LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 30 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-14, Loi modifiant la Loi sur les parcs nationaux du Canada, la Loi sur les aires marines nationales de conservation du Canada, la Loi sur le parc urbain national de la Rouge et le Règlement sur la pêche dans les parcs nationaux du Canada.
La sénatrice Josée Verner (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La vice-présidente : Je m’appelle Josée Verner, je suis une sénatrice du Québec et je suis vice-présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
[Traduction]
J’aimerais commencer par un petit rappel. Je demanderais aux membres et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près du microphone lorsqu’ils prennent la parole ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité dans la salle. Je vais maintenant demander à mes collègues de se présenter.
Le sénateur D. Patterson : Dennis Patterson, sénateur du Nunavut.
La sénatrice White : Bonjour. Judy White, sénatrice de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, de la Première Nation de Barren Lands au Manitoba.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.
La vice-présidente : Je souhaite à tous la bienvenue, ainsi qu’à tous les téléspectateurs de partout au pays qui regardent nos délibérations.
[Français]
Aujourd’hui, le comité poursuit son examen du projet de loi S-14, Loi modifiant la Loi sur les parcs nationaux du Canada, la Loi sur les aires marines nationales de conservation du Canada, la Loi sur le parc urbain national de la Rouge et le Règlement sur la pêche dans les parcs nationaux du Canada (Loi visant à protéger les merveilles naturelles du Canada).
Pour notre premier panel, nous accueillons par vidéoconférence : Mme Loretta Michelin, présidente du Conseil de gestion coopérative Nunatsiavut de Parcs Canada pour la réserve du parc national Akami-Uapishku-KakKasuak-Monts Mealy, et M. Miles Anderson, éleveur local du parc national des Prairies et membre du Comité consultatif sur la nature du Canada.
[Traduction]
De la Société pour la nature et les parcs du Canada, nous accueillons Sandra Schwartz, directrice générale nationale, et Alison Woodley, conseillère stratégique principale.
Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre présence. Cinq minutes sont réservées à vos remarques préliminaires. Loretta Michelin, la parole est à vous, et ensuite, ce sera au tour de Miles Anderson puis de Sandra Schwartz.
Loretta Michelin, présidente, Conseil de gestion coopérative Nunatsiavut de Parcs Canada pour la réserve de parc national Akami-Uapishku-KakKasuak-Monts Mealy, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant le comité pour discuter du projet de loi S-14, Loi visant à protéger les merveilles naturelles du Canada.
Je m’appelle Loretta Michelin et je suis la présidente du Conseil de gestion coopérative, le CGC, pour la réserve de parc national des Monts-Mealy. La création du Conseil de gestion coopérative était l’une des exigences figurant dans l’Entente sur les répercussions et les avantages pour les Inuits du Labrador, l’ERA, signée en 2020 entre Parcs Canada et le gouvernement du Nunatsiavut.
Le CGC est composé de cinq membres. Deux membres sont nommés par Parcs Canada et deux autres membres sont nommés par le gouvernement du Nunatsiavut. Le président est indépendant et il est nommé conjointement par le gouvernement du Nunatsiavut et Parcs Canada. Aux termes de l’ERA, le CGC doit agir de façon impartiale et dans l’intérêt du public. Dans l’exercice de ses fonctions, il ne doit pas agir à titre de représentant des entités qui ont nommé les membres. L’intérêt public comprend l’intérêt des Inuits.
Le CGC est tenu de se réunir au moins deux fois par année et il peut conseiller Parcs Canada, le gouvernement du Nunatsiavut et d’autres entités pertinentes sur toute question concernant la gestion de la réserve de parc national et d’autres questions sur lesquelles il est appelé à donner des conseils. Il peut s’agir notamment des priorités opérationnelles, de la planification de la gestion, des plans de développement et des débouchés économiques pour les Inuits. Il peut s’agir aussi de la protection et de la garde des ressources culturelles, des évaluations environnementales dans le cadre de projets de développement et de l’utilisation traditionnelle des terres dans la réserve de parc.
Aux termes de l’ERA, Parcs Canada a l’obligation de recommander au Parlement que la Loi sur les parcs nationaux du Canada soit modifiée afin qu’elle s’applique à la réserve de parc national.
L’ERA permet également qu’un bénéficiaire de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador exerce ses droits de récolte aux termes de l’accord final dans la zone de la réserve de parc national visée par l’entente avec les Inuits du Labrador. Dans les autres zones de la réserve, les Inuits sont réputés à toutes fins être des utilisateurs traditionnels des terres d’après le protocole d’entente fédéral-provincial. Aux termes de ce protocole, les activités traditionnelles comprennent la pêche, la cueillette de petits fruits, la chasse, la trappe, la coupe du bois pour utilisation personnelle et le camping. Il y a aussi le transport et l’utilisation d’armes à feu et de munitions pour la sécurité personnelle, la chasse et la trappe.
Le CGC appuie le projet de loi S-14, qui permettra que la Loi sur les parcs nationaux du Canada s’applique à la réserve de parc national. Cela fera en sorte que les terres seront entièrement protégées aux termes de cette loi et donnera lieu à un régime de réglementation uniformisé. Ceci contribuera à protéger le troupeau menacé de caribous des bois des Monts-Mealy.
Les Inuits du Labrador jouissent déjà d’une bonne relation de travail avec Parcs Canada compte tenu de leur expérience concernant le parc national des Monts-Torngat. Nous aimerions grandement poursuivre cette collaboration en ce qui a trait à la réserve de parc des Monts-Mealy. Merci.
Miles Anderson, éleveur local du parc national des Prairies et membre du Comité consultatif sur la nature du Canada, à titre personnel : Bonjour, sénateurs et sénatrices.
Cela fait environ un siècle que ma famille gère les terres qui se trouvent dans la région du parc national des Prairies. Ce travail n’a jamais été facile, mais d’une génération à l’autre, nous avons trouvé un système qui nous permet de gagner notre vie sans perturber complètement les processus naturels qui contribuent à la résilience des prairies. Nous élevons du bétail non naïf, ce qui aide.
Les programmes gouvernementaux ont toujours eu tendance à transformer l’utilisation des prairies. C’est ce qui s’est passé jusqu’à 1980 environ. Certaines zones n’ont pas été utilisées et sont donc demeurées intactes. Deux d’entre elles sont les blocs est et ouest du parc national des Prairies.
L’attitude des gouvernements est en train de changer. Ils ont maintenant un certain respect pour le travail que nous effectuons en tant que gestionnaires des terres. Je vais vous épargner les détails concernant ce qui a contribué à modifier la relation, mais je peux vous dire qu’il n’y a rien de plus satisfaisant que de voir des recherches universitaires confirmer les connaissances anecdotiques. Ma famille appelle l’« Université de Rock Creek » cette école où l’on apprend à la dure les connaissances anecdotiques.
J’appuie ce projet de loi parce que le régime foncier constitue et constituera toujours un enjeu. Le projet de loi met en place les terres que le vendeur consentant souhaitait au moment de la vente. Le territoire fera probablement partie d’une zone clé pour la biodiversité et sera au cœur de la Central Grasslands Roadmap, la feuille de route des prairies centrales, une initiative conjointe du Canada, des États-Unis et du Mexique pour protéger les oiseaux chanteurs dans leurs habitats le long de leurs routes migratoires.
Notre ferme d’élevage et le parc national des Prairies ont conclu une entente de collaboration sur le broutage du bétail sur les terres du parc. Cette entente permet au parc de répondre aux besoins des tétras des armoises sur le plan de l’habitat, comme l’exige la Loi sur les espèces en péril.
Les prairies sont beaucoup plus que simplement de l’herbe. Nos connaissances sont vastes, mais nous avons encore beaucoup à apprendre. Dans le cadre de la gestion de ce territoire, nous avons décidé d’employer la stratégie des petits pas en ce qui a trait aux changements, au cas où nous commettons une erreur. En cas de doute, nous maintenons le cap. Ce que nous apprenons peut être appliqué à une zone beaucoup plus grande, ce qui permet de prendre de l’expansion sans faire l’acquisition d’autres terres. Peut-être que la biodiversité que nous protégeons ici aura de la valeur ailleurs.
Ce territoire dispose de riches ressources paléontologiques à découvrir, qui font partie des fossiles du Canada et du monde. Il y a aussi des sites archéologiques dont il faut faire état. En raison de l’absence de glaciation, tout se trouve assez près de la surface, de sorte que nous pouvons observer l’évolution de la vie sur terre.
La protection que prévoit cette mesure législative obligera le parc à s’occuper de ces ressources. Ce territoire est pratiquement exempt de développement. Nous n’avons pas besoin de grand-chose pour effectuer notre travail en tant qu’éleveurs. Le financement est habituellement restreint, alors il n’y a pas grand-chose qui se fait. Le gouvernement dispose de beaucoup d’argent et il peut construire bien des choses en peu de temps. Cela peut se révéler une bonne chose, mais pas dans tous les cas. Selon mon expérience, le gouvernement nous entend, mais il ne nous écoute pas. Il pense que nous, les gens locaux, ne comprenons pas les besoins du Canada. Nous sommes fiers de notre petit coin de paradis, mais il inclut maintenant tout le monde.
La population locale qui profite de ce territoire s’habitue aux nouvelles règles. Lorsque tous les membres de la génération précédente nous auront quittés, personne ne se souviendra comment était ce territoire auparavant. Ce territoire d’avant fera-t-il partie des vestiges archéologiques?
Merci.
La vice-présidente : Madame Schwartz, la parole est à vous.
[Français]
Sandra Schwartz, directrice générale nationale, Société pour la nature et les parcs du Canada : Bonjour, sénateurs et sénatrices. Je vous remercie de votre invitation et de me donner l’occasion de m’entretenir avec vous aujourd’hui au sujet du projet de loi S-14.
[Traduction]
Je suis la directrice générale nationale de la Société pour la nature et les parcs du Canada. Nous sommes un organisme sans but lucratif qui n’est pas associé à Parcs Canada. De nombreuses personnes pensent que nous le sommes, mais ce n’est pas le cas. Je suis accompagnée aujourd’hui par Alison Woodley, qui est conseillère stratégique principale à notre bureau national.
J’aimerais d’abord souligner que nous sommes réunis sur les territoires non cédés ni abandonnés de la nation algonquine Anishinaabeg. Je tiens à dire que je leur suis reconnaissante pour leur gestion de ces territoires pendant des millénaires.
Je comparais aujourd’hui pour exprimer mon soutien à l’égard du projet de loi S-14. Cette mesure législative a la capacité d’assurer la protection et la conservation de paysages terrestres et marins essentiels pour nous permettre, ainsi qu’aux espèces avec lesquelles nous partageons la planète, de prospérer. C’est la raison d’être de notre organisme.
Notre objectif est d’assurer la conservation à long terme des écosystèmes, de favoriser un fort sentiment de responsabilité et de promouvoir le rapprochement entre les gens et la nature. En préconisant des mesures énergiques de conservation par zone et en établissant des partenariats de collaboration avec les collectivités autochtones, les parties prenantes et les gouvernements, notre organisme s’emploiera à créer un avenir durable afin que les générations futures puissent bénéficier d’un patrimoine naturel florissant.
Le projet de loi S-14 constitue une étape cruciale pour faire progresser les efforts en matière de conservation, en renforçant la protection à long terme de nos milieux naturels. Il assure une protection et une clarté, en permettant la création, l’expansion et la gestion efficace de parcs nationaux, de parcs urbains nationaux et d’aires marines nationales de conservation.
Le projet de loi S-14 établit deux remarquables nouvelles aires protégées en partenariat avec les collectivités autochtones, qui assurent la gestion des terres et des océans depuis des temps immémoriaux. La création de ces aires protégées est le résultat de dizaines d’années de discussions et de négociations. Nous aimerions féliciter tous ceux qui y ont participé: des gouvernements autochtones, des représentants de Parcs Canada, actuels et antérieurs, des représentants des gouvernements provinciaux et territoriaux et des collectivités locales.
Nous nous réjouissons de l’officialisation de l’expansion de huit parcs nationaux grâce à ce projet de loi ainsi que de l’importante reconnaissance dans cette mesure législative du nom complet de la réserve de parc national, la réserve d’aire marine nationale de conservation et le site du patrimoine haïda Gwaii Haanas.
Les Premières Nations, les Métis et les Inuits sont des chefs de file en matière de protection des terres et des océans au Canada. Ils travaillent à protéger de grandes parties de leurs territoires traditionnels. La gouvernance et la gestion conjointes seront essentielles à l’établissement des nouvelles aires protégées, notamment les nouveaux parcs nationaux et les nouvelles aires marines nationales de conservation. Il est également essentiel d’assurer un financement à long terme pour soutenir ces initiatives.
Nous devons absolument conserver et restaurer nos milieux naturels non seulement en raison de leur valeur intrinsèque, mais aussi en raison de leur capacité à atténuer les changements climatiques. En protégeant des écosystèmes intacts et en restaurant ceux qui se sont détériorés, nous contribuerons à accroître la séquestration du carbone et la résilience de nos paysages terrestres et marins. La création de parcs nationaux, d’aires marines nationales de conservation et d’autres aires protégées soutient la biodiversité et la résilience écologique en plus de favoriser le bien-être économique et social.
Les parcs et d’autres aires protégées offrent des avantages socioéconomiques. Ils contribuent à créer des emplois, particulièrement dans les régions rurales et éloignées. Une étude menée en 2019 par Parcs Canada a révélé que chaque dollar investi par cette agence se traduit par une augmentation de 3 $ du PIB canadien, que ces programmes soutiennent près de 40 000 emplois équivalents temps plein et que plus de 40 % des investissements effectués par l’agence ont bénéficié à différents ordres de gouvernement sous la forme de recettes fiscales.
Le financement destiné à des programmes autochtones contribue à créer des emplois importants et intéressants dans des collectivités éloignées et à soutenir les pratiques de gérance et les pratiques culturelles traditionnelles, qui sont essentielles au bien-être des collectivités. Les programmes des gardiens constituent un outil très efficace pour s’assurer que les parcs et les aires protégées sont gérés efficacement par ceux qui connaissent le mieux ces aires. Investir dans les parcs et les aires protégées correspond à investir dans l’environnement, dans l’économie et dans nos collectivités.
Je tiens à souligner que ce projet de loi constitue un pas important du processus visant à respecter les engagements du Canada envers la protection de la nature afin de mettre fin à la perte de biodiversité, mais ce n’est qu’un seul pas. Il sera primordial de financer et de soutenir les efforts de conservation des Premières Nations, des Métis et des Inuits dans l’ensemble du Canada si nous voulons réussir.
Nous encourageons également le gouvernement fédéral à continuer de travailler avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et des organismes de la société civile comme le nôtre dans le cadre de l’engagement qu’il a pris de protéger au moins 30 % des terres et des océans d’ici 2030, notamment grâce à la création d’au moins 10 nouveaux parcs nationaux, 10 nouvelles aires marines nationales de conservation et 15 nouveaux parcs urbains nationaux, gérés conjointement avec les peuples autochtones.
Ce travail est essentiel pour renverser l’effondrement de la biodiversité, s’attaquer aux changements climatiques et faire progresser la réconciliation avec les peuples autochtones, tout en appuyant les possibilités économiques.
Je vous remercie beaucoup d’avoir pris le temps de m’écouter ce matin
La vice-présidente : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à Mme Michelin.
Premièrement, j’aimerais savoir si vous êtes entièrement satisfaite de la protection des terres et des animaux qu’assurera la création de ce parc en particulier. Vous avez parlé du caribou, mais nous avons lu sur le site Web de Parcs Canada que les aires protégées, comme les parcs nationaux, ne sont souvent pas connectées à d’autres milieux naturels et que des activités humaines, par exemple, peuvent avoir lieu autour des parcs nationaux. Cela entraîne l’isolement des animaux sauvages, qui sont coupés du paysage environnant. Ils doivent se déplacer d’un habitat à l’autre. Cette situation semble très difficile pour les animaux sauvages.
Est-ce que le projet de loi S-14 s’attaque à ce problème? Comment cela est-il pris en compte dans le projet de loi?
Mme Michelin : Selon nous, le régime de réglementation uniforme est l’un des éléments avantageux du projet de loi. D’après ce que je comprends, étant donné que la réserve de parc ne relève pas actuellement de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, ce sont des règlements provinciaux qui s’appliquent. Il y a donc un mélange de différents régimes de réglementation qui s’appliquent en matière de protection, par exemple, des caribous dans le parc.
Nous espérons que lorsque la réserve de parc relèvera de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, ce sera le règlement d’application de cette loi qui s’appliquera dans le cas de tout ce qui concerne la protection de la faune, plutôt que différents régimes de réglementation.
Le sénateur Arnot : Nous accueillons de remarquables témoins aujourd’hui. J’ai des questions pour chacun d’eux, mais durant ce premier tour, je vais m’adresser uniquement à M. Anderson.
Monsieur Anderson, je tiens à ce que mes collègues sachent que vous avez largement contribué à changer les perceptions, car le bétail n’est plus perçu comme étant une menace à la conservation, mais plutôt comme faisant partie de la solution dans la région, surtout lorsqu’il est question de l’intégrité du parc national des Prairies et des tétras des armoises, qui sont en voie de disparition. Il est remarquable que votre famille ait réussi à survivre en élevant des brouteurs dans le sud-ouest de la Saskatchewan pendant plus d’une centaine d’années. Vous n’avez pas de doctorat, mais je vous considère comme le titulaire d’un doctorat de l’Université de Rock Creek, compte tenu de vos connaissances et de votre expérience. Vous êtes un ardent défenseur des parcs et de l’environnement et vous vous intéressez particulièrement à la préservation des sites archéologiques.
Compte tenu de votre expérience en tant qu’éleveur dans la région du parc national des Prairies, quel est votre point de vue au sujet de la réglementation actuelle sur le broutage dans les parcs nationaux et de ses répercussions sur les efforts de conservation et l’agriculture locale?
Deuxièmement, quelle est votre opinion au sujet de l’incidence de la réglementation régissant les parcs sur les collectivités et les écosystèmes locaux? Comment trouver un juste équilibre entre la protection nécessaire de l’environnement et les activités économiques locales?
Si vous voulez parler de quoi que ce soit d’autre, n’hésitez pas à le faire. Prenez votre temps. Merci.
M. Anderson : Merci pour vos questions.
L’une des réponses à toutes ces questions est que nous n’accordons pas suffisamment de valeur aux prairies. Nous faisons brouter les vaches pour améliorer les prairies, et si cela peut faire en sorte que l’écosystème fonctionne mieux, nous devrions continuer de le faire.
Dans le cas des bisons, il a fallu 10 000 ans d’évolution. Dans le cas des bovins, il a probablement fallu seulement 150 ans. Les tempêtes de 1897 et de 1906 et 1907 ont tué pratiquement toute forme d’animaux d’élevage dans les plaines. Ils ne savaient pas quoi manger ni comment survivre, mais les bovins se sont améliorés.
Je crois que c’est une combinaison de facteurs. Nous essayons continuellement d’adapter les terres aux animaux. Il faut réfléchir à cela et plutôt faire en sorte que les animaux s’adaptent aux terres. C’est en partie ce qui a contribué à notre réussite. Cela n’a rien à voir avec ce que j’ai fait, mais plutôt avec ce que mes ancêtres ont fait, car ils s’en sont remis à la sélection naturelle.
Le lien avec les prairies, c’est que nous pouvons travailler de concert avec une équipe de spécialistes, comme les écologistes et les biologistes, qui ont des moyens d’action que les éleveurs n’ont pas. Nous pouvons tirer des enseignements de cette collaboration pour en venir à savoir que si nous faisons telle ou telle chose à tel ou tel moment, nous obtiendrons tel ou tel résultat, et ce, pour toutes les espèces comme la pie-grièche migratrice, qui ont besoin de notre aide.
Si les valeurs de la collectivité locale ne se limitent pas à l’agriculture, alors nous allons sans doute mettre à contribution ces spécialistes pour exercer une surveillance et mener des études. On pourrait voir le tout comme une mesure d’atténuation, ou quelque chose du genre. Il y a d’autres façons d’exploiter le potentiel de ce territoire. Nous misons uniquement sur sa valeur agricole, et c’est la seule que nous reconnaissons. Y a-t-il un autre sujet sur lequel je peux essayer de vous éclairer?
Le sénateur Arnot : Certainement, mais je ne sais pas si j’ai encore assez de temps. J’aimerais que vous nous décriviez quelques-unes des découvertes que vous avez faites. Vous connaissez l’existence de sites archéologiques autochtones. Estimez-vous qu’ils sont maintenant adéquatement identifiés et protégés? Avons-nous besoin d’une réglementation plus rigoureuse en la matière?
M. Anderson : Je crois que ces sites sont effectivement identifiés et traités de façon conséquente. Je ne pense pas que tout le monde soit vraiment au courant, et peut-être que c’est une bonne chose. J’ai rencontré des gens sur le terrain qui m’ont posé toutes sortes de questions concernant des sites dont ils connaissaient l’existence, mais qu’ils étaient incapables de trouver. J’ai pu les aider en leur faisant part de quelques-unes de mes observations, et je m’en réjouis. Au fil des 30 dernières années, les relations entre Parcs Canada et les gens qui habitent le territoire se sont nettement améliorées. Selon moi, on fait vraiment le nécessaire à ce chapitre.
Le sénateur Arnot : De mon côté, je me réjouis vraiment de votre contribution à cette initiative, car c’est un parc unique au monde, et vous le comprenez très bien. Il est primordial que vous continuiez à vous exprimer en faveur du Parc national des Prairies. Je vous remercie beaucoup de votre apport, et je vous prie de bien vouloir continuer dans le même sens pour le bien-être futur de ce parc.
M. Anderson : Je vous remercie.
La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés et bienvenue au Sénat.
Il est possible que vous ne puissiez pas me répondre, mais ma question porte sur la reconnaissance territoriale et l’utilisation de l’expression « depuis des temps immémoriaux ». On utilise ce terme pour faire valoir que les titulaires de droits habitent le territoire depuis toujours, et que leurs coutumes, leurs modes de gouvernance et leur toponymie existaient avant les premiers contacts. C’est un constat très important, surtout dans une région où il y a un parc. J’ai à ce sujet certaines inquiétudes que j’ai déjà exprimées. Nous avons un groupe qui ne jouit d’aucun droit reconnu, mais qui est tout de même inclus dans ce projet de loi. J’ai demandé au ministre comment cela avait pu arriver.
Comment peut-on concilier cette notion des « temps immémoriaux » avec les définitions données dans le projet de loi pour les activités traditionnelles et les utilisations traditionnelles des terres? Les termes « traditionnel » et « temps immémoriaux » ont un sens très rapproché. Pouvez-vous nous en dire plus long à ce sujet?
Mme Schwartz : Je vais essayer d’amorcer une réponse que ma collègue pourra peut-être compléter.
Nous sommes conscients que cette question est depuis très longtemps au cœur des discussions concernant la réserve de parc national des Monts-Mealy, et nous sommes largement favorables à l’approche adoptée pour ce site.
Nous entendons certes les revendications en vue d’un dialogue plus approfondi pour ce qui est des détails, et nous espérons, le cas échéant, que cela se fasse rapidement de telle sorte que le projet de loi puisse aller de l’avant à un rythme convenant à toutes les parties en cause. En revanche, nous ne sommes pas vraiment en mesure de discuter des détails du dossier, ce que pourront faire sans doute d’autres témoins que vous entendrez plus tard aujourd’hui.
La sénatrice McCallum : Est-ce que quelqu’un d’autre parmi nos témoins aurait des observations à faire?
M. Anderson : Permettez-moi de vous dire que je suis à même de comprendre où vous voulez en venir. Les choses peuvent se compliquer même lorsqu’il s’agit simplement de renommer un ruisseau. Il a fallu des efforts considérables pour régler la question de Rock Creek. On lui avait par erreur donné le nom de Morgan Creek sur une carte, si bien que chaque fois qu’un fonctionnaire fédéral parlait de ce cours d’eau, il l’appelait Morgan Creek. Il y a bel et bien un ruisseau du nom de Morgan Creek aux États-Unis qui rejoint Rock Creek au Canada sur une distance d’environ un demi-mille. Il a fallu quelque chose comme 25 à 30 ans pour corriger cette erreur. Je peux seulement vous souhaiter la meilleure des chances si vous comptez vous lancer dans un exercice semblable.
La sénatrice McCallum : Merci.
Le sénateur D. Patterson : Je veux remercier nos témoins. J’aimerais adresser ma question à Mme Loretta Michelin, présidente du Conseil de gestion coopérative.
Madame Michelin, vous avez parlé dans votre exposé de l’entente qui a été signée pour tenir compte des intérêts des Inuits en les reconnaissant comme étant les utilisateurs de ce territoire. Vous avez aussi souligné que les Inuits ont une bonne relation de travail avec Parcs Canada.
Pour la gouverne du comité, j’aimerais que vous puissiez nous dire qui sont exactement ces Inuits auxquels vous avez fait référence dans vos observations préliminaires.
Mme Michelin : Il s’agit des Inuits visés par l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador, le traité moderne qui a été signé. Ils sont les bénéficiaires de cet accord qui relève du gouvernement du Nunatsiavut.
Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur D. Patterson : Oui, il y a donc seulement un groupe inuit dont il est question pour ce parc. C’est bien cela?
Mme Michelin : Oui, il s’agit des Inuits qui sont bénéficiaires de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador.
La vice-présidente : Est-ce qu’il y a d’autres questions pour nos témoins?
Merci beaucoup. Les sénateurs ne vont pas manquer de prendre en considération vos contributions.
Dans notre second groupe de témoins, nous accueillons, de la Nation innue, l’honorable Peter Penashue, c.p., négociateur, en compagnie de M. Larry Innes, conseiller juridique; et, du NunatuKavut Community Council, M. Todd Russell, président, accompagné de M. Derek A. Simon, conseiller juridique.
Chaque organisation a droit à cinq minutes pour présenter ses observations préliminaires. Monsieur Penashue, vous avez la parole.
L’hon. Peter Penashue, c.p., négociateur, Nation innue : [Le témoin s’exprime en langue autochtone.]
Je m’appelle Peter Penashue. Je suis le fils de Francis Penashue. Mon grand-père s’appelait Matshiu Penashue, et c’est avec lui que j’ai grandi sur le territoire de Akami-Uapishku.
Le père de Matshiu Penashue était Penashuet; ses parents étaient Sebastien et Shanut. Le père de Shanut était Pien Pastitshi, qui est mon arrière-arrière-grand-père.
Pien Pastitshi vivait sur un territoire que l’on connaît maintenant sous le toponyme anglais de North River. En innu, on disait plutôt Nekaustuk-shipu. La famille arpentait les Wonderstrands.. Nous sommes chanceux que cela ait été documenté par nos aînés dans les années 1970. Le dernier Innu à avoir quitté la baie Sandwich a été Shimun Pasteen. C’était aussi l’arrière-petit-fils de Pien. Après avoir vécu dans le secteur de la baie Sandwich, il est allé dans une région se situant entre deux villages qu’on appelle maintenant Cartwright et Rigolet.
Si je vous raconte tout cela, c’est que bien des gens au sud du Labrador ne cessent de répéter que les Innus ne sont jamais allés plus au sud et à l’est.
La Nation innue représente les Innus du Labrador, un peuple autochtone dont le Canada a reconnu les droits en vertu de l’article 35. La Nation innue a une entente de principe en vue de la conclusion d’un accord moderne sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale avec le Canada et la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Cet accord devrait être signé sous peu dans sa version définitive.
La réserve de parc national Akami-Uapishku-KakKasuak-Monts-Mealy est reconnue par le Canada comme faisant partie intégrante du Nitassinan, le territoire ancestral des Innus. Akami-Uapishku est un élément culturel, historique et naturel qui occupe une place cruciale au cœur de notre patrimoine. Ce nom signifie « montagnes aux cimes blanches ». J’ai passé la plus grande partie de ma vie dans ce secteur. C’est un lieu qui est animé par le souvenir de mes ancêtres, et il demeurera très présent dans l’avenir de mes enfants.
La Nation innue a joué un rôle déterminant dans la création de la réserve de parc national. Ce projet n’aurait jamais pu se concrétiser sans le soutien des Innus. L’entente de transfert de terres avec la province et l’entente avec les Innus sur les répercussions et les retombées du parc ont été annoncées simultanément au moment de la création de la réserve de parc national en juillet 2015.
Ces ententes témoignent de la recherche minutieuse d’un juste équilibre entre les intérêts de la Nation innue et ceux du gouvernement du Nunatsiavut qui sont des titulaires de droits en vertu de l’article 35 et des autres groupes locaux. Nous avons tous convenu que les résidents permanents ayant une connexion directe avec le parc allaient pouvoir continuer d’y mener certaines activités traditionnelles après sa création. Cela témoignait du consensus qui s’est dégagé après plus d’une décennie d’études et de discussions entre le Canada, la Nation innue, le gouvernement de Nunatsiavut et des groupes d’utilisateurs locaux, y compris l’organisation qui porte maintenant le nom de Conseil communautaire NunatuKavut, ou CCN.
La définition établie dans l’accord sur le transfert de terres de 2015 précise que seuls les résidents à long terme des collectivités visées sont considérés comme étant des utilisateurs traditionnels. Cela inclurait les nombreux membres du CCN qui vivent depuis longtemps dans ces collectivités. Personne n’a jamais affirmé que tous les membres du CCN pouvaient figurer dans la liste des utilisateurs traditionnels.
Malheureusement, le libellé proposé pour l’article 14 aurait pour effet de reconnaître à tort la totalité des membres actuels et futurs du Conseil communautaire NunatuKavut à titre d’utilisateurs traditionnels des terres, ce qui conférerait à ces 6 000 membres des droits officiels à l’intérieur de la réserve de parc national.
Nous sommes d’avis que l’on irait à l’encontre des ententes conclues et des objectifs de la Loi sur les parcs nationaux du Canada en allant de l’avant avec l’article 14 proposé dans sa forme actuelle. En outre, il deviendrait ainsi plus difficile pour le Canada de conclure un accord final avec la Nation innue.
La semaine dernière, nous avons entendu le ministre déclarer qu’il était essentiel de maintenir la distinction entre les titulaires de droits et les utilisateurs locaux et qu’il était disposé à modifier le projet de loi à cette fin. Nous partageons cet avis et faisons valoir que les dispositions concernant Akami-Uapishku devraient être changées pour maintenir plutôt les définitions du concept d’utilisateur traditionnel qui ont été établies dans les ententes de transfert de terres de 2015.
[Tshinashkumitanau.] Merci.
La vice-présidente : Merci.
Todd Russell, président, NunatuKavut Community Council : Nakurmiik, madame la présidente et honorables sénateurs. Je m’appelle Todd Russell. Je suis un fier Inuk et je viens d’une longue lignée d’Inuits. Je me présente devant vous à titre de président du Conseil communautaire NunatuKavut, ou CCN, qui représente quelque 6 000 Inuits du sud et du centre du Labrador.
Le CCN appuie le projet de loi S-14 dans sa forme actuelle, et tout particulièrement les dispositions concernant la réserve de parc national des Monts-Mealy. NunatuKavut est le terme innu désignant notre territoire ancestral. Nos ancêtres ont maintenu des liens profonds et étroits avec les terres et les eaux du NunatuKavut depuis des temps immémoriaux, soit depuis longtemps avant l’arrivée des Européens. Les Inuits du NunatuKavut sont les bénéficiaires du traité conclu par les Britanniques et les Inuits en 1765. Ce traité est bien documenté. Notre peuple continue aujourd’hui à en respecter les dispositions et à en commémorer la signature.
Bon nombre de nos familles et de nos membres ont vécu les répercussions des pensionnats et pourraient vous en décrire les conséquences à long terme, y compris la perte de la langue, les sentiments de déconnexion et les mauvais traitements sous différentes formes. En septembre dernier, la province de Terre-Neuve-et-Labrador a présenté aux Inuits du NunatuKavut des excuses concernant les pensionnats indiens qui sont venues s’ajouter à celles formulées par le fédéral en 2017.
C’est par un recours insidieux à différentes formes de colonisation que l’on a cherché à détruire nos modes ancestraux de gouvernance en essayant de nous imposer des lignes directrices quant à la façon de nous prendre en main et de nous occuper de nos proches et de nos terres. Aujourd’hui, nos gens se lèvent, plus décidés que jamais à ne plus permettre qu’on les déplace à l’intérieur de leurs propres territoires. Nous sommes déterminés à faire en sorte que nos générations futures puissent vivre, apprendre et croître dans les mêmes endroits où nos ancêtres l’ont fait. Nous sommes solidaires de nos gens et veillons à défendre leurs droits à titre d’Inuits.
Ce n’est pas d’hier que nous nous employons à obtenir la reconnaissance du gouvernement du Canada et du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador. Notre conseil a été mis sur pied dans les années 1980, et nous avons présenté notre première revendication territoriale globale au gouvernement fédéral en 1991 en faisant valoir notre héritage inuit. Nous avons réalisé de nombreux progrès importants en parvenant à être reconnus par les tribunaux, les commissions et les Nations unies. Nous avons aussi conclu différentes ententes à long terme aussi bien avec le fédéral qu’avec la province. En 2019, nous avons signé un protocole d’entente avec le Canada aux fins de la réconciliation. Ce protocole d’entente nous reconnaît comme étant un collectif autochtone pouvant détenir des droits en vertu de l’article 35.
Notre peuple a des liens de longue date avec les terres, les eaux et les glaces dans la réserve de parc national des Monts-Mealy et aux alentours. Les modes d’utilisation des terres fondés sur les connaissances traditionnelles se sont toujours traduits par des activités soutenues de chasse, de cueillette et de piégeage par les Inuits du NunatuKavut. Qui plus est, ils sont nombreux à vivre dans les collectivités se trouvant dans la réserve de parc ou à proximité. Nous connaissons très bien nos terres ancestrales, et nous sommes déterminés à défendre ces terres en même temps que les membres de notre peuple. Nous ne pourrons jamais accepter les stratégies d’exclusion et les tentatives de déplacement de nos populations sur notre propre territoire à des fins politiques.
Le CCN a joué un rôle déterminant dans la création de ce parc, comme en témoignent nos discussions avec Parcs Canada qui se poursuivent depuis plus de 20 ans. En 2015, le CCN et Parcs Canada ont conclu un protocole d’entente établissant un cadre de consultation et de gestion coopérative qui reconnaît les droits des Inuits sur le territoire du parc. Nous n’accepterons rien de moins.
Le Conseil communautaire NunatuKavut a collaboré de bonne foi avec Parcs Canada aux fins de la mise en œuvre de ce protocole d’entente qui prévoit notamment la création d’une commission de concertation pour le NunatuKavut. Le protocole d’entente permet à nos gens de mener leurs activités traditionnelles comme le propose le projet de loi S-14. Celui-ci fait du parc des Monts-Mealy une réserve de parc national bénéficiant de l’entière protection de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, le tout étant assujetti aux revendications autochtones encore à régler. En l’espèce, il y a deux revendications territoriales en souffrance, soit la nôtre et celle de la Nation innue, qui n’en sont pas rendues à la même étape du processus.
Le projet de loi confirme que les utilisateurs traditionnels des terres peuvent mener leurs activités traditionnelles. La définition retenue à cette fin s’applique autant aux utilisateurs traditionnels autochtones que non autochtones, et l’inclusion des membres du CCN à titre d’utilisateurs traditionnels des terres respecte les dispositions du protocole d’entente.
Nous avons déjà obtenu aussi bien du Canada que des tribunaux que l’on nous reconnaisse à titre de titulaires de droits autochtones. Il reste à déterminer la nature exacte de ces droits et qui en sont les bénéficiaires. Ce sont les questions encore à régler. Notre inclusion parmi les utilisateurs traditionnels des terres nous permet de poursuivre nos activités traditionnelles pendant que ces pourparlers continuent.
Si l’on modifiait le projet de loi pour supprimer le libellé reconnaissant que les membres du CCN sont des utilisateurs traditionnels des terres, nous nous retrouverions avec moins de droits que les utilisateurs allochtones. Cela nous ramènerait à l’époque où Parcs Canada nous évinçait de nos territoires autochtones en essayant de rompre tout lien avec nos terres, nos glaces et nos eaux. Il s’agirait en outre pour le Canada d’un manquement à l’honneur de la Couronne et à ses obligations en vertu du protocole d’entente, en plus d’une violation de nos droits conférés par traité.
Les protections obtenues dans le cadre du projet de loi S-14 sont le résultat de nombreuses décennies de dur labeur. C’est le fruit d’une collaboration entre tous les ordres de gouvernement et les groupes et gouvernements autochtones. Les membres de la communauté ont été fortement mis à contribution. Il sera important que le Sénat reconnaisse et souligne l’ampleur des efforts déployés pour en arriver à la création de cette réserve de parc.
En conclusion, nous vous soumettons que le libellé du projet de loi S-4 devrait être adopté dans sa forme actuelle, bien qu’il ne soit pas parfait pour ce qui est de la réserve de parc national des Monts-Mealy.
Je vous remercie de votre attention, et je serai ravi de répondre à toutes vos questions. Nakurmiik.
La vice-présidente : Merci.
[Français]
Nous allons passer à la période de questions.
[Traduction]
La sénatrice White : Merci à nos témoins. Comme je viens moi-même de Terre-Neuve-et-Labrador, je suis assurément bien au fait du travail que vous accomplissez tous les deux.
Ma question est pour M. Russell. Merci de votre exposé et merci également pour les documents que vous nous avez transmis par courriel hier soir et encore ce matin. Je suis heureuse de constater que notre société en est arrivée à un stade où il est possible de communiquer ainsi les uns avec les autres.
Je me dois de situer un peu les choses dans leur contexte avant de poser ma question. Comme vous le savez, une bande sans assise territoriale existe depuis 2009 dans la portion insulaire de Terre-Neuve-et-Labrador. Dans le cadre de ce processus, quelque 100 000 individus ont demandé à être reconnus comme Indiens inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens. En tant que femme micmaque qui était une Indienne avant qu’il soit devenu à la mode de l’être, j’ai beaucoup de difficulté à admettre qu’un insulaire sur cinq a le statut d’Indien.
Nous savons que l’on a fait fausse route en permettant que ces Indiens inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens prennent la place qui nous revient en prétendant perpétuer nos traditions alors que cela n’a rien à voir avec la réalité. Ce nouveau phénomène des « prétendus Indiens » est très préoccupant. Je n’aime d’ailleurs pas particulièrement l’utilisation du qualificatif « prétendus », car il atténue la gravité de ce qui se passe. C’est un peu comme si on parlait d’enfants qui font semblant de jouer aux Indiens, alors qu’il est en fait question de fraude. Il est frauduleux d’affirmer à tort que vous avez tel ou tel statut. Les préjudices causés à la population insulaire, celle dont je parle ici, sont donc gigantesques, car on prend notre place en nous rayant de la carte.
Je devrais préciser que ni le comité ni le Sénat du Canada ne peuvent déterminer si l’identité d’une personne est légitime. Nous n’avons pas le droit de dire qui elle est ou non. Cependant, en tant que membre du comité et personne originaire de l’île qui connaît très bien vos deux organisations, je pense que nous devons comprendre la façon dont le groupe du peuple inuit du NunatuKavut que vous représentez maintenant, monsieur Russell, était autrefois l’Association des Métis du Labrador. Si vous pouviez nous aider à comprendre, je pense que ce serait très utile pour moi aussi.
M. Russell : Je remercie la sénatrice White. Je vous suis reconnaissant de la question. Tout d’abord, permettez-moi de vous féliciter pour votre nomination. Vous faites partie des nouveaux sénateurs. Je tiens donc à le souligner.
Je vous remercie de la question. Il est certain qu’elle revient parfois. Je pense que nous devons replacer ce que vous avez dit dans son contexte. Vous avez décrit votre réalité et ce qui se passe avec les Mi’kmaqs de l’île. Bien sûr, le récit ne se résume pas à ce que vous avez raconté. Vous avez parlé de 2009, mais l’histoire de la reconnaissance de l’identité des Mi’kmaqs s’est certainement déroulée à la fin des années 1960, dans les années 1970 et jusqu’aux années 1980. C’est dans ce contexte politique que je veux vous raconter notre histoire au sein du NunatuKavut.
Il y a eu beaucoup de formations politiques à la fin des années 1960 et dans les années 1970. Des groupes ont vu le jour afin de lutter pour la reconnaissance du peuple et de ses droits. Des groupes nationaux et régionaux ont été créés. Des groupes locaux précis ont été mis sur pied dans tout le pays, et la situation était certainement en mouvement dans la province elle-même, comme l’a décrit la sénatrice White. Il y avait des organisations mi’kmaqs sur l’île. Il y avait des organisations inuites au Labrador, à savoir l’Association des Inuits du Labrador. Il y a déjà eu une organisation appelée Indian and Metis Association of Newfoundland and Labrador, qui, d’après ce que j’ai compris, représentait même à l’époque des Mi’kmaqs, des Innus et d’autres nations. L’organisation politique, le militantisme politique et la représentation politique étaient donc en mouvance. La situation n’était pas différente pour le Labrador ou notre peuple.
De nombreuses organisations ont vu le jour chez les Inuits, au Labrador. L’Association des Inuits du Labrador a été créée au début des années 1970 et ciblait les Inuits de la côte Nord du Labrador. À l’époque, on se demandait s’il fallait ou non inclure les communautés et les Inuits du Sud. Finalement, l’Association des Inuits du Labrador a refusé. Par conséquent, beaucoup d’Autochtones du centre et de la côte Sud du Labrador n’étaient pas représentés. Qui étaient ces personnes? Il s’agissait d’Inuits et de métis habitant la côte du Labrador. Dans notre peuple, nombreux sont ceux qui partagent la généalogie, l’histoire et la culture de ce qui est aujourd’hui le Nunatsiavut, sur la côte Nord.
C’est à cette époque particulière en pleine ébullition que notre peuple, qui n’était pas représenté, a décidé de se réunir. Qui a participé aux premières réunions visant à créer une organisation qui a fini par être connue sous le nom d’Association des Métis du Labrador? Il s’agissait des Inuits du centre et du sud du Labrador, principalement des métis. Ils ont formé un groupe appelé « Métis », à une époque où ce terme était certainement prôné par le gouvernement fédéral. Si une personne ne faisait pas partie à l’époque d’une organisation inuite ou autochtone, où pouvait-elle aller? Qui pouvait la représenter? Où pouvait-elle trouver les ressources nécessaires pour faire valoir ses droits et être représentée? Voilà pourquoi les gens de l’époque ont adopté le terme « Métis » et ont formé l’Association des Métis du Labrador, mais cela ne change rien à notre identité. Cela n’a jamais changé notre histoire, notre culture et notre langue. Par exemple, je peux dire ici aujourd’hui que nous faisons beaucoup d’efforts pour revitaliser l’inuktitut, car c’est notre langue ancestrale. C’est ce travail qui fait de nous des Inuits.
Alors que nous peaufinions notre formation politique et notre gouvernance, nous avons soumis une revendication territoriale en 1991. Elle était fondée sur nos droits inuits, notre identité inuite, notre culture inuite et notre patrimoine inuit. Depuis, nous n’avons cessé de promouvoir et de renforcer notre gouvernance inuite et notre mode de vie inuit.
En 2010, nous avons changé de nom, passant de l’Association des Métis du Labrador à la nation des Métis du Labrador, pour devenir le Conseil communautaire NunatuKavut, afin de mieux refléter notre identité inuite et notre gouvernance inuite resserrée. Vous savez maintenant comment ce terme est apparu et a influencé certaines discussions, selon moi.
Mais je peux affirmer sans l’ombre d’un doute qu’au début des années 1980, il n’y avait pas un groupe non autochtone qui essayait de concocter une histoire et une identité qui nous auraient rendus autochtones d’une manière ou d’une autre. Et puis, à un moment donné, le même groupe se serait réuni et aurait dit : « Oh, ma foi, nous devrions maintenant tous nous identifier différemment. »
Ce n’est pas ce qui s’est passé. Notre histoire ressemble à beaucoup d’autres au pays. Vous pouvez voir le même phénomène dans les Territoires du Nord-Ouest. De grandes organisations métisses se sont formées là-bas dans les années 1980, et aujourd’hui, beaucoup de ces personnes se retrouvent dans d’autres organisations autochtones.
La vice-présidente : Monsieur Russell, j’ai une liste de sénateurs qui veulent poser des questions.
M. Russell : C’est vrai, je suis désolé.
La vice-présidente : C’est très intéressant. Je ne voulais pas vous interrompre...
M. Russell : J’espère que mes propos contribuent à répondre à la question, mais je vous remercie de l’avoir posée. J’espère que cela permettra aux gens de mieux comprendre notre histoire.
La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur.
Le sénateur MacDonald : Je pense que je vais également adresser ma question à M. Russell. Je vais me lancer dans des questions d’appartenance autochtone. Je dois dire que je n’ai aucun intérêt à ce chapitre et que je n’ai aucune idée préconçue là-dessus.
Monsieur Russell, dans votre mémoire au comité, vous faites référence à la reconnaissance de l’enracinement historique du NunatuKavut par la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996. Au fil des ans, des collègues comme le sénateur Patterson m’ont appris que l’Inuit Nunangat est très vaste et s’étend du Labrador au nord du Québec, puis jusqu’au Nunavut et aux Territoires du Nord-Ouest. Je dois dire qu’il est assez impressionnant de voir comment les Inuits, qui constituent une population relativement petite répartie sur un territoire immense, peuvent rester aussi soudés et unis, en dépit d’une zone géographique aussi impressionnante.
Je pense que ma question est la suivante : si vous avez pu démonter un enracinement historique, comme vous le décrivez, et que vous avez une forte identité inuite, comment se fait-il que le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, Natan Obed, continue de qualifier vos revendications d’illégitimes? Et pourquoi votre communauté inuite est-elle apparemment la seule à être isolée de l’ensemble de la communauté de l’Inuit Nunangat?
M. Russell : Pour ce qui est de la façon de procéder ou des motivations de M. Natan Obed, seul lui peut y répondre.
Je suis d’accord avec vous. Notre communauté a l’enracinement historique et la cohésion sociale nécessaire, comme l’a dit la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996, pour que nous correspondions à la définition de « nation » qui est proposée par la Commission...
Le sénateur MacDonald : Ce n’est pas moi qui le dis. Je vous cite.
M. Russell : En effet, c’est ce qu’a dit la Commission royale.
Pour ce qui est de votre description de l’Inuit Nunangat, je dirais que celui-ci se trouve sur notre territoire, étant donné que Nunangat signifie « la patrie ». Il ne fait aucun doute que les Inuits étaient au centre et au sud du Labrador, qu’ils y sont et qu’ils y resteront. Nous n’allons nulle part. C’est notre terre, notre maison. Pour ce qui est de nous opposer à une certaine définition de l’Inuit Nunangat, nous faisons partie de la patrie inuite. Nous en faisons partie intégrante.
Quant à votre commentaire sur le fait que nous ne serions pas acceptés par la société, c’est une question très intéressante. Il existe une réalité au Labrador, à savoir que de nombreux membres du NunatuKavut sont aujourd’hui liés par le sang, la culture et la langue à ceux qui font partie du Nunatsiavut. C’est une réalité. Par conséquent, si M. Natan Obed ou quelqu’un d’autre au sein du Nunatsiavut nous renie, il renie en fait sa propre famille et ses proches. Je trouve assez aberrant, pour être tout à fait franc avec vous, que des gens fassent ce genre d’allégations sur leur propre famille.
Monsieur, tout ce que je peux vous dire, c’est que les Inuits étaient sur la côte du Labrador, dans la région où je vis, dans la région où vivent mes parents et mes grands-parents, et où vivaient mes arrière-arrière-grands-parents, mes arrière-arrière-arrière-arrière-grands-parents et mes ancêtres. Les Inuits sont là et y étaient avant les Européens.
Je suis ici aujourd’hui en tant que témoin pour montrer que nous existons toujours dans ces régions et ces sphères, comme le reste de mon peuple. Je veux témoigner de notre présence, de notre identité et de notre place.
Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais vous poser ma question en français.
Franchement, c’est vraiment très difficile pour nous, qui ne sommes pas autochtones, ici, d’arriver à saisir les arguments et les conséquences de ce que vous dites. Il y a, en ce moment, effectivement, plusieurs groupes autochtones qui cherchent à être reconnus. Ici, on travaille dans le cadre d’un projet de loi sur un parc national afin de protéger le territoire, ce qui est l’un de vos buts, j’imagine, et qui permet des activités traditionnelles.
Le projet de loi, tel qu’il est, vous empêche-t-il de mener des activités traditionnelles à l’intérieur du parc? Si oui, pourquoi? Qu’est-ce que vous voulez comme reconnaissance avant même que vos droits soient reconnus de façon officielle?
Excusez-moi si je fais des erreurs. C’est un dossier que je ne maîtrise pas dans sa totalité, mais j’essaie de comprendre les incidences directes de ce que vous dites sur la création de ce parc qui, en effet, veut respecter les espèces animales et les modes de vie traditionnels.
[Traduction]
M. Russell : Je vous remercie de cette question, qui est importante.
Le parc a été créé de manière à respecter tous les peuples autochtones qui ont un rapport avec lui depuis longtemps. Je pense que le projet de loi essaie également de comprendre qu’il peut y avoir des non-Autochtones attachés à ces secteurs.
En ce qui concerne le parc, le projet de loi prévoit une catégorie d’« utilisateur traditionnel ». L’objectif est de comprendre quelles sont les activités exercées par notre groupe dans le parc, par exemple, pour en tenir compte afin de préserver ces liens.
Nous comprenons évidemment l’importance d’avoir une telle catégorie d’utilisateur traditionnel pour ce parc. Elle nous permet de poursuivre certaines de nos activités traditionnelles pendant que nous réglons des questions plus générales concernant les droits des Autochtones.
La sénatrice Miville-Dechêne : Cependant, le libellé actuel du projet de loi vous empêche-t-il d’exercer une activité traditionnelle dans le parc?
M. Russell : Le projet de loi lui-même permettra l’exercice d’une activité traditionnelle dans le parc, et notre protocole d’entente avec Parcs Canada nous donnera les piliers et les fondements juridiques grâce auxquels nous pourrons nous rendre sur place et exercer ces activités.
Je dirais que la seule contrainte est la présence d’une liste de 12 ou 13 activités traditionnelles prescrites. Or, d’autres activités pourraient être envisagées, et nous aimerions avoir la possibilité de nous entendre avec Parcs Canada. De notre point de vue, le protocole d’entente que nous avons conclu avec Parcs Canada nous donne la possibilité d’explorer cette question avec le ministère.
En résumé, le projet de loi lui-même fait un bout de chemin en reconnaissant les activités traditionnelles pouvant être exercées par des utilisateurs traditionnels. Ces liens pourraient être renforcés tant ils sont importants pour la conservation et toutes les valeurs que nous voulons faire valoir dans le parc. Je vous remercie.
La sénatrice McCallum : J’ai déjà rencontré les représentants du Congrès des peuples autochtones, ou CAP, un groupe de Terre-Neuve. Je leur avais alors demandé comment ils désignaient leurs membres. À ce jour, je n’ai jamais su comment c’est fait. Je veux juste mettre cela au clair.
Je voudrais revenir à la question que j’ai posée ce matin à propos des « temps immémoriaux » et de l’importance de ce terme puisqu’il désigne une époque avant les premiers contacts. Lorsque vous parlez d’un Métis, ce peuple n’était pas là avant les premiers contacts, mais est arrivé après. Peu importe le nombre d’ancêtres qu’on a, ou qui ont été contactés, ce sang ne représente pas les temps immémoriaux à leurs yeux. Ce n’est pas le cas.
Ma question s’adresse à M. Penashue. Quelle est l’importance de la notion de « temps immémoriaux », et que signifie-t-elle pour les Premières Nations et les Inuits, qui sont les titulaires de droits au pays?
M. Penashue : L’article 35 est fondé sur les droits des peuples autochtones qui existaient avant l’arrivée des Européens. Les groupes autochtones doivent remplir des critères pour satisfaire à cette exigence.
Le groupe de Todd Russell, le NunatuKavut, a essuyé quatre refus. Il n’a pas satisfait aux critères à quatre occasions. Le gouvernement libéral a refusé trois fois, et le gouvernement conservateur, une fois. Le groupe n’a pas rempli les critères.
Ce qui s’est passé au Labrador, comme vous l’avez souligné, est extraordinaire. Un phénomène se produit au Canada, et je ne sais pas qui va l’arrêter, mais des groupes autochtones surgissent de partout, et le Labrador n’y fait pas exception. Un nouveau groupe s’est apparemment formé dans la Basse-Côte-Nord du Québec, à partir du modèle du NunatuKavut.
Le NunatuKavut est mieux structuré et mieux organisé que tous les autres groupes au pays, car il compte 6 000 membres qui votent en bloc. Le gouvernement libéral en est terrifié. Voulez-vous un siège au Labrador? Vous allez devoir vous plier aux désirs du NunatuKavut. Le gouvernement sait qu’il ne peut pas passer par la porte d’entrée, parce qu’il n’est pas admissible. Que fait-il? Il encourage toujours le groupe à passer par la porte arrière. Et c’est le cas aujourd’hui.
Nous ne savions pas que le NunatuKavut serait mentionné dans ce projet de loi lorsque nous avons passé des heures et des heures à négocier avec le parc national. Nous avons accueilli ses représentants à Cartwright, et il n’a jamais été question du NunatuKavut. Lundi dernier, nous avons toutefois appris que celui-ci était au cœur du projet de loi. Nous nous sommes immédiatement précipités à Ottawa pour témoigner devant le comité et lui faire savoir que c’est inacceptable et que ce n’est pas ce qui a été négocié. Nous avons passé des heures et des heures dans des salles de conférence avec les responsables des parcs nationaux des provinces canadiennes pour nous assurer que le libellé convenait à tous.
Nous avons été abasourdis de constater que le NunatuKavut est au centre du projet de loi et que le peuple inuit est mis de côté. Qu’est-ce qui cloche? Il y a quelqu’un au gouvernement — Yvonne Jones est-elle si influente qu’on puisse exclure les Innus et ajouter le NunatuKavut, un nouveau groupe qui n’est pas reconnu en vertu de l’article 35 et qui n’existait pas avant 1980? C’était un groupe de Métis qui s’est transformé en groupe d’Inuits uniquement parce qu’il n’y a pas d’argent à gagner en étant Métis. Il n’y a ni programmes, ni services, ni processus de revendications territoriales pour eux. Oh, puisqu’il n’y a rien ici, allons là-bas. Rejoignons le groupe inuit. Or, celui-ci ne reconnaît pas le NunatuKavut.
Le Conseil circumpolaire inuit ne reconnaît pas le NunatuKavut. Le Nunatsiavut ne reconnaît pas le NunatuKavut. Le groupe de Natan Obed ne le reconnaît pas non plus. Qui reconnaît le NunatuKavut? Pourquoi faire tant d’histoire? Ces gens ont provoqué des changements fondamentaux au Labrador, en particulier dans les régions où se déroulent des processus légitimes de revendication territoriale. Qui va les arrêter? Qui a le courage? La situation devient incontrôlable. Ce n’est pas seulement au Labrador, mais dans tout le pays. Il faut que quelqu’un y mette un terme.
Un jour, les contribuables vont devoir dire « Attendez un peu », et tout le monde sera touché. Les groupes autochtones légitimes en subiront les conséquences.
La vice-présidente : Je vous remercie.
M. Penashue : Ce qui se passe n’est pas réaliste.
Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins. J’aimerais poser quelques questions à M. Penashue.
Monsieur, dans votre rôle de négociateur pour la Nation innue, comment percevez-vous l’équilibre entre la réglementation sur les parcs nationaux et la préservation de la culture innue et de leurs droits territoriaux? D’après votre expérience, quelle incidence la réglementation sur les parcs nationaux aura-t-elle sur les utilisations et les pratiques traditionnelles des terres innues? Y a-t-il des avantages et des inconvénients?
J’ai également une question à l’intention de M. Russell. De votre point de vue, en tant que président du Conseil communautaire NunatuKavut, comment la réglementation sur les parcs nationaux influence-t-elle l’accès et l’utilisation des terres traditionnelles par votre communauté? Quels sont les avantages et les inconvénients potentiels de la réglementation des parcs nationaux sur les efforts déployés pour préserver la culture et l’environnement?
Voilà mes deux questions. Je sais qu’il y a un conseiller juridique ici. Si possible, j’aimerais que M. Innes parle, selon ce que dit M. Penashue, du contexte juridique de ces règlements et de leur incidence sur les droits issus de traités ou les droits des Autochtones. M. Penashue pourra répondre à ce volet.
Monsieur Russell, je sais que M. Simon est ici, et j’aimerais savoir, d’un point de vue juridique, quelles sont les principales considérations à prendre en compte pour trouver un équilibre entre certains objectifs de conservation de l’environnement ainsi que les droits et les pratiques traditionnelles.
M. Penashue : Permettez-moi de commencer par dire que quand nous avons entamé le processus relatif aux revendications territoriales en 1990, nous l’avons fait dans le but de protéger le plus de terres possible durant cette période, afin que ces terres soient là pour nos enfants et nos petits-enfants.
Nous avons assisté à une réunion ici, à Ottawa. Les agents du ministère des Affaires indiennes, à l’époque, nous ont dit que la superficie des terres était établie en fonction de la taille du groupe. En regardant les chiffres, nous avons constaté que les terres qui nous seraient accordées seraient très petites. C’était très décevant. Nous étions bouleversés.
Pien Penashue, l’un des descendants de Pien Pastitshi d'Akami-Uapishku, a participé à cette réunion. Pendant que nous discutions des moyens de protéger la plus grande superficie de terres possible, le sujet du parc national a été soulevé. Nous nous sommes demandé si c’était une solution à envisager. Pien s’est levé et a dit : « Oui, explorons les possibilités qu’offre le parc national. Travaillons à en faire une réalité et à protéger nos droits à l’intérieur du parc. »
Nous avons rencontré le directeur général de Parcs Canada l’après-midi même. C’était au milieu des années 1990. C’est à ce moment-là que nous avons commencé à mener des études de faisabilité. Depuis 20 ans, nous réalisons des études de faisabilité, en nous efforçant d’inclure toutes les parties ayant un lien avec le parc national. C’est la raison pour laquelle nous avons fait un compromis pour les gens de Cartwright, les gens qui habitent près du parc national. Nous n’avons pas nommé « NunatuKavut »; nous avons parlé de la population locale. Voilà pourquoi nous avons été choqués d’apprendre que le Conseil communautaire NunatuKavut occupait une place centrale dans le projet de loi. Ce n’est pas ce qui a été négocié, ni dans les protocoles d’entente ni dans l’Entente sur les répercussions et les avantages d’un parc.
Les droits liés aux parcs nationaux se rattachent au processus relatif aux revendications territoriales. Il est question de terres visées par l’entente conclue avec la Nation innue. Nous avons des droits dans les régions visées; c’est la raison pour laquelle nous avons fait un compromis pour les gens de Cartwright.
Maintenant, on propose d’ajouter un nouveau groupe de 6 000 membres, sans que la proposition ait fait l’objet d’une réflexion approfondie. Si le projet de loi est adopté tel quel, 6 000 personnes pourraient construire des cabanes, ou des familles faisant partie de ce groupe de 6 000 membres. Elles en auraient le droit en vertu de la loi. Ce n’est pas ce qui était prévu.
Le sénateur Arnot : Monsieur, vous êtes très contrarié par la situation. Vous avez fait part de vos préoccupations au ministre. Comment a-t-il réagi?
M. Penashue : Quand nous avons discuté avec le ministre, il s’est montré très préoccupé. Il se pose la même question que nous. Il ignore comment cette disposition s’est retrouvée dans le projet de loi. Comment?
Les responsables du parc national ne le savent pas, et maintenant, ils lancent des accusations : « C’est lui. »; « Non, c’est elle. » Quelqu’un va sans doute perdre son emploi, et maintenant, ils portent des accusations.
Il faut de la coordination. Pendant des années, nous avons discuté avec Parcs Canada de l’évolution du projet et des étapes à franchir pour en arriver jusqu’ici. Puis soudain, un nouvel élément surgit.
Le sénateur Arnot : C’est une surprise pour vous.
M. Penashue : Tout à fait. On ne nous a même pas consultés. En vertu de l’entente, pour toute modification proposée, nous devons être consultés. Nous l’avons appris par l’intermédiaire de gens qui faisaient de la recherche.
M. Russell : Je vous remercie pour la question. Soyons clairs : notre revendication n’a jamais été rejetée. Vous pouvez chercher dans toutes les archives que vous voulez. Le CCN n’a jamais reçu de lettre l’informant que sa revendication était rejetée. La seule réponse que nous avons reçue, c’est que nous pouvions entamer d’autres processus pour fournir des renseignements supplémentaires afin de faire avancer notre dossier. En 2019, nous avons signé un protocole d’entente avec le Canada sur la reconnaissance des droits ancestraux et l’autodétermination. Ce protocole d’entente reconnaît que nous sommes un groupe autochtone digne de détenir des droits en vertu de l’article 35. Il précise aussi qu’il reste des détails à régler, y compris par rapport aux bénéficiaires et à la nature des droits. Voilà où en est la revendication.
Pour ce qui est de Parcs Canada, il ne faut pas manquer de toupet pour venir ici et déclarer : « Nous venons d’apprendre que le Conseil communautaire NunatuKavut était compris dans le projet du parc. » En 2015, nous avons signé avec Parcs Canada un protocole d’entente définissant notre participation et notre rôle dans le parc. Il y est question de notre identité inuite, de nos liens et de nos objectifs. Le protocole d’entente parle des activités traditionnelles des Inuits du NunatuKavut.
Ainsi, la situation ne devrait prendre personne par surprise. Nous ne sommes pas un nouveau groupe. Je le répète, nous occupons le territoire depuis belle lurette. Mon peuple a toujours été ici. Nous connaissons les terres; nous connaissons nos parents; nous connaissons notre famille; nous connaissons nos traditions; et nous avons une langue, l’inuktitut.
Voilà les faits...
Le sénateur Arnot : J’aimerais obtenir une précision. Vous êtes maintenant au fait des préoccupations de M. Penashue. Elles ont été portées à l’attention du ministre. Avez-vous eu des discussions avec le ministre au sujet de ces enjeux et des solutions possibles?
M. Russell : Je n’ai pas parlé directement au ministre, mais nous avons certainement eu des discussions avec les responsables du ministère. Ce qu’on nous a dit, c’est que le protocole d’entente et notre droit de poursuivre nos activités traditionnelles dans les limites du parc seront maintenus, que des amendements soient apportés au projet de loi ou non. C’est ce que les agents de Parcs Canada nous ont dit.
Le projet de loi vient enfin concrétiser l’entente conclue en 2015, soit il y a huit ans.
Le sénateur Arnot : Je cède le reste de mon temps de parole aux autres sénateurs. Merci.
Le sénateur Wells : J’ai une question pour M. Innes, conseiller juridique de la Nation innue.
Monsieur Innes, quelles sont les répercussions juridiques de la version actuelle du projet de loi S-14? À votre avis de juriste, quelles modifications pourraient être apportées aux dispositions litigieuses?
Larry Innes, conseiller juridique, Nation innue : Je vous remercie pour la question, sénateur Wells.
Comme M. Penashue l’a souligné, le statut du Conseil communautaire NunatuKavut et de ses membres suscite une vive controverse. Leur revendication territoriale n’a pas été acceptée, et ils ne sont toujours pas reconnus comme détenant des droits en vertu de l’article 35. Ce processus relève de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord, et non du ministère de l’Environnement. Le projet de loi vise à instituer la réserve de parc national Akami-Uapishku et à ajouter ce territoire à l’annexe 2 de la Loi sur les parcs nationaux du Canada.
D’un point de vue juridique, il ne convient pas de trancher sur des questions liées aux droits dans une telle mesure. Pourtant, le projet de loi propose d’ajouter à la définition des utilisateurs traditionnels des terres l’ensemble des membres de la société sans but lucratif qu’est le Conseil communautaire NunatuKavut. À notre avis, c’est complètement inacceptable. Comme M. Penashue l’a dit, les protocoles d’entente de 2015 dont parle M. Russell sont fondés sur une définition du terme « utilisateur traditionnel » qui a été élaborée dans le cadre d’une étude de faisabilité menée par un comité directeur composé de représentants de la Nation innue, de Parcs Canada, de la province de Terre-Neuve-et-Labrador, du gouvernement du Nunatsiavut et, en effet, du CCN, qui s’appelait à l’époque la Nation des Métis du Labrador.
Durant ce processus et dans les recommandations, il n’a jamais été question de considérer les membres d’une société sans but lucratif comme des utilisateurs traditionnels. Les documents comprennent une liste de communautés définies, ainsi qu’une liste de critères. Les définitions se trouvent dans l’accord de transfert de terres, l’instrument juridique en vertu duquel l’administration et le contrôle des terres ont été transférés de la province de Terre-Neuve-et-Labrador au Canada pour la création du parc national.
Le projet de loi S-14 propose d’élargir la définition du terme « utilisateur traditionnel des terres » en y intégrant, au moyen de l’alinéa b), l’ensemble des membres du Conseil communautaire NunatuKavut, peu importe leur lieu de résidence ou leur lien avec le parc.
Comme les questions précédentes de certains sénateurs l’ont montré, le membrariat de cette organisation est extrêmement nébuleux. La Nation innue ne connaît ni l’identité de ses membres, ni leur lieu de résidence, ni la nature ou l’importance de leurs liens d’appartenance autochtone. Le doute plane sur tous ces détails. Aux termes de l’accord de transfert de terres de 2015, les conditions à remplir pour être considéré comme un utilisateur traditionnel des terres se rapportent au lieu de résidence et à la période de résidence sur le territoire visé.
Ce sont les conditions que toutes les parties à l’entente ont acceptées, et d’après nous, ce sont aussi les conditions qui devraient se retrouver dans le projet de loi.
Le sénateur Wells : Je vous remercie pour votre réponse. Ainsi, ce que vous dites, c’est qu’il vaudrait mieux supprimer les dispositions ayant un effet à long terme pour le Conseil communautaire NunatuKavut et régler ces questions par l’intermédiaire d’un autre ministère ou au moyen d’une loi ou d’une entente différente. Est-ce exact?
M. Innes : Oui. Permettez-moi de fournir plus de détails sur le processus. À l’heure actuelle, le Conseil communautaire NunatuKavut n’est pas reconnu comme détenant des droits en vertu de l’article 35. M. Russell a fait très attention d’utiliser la tournure « digne de détenir des droits en vertu de l’article 35 », ce qui n’est pas synonyme d’en détenir réellement. Au Labrador, les deux groupes qui détiennent des droits en vertu de l’article 35 sont la Nation innue et le gouvernement du Nunatsiavut.
Les membres de ces organisations peuvent exercer leurs droits protégés par la Constitution dans les limites de la réserve de parc national conformément au traité et à l’Entente sur les répercussions et les avantages d’un parc conclus par le gouvernement du Nunatsiavut, et conformément, pour la Nation innue, aux traités progressifs, à l’Entente sur les répercussions et les avantages d’un parc et à l’accord définitif, qui devrait être conclu en 2024.
De son côté, le CCN doit continuer à essayer de démontrer qu’il remplit les conditions requises pour être considéré comme détenant des droits en vertu de l’article 35. C’est ce qu’il essaie de faire depuis 1991. S’il y parvient, il y a un processus à suivre pour que le gouvernement du Canada reconnaisse et protège ses droits. Ce processus, ce n’est pas la Loi sur les parcs nationaux du Canada. Comme M. Penashue l’a dit, il s’agit à nos yeux d’un moyen détourné de régler la question.
Le sénateur Wells : Merci beaucoup.
[Français]
L’honorable Michèle Audette : Je remercie la sénatrice Anderson de m’autoriser à être ici [mots prononcés en innu-aimun].
[Traduction]
J’ai dit en innu : « Bienvenue à vous deux. »
Je vais essayer de contenir mon émotion parce que le Nitassinan, c’est chez moi, c’est mon identité, c’est ma culture. C’est aussi un lieu qui me rappelle que nous sommes forts de 10 000 ans d’existence, de beauté et d’autonomie.
En même temps, j’ai été présidente de Femmes autochtones du Québec. Je comprends qu’il s’agit d’un mouvement, d’un organisme sans but lucratif. Je sais que l’Alliance autochtone du Québec, un membre du Congrès des peuples autochtones, ferait du très bon travail, mais je sais aussi que nous ne sommes pas un gouvernement. Dans mon monde, nous ne pouvons pas faire semblant d’être un gouvernement. Au Québec, il y a même une organisation appartenant au CPA qui a perdu sa cause devant les tribunaux. Ce n’est pas une nation, et elle ne peut pas faire semblant d’être un gouvernement ou une nation. C’est une réalité que je comprends et qu’il faut respecter.
Ainsi, monsieur Penashue, à la lumière du fait que les organisations sans but lucratif ont le droit d’exister, d’accomplir de bonnes choses et de jouer un rôle, comment peut-on veiller à ce que le projet de loi ou d’autres projets de loi... Il faut offrir de la protection et éviter l’exclusion, mais il faut aussi comprendre qui devrait être inclus et qui devrait être un partenaire. C’est pour cela que je suis ici aujourd’hui.
Comment peut-on éviter de répéter pareille situation gênante? Les fonctionnaires ne comprennent pas parce qu’ils ne connaissent pas la vraie histoire, mais leurs intentions sont bonnes. Comment les sénateurs peuvent-ils prévenir qu’une telle situation se reproduise, que ce soit dans ce cas-ci ou dans le cas d’autres projets de loi? Pour collaborer de nation à nation, il faut travailler avec les gouvernements et non se fier aux protocoles d’entente, qui n’ont pas force exécutoire. Comment peut-on assurer la collaboration de gouvernement à gouvernement?
M. Penashue : [Mots prononcés dans une langue autochtone.]
Ce que je veux dire, c’est que même si aucune somme d’argent n’était associée au parc national ou à la relation avec le gouvernement, nous serions Innus. Nous étions là quand il n’y avait pas d’argent. Nous venons d’un milieu très pauvre. Dans les années 1960 et 1970, nous n’étions même pas considérés comme des Autochtones parce que Terre-Neuve est devenue une province canadienne en 1949. Nous n’étions pas reconnus.
Nous étions donc Innus. Nous sommes restés ensemble; nous avons chassé et pêché ensemble; nous avons vécu dans la pauvreté ensemble. C’est seulement récemment que nous avons commencé à négocier pour recevoir une part des avantages découlant de l’exploitation des ressources du secteur minier et de l’hydroélectricité, et que les gouvernements ont commencé à reconnaître que nous tirions notre épingle du jeu. Même si le projet tombait à l’eau ou s’il n’y avait pas d’argent, nous serions Innus. Nous serons toujours là. Je ne peux pas en dire autant pour ce groupe. S’il n’y avait pas d’argent, il disparaîtrait. Des groupes jaillissent partout au pays parce qu’il y a de l’argent. S’il n’y avait pas d’argent, vous n’entendriez pas parler de ce groupe.
Je ne sais pas qui mettra un terme à tout cela. C’est ce que vous demandez. Saviez-vous que si l’Assemblée des Premières Nations appliquait le principe « une personne, une voix », c’est Terre-Neuve qui déciderait du chef national — Terre-Neuve — en raison des chiffres? C’est rendu ridicule. Personne ne dit rien parce que les gens sont de plus en plus nombreux à se manifester par intérêt pour l’argent. C’est très préoccupant, et il se passe la même chose au Labrador.
La sénatrice Audette : Ce que je veux savoir, c’est ce qu’on peut faire pour éviter de reproduire pareille situation.
M. Penashue : N’employez pas des moyens détournés. Si le Conseil communautaire NunatuKavut veut être reconnu comme étant un groupe autochtone, qu’il utilise les bons moyens au lieu de passer par différents projets et d’avoir recours à des moyens détournés, comme il le fait actuellement. Son comportement est contrariant. Si un groupe veut être reconnu, qu’il emploie les bons moyens pour parvenir à ses fins. S’il réussit, tant mieux; sinon, il n’est pas admissible.
M. Russell : Sénatrice, merci de la question. Le Conseil communautaire NunatuKavut, l’allégation selon laquelle nous choisissons en quelque sorte une certaine organisation pour avoir de l’argent... Je peux vous dire, monsieur Penashue, que nous survivons avec très peu depuis si longtemps que nous savons comment faire notre chemin avec vraiment très peu ces jours-ci, et je comparerais notre budget avec n’importe quel autre budget. Nos frères et nos sœurs inuites au Nunatsiavut ont un budget de 100 millions de dollars, tandis que celui du NunatuKavut Community Council est de 10 ou 15 millions de dollars.
Ce n’est pas la raison pour laquelle nous sommes ici. Je suis ici pour défendre les droits et la reconnaissance de notre peuple. J’ai entamé mon cheminement personnel dans ce dossier en 1992 et je le poursuis depuis. Notre peuple est ici depuis des temps immémoriaux, et nous nous battons pour défendre notre mode de vie. Nous pouvions exercer notre libre arbitre et prendre nos propres décisions dans les années 1700, nous pouvions encore le faire dans les années 1800 et nous le faisons encore aujourd’hui. Nous sommes qui nous sommes. Nous n’allons nulle part. Nous sommes inuits. Nous sommes les descendants d’Inuits. Nous sommes sur les terres de nos ancêtres. Nous ne sommes pas partis. C’est ce que nous sommes.
M. Penashue : Pourquoi alors ne vous reconnaît-on pas si c’est vrai?
La vice-présidente : Merci. Nous avons encore deux sénateurs qui veulent poser des questions. Il ne nous reste que six minutes. Donc, si vous êtes d’accord, nous allons passer au sénateur Patterson.
Le sénateur D. Patterson : Je vais essayer d’être bref. Vous avez parlé du protocole d’entente de 2019 avec le Canada, et il reste alors deux points à aborder : la nature de vos droits et les bénéficiaires de ces droits.
Au paragraphe 21, le protocole d’entente stipule aussi qu’il est souhaitable que l’utilisation commune — c’est essentiellement de cela que nous parlons aujourd’hui — fasse directement l’objet de discussions entre votre groupe et les groupes touchés, qui seraient les détenteurs de droits, la nation innue et les Inuits du Nunatsiavut. Ce que je veux savoir, c’est à quel point ces discussions ont progressé? Où en êtes-vous?
M. Russell : Merci beaucoup. Je signale que dans d’autres ententes, comme l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador, il y a également des dispositions concernant des pourparlers et des discussions sur l’utilisation commune. Il y en a même dans l’entente de principe de la nation innue.
Le sénateur D. Patterson : Où en êtes-vous rendus?
M. Russell : Nous nous sommes penchés sur certaines questions au fil des ans; nous avons examiné ensemble des initiatives. Pour ce qui est discussions sur les droits fonciers, il n’y en a pas eu. Nous avons communiqué avec différents groupes. Aujourd’hui, je tends encore une fois la main à M. Penashue. S’il y a des discussions que nous pouvons avoir avec son organisation, je serais ravi de le faire pour régler nos différends, et c’est la même chose pour le Nunatsiavut. Mais jusqu’à maintenant, ces discussions n’ont pas eu lieu.
Le sénateur D. Patterson : Si je comprends bien, vous n’avez pas conclu d’ententes d’utilisation commune conformément à ce qui est prévu dans le protocole d’entente de 2019. En fait, il n’y a eu aucune discussion. Vous n’êtes même pas parvenu à un protocole d’entente sur votre souhait que la Couronne reconnaisse vos droits, et cette question — c’est une information publique — fait l’objet d’un litige qui vous oppose à la nation innue.
N’est-il pas trop tôt pour, dans la loi, ajouter votre groupe aux autres détenteurs de droits réservés aux utilisateurs traditionnels du territoire comme la nation innue et les Inuits du Nunatsiavut?
M. Russell : Laissez-vous entendre que parce que le projet de loi S-14 nous mentionne, c’est dorénavant une reconnaissance officielle de droits autochtones? Si je comprends bien l’article du projet de loi, il est vraiment question de concrétiser l’entente de transfert des terres et de reconnaître, bien entendu, le groupe d’utilisateurs traditionnels, en nous incluant. C’est aussi simple que cela. Pour le Conseil communautaire NunatuKavut, c’est un accord intérimaire qui mentionne où nous en sommes dans le processus de reconnaissance de nos droits. C’est la même chose pour le traité provisoire de la nation innue. C’est différent pour les Inuits du Nunatsiavut, car ils ont réglé leur revendication territoriale.
À propos du point que vous avez soulevé, tous les groupes ont des dispositions d’utilisation commune, même les Inuits du Nunatsiavut et la Nation innue. Sauf erreur, même dans leur contexte, ils n’ont pas conclu d’ententes d’utilisation commune. Je pense que dire qu’on n’a pas conclu d’entente ici, et ce que cela signifie de toute façon, au bout du compte... C’est ce qui arrive dans toutes sortes de contextes. Ce n’est pas seulement ainsi pour la nation inuite du NunatuKavut et le Conseil communautaire NunatuKavut.
Il y a certainement une occasion à saisir. Je pense que nous devrions toujours pouvoir parler, nous réunir pour mieux comprendre la situation des gens et leurs priorités. C’est ce que nous proposons. Nous sommes disposés à raconter notre histoire. Je suis très heureux que votre comité nous donne l’occasion de venir nous exprimer ici.
La sénatrice McCallum : Au paragraphe 41.6(1) qui est proposé dans le projet de loi, il est écrit :
Pour l’application des paragraphes 5(1) et 6(2), les baux, permis d’occupation, servitudes, licences [...] sont réputés ne pas être des charges et ne pas avoir d’incidence sur le titre, mais dans le cas où ces terres deviennent un parc, restent valides [...]
... pour les gens qui dont déjà des droits sur ces terres. Et on ajoute maintenant le NunatuKavut. J’ai demandé si cet article ne semblait pas permettre l’ajout de non-ayants droit, et on n’a pas pu me répondre. C’est la question que je voulais poser à M. Penashue.
M. Penashue : Monsieur Innes, pouvez-vous répondre, s’il vous plaît?
M. Innes : Merci de poser la question, sénatrice. Il y a lieu de se la poser. Les cabanes au parc national bénéficieraient d’un droit acquis, sous réserve des conditions énoncées dans la Loi sur les parcs nationaux du Canada et d’autres accords.
Ce que nous craignons si le Conseil communautaire NunatuKavut est ajouté comme utilisateur des terres et si la disposition sur les cabanes qui se trouve dans le projet de loi est maintenue, c’est que cela fournisse à ses membres un moyen détourné pour établir ces permis et ces occupations au-delà de l’empreinte actuelle des cabanes.
C’était l’objet de notre entente de 2015. C’est ce que vous allez trouver dans l’entente de transfert des terres. Encore une fois, ces dispositions, à l’instar de la définition d’utilisateur traditionnel des terres, vont bien au-delà du libellé de l’entente de transfert des terres. Le projet de loi devrait en tenir compte et ignorer les ententes ultérieures ou d’autres interprétations ou manques de clarté de la part des fonctionnaires de Parcs Canada.
M. Russell : Madame la présidente, notre conseiller juridique peut-il répondre à la question? Elle est vraiment d’ordre juridique.
La vice-présidente : Oui.
Derek A. Simon, conseiller juridique NunatuKavut Community Council : Brièvement, les dispositions sur les cabanes sont assujetties au pouvoir discrétionnaire du ministre, lequel est assujetti aux objectifs de conservation prépondérants des parcs. J’ai entendu dire que des gens pensent que l’adoption du projet de loi dans sa forme actuelle se traduirait par l’établissement de 6 000 cabanes ou d’abris dans le parc. Ce n’est pas ce que dit le projet de loi. Il dit que les utilisateurs traditionnels des terres peuvent établir des cabanes ou des abris dans le parc avec la permission du ministre, qui tiendra toujours compte des objectifs de conservation prépondérants. Il est impossible qu’autant de cabanes et d’abris soient construits dans le parc.
M. Innes : Je signale que...
La vice-présidente : Merci. C’était une discussion très intéressante. Merci à tous. Les sénateurs vont tenir compte de votre contribution. Je remercie les sénateurs et les témoins de leur participation aujourd’hui.
En prévision de l’étude article par article du projet de loi S-14 le jeudi 7 décembre 2023, les membres du comité qui souhaitent proposer des amendements doivent consulter le conseiller juridique désigné du Bureau du légiste et conseiller parlementaire afin qu’ils soient rédigés dans le bon format et dans les deux langues officielles.
(La séance est levée.)