LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 3 octobre 2023
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 18 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-234, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (élimination définitive de déchets plastiques).
La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez, je suis une sénatrice du Québec et je suis présidente du comité.
J’aimerais commencer par un petit rappel. Avant de poser des questions et d’y répondre, je demanderais aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité se trouvant dans la salle.
Je vais demander à mes collègues du comité de se présenter, en commençant par ma droite.
La sénatrice Miville-Dechêne : Sénatrice Julie Miville-Dechêne, division sénatoriale d’Inkerman, au Québec.
La sénatrice Gerba : Sénatrice Amina Gerba, division sénatoriale de Rigaud, au Québec.
Le sénateur Gignac : Sénateur Clément Gignac, division sénatoriale de Kennebec, au Québec.
La sénatrice Verner : Sénatrice Josée Verner, division sénatoriale de Montarville, au Québec.
Le sénateur Carignan : Sénateur Claude Carignan, division sénatoriale de Mille Isles, au Québec.
Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan. J’équilibre un peu les choses.
La sénatrice McCallum : Sénatrice McCallum, [mots prononcés dans une langue autochtone] Manitoba, [mots prononcés dans une langue autochtone].
[Français]
La présidente : Merci. Je vous souhaite la bienvenue à tous, chers collègues, mesdames et messieurs les témoins, ainsi qu’aux téléspectateurs de partout au pays qui regardent nos délibérations.
[Traduction]
Aujourd’hui, le comité poursuit son examen du projet de loi S-234, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (élimination définitive de déchets plastiques). Pour la séance d’aujourd’hui, nous accueillons un seul groupe de témoins, formé de trois personnes. Nous accueillons Mme Lisa Gue, gestionnaire de la politique nationale à la Fondation David Suzuki, qui est présente parmi nous. Nous avons aussi Mme Karen Wirsig, première gestionnaire de programme, plastiques, à Environmental Defence, et M. Matt Keliher, directeur général des services de gestion des déchets solides à la Ville de Toronto, qui témoignent par vidéoconférence.
Bienvenue et merci d’être avec nous. Vous avez cinq minutes chacun pour votre déclaration préliminaire. Nous commençons par Mme Gue. Madame Gue, la parole est à vous.
Lisa Gue, gestionnaire, Politique nationale, Fondation David Suzuki : Merci beaucoup, sénatrice. Je vous remercie de l’invitation à témoigner aujourd’hui. En fait, j’aimerais remercier le parrain de ce projet de loi et du projet de loi précédent, le projet de loi C-204, d’avoir attiré l’attention sur le problème des exportations de déchets plastiques du Canada et la nécessité d’un contrôle plus efficace des expéditions de déchets.
Il est intéressant de noter les importants changements survenus depuis la présentation du projet de loi précédent, le projet de loi C-204, en février 2020. Les modifications à la Convention de Bâle concernant le plastique sont entrées en vigueur le 1er janvier 2021. La Convention de Bâle — à laquelle le Canada est partie — comprend maintenant en annexe une nouvelle catégorie de déchets nécessitant une attention spéciale. Cette nouvelle catégorie englobe la plupart des déchets plastiques, sauf les plastiques recyclables. Les exportations de déchets visés à l’annexe II sont assujetties aux exigences de consentement préalable donné en connaissance de cause de la Convention de Bâle ainsi qu’à l’interdiction d’exporter vers des pays non membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, en vue de l’élimination définitive. En outre, en février 2021, Environnement et Changement climatique Canada a mis à jour le Règlement sur le mouvement transfrontalier des déchets et des matières recyclables dangereuses, ou RMT, afin d’inclure les déchets visés à l’annexe II dans la définition canadienne de « déchet considéré comme dangereux pour l’exportation ».
Ensuite, pas plus tard que la semaine dernière, Environnement et Changement climatique Canada a proposé d’autres modifications au RMT, notamment afin de l’harmoniser avec la modification de l’interdiction de Bâle, une modification à la Convention qui interdit aux États membres de l’OCDE, à l’Union européenne et au Liechtenstein d’exporter des déchets dangereux dans d’autres pays, principalement des pays en développement. Pendant ce temps, le Canada participe à des négociations relatives à un accord juridiquement contraignant sur la pollution plastique. Ce nouveau traité devrait porter sur l’ensemble du cycle du plastique, y compris la production, la conception et l’élimination du plastique. Beaucoup de choses sont en évolution.
Le débat entourant ce projet de loi ces dernières années pourrait avoir contribué à faire progresser la question plus générale. Malheureusement, le projet de loi, dans son libellé actuel, ne permettra pas d’atteindre les résultats attendus.
Lors de la dernière session parlementaire, ma collègue Sabaa Khan a comparu devant le comité de la Chambre des communes chargé d’étudier le projet de loi C-204. J’invite les membres de votre comité à prendre connaissance de son témoignage et des mémoires, qui comportent des recommandations précises quant aux amendements à apporter. En bref, il y a trois principaux enjeux.
Premièrement, nous craignons que ce projet de loi soit difficile à mettre en œuvre, puisqu’il n’est pas harmonisé aux exigences actuelles en matière d’exportation de déchets dangereux. En outre, l’interdiction sera difficile à appliquer. L’annexe 7, la liste des déchets plastiques, ne cadre pas bien avec les obligations du Canada aux termes de la Convention de Bâle relativement à la gestion des déchets de l’annexe II, où figurent les plastiques non recyclables. Elle n’est pas non plus conforme avec les exigences actuelles de la réglementation canadienne sur l’exportation de déchets.
En outre, par rapport aux expéditions de déchets destinés à l’exportation, il faut savoir que dans bien des cas, leur composition n’est pas connue. Je parle du fait que la composition de polymère des articles manufacturés en plastique n’est pas toujours connue. Par conséquent, la mise en œuvre de l’annexe semble problématique.
Deuxièmement, concernant la modification de l’interdiction de Bâle et les déchets plastiques, la pratique exemplaire serait que les pays de l’OCDE parties à la Convention de Bâle interdissent les exportations de déchets désignés dangereux aux termes de la convention, ainsi que ceux qui nécessitent une considération spéciale, à savoir les déchets plastiques. Les pays de l’Union européenne ont déjà adopté cette approche dans le cadre de leur législation nationale.
Il est important de souligner que même si le Canada n’a pas encore ratifié la modification à la Convention de Bâle portant interdiction, il n’est pas censé exporter des déchets dangereux vers des pays non membres de l’OCDE qui ont ratifié la modification. Encore une fois, l’approche adoptée dans le projet de loi — l’établissement d’une liste des plastiques interdits — ne cadre pas avec les obligations du Canada en vertu de la convention. L’interdiction devrait plutôt avoir une portée plus large, avec une exception pour les déchets plastiques destinés au recyclage.
Troisièmement, en ce qui concerne les déchets plastiques non assujettis à l’interdiction prévue au projet de loi, une reddition de comptes accrue s’impose. Les États-Unis n’ont jamais ratifié la Convention de Bâle et ne réglementent pas les exportations de déchets plastiques à l’échelon fédéral. Le resserrement des mesures de reddition de comptes pourrait réduire le risque que des déchets canadiens contaminés exportés aux États-Unis apparemment à des fins de recyclage ou de récupération, soient ensuite expédiés vers des pays tiers à des fins d’élimination sans contrôle écologique. Ce projet de loi n’aborde pas ce problème.
Les nouvelles exigences prévues dans les modifications proposées au RMT sont un pas dans la bonne direction. En effet, elles interdiraient l’exportation de déchets dangereux à des fins d’élimination définitive, mais ne s’appliqueraient pas aux déchets visés à l’annexe II, les déchets plastiques. Elles exigeraient également un permis pour tous les déchets dangereux, mais seulement pour les exportations vers des parties à la Convention de Bâle, ce qui exclut les États-Unis, le principal partenaire commercial du Canada pour ce qui est des déchets.
Comme je l’ai mentionné, nous avons proposé des modifications au projet de loi pour régler ces problèmes, mais elles ont malheureusement été rejetées par le comité de la Chambre des communes lors de la session précédente.
En ce moment, à la lumière des délibérations antérieures du comité de la Chambre des communes et des récents développements, nous encourageons le comité sénatorial à formuler des recommandations pour régler les problèmes associés à ce projet de loi, mais conformément à l’objectif du gouvernement visant à renforcer le RMT, et en particulier, à étendre l’interdiction d’exportation à des fins d’élimination définitive aux déchets de l’annexe II qui nécessitent une considération spéciale — encore une fois, les plastiques qui ne sont pas destinés au recyclage — et à exiger des permis pour l’exportation de déchets de l’annexe II — les plastiques —, même vers les États-Unis, bien qu’ils ne soient pas parties à la Convention de Bâle.
Deuxièmement, j’invite le comité à recommander vivement que le Canada ratifie la modification de l’interdiction de Bâle et appuie des dispositions rigoureuses, et le nouveau traité, afin de limiter la production et la consommation de plastiques et ainsi régler à la source le problème urgent des exportations de déchets plastiques.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Nous passons à Mme Wirsig, suivie de M. Keliher. La parole est à vous.
Karen Wirsig, première gestionnaire de programme, plastiques, Environmental Defence : Merci beaucoup. Environmental Defence est un organisme national non partisan de défense de l’environnement qui milite pour la protection de l’eau potable, des conditions climatiques sûres et des collectivités saines exemptes de pollution. Je me concentre évidemment sur la pollution par le plastique, qui est nocive tant pour l’environnement que pour la santé humaine.
Les exportations de déchets plastiques sont un symptôme de la surconsommation de plastiques, y compris les emballages à usage unique et les plastiques qui font partie intégrante de produits comme les vêtements et autres textiles, les véhicules et les appareils électroniques. En fait, les Canadiens produisent 116 kilogrammes de déchets plastiques — environ le poids d’un gros réfrigérateur — par personne, par année, ce qui place le Canada parmi les pays où la production de déchets plastiques par habitant est la plus élevée. Une faible proportion de ces déchets est recyclée. Le reste est enfoui, brûlé ou jeté au Canada et dans le monde entier, où il risque d’empoisonner la terre, l’eau et l’air et de nuire à la biodiversité et à la santé des plantes, des animaux et des êtres humains.
Il est difficile de faire le suivi des exportations de déchets plastiques. Les déchets plastiques du Canada se retrouvent dans les déchets ménagers, institutionnels, commerciaux et industriels qui sont exportés vers des sites d’enfouissement et des incinérateurs aux États-Unis, dans des cargaisons de déchets plastiques vers les États-Unis et ailleurs, et dans d’autres expéditions de déchets, par exemple, dans les ballots de papier envoyés en Inde ou dans des textiles et d’autres produits.
Il est pratiquement impossible de savoir quelle quantité de déchets plastiques sort du Canada chaque année et ce qu’on en fait à destination, mais nous savons deux choses.
Premièrement, il est presque certain que les déchets non triés fabriqués de matières autres que le polyéthylène ou le polyéthylène téréphtalate ne sont pas recyclés dans le respect de l’environnement. Pratiquement aucun envoi ne porte la mention « déchets plastiques pour élimination définitive » pour faciliter les choses. Au lieu de cela, nous aimons prétendre que nous expédions nos déchets ailleurs pour être recyclés et réutilisés.
Voilà pourquoi nous estimons que le projet de loi S-234 ne permettra pas de mettre un terme à l’exportation navrante de déchets plastiques du Canada. En outre, le projet de loi n’aborde pas le problème préoccupant des importations de déchets plastiques au Canada, qui représentent une menace pour notre environnement et notre santé.
Les exportations de déchets plastiques pour lesquelles le suivi est le plus facile sont probablement celles visées par la Convention de Bâle, dont Mme Gue a parlé, qui vise à mettre fin aux exportations de déchets dangereux en provenance de pays riches, comme le Canada, vers les pays aux économies émergentes, en particulier ceux de l’hémisphère Sud. Elle vise également à exiger le consentement préalable en connaissance de cause du pays importateur avant l’expédition des déchets.
Le Canada a ratifié la plupart des dispositions de cette convention, mais les États-Unis, notre principal partenaire commercial, non. Le Canada a conclu un accord avec les États-Unis pour permettre la poursuite du négoce de déchets entre les deux pays même si les États-Unis n’ont pas ratifié la convention. Cet accord a été jugé invalide par certains organismes internationaux, notamment parce qu’il n’offre pas suffisamment de garanties que les déchets toxiques du Canada ne finiront pas par polluer l’environnement ou constituer un danger pour les populations, en particulier dans les pays de l’hémisphère Sud.
Entre le 1er janvier 2021 — date d’entrée en vigueur des amendements sur les plastiques de la Convention de Bâle — et le 1er mars de cette année, le Réseau d’action de Bâle, un organisme non gouvernemental, a recensé plus de 3 500 exportations de déchets plastiques à partir du Canada. De ce nombre, un cinquième était destiné à des pays autres que les États-Unis, dont au moins 31 expéditions de déchets de polychlorure de vinyle, des déchets dangereux qui nécessitent un permis. Or, durant cette période, pour ces 31 envois — la totalité des envois —, seulement 13 permis d’exportation ont été délivrés, ce qui signifie qu’il y a sans doute eu 18 envois illégaux, et probablement beaucoup plus.
Les règlements de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, ou LCPE, exigent déjà un permis pour la plupart des expéditions de déchets plastiques à destination de pays autres que les États-Unis, mais selon les données du Réseau d’action de Bâle, l’octroi de permis jusqu’à maintenant est au mieux « aléatoire ».
L’accord entre le Canada et les États-Unis reste un énorme trou noir. Il est important de souligner qu’il n’y a aucune trace de ce qui est arrivé aux quatre cinquièmes des expéditions de déchets plastiques envoyées du Canada vers les États-Unis — soit environ 3 000 — entre 2021 et 2023. On ignore comment ces déchets ont été traités, s’ils ont été recyclés en toute sécurité ou même s’ils ont été exportés vers d’autres pays, puisque les États-Unis n’exigent pas un permis d’exportation pour les déchets plastiques.
De plus, aucun des milliers d’expéditions recensées par le Réseau d’action de Bâle ne comprenait du papier, des textiles ou d’autres types de déchets non visés par la Convention de Bâle, mais il est presque certain qu’ils contenaient des plastiques, comme les plastiques qui ont contaminé les ballots de papier mal triés expédiés du Canada vers l’Inde, où certains ballots ont été brûlés illégalement, selon une enquête menée par Radio-Canada en 2022.
Ensuite, il y a les importations de déchets plastiques au Canada, qui ne sont pas visées par le projet de loi S-234. Le Réseau d’action de Bâle a de nouveau recensé un nombre impressionnant d’expéditions de déchets plastiques importés au Canada entre janvier 2021 et mars 2023, soit 7 000 expéditions, dont 18 importations de déchets de polychlorure de vinyle. De ce nombre, 920 envois provenaient de l’extérieur des États-Unis. Nous croyons comprendre qu’aucun permis d’importation n’a été délivré pour ces expéditions. Nous n’avons aucune idée de l’endroit où ces déchets ont abouti, s’ils ont été gérés correctement au Canada ou même s’ils ont été exportés ailleurs.
En fin de compte, sans un respect adéquat des exigences de la Convention de Bâle, il est impossible de faire un suivi de la situation, même pour les expéditions désignées comme « déchets plastiques » qui sont importées ou exportées. De plus, étant donné que les exportations ne sont pas désignées comme « déchets plastiques destinés à l’élimination définitive », comme je l’ai mentionné, le projet de loi S-234 ne les arrêtera pas. Voilà pourquoi, si le Sénat souhaite mettre réellement à jour la LCPE — ce qui fait écho aux propos de Mme Gue, de la Fondation David Suzuki —, le projet de loi devrait interdire l’exportation de tout déchet plastique jugé dangereux ou nécessitant une considération spéciale en vertu de la Convention de Bâle, y compris toute expédition comprenant plus de 5 % de plastique vers tout pays non membre de l’OCDE. Cela engloberait aussi les ballots de papier. En outre, le projet de loi devrait comprendre une disposition selon laquelle les exportations de déchets plastiques qui ne sont pas visées par l’interdiction seraient assujetties à l’article 185 de la LCPE, permettant ainsi au Canada de faire un suivi des exportations de déchets plastiques vers les États-Unis et d’autres pays de l’OCDE.
Enfin, le projet de loi doit veiller à ce que l’annexe 7 soit conforme à la définition de « déchets plastiques » de la Convention de Bâle, car ce n’est pas le cas actuellement. On semble plutôt avoir une série de produits chimiques disparates, dont certains ne sont même pas des polymères.
Il y a d’autres mesures que le gouvernement doit prendre pour mettre fin aux exportations de déchets plastiques. Nous exhortons le gouvernement à faire la révision de l’accord sur les expéditions transfrontalières de déchets avec les États-Unis afin de veiller à la conformité de l’accord avec la Convention de Bâle une priorité absolue; à améliorer l’application des permis pour les expéditions de déchets afin d’assurer la conformité avec la Convention de Bâle et déceler les cas de déchets mal étiquetés et mal triés avant leur expédition à l’extérieur du pays; à veiller à ce que le registre proposé pour les articles manufacturés en plastique comprenne des rapports détaillés sur les exportations de déchets; à intensifier les efforts de réduction des déchets plastiques, y compris l’ajout d’interdictions sur le plastique à usage unique, qui pose problème, et un accent sur les systèmes de réduction et de réutilisation qui éliminent les emballages jetables.
Je vous remercie.
La présidente : Merci beaucoup. Monsieur Keliher, la parole est à vous.
Matt Keliher, directeur général des services de gestion des déchets solides, Ville de Toronto : Merci beaucoup, honorables sénatrices et sénateurs, de l’invitation à comparaître aujourd’hui.
L’administration de la ville de Toronto gère actuellement plus de 900 000 tonnes — ou 2 milliards de livres — de déchets produits dans la ville chaque année.
La ville appuie l’esprit général du projet de loi. Cependant, le libellé actuel doit être plus robuste et, à mon avis, s’il était adopté tel quel, cela pourrait avoir des conséquences négatives et involontaires sur le plan opérationnel sur le terrain. Si le projet de loi demeurait inchangé, il risquerait de compliquer considérablement l’élimination et le recyclage des déchets dans l’ensemble du Canada.
Je vais mentionner quatre éléments pour lesquels le libellé du projet de loi doit être plus robuste.
Premièrement, le projet de loi ne comprend aucune précision sur la composition, la quantité ou le mode de préparation des produits visés à l’annexe 7. Par conséquent, pour veiller à ce que le projet de loi soit rédigé de manière appropriée, il doit comprendre des définitions et modalités précisant quelles matières sont interdites à l’exportation. Par exemple, les ballots doivent-ils être homogènes et contenir uniquement des matières figurant à l’annexe 7? L’exportation de ballots contenant possiblement des matériaux de l’annexe 7 mélangés à des déchets ou à d’autres matériaux ne figurant pas à l’annexe 7 est‑elle interdite?
En outre, il ne semble pas y avoir de seuils de volume ou de poids, que ce soit par produit, par ballot ou par chargement. L’absence de seuils définis pourrait rendre le traitement du recyclage et des déchets plus coûteux et plus difficile pour l’industrie des déchets en général.
Deuxièmement, le projet de loi, tel qu’il est rédigé, prévoit d’interdire l’exportation des types de déchets plastiques énumérés à l’annexe 7 vers les États-Unis. Par conséquent, les déchets collectés au Canada qui contiennent certaines composantes énumérées à l’annexe 7 ne pourront plus être exportés aux États-Unis à des fins d’élimination définitive.
Bien qu’à l’heure actuelle, la ville de Toronto n’envoie pas de déchets vers les États-Unis en vue de leur élimination définitive, la suppression de cette possibilité pour les entreprises privées de transport de déchets aura des répercussions sur Toronto et sur la province de l’Ontario à plusieurs égards. Si les ballots mixtes de déchets contenant des composantes inscrites à l’annexe 7 ne sont plus autorisés à être exportés, ils devront alors être enfouis au Canada.
Selon nos estimations actuelles, les espaces d’enfouissement en Ontario seront épuisés dans huit ans, soit vers l’année 2032. Ces estimations tiennent compte du fait que pour l’instant, environ 30 % des déchets générés en Ontario sont expédiés vers les États-Unis pour y être éliminés. Par conséquent, si l’Ontario cesse complètement d’exporter ses déchets vers les États-Unis, ses espaces d’enfouissement seront déjà épuisés vers 2028.
Je rappelle qu’il faut entre 10 et 15 ans pour aménager un nouveau site d’enfouissement en Ontario ou dans une autre province canadienne. L’augmentation du nombre de sites d’enfouissement en Ontario risque de créer une pénurie d’espace, et le coût par mètre cube d’espace d’enfouissement pourrait connaître une forte hausse en raison de la dynamique de l’offre et de la demande. Cette situation risque d’entraîner des coûts supplémentaires pour les utilisateurs des sites d’enfouissement, pour les entreprises et pour la population ontarienne en général.
Troisièmement, le projet de loi, tel qu’il est rédigé, ne définit pas clairement le terme « élimination définitive ». Par conséquent, on ne sait pas si les composantes énumérées à l’annexe 7 pourront être exportées à des fins de recyclage. Si c’est le cas, et comme il est courant que certaines composantes d’un ballot appelées résidus ne soient pas recyclées, cela signifie qu’il faudra réfléchir à la gestion de ces résidus. Les résidus devront-ils être renvoyés au Canada? Ou bien, si ces résidus ont été exportés vers un autre pays dans le cadre du processus de recyclage, ce deuxième processus ne sera-t-il pas considéré comme une exportation en soi?
Quatrièmement, le libellé du projet de loi n’est pas clair en ce qui concerne l’incinération des déchets comme procédé d’élimination définitive. Bien que la ville de Toronto interdit présentement l’incinération de ses déchets, que ce soit dans d’autres villes canadiennes ou à l’étranger, la perte de cette option risque d’entraîner une augmentation des coûts opérationnels au sein de l’industrie de la gestion des déchets dans son ensemble.
En résumé, je pense que le texte du projet de loi aurait intérêt à mieux détailler et encadrer les volets suivants : la liste des pays vers lesquels l’exportation de déchets est interdite; la composition des ballots de déchets destinés à l’exportation; une définition du terme « élimination »; l’élimination comprend-elle la récupération de l’énergie tirée des déchets?; les composantes des déchets pourront-elles être exportées à des fins de recyclage?; et finalement, quelles sont les exigences de gestion par rapport aux composantes qui ne sont pas recyclées ou renvoyées au Canada? Je vous remercie.
La présidente : Merci beaucoup. Nous allons à présent entamer la période de questions.
Le sénateur Arnot : Je vous remercie. Ma question s’adresse à Mme Gue. Vous avez dit que l’annexe 7 s’harmonise aux objectifs de la Convention de Bâle. Je sais que cette convention est entrée en vigueur en 1992, et qu’elle contient 32 éléments. Si je ne m’abuse, de nouveaux amendements visent à inclure davantage de déchets plastiques.
Cela dit, j’aimerais entendre vos recommandations par rapport au contenu d’une annexe qui pourrait éventuellement être ajouté au projet de loi. Pensez-vous que des composantes supplémentaires pourraient être inscrites dans une annexe en vue d’une éventuelle interdiction d’exportation? Nous sommes ravis d’entendre tous vos conseils à ce sujet, car nous cherchons à améliorer ce projet de loi dans la mesure du possible. J’imagine que vous allez répondre à ces questions en quatre minutes, voire davantage.
Mme Gue : Merci pour la question, monsieur Arnot. Je reconnais que la formulation de l’annexe 7 est problématique dans le contexte du projet de loi S-234, et ce, nonobstant l’intention du projet de loi.
Comme je l’ai mentionné, il y a également d’autres éléments qui posent problème. Si le comité décide d’apporter des amendements à ce projet de loi, je suggérerais de remplacer l’annexe 7 par une référence à l’annexe II de la Convention de Bâle. La Convention de Bâle est mentionnée dans les règlements pris pour mettre en application cette section de la LCPE, et est donc soit incorporée par référence, soit reproduite.
En ce qui concerne les produits plastiques, l’annexe II définit une catégorie de déchets plastiques qui exclut les déchets en grande partie propres, triés et destinés au recyclage. Comme l’a expliqué un autre témoin, la réalité est que la plupart des déchets plastiques ne sont pas recyclables, peu importe leur étiquette.
La Convention de Bâle ne contient pas une liste exhaustive des polymères. Par ailleurs, certains éléments indiqués sur cette liste semblent être des coquilles, et non des polymères. La liste pourrait être modifiée si nous nous en tenons aux polymères et à l’approche choisie par la Convention de Bâle, plutôt qu’à la question de savoir si tel ou tel déchet peut être recyclé.
La Convention de Bâle impose déjà des restrictions au Canada, et les règlements contenus dans cette section de la LCPE reconnaissent déjà que les déchets indiqués à l’annexe II sont des matières recyclables considérées comme dangereuses pour l’exportation. Par conséquent, la meilleure approche consisterait à remplacer l’actuelle annexe 7 soit en incorporant par référence l’entrée relative aux déchets plastiques de l’annexe II de la Convention de Bâle, soit en la reproduisant dans son intégralité.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question première s’adresse à notre témoin de la Ville de Toronto. Vous semblez dire que s’il faut gérer nous-mêmes le plastique dont l’exportation est interdite ici au Canada, cela peut poser des problèmes. C’est compliqué d’ouvrir un site de déchets. Quelle est la quantité de déchets enfouie par la Ville de Toronto chaque année? Quelle est la quantité de déchets enfouis par le Canada chaque année? On parle de 20 000 tonnes de déchets plastiques qui sont interdits ici. C’est assez mineur, quand même, par rapport à l’ensemble de l’œuvre, et ce, en présumant que ces déchets seront enfouis. Ne poussez-vous pas un peu en disant qu’il faudrait ouvrir un site de déchets?
[Traduction]
M. Keliher : Je vous remercie pour la question. Vingt mille tonnes, c’est très peu par rapport à la quantité totale de déchets que la ville de Toronto ou le Canada en général peut enfouir en un an. Pour mettre les choses en contexte, je rappelle que Toronto est en mesure de procéder à l’enfouissement d’environ 500 000 tonnes de matériaux par an, lesquels sont recueillis au sein des zones résidentielles.
Cela dit, l’un des autres défis liés aux matériaux est d’être en mesure de bien les identifier. Dans le projet de loi, quelle est la définition d’un « ballot de matériaux », et est-il question de telle ou telle composante spécifique? Il me paraît beaucoup plus facile, et probablement plus rentable, de gérer l’ensemble des matériaux en les répartissant sur 50 000, 60 000, voire 70 000 tonnes dans ces ballots à déchets.
Il est particulièrement important, dans une perspective opérationnelle, de mieux comprendre le seuil de déchets pouvant être exporté selon le volume ou la quantité.
Par exemple, si une tonne de déchets contient quelques kilos de ce type de matériaux, l’ensemble des matériaux doivent-ils être retirés du ballot à déchets avant d’être exportés vers les États-Unis, comme c’est le cas actuellement?
Ainsi, une meilleure compréhension du volume, de la quantité et de la composition des matériaux dédiés à l’exportation nous permettrait de mieux saisir les répercussions potentielles sur la gestion des sites d’enfouissement d’un point de vue opérationnel.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux deux autres témoins. Si je comprends bien, vous dites que l’identification du plastique qui serait interdit d’exportation serait un peu compliquée à mettre en œuvre. Il faudrait plutôt interdire l’exportation complète du plastique — ce serait un travail plus efficace.
Mme Gue : C’est évident. Je vais continuer en anglais pour être sûre d’être précise.
[Traduction]
La Convention de Bâle et les obligations du Canada qui en découlent prévoient une exclusion pour certains types de déchets destinés au recyclage. La convention établit une distinction entre plusieurs catégories de déchets dangereux, incluant certains plastiques, et une catégorie de déchets nécessitant une attention particulière. Il s’agit de déchets plastiques qui ne sont pas classés comme dangereux, mais qui ne sont pas destinés au recyclage; c’est sur eux que nous devons nous concentrer. Comme vous l’a expliqué Mme Wirsig, le Canada n’exporte habituellement pas de déchets plastiques en grandes quantités en vue de leur élimination définitive. En général, il s’agit d’exportation de déchets plastiques destinés officiellement au recyclage, mais qui font très peu souvent l’objet d’évaluations. On ne sait donc pas vraiment où se rendent ces déchets, ni s’ils ont été recyclés.
[Français]
Le sénateur Carignan : Selon vous, serait-il préférable d’interdire complètement l’exportation du plastique?
[Traduction]
Mme Gue : Nous sommes d’avis que le projet de loi devrait refléter le contenu de la Convention de Bâle, et exclure ainsi les plastiques qui ne se destinent pas au recyclage.
[Français]
Le sénateur Carignan : C’est ce que fait le projet de loi.
Mme Gue : Pas tout à fait.
[Traduction]
L’annexe 7 est limitée à la liste de polymères plastiques dont j’ai parlé. Il est difficile d’identifier ces plastiques particuliers lors d’une expédition transfrontalière de déchets plastiques.
Par ailleurs, le projet de loi vise la catégorie des déchets plastiques destinés à l’élimination définitive, alors que nous savons que la grande majorité de ces déchets finissent apparemment par être recyclés.
Le sénateur Wells : Ma première question s’adresse à M. Keliher.
Je sais que vous êtes directeur de l’Ontario Waste Management Association. J’imagine que cette association comprend des entreprises qui seraient affectées sur le plan commercial par l’adoption éventuelle de ce projet de loi.
Pouvez-vous dire quelque chose à cet égard? Quel est le point de vue des autres membres de l’Ontario Waste Management Association responsables de l’exportation de déchets plastiques?
M. Keliher : Merci pour cette question.
Je suis effectivement membre de l’Ontario Waste Management Association. Néanmoins, je ne souhaite pas me prononcer sur l’opinion des membres individuels de l’association à propos de ce projet de loi particulier. Je dois d’abord en discuter avec le conseil d’administration et le président.
Je tiens cependant à préciser que lorsqu’un projet de loi ou un règlement est proposé, il faut tenir compte de sa portée et de ses répercussions potentielles sur les entreprises, les contribuables et l’environnement. Il faut également évaluer la capacité opérationnelle des entreprises à se plier à la nouvelle réglementation. Comme nous travaillons sur le terrain et que nous assurons la gestion de la plus grande entreprise de traitement des déchets municipaux au pays, nous prenons très au sérieux nos obligations par rapport à l’ensemble des lois et des règlements, et nous respectons les certificats environnementaux. Nous devons veiller à ce que les projets de loi et les règlements proposés par le gouvernement puissent être adoptés par les acteurs sur le terrain.
Pour revenir à mes remarques concernant la composition des ballots de déchets, il est extrêmement important que les règlements soient bien définis tant pour les municipalités, les entreprises et les simples citoyens qui bénéficient de nos services.
Le sénateur Wells : J’aurais une autre question à poser à M. Keliher, mais je vais attendre le deuxième tour. Je vais plutôt poser ma prochaine question à un autre témoin.
Je ne sais pas qui de Mme Gue ou de Mme Wirsig est la mieux placée pour répondre à cette question. En ce qui concerne le suivi des exportations de déchets, je rappelle que certains déchets sont identifiés par différents codes en vertu du système harmonisé, le SH, ou sous différents noms de produits. Nous savons qu’un nombre important de déchets sont mal étiquetés, que ce soit par erreur ou de façon intentionnelle, alors qu’elle est le meilleur moyen d’assurer le suivi de nos exportations? Devrions-nous afficher les données d’exportation? Quelle est la meilleure stratégie? Je ne sais pas qui serait la meilleure...
Mme Gue : Madame Wirsig, voulez-vous commencer?
Mme Wirsig : Avec plaisir. Je vous remercie pour votre question.
Nous sommes conscients que le suivi des exportations de déchets représente un défi de taille, en partie dû aux erreurs d’étiquetage. Pour ce qui est des déchets plastiques, la situation est complexe, car le plastique est présent dans de nombreuses formes de déchets susceptibles d’être exportés ou d’être éliminés au Canada.
La solution, c’est de simplifier au maximum les règlements auxquels devront se plier les entreprises qui exportent des déchets. Nous devons également commencer à installer davantage de conteneurs en sol canadien. Je ne sais pas si vous avez consulté un documentaire sur le sujet diffusé par CBC et Radio-Canada au début de l’année 2022. On pouvait notamment y voir un inspecteur belge en train d’ouvrir une cargaison de déchets en provenance du Canada, et qui transitait par Gand, en Belgique, à destination de l’Inde. La cargaison était censée contenir simplement du papier, mais elle était remplie de déchets plastiques.
Nous ne pouvons donc pas compter sur notre radiodiffuseur public ni sur les inspecteurs d’autres pays pour faire ce travail. Nous devons intensifier nos opérations de surveillance et de contrôle afin que les entreprises qui exportent des déchets comprennent que le Canada n’est pas laxiste en matière de réglementation. Pour revenir à mon exemple, la cargaison de déchets plastiques vérifiée à Gand par un inspecteur belge a fini par être détruite sur place, et la facture a été refilée à l’entreprise canadienne responsable. Bref, nous devons éviter à tout prix qu’une telle situation embarrassante ne se reproduise.
Il faut absolument éviter que nos déchets finissent par devenir un fardeau polluant pour d’autres pays. Nous devons améliorer le contrôle de ces déchets en sol canadien, avant qu’ils ne soient exportés ailleurs sur la planète.
Le problème du projet de loi tel qu’il est présentement formulé, c’est qu’il n’offre pas de solutions pour mieux identifier les cargaisons qui, comme nous le savons, contiennent souvent des erreurs d’étiquetage. Comme Mme Gue l’a suggéré, la meilleure manière de moderniser la LCPE est d’harmoniser notre réglementation sur la Convention de Bâle. Nous devons utiliser les mêmes définitions rationalisées qui sont en vigueur partout dans le monde afin que nos exportations de déchets puissent être tracées adéquatement. Nous devons également assurer le suivi de nos exportations dès qu’elles quittent le Canada, et vérifier systématiquement si les règles inscrites dans la Convention de Bâle sont respectées.
Le sénateur Wells : Je vous remercie.
La présidente : Ma prochaine question s’adresse à Mme Wirsig et concerne l’enjeu de la traçabilité. Dans les débuts de l’industrie du recyclage, c’était les entreprises de recyclage elles-mêmes qui imposaient leurs conditions. Les dirigeants de ces entreprises nous expliquaient que pour recycler une tonne de plastiques ou d’aluminium, le produit devait correspondre à telle densité, telle quantité de saleté, tel degré de contamination, et ainsi de suite. Les entreprises avaient ensuite le beau jeu de payer au gouvernement la somme qu’elles avaient elles-mêmes décidée, puis procédaient au recyclage. Que s’est-il passé pour que cette situation cesse et que nous perdions le contrôle? Pouvez-vous m’expliquer cela?
Mme Wirsig : La réponse simple tient en un seul mot : plastique.
La présidente : Plastique? Pourriez-vous préciser votre pensée?
Mme Wirsig : Comme M. Keliher en conviendra peut-être, le recyclage municipal était beaucoup plus simple lorsque la plupart des produits recyclables étaient composés de papier, de verre et de métal. Nous avons maintenant affaire à des articles manufacturés en plastique et à des emballages en plastique. Ils ont tous des formes, des tailles et des densités différentes, et ils sont composés de différents types de polymères chimiques, si bien qu’on ne peut pas les recycler ensemble.
Voici ce qui finit par arriver : les entreprises capables de recycler le polyéthylène téréphtalate vous proposeront un bon prix pour ce matériau — à supposer que les prix des produits de base soient à la hausse —, et il faut bien trier le tout. Mais qu’advient-il des déchets qui ne sont pas bien triés? Qu’est-ce que j’en fais? Dois-je payer des frais pour qu’ils soient enfouis? Ou peut-être y a-t-il une entreprise en Inde qui s’en occupera, en payant 200 roupies par jour aux femmes qui feront le triage, puis j’utiliserai les produits commercialisables qui en découlent et qui valent la peine, alors que le reste sera brûlé ou jeté dans une rivière.
Nous faisons face aujourd’hui à des flux de recyclage contaminés par le plastique, et cela comprend aussi bien les déchets que les matières organiques. Le plastique étant omniprésent, le triage est devenu un véritable cauchemar, et c’est en partie la raison pour laquelle nous vous demandons d’élargir la portée des interdictions concernant les produits en plastique.
La présidente : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai besoin de précisions. Vous semblez dire qu’il est préférable de ne pas avoir de projet de loi du tout que d’avoir ce projet de loi, et que le Canada doit signer l’amendement visant à interdire l’exportation de plastiques à élimination définitive ou de plastiques dangereux. Le Canada n’a pas signé la convention et nous n’avons pas le pouvoir de demander au gouvernement de la signer. Notre seul pouvoir, c’est d’adopter ou non un projet de loi d’initiative sénatoriale. C’est bien beau de dire qu’on n’inspecte pas suffisamment ce qui passe par la frontière, mais que ce soit la Convention de Bâle ou un projet de loi qui s’applique, ce problème ne sera pas réglé.
J’essaie de comprendre ce que vous voulez dire. Qu’est-ce que vous voulez? Pas de projet de loi, ou alors un changement précis de la définition de l’expression « à élimination définitive »? Il y a eu beaucoup d’acronymes dans votre présentation et j’en ai perdu des bouts. Est-ce que vous pouvez préciser ce que vous voulez, ce que vous ne voulez pas et quel amendement vous souhaitez que nous fassions?
[Traduction]
Mme Gue : Je vous remercie de votre question, et je vous comprends très bien. Il y a la Convention de Bâle, la LCPE, le règlement sur l’exportation de déchets dangereux, ainsi que le projet de loi et de nombreux renvois. Je vais vous répondre en premier, après quoi j’inviterai Mme Wirsig à compléter ma réponse, car je sais qu’elle a des observations à faire.
Voici en quoi consiste l’enjeu. Le Canada s’apprête, fort heureusement, à mettre en œuvre la modification de l’interdiction de Bâle. Les modifications proposées au RMT, dont j’ai parlé, visent explicitement à l’harmoniser avec la modification de l’interdiction de Bâle et à placer le Canada dans une position lui permettant de ratifier cette modification. Peu importe le pouvoir dont dispose le comité sénatorial sur ces questions, j’espère que vous encouragerez le Canada à procéder à la ratification de cette modification.
Parlons maintenant de la mise en œuvre. Le problème, c’est que le Canada s’apprête à mettre en œuvre la modification de l’interdiction de Bâle en apportant des changements à la réglementation, ce qui semble constituer un pas dans la bonne direction, mais il y a certaines lacunes, comme nous en avons discuté. Le hic, c’est que le projet de loi présente les mêmes lacunes et encore plus.
En résumé, je pense que l’adoption du projet de loi, dans sa forme actuelle, n’améliorera pas la situation en ce qui a trait aux exportations illégales de déchets plastiques. Le projet de loi ne fera pas grand-chose pour que le Canada remplisse ses engagements aux termes de la Convention de Bâle en ce qui concerne les modifications liées aux plastiques, et encore moins la modification de l’interdiction de Bâle, si jamais le Canada en devient signataire.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que je me trompe ou la Convention de Bâle est non contraignante? C’est une convention internationale.
[Traduction]
Mme Gue : Le Canada a des obligations dans le cadre du traité. Il s’agit d’un traité environnemental. La situation que vous soulignez, c’est ce qui se passera si nous ne mettons pas en œuvre ces obligations de manière efficace. À mon avis, le Canada doit se demander comment faire pour assurer une mise en œuvre selon les normes les plus élevées.
Sachez que je remettrai au comité des amendements que nous avons proposés pour combler certaines des lacunes du projet de loi lorsqu’il a été présenté pour la première fois, en plus des changements proposés à la réglementation. Je suis convaincue qu’il est possible de régler certaines de ces questions en renforçant ces modifications.
C’est là que réside tout le problème. Ce qui m’inquiète, c’est l’adoption d’un projet de loi qui prétend s’attaquer au problème sans vraiment le résoudre et qui, en fait, crée plutôt des difficultés sur le plan de la mise en œuvre, difficultés qui détourneront l’attention alors que le gouvernement doit s’atteler à la tâche et faire plus d’efforts en matière d’application, comme nous venons d’en discuter. Tenter de mettre en œuvre le projet de loi, dans sa forme actuelle, pourrait en fait drainer les ressources.
Mme Wirsig : La Convention de Bâle est exécutoire. Elle exige que le Canada adopte des règlements pour en assurer l’application ou la mise en œuvre. Elle exige que ces règlements soient appliqués.
Je salue certes l’esprit du projet de loi. Il y a toutefois lieu d’apporter quelques modifications législatives à la LCPE pour rectifier le tir. Mme Gue soutient qu’il est également possible de corriger ces lacunes en mettant à jour les règlements relatifs à la LCPE et aux exportations de déchets.
Si vous tenez à laisser votre marque dans le dossier des exportations de déchets plastiques, nous ne sommes pas là pour vous dire de ne pas le faire. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Gue : il faut rendre ces mesures efficaces et leur donner du poids.
Je pense qu’il faut également veiller à ce que la capacité d’application soit présente. Faute de quoi, ces règlements ne signifieront rien. À mon avis, c’est un secteur où il est difficile de faire respecter les dispositions. La réglementation et l’application ne sont pas une mince affaire dans ce domaine; il faut donc s’y atteler avec soin.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci à nos témoins d’être parmi nous aujourd’hui. C’est très apprécié. Cependant, lorsque je vous écoute, je me dis que la situation est grave. Il y a des gens qui ne prennent pas la situation au sérieux et qui polluent le monde. Comment peuvent-ils se permettre de le faire? C’est un scandale.
D’un autre côté, on parle des Canadiens et des Américains. Ce sont des gens très bien. Quel est l’inverse? Quel est l’argument? Pourquoi y a-t-il des gens comme vous, qui voient cette situation comme étant négative, alors que les législateurs de plusieurs pays ne font rien? Ultimement, ils doivent se dire qu’ils ont une bonne raison de ne rien faire et que rien n’est urgent. Pouvez‑vous nous expliquer quelles sont les conséquences de tout cela?
[Traduction]
Mme Gue : Je ferai d’abord remarquer qu’en Europe, la modification de l’interdiction de Bâle a généralement été mise en œuvre dans le cadre de lois adoptées par les États pour interdire l’exportation de tous les déchets qualifiés de dangereux et demandant un examen spécial aux termes de la Convention de Bâle. Cela comprend les plastiques dont nous avons parlé. Ces exportations sont totalement interdites en dehors de l’Union européenne. Il est important de garder à l’esprit que le Canada n’est pas un chef de file dans ce domaine et qu’en fait, d’autres pays ont été plus rapides à ratifier la modification de l’interdiction de Bâle et à instaurer des contrôles efficaces pour les exportations de déchets plastiques.
Je suis d’accord avec Mme Wirsig : ce qui complique considérablement la situation au Canada, c’est l’ampleur ou la prédominance de notre commerce de déchets avec les États-Unis, qui ne sont pas signataires de la Convention de Bâle.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Pourquoi ne sommes-nous pas pressés alors que c’est si urgent et important? Pourquoi réagit-on avec patience? Vous nous dites pourtant que c’est très important.
Mme Gue : Personnellement, je n’ai pas de patience. C’est une très bonne question. C’est une question urgente. Les Nations unies parlent d’une triple crise écologique : changement climatique, perte de la biodiversité et pollution, y compris à cause des déchets plastiques. C’est tout à fait urgent.
Le sénateur Massicotte : Merci.
[Traduction]
La sénatrice McCallum : Je remercie les témoins de leurs exposés.
Lorsque nous examinons les déchets plastiques et la façon dont ils sont éliminés, comment une telle approche peut-elle être écologiquement rationnelle, sachant que ces déchets sont transportés et que nous ne sommes pas en mesure de les gérer dans notre propre pays? Je sais qu’à Winnipeg, la plupart des produits en plastique triés par les gens se retrouvent au dépotoir parce qu’ils sont sales. Les gens ne les lavent pas; ils ne respectent pas cette consigne.
Je crains que nous soyons envahis par les déchets plastiques dans un proche avenir, ce qui semble déjà être le cas puisque nous devons maintenant compter sur l’exportation de ces déchets.
Comment peut-on utiliser l’expression « écologiquement rationnelle » dans une situation comme celle-ci?
En ce qui a trait aux sites d’enfouissement, espérons qu’il n’y en aura pas sur les terres des Premières Nations; c’est bien ce qui me pose problème.
Mme Gue : Je vous remercie de vos observations, sénatrice.
Il est très important de ne pas perdre de vue, dans cette conversation, les aspects très concrets de la justice environnementale relativement au commerce mondial des déchets. Comme l’a expliqué Mme Wirsig, nous prenons conscience des exportations illégales de déchets plastiques dans les pays non membres de l’OCDE lorsque nous voyons aux nouvelles les images de communautés extrêmement pauvres qui sont empoisonnées par les déchets de notre surconsommation. Nous devons être conscients de cette réalité, à l’échelle tant nationale qu’internationale.
Votre question sur la gestion écologiquement rationnelle est pertinente pour la situation du Canada. La majorité de nos échanges transfrontaliers de déchets se font avec les États-Unis. Dans ce cas, le Canada est signataire de la Convention de Bâle, alors que les États-Unis ne le sont pas. Ainsi, le Canada est tenu de veiller à ce que toute cargaison vers un pays non signataire de la Convention de Bâle — en l’occurrence, les États-Unis — soit traitée dans des installations qui utilisent des méthodes écologiquement rationnelles.
Le Canada ferme délibérément les yeux sur cette question. Nous ne pouvons essentiellement rien garantir de tel pour le moment. Le Canada a signé un accord bilatéral avec les États‑Unis sur le commerce des déchets. On y emploie les mots « écologiquement rationnelle », mais en pratique, cela signifie que nous n’exigeons pas de permis pour les déchets demandant un examen spécial — les déchets plastiques qui ne se prêtent pas au recyclage. Nous ne réclamons pas de modification des exigences en matière de permis, et ces nouveaux règlements n’engloberont pas les exportations de déchets plastiques vers les États-Unis parce que nous avons signé un bout de papier qui dit que la gestion des déchets aux États-Unis est, en grande partie, « écologiquement rationnelle ». C’est là un conte de fées. Cette question mérite un examen plus approfondi.
Mme Wirsig a peut-être quelque chose à ajouter sur les relations entre le Canada et les États-Unis.
Mme Wirsig : Je vous remercie de votre question, sénatrice McCallum.
Je suis profondément troublée par ce que nous considérons comme étant écologiquement rationnel, surtout en ce qui a trait au recyclage du plastique.
Il y a des cas où le plastique est recyclé comme il se doit pour fabriquer le même type de produit qu’il était au départ, mais c’est extrêmement rare. Voilà pourquoi les recommandations que j’ai formulées ne concernent pas seulement le projet de loi, mais aussi le gouvernement dans son ensemble. Nous devons absolument fermer le robinet du plastique. Après tout, où vont les déchets? Ils ne vont pas dans ma cour. Ils ne vont pas dans la cour des gens les plus puissants au pays ou dans le monde. Ils se retrouvent dans la cour de ceux qui ne peuvent pas dire non. Malheureusement, au Canada, nous savons qu’il s’agit des terres autochtones. C’est aussi le cas aux États-Unis et ailleurs dans le monde.
Voilà pourquoi, bien franchement, nous devons fermer le robinet du plastique. Déjà, à la base, nous ne pouvons pas produire autant de déchets. Les déchets que nous produisons doivent rester ici parce que c’est la seule façon de savoir si nous pouvons gérer la consommation actuelle.
Le commerce des déchets est devenu une soupape de décompression pour certaines des substances les plus dangereuses que nous ne voulons pas garder dans notre propre cour, et cela doit cesser. Je ressens tout à fait l’urgence de faire quelque chose à ce sujet.
Au fond, la Convention de Bâle va un peu dans ce sens. Toutefois, tant que nous produirons des déchets, nous aurons des problèmes. Nous devons, en même temps, tâcher d’éliminer complètement les déchets plastiques.
La présidente : Je vous remercie. Madame Gue, vous avez dit vouloir présenter des amendements à un moment donné, mais je ne pense pas que vous reviendrez devant notre comité. Allez‑vous nous les faire parvenir, ou pouvez-vous nous expliquer brièvement l’intention visée?
Mme Gue : Oui. Je peux vous en donner les grandes lignes tout de suite. Pardonnez-moi si je n’ai pas été assez claire, mais je voulais dire que j’allais les présenter par écrit. Nous avons été prévenus de la comparution d’aujourd’hui un peu à la dernière minute. Je n’ai donc pas pu préparer un mémoire écrit, mais nous recommandons les mêmes amendements que ceux que nous avons présentés en 2021 au comité de la Chambre.
De façon générale, il y a trois amendements. En premier lieu, et cela rejoint la question que le sénateur Arnot a posée tout à l’heure, il s’agit de remplacer l’interdiction prévue dans ce règlement par une interdiction beaucoup plus large de l’exportation des déchets plastiques, sauf... et ensuite, de créer une exception semblable à celle qui est contenue dans l’annexe II de la Convention de Bâle. C’est un libellé assez détaillé, alors je ne le lirai pas mot à mot ici. En gros, cela concerne les déchets qui se prêtent au recyclage, c’est-à-dire qui sont nettoyés et triés, sous réserve de certaines exceptions pour les types de plastiques qui, à notre connaissance, peuvent être recyclés de manière efficace.
En deuxième lieu, il s’agit d’interdire l’exportation, vers les pays non membres de l’OCDE, de déchets plastiques qualifiés de dangereux ou demandant un examen spécial, au sens de la Convention de Bâle. Il faudrait donc apporter un amendement au projet de loi actuel en ce qui concerne l’accent mis sur l’élimination définitive. Nous proposons d’ajouter une disposition interdisant toute exportation de déchets plastiques dangereux ou demandant un examen spécial vers des pays non membres de l’OCDE. Encore une fois, comme je l’ai dit au début, c’est la meilleure pratique à adopter en ce moment. C’est ainsi que les pays européens mettent en œuvre, dans leurs lois nationales, les modifications concernant le plastique et l’interdiction de Bâle.
Enfin, les déchets plastiques qui ne sont pas interdits par l’ensemble de ces mesures doivent rester soumis aux exigences en matière de permis au titre de la LCPE, en gros, pour le commerce des déchets. C’est à cet égard que je vois des progrès dans les récents changements apportés aux modifications, sauf qu’ils ne vont pas assez loin pour exiger l’obtention de permis pour les expéditions de déchets plastiques vers les États-Unis. Il s’agit là d’une lacune. Comme l’a dit Mme Wirsig, les permis ne sont valables que dans la mesure où ils sont appliqués, mais ils fournissent au moins un outil d’imputabilité, en plus d’améliorer la responsabilisation quant à la destination ultime de nos expéditions de déchets vers les États-Unis.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui. Je comprends qu’il y a un problème de traçabilité et de transparence dans cette industrie. Y a-t-il des pays qui ont une façon de faire qui rend ce secteur d’activité un peu plus transparent?
Voilà ma première question, qui s’adresse à vous tous.
Vous parlez d’une possibilité d’interdiction des exportations. Voici ma deuxième question. A-t-on fait une évaluation de ce que cela pourrait coûter, surtout aux petites et moyennes entreprises dans ce secteur? Que faudrait-il faire, si jamais on allait dans le sens de l’interdiction? Merci.
Mme Gue : Merci pour les questions.
[Traduction]
Je vais commencer, puis je laisserai les autres compléter mes observations. En ce qui a trait aux pratiques exemplaires, j’attire votre attention à nouveau sur les pays européens qui ont mis en œuvre les récentes modifications à la Convention de Bâle concernant le plastique et la modification de l’interdiction de Bâle, laquelle interdit les déchets dangereux et les déchets demandant un examen spécial, ce qui comprend, je le répète, les plastiques qui ne se prêtent pas au recyclage. Il s’agit d’une interdiction totale des exportations vers les pays non membres de l’OCDE. Cela vient clarifier la structure réglementaire.
À mon avis, les problèmes que Mme Wirsig a soulignés tout à l’heure — c’est-à-dire les difficultés liées à la gestion des déchets plastiques — existent partout avec le même degré de complexité. Je trouve espoir dans les négociations qui se déroulent en vue d’un traité juridiquement contraignant pour lutter contre le cycle complet des déchets plastiques. Je suis tout à fait d’accord sur ce que Mme Wirsig a dit plus tôt, à savoir que nous ne pourrons pas régler ce problème en aval seulement. Nous devons nous attaquer à la source du problème, c’est-à-dire à notre surconsommation et à notre surproduction de matières plastiques.
La deuxième question portait sur les coûts. Je n’ai pas cette information. D’habitude, cet aspect serait analysé dans le cadre d’un projet de règlement. Je suis encouragée de voir les mesures prises à cet égard dans le projet de règlement — mesures qui sont chiffrées —, mais encore une fois, elles ne vont pas assez loin. Pour ce qui est de notre évaluation des coûts, je dirais que nous devons cesser d’exclure les coûts pour l’environnement. Les problèmes environnementaux éclipsent certaines des autres façons dont nous mesurons les coûts, et nous devons adopter une vision plus réaliste et plus globale des coûts liés au problème des déchets plastiques.
La présidente : Madame Wirsig, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Wirsig : En ce qui a trait aux répercussions sur les petites entreprises, il faut vraiment que le tout fasse partie d’une transition équitable afin que notre économie ne dépende plus de l’extraction des ressources et des déchets. J’encourage les petites et moyennes entreprises qui se livrent actuellement au commerce de déchets plastiques et d’autres substances toxiques à réfléchir à la façon dont elles peuvent participer davantage à la prestation de services pour éliminer les déchets dès le départ, comme les services de réutilisation et d’autres services de ce genre qui éliminent les déchets. C’est l’orientation que doivent prendre les petites et moyennes entreprises.
[Français]
Le sénateur Carignan : J’essaie de bien comprendre. Le projet de loi n’arrive pas de nulle part. Il ne change pas un système qui existe déjà. La Loi canadienne sur la protection de l’environnement prévoit déjà certaines mesures dans la section 8, qui s’intitule « Contrôle des mouvements de déchets dangereux ou de matières recyclables dangereuses et de déchets non dangereux régis devant être éliminés définitivement ». On prévoit même un système de permis, d’exportation, d’importation, un contrôle, un étiquetage, une inspection, une autorisation de la part du pays qui reçoit ces déchets pour s’assurer de ce qu’il fera avec ces derniers.
Il y a déjà tout un système en place. Il ne fonctionne peut-être pas parfaitement, mais on présume qu’il fonctionne.
De plus, le projet de loi donne une liste de plastiques qui sont à élimination définitive, une liste qui existe déjà dans différentes annexes de la Convention de Bâle. On est en mesure de les identifier. La convention dit que l’on va interdire l’exportation de ces plastiques, à l’instar de tous les pays d’Europe. Au Canada, on ne serait pas en mesure de le faire. Il y a même plus que cela, si c’est trop compliqué et que je prends l’exemple de notre ami de Toronto, on ne sait pas trop... Parfois — je pense que je suis un peu confus —, cela peut être difficile à appliquer. Cependant, le projet de loi donne même le pouvoir au ministre de modifier la liste, de supprimer des éléments ou d’en ajouter. C’est trop compliqué, on va éliminer cela.
Quel est le problème? Qu’est-ce que le Canada n’est pas en mesure de faire, mais que l’Europe fait — excusez l’expression — les deux doigts dans le nez?
[Traduction]
Mme Gue : Malheureusement, il n’est pas rare que le Canada soit à la traîne des pays de l’Union européenne au chapitre des normes environnementales. D’ailleurs, je salue vos efforts, sénateur, pour aider le Canada à rattraper son retard relativement à cet aspect du problème.
L’enjeu, c’est que, même depuis le premier dépôt du projet de loi, la comparaison a changé, les pratiques exemplaires ont évolué. Aujourd’hui, il y a les modifications concernant le plastique aux termes de la Convention de Bâle, modifications qui reconnaissent essentiellement que nous ne réglerons pas le problème des déchets plastiques par une liste définitive de déchets, mais plutôt par une compréhension de la question de savoir si ces déchets se prêtent ou non au recyclage — je reviens là-dessus —, s’ils sont ou non étiquetés comme tels et s’ils sont destinés ou non à l’élimination définitive. C’est ce que les lois européennes prévoient désormais. De plus, elles incorporent par renvoi le cadre de Bâle, ce qui n’est pas le cas du projet de loi à l’étude.
Je crains que la restriction applicable à l’élimination définitive...
[Français]
Le sénateur Carignan : La loi fait déjà cela en bonne partie, avec l’interdiction d’exporter et d’importer et avec l’imposition de permis. Il y a des éléments du système de la Convention de Bâle qui sont déjà incorporés dans la législation actuelle. Nous y ajoutons l’interdiction de certains plastiques.
[Traduction]
Mme Gue : Ma recommandation serait de travailler avec ce système, qui — vous avez raison — est destiné à mettre en œuvre Bâle, mais qui est antérieur aux amendements sur les plastiques. Encore une fois, il faut intégrer les déchets nécessitant une attention particulière — les déchets de l’annexe II, qui comprennent les plastiques non recyclables — à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement au titre des exigences auxquelles vous venez de faire référence. Les récentes modifications proposées au règlement y parviendraient en partie en exigeant au moins une autorisation pour les transferts vers les parties prenantes de la Convention de Bâle, mais ne résoudraient pas le problème que le Canada a avec les États‑Unis.
En résumé, je pense que le Canada doit être conscient des circonstances de notre commerce de déchets avec les États-Unis, qui sont compliquées par le fait que les États-Unis eux-mêmes ne sont pas signataires de la Convention de Bâle. En outre, au terme d’une réflexion sérieuse, le projet de loi pourrait être renforcé en gardant à l’esprit la façon de s’attaquer à ce problème. Nous devons tenir compte des dernières exigences de Bâle et pas seulement de celles d’il y a plusieurs décennies.
Embrassons les pratiques exemplaires actuelles, et non celles d’il y a 10 ans.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais obtenir encore quelques précisions.
Dans le projet de loi, on parle de « plastiques destinés à l’élimination définitive ». Vous dites qu’il faut parler aussi de déchets dangereux et de déchets plastiques dont on dispose de façon particulière.
Est-ce qu’on peut avoir une idée du pourcentage pour bien comprendre le problème? Quand on pense à tous les plastiques recyclables, quel pourcentage serait couvert par le projet de loi? Vous dites, si je comprends bien, qu’on capturerait plus de plastiques non exportables avec la définition de la Convention de Bâle?
Est-ce qu’on parle ici de quantité? Est-ce qu’on est capable de mesurer combien il y a de plastique qu’il faut à tout prix éliminer?
[Traduction]
Mme Gue : C’est une excellente question. Je ne sais pas si cette analyse a été faite pour ce projet de loi. J’imagine qu’il serait difficile de le faire en raison de la façon dont l’annexe 7 est construite. Je vais laisser Mme Wirsig répondre à cela. Dans son témoignage, je pense qu’elle a dit quelque chose sur l’ampleur du problème.
Je tiens cependant à apporter une précision. Je pense que votre question mélange deux problèmes. Le premier concerne la portée de l’interdiction et la formulation de l’annexe 1. Cependant, vous avez raison de dire que la chose la plus importante qui se cache derrière votre question est la limitation de l’interdiction visant les déchets destinés à l’élimination définitive. Je voulais simplement souligner qu’il s’agit de deux problèmes légèrement distincts concernant le projet de loi. Nous savons que le nombre d’expéditions de déchets plastiques quittant le Canada aux fins d’élimination définitive est bien inférieur à celui des expéditions de déchets plastiques quittant le pays prétendument pour le recyclage.
Madame Wirsig, avez-vous des données plus précises sur la façon dont ces deux types de déchets se comparent?
Mme Wirsig : Nous savons que, dans l’ensemble, il n’y a qu’environ 8 % des déchets plastiques qui sont bel et bien recyclés. Je présume que la majeure partie du plastique exporté en dehors des États-Unis n’est jamais recyclé de manière efficace, car s’il existe des matériaux bien triés et prêts à être recyclés sur un marché à l’autre bout du monde, ils resteront en Amérique du Nord, n’est-ce pas? Nous ne disposons pas de données fiables à ce sujet pour le monde entier, mais j’ai parlé à des activistes dans d’autres pays où les déchets plastiques du Canada sont acheminés. Ils n’en veulent pas. Ils ne sont pas recyclés de façon sécuritaire. Même s’ils sont bien triés — par exemple les déchets de polystyrène, dont nous expédions une grande partie vers des pays comme la Malaisie — et même s’ils sont expédiés là-bas, ils ne sont pas recyclés de façon sécuritaire. C’est un fardeau pour ces collectivités.
Par conséquent, il y a vraiment deux points dont vous devez tenir compte si vous voulez améliorer ce projet de loi. Le premier concerne la façon dont vous définissez le destin de ce plastique aux termes du projet de loi proprement dit. Essentiellement, vous devriez peut-être le restreindre aux exportations de déchets en dehors de l’OCDE. Ensuite, l’annexe — si vous avez besoin d’une annexe — doit vraiment définir l’ensemble des déchets plastiques. La définition la plus simple que le monde ait trouvée est celle des déchets plastiques qui ne se prêtent pas à un recyclage sécuritaire et respectueux de l’environnement. C’est le cas de la plupart des cargaisons qui sont actuellement exportées.
Je pense que l’autre problème soulevé par la Ville de Toronto, c’est qu’avec la manière dont ce projet de loi est formulé, cela pourrait inclure des transferts de déchets qui ne sont pas actuellement couverts par les amendements de Bâle, comme des déchets ménagers. Je pense que c’est une question intéressante. Devrions-nous envoyer nos déchets ménagers aux États-Unis pour qu’ils y soient brûlés ou enterrés — probablement sur des terres autochtones, franchement? Non, nous ne devrions pas faire cela. Est-ce là l’intention de ce projet de loi? Je n’en suis pas certaine. Devrions-nous avoir une discussion plus approfondie à ce sujet? C’est probablement ce qu’il faudrait faire.
Le manque de clarté de ce projet de loi va créer beaucoup de confusion à tous les niveaux. C’est vraiment ce que nous essayons d’éviter, car nous souhaitons être en mesure de nous consacrer à la tâche urgente d’arrêter immédiatement le pire de ce commerce et de réduire nos déchets plastiques. En fin de compte, nous voulons arriver à un point où nous n’aurons plus besoin d’en exporter nulle part.
Mme Gue : Puis-je apporter une précision?
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question à vous poser directement, madame Wirsig.
Vous avez fait une déclaration en 2021 sur l’accord entre le Canada et les États-Unis concernant l’exportation des déchets plastiques. Vous aviez alors affirmé qu’il fallait éliminer les déchets plastiques à la source.
Est-ce qu’on a les technologies requises au Canada pour faire cela? Est-ce que vous rêvez ou une telle technologie existe-t-elle?
Mme Wirsig : La technologie que l’on souhaite, c’est une technologie qui remplacerait surtout les emballages à usage unique par aucun emballage, si l’emballage n’est pas nécessaire. Sinon, il faudrait des systèmes de réutilisation d’emballage pour ne pas générer autant de déchets, surtout des déchets d’emballage. Ensuite, il faudra voir : il y a d’autres secteurs qui génèrent autant de déchets qu’eux, comme les textiles et les vêtements, ainsi que d’autres secteurs comme les appareils électroniques et tout cela.
Je crois que les technologies existent, mais qu’on devrait trouver des solutions en amont. Il faut examiner la production de ces produits, de même que le réemploi de ces emballages et de ces produits ainsi que leur réparation pour éviter la production de déchets. Alors oui, ces technologies existent et il y en avait beaucoup plus auparavant. Maintenant, on a adopté le plastique comme matériel magique et on voit les problèmes que cela cause à l’environnement, à l’économie et surtout à la santé.
La sénatrice Miville-Dechêne : Cependant, tout cela prendra du temps. Toutes ces solutions en amont, ce sont des changements de mentalités; c’est énorme. Entre-temps, il y a des ballots de plastique dont il faut disposer... Je me tais.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : Lorsque j’ai examiné l’étude l’autre jour et que j’ai entendu certains témoignages, il m’a semblé que l’esprit du projet de loi, en principe, avait beaucoup de mérite. Or, ce soir, j’ai entendu des témoins qui se disent très perplexes. J’entends dire que le projet de loi n’améliorera pas le système et qu’il n’apportera pas de réelle différence fonctionnelle à la résolution du problème pour lequel il est présenté comme une solution.
J’ai une question qui a déjà été posée, mais je tiens à bien comprendre de quoi il retourne. Que font les pays de l’Union européenne de leurs déchets plastiques, c’est-à-dire non‑recyclage, élimination finale, plastiques dangereux ou plastiques à considération particulière?
Deuxièmement, j’aimerais que chacun des témoins complète son témoignage de ce soir par écrit, en incluant toutes ses recommandations pour améliorer le projet de loi, ainsi que les raisons et la manière dont cela pourrait se faire.
Troisièmement, je demande à mes collègues du Sénat qui siègent à ce comité s’ils croient que cette question est si complexe qu’il vaudrait mieux qu’elle fasse l’objet d’une étude sénatoriale exhaustive. Il me semble qu’elle est beaucoup plus vaste que ce qui a été exposé ici ce soir. Il se peut que quelque chose m’échappe, mais il me semble qu’une étude plus complète est peut-être nécessaire.
M. Keliher : Merci, sénateur. Nous serons on ne peut plus heureux de présenter sous peu nos amendements ou ajustements au projet de loi par écrit.
L’un des grands problèmes — pas seulement pour ce projet de loi, mais pour la gestion des déchets en général — qui se retrouvent dans ce projet de loi et dans de nombreux autres projets de loi, ainsi qu’en ce qui a trait à la façon dont les entreprises fonctionnent, c’est que, partout au Canada, ce sont les municipalités qui fixent les règles du recyclage. C’est la municipalité qui décide de ce qui doit être recyclé et de ce qui ne doit pas l’être. La plupart de ces municipalités prennent cette décision elles-mêmes, ce qui pose des problèmes lorsque vient le temps de déterminer quel article va dans quelle poubelle. De ce fait, des matériaux qui devraient être recyclés dans une collectivité sont jetés à la poubelle dans une autre et, malheureusement, vice versa.
Il est extrêmement important de normaliser à l’échelle du pays ce qui doit être mis dans la poubelle bleue. Pour reprendre certaines observations qu’ont formulées d’autres témoins, lorsque nous regardons en amont, quels matériaux pouvons-nous consolider sur cette liste de plastiques que nous n’autorisons plus à entrer au Canada ou que nous ne produisons plus nous-mêmes? Nous devons en effet faire en sorte que nous n’ayons pas à nous inquiéter de ce que nous exportons, ces produits ne rentrant plus au Canada ou n’étant plus fabriqués ici.
S’il existe une liste, il y a des centaines de types de plastiques. Si nous pouvions examiner cette liste et la réduire à peut-être la moitié pour commencer et continuer à la réduire progressivement, alors il y aurait plus de possibilités pour ces matériaux de se retrouver dans la bonne poubelle. Et cela pourrait passer par la filière municipale pour commencer. Ensuite, il y a la question de ce que cela représente comme investissements pour les entreprises. Elles n’ont plus à trier 100 types de plastique différents. Il y en a peut-être 20 ou 30. Il reste qu’elles doivent mettre en place les systèmes nécessaires pour recycler ces morceaux de plastique. Ensuite, il faut espérer que le tout soit géré au pays et que nous pourrons gérer cela de manière appropriée sans avoir à discuter de ce que nous ne devrions pas exporter puisque nous le garderions ici. Il faut investir dans ces infrastructures. Nous devons l’envisager de manière très holistique à l’échelle du pays et dans chaque municipalité. La normalisation est essentielle, mais la réduction dès le départ des déchets est l’élément le plus important.
Mme Gue : En ce qui concerne l’UE, je vais répéter les renseignements dont je dispose quant au nombre de parties européennes à la Convention de Bâle qui mettent en œuvre les nouvelles exigences concernant les déchets plastiques. En fait, je peux présenter au comité un tableau compilé dans le cadre de la Convention de Bâle où sont présentées les stratégies de mise en œuvre recensées. En général, dans le contexte qui nous intéresse, il s’agit d’interdictions législatives concernant les exportations de déchets jugés dangereux ou devant faire l’objet d’une attention particulière vers des pays non membres de l’Union européenne. C’est un modèle à suivre.
J’ajouterai rapidement que je serais assurément ravie de voir votre comité approfondir cette question au moyen d’une étude. Pour ce qui est d’un possible échéancier, je tiens à m’assurer que vous soyez conscients que c’est le printemps prochain que le Canada accueillera la quatrième séance de négociation pour le traité proposé sur la pollution plastique, ici, à Ottawa. Si le comité avait de l’eau à apporter au moulin ou était en mesure d’approfondir la question d’ici là, ce serait un moment très opportun pour déposer un rapport à ce sujet.
La présidente : Merci.
La sénatrice McCallum : Lorsque vous avez posé cette question — existe-t-il une situation où tous les plastiques pourraient être éliminés correctement? —, le troisième point que vous avez soulevé était la nécessité d’augmenter la responsabilisation pour réduire le risque.
Parmi les sujets abordés ce soir, il y a les transferts illégaux — impossibles à retracer —, les déchets non triés, l’empoisonnement de l’eau et de la terre, les chargements mixtes, un recyclage dangereux, la difficulté d’isoler les plastiques à usage unique et la pollution d’autres pays.
Existe-t-il d’autres domaines de responsabilité que le risque? Je crois que j’ajouterais au mélange la question de la responsabilité citoyenne. Il faut éduquer les gens et les sensibiliser à leur consommation et au recyclage, et je pense que ces enjeux sont en train de s’immiscer dans la conversation, mais je ne sais pas si c’est vraiment le cas. Existe-t-il un exemple de réussite dans ce dossier sur l’exportation de plastique? Comment d’autres pays se sont-ils montrés responsables? Je sais que cela fait beaucoup de questions.
Mme Wirsig : Même dans le cadre d’une gouvernance comme celle de l’Union européenne, qui s’efforce de faire de son mieux, on se retrouve à entasser les déchets plastiques et autres dans des décharges situées dans certains des pays les plus pauvres de l’Union européenne. Beaucoup de déchets sont brûlés en Europe. Nous n’avons pas de bonne solution mondiale. Je ne connais aucun pays qui fait un travail fantastique. C’est pourquoi il est urgent de fermer le robinet, comme je l’ai dit.
Je soutiens tout ce que Mme Gue et M. Keliher ont dit à propos de la fermeture du robinet. Il s’agit de faire très attention aux types de plastique dont nous permettons la fabrication et l’utilisation ici. Cela pourra prendre un peu de temps, mais il ne faudrait vraiment pas que cela en prenne trop.
Pour ce qui est de savoir qui fait bien les choses, j’aimerais que nous puissions désigner un État qui s’illustre. Les pays qui ont décidé d’essayer de vivre sans plastique font des essais, et ils ont besoin d’être soutenus aux termes d’un traité mondial, parce que les pays qui sont les plus impatients de se débarrasser du plastique sont ceux qui, en ce moment, n’ont pas d’installations pour gérer les déchets. Ils ont tendance à se trouver au sud, où la pollution plastique — parce que nous exportons beaucoup de produits plastiques à usage unique, et je ne parle même pas de déchets, mais des produits... Bref, les pays producteurs de plastique exportent beaucoup de produits qui finissent aussi par devenir des déchets plastiques dans ces pays. Nous devons examiner comment nous pouvons soutenir ces pays et réfléchir à ce que nous pouvons faire de notre côté en réduisant la production, l’utilisation et l’élimination des plastiques. C’est la chose responsable à faire.
Le sénateur Wells : Madame Gue, j’ai une question à vous poser sur la transparence, le suivi et la traçabilité. Nous en avons un peu parlé. Les données sur les exportations de matières plastiques sont-elles facilement disponibles, ventilées par code SH ou par composition? Je ne parlerai pas de données en temps réel, mais disposons-nous de données ponctuelles qui montrent ce qui est envoyé? Y a-t-il une certaine transparence à ce sujet? En l’absence de cela, ce que nous faisons a-t-il son utilité?
Mme Gue : Ce serait utile. Je ne sais pas si je peux répondre complètement à votre question. Le témoin de Environmental Defence a communiqué au comité des données très intéressantes qui ont été découvertes par le Basel Action Network, et je dis « découvertes » parce qu’il s’agit de données qui ne sont pas accessibles au public.
C’est pourquoi — parce que les déchets plastiques de l’annexe II qui demandent une considération spéciale ne nécessitent pas de permis pour être expédiés aux États-Unis, je ne peux que supposer que ces données, dans la mesure où elles sont disponibles, sont incomplètes, et au moins ce qui est disponible — je suis tout à fait d’accord avec l’objet de votre question, à savoir qu’il s’agit d’une information très importante pour le Canada, non seulement pour nos exportations vers les États-Unis, mais aussi pour la destination ultime de ces expéditions.
Le sénateur Wells : Les données sont disponibles pour la destination ultime s’il s’agit des États-Unis, mais elles ne le sont pas pour les expéditions à partir du Canada, c’est ce que vous dites?
Mme Gue : Non, je ne crois pas qu’elles soient disponibles; je ne crois pas que les deux ensembles de données soient complets. Mme Wirsig, auriez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Wirsig : Les codes existants pour les déchets plastiques ne sont pas alignés sur la Convention de Bâle. Il est donc très difficile de savoir avec précision ce qui est expédié. Nous ne disposons pas de données en temps réel particulièrement fiables. Nous les obtenons après coup.
Ce que fait le Basel Action Network, c’est s’abonner à certaines de ces sociétés privées de fourniture de données qui suivront les expéditions et vous diront ce qu’elles contiennent. L’organisme essaie ainsi de compléter les données publiques.
Je pense que le registre des plastiques que le gouvernement envisage de mettre en place serait utile, pour peu que les exportateurs soient tenus de signaler tous les plastiques qu’ils exportent et ce qu’ils sont. Des travaux sont en cours à la Convention de Bâle — que le Canada devrait soutenir — pour mettre à jour ces codes afin d’assurer qu’ils reflètent les nouvelles catégories de la Convention de Bâle qui ont été instaurées dans le cadre des amendements sur les plastiques. Le Canada devrait absolument soutenir ces travaux, car, encore une fois, il est possible de faire les choses par nous-mêmes pour savoir ce qui quitte le Canada, mais il est vraiment difficile de savoir où vont les choses à l’échelle mondiale et comment les choses arrivent ici. Ce qui arrive ici est également important pour notre environnement et notre santé, et il est pratiquement impossible de le faire de manière complète et traçable. C’est un bon point pour ces codes. Ils doivent être mis à jour.
Le sénateur Wells : Je vous remercie. Si je peux me permettre, j’aimerais poser une question à M. Keliher.
Si ce projet de loi est adopté et qu’il est interdit d’exporter certains types de déchets plastiques, vous serez, à titre de directeur général des services de gestion des déchets, parmi les premiers touchés par ses conséquences inattendues.
Que pensez-vous des innovations canadiennes comme les sacs d’épicerie compostables et autres produits de ce genre? Est-ce qu’accroître l’innovation pour remplacer certains types de plastiques non compostables qui sont utilisés actuellement serait une solution un peu plus simple pour vous?
M. Keliher : Je vous remercie de la question, sénateur.
Il est très important de chercher des solutions de remplacement au plastique. Au sujet des sacs de plastique compostables, très souvent, en particulier dans la ville de Toronto, nous avons ce qu’on appelle des installations de digestion anaérobie où tout ce qui se trouve dans nos bacs verts est acheminé. Que ce soit des sacs de plastique ou des sacs compostables qui servent pour votre compost ou votre bac vert, ces sacs sont déchiquetés et leurs composantes finissent par remonter à la surface et flotter et sont retirées du système. Ces sacs ne sont donc pas compostés mais envoyés dans un site d’enfouissement.
C’est compliqué aussi pour les gens qui achètent des sacs, des dosettes de café, des assiettes de papier, des couteaux et des fourchettes compostables et qui paient un supplément en pensant que ce qu’ils font est bon pour l’environnement, alors qu’en fait, la vaste majorité de ces produits vont dans un site d’enfouissement et créent divers problèmes dans les installations de gestion des matières organiques.
L’autre problème est que ces produits sont mélangés aux autres. Il peut arriver qu’une personne les jette dans le bac bleu par erreur, par exemple si vos parents sont à la maison et jettent leurs dosettes de café dans le bac bleu par erreur. Cela va alors contaminer les produits recyclables et rend le recyclage encore plus compliqué qu’il ne l’est en raison des divers plastiques qui s’y trouvent déjà. Je pense que cela donnera lieu à de bonnes innovations.
Je reviens à mon commentaire concernant le fait que les municipalités sont responsables de mettre en place leurs propres systèmes de gestion des déchets. Certaines installations de compostage utilisent la technologie que nous utilisons dans la ville de Toronto, comme la digestion anaérobie, et d’autres utilisent la digestion aérobique. Dans ce cas, la matière est empilée et on la retourne de temps en temps comme le compost dans votre cour.
Je mentionne encore une fois que les systèmes de gestion des déchets sont conçus pour la communauté, en fonction de ses moyens et de ses valeurs, et que cela varie d’une communauté à l’autre. Il est très important de comprendre ce qui entre dans la composition de ces matières et plastiques compostables, mais aussi que cela présente tout un défi pour les municipalités et les entreprises de gestion des déchets sur le terrain.
[Français]
La sénatrice Verner : Ma question s’adresse à notre témoin de la Ville de Toronto. Vous avez énuméré une série de défis et vous avez donné beaucoup d’information sur les étapes à franchir pour mettre en œuvre ce projet de loi. Je voudrais entendre rapidement vos impressions. Le projet de loi prévoit une mise en œuvre de 12 mois. Est-ce un délai raisonnable pour vous à Toronto?
[Traduction]
M. Keliher : Je vous remercie de la question, sénatrice. Pour être honnête, une période de 12 mois présente tout un défi pour mettre en œuvre un projet de loi, quel qu’il soit, en particulier lorsqu’il touche aux exportations.
Nous ne serons pas touchés en grande partie parce que nous n’exportons pas nos matières. La ville comme telle ne sera pas touchée autant que les exploitants de systèmes de gestion des déchets au pays et qui ont des activités au sein de la ville. Cela présentera un défi pour eux.
Il serait aussi important de consulter la communauté de la gestion des déchets dans son ensemble pour savoir ce qu’elle pense du projet de loi. On trouve des gens très brillants dans les municipalités et la communauté des gens d’affaires qui peuvent donner leur opinion afin de s’assurer que les mesures sont très solides, mais aussi applicables, et qu’elles satisfont aux objectifs du projet de loi.
[Français]
La sénatrice Verner : Merci.
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à Mme Wirsig. Vous avez parlé de pays qui sont plus performants. Si on suivait la recommandation ou la discussion du sénateur Arnot et si on faisait une étude plus fouillée, vers quels pays devrait-on porter notre attention comme étant le premier de classe ou les premiers de classe dans la gestion des plastiques et dans l’interdiction d’exportation? Quels pays traitent eux-mêmes leurs déchets plastiques, et de quelle façon les traitent-ils, avec quels éléments d’innovation?
Mme Wirsig : Est-ce qu’il y a un modèle parfait? Probablement pas, mais la France est un bon exemple pour commencer, parce qu’elle fait partie de l’Europe, donc elle applique ces règlements dont Mme Gue a parlé sur le plan de l’exportation des déchets. La France essaie en même temps de limiter la production de déchets et de plastique à usage unique. Ce serait un modèle intéressant pour le Canada. Je crois qu’il y a aussi certains pays du Sud qui sont intéressants, mais ils ont des systèmes différents du nôtre. C’est pour cela que je propose la France comme un modèle intéressant à étudier ici au Canada.
Le sénateur Carignan : Et l’Allemagne?
Mme Wirsig : Oui, l’Allemagne et l’Autriche se trouvent parmi ces pays; absolument.
Le sénateur Carignan : D’accord.
La présidente : Je connais bien ce qui se passe en Europe. Il y a des lois qui traitent notamment de la responsabilité prolongée des manufacturiers. Les manufacturiers se préoccupent des frais de production à la source, parce qu’ils vont payer plus. Il y a aussi la circularité d’un secteur manufacturier, comme l’aluminium. Pour les plastiques, je n’en suis pas sûre, mais je crois qu’il y a une catégorie. Il n’y a pas de solution parfaite ou de pays parfait, mais il y a un ensemble de législations qui font en sorte que l’on résout les véritables problèmes en amont. Pouvez-vous faire un résumé de ces lois complémentaires qui sont la véritable solution de notre problème de gestion du plastique?
Mme Wirsig : C’est une question pour moi?
La présidente : Oui.
Mme Wirsig : D’accord, merci.
[Traduction]
Je peux énumérer les types de politiques que l’on voit en Europe, bien sûr, comme la responsabilité prolongée des manufacturiers, que vous avez mentionnée, et les règles sur l’emballage. À l’heure actuelle, il s’agit dans ce cas d’une directive, mais il y a aussi un projet de règlement dans lequel on exigera que certains produits ne soient pas emballés, qu’ils soient réutilisables, et qu’on mette en place des systèmes de consigne, notamment pour les contenants à boissons. Ces mesures vont servir de complément aux règles pour éliminer les exportations de déchets. Moins il y a de déchets, moins il y en a à exporter.
De toute évidence, l’Europe est un peu en avance en matière de circularité. C’est en partie lié au fonctionnement de son économie.
Si nous produisons autant de déchets par habitant, c’est parce que notre économie est basée sur l’extraction des ressources. C’est notre système. Nous tirons des matières premières du sol, et c’est la base de notre richesse. Nous ne nous inquiétons pas vraiment de ce qu’on en fait à l’autre bout. Si nous devons l’exporter, nous l’exportons. C’est très néfaste pour l’environnement. L’Europe ne dispose pas d’autant de ressources. On y est forcé de trouver des façons de les réutiliser à maintes reprises.
La responsabilité prolongée des manufacturiers et la responsabilité du pollueur-payeur sont indispensables, mais il faut aussi des règles solides pour revoir la conception des produits et des emballages et bannir concrètement les produits et les matières problématiques, et tout cela fait partie de la gamme de solutions qu’il faut examiner. Ce sont des sujets qui seront abordés dans le traité international, et le Canada devra les examiner attentivement et se faire le champion de ces solutions de concert avec les autres pays aux visées ambitieuses si nous voulons avancer.
La présidente : Je remercie les sénateurs et nos témoins de leur participation aujourd’hui.
(La séance est levée.)