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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 28 avril 2022

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour l’étude du projet de loi S-5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé.

Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je vois que nous avons le quorum et je déclare la séance ouverte. Je m’appelle Paul Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité.

Aujourd’hui, nous tenons une séance hybride du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qu’ils sont priés de garder leur micro éteint en tout temps, à moins que le président leur donne la parole. Lorsque vous parlez, veuillez le faire lentement et clairement.

Pour ceux qui prennent part à cette réunion par Zoom, veuillez utiliser la fonction « lever la main » pour demander la parole. Pour ceux qui sont dans la salle, je vous demanderais d’indiquer à la greffière votre souhait de prendre la parole. Je ferai de mon mieux pour permettre à tous ceux qui veulent poser une question de le faire, mais pour y arriver, je vous demande d’être brefs dans vos questions et préambules. Cela inclut le ministre et ses collègues.

Chaque sénateur aura droit à une question et à une question complémentaire ou un suivi à sa question initiale. J’aimerais maintenant présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest, David Arnot, de la Saskatchewan, Claude Carignan, du Québec, Rosa Galvez, du Québec, Clément Gignac, du Québec, Mary Jane McCallum, du Manitoba, Julie Miville-Dechêne, du Québec, Dennis Patterson, du Nunavut, Judith Seidman, du Québec et Karen Sorensen, de l’Alberta. J’aimerais également souligner la présence du parrain du projet de loi, le sénateur Stan Kutcher, de Nouvelle-Écosse.

Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent. Aujourd’hui, nous commençons notre examen du projet de loi S-5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé.

Pour la première partie de la réunion du comité, nous avons l’honneur d’accueillir le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, l’honorable Steven Guilbeault. Il est accompagné de John Moffet, sous-ministre adjoint, Direction générale de la protection de l’environnement, de Laura Farquharson, directrice générale, Affaires législatives et réglementaires, Direction générale de la protection de l’environnement, et de Jacqueline Gonçalves, directrice générale, Sciences et évaluation des risques, Direction générale des sciences et de la technologie.

Nous accueillons également, de Justice Canada, Me Gordon Hill, avocat-conseil, et, de Santé Canada, M. Greg Carreau, directeur général, Direction de la sécurité des milieux.

Bienvenue à tous et merci d’avoir accepté notre invitation. Monsieur le ministre, vous avez maintenant la parole.

L’honorable Steven Guilbeault, c.p., député, ministre de l’Environnement et du Changement climatique : Merci beaucoup, monsieur le président.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité pour discuter du projet de loi S-5, la Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé. Comme vous le savez, le gouvernement du Canada a présenté le projet de loi S-5 au Sénat le 9 février 2022. Le projet de loi propose des modifications à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, aussi connue sous le nom de LCPE.

La LCPE est le fondement législatif de nombreux programmes de protection de l’environnement et de la santé administrés par Environnement et Changement climatique Canada et Santé Canada. Des programmes comme ceux qui ont trait aux émissions des véhicules et des moteurs qui contribuent au changement climatique et à la pollution atmosphérique, aux urgences environnementales ainsi que le Programme de gestion des produits chimiques. Elle constitue également le fondement législatif et réglementaire de la mise en œuvre nationale des obligations du Canada en vertu de divers accords internationaux sur l’environnement, comme la Convention de Stockholm, la Convention de Minamata et le Protocole de Londres.

En vertu de ces accords, le Canada continue de respecter d’importants engagements internationaux, comme la réduction des émissions de polluants organiques persistants et de mercure, et la gestion de l’immersion en mer de déchets dangereux.

Honorables sénateurs, nous savons qu’un environnement sain est vital pour notre santé, notre développement et notre bien-être. Les Canadiens s’attendent à ce que nous agissions en conséquence, non seulement le gouvernement actuel, mais aussi les gouvernements futurs.

Les modifications à la LCPE conservent ce qu’il y a de mieux dans la LCPE, notamment son approche qui permet d’agir et non de dicter, tout en renforçant la Loi dans deux domaines clés : la reconnaissance du droit à un environnement sain, prévue par la LCPE, et le renforcement de la gestion des produits chimiques et des autres substances au Canada.

Honorables sénateurs, nous proposons de reconnaître, dans le préambule de la LCPE, que chaque personne au Canada a un droit à un environnement sain, comme le prévoit cette loi. Nous proposons également que le gouvernement ait le devoir de protéger ce droit, en vertu de la LCPE, en tenant compte des facteurs pertinents. C’est la première fois que ce droit est inclus dans une loi fédérale au Canada. Qu’est-ce que cela signifie?

[Français]

Un cadre de mise en œuvre établira la façon dont ce droit sera considéré dans l’exécution de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. Ce cadre sera élaboré dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur des modifications.

Il précisera notamment des principes tels que la justice environnementale et la non-régression, ainsi que le soupèsement de ce droit avec les facteurs pertinents, notamment les facteurs sociaux, économiques, scientifiques et relatifs à la santé.

L’élaboration du cadre de mise en œuvre sera basée sur des consultations

Le cadre de mise en œuvre devrait non seulement guider la manière dont le droit à un environnement sain sera considéré dans les processus décisionnels en vertu de la LCPE, mais aussi tracer la voie vers l’amélioration progressive et continue de la protection de l’environnement.

Il sera également exigé de mener des recherches, des études ou des activités de surveillance pour aider le gouvernement dans ses efforts visant à protéger ce droit en vertu de la LCPE.

Cela pourrait inclure des activités visant à identifier les populations qui sont particulièrement vulnérables aux risques environnementaux et sanitaires.

[Traduction]

La deuxième série de modifications clés proposées par ce projet de loi concerne la gestion des produits chimiques et autres substances au Canada. Les produits chimiques font partie intégrante de notre vie quotidienne. Ils touchent pratiquement tous les aspects de notre vie. Les produits chimiques sont présents dans notre environnement, nos aliments, nos cosmétiques et nos produits de soins personnels ainsi que nos vêtements. Comme vous le savez, les produits chimiques peuvent améliorer considérablement la qualité de vie, la santé et le bien-être. Mais lorsqu’ils ne sont pas utilisés ou gérés correctement, certains d’entre eux peuvent également être nocifs pour notre santé, ayant des effets néfastes tels que des troubles de reproduction et des déficiences de naissance, des handicaps intellectuels et physiques, et le cancer. Certains effets nocifs peuvent être immédiats. D’autres peuvent se produire progressivement, à mesure que certaines substances s’accumulent dans notre corps. Certains effets peuvent survenir au cours d’une vie d’exposition, entraînant des maladies chroniques.

Les produits chimiques peuvent également avoir des effets à court et à long terme sur la santé des animaux, des plantes, de l’eau et des écosystèmes. Les Canadiens s’attendent à ce que nous assurions un environnement sain et sécuritaire. Ils s’attendent à ce que nous veillions à ce que les substances soient gérées efficacement par des approches et des activités transparentes. Ils s’attendent à ce que nous y parvenions grâce à des politiques claires, cohérentes et bien pensées. Et l’industrie a besoin d’un environnement réglementaire stable et prévisible pour nous aider à atteindre ces objectifs. Et c’est ce que nous accomplissons aujourd’hui.

[Français]

La LCPE constitue le fondement législatif du Plan de gestion des produits chimiques. Depuis son lancement en 2006, le gouvernement du Canada a évalué des milliers de substances. Ainsi, le Canada a été le premier pays au monde à prendre des mesures pour limiter l’exposition au bisphénol A dans les biberons et les tasses à bec en 2010.

En ce qui concerne le mercure, les mesures prises par le gouvernement entre 2007 et 2017 ont entraîné une diminution de 61 % de la concentration des émissions de mercure dans l’air, tandis que les rejets de mercure dans l’eau ont diminué de 66 %.

Le Plan de gestion des produits chimiques a également permis d’imposer des restrictions sur des substances telles que les BPC, le plomb et le triclosan. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire et le gouvernement le reconnaît.

Trois examens parlementaires et la vaste expérience des ministères en ce qui concerne l’application de la loi ont permis de cerner de nombreuses lacunes et possibilités d’amélioration pour assurer une protection plus efficace de l’environnement et de la santé.

Un récent processus d’établissement des priorités a permis d’identifier 1 200 substances supplémentaires, déjà commercialisées au Canada, qui devraient être examinées plus en détail en raison de préoccupations potentielles pour la santé humaine et l’environnement.

En outre, certaines des substances qui ont été évaluées au cours des dernières décennies devront peut-être être réévaluées en raison de nouvelles utilisations, ou parce que nous pouvons maintenant évaluer des types de risques différents de ceux qui étaient possibles par le passé.

La science évoluant sans cesse, notre législation doit s’adapter en conséquence.

[Traduction]

Le projet de loi S-5 exigera la création d’un nouveau plan des priorités de gestion des produits chimiques afin de donner aux Canadiens un plan intégré, prévisible et pluriannuel pour l’évaluation des substances ainsi que les activités et initiatives qui soutiennent la gestion des substances, comme la collecte d’information, la gestion des risques, la communication des risques, la recherche et la surveillance. Il mettra également en œuvre un nouveau régime qui donnera la priorité à l’interdiction des activités liées aux substances toxiques présentant le risque le plus élevé. Les critères permettant de définir les substances toxiques qui présentent le risque le plus élevé seront énoncés dans le règlement. Ces critères comprendront la bioaccumulation persistante, la cancérogénicité, la mutagénicité et la toxicité pour la reproduction. Nous consulterons les Canadiens sur ces règlements. D’autres nouveaux pouvoirs permettront d’accroître la transparence et d’améliorer la collecte de renseignements. Dans le cadre de l’élaboration et de la mise en œuvre du plan, le gouvernement continuera d’établir des priorités, et d’évaluer et de gérer les substances au moyen d’une approche fondée sur le risque qui tient compte des propriétés d’une substance ainsi que de l’exposition à cette substance.

[Français]

Le plan doit tenir compte de nombreux facteurs importants pour les Canadiens.

Je ne les soulignerai pas tous, mais je noterai qu’en tête de liste figurent les populations vulnérables et les effets cumulatifs sur la santé humaine et l’environnement.

Le projet de loi S-5 exigera également que, lors de l’évaluation des risques, le gouvernement tienne compte du fait que certaines populations, comme les enfants ou les travailleurs de certains secteurs, peuvent être plus vulnérables aux risques des substances en raison d’une exposition ou d’une susceptibilité, lorsque cette information est disponible.

Cela signifie qu’il faut mener des recherches et faire de la biosurveillance pour générer des données qui fourniraient des renseignements supplémentaires sur la façon dont ces populations sont touchées par les substances nocives.

De cette façon, le projet de loi S-5 met davantage l’accent sur la protection des peuples autochtones et des communautés racisées.

[Traduction]

Le projet de loi S-5 établit également une liste de surveillance pour aider à informer l’industrie des substances potentiellement préoccupantes afin qu’elle puisse éviter de remplacer une substance par une autre qui pourrait également présenter un risque. Cette démarche, ainsi que l’utilisation des outils existants pour favoriser une substitution éclairée, devrait contribuer à orienter l’innovation et le marché vers des substances plus vertes et plus sûres.

Comme vous le savez, honorables sénateurs, nous devons travailler ensemble pour créer une économie et un environnement plus résilients dès maintenant, surtout si nous considérons les défis qui nous attendent. Et c’est ce que le projet de loi S-5 nous aide à accomplir en s’appuyant sur les pouvoirs qui existent déjà dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, en bâtissant une infrastructure réglementaire solide et prévisible qui tient compte des nouvelles données scientifiques et encourage l’industrie à produire et à utiliser des produits chimiques plus sécuritaires, et en renforçant la protection de tous les Canadiens et de l’environnement contre la pollution et les substances nocives.

J’ai hâte de travailler avec les Canadiens pour élaborer un cadre de mise en œuvre sur la façon dont le droit à un environnement sain sera pris en compte dans l’administration de la loi. Et j’ai hâte d’entendre les Canadiens pour élaborer le plan des priorités de gestion des produits chimiques et continuer à améliorer ce qui est reconnu depuis longtemps comme un programme de gestion des produits chimiques de classe mondiale. Mais avant d’y arriver, nous devons travailler ensemble. J’ai hâte de collaborer avec le Sénat pour que le gouvernement dispose des outils nécessaires pour mieux protéger la santé humaine et l’environnement et pour bâtir un avenir plus sain et plus résilient pour tous les Canadiens. Je vous remercie.

[Français]

Le président : Merci, monsieur le ministre. Je présume que vos collègues n’ont aucun commentaire à ce point-ci?

M. Guilbeault : Non, pas à ce point-ci.

Le président : Donc, nous allons procéder immédiatement à la période des questions avec le parrain du projet de loi, le sénateur Kutcher.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Je suis heureux d’avoir l’occasion de me retrouver en votre présence et de lancer les questions sur ce projet de loi très important. Il y a longtemps que la LCPE a été actualisée. J’ai deux questions, une courte et une plus longue. Je vais commencer par la courte.

Un élément clé du fondement législatif de l’amélioration du plan de gestion des produits chimiques se trouve dans ce projet de loi. Une fois ce plan en place, où le Canada se situera-t-il par rapport à d’autres administrations, comme l’Union européenne ou les États-Unis, dans son approche de la gestion des produits chimiques?

M. Guilbeault : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. C’est une question importante. Lorsque nous élaborons des lois ou même des règlements en matière d’environnement, nous nous tournons vers les pays qui ont des lois semblables aux nôtres pour nous assurer que nous restons parmi les meilleurs au monde en matière de gestion des produits chimiques. Nous pourrions prendre l’exemple de nos lois et règlements sur les changements climatiques.

Il est important de se comparer à ce qui se fait de mieux. Nous croyons qu’avec les modifications proposées, le Canada continuera d’avoir un système de gestion des produits chimiques de calibre mondial.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Nous souhaitons être parmi les meilleurs, c’est certain.

La prochaine question est un peu plus détaillée et technique. Je vous remercie beaucoup d’avoir souligné l’importance de la recherche et de la biosurveillance dans les domaines où des améliorations s’imposent.

Pour faire de la biosurveillance, le Canada n’a pas attendu l’adoption de la loi à l’étude, mais celle-ci va relever la barre pour mieux répondre à nos besoins, notamment sur le plan de l’identification des substances toxiques qui présentent les risques les plus élevés, des substances cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, et de celles qui persistent dans l’environnement et ont des effets cumulatifs. Nous aurons besoin d’un échantillonnage longitudinal beaucoup plus robuste et de données exhaustives pour tenir compte de toutes les populations vulnérables. L’échantillonnage longitudinal devra s’étendre sur toute la durée de la vie si nous voulons déceler la transmission de la mère à l’enfant pendant les années de reproduction. Nous allons devoir le faire pour la population en général et pour des populations ciblées. Nous aurons besoin de biobanques. Nous allons devoir donner plus d’ampleur à nos travaux de toxicogénomique.

La première question est la suivante : on craint que le Canada n’ait pas actuellement la capacité de faire ce travail important. Y aura-t-il un plan visant à améliorer la capacité de biosurveillance et de recherche au Canada afin d’appuyer cette mesure législative de grande importance?

Deuxièmement, va-t-on créer des réseaux précis concernant certains domaines, en particulier la recherche sur les effets cumulatifs à long terme effectuée dans d’autres pays où ce travail est très avancé, comme dans les National Institutes of Health aux États-Unis?

M. Guilbeault : Merci, monsieur le sénateur. La réponse à votre première question est oui. De toute évidence, nous devrons nous assurer d’avoir les ressources voulues pour appliquer les dispositions de la LCPE révisée.

Quant à votre deuxième question, j’invite l’un de mes collègues du ministère à y répondre.

Greg Carreau, directeur général, Direction de la sécurité des milieux, Santé Canada : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Bonjour à tous. Je vous remercie de me donner l’occasion de parler aujourd’hui du projet de loi S-5.

En ce qui concerne la biosurveillance, il s’agit effectivement d’un indicateur important si nous voulons savoir à quels produits chimiques les Canadiens sont exposés. À l’heure actuelle, Santé Canada a un programme de biosurveillance très actif, qu’il applique en étroite collaboration avec les milieux scientifiques canadiens et étrangers.

Voici un exemple : l’Étude mère-enfant sur les composés chimiques de l’environnement. Nous examinons des échantillons de cheveux, de liquides organiques, de lait et tissus humains et nous étudions l’exposition au fil du temps d’une cohorte pour comprendre comment les Canadiens sont exposés à des produits chimiques et discerner les répercussions de cette exposition.

Nous avons également diverses phases d’un programme de biosurveillance qui porte sur les Canadiens des quatre coins de notre pays et sur leur exposition. Il est largement utilisé pour éclairer nos évaluations réglementaires des risques en vertu du Plan de gestion des produits chimiques et nos décisions sur l’évaluation des risques sanitaires aux termes de la LCPE.

Pour répondre à votre question, monsieur le sénateur, je vous dirai que nous reconnaissons tout à fait que, pour mieux comprendre les répercussions de l’exposition aux produits chimiques sur des communautés marginalisées et vulnérables et sur d’autres populations, partout au Canada, il faut renforcer notre programme actuel de biosurveillance. Nous chercherons à le faire à l’avenir afin de donner suite à ce qui est proposé dans le projet de loi S-5.

Le sénateur Patterson : Bienvenue, monsieur le ministre. J’ai signalé dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi que deux affaires sont actuellement devant les tribunaux, l’une en Ontario et l’autre au niveau fédéral, qui cherchent à déterminer si le droit à un environnement sain est bel et bien un droit prévu par la Charte. En inscrivant un droit dans le dispositif du projet de loi, ne devrions-nous pas comprendre ce que ce droit conférerait aux Canadiens et comment le faire respecter? Autrement, nous instaurons inutilement de l’incertitude dans tout processus auquel la LCPE devrait apporter clarté et certitude.

Le projet de loi étant ce qu’il est, nous devrons attendre au moins deux ans pour savoir ce que ce droit suppose et ce qu’il oblige l’industrie à prendre en considération dans les activités qu’elle propose. C’est très préoccupant, d’autant plus que nous savons que, dans bien des domaines, les investissements fuient le Canada en raison de l’incertitude et du risque liés à la réglementation.

Monsieur le ministre, voici ma question : pourquoi le gouvernement choisit-il d’instaurer un droit et de le définir après coup, au lieu de faire le gros du travail au préalable, de sorte que les Canadiens sachent à quoi s’en tenir dès le départ?

M. Guilbeault : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Deux ou trois points pour commencer. Premièrement, permettez-moi de ne pas partager votre point de vue et de vous inviter à nous fournir des données sur cette fuite de capitaux. Chose certaine, nous observons tout autre chose dans le secteur de l’électrification. Depuis un mois et demi seulement, quatre nouvelles entreprises ont annoncé qu’elles investissaient des centaines de millions de dollars au Canada dans ce secteur. Premier point.

Deuxièmement, comme vous le savez, le droit à un environnement sain figure dans le préambule. En tant que législateur, vous comprendrez qu’avant de définir le règlement qui régit l’application d’une nouvelle disposition, il faut d’abord que cette disposition figure dans la loi; il faut ensuite que, par voie de règlement, nous définissions comment ce nouveau droit sera mis en œuvre en vertu de la LCPE, dans ce cas particulier.

Enfin, lors de sa dernière mouture au cours de la législature précédente, la réforme de la LCPE a été saluée par les organisations du milieu des affaires et les organisations environnementales comme une étape importante dans la protection de l’environnement au Canada.

Le sénateur Patterson : S’il me reste du temps, monsieur le président, j’ai une brève question à poser.

À l’étape de la deuxième lecture, le parrain du projet de loi, le sénateur Kutcher, qui est parmi nous ce matin, a proposé d’abréger les délais entre l’évaluation des risques et leur gestion, mais le projet de loi prévoit l’étude, dans toutes les évaluations des risques, de certains aspects comme les effets cumulatifs et les populations vulnérables, ce qui, à première vue, pourrait entraîner des délais plus longs, vu la complexité accrue de ces évaluations des risques.

Alors, pourquoi envisagerions-nous de nous écarter des délais actuels en matière de gestion des risques, comme le propose le parrain du projet de loi, délais qui sont conformes à la Directive actuelle du Cabinet sur la gestion de la réglementation?

M. Guilbeault : Nous essayons de faire preuve du maximum d’efficacité, en tant que législateurs responsables, dans l’application de la réglementation, tout en veillant à protéger la santé et l’environnement des Canadiens. C’est l’équilibre que nous nous efforçons toujours d’atteindre dans ces initiatives.

[Français]

La sénatrice Galvez : Bonjour, monsieur le ministre. Merci beaucoup pour l’effort de modernisation de la loi grâce à ce projet de loi très important.

[Traduction]

Cela semblera peut-être inédit aux yeux des Canadiens, mais, au cours des 50 dernières années, le droit à la protection de l’environnement a progressé plus rapidement que tout autre droit de la personne. Plus de 150 États reconnaissent que leurs citoyens ont droit à un environnement sain. En fait, le Canada fait partie des dizaines de pays qui ne reconnaissent pas encore explicitement ce droit fondamental.

Comme vous l’avez dit, il faudra attendre deux ans le cadre de mise en œuvre, qui devra notamment ménager l’équilibre entre ce droit et d’autres facteurs pertinents, comme les facteurs sociaux, économiques, sanitaires et scientifiques. Dans les faits, puisque je suis ingénieure et me soucie de la dimension pratique, pouvez-vous me dire si ce nouveau droit empêchera le déversement de résidus des sables bitumineux dans l’Athabasca? Empêchera-t-il la contamination des poissons et des sources de nourriture pour les peuples autochtones? Empêchera-t-il qu’on trouve du diesel dans l’eau potable à Iqaluit? Empêchera-t-il le gouvernement du Québec de resserrer les critères de qualité relatifs au nickel afin de permettre davantage de pollution atmosphérique provenant des activités de base, ce qui a un impact sur les citoyens de Limoilou, à Québec?

[Français]

M. Guilbeault : Merci, madame la sénatrice, de votre question et de votre passion pour les questions environnementales.

[Traduction]

Il y a une foule d’éléments dans votre question, je le crains. Il faudrait beaucoup de temps pour donner une réponse complète. Peut-être pourrais-je parler plus précisément des bassins de décantation évoqués au début de votre question.

Comme vous le savez, les bassins de décantation des sables bitumineux contiennent un mélange complexe de plus de 150 substances. Des travaux sont en cours pour les identifier et voir si elles figurent à l’annexe 1 de la LCPE, qui demeurera l’annexe 1 du projet de loi S-5. Il convient de souligner qu’il ne peut pas y avoir de déversements provenant des bassins de décantation dans les eaux de l’Athabasca à l’heure actuelle, et nous n’envisageons pas de les permettre non plus.

De façon plus générale, pour répondre à votre question très vaste, je dirai que nous devons adopter le projet de loi S-5, prévoir le droit à un environnement sain et définir, en vertu de la LCPE, comment nous allons le faire respecter. Ensuite, comme vous le savez, nous verrons comment cela peut s’appliquer à différents éléments de la production industrielle ou de la pollution industrielle au Canada. Il est vraiment difficile de vous dire à l’avance quelles seront les modalités de mise en œuvre, mais je comprends ce que vous dites. C’est une question très importante.

La sénatrice Galvez : Le projet de loi maintient l’approche fondée sur le risque prévue dans la loi actuelle, et les modifications exigeront que le ministre accorde la priorité à l’interdiction des activités liées aux substances toxiques présentant le risque le plus élevé. Mais le problème de l’évaluation des risques — et, en tant qu’ingénieure, j’y ai travaillé — est qu’il est difficile de savoir quel niveau de risque est acceptable. Le projet de loi dit qu’il faut tenir compte des progrès de la science, mais la science ne laisse aucun doute : les faibles concentrations et les effets cumulatifs accentuent la toxicité d’un mélange de contaminants, comme vous le disiez au sujet des résidus des sables bitumineux. Alors, comment empêcher que l’industrie, protégée par des secrets commerciaux ou des brevets, ne nuise à l’évaluation et à la gestion des risques?

L’industrie prétendra qu’en raison de leurs secrets commerciaux, de leur propriété intellectuelle ou de leurs brevets, il est impossible d’évaluer les risques. Je songe à toutes les études dont le sénateur Patterson a parlé. Il faudra beaucoup de temps, mais en science, il est déjà acquis que les effets cumulatifs accentuent la toxicité des substances au lieu de les atténuer. Alors, pourquoi ne pas appliquer le principe de précaution?

M. Guilbeault : Il est difficile de prévoir ce que l’industrie fera ou ne fera pas. Nous essayons de veiller à ce que notre corpus législatif et réglementaire, et plus particulièrement la LCPE, évolue au même rythme que la science en cette matière.

Nous avons un régime très robuste que nous essayons de rendre encore plus rigoureux en ce qui concerne les produits chimiques toxiques, en accordant une attention particulière aux populations vulnérables. Par le passé, la loi ne garantissait pas la prise en compte des effets cumulatifs. À bien des égards, nous faisons ce que vous souhaitez, mais nous devrons voir comment cela sera mis en œuvre. Nous allons dans la bonne direction en renforçant cet ensemble de lois et, plus précisément, la gestion des produits chimiques.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur le ministre, vous avez déclaré dans un communiqué de presse, lorsque le projet de loi a été déposé, que le projet de loi S-5 mettait l’accent sur la protection pour les Canadiens vulnérables, notamment la protection de l’environnement. Vous dites que tout le monde mérite de vivre dans un milieu sain.

Historiquement, je vois que vous avez voté contre le projet de loi C-204 du député Davidson, qui visait à interdire l’exportation de plastique à l’extérieur du pays. Vous avez sans doute vu le reportage à l’émission Fifth Estate, qui était plutôt clair sur les dégâts causés. Vous vous souviendrez de Nina Azzahra, de l’Indonésie, qui vous avait posé la question suivante :

[Traduction]

« Je veux vraiment que vous cessiez d’exporter vos déchets plastiques en Indonésie. Arrêtez. »

[Français]

Or, en regardant le projet de loi S-5, je ne vois aucune interdiction quant à l’exportation du plastique. Quand vous dites que tout le monde a droit à un environnement sain, on dirait que cette affirmation n’inclut pas Nina, de l’Indonésie. Seriez-vous prêt à modifier le projet de loi S-5 pour y inclure certaines dispositions du projet de loi C-204 ou du nouveau projet de loi C-234?

M. Guilbeault : Merci pour la question, sénateur. Vous aurez compris que les modifications que nous proposons au projet de loi S-5 portent sur les produits chimiques et sur le droit à un environnement sain. Ces modifications ne sont pas la totalité de ce que nous faisons en matière d’environnement. Le ministère, moi-même et le gouvernement travaillons sur toute une stratégie concernant spécifiquement la question des plastiques. Le Canada a joué un rôle de premier plan dans les négociations qui ont eu lieu récemment à Nairobi. Nous avons lancé des négociations pour définir un nouveau traité international légalement contraignant spécifiquement sur la question du plastique. Ce n’est pas parce que vous ne retrouvez pas ce que vous souhaiteriez sur la question du plastique dans le projet de loi S-5 que le gouvernement est inactif sur la question du plastique, et notamment l’exportation de déchets de plastique. J’ai d’ailleurs demandé au ministère de revoir la position du Canada sur la Convention de Bâle sur l’exportation, et nous nous penchons sur ce qui pourrait être fait de plus en matière d’exportation.

Ce que l’industrie nous dit sur la question du plastique, c’est que si vous voulez qu’on se dirige vers une économie circulaire pour ce qui est des déchets de plastique, il faut que le plastique puisse circuler à l’échelle mondiale et qu’il devienne, en quelque sorte, un produit qui serait facilement recyclable. Vous avez raison de dire que ce n’est pas le cas actuellement. Il y a, de toute évidence, des gens qui abusent du système. L’équipe et moi, au ministère de l’Environnement et du Changement climatique, travaillons pour nous assurer que ce genre de choses ne puissent plus se reproduire.

Le sénateur Carignan : Puisque nous étudions le projet de loi S-5, pourquoi ne pas profiter de l’occasion? Le projet de loi S-234 vise précisément à apporter des modifications à la même loi. Tant que nous y sommes, pourquoi ne pas le faire immédiatement?

M. Guilbeault : Monsieur le sénateur, vous pouvez certainement proposer des amendements lorsque le projet de loi sera renvoyé en comité et vous avez tout le loisir de le faire.

Le sénateur Carignan : C’est ce que je vais faire, mais est-ce que vous allez les accepter?

M. Guilbeault : C’est aux sénateurs et aux sénatrices de décider ce qu’ils vont ou non accepter. Ensuite, ce sera renvoyé à la Chambre des communes.

Le sénateur Carignan : Vous n’êtes pas très rassurant pour Nina.

La sénatrice Miville-Dechêne : Bonjour, monsieur Guilbeault, et merci d’être avec nous. Je m’intéresse à la transparence dans votre projet de loi. On voit une amélioration en ce qui a trait aux nombreuses demandes de confidentialité qui seront exigées par les entreprises; vous voulez qu’elles s’expliquent. Cela dit, la loi prévoit une exception que je n’arrive pas à comprendre. On dit qu’un règlement, un arrêté ou un avis peut préciser les raisons pour lesquelles on préfère ne pas expliquer la dangerosité d’un produit. Cette disposition me semble contenir des lacunes. Je me demande ce que vous allez faire face à une entreprise réticente qui refuse de collaborer. Je pense à toutes les enquêtes et, entre autres, à celles sur le glyphosate, où l’on a appris, des années plus tard, que l’entreprise avait des études sur le caractère toxique de la substance. J’aimerais vous entendre sur cette disposition de confidentialité, qui est souvent une raison pour les entreprises de ne pas être transparentes.

M. Guilbeault : Merci, madame la sénatrice. Effectivement, le projet de loi vise à forcer une plus grande transparence sur la question des données quant à l’utilisation de produits chimiques et à l’impact de certaines substances sur la santé et l’environnement. C’est exactement ce que nous cherchons à faire. Par contre, sur la question des pesticides, comme vous le savez probablement, cette catégorie de produits chimiques est gérée par l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, qui relève de Santé Canada. Ce n’est pas sous le régime de la LCPE. Cela dit, notre gouvernement s’est engagé à faire une révision de l’application du régime de lutte antiparasitaire qui est en vigueur au Canada à la fin de la dernière législature.

Cela figure dans la lettre de mandat du ministre Duclos, si je me souviens bien, afin que je puisse collaborer avec lui sur cette question.

La sénatrice Miville-Dechêne : Plus précisément, je ne comprends pas pourquoi il y a une disposition dans la loi qui permet aux entreprises de ne pas motiver leur absence de transparence.

M. Guilbeault : Pouvez-vous me préciser exactement à quel endroit se trouve cette disposition?

La sénatrice Miville-Dechêne : Dans les articles 50 et les suivants de la loi.

M. Guilbeault : Dans le but d’économiser du temps, je pourrais demander à quelqu’un du ministère.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est à la page 25 :

Exceptions à l’obligation de motiver

(3) S’agissant de renseignements fournis en application d’un règlement, d’un arrêté ou d’un avis, la demande de confidentialité n’a toutefois pas à être motivée si le texte en cause le précise.

M. Guilbeault : Je ne pense pas que nous avons la même pagination, vous et moi. Ce que je pourrais vous proposer, c’est de faire un suivi sur cette question spécifique dans un avenir très proche.

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui, elle est un peu pointue.

Le sénateur Gignac : Bonjour, monsieur le ministre. Merci d’être avec nous ce matin. Même si la majorité des Canadiens et des sénateurs se réjouissent de votre volonté de protéger l’environnement et que, dans le fond, le Canada est le meilleur au monde sur le plan du traitement pour gérer les substances chimiques, j’aimerais vous entendre sur l’impact potentiel de ce projet de loi sur la position concurrentielle de nos entreprises. Bien que l’organisme Manufacturiers et Exportateurs du Canada donne son appui au projet de loi, certains de ses membres ont exprimé des préoccupations sur le fait que les produits importés ne sont pas assujettis aux mêmes normes que les produits locaux. Donc, dans un contexte où les entreprises canadiennes, notamment dans le secteur pétrochimique, doivent composer avec une taxe sur le carbone, ce qui n’est pas le cas au sud de la frontière, pouvez-vous nous confirmer que votre projet de loi ne provoquera pas un déplacement des emplois vers les États-Unis?

M. Guilbeault : Merci, monsieur le sénateur. Je pense que notre régime sera un des très bons régimes dans le monde. Est-ce qu’il est nécessairement le meilleur? Je pense qu’il est difficile de faire cette affirmation. Tout à l’heure, en répondant à la question du sénateur Carignan sur les plastiques, j’ai dit que nous nous dotions de traités internationaux pour faire en sorte qu’il y ait un niveau assez semblable, à l’échelle planétaire, pour ce qui est des lois et des règlements en matière environnementale sur la question des changements climatiques. Vous avez dit qu’il n’y a pas de prix sur la pollution aux États-Unis, mais on y retrouve une série de mesures législatives et réglementaires qui montrent qu’il y a des efforts qui se font auprès des entreprises et des exigences qui sont semblables à ce que l’on retrouve au Canada.

Nous travaillons avec nos partenaires sur des taxes d’ajustement aux frontières, spécifiquement sur la question du carbone, pour que les pays récalcitrants ne bénéficient pas de passe-droits et pour qu’on puisse imposer des taxes à certains biens en provenance de pays qui n’auraient pas des normes environnementales aussi élevées ou semblables aux nôtres. Puis-je donner une garantie? Nous avons consulté énormément les entreprises, les ONG et les communautés autochtones sur les modifications proposées au projet de loi S-5. Nous avons trouvé un bon équilibre et, comme vous l’avez dit vous-même, Manufacturiers et Exportateurs du Canada ainsi que plusieurs autres associations industrielles ou du secteur privé ont salué les modifications proposées et ont affirmé que les modifications apportées au projet de loi ont permis de trouver un équilibre.

Le sénateur Gignac : Avez-vous eu une consultation avec votre homologue américain? En effet, 85 % de nos exportations se dirigent vers les États-Unis. C’est quand même important d’avoir une certaine harmonie lorsqu’on parle d’environnement et de fardeau réglementaire entre les deux pays.

M. Guilbeault : Nous avons eu énormément de discussions avec les Américains sur cette question. Je serai à Washington la semaine prochaine pour rencontrer certains de nos homologues. Même sur certaines questions, ils sont un peu en avance sur nous et sur d’autres, nous sommes un peu en avance sur eux, mais je pense qu’en fin de compte nous sommes équivalents.

Le sénateur Gignac : Merci, monsieur le ministre.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Merci, monsieur le ministre, de comparaître et de nous avoir expliqué tout cela. Je vous félicite d’avoir inscrit le droit à un environnement sain dans la loi à l’étude. Le gouvernement a l’obligation de protéger les droits de chacun et les ministres ont l’obligation de tenir compte des populations vulnérables et des effets cumulatifs sur l’humain.

Ma question est toute simple, au fond. Pour que ce nouveau droit devienne un legs durable, avez-vous l’intention de préconiser une modification constitutionnelle qui l’inscrirait dans la Charte canadienne des droits et libertés? Sinon, pourquoi?

M. Guilbeault : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. La réponse brève est non. Ni mon gouvernement ni moi n’avons l’intention d’essayer de rouvrir la Constitution ou la Charte à ce stade-ci pour y ajouter ce droit ou apporter quelque autre modification constitutionnelle.

Le sénateur Arnot : Question complémentaire. Je constate qu’il faudra deux ans pour élaborer le régime. Les plaideurs adorant plaider, ils s’en donneront à cœur joie. Il faut une dizaine d’années pour régler certaines questions qui finissent par être tranchées par la Cour suprême du Canada. Par quel mécanisme la question va-t-elle se régler?

Je vous invite, au cours de votre réflexion et de vos consultations, à envisager comme première étape une médiation obligatoire entre les parties, parce que c’est moins coûteux pour les personnes vulnérables et les plaignants, que c’est plus efficace et efficient et qu’il y aura ainsi une réponse et un règlement plus rapides.

Je m’inquiète du fait que ce droit sera garanti par une simple loi. Envisagez-vous que les intimés puissent être le ministre, l’ensemble des ministres? Ou encore les pollueurs? Quelle instance se prononcera? La Cour fédérale? Comment l’affaire pourrait-elle se régler, selon vous? Vous devez bien avoir des idées à ce sujet, même si vous allez prendre deux ans pour examiner la question et répondre à certaines de ces questions.

M. Guilbeault : Merci. Il y a beaucoup de choses à démêler dans votre question, monsieur le sénateur. Il y a des représentants du ministère de la Justice en ligne. Je vais m’en remettre à eux.

Au préalable, je dois vous donner raison. Il peut y avoir litige, ce qui n’empêche pas le gouvernement — comme ce fut le cas pour la tarification de la pollution qui a été contestée jusqu’à la Cour suprême du Canada — de déployer cette mesure législative. En fin de compte, la Cour suprême nous a donné raison. Il y a un parallèle à établir avec les nouveaux éléments proposés dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

Monsieur Moffet, avons-nous en ligne quelqu’un du ministère de la Justice qui pourrait parler de la dimension judiciaire du dossier?

John Moffet, sous-ministre adjoint, Direction générale de la protection de l’environnement, Environnement et Changement climatique Canada : Oui, mais je pense que Laura Farquharson est la mieux placée pour répondre à la question sur les droits, les moyens de les faire respecter et la possibilité que la justice puisse se prononcer.

Laura Farquharson, directrice générale, Affaires législatives et réglementaires, Direction générale de la protection de l’environnement, Environnement et Changement climatique Canada : Comme tout le monde l’a fait remarquer, l’approche adoptée dans le projet de loi consiste à préciser la signification du droit et la façon dont il doit être pris en considération dans l’administration de la LCPE elle-même et le cadre de mise en œuvre. L’idée, c’est que la signification de ce droit — dont certains repères figurent déjà dans le projet de loi, comme la justice environnementale, la participation à la prise de décisions et le principe de non-régression — sera définie au moyen de ce cadre.

Quant à la possibilité de recourir aux tribunaux, la LCPE met déjà à la disposition des particuliers bien des moyens de faire appliquer la loi elle-même. S’il y a des infractions à la LCPE, les particuliers peuvent même demander une injonction. Puis, bien sûr, il y a toujours la possibilité, comme c’est le cas avec n’importe quelle loi, de demander un examen judiciaire du processus décisionnel du gouvernement. Les tribunaux auraient alors l’occasion de se prononcer sur le caractère raisonnable du processus décisionnel du gouvernement, y compris sur cet aspect de la loi.

La sénatrice Sorensen : Bonjour, monsieur le ministre. Je vous souhaite la bienvenue à la séance, puisque je me trouve dans le parc national Banff. C’est le premier projet de loi à l’étude duquel j’ai participé en tant que sénatrice. J’apprends bien des choses sur le processus grâce à l’étude du projet de loi S-5 et de la LCPE. Au cours de certaines séances auxquelles j’ai participé jusqu’à maintenant, on a dit que, de façon générale, il fallait apporter d’autres modifications à la LCPE. Certains réclament des amendements au projet de loi S-5 avant qu’il n’aille plus loin alors que d’autres en réclament l’adoption rapide — je dirais la plus rapide possible — parce qu’il constitue un progrès.

Ma question s’adresse à vous personnellement, vous qui êtes un ardent défenseur de l’environnement. Êtes-vous satisfait du projet de loi tel qu’il existe? Dans le même ordre d’idées, que proposeriez-vous pour la prochaine fois que la LCPE nous reviendra pour d’autres raisons?

M. Guilbeault : Merci, madame la sénatrice. C’est une très bonne question. Je suis d’accord avec ceux qui disent qu’il faut apporter d’autres modifications à la LCPE. Je ne prétends pas que le projet de loi S-5 apporte toutes les modifications que nous souhaitons, mais si nous tentions de mettre dans un seul projet de loi tout ce que tout le monde veut, il serait extrêmement difficile de le faire adopter par le Parlement. Nous avons pensé limiter cette série de modifications à la notion de droit à un environnement sain et à la gestion des produits chimiques.

L’équipe d’Environnement et Changement climatique Canada et moi travaillons à une autre série de modifications que nous voudrions apporter à la LCPE dans un avenir pas trop lointain. Si nous proposons un ensemble plus gérable de modifications, nous avons plus de chances, d’autant plus que le gouvernement est minoritaire, de faire adopter certaines d’entre elles. Ensuite, si nous avons encore du temps, nous soumettrons d’autres modifications à la Chambre et au Sénat.

L’équipe et moi serions heureux de recevoir des propositions de modification de la part des sénateurs et, lorsque la Chambre en sera saisie, de la part des députés. Mais c’est un bon compromis que nous avons mis à l’étude. Peut-on l’améliorer? Absolument. Est-ce que je veux que le projet de loi soit adopté le plus rapidement possible? Oui, aussi. C’est ce que nous essayons de faire.

La sénatrice Seidman : Monsieur le ministre, je vais vous poser une question qui me tient à cœur, d’une certaine façon. Pour moi, le projet de loi S-5 est une mesure législative importante, surtout parce qu’il exige que le ministre de l’Environnement et le ministre de la Santé travaillent ensemble pour évaluer les risques de toxicité pour l’environnement. En fait, il apporte même des modifications à la Loi sur les aliments et drogues.

Nous savons que les ministères ont souvent tendance à travailler en vase clos. Comment comptez-vous utiliser ce pouvoir prévu dans le projet de loi?

M. Guilbeault : Merci, madame la sénatrice. Vous avez raison de dire que les ministères ont tendance à travailler en vase clos. Je ne suis député que depuis trois ans. Je n’ai donc pas beaucoup d’expérience, mais je vois de plus en plus de coopération interministérielle en matière d’environnement et de santé, plus qu’au cours de ma carrière précédente d’environnementaliste. Auparavant, les environnementalistes travaillaient presque uniquement avec Environnement Canada.

Le dernier plan climatique canadien que j’ai déposé aux Communes il y a trois semaines, le Plan de réduction des émissions pour 2030, est le fruit d’une collaboration réunissant Environnement Canada, Ressources naturelles Canada, Transports Canada, Innovation, Sciences et Développement économique Canada, le ministère des Finances, le Conseil du Trésor, Santé Canada — et il m’en manque probablement un ou deux. Nous apprenons à mieux travailler ensemble et à abattre les cloisons, surtout dans des dossiers comme la santé et l’environnement. Je peux vous dire qu’il y a une très bonne collaboration aux niveaux ministériel et politique sur ces questions.

La sénatrice Seidman : Je vais m’arrêter là. C’est un bon début. Je ne vais pas aborder les questions de la résistance aux antibiotiques et de leur déversement dans l’environnement, question dont, à mon avis, le ministre de l’Environnement et le ministre de la Santé devraient se saisir. Je vais laisser cela de côté parce que deux de mes collègues n’ont pas encore posé de questions. Je vais les laisser intervenir.

[Français]

Le président : Monsieur le ministre, je sais que vous devez partir à 10 heures. Pouvons-nous nous permettre cinq minutes de plus?

M. Guilbeault : Oui, on peut prendre cinq minutes de plus.

Le président : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Anderson : Ma question porte sur le fait que les droits ne sont pas toujours garantis ni appliqués de façon égale. Si je dénonce cette inégalité, c’est parce que l’un des groupes avec lesquels j’ai discuté, en ce qui concerne notamment le projet de loi à l’étude, est un groupe canadien, mais ce groupe ne compte aucun représentant du Nord. J’ai demandé à ces gens-là s’ils prenaient des règlements qui s’appliquent aux territoires aussi bien qu’aux provinces. Ils m’ont répondu que oui, mais il n’y a pas de représentation des Territoires du Nord-Ouest, ni du Nord, ni d’aucun des trois territoires.

Que fait le gouvernement pour veiller à ce qu’un Canadien, une entité ou une organisation nationale, qui prend des décisions pour l’ensemble des provinces et des territoires, compte des représentants en son sein, qui font valoir les points de vue du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut et en rappellent les réalités?

M. Guilbeault : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. Je ne sais pas au juste de quelle organisation vous parlez. Ce que je peux vous dire, c’est qu’Environnement et Changement climatique Canada a des discussions et des échanges constants avec toutes les provinces et tous les territoires au sujet de la mise en œuvre de nos lois et règlements et de leur application dans l’ensemble du Canada.

La sénatrice Anderson : Dans les Territoires du Nord-Ouest, nous avons, que je sache, plus de 200 bassins de déchets, dont le quart se trouvent sur des terres inuvialuit. Nous assistons à la dégradation d’une île artificielle dans l’océan Arctique. Il y a des sites pollués du Réseau d’alerte avancée ou, maintenant, du Système d’alerte du Nord, qui ont été abandonnés. Il y a encore Port Radium, la mine d’uranium du Sahtu qui a été exploitée de 1932 à 1982. Il y a des empoisonnements à l’arsenic à cause de la mine Giant à Yellowknife et on observe des taux élevés d’arsenic à Ndilo, à Dettah et au Yukon. Depuis des décennies, nous devons gérer les effets cumulatifs de ces polluants. Comment le projet de loi S-5 s’applique-t-il à ces sites hérités du passé?

M. Guilbeault : C’est une bonne question. À bien des égards, ce que nous essayons de faire au moyen du projet de loi S-5, c’est de faire en sorte que ce genre de legs environnemental ne soit plus possible, que les entreprises ne puissent plus exploiter une mine pendant un certain nombre d’années, puis tout abandonner et laisser le gâchis aux gens sur place. Nous sommes au courant et nous sommes bien conscients du fait que nous avons cet héritage environnemental auquel il faut s’attaquer, et c’est ce à quoi nous travaillons. Cela prendra du temps, mais le projet de loi S-5 donne au gouvernement, à notre pays et à notre société de nouveaux outils pour éviter que ce genre de chose ne se reproduise à l’avenir.

[Français]

Le président : Merci.

Nous allons prendre encore quelques minutes du temps du ministre; j’aimerais demander au sénateur Carignan et à la sénatrice Miville-Dechêne de poser chacun leur question, et le ministre pourra ensuite répondre aux deux questions en même temps. Je vous rappelle également que, même si le ministre nous quitte dans quelques minutes, ses collègues seront avec nous jusqu’à 11 heures pour répondre aux questions.

Chantal Cardinal, greffière du comité : Je m’excuse de vous interrompre, monsieur le président; la sénatrice McCallum avait la main levée pour la première ronde, tandis que le sénateur Carignan et la sénatrice Miville-Dechêne, c’est pour la deuxième ronde.

Le président : Je ne la voyais pas sur la liste.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : Merci de comparaître, monsieur le ministre. Les Premières Nations de la région d’Athabasca cherchent depuis des années des solutions à la crise des bassins de décantation. Depuis près de 30 ans, ils attendent en vain une solution alors que le problème n’est pas de leur fanit.

Dans un esprit de collaboration, vous engageriez-vous à rencontrer les groupes autochtones de la région des sables bitumineux de l’Athabasca pour voir en quoi l’approche du Canada en matière de gestion des déchets dans cette région est conforme à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones? Votre gouvernement pourrait-il aussi discuter de son engagement à délimiter, pour en prioriser l’assainissement, les sites et zones contaminés où vivent les peuples autochtones et les Canadiens racialisés et à faible revenu, et à reconnaître le droit à un environnement sain dans les lois fédérales, et enfin à présenter un projet de loi exigeant l’élaboration d’une stratégie de justice environnementale et l’examen du lien entre la race, le statut socioéconomique et l’exposition au risque environnemental?

M. Guilbeault : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Je vous remercie de votre question et des efforts que vous faites pour défendre les intérêts de ces groupes. En fait, il y a environ deux semaines, j’ai rencontré certains de ces groupes à Edmonton. C’était ma première rencontre avec eux, mais ce ne sera sûrement pas la dernière. Vous savez peut-être qu’en janvier 2021, Environnement et Changement climatique Canada a lancé un groupe de travail Couronne-Autochtones qui s’intéresse expressément aux bassins de décantation. Grâce à lui, le gouvernement du Canada et les groupes autochtones étudient ensemble diverses possibilités au nombre desquelles se trouve l’élaboration de règlements en vertu de la Loi sur les pêches pour assujettir les rejets d’effluents des mines de sables bitumineux à des normes strictes de qualité des effluents de façon à protéger le poisson et son habitat. À l’heure actuelle, il est interdit de rejeter à partir des bassins de décantation des effluents contenant des substances nocives.

Pour ce qui est de votre troisième point, comme vous l’avez peut-être vu dans le projet de loi S-5, nous accordons une attention particulière aux populations qui sont victimisées ou qui sont les plus touchées par la pollution environnementale, ce qui englobe évidemment des populations autochtones, mais aussi des populations marginalisées d’un peu partout au Canada. Vous avez peut-être vu qu’à la Chambre des communes, le gouvernement appuie un projet de loi proposé par Elizabeth May. Il s’agit du projet de loi C-226 sur le racisme environnemental. C’est une mesure d’initiative parlementaire que le gouvernement appuie. Nous allons travailler avec Mme May pour améliorer cette mesure et tenter de la faire adopter aux Communes. Le Sénat pourra alors se saisir de cette question également.

La sénatrice McCallum : La demande de réunion a été présentée ce matin, juste avant la séance. Ces groupes demandent donc une nouvelle rencontre.

À propos de ma deuxième question, le ministre peut-il s’assurer que la responsabilité du nettoyage des résidus des sables bitumineux sera assumée par l’industrie et ne sera pas refilée aux municipalités, à la province ou aux communautés autochtones?

M. Guilbeault : Comme je l’ai dit, j’ai eu une première rencontre avec certaines organisations il y a quelques semaines, mais ce n’est certainement pas la dernière. C’est avec plaisir que je les rencontrerai de nouveau.

Pour revenir à votre deuxième question, nous travaillons avec le ministère et les communautés autochtones dans le cadre de ce groupe Couronne-Autochtones sur les bassins de décantation afin de voir comment nous allons nous y prendre, particulièrement en ce qui concerne ce problème précis. Nous collaborerons donc avec les peuples autochtones pour tracer la voie à suivre.

[Français]

Le président : Merci, monsieur le ministre.

Sénateur Carignan et sénatrice Miville-Dechêne, veuillez poser chacun votre question afin que le ministre puisse ensuite répondre aux deux questions en même temps.

Le sénateur Carignan : Le projet de loi C-12 prévoit une obligation de consultation spécifique envers les provinces; on ne voit pas cette obligation dans le projet de loi S-5 quant au cadre d’application que l’on prévoit adopter, et cela présente un risque de chevauchement sur les champs de compétence des provinces. Envisagez-vous la possibilité d’un amendement pour inclure cette obligation spécifique de consulter les provinces?

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question est à propos du droit à l’environnement sain et sera directe et concrète.

Monsieur le ministre, quand pensez-vous qu’il faut faire passer l’économie avant la planète? C’est un concept qui a quand même été mis de côté et ridiculisé par Al Gore, il y a bien des années; en 2006, je crois.

M. Guilbeault : Sur la question des champs de compétence, l’environnement est, bien sûr, un champ de compétence partagé entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires. Nous menons des consultations sur une base régulière sur tout un ensemble d’éléments, notamment au moyen de la rencontre des ministres de l’Environnement du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires. Le ministère est également en discussion quasi constante avec leurs vis-à-vis des provinces et des territoires.

Quant à votre question, sénatrice Miville-Dechêne, je pense que l’on ne peut pas espérer vivre dans une société prospère si le développement de cette société se fait au détriment des conditions de vie sur terre. Je pense que poser la question, c’est y répondre.

Bien sûr, l’activité humaine a des impacts sur l’environnement, et notre rôle en tant que société est de travailler à minimiser de plus en plus ces impacts afin que nous puissions léguer à nos enfants et à nos petits-enfants une planète qui sera en meilleure santé que lorsque nous en avons hérité.

Le président : Merci d’avoir été parmi nous ce matin, monsieur le ministre. C’est une belle introduction du projet de loi S-5.

Je crois comprendre que vos collègues resteront avec nous pendant encore 50 minutes, et c’est très apprécié. Merci, monsieur le ministre.

M. Guilbeault : Merci.

Le président : Sénatrice Miville-Dechêne, je crois que vous avez une question pour les fonctionnaires.

La sénatrice Miville-Dechêne : Absolument. Donc, je m’intéresse à l’étiquetage, parce que c’est un domaine assez compliqué sur lequel j’ai déjà travaillé. Il n’y a pas beaucoup d’espace sur les étiquettes.

Vous voulez prévenir les consommateurs sur les produits toxiques et nocifs. Qu’allez-vous faire? Je ne peux pas m’imaginer — même si ce serait formidable de le faire — que vous pouvez donner des indications sur la toxicité. Si vous indiquez sur l’étiquette seulement le nom incompréhensible et inconnu d’un produit chimique quelconque, personne ne sera en mesure de comprendre que ce produit est toxique ou dangereux à long terme.

Que prévoyez-vous à ce niveau? C’est quand même une petite révolution dans l’étiquetage.

M. Moffet : Nous avons déjà l’autorité requise dans la loi pour imposer des obligations concernant les données ou l’information publique. Donc, ce n’est pas une question d’amendement à la loi, mais effectivement, il y a des possibilités d’augmenter l’information qui est donnée aux consommateurs. Nous avons commencé une consultation à ce sujet. Je vais demander à ma collègue de vous donner plus d’information sur cette initiative.

Mme Farquharson : Le gouvernement, comme vous l’avez mentionné, s’est engagé à améliorer la transparence de la chaîne d’approvisionnement et à renforcer l’étiquetage obligatoire des produits. Il y a des consultations nationales en ce moment à ce sujet et ces consultations permettront de présenter les mesures gouvernementales relatives aux produits de consommation, comme les produits de nettoyage et les retardateurs de flamme dans les meubles rembourrés.

De plus, Santé Canada fait participer les Canadiens aux changements potentiels au Règlement sur les cosmétiques en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, afin d’accroître la transparence concernant la présence d’allergènes et de parfums utilisés dans les cosmétiques.

La sénatrice Galvez : J’ai deux questions rapides. Une de ces questions sera en lien avec un amendement technique que j’aimerais apporter.

[Traduction]

Dans l’ensemble du projet de loi, à chaque mention de l’annexe 1, il est question de la liste des substances toxiques qui s’y trouve. Or, lorsqu’on essaie de consulter la liste proprement dite, on ne trouve que la mention Annexe 1. Pas question de « liste des substances toxiques ». Ce doit être une omission au stade de la rédaction. Par souci de clarté, nous devrions ajouter ce segment.

Le projet de loi S-5 crée une liste de substances susceptibles de devenir toxiques. Je crois comprendre qu’il s’agit d’une liste de surveillance et qu’elle pourrait encourager les entreprises à éviter ces substances jusqu’à ce qu’on sache si elles sont effectivement toxiques ou non. Mais je crains que cette liste ne devienne une sorte de salle d’attente et ne suscite de l’incertitude pour les entreprises. Il ne semble pas y avoir de conditions ou d’obligations à respecter, une fois qu’une substance est ajoutée à la liste des substances pouvant devenir toxiques.

En fait, le paragraphe 77(1) du projet de loi S-5 dispose : « Après avoir effectué [...] une évaluation [...], les ministres publient... » La question est la suivante : une substance pourrait-elle figurer à jamais sur cette liste? Y a-t-il une date limite pour se prononcer, lorsqu’une substance est ajoutée à la liste? Sinon, pourquoi? Enfin, si des substances sont ajoutées à la liste parce qu’elles nécessitent plus d’études sur leur possible toxicité, avons-nous la capacité d’évaluer toutes les substances inscrites, d’autant plus que de longs délais s’écoulent avant qu’elles n’y soient ajoutées? Merci.

M. Moffet : Ce sont là des questions intéressantes, madame la sénatrice. Tout d’abord, c’est un choix délibéré qui a été fait au sujet de la désignation de la liste. Comme vous le savez, aux termes de l’article 64 de la LCPE, il faut déterminer si une substance est considérée comme toxique au sens de la loi. C’est le terme employé dans la loi, mais si une substance est jugée toxique, les ministres peuvent recommander que le gouverneur en conseil l’ajoute à l’annexe.

Le titre de l’annexe ne doit pas nécessairement comprendre le qualificatif « toxique ». Il a été employé par le passé, mais nous en recommandons la suppression. C’est que le critère utilisé pour déterminer ce qui est toxique ne correspond pas à ce qu’on peut normalement considérer comme tel. Autrement dit, les critères vont bien au-delà de ce que l’on considère normalement comme toxique et s’applique à des substances qui présentent un risque pour la santé et l’environnement pour diverses raisons, par exemple les gaz à effet de serre.

Pour éviter toute confusion, nous disons que la liste publique n’a pas besoin d’employer le qualificatif « toxique ». On peut dire que c’est une liste de substances ou préférer une désignation différente qui est plus logique dans la langue commune.

Vos autres questions portaient sur la liste de surveillance. Je tiens à préciser que ce n’est pas une liste de substances sur lesquelles le gouvernement ne dispose pas de renseignements suffisants. Ce n’est pas une salle d’attente où se trouvent des substances à étudier parce que nous ne savons pas trop. L’idée de la liste de surveillance, c’est qu’il y a des substances qui ont des caractéristiques dangereuses, mais dont utilisation actuelle ne présente aucun risque. Elles peuvent être créées par un processus industriel et être entièrement confinées, puis transformées avant tout déversement, par exemple. Ou il peut s’agir d’une substance comme un médicament contre le cancer qui a des effets nocifs, mais il est certain qu’elle n’est utilisée qu’à une seule fin. Elle est conçue pour être nocive, mais elle sert à lutter contre le cancer. Nous n’allons donc pas la réglementer en vertu de la LCPE.

Ce que nous disons, c’est que, si une autre utilisation survient à l’avenir, nous allons examiner de nouveau cette substance et voir si une exposition différente présente un risque. C’est pourquoi certaines substances sont inscrites sur la liste de surveillance.

Si nous avons besoin de plus d’information pour terminer l’évaluation, nous ne tirerons aucune conclusion et nous poursuivrons l’évaluation jusqu’à ce que nous ayons suffisamment d’information pour en tirer une. Je veux simplement clarifier l’objet de la liste de surveillance.

Le sénateur Kutcher : Voici une question qui fait suite à la précédente et qu’il vaut sans doute mieux adresser à M. Moffet.

Y a-t-il des secteurs précis de la biosurveillance et de la recherche où des améliorations s’imposent, selon vous, si on veut répondre aux nouvelles exigences du projet de loi S-5 et veiller à ce qu’ils ne soient pas axés sur des projets — comme c’est le cas actuellement pour certaines recherches —, de sorte que les travaux puissent se poursuivre durablement? Comment peut-on y arriver? Voilà ma première question.

La deuxième découle de la première. Les National Institutes of Health ont un programme national de toxicologie, et il n’est pas mauvais. Y a-t-il des liens entre le Canada et le National Toxicology Program des États-Unis? Dans l’affirmative, quelle en est la nature? Mettez-vous en commun de l’information et des évaluations pour éviter les chevauchements inutiles et le gaspillage de temps et de ressources? Dans l’affirmative, comment ces liens sont-ils établis? Merci.

M. Moffet : Ce sont deux excellentes questions. Je vais commencer, puis je céderai la parole à mon collègue, M. Carreau, de Santé Canada.

En général, nous reconnaissons qu’il y aura un lien direct entre le respect des obligations générales établies par la création d’un droit à un environnement sain et l’accent mis sur la justice environnementale et les populations vulnérables, un lien entre ces idées et la nécessité de poursuivre la biosurveillance pour cerner les effets nocifs sur les populations vulnérables.

M. Carreau peut expliquer le programme actuel et les plans d’expansion du programme, mais je tiens à souligner au départ que tout notre travail, sur les plans tant de la santé que de l’environnement, est effectué en étroite collaboration avec les universitaires et des collègues aux États-Unis et dans le reste du monde. En particulier, nous avons une relation de travail très étroite avec l’OCDE et l’Union européenne afin d’éviter de réinventer la roue, comme vous l’avez dit. Bien sûr, nous devons faire de la surveillance au Canada, mais pour les tests scientifiques de base, les méthodologies scientifiques et la science émergente, nous avons des processus de mise en commun de l’information qui sont en place depuis des décennies.

M. Carreau : Merci, monsieur Moffet, et merci de votre question, monsieur le sénateur.

En effet, Santé Canada reconnaît qu’il faut améliorer les programmes de biosurveillance à l’avenir. Je distingue deux domaines clés que nous avons choisis pour apporter des améliorations. Il faut d’abord prendre acte du projet de loi S-5 et de l’importance accordée aux populations vulnérables qui sont plus exposées ou risquent plus d’être exposées à des produits chimiques, dont des collectivités autochtones et marginalisées.

Il nous faut certainement mieux comprendre les données de biosurveillance provenant des collectivités les plus exposées aux produits chimiques. Il est désormais reconnu que des améliorations s’imposent à cet égard.

Vous avez également évoqué des initiatives fondées sur des études à Santé Canada, et vous avez tout à fait raison. Comme je l’ai dit dans mes interventions précédentes, nous avons de très importants programmes de biosurveillance fondés sur des études. Ils ont joué un rôle essentiel dans l’élaboration de nos programmes. Nous estimons qu’il faut les améliorer et leur donner plus d’ampleur avec la collaboration du milieu universitaire canadien. Nous aurons ainsi des études longitudinales qui utilisent au mieux les biobanques, comme vous l’avez fait remarquer, et d’autres éléments d’information pour nous assurer un ensemble de données dans la durée pour nous éclairer sur les risques que les produits chimiques font peser sur les Canadiens.

Enfin, je reviens sur ce que M. Moffet a dit de notre collaboration avec nos collègues des États-Unis et d’autres pays et organisations, dont la Commission européenne et l’Organisation mondiale de la santé. Il faut collaborer aux efforts de biosurveillance pour enrichir le bagage scientifique mondial qui guide notre action au Canada.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais revenir à la question que j’ai posée au ministre, qui m’a donné une réponse en me renvoyant à la compétence partagée. J’ai étudié la compétence partagée lors de mon cours de droit constitutionnel il y a plus de 30 ans. Donc, je n’ai pas eu de réponse claire de la part du ministre. En ce qui concerne les consultations que les fonctionnaires mènent en permanence, j’étais déjà au courant. C’est également vrai pour la carboneutralité, qui est pourtant une disposition spécifique selon laquelle le ministre doit prendre en compte les points de vue des peuples autochtones et des gouvernements des provinces et des territoires. Cette disposition est prévue dans le projet de loi C-12. Encore une fois, il s’agit du même contexte de compétences partagées et de fonctionnaires qui se parlent entre eux. Prévoyez-vous inclure cette obligation spécifique qui exige de consulter les provinces et les peuples autochtones dans le projet de loi S-5? Si oui, pourquoi cela a-t-il été rejeté? Sinon, pourquoi?

M. Moffet : Je vais demander à ma collègue Mme Farquharson de répondre plus en détail, mais je vais mentionner qu’il y a déjà une institution, un processus et une obligation dans la loi actuelle. Il y a les conseils consultatifs nationaux, et nous devons les consulter pour chaque prise de décision clé conformément à la loi. Ces conseils sont composés de représentants de chaque province et territoire et de quelques représentants des peuples autochtones.

Il y a aussi une nouvelle disposition au paragraphe 73(3). Peut-être que Mme Farquharson peut expliquer cette disposition?

Mme Farquharson : M. Moffet fait référence à une nouvelle exigence pour préparer un plan des priorités pour l’évaluation des produits et des substances et pour les autres priorités du programme de gestion des substances. Il faut préparer ce plan de priorité au cours des deux années après l’entrée en vigueur de la loi. Cela exige une consultation avec toutes les parties intéressées, y compris les provinces et les territoires ainsi que les peuples autochtones. On trouve aussi, partout dans le projet de loi et dans la LCPE, plusieurs possibilités pour la consultation. On a déjà parlé du cadre de mise en œuvre pour le droit à un environnement sain et des possibilités de consultations sur chaque règlement ou sur les autres instruments utilisés pour gérer les risques des substances.

Le sénateur Carignan : Serait-il possible d’avoir un tableau ou une représentation des différents articles avec les obligations liées aux consultations? Je ne sais pas si vous auriez cette information à l’interne, mais il serait utile que le comité connaisse ces différentes obligations spécifiques. On pourrait alors évaluer si l’obligation prévue dans la loi est suffisante et déterminer si l’on doit proposer des amendements en particulier.

Le président : Monsieur Moffet, si vous pouviez faire parvenir cette information à notre greffière, on s’assurera que les membres du comité en reçoivent une copie.

M. Moffet : Oui, certainement.

Le sénateur Carignan : Merci, c’est très apprécié.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je m’intéresse à la protection des populations vulnérables et à la documentation nécessaire pour prouver qu’il y a des effets cumulatifs de cette pollution par les produits chimiques. Ces effets sont difficiles à prouver et à documenter. Je me demande pourquoi, dans ce projet de loi, on ne précise pas les pouvoirs du ministre pour ce qui est d’ordonner aux entreprises en cause de faire des tests obligatoires sur certains produits que l’on soupçonne, par exemple, d’avoir des effets cumulatifs.

M. Moffet : On doit lire ces nouveaux amendements à la loi actuelle. La LCPE contient déjà une telle disposition. Je demanderais à mon collègue de Santé Canada d’expliquer la façon dont ils utilisent l’article 70, par exemple.

La sénatrice Miville-Dechêne : Cette disposition a-t-elle déjà été utilisée?

M. Carreau : Vous posez une excellente question concernant les effets cumulatifs. Vous avez raison, la preuve scientifique n’est pas encore suffisante pour établir tous les effets cumulatifs. Il faudra un investissement en science pour identifier les risques cumulatifs pour tous les Canadiens. Comme mon collègue M. Moffet l’a dit, la loi contient une disposition visant à demander que des tests soient effectués par l’industrie, les académies ou autres. Cette disposition existe déjà dans la loi.

La sénatrice Miville-Dechêne : A-t-on déjà utilisé cette disposition pour obliger l’industrie à faire des tests?

M. Carreau : Je demanderais à mes collègues d’Environnement et Changement climatique Canada de dire si la disposition a déjà été utilisée. Je sais qu’elle n’a pas été utilisée récemment, car les renseignements étaient déjà disponibles pour gérer les évaluations de risques pour la santé humaine. M. Moffet ou d’autres témoins pourraient confirmer si on l’a utilisée par le passé. Cette information est sûrement disponible.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le président : Monsieur Moffet?

M. Moffet : Nous pouvons donner des exemples à la greffière.

La sénatrice Miville-Dechêne : Par écrit.

Le président : Excellent.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Patterson : J’ai quelques questions qui découlent de mes discussions avec l’Association canadienne de l’industrie de la chimie, avec laquelle, je le sais, le ministère est en contact.

Premièrement, la LCPE révisée préservera-t-elle les exceptions prévues par l’actuelle réglementation interdisant certains produits, comme le recours à la chimie transformatrice, les utilisations en confinement et la recherche-développement?

M. Moffet : Le gouvernement impose des restrictions sur les substances qui correspondent aux critères de toxicité de la loi au moyen de règlements ou d’autres mesures de gestion des risques, et non pas directement en vertu de la loi. La loi nous autorise à concevoir ces mesures, y compris les règlements, de manière que nous puissions, par exemple, imposer une interdiction absolue ou prévoir des exceptions, comme vous l’avez dit, monsieur le sénateur, pour des activités comme la recherche-développement. Ce vaste pouvoir d’adaptation des mesures de gestion du risque aux circonstances sera conservé dans la loi. Voilà pour les substances existantes. Il existe une approche tout aussi souple pour les substances nouvelles. La réponse brève est oui, nous allons conserver une approche très souple pour les nouvelles substances également.

Le sénateur Patterson : Merci. J’ai une question peut-être un peu technique à poser au sujet de la liste de surveillance. Y a-t-il un dédoublement ou une ambiguïté relativement aux dispositions sur la liste de surveillance et la LCPE? Je pense aux critères de l’article 64, qui dit « mettre en danger », par opposition au libellé de la liste de surveillance, « potentiellement toxique ».

Comment les substances seront-elles ajoutées à la liste de surveillance et comment en seront-elles retirées?

M. Moffet : Merci, monsieur le sénateur. C’est un point de vue important, cette reconnaissance du fait qu’il peut y avoir un flottement dans le libellé. Vous avez raison de le dire, le critère de l’article 64 de la LCPE comprend, dans la version anglaise, le terme « may ». Nous avons eu tendance à interpréter... L’objectif est d’ajouter des substances à la liste des substances toxiques qui nécessitent une gestion des risques en fonction des utilisations qui ont cours ou sont prévues. Ensuite, comme je l’ai expliqué dans une réponse précédente, si une substance ne nécessite aucune gestion des risques en raison de ses utilisations actuelles et prévues, mais présente des caractéristiques qui, selon nous, pourraient constituer un risque si elle est utilisée différemment, alors nous l’ajoutons à la liste de surveillance.

Nous en sommes conscients, il sera important de fournir des éclaircissements supplémentaires aux Canadiens et à l’industrie au sujet des critères de décision. Nous allons procéder de deux façons. Il y a un processus en deux étapes pour ajouter une substance à l’annexe 1. Premièrement, il faut une évaluation scientifique confirmant que la substance répond aux critères. Elle doit être publiée et faire l’objet d’observations avant la publication d’une version finale, de sorte qu’une explication complète soit fournie aux Canadiens, qui auront l’occasion de faire valoir leur point de vue.

Il y a ensuite un processus en deux étapes pour ajouter la substance à l’annexe 1 : encore une fois, une publication avec une justification, une période réservée aux observations et la publication finale. Les ministres seront tenus d’expliquer le raisonnement qui justifie l’ajout d’une substance à l’annexe 1. De même, nous aurons comme politique d’expliquer pourquoi nous ajoutons une substance à la liste de surveillance plutôt qu’à l’annexe 1.

Au fil du temps, nous prévoyons fournir des documents qui apporteront plus de précisions tant pour guider la prise de décisions à l’interne que pour éclairer le grand public au sujet de la démarche de base et des facteurs pris en compte dans les décisions.

Le sénateur Patterson : Merci.

La sénatrice McCallum : J’ai constaté que les paragraphes de l’article 10 du projet de loi S-5 élargissent le pouvoir de planification de la prévention de la pollution, ce dont je me réjouis, car la prévention de la pollution est essentielle pour les terres et la vie des Premières Nations, qui ont toujours été subordonnées à l’industrie.

Sera-t-il possible de prévenir la pollution dans le cas des bassins de décantation? La situation actuelle est extrêmement précaire, car ils ont atteint la limite de leur capacité et des effluents s’infiltrent dans les eaux souterraines. Une mauvaise gestion de ces bassins aura des répercussions dans des domaines de compétence fédérale, comme ceux des eaux transfrontalières, des oiseaux migrateurs et de la santé du bassin du Mackenzie et du parc national Wood Buffalo.

En vertu de ce pouvoir de prévention de la pollution, à titre d’exemple, le gouvernement envisagerait-il de placer de façon proactive le parc national Wood Buffalo sur la liste des sites du patrimoine mondial en péril en raison des risques associés aux sables bitumineux, jusqu’à ce que l’Alberta respecte ses obligations relatives aux résidus dans le cadre du plan d’action? Merci.

M. Moffet : Madame la sénatrice, il y a là un certain nombre de questions importantes.

D’abord, le conseil que nous avons donné aux ministres successifs, y compris au ministre Guilbeault, c’est que la Loi sur les pêches doit être le fondement législatif le plus important à utiliser pour gérer les risques que les bassins de décantation peuvent présenter pour le bassin versant de l’Athabasca et pour les droits et activités des peuples autochtones qui vivent dans cette région. La raison, c’est qu’en vertu de la LCPE — dans un sens très simple —, une activité peut être exercée à moins d’être réglementée. La Loi sur les pêches dit l’inverse : le rejet de substances nocives, y compris les substances des bassins de décantation, est interdit à moins d’être réglementé. Autrement dit, si nous n’avons pas de règlement — et nous n’en avons pas —, tout rejet de substances nocives des bassins de décantation est illégal, et c’est le cas en ce moment. Si nous constatons qu’il y a des rejets provenant des bassins de décantation — et nous sommes en train d’examiner la question —, il s’agirait d’une violation de la Loi sur les pêches. C’est le premier point. C’est pourquoi nous avons l’intention de nous appuyer sur la Loi sur les pêches.

Deuxièmement, comme vous le savez, le gouvernement de l’Alberta et l’industrie ont communiqué avec nous pour nous dire que les bassins de décantation sont presque pleins, qu’il y a un risque de fuite. Ils veulent donc être autorisés à rejeter une partie de l’eau.

Nous avons mis sur pied un groupe de travail avec toutes les Premières Nations voisines, et, pour la toute première fois dans l’histoire d’Environnement et Changement climatique Canada, nous nous sommes engagés à élaborer une approche placée sous le signe de la collaboration et non seulement de la consultation.

Cet exercice comporte deux axes de travail principaux. Premièrement, y a-t-il moyen de réduire la quantité de matières qui se retrouvent dans les bassins de décantation? Autrement dit, il faut remettre en question la prémisse de base, c’est-à-dire que les bassins vont continuer à se remplir et que, par conséquent, il faut en évacuer une partie. Est-ce vraiment le cas ou peut-on réduire le volume de résidus qu’on y déverse? C’est la première ligne de travail; nous travaillons avec les Premières Nations de la région, et nous commandons des études. Ce travail est en cours.

Le deuxième axe, parallèle, est le suivant : si nous concluons qu’il faut autoriser des déversements — ce conditionnel est important —, que dirait le règlement? Quelles seraient les normes? Encore une fois, nous collaborons avec le groupe de travail Couronne-Autochtones pour définir ces normes, et elles seront établies à la satisfaction des collectivités autochtones en cause. Il s’agit d’un projet pluriannuel que nous avons lancé l’an dernier.

La sénatrice McCallum : Merci de ces renseignements et du travail que vous faites.

La sénatrice Galvez : Ma question concerne les droits des animaux et les essais. Le projet de loi S-5 ajoute dans le préambule un passage sur l’importance de promouvoir l’élaboration de méthodes de rechange scientifiquement justifiées pour remplacer les essais sur des animaux. Par ailleurs, dans le texte même du projet de loi, on ne trouve aucune mesure à ce sujet.

Je suis certaine que la plupart d’entre nous seraient d’accord pour dire que, lorsque des solutions de rechange sont scientifiquement possibles, nous devrions réduire au minimum ou éliminer l’expérimentation animale. En fait, l’élimination progressive des tests de toxicité sur les animaux d’ici 2035 était une promesse figurant dans le programme du Parti libéral l’an dernier. La modernisation et la réforme de la LCPE sont l’occasion idéale de commencer à donner suite à cette promesse. Pourquoi n’y a-t-il aucune mesure à ce sujet dans le projet de loi S-5? Travaillez-vous en parallèle à un autre projet qui viendrait peut-être plus tard pour apporter des modifications donnant suite à cette promesse? Merci.

M. Moffet : Puis-je proposer que nous demandions à mon collègue de Santé Canada d’expliquer la démarche en cours pour honorer cet engagement? Comme vous l’avez souligné, madame la sénatrice, il s’agit d’un engagement du Parti libéral du Canada, mais il figure aussi dans la lettre de mandat du ministre de la Santé.

M. Carreau : Merci de votre question, madame la sénatrice, et merci à vous, monsieur Moffet. En effet, comme vous l’avez dit, la lettre de mandat du ministre de la Santé comprend un engagement à proposer un projet de loi pour mettre fin à l’expérimentation sur les animaux.

Je précise d’abord que, dans l’état actuel du programme élaboré en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et d’autres activités prévues aux termes de la Loi sur les aliments et drogues et de la Loi sur les produits antiparasitaires, le ministère fait actuellement la promotion de l’expérimentation non animale pour éclairer ses décisions réglementaires lorsque le corpus scientifique et les autres méthodes d’essai sont scientifiquement défendables. Il recourt à des méthodes différentes ou renonce à l’obligation de faire des essais.

Nous allons également franchir une première étape pour présenter un projet de loi visant à interdire l’expérimentation animale de cosmétiques. Le ministre Duclos le présentera le plus tôt possible. Ce sera une première étape importante pour respecter l’engagement qui figure dans sa lettre de mandat, mais surtout, ce sera un moyen d’atténuer le recours à l’expérimentation animale pour éclairer les décisions réglementaires.

Nous croyons également que les modifications du préambule de la LCPE, comme vous l’avez fait remarquer, madame la sénatrice, sont un grand pas vers des investissements dans la science afin de nous guider vers des méthodes qui réduiraient la dépendance à l’égard de l’expérimentation animale. Grâce à l’engagement de présenter un projet de loi sur les essais de produits cosmétiques et au texte du projet de loi S-5, mes collègues de Santé Canada et moi-même, dans le cadre des programmes de réglementation, ainsi que mes collègues d’Environnement et Changement climatique Canada, continuerons à investir dans la science, à chercher des méthodes de rechange et à travailler avec nos collègues de l’étranger, sachant fort bien que nos collègues de l’Environmental Protection Agency et de la Commission européenne travaillent activement dans le même sens. En conclusion, je dirai que nous nous efforçons d’honorer l’engagement énoncé dans la lettre de mandat et avons des éléments qui vont se concrétiser.

La sénatrice McCallum : S’il y a violation de la Loi sur les pêches, la LCPE jouera-t-elle un rôle? En effet, vous savez désormais que la substance toxique est présente dans l’environnement. Avez-vous recours à la Loi sur les pêches? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Moffet : La majeure partie de la Loi sur les pêches est évidemment appliquée par le ministère des Pêches et des Océans, mais la disposition dont j’ai parlé, à l’article 36 qui établit une interdiction, est du ressort du ministre de l’Environnement et du Changement climatique.

Les fonctionnaires de l’Environnement ont tous les pouvoirs voulus pour appliquer cette disposition et prendre des mesures contre les infractions. Nous avons également le pouvoir d’élaborer des règlements et de les faire appliquer. Il n’est donc pas nécessaire de transférer dans la LCPE les pouvoirs prévus par la Loi sur les pêches, qui nous confère tous les pouvoirs nécessaires pour lutter contre la pollution de l’eau.

La sénatrice McCallum : Vous tenez compte du droit à un environnement sain, mais il y a toujours un « mais ». À quel niveau le problème de pollution devient-il assez important pour l’emporter sur les droits économiques des entreprises? On dirait que c’est toujours à cause de l’économie que les peuples autochtones se trouvent menacés. La notion de « population vulnérable » ne correspond pas vraiment aux conditions de vie des Premières Nations. Leur vie est menacée ici même. Comment abordez-vous le problème? Comment trouver le juste équilibre dans l’application de ce droit?

M. Moffet : Madame la sénatrice, c’est une question très importante. Je ne peux pas vous donner de réponse précise ni vous dire que tel niveau de pollution est acceptable ou que tel niveau d’impact est acceptable dans telle ou telle circonstance.

Ce qu’il est important de comprendre, au sujet des modifications que le gouvernement propose d’apporter à la LCPE pour régler ce problème, c’est que nous établissons un droit et que nous en expliquons le contenu très général dans la loi. Mais ensuite, comme un certain nombre de vos collègues l’ont fait remarquer, nous demandons aux ministres d’élaborer un cadre de mise en œuvre. L’aspect important que je tiens à souligner et à encourager les sénateurs à prendre en considération, c’est que le processus d’élaboration du cadre de mise en œuvre sera un processus public. L’objectif est de faire participer tous les Canadiens, y compris les peuples autochtones touchés, à la bonne formulation du droit et à la définition de l’influence de ce droit sur les décisions futures. Nous avons donc conseillé aux ministres — et le projet de loi a été conçu en conséquence — de ne pas se fier à nous pour tout rédiger, pour définir la suite des choses depuis nos bureaux à Ottawa, mais de prévoir plutôt un processus public que nous devrions suivre avant de fournir quelque détail que ce soit.

Autre élément complémentaire, nous avons l’obligation constante, comme nous l’avons vu au cours de la séance, de tenir compte des répercussions sur les populations vulnérables, et les peuples autochtones en particulier, dans toutes les décisions prises en vertu de la loi. Même si nous l’avons déjà fait dans le passé, ce sera maintenant une obligation légale.

La sénatrice McCallum : Merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci encore. Je m’interroge sur le défi ambitieux que vous avez devant vous en regardant ce chiffre. Chaque année, de 400 à 500 déclarations de substances nouvelles sont reçues pour fin d’examen. Je comprends que ces examens seront faits au ministère de la Santé, en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. Je comprends qu’ils sont complètement débordés, notamment sur la question des nouveaux médicaments. Comment allez-vous réussir à faire avancer la machine? Je sais que vous ne pourrez peut-être pas répondre précisément à ma question, mais il me semble que c’est énorme. Est-ce que je comprends bien que même si cela vous prend deux ans pour analyser une substance, la compagnie ne pourra pas l’utiliser avant d’avoir obtenu le feu vert?

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce que vous entendez par produits qui peuvent libérer une substance toxique?

M. Moffet : Permettez-moi de répondre à la question du sénateur Kutcher, puis je céderai la parole à ma collègue, Mme Gonçalves, qui expliquera les délais du régime de déclaration des substances nouvelles, qui sont beaucoup plus serrés que par le passé.

En ce qui concerne l’idée d’un produit qui rejette des substances toxiques, je dirai que, à l’heure actuelle, la LCPE nous confère le pouvoir d’évaluer et de gérer nous-mêmes les substances toxiques qui présentent un risque. Dans certains cas, cependant, il pourrait être beaucoup plus efficace de s’intéresser à un produit — par exemple, un jerrican — qui, en soi, n’est qu’un bout de plastique ou de métal n’ayant donc rien de nocif. Cependant, il est conçu pour être utilisé avec une substance toxique. Il peut être étanche ou non. S’il est étanche, il ne libère pas de vapeurs qui pourraient être toxiques. S’il est mal scellé, des vapeurs s’en échappent.

Une cheminée au bois, par exemple, peut brûler le combustible efficacement ou non. Nous pouvons réglementer tous ceux qui utilisent un jerrican et dire qu’il faut utiliser des jerricans hermétiquement scellés, ou encore des cheminées efficaces qui n’émettent pas de particules au-delà d’un certain niveau. Ou nous pourrions réglementer seulement la poignée de fabricants de ces cheminées. Encore une fois, la cheminée elle-même n’est pas toxique, mais la façon dont elle est utilisée créerait et émettrait une substance toxique.

Cela nous permet de nous attaquer à l’émission d’une substance toxique, mais de façon plus efficace que ce qui est exigé par la loi actuelle. C’est l’idée qui sous-tend cet amendement.

Ensuite, pour ce qui est des délais, nous pourrions peut-être vous donner un bref aperçu. Si vous le voulez, nous pourrions vous fournir plus de renseignements ultérieurement en vous communiquant les échéanciers précis du régime des substances nouvelles.

[Français]

Mme Cardinal : Monsieur le président, je suis désolée de vous interrompre, mais nous devons vraiment nous arrêter à 11 heures. Je ne sais pas si vous voulez demander une réponse par écrit pour l’autre question.

Le président : Monsieur Moffet, pouvez-vous partager avec nous l’échéancier auquel vous faites référence?

M. Moffet : Oui.

Le président : J’aimerais remercier nos témoins de leur présence aujourd’hui : M. John Moffet, sous-ministre adjoint, Direction générale de la protection de l’environnement, Environnement et Changement climatique Canada; Mme Laura Farquharson, directrice générale, Affaires législatives et réglementaires, Direction générale de la protection de l’environnement, Environnement et Changement climatique Canada; Mme Jacqueline Gonçalves, directrice générale, Sciences et évaluation des risques, Direction générale des sciences et de la technologie, Environnement et Changement climatique Canada; Me Gordon Hill, avocat-conseil, ministère de la Justice Canada; M. Greg Carreau, directeur général, Direction de la sécurité des milieux, Santé Canada. Merci beaucoup à tous, tout cela a été très important et utile.

(La séance est levée.)

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