LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 23 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-14, Loi modifiant la Loi sur les parcs nationaux du Canada, la Loi sur les aires marines nationales de conservation du Canada, la Loi sur le parc urbain national de la Rouge et le Règlement sur la pêche dans les parcs nationaux du Canada.
La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Bonjour. Je m’appelle Rosa Galvez, je suis une sénatrice du Québec et je suis présidente de ce comité. Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
J’aimerais commencer par un petit rappel. Avant de poser des questions et d’y répondre, je demanderais aux membres et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité dans la salle.
[Traduction]
Avant de demander à mes collègues de se présenter, je voudrais souhaiter la bienvenue à la sénatrice Judy White, qui se joint au comité en tant que membre permanent. Je l’en remercie infiniment. Je vais demander aux membres du comité de se présenter.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice White : Judy White, sénatrice de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, sénatrice de l’Alberta. Je parraine le projet de loi à l’étude, et je vis dans le parc national Banff, un territoire visé par le Traité no 7.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, membre de la Première Nation de Barren Lands au Manitoba. Je vous remercie de votre attention.
Le sénateur Wells : David Wells, sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Arnot : David Arnot, sénateur de la Saskatchewan. Je vis dans un territoire visé par le Traité no 6.
La présidente : Je souhaite la bienvenue à chacun de vous et aux téléspectateurs de l’ensemble du pays qui regardent nos délibérations.
Aujourd’hui, le comité a invité des hauts fonctionnaires du gouvernement à comparaître dans le cadre de son examen du projet de loi S-14, Loi modifiant la Loi sur les parcs nationaux du Canada, la Loi sur les aires marines nationales de conservation du Canada, la Loi sur le parc urbain national de la Rouge et le Règlement sur la pêche dans les parcs nationaux du Canada. Outre les hauts fonctionnaires, nous recevons d’autres invités représentant des groupes autochtones et des personnes travaillant dans le domaine de la santé publique. Nous accueillons notre premier groupe de témoins qui est composé des personnes suivantes: Adeline Salomonie, directrice, Affaires marines et de la faune, Qikiqtani Inuit Association, qui comparaît en personne; le professeur Ryan Norris, Département de biologie intégrative, Université de Guelph, qui comparaît par vidéoconférence; et Dre Melissa Lem, Association canadienne des médecins pour l’environnement, qui comparaît par vidéoconférence.
Je vous souhaite la bienvenue, et je vous remercie de vous être joints à nous. Chacun d’entre vous dispose de cinq minutes pour faire sa déclaration préliminaire, en commençant par Mme Salomonie. La parole est à vous, madame.
Adeline Salomonie, directrice, Affaires marines et de la faune, Qikiqtani Inuit Association : Je vous remercie. [Mots prononcés dans une langue autochtone] Bonjour. Je m’appelle Adeline Salomonie. Je suis directrice des Affaires marines et de la faune à la Qikiqtani Inuit Association, laquelle supervise les travaux liés à l’aire marine nationale de conservation de Tallurutiup Imanga. Nous nous trouvons actuellement à Iqaluit. Cependant, il y a cinq communautés touchées au sein de Tallurutiup Imanga, et 25 employés qui travaillent dans cette section.
Nos 25 employés qui travaillent à l’intérieur de Tallurutiup Imanga assurent la sécurité alimentaire des communautés touchées dans lesquelles ils vivent. Ils mènent aussi des recherches, assurent la surveillance, organisent des activités de sensibilisation communautaire et rendent des services de recherche et de sauvetage. Notre département emploie actuellement — je dirais — 99 % d’Inuits. Nous sommes très fiers de cela et très fiers du travail et de la sécurité alimentaire que nos programmes [mots prononcés dans une langue autochtone] ont été en mesure de fournir à Tallurutiup Imanga.
Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Professeur Ryan Norris, la parole est à vous.
Ryan Norris, professeur, Département de biologie intégrative of Integrative Biology, University of Guelph, as an individual : Bonjour, je suis le professeur Ryan Norris. Je suis le professeur Ryan Norris. Je travaille au département de biologie intégrative de l’Université de Guelph. Mes recherches sont axées sur la conservation des populations sauvages, et surtout les oiseaux, les papillons et les salamandres. J’ai mené pas mal de recherches sur les parcs à l’échelle nationale et régionale, et j’ai également réalisé pas mal de travaux à l’intérieur des parcs.
Je participe à la réintroduction d’une espèce de papillon en voie de disparition en Ontario. J’ai réalisé un certain nombre de macroévaluations de l’efficacité du système des parcs au Canada. Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Était-ce votre déclaration préliminaire?
M. Norris : Oui, c’est tout ce que je voulais dire. Merci.
La présidente : Je vous remercie. Dre Melissa Lem, vous avez la parole.
Dre Melissa Lem, présidente, Association canadienne des médecins pour l’environnement : Merci. Bonjour, chers membres du comité. Je suis heureuse d’avoir l’occasion de vous parler aujourd’hui du projet de loi S-14. En tant que médecin de famille et présidente de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, dont la mission est d’améliorer la santé humaine en protégeant la planète, j’appuie sans réserve l’esprit de ce projet de loi appelé, Loi visant à protéger les merveilles naturelles du Canada, dont le nom est fort approprié.
D’un point de vue personnel, je souhaite vous faire part de l’importance que l’accès à la nature a eue pour moi au cours de mes années formatrices. J’ai grandi dans la banlieue de Toronto, dans un quartier majoritairement blanc, où les espaces verts locaux, y compris le parc de la Rouge, que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de parc urbain national de la Rouge, étaient pour moi des lieux essentiels pour échapper à l’intimidation et au racisme et pour trouver un sentiment d’appartenance. C’est dans le parc national de la péninsule-Bruce où ma famille faisait des séjours de camping que je suis tombée amoureuse de la nature, en barbotant dans les eaux bleues de la baie Georgienne et en regardant le ciel noir rempli de milliers d’étoiles, loin des lumières des villes.
Les études montrent que les enfants qui passent plus de temps dans la nature sont plus susceptibles de devenir des environnementalistes à l’âge adulte, et j’en suis un exemple vivant. Outre les valeurs de biodiversité et les comportements environnementaux que l’accès à la nature inspire tout au long de la vie, il m’apparaît clairement, en tant que médecin praticienne, à quel point il est important que nous donnions la priorité à des mesures favorables à la nature dans nos villes et à l’extérieur de celles-ci.
Comme nous le savons, en 2021, plus de 600 personnes sont mortes en Colombie-Britannique pendant le dôme de chaleur de l’Ouest. Les patients affluaient dans mon bureau, et j’ai observé plus de cas de maladies liées à la chaleur que je n’en ai jamais vu pendant toute ma carrière. De plus, mes collègues des urgences m’ont dit qu’ils couraient littéralement d’une pièce à l’autre pour intuber des patients en proie à des convulsions causées par des coups de chaleur. Des recherches menées par le Centre for Disease Control de la Colombie-Britannique ont révélé qu’en plus de l’âge avancé des patients, de leurs maladies chroniques et de l’absence de refroidissement intérieur, le manque d’espaces verts à proximité des patients était un facteur de risque indépendant lié aux décès enregistrés pendant le dôme de chaleur. Cette année, les pires incendies de forêt que nous ayons connus au cours de l’histoire du Canada ont rempli les hôpitaux de cas de crise cardiaque et d’exacerbation de l’asthme attribuable à la pollution causée par la fumée, ce qui a coûté au système de santé de l’Ontario 1,28 milliard de dollars en une seule semaine. Les effets néfastes du changement climatique sur la santé que nous constatons en temps réel découlent de notre manque historique de protection et de respect des écosystèmes qui constituent le fondement des déterminants sociaux et structurels complexes de notre santé. Seulement 20 % des résultats de santé au Canada dépendent de notre système de soins de santé; les 80 % restants reposent sur des facteurs comme la qualité de l’air, la qualité de l’eau et des environnements sûrs et sains.
Bien que l’Association canadienne des médecins pour l’environnement fasse campagne pour réduire l’utilisation et la demande de combustibles fossiles, notamment en plaidant pour des plafonds d’émissions de gaz à effet de serre solides et efficaces et pour l’interdiction de la publicité liée aux combustibles fossiles, le fait est que nous ne maintiendrons pas l’objectif de 1,5 degré Celsius sans prendre immédiatement des mesures en matière de protection de la nature. Les scientifiques estiment que l’adoption de solutions fondées sur la nature pour lutter contre le changement climatique pourrait permettre au monde entier d’atteindre plus d’un tiers des objectifs de l’accord de Paris. De plus, la protection de la nature et l’accès aux espaces extérieurs sont largement soutenus par mes collègues du système de santé. Je dirige également PaRx, le programme national canadien d’ordonnance d’activités dans la nature, soutenu par la BC Parks Foundation, dans le cadre duquel plus de 12 000 professionnels de la santé ont délivré plus de 600 000 ordonnances de passer du temps dans la nature, afin d’améliorer la santé de leurs patients. En 2022, nous avons annoncé avec fierté et gratitude une collaboration avec Parcs Canada, dans le cadre de laquelle nos médecins prescripteurs peuvent prescrire à leurs patients des cartes d’entrée Découverte de Parcs Canada gratuites afin de faciliter leur accès à la nature.
Une réglementation stricte et efficace est également nécessaire pour protéger la nature, comme elle protège notre santé. J’applaudis les modifications apportées au projet de loi qui renforceront la capacité du Canada à prévenir la pollution et la dégradation des espaces naturels, et je voudrais également insister sur l’importance du droit à un environnement sain et des principes de justice environnementale qui ont été récemment ajoutés à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, et je demande que le comité en tienne compte dans la façon dont ce projet de loi sera appliqué.
La protection des terres et des eaux du Canada doit également être assurée en collaborant pleinement avec les peuples autochtones. Les scientifiques estiment que la consommation de nutriments essentiels par les Premières nations de la Colombie-Britannique pourrait diminuer de plus de 30 % d’ici 2050 en raison du déclin des espèces alimentaires marines causé par le changement climatique. Il est essentiel de protéger les espaces verts et bleus tout en veillant à ce que les peuples autochtones aient accès à ces espaces pour leurs pratiques traditionnelles, afin d’éviter que cela ait des conséquences involontaires sur la santé des peuples autochtones, qui souffrent déjà d’un état de santé moins bon en raison d’inégalités systémiques.
En résumé, il est essentiel de prendre dès maintenant des mesures concrètes en matière de conservation et de protection de la nature si l’on veut que des environnements sains permettent à la population de vivre en bonne santé. La planète et nos systèmes de santé nous disent haut et fort qu’il n’y a pas de temps à perdre et, en outre, ces mesures bénéficient d’un large soutien au Canada. Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Je remercie nos témoins de leur exposé. Nous allons maintenant passer aux séries de questions, en commençant par donner la parole à la sénatrice Sorensen.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie de votre présence. J’adresse ma première question à Mme Salomonie. Je crois comprendre que Parcs Canada travaille actuellement avec la Qikiqtani Inuit Association, ou QIA, le gouvernement du Nunavut et les principaux ministères fédéraux à l’élaboration d’un plan de gestion provisoire — j’ai également travaillé à l’élaboration de plusieurs de ces plans — pour orienter la gestion de Tallurutiup Imanga, qui fait partie d’une aire marine nationale de conservation. J’ai également cru comprendre que les communautés locales avaient été largement consultées au cours du processus de création de l’aire marine nationale de conservation. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistaient ces consultations? De plus, je suis curieuse de savoir comment se déroulent les négociations concernant ce plan.
Mme Salomonie : Bien sûr. Je vous remercie de votre question. Avant la signature de l’accord relatif à Tallurutiup Imanga, des consultations ont bien sûr été menées, en particulier pour savoir ce que les Inuits voulaient dans cette région et à quoi ressembleraient les limites de Tallurutiup Imanga. Depuis, d’autres consultations des communautés de Tallurutiup Imanga ont lieu, que ce soit au sujet de la recherche et de la surveillance ou au sujet des petites embarcations et des ports communautaires. Ces consultations sont en cours en ce moment. C’est une période très chargée pour notre département. Je pense que nous sommes sur le point d’entamer d’autres consultations liées à Tallurutiup Imanga et à Tuktoyaktuk.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie.
Je mentionne à M. Norris que je suis diplômée de Guelph, mais que mon niveau d’instruction n’est pas identique au sien. Cependant, j’ai certainement aimé le temps que j’ai passé là-bas. Compte tenu de l’augmentation des répercussions du changement climatique et de la perte de biodiversité, il est plus important que jamais de s’assurer que ces terres peuvent bénéficier du degré de protection le plus élevé. À votre avis, le projet de loi S-14 renforce-t-il les outils utilisés pour exploiter et gérer les parcs nationaux et les aires marines nationales, et garantit-il que Parcs Canada est mieux placé pour exécuter le programme de conservation du gouvernement du Canada?
M. Norris : Oui, je pense qu’il renforce ces outils. Il donne à Parcs Canada plus de pouvoir en ce qui concerne les substances, comme les pesticides, qui pourraient pénétrer dans les parcs. Je pense que c’est une bonne chose.
De plus, l’élargissement de la superficie des parcs est toujours une bonne chose. Je dirais que le nombre total d’aires protégées au Canada est assez faible. Il est évident que Parcs Canada contribue à la superficie totale des aires protégées du Canada. Ces parcs représentent environ 3 ou 4 % de cette superficie. Il est donc important d’étendre les limites des parcs. Tout ce qui peut créer une zone tampon entre les parcs ou les zones protégées, comme les parcs nationaux et les zones non protégées, sera toujours une bonne chose.
La sénatrice Sorensen : Je vous suis reconnaissante du travail que vous réalisez. Je pense que lorsque les gens pensent aux parcs nationaux, ils ne pensent pas nécessairement à la vie marine qui s’y trouve. Je précise encore une fois que je suis heureuse que vous vous concentriez sur cet aspect.
La sénatrice Miville-Dechêne : Soyez la bienvenue, madame Adeline Salomonie.
Je ne sais rien de cette nouvelle aire marine nationale qui sera créée dans votre région. Pour nous qui savons peu de choses à ce sujet, pourriez-vous nous dire pourquoi vous vous intéressez à la conservation de cette aire? Qu’est-ce qu’elle apportera concrètement au peuple inuit? Pourquoi approuvez-vous ce projet et que vous apportera-t-il? Quels types de droits seront renforcés, ou non? Nous avons besoin d’en savoir un peu plus sur cet endroit.
Mme Salomonie : Je vous remercie de votre question.
Depuis les années 1960, les Inuits plaident pour la protection de Tallurutiup Imanga, ou détroit de Lancaster, contre l’exploitation pétrolière et gazière. Les Inuits ont noué des liens étroits avec les eaux et la faune. C’est pourquoi la protection de cette aire nous tenait particulièrement à cœur. Elle se trouve dans la région de l’Extrême-Arctique et du nord de l’île de Baffin. Comme je l’ai mentionné, les cinq communautés concernées sont Grise Fiord, Resolute Bay, Arctic Bay, Pond Inlet et Clyde River. La protection de cette zone était très importante, tout comme ce que cela pourrait signifier pour les Inuits de la région.
À l’heure actuelle, nous employons 25 personnes à Tallurutiup Imanga, de façon décentralisée. Ce sont 25 personnes qui bénéficient de possibilités économiques et qui peuvent occuper un poste à temps plein au sein de leur communauté. Cela permet également à nos employés inuits d’être rémunérés en tant que chasseurs, chercheurs et fournisseurs à temps plein. Le fait d’avoir un emploi qui leur permet d’utiliser les compétences qu’ils ont acquises tout au long de leur vie — la chasse, la présence sur le terrain et la connaissance de l’environnement — est le véritable avantage concret que Tallurutiup Imanga a été en mesure d’apporter aux communautés. Certaines communautés recevront également des petites embarcations et des ports communautaires. Nous habitons dans une région côtière, alors il est très important pour nous de disposer de ce type d’infrastructures. La construction d’installations polyvalentes au sein de Tallurutiup Imanga est également prévue. Ces installations seront des postes de travail pour nos employés, qui pourront transformer les aliments locaux, disposer d’espaces de travail et organiser des activités de mobilisation communautaire.
L’une des choses que nos employés font lorsqu’ils organisent des activités de mobilisation communautaire, c’est de faire participer les anciens et les jeunes à la pratique de nos compétences traditionnelles, comme la fabrication de [mots prononcés en langue autochtone] — ou de traîneaux, comme on les appelle en anglais — ainsi qu’à l’apprentissage de la réparation de leurs motoneiges et de leurs bateaux. Tallurutiup Imanga a également fourni des équipements à ses employés afin qu’ils puissent récolter des aliments et effectuer des recherches et des contrôles dans notre région. Nous sommes en mesure de leur fournir les ressources dont ils ont besoin pour faire leur travail, comme des motoneiges, des bateaux et du matériel pour qu’ils puissent travailler sur le terrain.
Ils reçoivent également une formation qu’ils n’auraient peut-être pas pu obtenir facilement. Les certifications en matière d’armes à feu ou de recherche et de sauvetage sont des avantages tangibles qu’ils ont été en mesure de recevoir. C’est ce que nous appelons des compétences transférables. S’ils ne veulent pas rester à Tallurutiup Imanga pour toujours, ils pourront trouver d’autres types d’emploi. Nous fournissons également ce type de certifications. C’est ce que Tallurutiup Imanga a été en mesure de nous apporter.
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez dit que vous craigniez l’exploitation pétrolière et gazière. Y a-t-il eu des projets sérieux dans ce secteur? Cette nouvelle protection empêchera-t-elle toute forme de développement industriel ou minier? N’y aura-t-il rien?
Mme Salomonie : Je ne dirais pas qu’il n’y aura rien...
La sénatrice Miville-Dechêne : Je n’aurais pas dû dire « rien » — ce n’est pas le bon mot. Il n’y aura pas d’industries ou de projets miniers?
Mme Salomonie : L’exploitation pétrolière et gazière a commencé dans la région dans les années 1960, et les Inuits ont commencé à s’inquiéter de ce que cela signifierait pour notre région et notre peuple. Bien entendu, nous voulions protéger nos eaux et notre faune de tout dommage qui pourrait en résulter.
À l’heure actuelle, la recherche et l’exploration pourraient avoir lieu, mais il faudrait que ces projets franchissent les étapes d’un processus dans lequel une demande doit être présentée au conseil [mots prononcés en langue autochtone], c’est-à-dire le conseil qui régit Tallurutiup Imanga. Comme vous le savez peut‑être, Tallurutiup Imanga est un système de cogestion avec le gouvernement fédéral.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie de votre réponse.
Le sénateur Arnot : Je remercie tous les témoins de leur présence aujourd’hui. Leur participation à la séance est très utile. J’ai une question générale à poser aux trois témoins : cette loi pourrait-elle être améliorée de quelque façon que ce soit? Aucune loi n’est parfaite. Y a-t-il des éléments qui ne figurent pas dans la loi, mais que vous aimeriez voir aborder et qu’à votre avis, nous devrions envisager en tant que modifications possibles de la mesure législative? Y a-t-il quelque chose qui manque? Voulez-vous repousser un peu les limites de la loi?
Plus précisément, la Dre Lem nous a parlé de l’incidence que le parc urbain national de la Rouge a eue sur sa vie. Quels sont les critères utilisés pour déterminer la création d’un parc urbain national? Le parc urbain national de la Rouge est-il un modèle pour le reste du Canada? Combien y a-t-il de parcs de ce genre? Je sais qu’il n’y en a pas en Saskatchewan.
De même, en ce qui concerne l’agrandissement des parcs, je suis heureux de constater que le parc national du Canada des Prairies, en Saskatchewan, est inclus dans ce projet. Quels sont les critères d’agrandissement d’un parc existant? Comment cela se passe-t-il? Quels sont les plans, en général, pour l’agrandissement d’autres parcs et la reproduction d’une aire comme le parc urbain national de la Rouge dans d’autres provinces et territoires?
La sénatrice Sorensen : Madame la présidente, puis-je faire remarquer qu’il vaut probablement mieux garder cette question pour le prochain groupe de témoins? Le ministre et Parcs Canada seront là. Je ne suis pas sûre que ces témoins-ci puissent répondre à votre deuxième question.
Le sénateur Arnot : Pouvez-vous vous rappeler cette question et la poser?
La sénatrice Sorensen : Oui. M. Campbell est dans la tribune.
La présidente : Je pense que chaque sénateur a le droit de poser une question.
La sénatrice Sorensen : Oui. Je suis désolée, je fais simplement remarquer que peut-être...
La présidente : La première question vise à savoir si des améliorations peuvent être apportées à ce projet de loi. Est-ce que l’un ou l’autre des témoins veut répondre à cette question? Est-il possible d’améliorer le projet de loi que nous étudions aujourd’hui?
Dre Lem : Je serais ravie de proposer deux améliorations possibles à ce projet de loi, dont l’une concerne les dispositions relatives à la protection des parcs contre les polluants et les dommages. Dans certains cas, par exemple, si la personne en cause ne prend pas les mesures qu’on lui ordonne de prendre, le ministre peut les prendre au nom de Sa Majesté du chef du Canada. J’aimerais qu’on envisage de peut-être modifier le libellé pour indiquer que le directeur ou le ministre « les prendra » pour que les instances soient avisées et que la loi soit appliquée.
Je pense qu’il serait également possible d’établir une autre disposition pour accroître la participation des gens dans ce processus. Je me demande si le projet de loi pourrait prévoir un mécanisme de participation citoyenne, ainsi qu’un passage sur l’élimination des obstacles à la participation des citoyens au signalement des toxines ou des polluants qui peuvent être détectés par des membres de la communauté.
Parfois, comme nous le savons, si l’industrie ou le gouvernement est responsable de la surveillance et du signalement de ces problèmes, cela ne se fait pas toujours. J’aimerais donc que ces amendements et ces améliorations soient apportés, particulièrement le second qui est plus important si on veut que les citoyens ordinaires fassent des signalements.
La présidente : Avez-vous d’autres questions à ce sujet?
Le sénateur Arnot : À ce sujet, docteure Lem, pourriez-vous, je vous prie, assurer le suivi en nous faisant parvenir une note — un mémoire — par écrit au sujet des deux amendements que vous venez de proposer?
Dre Lem : Je le ferais avec plaisir.
La présidente : Y a-t-il une date ou un délai pour obtenir cette information? Nous aimerions que cela nous soit envoyé — par l’entremise de la greffière — au plus tard le 7 décembre. Merci beaucoup.
Mme Salomonie ou M. Norris veulent-ils proposer quelque chose pour améliorer ce projet de loi?
M. Norris : Je tiens simplement à dire que j’appuie sans réserve les amendements proposés par la Dre Lem. Je n’ai pas d’amendement précis à proposer, mais j’aimerais simplement profiter de l’occasion pour souligner que certains des parcs situés dans des zones fortement urbanisées et très développées ont vraiment besoin de plus de protection que ce qui est actuellement proposé ici. Nous devons nous concentrer là-dessus. Certains de ces parcs sont en fait des îles au milieu de zones très développées.
Je me ferais un plaisir d’entrer dans les détails si le comité le souhaite, mais nous avons vraiment besoin de plus de protection autour de ces îles. Je sais que cela ne fera pas l’objet d’un amendement au projet de loi, mais je voulais simplement formuler cette observation.
La présidente : Je vous remercie.
La sénatrice Miville-Dechêne : Quelle disposition la Dre Lem veut-elle amender?
La présidente : Elle nous l’indiquera par écrit.
La sénatrice Miville-Dechêne : Par écrit, mais c’est dans deux semaines.
La présidente : Vous voulez le savoir immédiatement?
La sénatrice Miville-Dechêne : Sait-elle quelles dispositions elle veut faire amender?
La présidente : Docteure Lem?
Dre Lem : Oui, il s’agit de l’article 32, intitulé « Atténuation des dommages à l’environnement ». C’est là que doivent être apporté l’amendement sur les signalements citoyens et la substitution de « peut les prendre » par « les prendra ». À l’article 4, la disposition est censée être remplacée par un nouvel article qui porte sur la pollution et la protection.
La présidente : Docteure Lem, le sénateur Arnot vous a posé une autre question concernant votre expérience des parcs urbains. Vous en souvenez-vous ou le sénateur Arnot devrait-il la répéter?
Dre Lem : Pourriez-vous répéter la question, s’il vous plaît?
La présidente : Il a demandé s’il existe un modèle ou si vous savez s’il y a d’autres exemples de parcs urbains ailleurs. Il a dit qu’il n’y en a pas en Saskatchewan.
Dre Lem : Je sais, de par ma collaboration avec Parcs Canada, que d’autres parcs urbains nationaux sont en cours d’aménagement, dont certains dans les Prairies, il me semble. C’est peut-être une question à laquelle Parcs Canada pourrait donner suite.
La présidente : Je vous remercie.
La sénatrice McCallum : Bienvenue à tous les invités ici présents ce matin. Lorsque nous examinons l’histoire du colonialisme et de la colonisation, qui est la dépossession des terres, j’aborde vraiment toutes les mesures législatives avec hésitation. Quand j’examine ce projet de loi, je constate qu’il contient des articles sur des parcs nationaux du Canada qui ont été le théâtre de crimes coloniaux et du passé louche de Parcs Canada, qui a forcé les peuples autochtones à s’en aller. C’est l’histoire de tout cela. Malgré tout, les Inuits possèdent toujours leurs connaissances traditionnelles en matière d’intendance environnementale qu’ils se transmettent depuis des temps immémoriaux.
J’examine ce projet de loi et j’aimerais savoir si vous en êtes satisfaits. Va-t-il dans la bonne direction? Lorsque je songe à la nouvelle relation transformatrice que le Canada a avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits, dans le cas présent, le gouvernement canadien et la conservation devraient accorder la priorité à la conservation dirigée par les Autochtones, et donc fournir un financement adéquat, des possibilités de renforcement des capacités et des cadres juridiques qui tiennent compte de la compétence et du pouvoir décisionnel des Autochtones.
Ce projet de loi permettra-t-il d’accomplir cela? Pouvez-vous formuler des observations à ce sujet?
Mme Salomonie : Oui, merci. Je peux tenter de faire de mon mieux. Je pense que c’est un pas dans la bonne direction. Tallurutiup Imanga reposant sur un système de cogestion, les Inuits participent à la gestion de cette région. Nos valeurs traditionnelles, nos valeurs inuites sont réellement prises en compte sur les plans de la conservation et de la sécurité alimentaire, du simple fait que des Inuits sont présents à la table pour pouvoir exprimer leurs opinions et dire où nous devrions aller dans ce domaine. Les choses se sont beaucoup améliorées en ce qui concerne le respect des droits et des connaissances des Inuits. Je pense qu’on va dans la bonne direction.
La sénatrice McCallum : D’accord. Voudriez-vous faire ajouter quelque chose aux mesures prises? Vous pouvez même nous envoyer de l’information à ce sujet et tout conseil que vous pourriez nous prodiguer pour faire en sorte que la conservation soit dirigée par des Autochtones et respecte vos principes de consentement préalable, libre et éclairé. C’est tout ce que je dirai pour l’instant. Je vous remercie.
La présidente : Merci. J’ai une question. Depuis la tenue de la Conférénce des Nations unies sur la biodiversité à Montréal, l’an dernier, je m’inquiète beaucoup pour nos insectes, nos mammifères marins et nos oiseaux migrateurs. Mme Salomonie ou M. Norris pourraient-ils nous parler de l’état et du rôle des parcs marins ou d’autres parcs dans la préservation des voies empruntées par ces espèces migratrices? Par exemple, madame Salomonie, où se trouvent les voies qu’empruntent les espèces migratrices dans les environs des endroits où vous vivez? Monsieur Norris, je vous pose la même question à propos des insectes et des oiseaux.
Mme Salomonie : Juste pour que tout soit clair, vous me demandez quels animaux migrateurs se trouvent dans notre région?
La présidente : Oui. Avez-vous constaté un changement, une augmentation ou une diminution?
Mme Salomonie : Parmi les animaux migrateurs qui se trouvent dans notre région figurent évidemment les baleines, les bélugas, les phoques, les narvals et les ours polaires. De nombreuses espèces du Nunavut sont dans les environs de Tallurutiup Imanga, et avec l’accroissement de certaines activités, notamment la navigation, les Inuits ont peut-être remarqué une diminution du nombre de certains des animaux migrateurs qui traversent des régions de Tallurutiup Imanga. Avec l’établissement de Tallurutiup Imanga, nous pouvons commencer à réglementer certaines des activités qui se déroulent dans notre région, mais c’est ce que les Inuits voulaient, et c’est pourquoi nous avons défendu avec passion la protection des eaux autour de Tallurutiup Imanga.
La présidente : D’accord. Vous avez parlé de dénombrement aux fins de recherches et de surveillance. La création de ce parc vous permettra-t-elle de suivre ces espèces et d’avoir les moyens et les ressources nécessaires pour signaler les changements au cours des prochaines années?
Mme Salomonie : Oui, nous le faisons déjà. Les chasseurs à temps plein nous signalent ce qu’ils observent en temps réel. Ils le signalent à notre bureau, mais nous travaillons également en étroite collaboration avec les associations locales de chasseurs et de trappeurs dans les communautés et avec des membres des communautés locales en général, pour savoir ce qu’ils voient, ce qu’ils observent, ce qu’ils ont remarqué, comme l’état des glaces, par exemple. Ils signalent ces choses aux communautés, car il est très important de connaître l’état des glaces, puisqu’il y va aussi de la sécurité de nos chasseurs et des membres de nos communautés.
Nous recueillons ces données à notre bureau, et comme l’aire de conservation Tallurutiup Imanga est relativement nouvelle, nous apprenons un peu au fur et à mesure et cherchons à savoir quelles autres méthodes de recherche et de surveillance nous pouvons utiliser pour améliorer les ressources dont disposent nos membres dans les communautés.
La présidente : Je vous remercie. Monsieur Norris, qu’en est‑il de vous?
M. Norris : Oui, merci. Pour répondre à votre question générale sur les insectes et les oiseaux migrateurs, on estime avoir perdu environ 3 milliards d’oiseaux depuis 1970 en Amérique du Nord. C’est beaucoup. Un grand nombre de ces oiseaux sont migrateurs. Beaucoup d’oiseaux vont ailleurs, en dehors du printemps et de l’été, dont un grand nombre se rendent en Amérique centrale, en Amérique du Sud et dans les Caraïbes. Nous assistons également à une apocalypse des insectes, c’est‑à‑dire à un déclin planétaire des insectes. Cela ne se produit pas nécessairement partout, mais dans plusieurs endroits où les faits sont bien consignés, il se produit un déclin des insectes. Ce phénomène est attribué à plusieurs facteurs, dont l’application de pesticides, bien entendu.
Les parcs permettent-ils de conserver efficacement les espèces? C’est une bonne question. C’est un point auquel nous et d’autres groupes de recherche nous intéressons beaucoup, cherchant à savoir comment nous surveillons efficacement les aires protégées, y compris les parcs nationaux.
C’est très difficile à déterminer pour un certain nombre de raisons. Les animaux migrateurs n’utilisent peut-être les parcs que pour une partie de leur cycle annuel. En général, je dirais que les aires protégées au Canada tendent à être situées à des endroits cruciaux, comme un lieu de reproduction important pour une espèce ou un groupe d’espèces, ou des endroits où les animaux migrateurs font escale pour se reposer, comme Point Peele, par exemple.
La surveillance de l’efficacité des parcs déjà établis et des nouveaux parcs exige une certaine forme de contrôle rigoureux, qui vise également à surveiller les aires non protégées. Il ne suffit vraiment pas de surveiller une aire protégée; il faut disposer d’une référence à titre comparatif.
De façon générale, si nous examinons les centaines d’études qui ont tenté d’évaluer l’efficacité des aires protégées sur le plan de la conservation de la biodiversité, je dirais que la majorité d’entre elles ont probablement conclu que les aires protégées font du bon travail ou ont une influence positive sur la protection de la biodiversité, mais cela ne veut pas dire que nous n’avons pas besoin de plus d’aires protégées. Nous en avons certainement besoin. Les aires protégées représentent environ 15 % de la superficie du pays, l’objectif global étant d’atteindre 30 % d’ici 2030, bien entendu.
J’ai beaucoup à dire à ce sujet. Je pourrais continuer, mais je ne prendrai pas trop de votre temps.
La présidente : Je vous en sais gré, car nous recevons le ministre après vous.
J’allais vous poser la question suivante : quels sont les critères pour choisir les aires de protection? Bien sûr, nous voulons protéger les régions où vivent les Autochtones, et je le comprends entièrement, mais nous faisons face à une autre crise : celle de la perte de biodiversité.
M. Norris : Oui.
La présidente : Je me demandais si vous pourriez nous donner une idée des critères relatifs à la biodiversité qui devraient être utilisés pour protéger certaines régions qui feront partie de la superficie protégée de 30 %.
M. Norris : Une fois encore, c’est un sujet dont je pourrais parler longuement.
La présidente : Si c’est trop long, vous pouvez toujours nous répondre par écrit.
M. Norris : Je suis bon pour être bref.
La présidente : Allez-y.
M. Norris : Je ne connais pas précisément les critères que le gouvernement utilise pour choisir les parcs nationaux, mais je peux dire qu’il est généralement moins souple que les fiducies foncières, des organisations qui tendent à appartenir à des intérêts privés. Les fiducies foncières privées et les ONG interviennent également dans la protection des aires protégées du Canada.
Nous avons analysé la diversité des espèces dans les aires protégées privées et les aires protégées par le gouvernement. C’est un peu du pareil au même. À l’heure actuelle, les espèces tendent à être plus diversifiées dans les aires protégées privées, mais le secteur privé est plus souple. Il a tendance à pouvoir établir des aires protégées plus petites que le gouvernement ne le souhaite. Pour cette raison et parce qu’il peut également conclure des ententes avec des propriétaires terriens privés, il est mieux en mesure de cibler des régions à haute diversité.
Le gouvernement tend à choisir des aires plus vastes, et de façon générale, il accomplit du bon travail en sélectionnant les bonnes zones. Je ne connais cependant pas la politique sous-jacente.
Il y a là deux acteurs majeurs. Bien entendu, les aires protégées et de conservation autochtones, ou APCA, ont considérablement augmenté au cours des cinq à dix dernières années. Elles joueront un rôle majeur dans l’atteinte de l’objectif de 30 %. Les APAC joueront un rôle de premier plan à cet égard.
La présidente : Je vous remercie beaucoup.
La sénatrice McCallum : Lorsque nous examinons la définition d’« utilisateur traditionnel des terres » dans le projet de loi, on trouve une liste de personnes qui utilisent ces terres. La seule communauté nommée est celle du NunatuKavut Community Council. Votre nom figure-t-il dans ces projets de loi? Sénatrice Sorensen, je ne sais pas où...
La sénatrice Sorensen : Non, je ne peux pas...
La sénatrice McCallum : Je ne vois nulle part votre nom à titre d’utilisateur traditionnel des terres. Il y a un bon nombre de parcs dans le projet de loi. Je suis un peu mêlée aussi. Pourquoi le nom des titulaires de droits ne figure-t-il pas dans le projet de loi? Pouvons-nous en discuter?
La sénatrice Sorensen : Nous allons devoir interroger le rédacteur du projet de loi.
La sénatrice McCallum : D’accord. Je vous reviendrai là‑dessus.
La présidente : Nous réserverons également cette question pour le ministre Guilbeault.
La sénatrice McCallum : Oui.
La présidente : Je remercie les témoins de leurs réponses. C’est une discussion fort intéressante que nous avons eue.
[Français]
Nous passons au deuxième panel. Nous accueillons maintenant l’honorable Steven Guilbeault, c.p., député, ministre de l’Environnement et du Changement climatique. Le ministre est accompagné, de Parcs Canada, d’Andrew Campbell, vice‑président principal, Opérations, et de Mme Jewel Cunningham, vice-présidente, Politique stratégique et planification.
[Traduction]
Bienvenue, monsieur le ministre, et merci de témoigner devant nous. Nous vous accordons 10 minutes pour faire votre déclaration d’ouverture. La parole est à vous.
[Français]
L’honorable Steven Guilbeault, c.p., député, ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Environnement et Changement climatique Canada : Merci beaucoup, sénatrice Galvez.
Honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole sur le projet de loi S-14, Loi visant à protéger les merveilles naturelles du Canada, qui a été introduit au Sénat le 19 octobre 2023.
Je tiens à reconnaître respectueusement que les terres sur lesquelles nous nous trouvons font partie du territoire traditionnel non cédé de la Nation algonquine anishinabe.
Honorables sénatrices et sénateurs, depuis décembre 2021, j’ai le privilège d’être ministre de l’Environnement et du Changement climatique et ministre responsable de Parcs Canada. Je me joins aux membres de l’équipe de Parcs Canada pour exprimer ma fierté pour le travail qu’ils font chaque jour.
Je sollicite votre indulgence pour un bref retour en arrière. Le premier parc national au Canada, Banff, a été créé en 1885, il y a donc près de 140 ans.
[Traduction]
Vingt-six ans plus tard, en 1911, ce qui est maintenant connu sous le nom de Parcs Canada a été créé en tant que tout premier organisme de service national au monde à s’occuper exclusivement des parcs. Depuis, Parcs Canada est un chef de file dans la protection et la mise en valeur de lieux naturels et historiques précieux.
[Français]
Aujourd’hui, on administre un vaste réseau de lieux du patrimoine culturel et naturel qui comprend 171 lieux historiques nationaux, 47 parcs nationaux, 5 aires marines nationales de conservation et un parc urbain national. Il y a une histoire et un bilan extraordinaires de réalisations dans cette organisation.
[Traduction]
Malheureusement — et Parcs Canada serait le premier à le reconnaître —, il y a aussi des aspects négatifs de l’histoire de notre pays, dont de profondes leçons ont été tirées. La regrettable réalité est que, lorsque certains de ces endroits ont été établis, les peuples autochtones ont été séparés de leurs terres ancestrales, de la glace et des eaux. De nombreuses voix autochtones ont été réduites au silence et des liens ont été rompus par la création de certains parcs, ce qui a entraîné des dommages intergénérationnels dus à la perte des connaissances, des cultures et des identités autochtones. Aujourd’hui, nous nous engageons à renouveler les relations avec les peuples autochtones sur la base de la reconnaissance des droits, du respect, de la coopération et du partenariat. Parcs Canada administre un grand nombre de terres et d’eaux fédérales, dont la quasi-totalité est traditionnellement utilisée par les peuples autochtones. À ce titre, Parcs Canada occupe une position unique parmi les organisations fédérales pour faire preuve d’un véritable leadership dans le renouvellement et le renforcement des relations et sur la voie de la réconciliation avec les peuples autochtones.
Dans d’autres cas, l’expropriation légale des résidents a été utilisée comme moyen d’établir ou d’agrandir des parcs nationaux et des lieux historiques nationaux. La création de lieux tels que les parcs nationaux Kouchibouguac, Forillon et des HautesTerres-du-Cap-Breton, ainsi que les lieux historiques nationaux de la Forteresse-Louisbourg et d’Alexander-Graham-Bell, s’est tragiquement faite au moyen de l’expropriation. Cette action, bien que légale à l’époque, a laissé des cicatrices sur les communautés locales. Nous avons admis que ces méthodes de création de parcs étaient mauvaises et que l’approche contemporaine et actuelle de Parcs Canada en matière de création d’aires protégées ne ressemble pas à l’approche historique.
[Français]
Aujourd’hui, les parcs nationaux, les parcs urbains nationaux et les aires marines nationales de conservation ne sont établis qu’en coopération, en collaboration et en consultation avec les partenaires autochtones, les gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux, l’industrie et les intervenants.
De plus, Parcs Canada a abandonné le recours à l’expropriation au début des années 1970. En fait, depuis que la Loi sur les parcs nationaux du Canada a été modifiée en 2000, elle interdit expressément le recours à l’expropriation comme moyen d’établir ou d’agrandir des parcs nationaux.
[Traduction]
Honorables sénatrices et sénateurs, tout cela est pertinent pour les discussions d’aujourd’hui parce que le projet de loi S-14 reflète cette approche moderne pour l’établissement et pour l’expansion des aires protégées. Le projet de loi S-14 est la dernière étape d’un processus qui, dans certains cas, a compris de nombreuses années de consultation, de collaboration, de négociation et d’établissement de relations.
Le projet de loi S-14 enchâsse dans la loi l’établissement d’une nouvelle réserve de parc national et d’une nouvelle aire marine de conservation. Il élargit également officiellement les limites de sept parcs nationaux existants et d’une réserve de parc national. Ces terres sont déjà gérées ou administrées par Parcs Canada. Toutefois, tant que ces nouvelles aires et les terres situées à l’intérieur des limites élargies ne sont pas officiellement incluses dans les annexes des lois de Parcs Canada, elles ne sont pas légalement considérées comme faisant partie de cette aire protégée. Par conséquent, elles ne bénéficient pas des protections offertes par la Loi sur les parcs nationaux du Canada, la Loi sur les aires marines nationales de conservation du Canada et les règlements connexes. Parcs Canada doit s’appuyer sur une mosaïque de lois provinciales et fédérales pour gérer et protéger ces terres. Ce que fait le projet de loi S-14, c’est veiller à ce qu’elles bénéficient de toutes les protections de ces lois et de leurs règlements connexes. Le projet de loi est la dernière étape essentielle pour assurer la protection de ces terres pour les générations actuelles et futures.
Le processus de consultation et de mobilisation à l’égard de ces parcs est terminé. Leur superficie collective de plus de 12 millions d’hectares a déjà été prise en compte dans les objectifs de conservation du Canada visant à conserver au moins 30 % de nos terres et de nos eaux d’ici 2030. Ce que fait le projet de loi S-14, c’est donner suite aux engagements du gouvernement du Canada de protéger ces endroits de façon permanente.
Pour poursuivre les progrès vers l’atteinte de ses objectifs de conservation, le gouvernement du Canada s’est engagé à établir 10 nouveaux parcs nationaux et 10 nouvelles aires marines nationales de conservation au cours des 5 prochaines années. En outre, nous nous sommes engagés à travailler avec les communautés autochtones sur des ententes de cogestion pour ces nouvelles aires protégées.
De plus, le budget fédéral de 2021 a financé la création d’un réseau de jusqu’à six parcs urbains nationaux d’ici 2025. Chacun de ces parcs doit être créé en collaboration avec des partenaires consentants et conçu de façon à respecter les différentes compétences. À l’avenir, on pourrait présenter un projet de loi pour ancrer le nouveau réseau de parcs urbains nationaux. Bien que les parcs urbains nationaux puissent être désignés plus rapidement à l’aide d’un cadre politique, une loi subséquente pourrait fournir un cadre plus solide et plus durable. Nous prévoyons d’élaborer et de proposer en temps voulu un cadre législatif visant à rendre la protection permanente.
Parcs Canada continue d’être à l’avant-garde, travaillant activement avec des partenaires, y compris des gouvernements et des organisations autochtones, partout au pays pour faire progresser la création de ces nouvelles aires protégées. Ainsi, honorables sénatrices et sénateurs, ce que fait aussi le projet de loi S-14, c’est montrer aux partenaires actuels et futurs que le gouvernement du Canada respectera ses engagements. Il démontre que nous effectuerons le travail nécessaire pour enchâsser ces endroits spéciaux dans la loi afin d’assurer leur protection pour toujours. Vu les effets croissants des changements climatiques et de la perte de biodiversité, les peuples autochtones, les groupes environnementaux, les collectivités locales, les gouvernements provinciaux et territoriaux et la population canadienne s’attendent à voir des progrès dans la protection de nos espaces naturels.
[Français]
Honorables sénatrices et sénateurs, ce que vous avez devant vous, c’est l’occasion de montrer que le gouvernement du Canada est à l’écoute. Il est plus important que jamais de veiller à ce que ces terres puissent bénéficier du plus haut niveau de protection possible. Cette loi est l’étape essentielle pour s’assurer que Parcs Canada dispose de l’autorité et des outils nécessaires pour protéger ces terres pour les générations actuelles et futures.
Je vous encourage à appuyer le projet de loi S-14.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’être ici aujourd’hui, de pouvoir m’exprimer. Je serais heureux d’avoir l’occasion de répondre à vos questions. Merci beaucoup.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour ce mot d’introduction. Nous allons passer à la période de questions.
La sénatrice Miville-Dechêne : Bienvenue encore, monsieur le ministre. Le Canada a adopté les objectifs d’Aichi lors de la COP 10, en 2010, afin de protéger 30 % de son territoire d’ici 2030. Vous en avez parlé dans vos remarques introductives. Si je comprends bien, nous sommes rendus à environ 13,5 % de protection pour les aires terrestres.
Vous avez parlé de plans pour faire d’autres parcs nationaux et autres. Allez-vous réussir à atteindre cet objectif grâce aux nouveaux parcs nationaux prévus? Avec ce qui est prévu, arrive‑t‑on à 30 %, ou probablement pas encore?
M. Guilbeault : Merci, madame la sénatrice. J’aimerais préciser que les objectifs d’Aichi étaient pour 2020. Les objectifs pour 2030 sont ceux que nous avons adoptés à la COP 15, l’année dernière à Montréal.
En ce qui a trait aux projets que nous avons déjà réalisés, les pourcentages sont à peu près ceux que vous avez mentionnés. Cela étant, je vous donne l’exemple suivant : au cours du dernier mois, nous avons annoncé un nouvel accord avec la Colombie-Britannique et les Premières Nations de la Colombie-Britannique pour protéger 30 % des terres et des espaces côtiers de la Colombie-Britannique. Nous avons conclu une entente avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et leurs Premières Nations ainsi qu’avec la Qikiqtani Inuit Association ou QIA, au Nunavut.
Cela permettra de protéger 1 million de kilomètres carrés de plus de terres et d’espaces côtiers au Canada. C’est l’équivalent d’environ quatre fois la taille de la Grande-Bretagne. Ces projets ne sont pas encore dans la banque de données, puisque les ententes ne sont pas finalisées.
Probablement qu’au milieu de l’année 2024, nous aurons atteint environ 20 % pour les terres et les océans, en route vers l’atteinte de notre objectif de 25 % d’ici 2025, qui est un objectif intérimaire que nous nous sommes donné, qui ne fait pas partie du Cadre mondial de Kunming — Montréal, mais en route vers l’atteinte du 30 %.
La réponse courte à votre question est que nous n’avons pas encore tous les projets nécessaires pour atteindre l’objectif de 30 %. Cependant, on s’en approche.
Je vous rappellerais que lorsque nous sommes arrivés au pouvoir en 2015, le Canada ne protégeait pas 1 % de nos océans et de nos espaces côtiers. Aujourd’hui, nous sommes rendus à 15 % — probablement 20 % l’an prochain. La courbe de croissance est phénoménale.
La sénatrice Miville-Dechêne : Projetons-nous dans l’avenir. Est-ce que le parc de la Gatineau fait partie des endroits que vous considérez pour faire un nouveau parc national? Cela fait très longtemps que les citoyens disent que c’est un parc abîmé, très utilisé, pas assez protégé, parce que justement, il n’a pas les protections auxquelles les parcs nationaux ont droit. À quand une décision à ce sujet?
M. Guilbeault : Le parc de la Gatineau est sous la responsabilité de la Commission de la capitale nationale. Le parc ne bénéficie pas de protection juridique. Parcs Canada est en discussion avec la Commission de la capitale nationale au sujet d’un partenariat pour le parc de la Gatineau. Monsieur Campbell, pouvez-vous nous en dire davantage? Vous êtes très engagé dans ces discussions.
Andrew Campbell, vice-président principal, Opérations, Parcs Canada : Pour ce qui est du parc de la Gatineau, ce qui est important est le fait qu’il est déjà protégé en vertu de la Loi sur la capitale nationale, mais qu’il ne dispose pas de la même protection qu’un parc national.
Une des choses que le ministre a déjà mentionnée est qu’au moyen des politiques sur les parcs urbains nationaux, il sera peut-être possible d’obtenir ces protections additionnelles. Nous sommes en train de mener cette discussion avec la Commission de la capitale nationale. Elle a un conseil qui devrait aussi être en accord avec cela. Elle est en train de demander des conseils.
La sénatrice Miville-Dechêne : Il y a de l’espoir.
M. Campbell : Absolument.
[Traduction]
Le sénateur Wells : Je remercie les témoins de leur présence. J’ai des questions au sujet de deux parcs. Le premier est situé au Labrador. Pour commencer, je tiens à souligner la présence à la tribune de représentants de la nation innue et à leur souhaiter la bienvenue. Parmi eux se trouve un ancien ministre fédéral, l’honorable Peter Penashue.
Ma question concerne la réserve à vocation de parc national Akami-UapishkU-KakKasuak-Monts Mealy et la définition du terme « utilisation traditionnelle des terres ». Vous savez peut‑être qu’il y a des différends et des contestations dans cette région. Je ne porte pas de jugement sur le bien-fondé des revendications ou des contestations. Je me demande quelles mesures sont en place pour réagir aux conséquences imprévues ou pour répondre aux revendications dont le bien-fondé est contesté, que ces mesures soient créées par le projet de loi ou qu’elles existent déjà. Je pense notamment à la décision de donner au directeur le pouvoir d’autoriser l’utilisation de cabines comme moyen détourné de permettre l’accès à des organisations dont les revendications ne sont peut-être pas fondées.
M. Guilbeault : Je vous remercie pour vos questions, sénateur Wells. Il s’agit en effet d’un enjeu complexe. Il faut distinguer les utilisateurs traditionnels des terres et les titulaires de droits, car il y a une différence importante entre les deux. Nous avons fait de notre mieux pour trouver une solution; c’est cette solution qui se trouve dans le projet de loi que vous avez devant vous. Toutefois, je serai le premier à admettre que nous n’avons peut-être pas réussi à établir un juste équilibre. Si tel est le cas, je serai heureux de discuter avec vous des amendements à apporter au projet de loi pour atteindre l’équilibre recherché.
Le sénateur Wells : Oui, je vous remercie. Vous dites avoir fait de votre mieux. La perfection n’est peut-être pas de ce monde, mais les solutions qu’on trouve en faisant de son mieux ont parfois des conséquences imprévues. Par ailleurs, ce qui fonctionne en Saskatchewan ne fonctionne pas nécessairement à Terre-Neuve-et-Labrador.
Pourrait-on régler le problème en ayant recours à un mécanisme de règlement des différends existant ou faudrait-il simplement amender le projet de loi?
M. Guilbeault : Le projet de loi pourrait être amendé.
Le sénateur Wells : D’accord, merci. Le deuxième parc dont je veux parler, c’est celui de Kouchibouguac, dans le Nord du Nouveau-Brunswick. Vous l’avez mentionné durant votre déclaration préliminaire, monsieur le ministre. Ce parc a une longue et triste histoire qui a affecté environ 215 familles et plus de 1 200 personnes. Je tiens à nommer les sept collectivités qui ont été rayées de la carte, pour ainsi dire, par l’approche radicale utilisée à l’époque par Parcs Canada. Il s’agit de Claire-Fontaine, Fontaine, Rivière-du-Portage, Kouchibouguac, Guimond Village, Cap Saint-Louis et Saint-Olivier.
Je mentionne pour mes collègues et les gens qui nous écoutent que la majorité des habitants de ces collectivités étaient des descendants de la nation mi’kmaq et des Acadiens dont les ancêtres avaient été déportés. On parle d’apporter des changements à la loi qui pourraient avoir une incidence sur les limites du parc ou sur les droits des personnes qui vivent dans la région. Vous avez mentionné qu’il y aurait des consultations avant de procéder à toute expropriation. Nous savons qu’à la fin des années 1960, l’expropriation a été faite de force, et la compensation versée à la population était insuffisante.
Vous avez mentionné qu’il y avait des processus de consultation sur l’expropriation. Y a-t-il également des mécanismes pour les cas dans lesquels l’on empiète sur les propriétés, sans nécessairement les exproprier, ou l’on impose des restrictions sur l’utilisation actuelle des terres par la population?
M. Guilbeault : Ce que j’essayais d’expliquer, c’est que maintenant, quand nous envisageons d’élargir les limites de parcs existants et qu’il est reconnu que les terres visées sont traditionnellement utilisées par les collectivités locales, ou encore par les titulaires de droits et les peuples autochtones, nous essayons de trouver des mécanismes pour permettre aux personnes touchées de continuer à utiliser ces terres.
Le sénateur Wells : Ces mécanismes comprennent-ils l’expropriation?
M. Guilbeault : Comme je l’ai dit durant ma déclaration préliminaire, nous n’avons plus recours à l’expropriation. Je peux demander à M. Campbell de vous fournir plus de détails sur les mécanismes en tant que tels.
Le sénateur Wells : J’aimerais entendre ce que M. Campbell a à dire, mais les personnes touchées ont raison de s’inquiéter étant donné les événements du passé, y compris la déportation et la compensation insuffisante pour l’expropriation. Je reconnais que le processus d’expropriation a changé depuis; c’est pourquoi ma question porte sur l’empiètement et sur l’imposition de restrictions quant à l’utilisation traditionnelle des terres.
M. Guilbeault : Ma réponse est la même. Nous avons tenté de négocier avec les utilisateurs traditionnels des terres que nous cherchons à protéger ou des parcs que nous voulons élargir pour qu’ils continuent à y avoir accès et à pouvoir en profiter.
M. Campbell : J’ai deux choses à dire. Premièrement, la loi interdit expressément le recours à l’expropriation; ce n’est donc pas un outil que nous utilisons. Il faut procéder par vente de gré à gré, par transfert provincial ou par transfert volontaire de titulaires de droits qui veulent ajouter des protections fédérales aux mesures de protection à leur disposition. Ce sont les seuls moyens par lesquels nous pouvons procéder.
Cependant, en ce qui concerne les terres traditionnellement utilisées par la population de la région visée, pour les différents parcs, il y a souvent une disposition distincte définissant les utilisateurs traditionnels. Je tiens à ce que la distinction soit claire. Les titulaires de droits sont déjà protégés en vertu de l’article 40 de la Loi sur les parcs nationaux du Canada. Ainsi, l’utilisation traditionnelle des terres est protégée pour l’ensemble des titulaires de droits partout au pays. Cette protection s’ajoute à celle déjà prévue par la Constitution. C’est une disposition de la Loi sur les parcs nationaux du Canada. Le projet de loi ne modifie pas cette disposition. Les utilisateurs traditionnels des terres sont des personnes qui utilisent traditionnellement les terres, mais qui ne sont pas titulaires de droits.
Le sénateur Arnot : Merci, monsieur le ministre.
M. Guilbeault : Excusez-moi. Il y a un vote à la Chambre des communes. Pouvez-vous me donner une minute et demie pour que je puisse voter à l’instant?
La présidente : Oui, allez-y.
M. Guilbeault : Merci.
Le sénateur Arnot : Je vous remercie de votre présence, monsieur le ministre, et je vous félicite d’avoir présenté un autre projet de loi non controversé au Sénat.
J’ai posé une question hardie aux témoins du groupe précédent. Je leur ai demandé si des améliorations pouvaient être apportées au projet de loi. J’ai reçu une réponse très convaincante. Je veux vous la présenter parce que je pense maintenant proposer un amendement au projet de loi fondé sur ce que j’ai entendu.
La Dre Lem est d’avis qu’on pourrait améliorer l’article 32, qui porte sur l’atténuation des dommages à l’environnement. En vertu du libellé actuel, le directeur « peut » prendre des mesures. La Dre Lem recommande de remplacer les mots « peut les prendre » par « les prendra » afin d’en faire une obligation positive. J’appuie cette recommandation. Je vais l’examiner attentivement. Plus important encore, elle a recommandé de prévoir à l’article 32 la mise en place d’un mécanisme de participation citoyenne. Ce mécanisme créerait ce que j’appellerais des agents de l’environnement externes. Il permettrait aux citoyens qui vivent près du parc et qui le connaissent bien de signaler tout risque de pollution. C’est le deuxième amendement que je proposerais. J’aimerais savoir si vous appuieriez ces propositions.
Par ailleurs, je vous félicite d’avoir élargi les limites du parc national des Prairies, en Saskatchewan. Il a aussi été question du parc urbain national de la Rouge. S’agit-il d’un modèle pour le reste du Canada?
Vous espérez ajouter sous peu six parcs urbains nationaux au réseau. Un de ces parcs sera-t-il situé en Saskatchewan? Dans la négative, pourquoi? Quels critères utilisez-vous pour choisir les terres qui seront acquises et intégrées au réseau de parcs urbains nationaux?
M. Guilbeault : Est-ce la dernière partie de votre question?
Le sénateur Arnot : Oui.
M. Guilbeault : Je vous remercie, sénateur Arnot. Comme je l’ai déjà dit, quand nous présentons un projet de loi — je pense que c’est le sixième ou le septième que je dépose depuis que je suis ministre —, nous faisons de notre mieux pour trouver un juste équilibre. La plupart du temps, nous n’y arrivons pas, d’où l’importance du travail que font le Sénat et la Chambre des communes, en collaboration avec les parties prenantes et, dans ce cas-ci, avec les titulaires de droits, les peuples autochtones et les Inuits, pour améliorer le projet de loi.
C’est difficile pour moi de me prononcer précisément sur vos propositions, mais je peux vous assurer que nous sommes tout à fait prêts à étudier les amendements qui seront présentés. Comme nous le faisons au moment d’élaborer le projet de loi, il faut réfléchir aux avantages et aux inconvénients. Quels seront les effets positifs de l’amendement? Aura-t-il aussi des effets négatifs? Après, nous pouvons décider d’aller de l’avant ou non. J’examinerai volontiers les deux propositions que vous avez présentées.
Je vous remercie pour votre commentaire à propos du parc national des Prairies. Les prairies sont une merveille canadienne qui passe trop souvent sous silence. Elles jouent un rôle essentiel dans notre écosystème. Je suis ravi que nous puissions faire avancer ce dossier.
En ce qui concerne la création d’un parc urbain national en Saskatchewan, je peux vous dire que nous examinons la possibilité d’en établir un à Saskatoon. J’espère que nous réussirons à mener ce projet à terme.
Le sénateur Arnot : À quelle étape le projet en est-il? Je sais que ces choses prennent beaucoup de temps — parfois des années —; je me demande simplement où vous en êtes.
M. Guilbeault : À proprement parler, nous sommes à l’étape de l’étude de préfaisabilité. La municipalité est très enthousiaste; la province l’est un peu moins. Elle s’inquiète qu’il s’agisse d’un moyen pour le gouvernement fédéral de s’approprier les terres, ce qui n’est pas le cas. Nous essayons de régler la question.
Le sénateur Arnot : J’appuie le projet. Je ferai ce que je peux pour soutenir la création d’un parc urbain national en Saskatchewan.
M. Guilbeault : Je vous en suis très reconnaissant, sénateur Arnot. Merci.
M. Campbell : Vous avez demandé, en troisième lieu, si le parc de la Rouge était un modèle pour tous les autres parcs nationaux.
Le parc urbain national de la Rouge est certainement une merveille et un excellent modèle, mais il existe aussi d’autres modèles. Pour le parc Meewasin à Saskatoon, par exemple, ainsi que pour le parc urbain national que l’on envisage de créer dans la vallée d’Edmonton, il ne serait pas nécessaire que le gouvernement fédéral soit propriétaire des terres. Dans le cas du parc de la Rouge, les terres appartiennent au gouvernement fédéral aux termes non pas de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, mais de la Loi sur le parc urbain national de la Rouge.
La présidente : Je vous remercie.
La sénatrice McCallum : Je vais reprendre le sujet abordé par le sénateur Wells, soit les utilisateurs traditionnels des terres et les personnes visées par la définition de ce terme.
Vous avez dit qu’il y avait une différence entre les utilisateurs des terres et les titulaires de droits. Vous avez précisé que les titulaires de droits étaient les utilisateurs légitimes des terres. On nous a dit la dernière fois que les membres du Conseil communautaire de NunatuKavut n’étaient pas considérés comme détenant des droits en vertu de l’article 35. Pourtant, le projet de loi ne contient aucune mention des titulaires de droits. C’est une omission.
Aujourd’hui, le Canada propose d’ajouter ce groupe à la définition, créant ainsi une nouvelle catégorie d’utilisateurs traditionnels des terres. La question de la reconnaissance des utilisateurs traditionnels des terres a été examinée dans le cadre du protocole d’entente de 2015 entre le Canada et la province de Terre-Neuve sur la création du parc. La nation innue a accepté la proposition. Les utilisateurs traditionnels des terres devaient se limiter aux personnes répondant aux critères prévus aux alinéas c) à g) de la définition.
C’est un sujet de préoccupation pour la nation innue. Je ne sais pas comment vous pouvez redresser la situation, mais je le répète, il y a un représentant ici.
Mon autre question concerne les revendications territoriales. Il y a des revendications territoriales en suspens dans le parc. Comment y répondrez-vous?
M. Guilbeault : Je vous remercie, sénatrice. Il s’agit de questions complexes. Comme je l’ai dit plus tôt, nous vous présentons la mesure que nous avons conçue pour trouver le juste équilibre. Nous n’avons peut-être pas réussi. Le cas échéant, nous sommes tout à fait disposés à modifier le projet de loi pour y remédier. Nous allons travailler avec vous et avec d’autres partenaires pour trouver le juste équilibre.
M. Campbell : Nous avons un accord intérimaire avec la nation innue au sujet de la revendication du gouvernement du Nunatsiavut. Il y a un accord en bonne et due forme. Il s’agit de la région nord du parc.
Comme l’a dit le ministre, si nous n’avons pas fait les choses correctement, nous serons heureux de poursuivre nos rencontres avec les titulaires de droits.
J’aimerais ajouter un dernier point. Comme le ministre l’a indiqué, nous ne modifions pas l’article 40. Il n’y a pas de proposition d’amendement. L’article 40 de la Loi sur les parcs nationaux du Canada actuelle inclut tous les titulaires de droits.
La sénatrice McCallum : L’article 40 et celui-ci semblent incompatibles, non? Les titulaires de droits sont inclus dans l’article 40 et ceux qui ne sont pas titulaires de droits le sont dans cet article-ci.
La présidente : Pourriez-vous préciser l’article auquel vous faites allusion?
La sénatrice McCallum : Je parle de la définition sous la rubrique « utilisateur traditionnel des terres », à la page 8 du projet de loi.
M. Guilbeault : Notre intention n’était certainement pas de donner l’impression que les deux articles entrent en conflit. Je répète que si vous et d’autres en venez à la conclusion qu’il y a apparence d’incompatibilité, nous serons heureux de travailler avec vous pour y remédier.
La sénatrice McCallum : Merci beaucoup. Je poserai d’autres questions pendant la deuxième série de questions.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie de votre présence, monsieur le ministre. Je suis heureuse de vous voir. J’ai deux petites questions pour vous. Le projet de loi S-14 concerne bien les terres que Parcs Canada administre déjà, pour utiliser ce terme? Ensuite, pourriez-vous nous en dire plus sur les activités et les problèmes observés sur ces terres qui ont suscité des préoccupations et qui vous ont poussé à créer davantage d’aires protégées? Nous avons entendu parler de la pêche illégale, du déversement de déchets, entre autres choses.
M. Guilbeault : Certaines activités sont une source de préoccupations. Essentiellement, ce qui nous inquiète, c’est que les terres que Parcs Canada administre ne jouissent pas des mêmes mesures de protection qu’un parc national. Nous n’avons pas la même capacité d’intervention ou de gestion que dans un parc national. Je ne sais pas si Mme Cunningham ou M. Campbell aimeraient ajouter quelque chose.
Jewel Cunningham, vice-présidente, Politique stratégique et planification, Parcs Canada : Bien sûr, je peux intervenir. Revenons au parc urbain national de la Rouge. Dans ce projet de loi, les infractions relatives à l’utilisation de produits antiparasitaires et au déversement sont plus robustes. Nous observons ce genre d’activités dans les parcs situés en milieu urbain, comme dans le parc national de la Rouge.
Comme l’a indiqué le ministre, la meilleure façon de protéger ces terres est par l’entremise de la Loi sur les parcs nationaux du Canada. L’intégrité écologique y est une priorité et elle nous donne les mesures d’application les plus strictes qui soient pour lutter contre la pêche illégale et ces autres activités que nous observons.
La sénatrice Sorensen : Merci. Monsieur le ministre, pourriez-vous, ou vos collègues pourraient-ils, nous parler du programme des Gardiens autochtones et du lien qui existe entre ce programme et les parcs qui sont visés par ce projet de loi?
M. Guilbeault : Je vous ai dit que les prairies sont importantes au sein de l’écosystème canadien, mais qu’il s’agit d’un secret bien gardé. Il en va de même pour le programme des Gardiens autochtones. Ce programme est un incroyable modèle de réussite autochtone. Par le biais de ce programme, le gouvernement fédéral appuie les communautés autochtones dans ce qu’elles font depuis des millénaires. Le gouvernement fédéral appuie des gardiens autochtones dans le quart des Premières Nations au pays, et nous avons récemment signé une entente avec le Réseau national des Gardiens autochtones pour qu’ils puissent administrer le programme.
Environnement et Changement climatique Canada et Parcs Canada ne décident plus quels projets sont financés. Le gouvernement fédéral n’a pas l’habitude d’employer ce genre d’approche. Plutôt que dire aux gens ce qu’ils doivent faire, ce sont eux qui nous disent quels projets nous devrions financer dans leurs communautés. Nous finançons tout un éventail d’activités dans le cadre du programme des Gardiens autochtones. Le financement est accordé selon les besoins et la volonté des communautés. Les parcs ont joué un rôle important, et continuent de jouer un rôle important, dans l’évolution du programme. Il se développe maintenant de façon autonome. Je ne sais pas si mes collègues aimeraient ajouter quelque chose au sujet du programme des Gardiens autochtones.
M. Campbell : L’élément unique du programme des Gardiens autochtones de Parcs Canada est qu’il s’applique vraiment de nation à nation et que dans la plupart des accords de création de nouvelles régions, le programme est un élément fondamental. Pour la suite des choses, c’est ainsi que les parcs nationaux, les aires marines nationales de conservation et les parcs urbains nationaux seront administrés. Il ne s’agira pas d’un ajout. Nous procéderons de cette façon à l’avenir.
La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup.
Le sénateur MacDonald : Merci, monsieur le ministre. Je suis ravi de vous voir parmi nous aujourd’hui.
Je vous remercie d’avoir parlé de la décision de Parcs Canada de cesser de recourir à l’expropriation, bien que je ne sois pas nécessairement contre l’expropriation si les gens sont indemnisés adéquatement. C’est l’autre côté de la médaille. C’est de cela que je veux vous parler. Vous avez parlé de la Forteresse-Louisbourg. Louisbourg est ma ville natale. Ma grand-mère a été expropriée en 1965-1966. Elle avait 85 ans. Elle a reçu 4 000 $ pour les 62 acres de terrain qui s’étendaient du port jusqu’à Point Wolfe. C’est un terrain magnifique. Le titre foncier remontait à 1794. Elle n’était pas la seule dans cette situation. C’est arrivé à beaucoup de gens.
Je ne pense pas que l’on puisse indemniser des gens qui ont tout perdu il y a 60 ans. La plupart ne sont plus là. Je ne pense pas que ce soit réaliste. Cependant, on peut prendre un engagement envers la collectivité. Les dommages causés à la collectivité sont considérables. Le site de la forteresse s’étend sur 60 acres et nous avons accueilli favorablement sa construction. J’y ai travaillé pendant cinq étés, en archéologie, ce qui m’a permis de payer mes études universitaires. C’était génial. Je suis passionné d’histoire et j’étais ravi d’être témoin de la construction de la forteresse. Toutefois, plutôt que d’exproprier 60 acres, Parcs Canada en a exproprié 16 000. Parcs Canada a détruit les collectivités de Louisbourg Ouest. La forteresse avait 40 ans. Louisbourg Ouest existait depuis plus de deux siècles. Parcs Canada a exproprié Louisbourg Ouest, Deep Cove et Kennington Cove. Huit milles séparaient Louisbourg de Gabarus, qui était la plus grande collectivité la plus proche.
Après avoir obtenu l’accord du gouvernement provincial pour procéder à l’expropriation, Parcs Canada a délibérément cessé d’entretenir la route entre Louisbourg et Gabarus. À l’époque, il y a 60 ans, la plupart des routes de desserte étaient des chemins de terre. L’état des ponts et de la route s’est détérioré et on a annoncé la fermeture de la route. Cette décision était arbitraire et n’a fait l’objet d’aucune consultation auprès des membres de la collectivité.
Ils ont transformé ma ville natale, qui était un port de mer bien établi, en un petit village isolé. C’est toujours un petit village isolé. Il n’y a pas de services après la fermeture de la forteresse. Il n’y a plus de banques, plus de coopérative de crédit, plus de station-service. Cela vous plaît peut-être, mais il n’est pas possible d’y faire le plein. C’est ridicule.
Au début des années 1990, on a annoncé des fonds pour construire une route. On a obtenu le financement, puis il a été abandonné. Si vous voulez indemniser cette collectivité, j’aimerais beaucoup que vous vous penchiez sur ce qui s’est passé là-bas. Il s’agit de huit miles de route, donc 13 kilomètres. On parle d’environ un million de dollars par kilomètre. Si nous sommes en mesure d’investir 50 milliards de dollars dans des usines de batteries, pourquoi ne pourrions-nous pas consacrer 13 ou 14 millions de dollars à la reconstruction de cette route et au rétablissement des liens entre les collectivités? Cela ferait une grande différence sur la côte sud-est du Cap-Breton, une région qui connaît de grandes difficultés économiques. Cela aiderait l’ensemble de la collectivité. J’espère que vous y réfléchirez.
M. Guilbeault : Je vous remercie, sénateur, de cette intervention empreinte de passion. Je vois que cette question vous tient à cœur. Je peux, bien sûr, m’engager à rencontrer les représentants de Parcs Canada pour examiner ce que nous pouvons faire. Sachez que les représentants de Parcs Canada et moi-même avons accompli de grands efforts en vue d’obtenir des fonds pour améliorer l’entretien des infrastructures. Parcs Canada gère une impressionnante gamme d’infrastructures, dont des routes, des barrages et bien d’autres, partout au Canada. Nous tentons de combler le déficit de financement. Encore une fois, je serai heureux de rencontrer les représentants de Parcs Canada et d’examiner cette question.
Je ne suis pas contre l’essence. Je pense simplement que nous devrions moins en dépendre. Comme vous, je prends toujours le train entre Montréal et Ottawa. Ce train est alimenté au diésel. Nous continuerons d’utiliser les carburants fossiles pendant un certain temps. Nous essayons simplement de réduire notre consommation au maximum, lorsque cela est possible.
La présidente : Merci. Avant d’entamer la deuxième série de questions et de donner la parole au sénateur Wells, j’aimerais poser une petite question. J’étais très heureuse de participer à la COP15 sur la biodiversité à Montréal l’année dernière. Il y avait beaucoup d’enthousiasme quant au plan de conservation de 30 % d’ici 2030 présenté dans le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal. J’aimerais savoir selon quels critères vous avez déterminé quelles zones seraient protégées, et qui prendrait ces décisions. Je sais qu’il s’agit d’une superficie importante, mais je pense que la biodiversité est très importante. Certaines espèces sont menacées d’une extinction massive, et avant de vous recevoir, on nous a parlé de l’incroyable impact sur les espèces migratoires.
Pourriez-vous nous parler des critères auxquels vous avez eu recours pour cerner les zones qui seraient protégées?
M. Guilbeault : Je vous remercie, sénatrice. Votre question porte sur l’équilibre qu’il nous faut atteindre entre la quantité et la qualité. La réponse, c’est que cela dépend. Je vous donne un exemple. Dans ma déclaration liminaire, j’ai parlé des parcs urbains nationaux. Dans les villes de l’ensemble du pays, nous ne comptons plus beaucoup d’endroits naturels intacts. C’est la réalité. Nous voulons donc voir si, à l’aide des parcs urbains nationaux, nous pouvons protéger des zones qui sont encore relativement intactes. Nous venons de le faire à Halifax, dans le secteur des lacs Blue Mountain-Birch Cove. Cette aire était protégée depuis un certain temps, mais elle ne jouissait pas d’un statut juridique. Nous avons changé cela.
Dans bon nombre de cas, les parcs urbains nous permettront de restaurer l’environnement naturel, s’il n’y a pas de zones intactes à protéger.
Pour certaines des plus grandes aires de conservation, qu’il s’agisse de parcs nationaux ou d’autres formes de conservation, l’un des critères principaux est désormais que ces projets doivent être dirigés par des Autochtones. Tous les nouveaux projets de conservation sur lesquels nous travaillons incluent la participation des nations ou des communautés autochtones. Dans certains cas, elles travaillent sur ces projets depuis de nombreuses années.
Comme je l’ai dit plus tôt, nous avons récemment annoncé le financement de projets pour la permanence, ou FPP, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. Il s’agit de projets sur lesquels ces communautés ou nations travaillent depuis de nombreuses années, et parfois des décennies.
Avec ce réseau d’aires protégées, nous voulons protéger la plus grande part possible de la riche biodiversité canadienne. Voilà notre objectif. Il existe de grandes différences d’une région à l’autre. Nous voulons réaliser cet objectif.
Pour ce qui est des critères précis, voulez-vous ajouter quelque chose? J’imagine que je vous ai donné une réponse de nature générale.
Mme Cunningham : J’ajouterai simplement que nous avons utilisé le gabarit du Plan du réseau de Parcs Canada pour diviser le pays en biorégions selon l’écologie et la biodiversité. Nous nous efforçons de trouver des exemples représentatifs dans chacune de ces biorégions. Une série de critères y sont associés. Comme le ministre l’a mentionné, d’autres facteurs entrent en jeu et il y a certainement d’autres terres vierges qui comprennent des terres dont la protection est assurée par des Autochtones et des partenaires.
La présidente : Je vous pose cette question en raison de ce qui se passe au Québec avec les caribous. C’est triste. Cette espèce est menacée, et il y en a d’autres. Je pense donc qu’il serait important que vos critères tiennent compte de la perte de biodiversité et des espèces migratoires. Cela nous permettrait d’assurer une protection plus efficace.
M. Guilbeault : C’est une bonne question, sénatrice. Parlons des espèces en péril. Le commissaire à l’environnement a récemment publié un rapport dans lequel il souligne que le gouvernement fédéral accuse un retard dans la détermination des espèces en péril. Nous devons adopter une nouvelle approche où, au lieu de protéger une espèce donnée, nous protégeons les écosystèmes et l’habitat des espèces.
La présidente : L’habitat, c’est exactement cela.
M. Guilbeault : Il va sans dire que cela est lié au travail de conservation, ou, dans certains cas, de restauration, que Parcs Canada accomplit. Nous voulons assurer un meilleur arrimage entre ces éléments, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé.
Le sénateur Wells : J’aimerais vous poser une autre question au sujet de la nation innue. Je répète que des représentants sont derrière vous. La nation innue a joué un rôle de premier plan dans l’établissement du modèle de gestion de la réserve à vocation de parc national Monts Mealy. Elle a conclu un accord intérimaire et un accord sur les retombées industrielles. Toutefois, elle n’a pas été consultée avant le dépôt de ce projet de loi. Je pense qu’il est important de le dire, car c’est ce qui entraîne des frustrations et des différends qui auraient pu être évités avant qu’ils ne surviennent.
Ma question est fort simple. Pourquoi n’avez-vous pas consulté la nation innue qui est au cœur de cet élément si important au Labrador?
M. Guilbeault : Merci. Comme M. Campbell l’a dit plus tôt, nous avons tenu des discussions et des consultations continues, non seulement sur la rédaction de ce projet de loi, mais aussi sur d’autres éléments qui ont trait à la conservation et à la protection des terres.
L’un des défis auxquels nous sommes confrontés en tant que nation est qu’à mesure que nous progressons dans la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, nous nous heurtons à des procédures parlementaires, des procédures gouvernementales ou des procédures du Cabinet qui n’ont pas encore été mises à jour pour refléter notre volonté de mettre pleinement en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Dans mon rôle de ministre, je ne peux partager une ébauche de projet de loi avant qu’il n’ait été déposé au Sénat ou à la Chambre des communes. Je ne dispose pas de ce pouvoir en raison des privilèges du Cabinet et du privilège parlementaire.
Comme je l’ai déjà dit, ce que nous vous présentons reflète le mieux possible, selon nous, la teneur de ces conversations. Si nous nous sommes trompés, nous n’hésiterons pas à corriger le tir.
Le sénateur Wells : Je comprends le privilège du Cabinet, mais souvent, voire toujours, des consultations sont menées auprès non seulement des groupes d’utilisateurs, mais aussi des groupes qui sont essentiels à l’établissement du projet de loi, quel qu’il soit. Or, vous affirmez ne pas pouvoir communiquer le projet de loi en raison du privilège... Des dispositions sont façonnées pendant l’élaboration du projet de loi. Il y a évidemment toujours des consultations. Elles ont lieu dans le cadre du processus budgétaire. Il y a toujours des consultations pré-budgétaires, et c’est un projet de loi en soi.
Si vous voulez régler des différends, attendez que les conflits surviennent. Si vous voulez prévenir les litiges, il aurait été utile de mener des consultations, certainement dans une situation comme celle-ci où il s’agit d’un enjeu très sensible concernant les droits, l’utilisation des terres et les différends entre les groupes qui seront touchés par la mise en œuvre de ce projet de loi.
M. Guilbeault : Encore une fois, sénateur, j’ai tenu compte de la nature délicate de ces questions, et nous avons eu des discussions et des consultations à ce sujet avec les nations autochtones. Nous avons présenté ce que nous pensions être la meilleure solution. Dans le cas contraire, nous pouvons rectifier le tir.
Le sénateur Wells : Je vous remercie.
La sénatrice McCallum : Nous revenons encore sur ce sujet, car je trouve très préoccupant que des groupes revendiquent l’identité autochtone parce qu’ils ont un grand-père ou une grand-mère autochtone, métis ou inuit il y a quatre ou cinq générations, mais qui se disent Autochtones. Dans notre entourage, c’est ce que nous appelons l’ultime frontière — des gens s’approprient notre identité, revendiquent notre esprit et notre corps en tant que Premières Nations, Métis et Inuits, puis s’emparent de nos droits, de nos terres, de nos ressources et de nos avantages. Et il semble que le gouvernement soutienne cette démarche.
Pour ce parc, le Canada propose-t-il d’habiliter le directeur à autoriser la construction de cabanes pour un usage personnel par quiconque, alors que le protocole d’entente de 2015 prévoyait simplement que les cabanes existantes bénéficieraient de droits acquis? Étant donné que ce groupe n’est pas un titulaire de droits établi, 5 000 personnes voudront construire une cabane là où se trouvent actuellement 10 familles.
Quelle est la situation? Pouvez-vous la commenter?
M. Guilbeault : Pour répondre à la première partie de votre question, sénatrice, M. Campbell a indiqué plus tôt que ce projet de loi ne change rien à l’article 40 de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, qui tient compte des titulaires de droits lors de la création de parcs ou l’agrandissement des parcs nationaux existants.
Au sujet des cabanes, je m’en remets à l’un d’entre vous pour savoir si ce sont les constructions existantes ou neuves qui sont visées.
M. Campbell : Dans le cadre de la loi, il y a deux groupes. Le sénateur Wells a parlé de celui de l’entente d’établissement, mais il y avait en fait deux types de groupes, à savoir les titulaires de droits et les utilisateurs traditionnels des terres.
Un des éléments qui se trouvent dans la définition de l’utilisateur traditionnel des terres et de l’accord était également la création de ce qu’on appelait un protocole d’entente avec le NunatuKavut.
Sénateur, pour en revenir à vous, c’est ce groupe constitué en société qui pourrait compter plusieurs milliers de membres. Nous devons poursuivre la discussion avec la nation innue entourant les cabanes.
Il y aurait en fait une coopération et une cogestion des deux groupes titulaires de droits. Nous serions dans une position où le directeur pourrait, et je ne suis pas... Ce serait sous la direction des trois groupes réunis — veuillez m’excuser, des deux groupes titulaires de droits et de Parcs Canada. Je ne veux pas que quelqu’un soit dérouté par le chiffre trois. Il y aurait aussi l’établissement du mécanisme.
M. Guilbeault : Ce n’est pas une décision unilatérale, pour répondre à votre question sur le pouvoir du directeur.
Le sénateur MacDonald : Monsieur le ministre, vous avez dit que le gouvernement allait accroître la portée de Parcs Canada. Nous sommes un grand pays doté d’un vaste territoire. Je pense que nous aurions besoin de plus de parcs nationaux, qui seraient créés comme il se doit.
Vous avez également mentionné les sanctuaires marins; là encore, il est important de les gérer correctement et en consultation avec ceux qui vivent et pêchent dans ces eaux. J’y suis favorable en principe. Pouvez-vous faire le point sur le projet de sanctuaire marin à Port Hilford, en Nouvelle-Écosse, et sur ce que vous savez à ce sujet?
En passant, Port Hilford est le lieu de naissance de Wilf Carter, la première vedette internationale de musique au Canada. J’aimerais que Port Hilford soit remis à l’honneur grâce à ce sanctuaire marin de baleines.
Connaissez-vous ce projet? Avez-vous eu des échanges avec ceux qui le conçoivent ou qui l’ont proposé? Pouvez-vous nous donner plus d’information là-dessus?
M. Guilbeault : Je ne connais pas ce projet, sénateur. Nous pourrions communiquer par écrit avec votre bureau à ce sujet afin de vous fournir les bons renseignements. Je ne les ai pas en main.
Le sénateur MacDonald : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’y vais pour ne pas perdre une seconde.
Je vous ramène au Québec. Récemment, en mars dernier, les gouvernements du Canada et du Québec ont annoncé leur intention commune d’amorcer les états permettant d’agrandir les limites du parc marin du Saguenay—Saint-Laurent. Il y a 2 200 espèces, dont certaines sont dans une situation précaire, comme le béluga qu’on aime beaucoup.
Quand aura lieu l’agrandissement de ce parc et qu’allez-vous faire précisément pour protéger les bélugas? Il faut comprendre qu’il y a une contradiction entre les besoins en matière de tourisme de cette région et le bien-être des bélugas. Est-ce qu’on va éloigner les bateaux? Qu’est-ce qu’on va faire avec les humains et les bélugas?
M. Guilbeault : C’est une bonne question, madame la sénatrice.
Dans le cas précis des aires marines protégées, selon les projets, plusieurs activités sont permises. On pense à la pêche et même à la pêche commerciale. On pense au tourisme et au transport maritime, bien évidemment. L’avantage d’avoir des aires de conservation comme celle-là, c’est que toutes ces activités doivent se faire en ayant comme priorité la conservation, ce qui est complètement différent de ce qui se passe à l’extérieur d’une aire de conservation. On parle de ralentissement de la vitesse des bateaux commerciaux. Il y a un code de pratique pour les activités touristiques et écotouristiques.
La sénatrice Miville-Dechêne : Il n’y en a pas encore assez, parce que les populations...
M. Guilbeault : En fait, il faut comprendre que, particulièrement dans le cas des mammifères marins dans le fleuve Saint-Laurent et dans le golfe du Saint-Laurent, on constate également l’impact des changements climatiques. Avant d’aller mieux, cela va empirer, hélas.
Toutefois, cela veut dire qu’il faut tenir compte de cela dans l’analyse des impacts des activités humaines.
Est-ce que cela signifie qu’il devrait y avoir moins de tourisme, une vitesse encore plus ralentie pour les navires commerciaux, une réduction de toutes les activités touristiques? Toutes les activités qui sont permises à l’intérieur de ces aires doivent avoir comme priorité la conservation. Je pense que c’est une très bonne nouvelle qu’on augmente de beaucoup l’aire de protection.
C’était un peu bizarre, parce qu’on a un parc marin où il y a une ligne imaginaire en plein milieu du fleuve Saint-Laurent et que d’un côté, les espèces sont protégées — les bélugas par exemple —, alors que de l’autre, elles ne le sont pas.
Tant le gouvernement du Québec que le gouvernement fédéral étaient entièrement d’accord pour créer une protection qui soit beaucoup plus centrée sur les écosystèmes que sur des lignes imaginaires.
M. Campbell pourrait ajouter des commentaires.
M. Campbell : Nous menons des consultations auprès de tous les représentants des villages, tous les groupes autochtones...
M. Guilbeault : Les associations de pêcheurs...
M. Campbell : Nous mènerons des consultations auprès de toutes les associations industrielles au cours de la prochaine année. Par la suite, des études de faisabilité seront faites.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
La présidente : Je vous remercie, monsieur le ministre.
Je remercie également les hauts fonctionnaires de Parcs Canada.
Avant de terminer, j’aimerais faire un rappel à mes collègues.
[Traduction]
La semaine prochaine, nous devrions avoir un groupe de témoins pour la première heure, puis nous commencerons l’étude article par article du projet de loi mardi prochain, si nous en avons la permission.
Je vous remercie.
(La séance est levée.)