LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 19 octobre 2023
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 17 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-234, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (élimination définitive de déchets plastiques); et, à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Je m’appelle Rosa Galvez, je suis une sénatrice du Québec et je suis présidente du comité.
Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
J’aimerais commencer par un petit rappel. Avant de poser des questions ou d’y répondre, je demanderais aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité dans la salle.
Je vais demander à mes collègues du comité de se présenter, en commençant à ma droite.
Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec. Je remplace le sénateur Wells, qui est absent aujourd’hui.
Le sénateur Gignac : Clément Gignac, sénateur du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Sorensen : Bonjour. Je m’appelle Karen Sorensen, sénatrice de l’Alberta.
[Français]
La sénatrice Verner : Bonjour. Josée Verner, du Québec.
Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : Bonjour. Je suis le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan.
[Français]
La présidente : Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, ainsi qu’à tous les téléspectateurs de partout au pays qui regardent nos délibérations.
[Traduction]
Aujourd’hui, le comité poursuit son examen du projet de loi S-234, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (élimination définitive des déchets plastiques).
Comme vous le verrez sur votre ordre du jour modifié, nous accueillons aujourd’hui trois témoins, soit Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets; Frances Edmonds, directrice de l’impact durable chez HP Canada; ainsi que Jean-Luc Lavergne, président-directeur général et fondateur du groupe Lavergne.
Bienvenue à nos témoins. Merci beaucoup de comparaître. Chacun d’entre vous disposera de cinq minutes pour faire sa déclaration préliminaire. Nous commencerons par M. Ménard, suivi de Mme Edmonds et de M. Lavergne.
Vous avez la parole, monsieur Ménard.
[Français]
Karel Ménard, directeur général, Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets : Bonjour. Je m’appelle Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets. Je vais commencer par faire un tour d’horizon du plastique, que vous connaissez sûrement déjà. Au Canada, selon Statistique Canada, on a consommé 6,3 millions de tonnes de plastique en 2018 et à peine 10 % de ce total a été recyclé, le reste étant éliminé ou incinéré.
On a également exporté environ 200 000 tonnes de plastique, principalement aux États-Unis, pendant la même période. De là, le plastique pouvait aussi être acheminé dans des pays d’Asie, notamment à des fins de valorisation, et notamment de valorisation énergétique, quand il est utilisé comme combustible. Selon nos critères, ce n’était pas véritablement du recyclage ou de la valorisation. L’exportation de plastique — une fois hors du pays — n’a pas de traçabilité. Les plastiques que l’on récupère dans les ordinateurs ou même dans la collecte sélective municipale peuvent éventuellement se retrouver partout dans le monde. Dans le cas de l’océan de plastique, notamment, il y a un petit peu de notre plastique qui se trouve à l’intérieur. Il n’y a pas de traçabilité par rapport à l’exportation de plastique que l’on génère au pays.
L’exportation de plastique à des fins d’élimination devrait être interdite, évidemment, mais le plastique que l’on exporte à des fins de recyclage, s’il n’est pas produit conformément à des normes égales ou supérieures à ce que nous avons ici au Canada, ne devrait pas être permis non plus. Pour cela, il devrait y avoir de la traçabilité et l’exportateur de plastique, le courtier notamment, devrait produire des preuves auprès des autorités fédérales pour assurer que le plastique ne causera pas des dommages à la santé humaine et à l’environnement dans d’autres pays — que ce ne soit pas de l’élimination déguisée, en fait.
Le fait d’interdire l’exportation du plastique à des fins d’élimination, et ce, même lorsque le recyclage de cette matière ne respecte pas les normes est une bonne chose, mais encore faut-il savoir quoi en faire ici. Comme je l’ai dit d’entrée de jeu, 90 % du plastique généré au Canada est en fait éliminé. Donc, si on stoppe l’exportation à des fins d’élimination, on va se retrouver avec ce plastique au pays. C’est déjà mieux que de l’exporter, on en convient, mais il faudrait davantage travailler en amont avec ce plastique-là.
Pour ce qui est du recyclage du plastique, c’est une solution, mais ce n’est pas « la » solution. Je l’ai dit au début de mon intervention : 90 % du plastique produit au Canada n’est pas recyclé; pourquoi? Parce qu’on n’a pas les infrastructures nécessaires pour recycler cette quantité de plastique et qu’on n’a pas les infrastructures requises de récupération de plastique. Je ne parle pas uniquement du plastique issu de la collecte sélective, mais du plastique qui vient de tous les objets qui nous entourent qui sont faits de plastique; il faut prendre cela en considération. Actuellement, on n’est pas en mesure de récupérer ce plastique à des fins de recyclage.
De toute façon, le recyclage a des impacts environnementaux, sociaux et économiques. Il faudrait peut-être travailler davantage en amont sur la production des objets en plastique, notamment ceux à usage unique, et limiter leur production, non seulement à cause de leur atteinte à l’intégrité du paysage ou de leur impact potentiel sur la faune marine, mais aussi sur l’environnement et la santé humaine. Il faut comprendre aussi qu’environ 50 % des plastiques que l’on génère se trouvent dans des objets en plastique à usage unique. Il faudrait aussi s’assurer que les mesures mises en place parviennent à limiter le gaspillage des ressources, parce qu’il s’agit effectivement d’un gaspillage de ressources.
À cet effet, il faudrait faire pression sur le gouvernement afin de limiter la production de plastique à usage unique mis en marché et travailler à l’instauration d’une stratégie nationale de réduction à la source des plastiques, et pas uniquement de recyclage. C’est vraiment important.
Il y a aussi les plastiques pour lesquels il n’y a pas de moyens de recyclage ou de systèmes de récupération pour les recycler éventuellement. Cela devrait inclure également des mesures pour limiter les additifs ou les colorants que l’on met dans les plastiques pour les rendre ignifuges, pour les rendre souples ou pour toute autre raison.
Il faudrait aussi travailler sur la question de la durabilité des plastiques ou des objets que l’on produit et sur leur nécessité, donc limiter réellement l’usage unique, favoriser le réemploi lorsqu’on ne peut pas abolir les plastiques et, ultimement, s’assurer qu’un objet en plastique qui est mis en marché est recyclable et accepté par les infrastructures de recyclage au Canada. Ce n’est pas parce qu’un objet est dit recyclable qu’il sera recyclé. Il faut s’assurer qu’il sera effectivement recyclé.
En dernier lieu, il faudrait se donner des objectifs de réduction à la source; il faudrait donc connaître la production de plastique actuelle et viser une réduction de notre production d’objets faits de plastique au pays au cours des prochaines années pour nous donner des indicateurs fiables. Merci, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs.
La présidente : Merci, monsieur Ménard.
[Traduction]
La parole est à vous, madame Edmonds.
Frances Edmonds, directrice de l’impact durable, HP Canada : Merci, madame la présidente. Je vous remercie de m’avoir invitée.
Je dois expliquer que j’assume un certain nombre de fonctions. Je représente l’entreprise de technologie la plus durable du Canada et j’en enverrai la preuve. Cependant, la façon la plus simple de le prouver est peut-être de dire que nous figurons parmi les 100 sociétés les plus durables au monde par les Corporate Knights du Canada. J’ai également fait partie du groupe d’experts constitué par le Conseil des académies canadiennes pour l’environnement et le changement climatique du Canada, soit le Groupe d’experts sur l’économie circulaire. Je siège actuellement au comité consultatif du ministre Guilbeault pour la Stratégie fédérale de développement durable. J’espère donc vous donner des réponses instructives et exhaustives à vos questions.
Je suis enchantée d’apprendre que vous cherchez à résoudre le problème des déchets plastiques au Canada. Je vous en remercie. En tant que citoyenne, je ramasse des déchets plastiques tous les jours. En qualité de professionnelle de la durabilité, j’ai organisé des nettoyages de rivages partout dans le monde. Comme vous l’entendrez du groupe Lavergne aujourd’hui, notre entreprise, à titre de chef de file, acquiert activement des plastiques océaniques d’Haïti et les réutilise dans de nouveaux produits HP.
Je passerai maintenant au projet de loi. Au Canada, j’ai travaillé à la mise en œuvre des programmes de responsabilité élargie des producteurs de produits électroniques, ainsi que de certains règlements sur l’emballage. Comme vous le savez, depuis plus de 30 ans, nous comptons sur l’outil de la responsabilité élargie des producteurs et nous avons investi probablement des milliards de dollars — personne ne connaît vraiment le chiffre — pour obtenir un taux de circularité d’à peine 6,1 %. C’est ce qu’indique le rapport du groupe d’experts. Force nous est d’admettre que c’est un échec, coûteux de surcroît. C’est ainsi qu’on s’est retrouvé avec ce problème d’exportation de déchets plastiques mixtes que vous essayez de résoudre.
Quels sont les outils à notre disposition dans nos boîtes à outils collectives pour faire face aux crises auxquelles nous sommes confrontés sur les plans du climat, de la biodiversité et de l’inégalité? Vous entendrez bientôt Jean-Luc Lavergne, président-directeur général du groupe Lavergne, une petite entreprise de plastique circulaire d’ici, au Québec. Nous travaillons avec cette entreprise depuis plus de deux décennies pour incorporer plus de déchets plastiques océaniques circulaires et d’autres déchets plastiques dans nos nouveaux produits. Ce travail et les résultats combinés ont permis à HP, une multinationale mondiale, de se fixer des objectifs ambitieux en matière de circularité dans le contenu en plastique recyclé. Notre objectif sera d’être circulaire à 75 % d’ici 2030 et d’avoir 30 % de plastiques recyclés postconsommation dans l’ensemble de notre portefeuille d’imprimantes et d’ordinateurs personnels d’ici 2025. Cela peut être fait.
Nous sommes des chefs de file et savons que cela a un prix. Mais ce que nous constatons sur le marché canadien aujourd’hui, c’est que le signal du marché — c’est-à-dire l’approvisionnement — encourage en fait une course vers le bas et non vers le haut sur le plan du rendement en matière de durabilité.
Pour dire les choses simplement, les gouvernements du pays, et plus particulièrement le gouvernement fédéral, n’ont pas imposé d’exigences pour les résultats des programmes de responsabilité élargie des producteurs, en ce qui concerne plus particulièrement les plastiques, dans lesquels nous avons beaucoup investi. Par conséquent, il n’y a aucun incitatif à créer des matières premières en plastique plus propres provenant de nos installations de recyclage nationales. Ces matières n’ont aucune valeur parce qu’il n’y a pas de demande à cet égard. Bref, les plastiques sont en réalité un déchet et non une ressource et ont donc été exportés, envoyés à la décharge ou, pire encore, incinérés.
Le témoin précédent en a donné un exemple, mais je vais vous en donner un autre juste pour rendre la situation bien réelle pour vous. Environnement et Changement climatique Canada vient de publier un document d’approvisionnement pour l’achat de 7 500 ordinateurs portables. Il n’y avait aucune exigence relative aux plastiques recyclés dans ce document d’appel d’offres, et c’est la même chose partout au gouvernement. Où sont donc censés aller ces plastiques? Nous dépensons énormément d’argent pour les recycler, mais nous n’avons pas créé d’endroit pour les utiliser.
Prenons un instant pour examiner la définition d’approvisionnement circulaire ou durable de M. Bob Willard, l’un des grands professionnels canadiens de la durabilité. Nous cherchons à acheter à valeur optimale auprès du fournisseur le plus circulaire pour la plupart des biens ou des services circulaires, conformément à l’objectif et aux cibles déclarés du gouvernement.
Les nombreux outils de politique et de réglementation que le gouvernement fédéral a commencé à instaurer au sujet des plastiques, le traité des Nations unies sur les plastiques et d’autres traités internationaux comme la Convention de Bâle commenceront à modifier le marché des plastiques au Canada.
L’approvisionnement circulaire est l’outil le plus rapide et le plus souple dont nous disposons. Le moment ne pourrait pas être plus crucial. L’an prochain, le gouvernement fédéral émettra — et je ne parle que d’ordinateurs personnels ici — une offre à commandes principale nationale pour des ordinateurs personnels, qui sera en vigueur pendant cinq ans. Cela nous mènera tout près du point où nous devrions avoir réduit les émissions de carbone de 40 à 45 % et atteint l’objectif de zéro déchet plastique. Sans la mise en œuvre de l’approvisionnement en plastique circulaire, nous n’y parviendrons pas.
L’écosystème des petites et moyennes entreprises du Canada ne s’active tout simplement pas dans le domaine du carbone ou du plastique parce qu’il n’y a pas de signal du marché pour les inciter à le faire. Je vous demande de changer notre façon d’acheter plutôt que d’interdire les exportations de plastique, car cela peut avoir des conséquences imprévues. Je suis certaine que vous aurez des questions à ce sujet.
Madame la présidente, je vous remercie de m’avoir offert l’occasion de vous parler aujourd’hui.
La présidente : Je vous remercie, madame Edmonds.
Jean-Luc Lavergne, président-directeur général et fondateur, Lavergne : Je m’appelle Jean-Luc Lavergne et je suis président-directeur général du groupe Lavergne. Nous fabriquons des plastiques circulaires. Je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui, car je suis ravi de pouvoir m’adresser à vous. Notre groupe est installé à Montréal, au Québec, mais compte des installations partout dans le monde.
Nous prenons des plastiques en fin de vie de différentes sources et les transformons en matières premières, remplaçant ainsi le besoin en matières vierges. L’une des choses que nous faisons, et qui est passionnante, c’est la relation que nous entretenons avec Frances Edmonds depuis plus de deux décennies. Nous prenons les cartouches en fin de vie et les transformons en matières premières pour fabriquer de nouvelles cartouches. Nous le faisons à grande échelle depuis plus de 20 ans.
Les matériaux recyclés que nous produisons satisfont aux exigences de rendement des matières vierges. Même si d’aucuns affirment que ce n’est pas faisable, nous sommes la preuve vivante que cela l’est. Une de nos usines se trouve à Montréal, au Québec.
Nous avons la chance immense de travailler avec des entreprises comme HP et d’autres marques qui sont déterminées à dire : « Passons à la prochaine étape pour voir ce que nous pouvons faire avec nos produits de fin de vie. » C’est passionnant. Nous faisons cela commercialement; ce n’est pas un projet de laboratoire. Les personnes qui visitent nos installations peuvent voir concrètement comment ces activités sont gérées.
Nous considérons les plastiques, en particulier les thermoplastiques, comme une bonne ressource potentielle s’ils sont collectés. Je sais que nous discutons de la question depuis de nombreuses années. Les collectes en bordure de rue présentent des défis, mais à mesure que nous adoptons de nouvelles technologies et que les choses s’améliorent, nous transformons cette ressource en une bonne matière première pour diverses applications.
Lorsque je regarde ce que nous faisons à cet égard en ce moment, je constate que nous devons être prudents. Je comprends l’interdiction d’expédier des plastiques à l’étranger; je sais très bien que cela pourrait causer des problèmes. Si nous faisons les choses correctement, nous avons la preuve que nous pouvons rendre cette solution viable, commerciale et aussi très rentable.
Pour ma part, quand j’examine la question, je suis évidemment heureux de répondre à toutes les questions et de voir comment vous voyez les choses, mais sachez que nos installations constituent la preuve vivante qu’il y a des choses qui pourraient être faites.
Oui, ce n’est qu’une petite quantité de plastique qui est collectée actuellement. Le défi, c’est de trouver plus d’entreprises qui sont prêtes à acheter le produit pour nous permettre de le rendre circulaire. Le fait que nous puissions réduire l’empreinte carbone avec notre produit au lieu de fabriquer de nouveaux plastiques est également important pour la réduction de nos émissions de carbone.
Je serai plus qu’heureux de répondre à vos questions s’il y a quoi que ce soit, et ferai tout mon possible pour le faire. Je vous remercie.
La présidente : Nous remercions nos témoins.
Le sénateur Arnot : Merci aux témoins. J’ai quelques questions succinctes. J’espère que nous pourrons entendre chaque témoin y répondre.
En ce qui concerne notre étude, nous avons entendu des militants, des représentants de l’industrie et des fonctionnaires qui ont tous convenu qu’il est nécessaire de réduire les dommages environnementaux liés aux déchets plastiques et toxiques. Cependant, peu d’actions concrètes sont proposées pour obtenir la réduction nécessaire.
Le comité a également appris qu’il existe des problèmes de compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, et que la surveillance, les enquêtes et l’application de la loi sont des prérequis.
La question suivante s’adresse à vous tous : le projet de loi S-234 va-t-il assez loin? Est-il suffisamment novateur? Selon vous, quelles innovations et quels investissements sont nécessaires pour que la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, ou LCPE, serve son objectif de façon proactive plutôt que réactive?
La deuxième question est dictée par M. Ménard. Seulement 9 % des déchets plastiques sont recyclés. Avec ce projet de loi, on peut supposer que moins de déchets dangereux seront exportés du Canada. Si la production de plastique ne diminue pas, il y aura plus de plastiques — des déchets très dangereux — au Canada. Selon vous, que faut-il faire pour régler ce problème? La solution se trouve-t-elle dans cette loi?
La présidente : Qui veut répondre en premier?
[Français]
M. Ménard : Merci, sénateur.
En fait, dans ma présentation, j’ai répondu à vos questions et effectivement, le projet de loi ne va pas assez loin. Interdire l’exportation des matières plastiques à des fins d’élimination, c’est une bonne chose, mais encore faut-il savoir quoi faire avec ces matières si elles restent au pays. Seulement 10 % des matières plastiques au Canada sont effectivement recyclées, ce qui veut dire que 90 % ne le sont pas. Elles ne peuvent pas l’être actuellement parce que les infrastructures ne sont pas disponibles. Les systèmes de collecte, comme le disait M. Lavergne, ne le sont pas non plus. Le plastique peut effectivement être considéré comme une matière dangereuse et elle va le devenir.
L’idée, c’est que le recyclage fait partie de la solution. On parle beaucoup d’économie circulaire, mais l’économie circulaire aussi, ou l’indice de circularité... C’est le tonnage de matière que l’on recycle par rapport au tonnage de matière que l’on génère qui donne l’indice de circularité.
On s’attaque toujours au tonnage de matière que l’on recycle, alors qu’il faudrait plutôt s’attaquer au dénominateur, à la matière que l’on génère et que l’on produit, et cela, on ne le fait pas assez. Il n’y a rien qui m’a jamais prouvé — et je travaille dans le secteur de l’environnement depuis 30 ans — que le recyclage de plastique permet d’éviter l’utilisation de ressources vierges. Au contraire, tout cela vient s’additionner à l’offre de matière plastique.
Donc, le recyclage est souvent utilisé à des fins... Oui, c’est gentil, c’est beau, c’est bon pour l’environnement, mais la meilleure solution se situe sur le plan de la consommation et de la production, et de plus en plus de matières plastiques sont à usage unique. Oui, pour certains objets, comme des cartes par exemple, la solution, c’est assurément les modes de récupération qui seront sensiblement efficaces et les usines consacrées à ce recyclage. Cependant, pour les centaines de milliers ou même de millions de tonnes de plastique qui sont générées, il n’existe rien, et c’est à cela qu’il faut s’attaquer à la source.
Le recyclage ne viendra pas régler tous les problèmes, au contraire. Le recyclage aussi, notamment au moyen des procédés de pyrolyse, de gazéification ou même de valorisation énergétique, cause des problèmes à l’environnement et à la santé humaine dans certaines provinces. Les lois sont défaillantes là‑dessus, parce qu’on appelle cela de la valorisation ou du recyclage. La meilleure solution, et c’est ce que ce projet de loi devrait mettre de l’avant, ou au moins mentionner, se trouve sur le plan de la réduction à la source, c’est-à-dire sur le plan de la production et de la consommation.
Il faut commencer par se donner des balises ou des indicateurs de réduction sur le plan de la production et là, oui, je pourrai dire que ce projet de loi va assez loin. Il n’est pas mauvais, mais il est assurément incomplet dans l’ordre actuel des choses.
[Traduction]
La présidente : Est-ce que quelqu’un souhaite ajouter quelque chose à cette réponse ou la compléter?
Mme Edmonds : Merci, sénateur. Il y a deux questions. Quelles innovations faut-il apporter? Je dirais que M. Lavergne a montré, dans le cadre du partenariat avec HP, que l’innovation est là. Nous savons comment réutiliser les plastiques en fin de vie pour en faire de nouveaux plastiques tout en y incorporant d’autres plastiques usagés, comme ceux des vieilles bouteilles d’eau potable.
Aujourd’hui, dans l’usine du Québec, nous utilisons 1 million de bouteilles d’eau potable usagées par jour pour fabriquer de nouveaux plastiques pour les produits HP. C’est techniquement possible. Nous le faisons à grande échelle.
Ce qui permettra de réduire les déchets plastiques au Canada, c’est créer une demande en plastiques recyclés. Il n’existe tout simplement pas de demande. La boucle n’est pas bouclée dans nos systèmes actuellement. Les demandes de propositions dont je vous ai parlé en témoignent.
Si le gouvernement fédéral, qui représente à lui seul 13 % du PIB, utilisait cet argent pour créer la demande et boucler la boucle, le système serait beaucoup plus efficace. Le fait est qu’il n’y a nulle part où le plastique peut aller aujourd’hui et qu’il n’y a pas d’incitatif pour faire un meilleur tri parce que cette matière est considérée comme un déchet et non comme une ressource.
M. Lavergne : Exactement. Quand on examine les plastiques, on constate que tous les thermoplastiques sont techniquement recyclables.
Le défi que vous voyez est celui dont nous avons parlé. Dans notre cas, nous faisons affaire avec HP, un client depuis 20 ans qui était prêt à aller jusqu’au bout, à faire un pas de géant en avant en se tournant vers une petite entreprise comme la nôtre pour fabriquer un produit viable alors qu’il utilisait auparavant des matériaux vierges. Soit dit en passant, ce n’est pas qu’une affaire de cartouches; nous créons d’autres plastiques. Techniquement, les plastiques sont faisables.
Dans notre cas, nous avons investi dans ce projet. Heureusement, plus de clients embarquent dans l’aventure. J’ai une rencontre avec Dyson aujourd’hui. C’est pourquoi je suis ici. Dyson est une autre étape vers ce genre de circularité.
Nous voyons ce qu’il se passe en Europe. C’est une chose que d’interdire les plastiques, mais avec quoi les remplacera-t-on? Lorsqu’on regarde ce que les plastiques ont remplacé, on constate que les plastiques sont en fait un très bon matériau s’ils sont bien traités et collectés.
Nous vivons actuellement des changements au Québec avec le remaniement des bacs bleus et verts et du système de la collecte et du dépôt. Voyant cela, nous sommes prêts à investir. À l’heure actuelle, nous envisageons des projets potentiels pour transformer les bacs bleus et verts en ressources pour ceux qui les produisent.
Peu importe ce que d’autres disent à propos du recyclage des plastiques, cela fonctionne; nous en sommes la preuve vivante. Nous voyons ce qui se passe. Le problème, cependant, c’est que HP, par exemple, qui parle du fait qu’elle pourrait vendre son produit, pourrait avoir un concurrent qui ne fait rien de tout cela. Et à produits équivalents, quand le consommateur achète, il a le droit de choisir l’un ou l’autre. C’est pourquoi je pense que nous devons faire connaître nos activités aujourd’hui. Nous avons été très discrets. Nous sommes en affaires depuis plus de 30 ans, mais c’est pourquoi j’en parle aujourd’hui. J’ai dit que c’était important.
Voilà pourquoi, pour nous, lorsque des gens viennent visiter nos installations, ils peuvent voir de leurs yeux de quoi il s’agit. Nous voulons investir davantage. Nous voulons que des entreprises comme HP nous emboîtent le pas. Nous recyclons les plastiques. Nous en sommes la preuve aujourd’hui. Nous le faisons, comme je l’ai dit. Il se trouve que je suis au Québec; c’est là que je suis né, mais nous avons aussi une installation en Belgique qui est entrée en activité l’année dernière et nous en avons une autre au Vietnam depuis 15 ans. Nous allons continuer à ajouter des installations.
Je pense que l’interdiction n’est pas la voie à suivre. Je conviens également que, dans certains cas, les plastiques ne devraient pas être envoyés dans d’autres pays, parce qu’ils ne sont pas éliminés correctement. Nous sommes prêts à en faire encore plus. Il faut apporter des corrections. Comme vous pouvez le constater, nous sommes la preuve vivante que les plastiques sont recyclables et qu’ils le sont à grande échelle.
Le sénateur Arnot : J’aimerais que les témoins me disent ce qu’ils pensent de la question suivante : considérez-vous que le Sénat devrait étudier le sujet de façon beaucoup plus exhaustive et approfondie afin de mieux servir les Canadiens en procédant à une étude qui aborderait des questions comme celles que vous les avez formulées?
Mme Edmonds : Il existe toute une infrastructure et tout un écosystème dans le domaine des plastiques. Je vous donnerai un exemple. Des gens exportent des déchets plastiques mixtes, mais en vertu de la Convention de Bâle, ce serait illégal de le faire, mais ceux qui exportent illégalement des déchets plastiques mixtes continueront de le faire.
Si vous imposez une exigence à une entreprise comme HP, j’utiliserai les cartouches d’encre comme exemple. Nous recueillons ces cartouches au Canada, les expédions par delà la frontière à notre installation de La Vergne, au Tennessee, où elles sont démontées mécaniquement. Ces plastiques reviennent au groupe Lavergne, à Montréal, pour une transformation adéquate. Nous devrions ainsi prouver que les cartouches vides qui traversent maintenant la frontière sont recyclées.
Chaque fois que vous ajoutez un coût de preuve à un contenu recyclé qui fait concurrence à des plastiques vierges, vous augmentez le prix différentiel. Ce n’est pas une bonne chose. Vous voulez que le plastique recyclé soit moins cher que le plastique vierge. Nous devons réfléchir aux problèmes de systèmes plus globaux et aux conséquences imprévues.
Je suis entièrement d’accord avec vous. Je ne veux pas que le plastique aille au mauvais endroit, mais il fait partie d’un écosystème plus vaste et il faut comprendre les forces du marché. Ce n’est manifestement pas ce que nous avons fait dans le cadre de nos programmes de responsabilité élargie des producteurs depuis 30 ans. Nous n’avons pas pris ces facteurs en considération.
Dans la plupart des cas, nous avons laissé les municipalités se débrouiller seules et essayer de déterminer ce qu’elles doivent faire avec ces déchets, plutôt que de créer une demande pour les ressources utilisées qui en sortent.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci à vous trois d’être parmi nous ce matin. En réponse à la question de mon collègue, j’aimerais vous poser celle-ci. Quelle est votre opinion sur le projet de loi S-234? Est-ce que c’est quelque chose qui vous plaît? Est-ce que le projet de loi a des lacunes? Si vous ne répondez pas, c’est que vous n’avez pas de commentaires à faire, mais c’est tout de même un sujet qui vous concerne. Êtes-vous d’accord avec ce que je comprends?
Monsieur Ménard, on présume que vous n’êtes pas d’accord?
M. Ménard : Non, nous sommes d’accord avec la conclusion du projet de loi, sauf que c’est une bonne occasion d’aller de l’avant. Effectivement, comme M. Lavergne l’a dit, le plastique est théoriquement recyclable, mais il ne l’est pas tout le temps.
On aimerait bien que la production de plastique soit considérée en amont sur le plan de la production. Dans un contexte de crise climatique, le recyclage ou l’augmentation de la demande, ce n’est pas ce qui va régler la situation. Il faut commencer à penser autrement. Mme Edmonds l’a dit aussi : il faut voir la question de façon globale. Oui, le recyclage, c’est bien, mais il est peut-être temps de penser à la durabilité des produits ou même au réemploi, chose que l’on voit très peu, pour réduire la consommation de plastique à la base.
Ce projet de loi ouvre les portes à tout cela. L’idée n’est pas de tout bannir, parce qu’effectivement, le plastique est un produit flexible et durable. Il a peut-être aussi les défauts de ses qualités, c’est-à-dire qu’il est durable et persistant dans l’environnement, et, malheureusement, on y injecte beaucoup trop de produits chimiques dans le but de lui donner certaines qualités mécaniques.
Ce sur quoi le projet de loi doit davantage travailler pour ouvrir des portes, c’est la consommation et la production. Cela n’empêche pas le recyclage et la récupération, qui sont complémentaires, mais qui ne constituent pas à eux seuls l’unique solution. Donc, je vous dis que nous avons là une occasion et que c’est à nous d’en profiter collectivement.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Ménard, j’aimerais avoir des précisions. Si je résume ce que vous avez dit, 90 % du plastique est exporté et 10 % restent au pays. Vous avez parlé d’un manque d’infrastructures.
De quelles infrastructures parlez-vous en particulier? Parlez-vous de l’espace? Parlez-vous d’un bâtiment ou d’une technologie? Qu’est-ce qui vous manque pour atteindre vos objectifs comme tels?
M. Ménard : En fait, 90 % représentent ce qui est éliminé au Canada, sur les 6,8 millions de tonnes, alors que seulement 10 % du plastique est recyclé. Donc je ne parlais pas de ce qui n’est pas exporté par opposition à ce qui est resté au pays, mais de ce qui est éliminé par opposition à ce qui est recyclé ou valorisé.
Si on voulait recycler les 5,4 millions de tonnes de plastique qui restent, c’est là qu’on manquerait d’infrastructures. On manquerait d’usines, parce que tous les plastiques ne sont pas les mêmes. Il y a des centaines de types de plastique. Il y a maintenant des plastiques émergents, comme le PLA, les acides polylactiques et les plastiques biosourcés.
Dans les faits, une bouteille de plastique peut ne pas être la même qu’une autre bouteille d’une marque concurrente. Chaque plastique doit être recyclé avec des plastiques similaires, et c’est pour cela que c’est très complexe de recycler le plastique.
Par exemple, lorsqu’on parle d’une cartouche, il s’agit sensiblement des mêmes plastiques ou des mêmes composantes. Donc, c’est une bonne chose dans un flux consacré aux cartouches, alors que si on parle de tous les produits de plastique générés au Canada, on parle de crayons, d’écouteurs, de souris, de téléphones et d’ordinateurs. On parle donc de composantes diverses et de points de fusion divers. Ce ne sont pas tous des plastiques thermoformés. Bref, il existe une multitude de types de plastique et les infrastructures ne nous permettent pas de les recycler, parce que justement, il n’y a pas d’uniformité pour ce qui est des produits fabriqués en plastique.
C’est un autre débat sur lequel il serait intéressant de se pencher un jour. Donc, une infrastructure de recyclage sera réservée à un certain type de plastique ou à un type de plastique similaire, et c’est impossible de faire cela actuellement, parce que, pour collecter des plastiques similaires, il faudrait avoir des systèmes de collecte inverse et de récupération réservée.
Au Québec notamment, la collecte sélective ne récupère que sept types de plastique, moins le plastique no 6, le polystyrène. Il existe des milliers de types de plastique; cela pose problème. C’est pour cette raison que je dis qu’il faudrait revoir notre production et la réglementer pour produire des plastiques recyclables, réutilisables, durables et nécessaires. Il faudrait travailler en amont plutôt que de trouver des solutions en aval qui, selon moi, ne sont pas vraiment des solutions. S’il faut développer des marchés pour produire du plastique recyclé, c’est malheureusement une fausse bonne idée, parce qu’on augmente aussi l’offre de plastique. Ce que l’on voudrait voir, surtout dans le contexte environnemental actuel, c’est la réduction de la quantité de plastique mise en marché. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le recycler, mais il ne faut pas non plus tout miser sur le recyclage ou sur l’économie circulaire basée sur le recyclage.
Le sénateur Gignac : Bienvenue à tous nos témoins.
Monsieur Ménard, merci de nous éclairer. J’ai bien apprécié le fait que vous donniez des explications en utilisant des termes que nous pouvons bien comprendre.
Je comprends que le projet de loi ne va pas assez loin et je suis d’accord avec vous. J’attire votre attention sur le fait qu’au Sénat, nous avons la souplesse d’ajouter des observations à la fin d’un rapport, avant l’adoption d’un projet de loi. Certains de mes collègues et moi pourrons nous inspirer de vos propos pour ajouter des observations.
Vous avez dit que 90 % des plastiques ne sont pas recyclés et qu’il faut s’attaquer à la source. Pour s’attaquer à la source, c’est-à-dire réduire la pollution ou la consommation, je crois beaucoup aux signaux de prix. Étant donné que je suis économiste de formation, je vous pose la question suivante : trouvez-vous que la taxe sur le carbone est un outil de politique économique efficace pour avoir des signaux de prix qui permettent d’avoir un effet sur la réduction de la production ou de la consommation de produits de plastique à usage unique?
M. Ménard : Merci, sénateur Gignac. C’est une très bonne observation.
Effectivement, la taxe carbone et toutes les mesures d’écofiscalité, si elles sont bien ciblées, sont des mesures efficaces. Cela a été dit au sujet de la REP, soit la responsabilité élargie du producteur. Le fondement même de cette mesure est que plus un produit est polluant ou cause des problèmes à l’environnement, plus il devrait coûter cher à l’achat — je crois que c’est M. Lavergne qui l’a dit —, ce qui influencera le choix du consommateur.
Cependant, dans les faits, il y a plusieurs programmes REP partout au pays, notamment pour les produits électroniques. Malheureusement, l’objectif n’est pas atteint : on ne réduit pas ou on n’améliore pas nécessairement la qualité des produits de plastique mis en marché pour ce qui est de leur recyclabilité et de leur quantité. Il faut s’assurer d’appliquer des mesures d’écofiscalité, comme la taxe carbone. Toutefois, je n’ai pas étudié cet aspect de la taxe.
On n’a pas le choix. Il y a des coûts externes à la pollution, sur le plan social et économique, si le plastique est brûlé dans d’autres pays. Selon Statistique Canada, il en coûte 7,8 milliards de dollars pour éliminer le plastique.
Il y a donc des coûts qui ne sont pas internalisés dans le prix d’achat des produits fabriqués avec du plastique. C’est ce que la REP devrait faire, c’est-à-dire des programmes de responsabilité élargie du producteur, ce qui ne se fait pas actuellement. Si la taxe carbone permet de contribuer à cela, effectivement, ce serait une bonne idée. Si un plastique est polluant, c’est qu’il y a des coûts qu’on ne paie pas. On vit à crédit avec certains objets fabriqués en plastique. Si la taxe carbone peut régler ce problème, ce serait une bonne mesure, effectivement.
Le sénateur Gignac : Pour ce qui est de la taxe sur le carbone ou du marché du carbone, le Québec et la Californie ont un système différent.
Je ne sais pas si Mme Edmonds voulait ajouter un commentaire.
[Traduction]
Mme Edmonds : Oui, merci. Il faut prendre en considération les forces du marché. Que devons-nous faire pour obtenir un investissement visant à améliorer le tri des matières plastiques que nous produisons aujourd’hui? Nous avons besoin d’une demande dans le marché, d’un signal du marché. Ce signal du marché est tout à fait absent au chapitre de l’approvisionnement.
Les gouvernements dans l’ensemble du pays ont à leur disposition un outil très simple : utiliser l’approvisionnement, les fonds qu’ils dépensent déjà, pour acheter davantage de ce que nous souhaitons. Si nous pouvions créer cette demande, l’investissement effectué contribuerait à améliorer le tri des matières plastiques et à accroître le nombre d’usines dont M. Lavergne a parlé. Le problème, ce n’est pas la technologie. Le problème, c’est l’investissement. D’où provient cet investissement? M. Lavergne vous dira qu’il provient de la concurrence avec les producteurs de matériaux vierges. La taxe sur le carbone a-t-elle un impact sur les producteurs? Je vous invite à vous pencher là-dessus. Nous espérons que la taxe sur le carbone n’aura pas d’incidence sur les installations de recyclage. Il est certain que nous avons besoin d’un plus grand investissement, mais cela se fera uniquement lorsqu’il y aura une demande dans le marché pour une proportion plus élevée de matières recyclées dans les biens et les services que nous achetons aujourd’hui.
[Français]
Le sénateur Gignac : Monsieur Lavergne, j’aimerais entendre vos commentaires. J’aimerais vous dire que j’aurai beaucoup d’intérêt à visiter votre usine, parce que je trouve que c’est une source d’espoir. C’est un signal positif et d’optimisme que vous nous donnez, soit qu’il est possible d’avoir la technologie nécessaire pour recycler, et cela m’encourage.
Je crois comprendre que lorsqu’on prend le produit vierge par opposition au produit recyclé, la taxe sur le carbone ou l’empreinte carbone est un élément qui peut vous aider. Pourquoi n’y a-t-il pas davantage d’usines comme la vôtre au pays? On accorde des subventions à des usines de batterie pour attirer les gens en leur disant qu’on réduit ainsi l’empreinte carbone, alors pourquoi ne pas avoir plus d’usines comme la vôtre partout au pays?
M. Lavergne : Merci beaucoup. Je vais répondre à votre question en élargissant ce point. Si les gens viennent visiter notre usine, ils verront que nous ne traitons pas seulement une matière. Nous avons maintenant des technologies qui nous permettent de prendre plusieurs matières qui sont séparées par matériau, par couleur. C’est pourquoi nous sommes en mesure de faire des produits.
Par le passé, on n’était pas très connu. La difficulté que l’on a, c’est qu’on se bat contre les gens qui fabriquent la matière vierge. On parle de grosses usines pétrochimiques. Je ne les nommerai pas. Je pense que vous en connaissez plusieurs.
Lorsqu’on prend un matériau fait de produits recyclés et qu’on réussit à réduire l’empreinte carbone d’un pourcentage assez considérable, cela signifie que cela fonctionne. Par contre, il y a un mythe, il y a une perception et il y a aussi de mauvaises histoires dans le produit recyclé. Certains manufacturiers ne réussissent pas à faire du bon travail, ce qui fait que les gens n’osent pas utiliser la matière recyclée.
Je suis allé chez un fabricant automobile et il y avait une douzaine de personnes autour d’une table, dont des ingénieurs. Aussitôt qu’on parlait du produit recyclé, les trois quarts de leur cerveau étaient à l’extérieur de la salle, parce qu’ils ne veulent pas vivre ça.
Au fil des années, j’ai dû me battre pour trouver des entreprises comme HP Canada, qui a décidé de faire le saut et a accepté de travailler avec moi. Dans notre entreprise, l’apprentissage repose beaucoup sur la pratique. Pourquoi n’y a‑t-il pas plus d’usines comme la nôtre? C’est parce que ce n’est pas facile. Lorsque j’ai lancé mon entreprise, j’étais beaucoup en avant de mon temps. Aujourd’hui, on parle de la voiture électrique lancée par M. Musk. Il a changé l’industrie. C’était une industrie qui était complètement [Difficultés techniques]. On regarde les usines pétrochimiques qui produisent du plastique et qui vont récolter des ressources naturelles. Ces usines font cela depuis 100 ans. Les amener dans notre contexte, c’est assez spécial.
Pour notre part, nous allons continuer d’investir, parce que des compagnies comme HP Canada sont prêtes à embarquer avec nous. Il faut quand même s’assurer de sensibiliser ces gens-là. Qu’est-ce qu’on va faire avec la réduction? Par quoi va-t-on la remplacer? Le plastique a remplacé des matériaux encore plus néfastes pour l’environnement. J’ai une équipe de chimistes qui sait quoi faire avec les polymères et elle le fait très bien. Certains polymères contiennent des additifs qui sont bannis aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas à une certaine époque. On parle de retardateurs de flamme. On a réussi à enlever les additifs grâce à des technologies dans lesquelles on continue d’investir. À mon avis, ce n’est pas une question de réduction; je crois que c’est une question de réutilisation. Il faut le faire là où c’est possible. La réparation, c’est bien aussi, mais le recyclage est une solution viable. J’en suis un exemple concret. C’est pourquoi je vous invite à venir visiter mon usine et les futures usines que nous allons bâtir.
Le sénateur Boisvenu : Je vais poser des questions qui pourraient sembler banales, parce que je n’ai pas suivi le débat depuis le début.
Mes questions vont s’adresser à M. Lavergne. Je vous félicite pour le travail que vous faites.
Le Québec a annoncé récemment un élargissement de la consigne, notamment pour les bouteilles de plastique.
On sait que, dans certains pays d’Amérique centrale, c’est un fléau dans les cours d’eau et dans les champs; les bouteilles de plastique sont une plaie. Pourrait-on avoir une stratégie de consigne sur tous les plastiques? Lorsque l’on achète un appareil, les boîtes qui contiennent l’appareil sont remplies de plastique. Est-ce que la notion de consigne ne pourrait pas être appliquée à tous les plastiques, pour faire en sorte que les Canadiens et les Québécois puissent les recycler plutôt que de les mettre au rebut?
Par exemple, la consigne des cannettes en aluminium est un succès au Québec et presque 95 % des cannettes en aluminium sont recyclées, donc retournées dans la chaîne de production. Pour les boissons gazeuses qui sont consignées, il y a un très haut taux de récupération, alors que les bouteilles d’eau qui ne sont pas consignées vont au rebut la plupart du temps. Ne pourrait-on pas avoir une stratégie de consigne pour tous les plastiques, non seulement pour les récipients contenant du liquide ou des solides, mais aussi pour ceux qui servent d’emballage?
M. Lavergne : Effectivement, vous avez un bon point. Il y aura un élargissement de la consigne pour toutes les boissons. Auparavant, la consigne n’avait pas été faite pour le recyclage, mais pour protéger des marchés. La consigne avait commencé dans l’industrie de la bière, où l’on voulait vendre de la bière, mais on ne pouvait pas parce qu’il fallait avoir un système de collecte. Aujourd’hui, lorsqu’on parle de recyclage, il faut revamper cela; il faut retrouver cela. L’élargissement de la collecte sélective et de la consigne se fera aussi dans les programmes ICI on recycle. Ce sont des systèmes qui peuvent fonctionner. D’ailleurs, pour nous, c’est un des projets dans lesquels nous souhaitons investir considérablement. On parle d’un investissement de centaines de millions de dollars que nous voulons faire pour bien montrer qu’on peut recycler le matériel. La consigne, on sait que c’est ce qui fonctionne le mieux, en ce sens que les gens sont responsables de reprendre la matière à la fin de sa vie.
Vous allez voir : dans l’industrie, on va commencer à parler des produits en tant que service. Un produit ne va jamais vous appartenir; vous pourrez toujours le reprendre. Le fabricant va même se responsabiliser là-dedans. Lorsqu’on regarde l’élargissement de la consigne, la modernisation de tout cela aidera des entreprises comme la nôtre à continuer le recyclage. La consigne et la collecte sélective qui seront mises en place d’ici 2025-2026 nous permettront de revisiter tout cela.
Lorsqu’on parle des plastiques qui sont dans la boîte bleue ou la boîte verte, on doit éduquer les consommateurs. On dit parfois que les consommateurs mettent tout dans ces boîtes. J’ai même vu des couches, mais des couches utilisées dans une boîte de collecte sélective, cela ne fonctionne pas. Il y a de l’éducation à faire.
Je pense aussi que ce qui nous amène à parler de cela aujourd’hui, c’est que les technologies vont continuer de s’améliorer. Ce qu’on avait il y a 20 ans, ce n’est pas la même chose aujourd’hui, et la technologie continue de s’améliorer. Il y a aussi l’intelligence artificielle qui est en train de s’installer chez nous.
Pour nous, ce qu’on voit actuellement, c’est une matière qui est recyclable, bien traitée, bien collectée — je ne pourrais pas dire seulement la collecte sélective ou seulement la consigne; c’est un mélange des deux —, mais avec une bonne éducation, cela pourrait bien fonctionner. Je ne sais pas si je réponds à votre question.
Le sénateur Boisvenu : Vous y avez bien répondu. Le recyclage est une responsabilité provinciale.
Est-ce que le Canada devrait se donner une stratégie nationale en matière de recyclage, en collaboration avec les provinces? Actuellement, chaque province a sa politique, ses lois, ses règlements pour le recyclage et la gestion des déchets, mais on n’a pas de stratégie pancanadienne. N’y aurait-il pas lieu d’adopter une stratégie beaucoup plus forte pour inciter les provinces à progresser au même rythme, pourrais-je dire?
M. Lavergne : C’est drôle que vous disiez cela, parce qu’effectivement, le Québec est en train de faire en sorte qu’Éco Entreprises Québec devienne propriétaire de la matière; naturellement, ils veulent s’assurer que la matière sera recyclée au Québec. Parallèlement à cela, on discute avec l’Ontario actuellement.
Il y a de la nouveauté, bien sûr, ce n’est pas quelque chose qui se fait depuis 50 ans, c’est tout récent, mais on amène des solutions. Avec une certaine gestion, cela pourrait se faire à l’échelle du Canada.
Le problème que nous avons au Canada, c’est qu’on a une population d’environ 35 millions d’habitants et c’est un grand pays. Lorsque l’on parle de collecte et de récupération, cela coûte cher. Il faut être conscient de cela. À ce moment-là, ce que l’on a réussi à faire... C’est pour cela qu’on a des modèles qui nous permettent d’avoir des versions hybrides de ce qu’on fait, où l’on peut faire un certain traitement, puis amener la matière dans les usines pour qu’elle soit traitée.
Faire une usine mondiale ne fonctionne pas non plus. Notre ADN, c’est d’établir plusieurs petites usines un peu partout. Quand je dis petites, c’est tout de même considérable. Le désavantage qu’on a au Canada, c’est la population. Il y a l’ouest et l’est qui peuvent fonctionner. Dans le centre du pays, cela devient un peu plus difficile. On peut quand même dire que le plastique est recyclable, et pour les thermoplastiques qui sont bien traités, bien collectés, on peut faire quelque chose avec cela.
La présidente : Merci. Monsieur Ménard, voulez-vous compléter la réponse?
M. Ménard : Oui. Les questions du sénateur Boisvenu sont tout à fait pertinentes.
Sur le plan de la consigne, nous avons travaillé pendant plusieurs décennies sur ce dossier que l’on maîtrise très bien. Effectivement, la consigne sera élargie le 1er novembre uniquement pour les cannettes en aluminium qui ne sont pas actuellement consignées. La consigne sera reportée pour les bouteilles d’eau et les bouteilles de vin au 1er mars 2025. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour nous. La consigne est un moyen de récupération complémentaire à la collecte sélective qui pourrait très bien s’adapter à des produits comme les produits informatiques, les cellulaires et autres. Au Québec, le taux de récupération des téléphones cellulaires n’est que de 5 %. Par exemple, s’il y avait une consigne de 5 $ sur un cellulaire, il serait récupéré dans un flux réservé à cet effet. On n’aurait que des cellulaires dans une boîte. On aurait sûrement des recycleurs qui seraient intéressés par ces produits, parce qu’ils ont une valeur intrinsèque assez élevée. La consigne pourrait être appliquée à beaucoup d’autres produits faits en plastique.
En ce qui a trait au recyclage, la planification et les objectifs sont de compétence provinciale. Toutefois, au Québec, par exemple, on ne recycle pas l’aluminium. On produit de l’aluminium à partir de bauxite, mais on ne recycle pas les cannettes d’aluminium. Elles sont recyclées en Georgie ou au Kentucky. Elles font un très long voyage. Même l’aluminium fait à partir de matières premières comme la bauxite n’est pas transformé en cannettes ici au Québec. Il est exporté aux États-Unis, puis il nous revient.
Comme le disait M. Lavergne, il y a aussi une question de marché. Dans l’idéal, tout serait recyclé le plus localement possible et même éliminé le plus localement possible. Dans les faits, ce n’est pas nécessairement possible, à moins de payer des coûts astronomiques qui ne seraient pas très judicieux, j’en conviens.
Effectivement, il serait souhaitable d’avoir des normes fédérales ou interprovinciales, car actuellement, ce que l’on constate sur le plan du recyclage et d’autres mesures comme le bannissement, c’est que certains produits sont bannis par des municipalités ou même des provinces. C’est une mosaïque, et une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Cela devient très mélangeant. Y aura-t-il une police du bannissement des sacs de plastique? À un endroit, on peut en distribuer, à un autre, on ne peut pas. Cela devient très mélangeant pour le consommateur et le citoyen.
Je parlais de bannissement. Certains produits en plastique ne devraient tout simplement pas exister, point. Cela devrait être envisageable pour que tout le monde soit sur la même longueur d’onde, tant les provinces que les municipalités qui, de plus en plus, vont de l’avant avec des mesures à leur échelle, parce qu’elles considèrent que les gouvernements provinciaux, notamment le Québec, ne vont pas assez loin ni assez vite en matière de gestion des plastiques à usage unique.
Le sénateur Boisvenu : Vous avez dit que les cannettes étaient envoyées aux États-Unis. N’y a-t-il pas une usine à Sherbrooke, l’usine Ball, qui recycle les cannettes en aluminium?
M. Ménard : Non. Il n’y a pas de recyclage d’aluminium secondaire au Québec. Je viens de Sherbrooke, en passant.
Le sénateur Boisvenu : Ball reçoit des cannettes, elle les fond et elle refait les fonds de cannette, ceux qui sont faits pour garder la pression dans la cannette. Cette usine fonctionne depuis presque 20 ans maintenant.
M. Ménard : Si c’est exact, vous me l’apprenez. Je ne suis pas au courant. L’information que j’ai, c’est que le plastique est récupéré soit par la consigne...
Le sénateur Boisvenu : Je vous dis cela, parce que mon fils y travaillait comme ingénieur.
M. Ménard : D’accord. C’est une chose à vérifier, sénateur Boisvenu. Si vous m’apprenez quelque chose, c’est bienvenu. Selon l’information que j’ai, les cannettes se rendent dans deux usines au Kentucky et en Georgie à des fins de recyclage. En fait, les cannettes ne sont pas formées ici, donc elles nous viennent déjà formées de ces endroits par camion qui transportent des cannettes vides qui sont embouteillées ici, et une fois le produit consommé, elles retournent là-bas se faire recycler.
La présidente : Merci.
[Traduction]
Avant de donner la parole à la sénatrice McCallum, j’aimerais résumer cinq points que vous avez tous soulevés et poser une question.
[Français]
Je suis tout à fait d’accord pour dire que la responsabilité élargie des manufacturiers, c’est quelque chose qu’on doit absolument examiner. C’est important que les manufacturiers nous disent quoi faire avec leurs produits une fois que leur vie utile est terminée, et comment le faire.
Je comprends aussi qu’il faut améliorer la collecte, parce que les taux de collecte des matières qui ont un potentiel de recyclabilité ne sont pas homogènes. On voit que l’aluminium est beaucoup plus recueilli; on le collecte en Europe à 93 % et au Québec, c’est de l’ordre de 60 %. Il faut améliorer cette collecte-là.
Ensuite, c’est intéressant et extraordinaire, monsieur Lavergne, que vous ayez une méthode, une technologie et une technique pour améliorer la classification des divers plastiques. Effectivement, il y a une panoplie de polymères : certains sont flexibles, d’autres sont durs et ont différentes valeurs. On a ajouté à certains différents additifs qui peuvent être toxiques ou innocents, mais je sais qu’il y a beaucoup de développements à cet effet que nous devons étudier pour faire ce traitement localement, afin de toujours réduire l’empreinte carbone. J’ai compris cela.
Il y a aussi la question de la circularité : j’ai compris que l’on n’a pas de signal — ni du marché ni du gouvernement — pour dire aux gens qu’il s’agit d’un produit, d’une nouvelle matière qui a été recyclée et qui est disponible aujourd’hui pour leur utilisation. Je me rappelle aussi que, en matière de fibres de papier, c’était comme cela au début; le Canada et le Québec produisaient beaucoup de fibres de papier et toute notre fibre de papier allait aux États-Unis, parce que les États-Unis avaient dit qu’il fallait incorporer 30 % au minimum de fibre de papier recyclé dans tout nouveau papier. Ici, nous n’avons pas fait cela. C’est un point extrêmement important à considérer.
Là où j’accroche, cependant, c’est sur tout ce qui a trait à la réduction, à la production ou à l’interdiction du produit. Pourquoi dis-je cela? S’il s’agissait d’une ressource naturelle renouvelable, je comprends que l’on pourrait dire à ce moment-là que l’on n’a pas besoin de l’interdire complètement, parce que c’est une ressource renouvelable. Par contre, dans le cas du plastique, de l’aluminium ou de n’importe quelle autre substance inorganique, on ne peut pas se permettre de le faire, parce que la ressource est limitée. C’est la nature qui a produit du pétrole pendant des millions d’années; nous ne sommes pas encore capables de produire du pétrole. Il faut donc garder ce pétrole pour des choses essentielles, des choses importantes — pas pour construire du plastique à usage unique. C’est là où je vois qu’il y a un désaccord entre vous, mais je pense que c’est important de considérer cela.
À cet effet, et à titre de deuxième question, pourquoi n’y a-t-il pas de programmes au moyen desquels nous payons en fonction de nos déchets? On a parlé du besoin d’éduquer les gens, mais les gens sont plus sensibles lorsqu’ils doivent payer ou qu’ils reçoivent une consigne. Est-ce qu’il faut maintenant dire à la population : « Vous êtes des consommateurs, vous ne recyclez pas et vous envoyez tout au site d’enfouissement. Plus vous envoyez vos déchets à l’élimination, plus vous paierez, car vous contaminez davantage et vous produisez plus de déchets que des gens plus vulnérables qui n’ont pas d’argent pour se payer non pas des produits de luxe, mais des produits contenant beaucoup d’emballages de plastique »? Avez-vous une réaction à cela?
M. Ménard : Oui, j’ai une opinion sur tout.
Je veux revenir sur votre dernier point. Je suis d’accord pour dire qu’on devrait payer pour ce que l’on jette, mais jusqu’à une certaine limite. Premièrement, on devrait arrêter de toujours rejeter la faute sur le consommateur, de le rendre responsable de tout et de mettre le fardeau de l’élimination sur ses épaules. Vous voyez, le consommateur n’a pas toujours le choix de ce qu’il achète, tant sur le plan de la nature des produits qu’on lui offre — notamment le type de plastique employé — que de la quantité. Lorsqu’on parle de suremballage, je n’ai jamais vu quelqu’un demander au magasin : « J’aimerais avoir une boîte de biscuits suremballée. » C’est plutôt le contraire; c’est l’industrie qui nous vend le suremballage, et ce, de plus en plus.
La tarification à l’acte s’applique aussi dans des circonstances bien précises. Ce n’est pas applicable partout. Il ne faut pas non plus pénaliser des gens qui ne sont pas servis par des programmes de réemploi ou de recyclage dans leurs municipalités et qui paieront donc de façon indue. Voilà pourquoi l’industrie devrait avoir une part de responsabilité là-dedans. On parle ici de la fameuse REP qui est souvent appliquée de façon élastique.
Je pense que le prix d’achat, comme on en a parlé plus tôt, devrait refléter les frais d’élimination ou de recyclage. À ce moment-là, le consommateur fera peut-être un choix éclairé, et la responsabilité de la gestion de l’élimination du produit ne va pas seulement lui incomber, mais elle incombera aussi à l’industrie. Plus un produit polluant et non recyclable coûte cher à éliminer, plus il devrait nous coûter cher. On devrait internaliser les coûts d’élimination et de recyclage des produits dans leur prix d’achat, et non pas faire en sorte qu’il ne soit pas pris en considération et imposer le fardeau économique au consommateur.
La présidente : Merci.
[Traduction]
Mme Edmonds : On a fait valoir d’excellents points — ils sont trop nombreux pour en parler en détail —, mais j’aimerais réitérer que, pendant 30 ans, nous avons misé sur le programme de responsabilité élargie des producteurs, dans lequel nous avons investi des milliards de dollars, et cela nous a donné un taux de circularité de 6,1 %. De nombreuses personnes très brillantes ont tenté d’améliorer le programme dans les différentes provinces et administrations. En tant que propriétaire d’une marque qui tente de respecter toutes les exigences disparates, notre entreprise a toujours souhaité une harmonisation, car l’absence d’harmonisation accroît les coûts et nuit à l’augmentation de la valeur environnementale. L’harmonisation est toujours une bonne chose.
Vous avez parlé des additifs, qui sont parfois néfastes, parfois inoffensifs. Le type d’additifs que M. Lavergne utilise contribue à accroître la circularité des plastiques. Nous avons établi que certaines de nos cartouches ont été recyclées plus d’une dizaine de fois, ce qui en fait un meilleur produit circulaire que le papier recyclé que nous produisons, qui est souvent reconnu comme étant le meilleur produit circulaire dont nous disposons.
Pensons à l’objectif de l’économie circulaire, c’est-à-dire essayer de résoudre le problème de la conception, et non pas le problème des déchets. Le problème des déchets se pose lorsqu’il y a absence de circularité. Nous essayons donc de régler le problème au début, lors de la conception. Ce sont les ingénieurs qui doivent réfléchir à la conception. Mes ingénieurs me demandent régulièrement si des clients m’ont déjà dit qu’ils seraient prêts à payer davantage pour des produits comportant un pourcentage plus élevé de plastique recyclé. Aucun client au Canada ne m’a dit une telle chose.
Nous oublions de fermer la boucle. Nous excellons dans le domaine du recyclage. Cela fait 30 ans que nous parlons du recyclage aux enfants. Tous les Canadiens sont d’avis que si nous recyclions davantage, tout serait bien, mais les matériaux recyclés ne trouvent pas preneurs. Nous devons créer une demande pour ces matériaux.
Nous parlons à la fois des biens durables et de l’emballage. Des entreprises comme HP sont en train d’éliminer 75 % des emballages à usage unique. Par quoi remplaçons-nous ces emballages? Nous les remplaçons par des emballages à base de fibres, qui sont issues des forêts. Est-ce que les entreprises qui utilisent des emballages en papier sont tenues responsables des répercussions sur les forêts? M. Ménard a expliqué qu’il y a toujours des répercussions un peu partout dans la chaîne d’approvisionnement. Nous devons réfléchir à cela en profondeur.
Selon des résultats récents, la plupart des entreprises responsables de la déforestation ne se sont même pas dotées d’une politique en matière de déforestation, et elles ne font absolument rien à cet égard.
Nous devons encourager la transparence chez les entreprises avec lesquelles nous décidons de faire affaire à l’aide du pouvoir de l’approvisionnement, des sommes que nous dépensons déjà. Cette proportion de 13 % du PIB contribuera à modifier le marché au Canada.
Nous oublions également la question du carbone intrinsèque dans les matières plastiques. Madame la sénatrice, je sais que vous avez mentionné qu’il s’agit d’une ressource non renouvelable, mais nous oublions le carbone intrinsèque. Nous avons beaucoup parlé du transport — et M. Lavergne a mentionné que c’est coûteux —, mais quelle est l’empreinte carbone des plastiques vierges par rapport à celle des plastiques recyclés, malgré toutes les expéditions que nous effectuons en ce qui a trait à nos cartouches? J’utilise cet exemple, car nous avons effectué des évaluations du cycle de vie. Les plastiques recyclés ont une empreinte carbone qui est 46 % moins élevée que les plastiques vierges auxquels nous faisons concurrence. Par conséquent, l’utilisation de plastiques recyclés nous aidera à atteindre nos objectifs en matière d’empreinte carbone et de développement durable. Nous devrions accroître l’utilisation des plastiques recyclés et créer une très bonne demande pour ces plastiques et rechercher activement la présence de plastiques recyclés dans tout ce que nous achetons, que ce soit dans les emballages ou les biens durables.
La façon la plus simple d’encourager l’économie circulaire dans le cadre de l’approvisionnement est d’acheter sous forme de service. M. Lavergne a abordé ce point. Si le produit n’a jamais appartenu au client — qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un consommateur —, et que ce produit est retourné à un fournisseur comme HP, c’est ce fournisseur qui s’occupe ensuite de ce produit. Nous avons intérêt à mieux concevoir le produit, afin qu’il ait une longue durée de vie et puisse nous être retourné à un moment donné et que nous puissions prendre des éléments de ce produit en fin de vie pour les utiliser dans de nouveaux produits. Nous avons pour objectif d’atteindre un taux de circularité de 75 %, mais nous ne pouvons pas l’atteindre sans le soutien des clients. Aujourd’hui, il est presque impossible de vendre sous forme de service, particulièrement au gouvernement fédéral parce qu’il souhaite que les produits lui appartiennent, comme cela a toujours été le cas.
Comme je l’ai dit, le programme de responsabilité élargie des producteurs mis en œuvre pendant 30 ans nous a permis d’atteindre un taux de circularité de 6,1 %. Nous n’avons pas essayé la voie de l’approvisionnement durable ou circulaire. Nous sommes en train de manquer de temps pour atteindre nos objectifs en matière de développement durable et de climat. Nous avons sept ans pour réduire nos émissions de carbone à hauteur de 40 à 45 %. Pourquoi ne pas essayer une approche différente? Je ne crois pas que de bannir les plastiques nous fera avancer davantage. Ceux qui exportent illégalement vont continuer de le faire. Des entreprises comme HP qui respectent toutes les exigences réglementaires devront simplement assumer des coûts supplémentaires en vue de prouver qu’elles envoient leurs plastiques au recyclage.
La sénatrice McCallum : Merci et bienvenue au Sénat.
Je veux revenir au projet de loi, car nous devons nous y pencher. Je veux examiner l’article 3.
L’article 3 vise à créer une liste des matières qui ne peuvent pas être exportées, mais malgré la création de cette liste, nous ne sommes pas en mesure d’agir. Il n’existe aucune façon de surveiller entièrement et de façon constante ce que nous expédions. Comme cela n’est pas possible, nous ne pouvons pas appliquer l’article 2, qui fait de l’exportation une infraction. En ce qui a trait à l’amendement qui a été apporté, il précise que l’interdiction d’exporter des déchets plastiques doit être mise en application d’une façon qui respecte la loi. Il est donc impossible de l’appliquer. Lorsque j’examine ce projet de loi, je me rends compte qu’il est irrécupérable. Il n’accomplira rien.
J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
M. Lavergne : Vous avez raison. Lorsqu’on examine les produits qui figurent sur la liste, on se rend compte qu’il faut être un chimiste pour vérifier tout cela. Tous ces différents produits sont très complexes.
Lorsqu’il est question d’interdiction, la réduction joue un rôle important. Bien entendu, nous devons réduire, mais la population est en croissance. Il est bien de réduire, mais il y a de plus en plus d’humains sur terre. Que se passe-t-il alors? Une interdiction consiste à éliminer une chose, à la faire disparaître. Si l’interdiction est mise en place pour la bonne raison et si elle est bien gérée, alors c’est bien. Mme Edmonds a parlé des cartouches et elle a expliqué que son entreprise s’emploie à fermer la boucle. Le démantèlement du produit a été centralisé. Le produit est très bien recyclé. Selon moi, il est plus difficile de s’attaquer à une interdiction. À mes yeux, notre entreprise a beaucoup de succès parce que des gens se disent ce qu’ils vont créer de la valeur en achetant nos produits.
J’ai un certain âge. J’ai 62 ans, et je peux vous dire que la jeune génération d’aujourd’hui souhaite faire mieux pour l’environnement, alors elle est plus sensible à ces choses. Nous voyons à quoi les gens portent attention.
Je crois que nous avons la responsabilité de promouvoir cela. De notre côté, le plus gros problème, c’est que les prix montent et descendent sur le marché des producteurs de matériaux vierges. À l’heure actuelle, le marché des plastiques est tellement à la baisse que les matériaux recyclés ne présentent aucun attrait, alors certaines entreprises ne s’y intéressent pas. Je pense que nous pourrions prendre des mesures pour changer la situation, mais au bout du compte, nous menons nos activités pour les bonnes raisons, notamment pour réduire notre empreinte carbone.
Soit dit en passant, nous n’utilisons pas de ressources. La présidente a parlé du fait qu’au bout d’un certain temps, il n’y aura plus de plastiques. Nous croyons qu’il existe suffisamment de plastiques en fin de vie que nous pourrions recycler, afin de fermer la boucle.
Je pense que la technologie progresse constamment. Je conviens que si nous pouvions tout réaliser au Canada, pourquoi ne pas le faire? Nous sommes la seule entreprise de ce genre. Est-ce qu’il y en aura d’autres? Aujourd’hui, j’ai des clients qui sont prêts à acheter mes plastiques. Je peux vous dire qu’il y a quelques années, ces clients-là n’existaient pas. Encore aujourd’hui, même si ces clients-là existent, beaucoup de gens demeurent réfractaires. Si nous nous employons à trouver des solutions, nous serons en meilleure posture. C’est ce que je crois.
[Français]
M. Ménard : Madame la sénatrice, vous touchez un excellent point. Effectivement, sur le plan de l’application, ce règlement peut éventuellement être complexe.
Nous sommes beaucoup plus dans le concept, dans l’élimination des plastiques. Je ne sais pas qui à la douane va inspecter les conteneurs, par exemple, pour savoir quel type de plastique sera autorisé, parce que souvent, ce sont des plastiques mélangés que l’on reçoit, et cela devient donc impossible à vérifier.
Il y aura aussi de nouveaux types de plastique. Le diable est dans les détails; à force de vouloir rendre un projet de loi trop précis — comme vous le sous-entendez, je présume —, il peut devenir inapplicable. L’idéal serait vraiment surtout d’interdire l’exportation à des fins d’élimination; il n’y a aucun gain environnemental à éliminer un plastique à l’étranger, à part peut-être un gain économique, mais ce n’est pas du tout le but recherché ici. Pour nous, tout type de plastique devrait être interdit d’exportation à des fins d’élimination.
Pour ce qui est du recyclage, il faudrait démontrer que le plastique en question serait recyclé dans des normes semblables ou supérieures à celles que nous avons au Canada. Il faudra le démontrer, et ce qu’on ne pourra pas démontrer sera interdit d’exportation.
Oui, effectivement, comme je le répète, le diable est dans les détails et souvent, cela vient compromettre l’application d’un règlement fondamentalement bon. Cela signifie qu’on ne peut pas autoriser l’exportation de plastique à des fins d’élimination, par exemple, aux États-Unis, car ensuite le plastique risque malheureusement de se retrouver dans des pays où les normes environnementales et sociales sont quasiment inexistantes. On se rend responsable, si l’on veut, d’une situation qu’on ne voudrait pas voir ici au Canada. Oui, effectivement vous avez raison pour ce qui est de la publication du règlement.
D’un point de vue pratico-pratique, et M. Lavergne l’a bien dit lui aussi, c’est très difficile. Comme je l’ai dit un peu plus tôt, avec les sacs de plastique que certaines municipalités bannissent au Québec — une ville les autorise, mais pas la ville voisine —, est-ce qu’on aura une police des sacs de plastique sur les ponts entre les municipalités pour voir si quelqu’un transporte des sacs de plastique? L’idée est probablement d’avoir moins de détails, mais d’avoir une certaine uniformité pour ce qui est de l’application du règlement, pour que tout soit, justement, mieux vérifiable et plus efficace.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à Mme Edmonds. J’ai trouvé très utiles vos propos concernant l’écosystème des plastiques. Vous avez également parlé de l’approvisionnement circulaire, qui pourrait s’avérer un outil utile.
En tant que multinationale, que fait HP en ce qui a trait à l’élimination définitive des déchets plastiques, des déchets qui ne peuvent pas être recyclés davantage?
Mme Edmonds : Je pense qu’il faut se doter d’un modèle officiel de programme environnemental. J’ai dit que l’économie circulaire consistait à régler le problème de la conception, alors, nous mettons nos ingénieurs au défi de concevoir des produits qui ne contiennent pas des plastiques ou d’autres matériaux qui ne sont pas circulaires. Nous avons pour objectif d’atteindre un taux de circularité de 75 % d’ici 2030. Nous travaillons d’arrache-pied pour atteindre cet objectif. Il faut réfléchir à la conception et élaborer un modèle officiel de programme environnemental.
Nous travaillons en très étroite collaboration avec M. Lavergne pour trouver des débouchés pour les plastiques qui reviennent. De toute évidence, lorsqu’il s’agit d’appareils électroniques provenant d’utilisateurs, ce sont souvent des plastiques fabriqués il y a 10 ou 15 ans qui reviennent. Nous travaillons avec M. Lavergne sur des projets de recherche pour nous permettre de déterminer ce que nous pouvons faire avec ces plastiques. Notre objectif est de n’envoyer absolument rien aux sites d’enfouissement. Les États-Unis autorisent l’incinération afin d’éviter que les déchets ne soient envoyés aux sites d’enfouissement. Bien sûr, il y a des nuances. Nous avons évalué le programme de responsabilité élargie des producteurs, dont le succès repose sur le détournement des déchets des sites d’enfouissement, mais comme M. Ménard l’a souligné, si nous envoyons nos déchets au sud de la frontière, il faut penser que l’incinération est autorisée là-bas dans certaines régions.
Tout commence par la conception. Je tiens à réitérer que si le projet de loi est adopté, nous devrons, comme M. Ménard l’a fait remarquer, préciser le contenu des conteneurs maritimes qui contiennent des plastiques mélangés. Qu’en coûtera-t-il? Ceux qui exportent illégalement continueront de le faire. Des entreprises comme HP, qui essaient de faire la bonne chose en recyclant leurs propres produits pour en fabriquer de nouveaux, devront assumer des coûts supplémentaires pour expédier les produits à leurs installations de tri et pour les ramener par la suite. Ces coûts ne peuvent pas être récupérés en ce moment, car il n’y a pas d’incitatifs sur le marché. Le gouvernement fédéral achète en fonction du plus bas prix possible. Il ne tient pas compte du rendement en matière de durabilité ni de l’excellence des plastiques.
Lorsque l’on achète en fonction du plus bas prix, on favorise le plus bas rendement en matière de durabilité. Voilà la corrélation. Il ne faut pas ajouter de coûts aux matériaux recyclés, il faut acheter des produits contenant des matières recyclées et il faut créer une demande afin d’obtenir des investissements dans les installations de recyclage. J’espère avoir répondu à votre question.
Le sénateur Arnot : Merci.
[Français]
Le sénateur Gignac : Je pose cette question au nom de ma collègue la sénatrice Anderson, qui ne pouvait malheureusement pas être présente. Pourquoi n’a-t-on pas de stations de recyclage dans les magasins d’alimentation partout au pays où l’on pourrait rapporter les bouteilles de plastique, comme les jus de fruits et les sodas, un peu comme en Europe, et notamment en Norvège? On ne parle pas que des cannettes en aluminium, mais de tous les produits de plastique. Pourquoi est-ce qu’on n’a pas cela ici au pays?
M. Ménard : C’est une bonne question. Effectivement, on le vit au Québec avec la consigne et avec les détaillants dans le secteur de l’alimentation. La structure des bâtiments des détaillants en alimentation n’a pas été nécessairement conçue pour entreposer les plastiques ou les contenants de plastique, d’aluminium, de métal ou de verre. C’est la raison pour laquelle, dans les autres provinces et ailleurs, les points de retour réservés à ce genre de collecte ne sont pas dans les magasins. Ils peuvent être attenants ou dans des lieux centraux, comme en Ontario ou au Nouveau-Brunswick où il y a des lieux de consigne. Pour ce qui est des détaillants en alimentation, ils disent avoir déjà beaucoup de problèmes avec la récupération des contenants, en raison du manque de main-d’œuvre, de l’entreposage, des problèmes de nuisance, des insectes, etc. Dans un magasin d’alimentation, on convient que ce n’est pas l’idéal. L’idée est d’avoir des lieux de retour réservés à cette fin.
Est-ce que le magasin est un bon endroit? Je ne pense pas. Est-ce qu’un centre de dépôt réservé aux contenants consignés de boisson, mais également à d’autres types de contenants... Par exemple, un pot en verre et d’autres contenants de plastique pourraient être retournés dans un lieu de dépôt, pas nécessairement pour une consigne, mais au Québec, on le voit beaucoup pour le verre. Il y a des centres de dépôt volontaire, une centaine, principalement situés au sud du fleuve, qui sont victimes de leur succès. Ils sont très efficaces, parce que les gens comprennent que le contenant de verre déposé dans ce lieu sera recyclé et refondu, alors que lorsqu’il est placé dans le bac de récupération de la collecte sélective, la plupart du temps, il se retrouve au dépotoir comme matériel de recouvrement pour faire des chemins d’accès dans les lieux d’enfouissement. Donc, ce n’est pas optimal.
Les anglophones utilisent le mot downcycling, soit le décyclage. Pour moi, il s’agit ici de jeter, de façon déguisée, une matière qui est hautement recyclable. Oui, effectivement, pour les points de collecte, le retour est essentiel afin d’avoir la matière la plus pure et la moins contaminée possible.
Lorsqu’on a des produits comme des ordinateurs, des cartouches d’encre ou peu importe, oui, effectivement, on a des chaînes de récupération qui sont relativement efficaces, parce que l’on vise une matière spécifique.
Pour ce qui est de la consigne, c’est exactement la même chose. Il faudrait repenser la chose plutôt que d’avoir des façons de recycler pêle-mêle, comme c’est le cas chez nous, malheureusement.
Le sénateur Gignac : Monsieur Lavergne, ai-je bien compris, dans vos propos d’ouverture, que vous avez une usine en Belgique? Si c’est le cas, pouvez-vous nous parler des meilleures pratiques d’affaires dont on pourrait s’inspirer sur les plans du tri et de la collecte? Je crois comprendre que si le tri et la collecte sont bien faits, c’est plus facile pour vous.
M. Lavergne : Effectivement, l’usine en Belgique est arrivée après celle de Montréal. Ce sont d’ailleurs les Belges qui sont venus nous chercher.
On a quatre plateformes opérationnelles. Celle dont on parle en ce moment est utilisée pour les e-déchets, les déchets électroniques, les rebuts des appareils électroniques et des appareils électroménagers. On a développé une technologie au Québec et on a implanté la version 2.0 en Belgique, qui peut maintenant en bénéficier. Sur les 50 entreprises qui ont présenté des projets en Belgique, 6 entreprises ont été recrutées et on a présenté l’un des deux projets qui ont été acceptés. L’Europe est, de très loin, plus avancée que nous lorsqu’on parle de la récupération, de la réduction et du recyclage. Plusieurs pays ont beaucoup de structures qui ont été mises en place. La raison pour laquelle nous sommes allés là-bas, c’est pour les aider avec la plateforme électronique, parce que rien ne se passait de ce côté dans la région. Donc, la Belgique est la première parmi plusieurs autres.
Ce que je vois — comme je vous l’ai dit, aujourd’hui, je travaille chez Dyson —, c’est qu’il y a des joueurs internationaux, mais il y en a d’autres en Europe qui sont prêts à embarquer dans le projet. Je continue de développer le produit à l’échelle internationale, mais la source vient du Québec. Nous avons créé cette technologie au Québec, et on l’exporte un peu partout dans le monde.
Le sénateur Gignac : Donc, si je comprends bien, puisqu’on peut faire des observations à l’étape du rapport après l’adoption du projet de loi, je pense qu’on pourrait s’inspirer de ce qui se passe en Europe en ce qui a trait au recyclage du plastique. Vous semblez dire qu’ils sont beaucoup plus avancés que nous.
M. Lavergne : Ils mettent de la pression. Si on regarde le domaine de l’automobile, à partir de 2025, on devra avoir un contenu recyclé. Il y a des pressions, des lois, des réglementations. Dans certains cas, ils ont commencé à taxer la résine vierge. Les industries qui veulent utiliser de la résine vierge devront payer plus cher.
Il y a vraiment une pression en vue de réduire l’empreinte carbone. C’est pour cette raison que les gens disent que le plastique est négatif. On parlait plus tôt des plastiques dans les océans. On a une usine à un endroit assez particulier en Haïti, et c’est à cet endroit qu’on a bâti notre première usine pour ramasser les plastiques avant qu’ils aboutissent dans les océans. On voit que le plastique, quand il est recyclé, se travaille bien.
En Europe, quand ils commencent à mettre une telle pression, on devient un joueur plus important. C’est la raison pour laquelle on veut continuer d’investir dans de tels endroits.
Je fais cela depuis près de 40 ans. Ce que je vois aujourd’hui, c’est que finalement, le choix du moment pour ce qu’on fait est vraiment [Difficultés techniques]. Il faut donner un peu plus de justification et il faut promouvoir cela, comme Mme Edmonds le disait. Cela vaudrait la peine d’encourager un propriétaire de marque qui réussirait à faire cela. En même temps, cela va automatiquement nous aider à propulser ce qu’on fait ici. Probablement qu’on aura des compétiteurs à un moment donné. On va essayer d’être des chefs de file dans ce domaine, mais d’après ce que je vois, on ne sera pas les seuls et on en verra de plus en plus. C’est une solution qui fonctionne.
[Traduction]
La sénatrice McCallum : Le Canada est signataire de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements de déchets dangereux. À l’heure actuelle, il semble que le Canada exporte sciemment des déchets dangereux puisqu’il n’existe aucun mécanisme de surveillance des mouvements de ces déchets. Nous ne savons pas quelles sont les entreprises en question. Nous ne pouvons pas savoir quelle entreprise a fabriqué quel plastique.
Je reviens à l’article 2. Convenez-vous que le Canada commet une infraction au titre de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement parce qu’il exporte de tels déchets?
La présidente : C’est une bonne question. Quelqu’un peut-il y répondre?
[Français]
M. Ménard : Merci pour la question. Je ne sais pas si les plastiques sont considérés par la Convention de Bâle comme un produit toxique; c’est une zone grise. De plus en plus de pays, dont le Canada, veulent faire en sorte que des matières comme le plastique deviennent des produits dangereux pour différentes raisons, afin d’avoir des réglementations plus coercitives à son endroit. En ce qui concerne la Convention de Bâle, effectivement, si le Canada est un pays délinquant, je crois que tous les autres pays de la planète le sont. Le plastique voyage de tous les pays vers tous les pays à des fins d’élimination et de recyclage. Souvent, on en perd la traçabilité, ce qui est malheureux. Donc, il faudrait encadrer cela et le Canada devrait montrer l’exemple.
J’aimerais revenir sur ce que disait M. Lavergne. Il a raison de mentionner que lorsque des réglementations existent, l’industrie va s’ajuster. L’approche volontaire a des limites et elle les a atteintes en ce qui concerne l’exportation du plastique. Donc, une réglementation fédérale, si on parle d’exportations à l’étranger, serait tout à fait bien la bienvenue. En ce qui a trait aux délinquants, il faudrait avoir des mécanismes pour les attraper et leur donner des amendes suffisamment conséquentes pour qu’ils arrêtent d’agir de la sorte et afin que les bonnes industries puissent continuer d’opérer comme elles le font. Cela dépend de la réglementation et de son application; c’est fondamental.
On peut avoir les meilleures politiques mondiales, mais si elles ne sont pas appliquées ou pas applicables, cela ne donne rien. Donc, il faudrait peaufiner les mécanismes d’application et ne pas se mettre trop de bâtons dans les roues pour rendre son application possible.
La présidente : Monsieur Lavergne, auriez-vous une courte réponse?
M. Lavergne : Ma compréhension, c’est que la Convention de Bâle est déjà mise en place et des pays en Europe ne peuvent plus livrer des plastiques à l’extérieur. Au Canada, c’est aussi le cas, mais les États-Unis ne l’ont pas signée. Les États-Unis sont encore une source de produits exportés. On dit que, d’ici 2025, il y aura une certaine solution. Vous pouvez constater que la Convention de Bâle fait déjà une bonne partie du travail.
La présidente : Merci beaucoup.
[Traduction]
C’est tout pour les questions. Je remercie nos témoins. Vous avez formulé des commentaires très intéressants et importants, que le comité va prendre en considération.
Maintenant, sénateurs, nous allons faire une pause de quelques secondes afin de passer à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)