convient en outre de s’assurer qu’il y a une consultation approfondie concernant le renforcement des relations de nation à nation afin de veiller à ce que des stratégies soient mises en place avec les Premières Nations, notamment des stratégies relatives aux ressources, à la recherche et aux études appropriées.

Je sais qu’il existe parfois des programmes pour lesquels les Premières Nations doivent se faire concurrence afin d’avoir accès à des fonds permettant de financer des programmes de surveillance environnementale, mais ce n’est pas la bonne approche selon moi. Je ne pense pas que les Premières Nations doivent se faire concurrence pour obtenir des fonds afin d’être en mesure de surveiller ou de connaître les niveaux d’exposition dans leur environnement et dans leur corps. À mon avis, il doit y avoir un engagement et une consultation solides afin de définir les systèmes qui doivent être mis en place en vue de régler la question de la biosurveillance.

M. McNeely : Nous avons présenté des observations à la Direction de la sécurité des milieux de Santé Canada concernant cette même question en 2018. À l’époque, je faisais partie d’un groupe de témoins au Comité consultatif des intervenants du PGPC étudiant la question des populations vulnérables et de qui elles sont. Je n’ai pas eu connaissance d’une réponse du gouvernement à ce sujet en vue d’avoir des discussions plus approfondies afin d’essayer de définir et de décentraliser ce concept et la manière dont il serait utilisé.

Pour les peuples autochtones, je pense que vous êtes sur la bonne voie. Je suis d’accord avec la cheffe Wilson et M. Reed. Par exemple, lorsqu’on procède à une évaluation des risques d’un organisme génétiquement modifié, le risque est défini comme la multiplication du danger par l’exposition. Si vous procédez à une évaluation des risques en un instant, même si le danger est assez élevé, par exemple dans le cas de la dissémination d’un organisme génétiquement modifié dans la nature, l’exposition est souvent considérée comme assez faible, et donc le risque est faible, alors que les Autochtones envisageraient cette situation de manière cumulative et diraient : « Comment cela se passera-t-il au fil des ans? Qu’en est-il de tous les autres effets qui se produisent dans cet environnement? » Nous le considérons comme un effet cumulatif dans le temps et nous pouvons donc avoir une valeur différente pour l’évaluation des risques.

Le ministère des Pêches et des Océans se penche sur cette question des effets cumulatifs, en examinant un bassin versant, par exemple. Je ne crois pas que nous ayons encore vraiment intégré cela à ce niveau en ce qui concerne la toxicité chimique sur l’écosystème ou les organismes génétiquement modifiés. Merci.

La sénatrice McCallum : Je voudrais revenir à la DNUDPA, car nous avons adopté un plan d’action concernant celle-ci qui n’a pas encore été mise en œuvre, et pourtant, il figure dans le projet de loi. Vous avez parlé des normes minimales dans la DRIPA. Comment cela sera-t-il fait alors que la DNUDPA n’est encore qu’un plan d’action et qu’aucun progrès n’a été accompli? De quelle manière pouvez-vous concilier cela avec l’inclusion de la DNUDPA dans ce projet de loi?

Mme Wilson : Nous avons l’expérience de la Declaration on the Rights of Indigenous Peoples Act, ici en Colombie-Britannique, et nous avons suivi les processus du plan d’action. Même si ce n’était pas tout à fait ce que nous voulions, nous avons encore beaucoup de travail pour ce qui est de la mise en œuvre et des diverses lois provinciales, sur lesquelles nous travaillons. Le plan d’action doit être présenté et s’harmoniser avec les lois, ce qui représente un travail énorme. Quand nous élaborons le plan d’action pour le gouvernement fédéral, nos nations doivent participer directement, et il s’agit de la partie du codéveloppement. Je sais que l’APN a fait beaucoup de travail dans ce domaine également, et qu’elle va mettre en place une méthode de gestion de ces dossiers.

Vous dites en outre que nous devons faire référence à la déclaration des Nations unies dans cette législation sur la LCPE. Il s’agirait d’un élément clé et essentiel. Selon moi, il y a un libellé qui pourrait être étoffé afin de dire comment cela va fonctionner. Le consentement libre, préalable et éclairé, l’autodétermination, toutes ces notions sont essentielles et font partie de la manière dont nous allons mettre en œuvre cette déclaration au moyen de la LCPE.

Monsieur Reed, pouvez-vous nous en dire davantage?

M. Reed : Merci, meegwetch, sénatrice, de cette question. J’ai juste quelques commentaires.

Nous savons que la déclaration est en place depuis 2007, et que ces éléments et ces exigences ont bien été formulés par les peuples autochtones. Je pense que votre point est vraiment important. Parallèlement, je crois que les possibilités qui s’offrent ici consistent simplement à appliquer ces leçons à l’analyse du projet de loi et des dispositions qu’il contient. Par exemple, je pense — et cela est expliqué dans notre mémoire — au comité consultatif national et à la relation que ce comité consultatif entretient avec le ministre et les représentants des gouvernements des Premières Nations au sein de ce comité. Nous sommes conscients qu’il est possible d’apporter ce genre de modifications afin de mieux mettre en œuvre cette relation de nation à nation et de faire respecter ces droits. Kúkpi7 Wilson a mentionné quelques-uns de ces autres éléments fondés sur les amendements qui ont été introduits dans le projet de loi S-5 et qui pourraient être renforcés par l’application de ces dispositions. D’après notre expérience, nous voyons des possibilités et l’ouverture de ces espaces pour que ces types de relations puissent avoir lieu sans qu’il soit nécessaire d’attendre les éléments spécifiques contenus dans le plan d’action, tout en reconnaissant que cela ne correspond pas toujours directement à la manière dont les Premières Nations formulent leurs droits et leurs priorités.

Le président : Ainsi se termine notre premier groupe de témoins de cet après-midi. Je tiens à remercier l’Assemblée des Premières Nations, en particulier la cheffe Kúkpi7, Judy Wilson, ainsi que Victor Odele, analyste principal des politiques de recherche et Graeme Reed, analyste principal des politiques. De même, j’aimerais remercier les membres du Congrès des peuples autochtones, le chef national St. Pierre et le directeur de l’environnement, Joshua McNeely. Merci beaucoup à vous cinq d’avoir partagé vos connaissances avec nous. Il est évident que c’est extrêmement important pour nous, et nous avons beaucoup à apprendre et beaucoup à partager. Je vous remercie beaucoup d’être avec nous. À la prochaine.

[Français]

Pour notre deuxième panel, nous accueillons de la Living Oceans Society, Karen G. Wristen, directrice générale, et de la First Nation Wild Salmon Alliance, Robert (Galagame’) Chamberlin, président. Bienvenue à tous et merci d’avoir accepté notre invitation.

Madame Wristen, vous avez maintenant la parole.

[Traduction]

Karen G. Wristen, directrice générale, Living Oceans Society : Merci beaucoup, monsieur le président.

Permettez-moi de commencer par présenter mon organisation. La société Living Oceans est un organisme à but non lucratif qui prône une gestion écosystémique des océans canadiens. Nous exerçons nos activités depuis un bureau à West Vancouver, sur les territoires traditionnels des peuples des Tsleil-Waututh, des Squamish et des Musqueam. Je suis juriste et je suis la directrice générale de Living Oceans. Je vous remercie de me permettre de vous parler aujourd’hui des modifications envisagées de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

Cette loi existe depuis 22 ans et depuis son entrée en vigueur, et pendant les années qui ont suivi, les animaux génétiquement modifiés destinés à la consommation humaine sont passés de la science-fiction à notre assiette. Le génie génétique s’est développé à un rythme remarquable et sans trop faire l’objet de consultations auprès du public ou de surveillance de sa part. L’introduction des animaux génétiquement modifiés dans la chaîne alimentaire — et éventuellement, dans l’environnement — soulève bon nombre de questions d’ordre éthique, sanitaire et sécuritaire auxquelles le cadre réglementaire actuel peut difficilement répondre.

Le manque de transparence de la partie 6 de la LCPE et le peu de place qu’elle accorde à la parole citoyenne sont particulièrement frappants par rapport aux autres lois du pays, à un point tel qu’ils pourraient ébranler la confiance du public dans les produits qu’elle est censée encadrer et dans l’ensemble de ce secteur d’activité. Je voudrais illustrer ce que je viens de dire en décrivant notre expérience au moment de prendre part au processus d’homologation du premier animal génétiquement modifié destiné à la consommation humaine au monde, le saumon AquAdvantage, ou SAA, d’AquaBounty.

C’est une collègue qui suivait les activités d’AquaBounty de près qui m’a prévenue de la demande d’homologation de cette entreprise. Lucy Sharratt, du Réseau canadien d’action sur les biotechnologies, ou RCAB, ainsi que Living Oceans et l’Ecology Action Centre s’inquiétaient du tort que pourraient subir l’habitat et l’intégrité génétique des populations en péril de saumon de l’Atlantique s’il fallait que des œufs de SAA ou des poissons géniteurs s’échappent dans l’environnement. Nous avons demandé à intervenir dans toute demande de commercialisation de cette technologie.

AquaBounty a des laboratoires de recherche depuis longtemps sur l’Île-du-Prince-Édouard, mais c’est seulement par l’entremise de documents publiés par la Food and Drug Agency des États-Unis, en 2010, que le RCAB a su qu’elle envisageait d’y produire des œufs de SAA à une échelle commerciale. Au nom de 60 entreprises de pêche et groupes s’occupant de la conservation des océans, de la défense de l’environnement et de la justice sociale, le RCAB a demandé à Environnement Canada si une évaluation des risques était en cours.

En 2013, le RCAB a écrit à Santé Canada pour savoir si un processus d’homologation du SAA à titre de nouvel aliment était en cours. Tout en admettant que cette question était d’intérêt public, le ministère a répondu ceci :

Comme vous le savez peut-être, le paragraphe 20(1) de la Loi sur l’accès à l’information interdit au Ministère de communiquer de l’information qu’une entreprise lui a transmise et qu’elle juge confidentielle. Même la présentation d’une demande au Ministère peut être considérée comme telle.

Le ministère ajoutait dans sa lettre que les Canadiens étaient suffisamment informés par les médias. Plus tard ce mois-là, la ministre de l’Environnement annonçait qu’elle autorisait la fabrication d’œufs qui seraient plus tard exportés et cultivés au Panama.

Quant à savoir si le gouvernement du Canada envisageait d’autoriser la vente de SAA sur les marchés du pays, où il pourrait être étiqueté comme du simple saumon, la réponse est venue en 2014 et se résumait à une seule ligne dans la demande présentée par AquaBounty à la Securities and Exchange Commission des États-Unis : « La Société continue de demander à Environnement Canada d’autoriser la vente de SAA [saumon AquAdvantage] destiné à la consommation humaine au Canada. »

Puisque le public canadien ne disposait d’aucune information sur l’évaluation des risques en cours ou sur la demande présentée par AquaBounty, Living Oceans et l’Ecology Action Centre ont demandé que la décision autorisant la fabrication et l’exportation de SAA fasse l’objet d’un contrôle judiciaire. Il faudra plus d’un an pour que le gouvernement produise son rapport de décision et plus longtemps encore avant que nous puissions enfin consulter l’évaluation des risques.

Cette poursuite a tout de suite fait bouger Santé Canada : apparemment, le ministère avait omis pendant des années de publier dans la Gazette les avis de dérogation à l’obligation de fournir des renseignements exigés aux parties 5 et 6 de la LCPE. Pourtant, seuls le nom du demandeur et une description générique du type de renseignements visé doivent y figurer. À ce moment, toutefois, une décision importante sur la nature des renseignements requis pour évaluer la toxicité avait déjà été prise, sans que le public en soit informé ou ait quoi que ce soit à dire.

Dans le cas d’AquaBounty, on a appris que Santé Canada l’avait exemptée d’évaluation de la toxicité. Quant à l’évaluation des risques, elle confirmait que le danger pour l’environnement découlant d’un rejet des installations de l’entreprise était élevé, mais Santé Canada a jugé que ses activités n’étaient pas « toxiques au sens de la LCPE » pourvu qu’elles se limitent aux quantités évaluées, qu’elles aient lieu dans les installations de l’Île-du-Prince-Édouard et que les œufs produits soient exportés au Panama, où les risques de rejet dans l’environnement étaient considérés comme peu élevés.

Tout aurait pu bien se passer si cet avis avait été suivi, mais quand le gouvernement a publié un Avis de nouvelle activité pour le SAA, il a laissé tomber toutes les exigences liées à la quantité, au lieu de production et à l’exportation. Résultat : il était désormais possible de fabriquer du SAA dans n’importe quelle « installation étanche », d’en produire la quantité qu’on voulait et de les cultiver où on le voulait, sans, comme nous le réclamions, que ces activités fassent d’abord l’objet d’une évaluation des risques confirmant qu’elles n’étaient pas toxiques au sens de la LCPE.

Sans entrer dans les détails de ce qui fut une poursuite judiciaire extrêmement complexe, notre avocat a présenté son interprétation des exigences énoncées à la partie 6 de la LCPE, le gouvernement a présenté la sienne, et le tribunal en a fourni une troisième, différente des deux premières. Nous avons été déboutés, ce qui veut dire que la loi permet aux entreprises de se livrer aux activités susmentionnées dans le secret le plus complet, sans que les citoyens puissent exprimer leur point de vue ou passer en revue les activités découlant d’un processus gouvernemental dont l’enjeu est la salubrité et l’intégrité des aliments que nous consommons.

Depuis la fin des procédures, Santé Canada a homologué le SAA pour la consommation humaine. On en trouve dans nos épiceries, mais rien sur l’étiquette ne nous indique qu’il est génétiquement modifié. De nouvelles installations produisent aujourd’hui du SAA, que ce soit au Canada ou ailleurs dans le monde, et ce, sauf erreur de notre part, sans avoir à réaliser d’évaluation des risques de rejet dans l’environnement.

C’est pourquoi nous sommes d’avis que la partie 6 de la LCPE doit être actualisée de toute urgence pour refléter les principes d’ouverture et de transparence qu’attendent les Canadiens de la part de leur gouvernement. Nous comprenons que le Sénat s’est vu offrir une occasion unique, ou du moins très rare, de modifier le projet de loi pour le renforcer, et je vous incite fortement à vous attarder à la partie 6 puisqu’il s’agit d’une des parties auxquelles il faut vraiment accorder davantage d’attention.

Merci.

Robert (Galagame’) Chamberlin, président, First Nation Wild Salmon Alliance : [Mots prononcés dans une langue autochtone]

Mon nom traditionnel est Galagame’, et je fais partie de la Première Nation Kwikwasut’inuxw Haxwa’mis, du peuple Musggamagw-Dzawadaenuxw.

Aujourd’hui, j’aimerais parler en mon nom et au nom du peuple des Premières Nations de la Colombie-Britannique et du Canada, et je le pense vraiment. J’aimerais vous informer du fait que, dans l’ensemble, les Premières Nations à l’échelle de notre pays se font entendre de diverses façons : désobéissance civile, blocages routiers ou procédures judiciaires, et ce qu’ils font, la majeure partie du temps, voire tout le temps, c’est militer en faveur d’une meilleure protection environnementale, une protection environnementale plus stricte, pour leurs terres traditionnelles. Ce n’est pas rien quand je pense à la Colombie-Britannique. Je pense à la décision rendue par la Cour dans l’arrêt Delgamuukw Gisday Wa où il a été reconnu que le titre autochtone n’a pas été éteint en Colombie-Britannique, de sorte qu’il s’assortit de certains pouvoirs décisionnels.

À la lumière de ce qui précède, je pense à la Constitution du Canada, la pierre d’assise de notre pays, la fondation d’une bonne gouvernance, et je sais que vous connaissez bien le paragraphe 35(1) de cette Constitution, qui reconnaît l’existence des droits autochtones. Lorsque je pense aux fondements de notre pays, je pense à la Cour suprême, le plus haut palier de justice de notre pays, et à la décision qu’elle a rendue quant au fait que le titre autochtone n’était pas éteint.

Lorsque j’envisage de concert ces deux éléments du pays ainsi que l’engagement des deux ordres de gouvernement, fédéral et provincial, à appliquer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, je suis d’avis qu’un changement important doit s’effectuer dans le cadre du processus lié à la prise de décisions, et ce, dans tout le pays. Je sais que, aujourd’hui, nous abordons un projet de loi bien précis, mais nous devons être en mesure de trouver une façon d’aller de l’avant et de prendre des engagements importants. Je parle non pas de consultation, mais plutôt d’engagement. Parmi mes réalisations, j’ai notamment réussi à mettre en place la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones — je pense qu’il s’agit de la première fois dans l’histoire du Canada — et j’y suis parvenu en faisant comprendre aux peuples des Premières Nations de la province de la Colombie-Britannique l’étendue du problème, quels étaient leurs droits et ce que signifiait le fait de se prévaloir d’un titre, et quelles étaient les obligations de la Couronne, ainsi qu’en formulant des recommandations aux deux parties dans le cadre d’une discussion de gouvernement à gouvernement. Il ne s’agit pas du travail le plus facile à accomplir, mais c’est possible.

Quand je pense à un texte de loi datant de 22 ans, et à la façon dont nous allons le mettre à jour, selon moi, nous devons tenir compte de l’environnement politique actuel. Nous devons garder à l’esprit les obligations de la Couronne, et les engagements envers les Premières Nations, ainsi que les engagements en vue de la réconciliation et la bonne gouvernance qui soit conforme aux lois de notre pays. Lorsque nous parlons de terres traditionnelles, nous parlons de protéger, essentiellement, le fait d’exercer les droits autochtones. Je comprends, vu mes origines, que ceux-ci concernent majoritairement la sécurité culturelle, traditionnelle et alimentaire. Dans ce contexte, vous verrez que tout ce qui précède figure dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Lorsque je tiens compte de tout cela, et du contexte, selon moi, la Couronne doit trouver une façon d’avancer, peu importe le sujet, peu importe la loi, et s’assurer que la Constitution est respectée, que la jurisprudence de la Cour suprême l’est aussi, et que l’engagement envers la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est important, tout en créant des occasions pour favoriser l’acceptation complète. Je suis d’avis qu’il est difficile d’envisager un jour où la Couronne dira : « Nous sommes prêts à modifier tout ce que nous faisons au titre de cet ensemble de règles. » Selon moi, les dispositions prises passent par le fait de saisir des occasions lorsqu’elles se présentent et d’atteindre ces objectifs en respectant la loi et la Constitution, et en montrant aux Canadiens qu’il est possible d’aller de l’avant sans crainte, qu’il existe une voie dans le cadre de laquelle les Premières Nations jouent un rôle important au sein de ce gouvernement et au moment de prendre des décisions qui concernent la sécurité environnementale et alimentaire.

Enfin, j’aimerais aborder les commentaires concernant l’accès à l’information. Nous avons vu dans des rapports récents du Globe and Mail que le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a dû ordonner au MPO de publier un document qu’il avait dissimulé pendant 10 ans, et il n’existait aucune raison pour le ministère de cacher ce document scientifique. Selon vous, quelle est la possibilité qu’il s’agisse de la première et unique fois que de l’information a été dissimulée par un gouvernement? Je pense que nous devons nous assurer que l’accès à l’information est vraiment respecté, et non écarté du revers de la main; ce qui force les gens à se tourner vers les médias pour obtenir l’information qu’ils peuvent concernant les activités du gouvernement.

Merci.

Le président : Merci beaucoup à vous deux.

Nous allons commencer par le parrain du projet de loi, le sénateur Kutcher.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup aux témoins.

Tel qu’il est présenté actuellement, y a-t-il des éléments figurant dans le projet de loi S-5 qui vous préoccupent et que vous aimeriez nous signaler afin d’apporter des améliorations éventuelles au projet de loi lui-même? Si c’est le cas, pourriez-vous cerner les articles précis?

Mme Wristen : J’aimerais intervenir, si vous me le permettez.

Je comprends que certains de mes collègues à Ecojustice et Nature Canada s’adresseront au comité à propos de certains amendements très précis à apporter au projet de loi, mais je peux dire que, essentiellement, nous aimerions apporter des amendements à la partie 6 du projet de loi S-5. Nous aimerions y inclure ce qui suit : la possibilité d’une consultation publique, l’exigence d’aviser le public et le fait de prescrire l’information qui doit être divulguée au public pendant tout le processus d’approbation.

Je pense que M. McNeely a mentionné plus tôt, au cours de la première série de questions, la possibilité d’inverser le fardeau de la preuve lorsqu’il est question d’une modification apportée à un organisme vivant afin d’exiger du promoteur qu’il établisse l’innocuité de l’organisme vivant, et j’ajouterais aussi son utilité et sa nécessité avant qu’il puisse figurer à l’annexe.

L’autre exigence qui doit vraiment être modifiée concerne le fait que les citoyens aient l’occasion de donner leur avis. Je pense que, selon la position du gouvernement, le seul avis qui peut avoir une incidence sur le processus d’approbation est l’avis des scientifiques, et c’est tout. Selon moi, ce n’est tout simplement pas le cas. Lorsque mon gouvernement évalue le risque d’un organisme qui compose mon approvisionnement alimentaire, je dois être en mesure de voir le travail qu’il a effectué.

M. Chamberlin : Comme l’a mentionné Karen Wristen concernant le fait que le public doit être avisé et consulté, comme je l’ai mentionné, je constate, et je reconnais que le gouvernement fédéral a pris des engagements. Je ne suis pas d’avis, et je ne crois pas que ceux-ci ont beaucoup d’incidence sur ce projet de loi si la consultation qui a lieu va à l’encontre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dont l’objectif est de favoriser l’entente et la prise de décisions partagée.

Je souscris pleinement à ce qu’a mentionné Karen Wristen au sujet du fait d’inverser le fardeau de la preuve, parce que si ce n’est pas fait, le fardeau repose non pas sur la personne qui doit montrer que les torts éventuels sont infimes, mais plutôt sur le responsable de l’approbation.

En ce qui concerne la preuve scientifique, j’ai entendu tellement de fois les deux ordres de gouvernement, fédéral et provincial, dire qu’ils reconnaissaient les connaissances traditionnelles et écologiques des Autochtones. À ma connaissance, rien n’a été fait en ce sens, outre la lettre d'entente destinée à l’Archipel de Broughton. Encore une fois, j’aimerais proposer ce qui suit : les pratiques habituelles de la Couronne ou sa façon de procéder doivent évoluer. Vous devez être en mesure de communiquer avec les Premières Nations de façon valable, et pas seulement en disant : « Nous aimerions avoir des discussions importantes concernant nos processus. Oh, d’ailleurs, nous n’avons aucune ressource pour vous aider. » Cela fait en sorte que nous ne sommes pas sur un pied d’égalité.

Des aspects techniques devront être mis en place dans le cadre de tous les textes de loi qui seront étudiés, et qui devront être portés à l’attention des Premières Nations, pour les informer et obtenir une réponse de leur part, pour qu’elles puissent contribuer à son élaboration et à sa mise en place éventuelle. Merci.

Le sénateur Kutcher : Merci à vous deux de ces propositions prémonitoires.

Juste par curiosité, est-ce qu’un de vous deux, ou des personnes avec qui vous travaillez a tenté de consulter le site Web du gouvernement du Canada afin de trouver de l’information au sujet des substances toxiques et des choses qui y ressemblent? Si oui, comment qualifieriez-vous votre expérience avec ce portail?

Mme Wristen : Si je peux commencer, nous avons certainement utilisé le site Web pour tenter d’obtenir des informations sur le saumon AquAdvantage lorsque nous pensions que l’approbation était en cours, mais comme je l’ai souligné dans mes remarques, il n’y avait tout simplement aucune information. Même les avis exigés par la loi, comme l’exemption de l’obligation de fournir des renseignements, n’étaient tout simplement pas là.

M. Chamberlin : Je tiens à souligner que la relation du Canada avec les Premières Nations est de gouvernement à gouvernement, de nation à nation. Un portail d’information développé, si pauvre soit-il en information destiné aux citoyens de notre pays, ne reflète aucunement ni ne met en œuvre la véritable nature de la relation entre les Premières Nations et la Couronne. L’idée d’une relation de nation à nation et de gouvernement à gouvernement a été commentée à maintes reprises. C’est un langage que les gouvernements fédéral et provinciaux utilisent, et je crois qu’il faut le respecter dans sa forme la plus complète, et non pas simplement en disant : « Ah, au fait, avez-vous vu ce site Web? » Je pense que la relation requiert un niveau d’engagement beaucoup plus profond, un engagement important et éclairé, pas un engagement où le gouvernement dit : « J’espère que vous avez vu la dernière mise à jour. » Il en faut beaucoup plus si ce gouvernement veut obtenir la réconciliation, comme il a prétendu le vouloir.

La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés et bienvenue au Sénat.

Les ministres sont tenus d’élaborer un cadre de mise en œuvre définissant comment le droit à un environnement sain sera pris en considération dans l’administration de la LCPE. Le projet de loi stipule que le cadre doit élaborer les principes dont il faut tenir compte dans l’administration de cette loi, comme les principes de justice environnementale, y compris la prévention des effets négatifs qui affectent de manière disproportionnée les populations vulnérables dans le principe de non-régression. À votre avis, quels sont les principes de la justice environnementale et comment doivent-ils être pris en considération?

Mme Wristen : Je pense que M. Chamberlin est bien placé pour répondre à cette question dans le contexte où elle a été posée.

M. Chamberlin : Merci, madame Wristen. Je n’étais pas sûr.

Quand je pense à un cadre de mise en œuvre, encore une fois, c’est une perspective qui a été élaborée par la Couronne de façon indépendante. Cela ne fait que perpétuer l’approche selon laquelle « nous savons ce qui est le mieux pour vous », et je ne l’admets pas. Je crois que les Canadiens ne l’admettent plus. Lorsque ces choses commencent à être formulées, lorsque les concepts sont élaborés, je crois que c’est le moment de faire participer les Premières Nations afin que nous puissions trouver une voie où nous travaillons réellement ensemble et non pas une voie où le gouvernement arrive plus tard dans la journée, lorsque les choses sont gravées dans le marbre, et dit : « Bon sang, qu’est-ce que vous en pensez? »

Lorsque vous parlez de justice environnementale et de justice pour des personnes vulnérables — et c’est quelque chose que j’ai mentionné à la Couronne au fil des ans, surtout en ce qui concerne le réchauffement de la planète, qui est une énorme préoccupation environnementale — qui sera le premier et le plus durement touché par les changements environnementaux? Est-ce que ce sera quelqu’un dans une épicerie qui choisira du saumon dans son menu? Ou est-ce que ce sera une communauté des Premières Nations, isolée, rurale et éloignée, et profondément dépendante du saumon comme aliment de base, et où il n’est pas possible d’aller chez Save-On-Foods ou chez Loblaws. Lorsque j’y pense dans le contexte des personnes vulnérables, c’est là que j’estime que la Couronne ferait mieux de repenser, de remodeler et de mettre en œuvre une nouvelle voie d’engagement le plus tôt possible afin de s’assurer que la relation de gouvernement à gouvernement et de nation à nation avec les Premières Nations se concrétise pendant le processus, et non après coup, lorsque des décisions, des mécanismes et des politiques sont mis de l’avant sans la moindre participation de leur part.

Je dirais que, dans l’ensemble du pays, il a été bien signalé dans une série de domaines, qu’il s’agisse du logement, de l’éducation ou de la santé, que les membres des Premières Nations sont les plus vulnérables. C’est un aspect qui doit être crucial dans l’élaboration de mesures de protection de l’environnement qui fournit la source de nourriture aux personnes appauvries.

La sénatrice McCallum : Comment pouvons-nous sauver et utiliser ce projet de loi dans sa forme actuelle? Quelle est votre recommandation sur ce que nous devons faire de ce projet de loi à ce stade avancé?

Le président : Posez-vous cette question à Galagame’?

La sénatrice McCallum : Oui.

M. Chamberlin : C’est une bonne et difficile question. Elle est difficile quand on sait qu’un texte de loi fédéral va s’appliquer à l’ensemble du pays et à tous les territoires des Premières Nations. Je ne vois pas très bien comment on peut sauver un texte de loi qui est arrivé à ce stade sans participation importante des Premières Nations. J’espère que les domaines clés qui ont trait à — je veux dire, ce sont tous des domaines clés. Surtout lorsque nous considérons le saumon, nous parlons de l’ensemble du bassin versant. Nous parlons de l’océan. Nous parlons de nombreux facteurs de stress et de répercussions différentes. Il faut qu’il y ait une volonté de réexaminer sérieusement la situation à partir de maintenant. Cela revient à la question suivante : le Canada veut-il vraiment obtenir la réconciliation avec les peuples des Premières Nations? Le Canada veut-il vraiment mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones? Ce projet de loi est un exemple de possibilités émergentes. Il est de longue durée et un peu vieux, mais cela n’empêche pas le gouvernement de s’engager de manière significative et d’être ouvert à modifier le résultat au stade avancé où nous nous trouvons.

Le sénateur Patterson : J’aimerais remercier les témoins et poser cette question à Mme Wristen.

Si j’ai bien compris votre exposé — et je sais que vous avez également travaillé avec Nature Canada — vous avez des recommandations concernant le renversement du fardeau de la preuve en exigeant des promoteurs qu’ils démontrent qu’un nouvel organisme n’est pas toxique et la nécessité d’un avis public de toute exemption accordée par le ministre.

Je comprends également que vous puissiez être préoccupée par le Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles (organismes). Je crois savoir que le gouvernement propose de présenter un document de travail, peut-être cet été, afin d’améliorer et de modifier ce règlement. Cependant, je crois qu’il n’y a pas à l’heure actuelle de pouvoir pour modifier ces règlements dans la législation. Y a-t-il un problème concernant les révisions qu’il est proposé d’apporter au Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles (organismes) au moyen du projet de loi que vous pourriez décrire au comité?

Mme Wristen : Merci de poser cette question. Je ne suis pas sûre de pouvoir y répondre entièrement, mais je vais essayer.

Il y a certainement un problème avec la manière dont les déclarations de nouvelle activité sont utilisées, et cela exige une révision de la structure réglementaire et, peut-être même plus : une approche plus complète sur la façon dont nous considérons les évaluations des risques et dont nous utilisons la science dans la prise de décisions en tant que gouvernement, dans l’ensemble.

Dans le cas que j’ai décrit, nous avions une évaluation des risques très spécifique : « Cette quantité d’œufs produite à cet endroit et expédiée hors du pays de sorte qu’elle ne puisse pas avoir de répercussion sur nos bassins versants. » C’est le seul risque qui ait jamais été évalué. Et pourtant, nous pouvons maintenant voir ces œufs être fabriqués dans n’importe quelle installation du pays, à condition qu’il s’agisse d’une installation d’utilisation confinée, en n’importe quelle quantité et à des fins d’engraissement des poissons dans le pays. Il ne s’agit pas d’une prise de décisions fondée sur la science, à mon humble avis.

Le sénateur Patterson : Merci.

Madame Wristen, ai-je bien compris que vous préconisez une modification du fardeau de la preuve afin d’exiger des promoteurs qu’ils prouvent qu’il existe un besoin économique ou social manifeste pour le nouvel organisme proposé, plutôt que le fardeau de la preuve actuel qui semble être en faveur des promoteurs? Est-ce que je comprends bien ce que vous recommandez que nous examinions dans notre étude?

Mme Wristen : Oui, c’est tout à fait exact. Le cas du saumon est un excellent exemple de la raison pour laquelle cela devrait être le cas. Nous avons ici un organisme avec un homologue sauvage qui est au centre de la culture des Premières Nations du pays, qui est en voie de disparition et pour lequel la société accorde beaucoup d’attention à son rétablissement. Le fait de laisser entendre que nous pouvons simplement introduire une variante génétique de cet organisme sans discuter de l’importance de l’organisme original me semble très étrange.

Le sénateur Patterson : Merci d’avoir partagé avec nous ce récit alarmant.

M. Chamberlin : Lorsque je pense à la modification du fardeau de la preuve... je veux donner un exemple de la façon dont l’approche du gouvernement rate la cible. En ce qui concerne les piscicultures en Colombie-Britannique et les politiques et règlements laxistes ou inadéquats pour la gestion de cette industrie, le ministère des Pêches et des Océans a apporté des modifications à la Loi sur les pêches qui prévoyait quelque chose qui s’appelle « des répercussions démontrées sur la population ». Nous devions être en mesure de démontrer que cette industrie avait des répercussions sur le saumon au niveau de la population. Le problème était que, si l’on considère les maladies et les agents pathogènes qui proviennent des piscicultures, il est pratiquement impossible de montrer les répercussions au niveau de la population lorsqu’on parle d’insuffisance cardiaque et d’insuffisance hépatique alors qu’ils sont dans l’océan. Cela a créé une mesure de sécurité inutile.

Lorsque je pense au fardeau de la preuve, je pense qu’il ne doit pas incomber seulement à ceux qui ont des préoccupations, mais à toutes les industries, qui doivent être en mesure de démontrer qu’elles exercent vraiment leurs activités d’une manière qui n’a pas de répercussion. Il ne s’agit pas seulement pour le gouvernement de créer un scénario dans lequel le fardeau de la preuve incombe aux personnes qui ont des préoccupations.

La sénatrice McCallum : Ma question s’adresse à M. Chamberlin.

Le projet de loi S-5 propose de reconnaître explicitement le droit à un environnement sain pour chaque Canadien. Ce droit serait particulièrement important pour les groupes dont la voix est historiquement sous-représentée dans les discussions avec les législateurs et les gouvernements, notamment les personnes racialisées, les personnes LGBTQ+, les nouveaux arrivants au Canada, les personnes exposées à des barrières linguistiques, les personnes appartenant à des groupes socioéconomiques inférieurs, les personnes vivant avec un handicap, les femmes et les jeunes. De manière importante, le ministre est tenu d’élaborer un cadre de mise en œuvre sur la façon dont ce droit sera pris en considération. Ce cadre de mise en œuvre augmente la probabilité que le droit à un environnement sain passe de l’aspiration à l’action. Même si je sais que vous n’aimez pas le mot « mise en œuvre », je ne sais pas s’il y a un autre mot qui pourrait être utilisé. Considérez-vous qu’il s’agit d’une occasion où les Premières Nations pourraient être consultées dès le début de la conversation?

M. Chamberlin : Merci de votre question.

Je suis heureux d’entendre et de savoir qu’il existe un droit pour les Canadiens d’avoir un environnement sain. Les divers segments de la société que vous venez de mentionner sont l’obligation de la Couronne — en fait, la Couronne a certaines obligations envers eux, puisque nous parlons des constituants de la population canadienne. Je m’en réjouis, mais lorsque nous considérons le rôle que le Canada joue auprès des Premières Nations, c’est totalement différent de ses responsabilités envers les citoyens. C’est le changement fondamental que la Couronne doit adopter afin de bien comprendre que nous ne pouvons pas prendre une relation de gouvernement à gouvernement et ensuite simplement mettre les Premières Nations dans la même pièce que tous les autres. Nous avons une place spéciale et unique, et elle découle du titre d’Autochtone, dont la Cour suprême a parlé en Colombie-Britannique. Le titre n’est pas éteint, et la Couronne possède un titre présumé. Elle exerce donc ses activités à partir d’un point de départ de titre présumé ou de titre définitif pour répondre aux besoins de ses citoyens, mais elle doit d’abord se réconcilier avec les détenteurs du titre, qui sont les Premières Nations.

Bien sûr, si l’on remonte à 1763, à la Proclamation royale, à 1867, à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et à la Constitution du Canada, il est évident que cette relation de nation à nation a été reconnue. Mais que s’est-il passé? La société a évolué, et cette importance pour la Couronne a horriblement diminué. Mais le principe des droits de la personne, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et la Loi sur la Cour suprême — voilà ce que la Couronne doit adopter plus complètement qu’elle ne l’a fait depuis que le Canada est devenu le Canada.

Le président : Merci beaucoup. Cela met un terme à notre séance de l’après-midi. Au nom de notre comité et de tous les Canadiens et Canadiennes qui bénéficient du partage de vos connaissances et de votre participation, je vous remercie beaucoup. Merci à Mme Wristen, de la Living Oceans Society, et à Robert Galagame’ Chamberlin, président de la First Nation Wild Salmon Alliance, de leur aide et de leur assistance dans le cadre de ce projet de loi. Passez une bonne journée. À la prochaine.

(La séance est levée.)

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