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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 13 février 2024

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 18 h 31 (HE), pour étudier de nouvelles questions concernant le mandat du comité.

Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Paul Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité.

Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

J’aimerais commencer par un petit rappel. Avant de poser des questions et d’y répondre, je demanderais aux membres et aux témoins présents de se pencher très près du microphone et de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité dans la salle.

Je demande à mes collègues du comité de se présenter en commençant par ma droite.

La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice White : Judy White, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta.

Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.

Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le président : Je souhaite la bienvenue aux témoins, à mes collègues ainsi qu’à tous les téléspectateurs de partout au pays qui regardent nos délibérations.

Aujourd’hui, le comité a invité des fonctionnaires du gouvernement à comparaître dans le cadre de son étude spéciale sur le changement climatique, plus précisément de l’industrie canadienne du pétrole et du gaz.

Nous accueillons, de Ressources naturelles Canada, Erin O’Brien, sous-ministre adjointe, Secteur des carburants, et Drew Leyburne, sous-ministre adjoint, Secteur de l’efficacité énergétique et de la technologie de l’énergie; d’Environnement et Changement climatique Canada, John Moffet, qu’on connaît presque comme un petit frère, il est souvent ici, sous-ministre adjoint, Direction générale de la protection de l’environnement; Derek Hermanutz, directeur général, Direction de l’analyse économique, Direction générale de la politique stratégique, et Lindsay Pratt, directeur, Inventaires et rapports sur les polluants, Direction générale des sciences et de la technologie; de la Régie de l’énergie du Canada Jean-Denis Charlebois, économiste en chef.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Cinq minutes sont réservées aux allocutions d’ouverture de chaque ministère. La parole est à vous, en commençant par Ressources naturelles Canada, qui sera suivi d’Environnement et Changement climatique Canada et de la Régie de l’énergie du Canada.

Erin O’Brien, sous-ministre adjointe, Secteur des carburants, Ressources naturelles Canada : Monsieur le président, merci de la présentation et de l’invitation à participer à votre étude sur les changements climatiques et le secteur du pétrole et du gaz au Canada.

Mon nom est Erin O’Brien, je suis la sous-ministre adjointe du Secteur des carburants de Ressources naturelles Canada. Mon collègue Drew Leyburne, sous-ministre adjoint du Secteur de l’efficacité énergétique et de la technologie de l’énergie de Ressources naturelles Canada, m’accompagne.

[Traduction]

Je tiens à souligner que nous nous joignons à vous aujourd’hui depuis Ottawa, sise sur le territoire non cédé des Algonquins Anichinabés.

Comme vous le savez, le Canada est l’un des principaux producteurs de pétrole et de gaz. Il est le quatrième producteur de pétrole et de gaz au monde, et son secteur pétrolier et gazier est une source importante et fiable d’énergie pour la population canadienne et mondiale. Les combustibles fossiles sont essentiels à notre vie quotidienne, notamment en tant que sources de chauffage et d’électricité dans les foyers et sur les lieux de travail, ainsi que dans les applications industrielles. Ils constituent également des matières premières nécessaires à la fabrication de matériaux essentiels et de produits à valeur ajoutée dont nous dépendons dans la vie moderne, comme les engrais, les asphaltes et les produits pharmaceutiques.

[Français]

Le secteur procure des avantages considérables aux Canadiens dans l’ensemble du pays. En 2022, il représentait environ 9 % du produit intérieur brut (PIB) nominal du Canada. De 2015 à 2019, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont reçu, en moyenne, 13 milliards de dollars par an en revenus du secteur.

[Traduction]

Le secteur emploie également des milliers de travailleurs dans tout le pays, en particulier dans les régions rurales et éloignées de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de la Saskatchewan et de Terre-Neuve-et-Labrador. En 2022, le secteur employait, directement ou indirectement, plus de 400 000 Canadiens. Il s’agit également du plus grand employeur d’Autochtones au Canada, car il a employé environ 11 000 Autochtones au cours de la même année. Toutefois, les activités de ce secteur sont aussi la plus grande source d’émissions au Canada. En 2021, celui-ci était à l’origine de 28 % des émissions.

Associés à leur combustion dans le secteur des transports, le pétrole et le gaz sont responsables de plus de 50 % des émissions globales du Canada. Il est impératif que les émissions du secteur soient réduites de manière agressive, non seulement pour la santé de la planète, mais aussi pour le maintien de la compétitivité du secteur dans un monde axé sur la carboneutralité, où une certaine demande de pétrole et de gaz devrait subsister.

Le secteur innove depuis longtemps et fait déjà des progrès en ce sens. Les grandes compagnies pétrolières et gazières se sont engagées à atteindre l’objectif de carboneutralité d’ici 2050 et s’efforcent d’atteindre des objectifs intermédiaires ambitieux. Les émissions absolues du secteur ont commencé à se stabiliser. Les entreprises ont également fait des progrès considérables au chapitre de la réduction des émissions de méthane et du torchage.

L’automne dernier, le gouvernement du Canada a publié une Feuille de route pour la décarbonation du secteur pétrolier et gazier du Canada. Elle situe le cadre réglementaire récemment publié sur le plafonnement des émissions de pétrole et de gaz dans le cadre d’une stratégie élargie qui utilise divers outils pour soutenir la décarbonation et la compétitivité du secteur pétrolier et gazier. Il s’agit notamment d’incitatifs, comme les crédits d’impôt à l’investissement, les contrats de différence et la programmation, qui peuvent réduire les risques liés aux investissements dans les technologies nouvelles et propres.

Certaines des meilleures voies vers la décarbonation nécessiteront des investissements importants dans des projets d’infrastructure à long terme, comme l’électrification et le captage et le stockage du carbone. D’autres voies sont moins coûteuses et peuvent être déployées plus rapidement avec des résultats à plus court terme, comme les solvants et les changements en matière d’efficacité énergétique.

La tarification du carbone et un large éventail de mesures réglementaires sont également essentiels à la décarbonation du secteur. Ces mesures ont été mises en place par différents ordres du gouvernement et garantiront une trajectoire prévisible de réduction des émissions d’ici 2030 et 2050.

[Français]

Ensemble, ces mesures tendent vers le même objectif, à savoir un secteur pétrolier et gazier canadien résilient et performant sur le plan environnemental et économique. Le chemin vers la transition a déjà démontré qu’il s’agissait d’un cheminement axé sur la collaboration. Pour réussir, tous les ordres du gouvernement, aux côtés de l’industrie, du secteur financier, des travailleurs, des communautés autochtones et des partenaires internationaux, doivent s’impliquer.

[Traduction]

J’ai hâte de participer à votre étude aujourd’hui et de voir les résultats de votre travail. Merci.

[Français]

Le président : Est-ce qu’un de vos collègues aurait quelque chose à ajouter?

Allez-y, monsieur Moffet.

[Traduction]

John Moffet, sous-ministre adjoint, Direction générale de la protection de l’environnement, Environnement et Changement climatique Canada : Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs.

Comme ma collègue vient de l’expliquer, en décembre, le gouvernement a publié une feuille de route qui décrit le large éventail de mesures stratégiques mises en place par le gouvernement pour soutenir la réduction des émissions dans les secteurs pétrolier et gazier. On trouve parmi celles-ci des programmes de financement, la tarification du carbone et deux nouvelles mesures réglementaires, soit des modifications apportées au règlement existant sur le méthane dans le secteur du pétrole et du gaz et un nouveau plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier. Je serai heureux de répondre à vos questions au sujet de toutes les mesures du ministère courantes ou proposées, mais j’ai pensé qu’il serait utile de faire quelques observations préliminaires au sujet des deux nouvelles mesures réglementaires, étant donné qu’elles sont tous deux en cours d’élaboration.

Tout d’abord, nous modifions le règlement sur le méthane dans le secteur pétrolier et gazier. La rédaction du règlement a été achevée en 2018. Il visait à réduire les émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier de 40 à 45 % par rapport aux niveaux de 2012 d’ici à 2025. En ce moment, le règlement ne s’applique pas en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan en raison d’accords d’équivalence qui stipulent que ces provinces mettent en œuvre leurs propres règlements pour parvenir à un résultat équivalent.

Les évaluations réalisées par Environnement et Changement climatique Canada dans chaque province indiquent que le Canada est en voie d’atteindre la réduction prévue de 40 à 45 % d’ici l’an prochain.

En décembre, nous avons publié des modifications proposées à ce règlement. Les modifications visent à réduire d’au moins 75 % les émissions de méthane par rapport aux niveaux de 2012 d’ici 2030. Nous estimons que ces modifications contribueront à réduire les émissions de 17 mégatonnes d’ici 2030 et de plus de 200 mégatonnes entre 2027 et 2040 à un coût moyen de 71 $ par tonne d’équivalent en dioxyde de carbone.

Dans le cadre de votre étude, il a beaucoup été question de la deuxième mesure, soit le plafonnement des émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier et gazier. Le Plan de réduction des émissions pour 2030 prévoit un plafonnement et contient des indications sur la façon de concevoir ce plafond. Depuis, le gouvernement travaille avec les provinces et les territoires, les nations autochtones, le secteur de l’industrie et la société civile sur le plafonnement. Le ministre a également consulté le Groupe consultatif pour la carboneutralité, lequel est indépendant.

En juillet 2022, nous avons publié un document de travail présentant deux options. Nous avons reçu plus de 150 mémoires et au-delà de 25 000 commentaires.

En décembre dernier, le gouvernement a publié un cadre réglementaire pour plafonner les émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier et gazier, expliquant que le gouvernement est en train d’élaborer un système de plafonnement et d’échange. Il s’agit d’une approche fondée sur le marché qui a fait ses preuves et qui est utilisée à l’échelle de la planète pour réduire les émissions. Elle garantit un résultat sur le plan des émissions, mais accorde de la souplesse aux installations en leur permettant d’échanger des unités d’émission et de recourir à un nombre limité d’assouplissements en matière de conformité. Les installations qui réduisent leurs émissions peuvent vendre leurs unités aux installations qui ont besoin de plus de temps pour réduire les leurs. La valeur des unités d’émission est un incitatif à investir dans la décarbonation sans imposer une date ou une technologie en particulier.

Malgré les échos entendus, le cadre réglementaire souligne que le règlement proposé imposera une limite sur les émissions, et non sur la production. Grâce à des technologies plus performantes et à une efficacité accrue, les producteurs pétrolier et gazier seront en mesure de poursuivre, voire d’augmenter la production tout en diminuant leurs émissions.

Mes collègues et moi serons ravis de répondre à vos questions au sujet de ces mesures ainsi que sur notre travail continu visant à surveiller et mesurer les émissions de ce secteur et à faire rapport sur celles-ci.

[Français]

M. Moffet : Merci.

Le président : Merci. Monsieur Charlebois, voulez-vous ajouter quelque chose?

Jean-Denis Charlebois, économiste en chef, Régie de l’énergie du Canada : Bonsoir. Je m’appelle Jean-Denis Charlebois et je suis l’économiste en chef à la Régie de l’énergie du Canada.

Merci d’avoir invité la régie à comparaître dans le cadre de l’étude spéciale du comité concernant les changements climatiques dans l’industrie canadienne du pétrole et du gaz.

Comme ma collègue l’a mentionné, j’aimerais souligner que nous sommes sur le territoire ancestral et traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.

[Traduction]

Aujourd’hui, mon intervention portera sur la mission de la Régie de l’énergie du Canada en ce qui a trait à l’information sur l’énergie ainsi que sur le rapport Avenir énergétique du Canada en 2023 — Offre et demande énergétiques à l’horizon 2050. Ce rapport explore diverses possibilités qui pourraient s’offrir aux Canadiens à long terme en matière d’énergie, y compris deux scénarios où le Canada devient carboneutre d’ici 2050.

Je serai également heureux de répondre aux questions que vous pourriez avoir au sujet de l’examen des projets de la Régie de l’énergie, un sujet que j’ai déjà abordé devant vous en décembre 2022.

La responsabilité de la Régie de l’énergie, dans le cadre du Programme d’information sur l’énergie, découle de la mission et des responsabilités qui lui sont assignées dans la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie. Il nous incombe aussi de réglementer les pipelines, les lignes de transport d’électricité et le développement énergétique pour le compte des Canadiens de manière à protéger le public et l’environnement tout en favorisant l’efficience des marchés énergétiques et de donner des avis sur des questions énergétiques.

Pour réaliser et rédiger notre analyse du marché de l’énergie, nous consultons l’industrie, des organismes gouvernementaux, des organisations non gouvernementales et le milieu de la recherche. Dans notre dernière publication, Avenir énergétique du Canada en 2023, nous nous penchons sur la difficulté de parvenir à la carboneutralité d’ici 2050. Les scénarios couvrent tous les produits énergétiques, pour la totalité des provinces et des territoires du Canada. Cette analyse se fonde sur des modèles économiques et énergétiques.

Nos modèles et nos scénarios reposent sur les meilleures données et hypothèses disponibles relativement à de futures politiques que les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient mettre en œuvre. En tant qu’organisme de réglementation, la Régie de l’énergie n’élabore pas de politiques pour l’atteinte des objectifs de carboneutralité du Canada. Nous mettons plutôt en œuvre des politiques dans la mesure où elles sont liées à notre mission.

Dans le rapport, la demande mondiale et le prix du pétrole et du gaz sont les principaux facteurs pris en compte dans les projections de l’offre. Dans nos scénarios, la demande et les prix futurs dépendent de la rigueur des politiques sur le changement climatique et du rythme auquel elles seront appliquées au pays et à l’étranger.

Dans un avenir où la demande mondiale pour les combustibles fossiles commence à diminuer en raison d’une intensification de l’action climatique, et d’après le travail de l’Agence internationale de l’énergie, nous prévoyons que les prix seront plus bas que dans des scénarios où la demande augmente. Le prix de l’énergie est au cœur des décisions d’investissement et des volumes de production projetés dans nos modèles.

Nos hypothèses prennent aussi en compte les données disponibles en mars 2023 relativement au plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier et au règlement sur le méthane, en autres politiques. Nos projections montrent aussi la façon dont l’entièreté de la filière énergétique au Canada sera transformée par des technologies émergentes tout au long de sa progression vers la carboneutralité.

Je vous en donne quelques exemples : la construction de nouvelles infrastructures énergétiques, comme celles qui produisent de l’énergie éolienne, solaire ou nucléaire; la construction de lignes électriques; les installations pour le captage et le stockage de carbone; l’électrification des appareils de chauffage des maisons et des entreprises; ainsi que l’amélioration de l’efficacité énergétique.

[Français]

La régie offre son expertise et ses connaissances au service de l’évolution de la filière énergétique canadienne vers une économie carboneutre. Nous mettons l’accent sur l’innovation, la sécurité, la compétitivité et une infrastructure de transport d’énergie sécuritaire et efficiente.

Je tiens à vous remercier de m’avoir donné l’occasion de vous parler du travail de la Régie de l’énergie du Canada. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions, et ce, dans les deux langues officielles.

Le président : Merci. Nous allons procéder à la période des questions.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Moffet.

[Traduction]

Le nouveau plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier permet à l’industrie de déployer la technologie de captage du carbone, qui est largement subventionnée par le gouvernement, afin de réduire ses émissions grâce au captage et au stockage. Vous avez comparu devant le comité le 2 novembre 2023. Tout en indiquant qu’il ne s’agissait pas de la position officielle du gouvernement, vous aviez résumé comme suit les critiques visant cette technologie :

Le grand problème dont nous entendons parler est qu’il s’agit d’un moyen très coûteux de continuer à produire du pétrole et du gaz et, fondamentalement, de lutter contre les changements climatiques. À un moment donné, le monde entier doit cesser d’utiliser le pétrole et le gaz.

Voici ma question, monsieur Moffet : croyez-vous que le captage et le stockage de carbone sont un moyen très coûteux de continuer à produire du pétrole et du gaz et, fondamentalement, de lutter contre les changements climatiques et qu’à un moment donné, le monde entier doit cesser d’utiliser le pétrole et le gaz? C’est une question facile.

M. Moffet : Oui, c’est une question facile. Mon point de vue n’a pas changé, et c’est le point de vue du gouvernement. Je crois que les coûts liés au captage et au stockage de carbone sont bien compris.

Le gouvernement, en signant l’Accord de Paris et en participant activement aux négociations sur la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, a montré clairement qu’il est impératif que la planète en arrive à une économie carboneutre d’ici le milieu du siècle. Il faudra donc trouver de nouvelles sources de carburant. Entretemps, comme ma collègue l’a indiqué, le Canada et le reste du monde devront utiliser le pétrole et le gaz.

Je vais parler brièvement du plafonnement dans le secteur pétrolier et gazier. Le plafonnement ne vise pas à lutter contre l’utilisation du pétrole et du gaz. Il y a d’autres mesures en place pour ce faire. Le plafonnement est censé réduire les émissions générées par la production continue de pétrole et de gaz.

Pour ce qui est du captage et du stockage de carbone, le plafonnement du secteur pétrolier et gazier n’est pas conçu pour privilégier une technologie en particulier. Nous avons fait des estimations, de concert avec nos collègues à Ressources naturelles Canada, et avec le soutien de la Régie de l’énergie, dans lesquelles on tient compte de la faisabilité des réductions associées à différentes technologies, y compris celle du captage et du stockage de carbone. Nous nous sommes fiés à ces estimations pour en venir à une approche pour le plafonnement.

Cela dit, le plafonnement n’imposera pas le captage et le stockage si une installation choisit ou est en mesure de réduire ses émissions au moyen d’une autre technologie. Les règlements que nous prendrons seront entièrement neutres quant à l’approche. L’unique obligation sera de réduire les émissions. En ce sens, l’incitatif sera de trouver l’approche la moins coûteuse possible.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Cela dit, vous n’interviendrez pas sur l’aspect à savoir quelle technologie est choisie.

En regardant le tableau sur la production de pétrole par type et par scénario, produit par la Régie de l’énergie du Canada, on se rend compte que les chiffres sont très évocateurs. C’est-à-dire que la production au Canada prévue pour 2050 est de 1 190 millions de barils par jour. Or, pour arriver au scénario de la carboneutralité à l’échelle mondiale, la production devra passer à 117 millions de barils par jour en 2050. Je ne vois pas comment on peut passer du premier chiffre à l’objectif mondial selon ces scénarios.

Comment allez-vous vous y prendre? Il faudrait une réduction d’environ 60 à 90 % de la production de pétrole pour arriver à ce chiffre.

Le président : À qui s’adresse la question?

La sénatrice Miville-Dechêne : À celui ou celle qui pourra y répondre.

[Traduction]

M. Moffet : Je peux peut-être commencer. Nous pouvons parler de chiffres et de projections, mais je crois que la feuille de route que le gouvernement a publiée en décembre explique en détail, tout comme le plan de réduction des émissions, que l’approche globale pour diminuer les émissions au Canada passe par la réduction des émissions associées à la production de produits de base, comme le pétrole et le gaz, le ciment, et cetera, mais aussi par la réduction des émissions associées à l’utilisation d’énergie, principalement la production d’électricité — la transition vers de l’électricité propre — et les émissions découlant de l’utilisation du pétrole et du gaz dans les processus industriels, le transport et le chauffage résidentiel.

Nous déployons une variété d’approches pour réduire au départ la production d’émissions et la demande de pétrole et de gaz. C’est la même approche qui est utilisée partout dans le monde, et c’est aussi celle que le Canada préconise auprès d’autres pays; il fournit d’ailleurs ces technologies à d’autres pays afin que ceux-ci les utilisent. Je crois que c’est la seule façon d’atteindre les objectifs à long terme dont vous avez parlé.

Pour ce qui est des chiffres que vous avez mentionnés, je laisse la parole à M. Charlebois.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est votre tableau.

M. Charlebois : Les chiffres que vous mentionnez illustrent une diminution importante de la production du pétrole au Canada. De la fin des années 2020 jusqu’en 2050, on passe de 6 millions de barils par jour à environ 1,2 million de barils par jour.

Il faut comprendre que ces chiffres sont le reflet du scénario duquel ils émergent. Le scénario de la carboneutralité mondiale reflète premièrement un environnement de prix pour le pétrole qui est fondamentalement différent de celui qu’on connaît. Le prix du pétrole aujourd’hui se situe à environ 85 dollars le baril. En 2050, on fait l’hypothèse que le prix du pétrole sera de 24 dollars le baril. Ces prix sont le reflet d’un changement dans la demande pour le produit, qui s’opère non seulement au Canada, mais aussi à l’échelle de la planète.

Ainsi, pour que les producteurs canadiens puissent continuer de produire du pétrole, ils doivent trouver des moyens plus économiques de le faire, incluant les coûts liés à la décarbonation de leurs opérations. Dans un environnement de prix à la baisse, seuls les producteurs les plus compétitifs seront en mesure de continuer de produire de façon économique. Dans notre scénario, c’est la raison majeure pour laquelle on voit une telle diminution de la production.

Ces chiffres reflètent un changement dans la dynamique de l’offre et de la demande à l’échelle mondiale. Ils sont aussi le reflet des coûts de décarbonation et des coûts auxquels les producteurs canadiens font face dans un contexte où il y a un prix sur le carbone, un plafonnement des émissions et toute une série d’autres politiques qui permettent l’émergence de nouvelles technologies, comme la capture du carbone.

Ce scénario comprend donc un ensemble de facteurs qui expliquent pourquoi on voit une telle baisse dans la production de pétrole.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Ma première question s’adresse surtout à M. Charlebois, mais je souhaite également savoir ce qu’en pensent les autres témoins.

Monsieur, vous avez parlé du document intitulé Avenir énergétique du Canada en 2023. Je crois comprendre qu’on y présente deux scénarios de carboneutralité d’ici 2050 : l’un où la carboneutralité est atteinte à l’échelle mondiale, et l’autre où seul le Canada atteint la carboneutralité. On y expose aussi une analyse économique et des prévisions pour réussir à atteindre la cible fixée.

Je m’intéresse à la diminution de l’offre et de la demande du pétrole et du gaz naturel comme sources d’énergie. Je veux que vous me donniez une idée des sources d’énergie qui, selon vous, pourraient remplacer le pétrole et le gaz naturel. J’aimerais savoir quels sont les délais envisagés, à cause de ce que cela implique pour le secteur agricole de l’Ouest canadien. Je pense aux exploitants agricoles des terres arides de la Saskatchewan, du Manitoba et de l’Alberta, et surtout à la machinerie qu’ils utilisent, comme les tracteurs, les moissonneuses-batteuses, les semoirs, les pulvérisateurs, les dépierreuses et les camions qui transportent les produits de la ferme au chemin de fer, et du chemin de fer jusqu’à un port.

Ma question s’adresse à tous les témoins. Quels programmes et outils stratégiques devrait-on mettre en place, et seraient nécessaires, pour que le secteur agricole puisse opérer efficacement la transition qu’on exige de lui?

M. Charlebois : Je vous remercie de votre question, sénateur. Je crois que je vais d’abord étoffer la réponse que j’ai donnée à votre collègue il y a un instant pour expliquer clairement que l’atteinte de la cible, dont vous avez parlé si je ne m’abuse, à savoir la carboneutralité du Canada d’ici 2050, est une contrainte stricte qui oriente notre travail. Dans le cadre de notre analyse, il fallait atteindre cette cible. Il est important de comprendre cela, car cette contrainte oriente bon nombre des résultats que nous avons obtenus.

Pour ce qui est des résultats propres au secteur des transports — ou de la machinerie lourde, qui semble être ce dont vous parlez —, on constate que le diésel est largement utilisé à l’heure actuelle, mais il y a un éventail de carburants et de technologies qui font leur apparition et qui remplaceront le diésel. Nous estimons que l’électrification des transports ainsi que l’hydrogène joueront un rôle majeur dans ce cas, surtout en ce qui a trait au transport de marchandises et à la machinerie lourde. Nous estimons que l’hydrogène répondra à 30 % de la demande d’énergie dans le secteur des transports. Je crois que cela permettra aux agriculteurs de continuer à utiliser leur machinerie et de mener les activités nécessaires à la bonne marche de leur entreprise.

Je profite de l’occasion pour aborder un autre aspect de notre étude. Nous sommes partis de l’hypothèse que les Canadiens, y compris les agriculteurs, les particuliers et les entrepreneurs, allaient continuer de recevoir les mêmes services énergétiques qu’ils reçoivent actuellement, mais que ces services s’appuieraient sur des technologies ou des carburants différents. Par exemple, nous sommes partis du principe que les Canadiens continueront à parcourir le même nombre de kilomètres dans l’avenir qu’ils le font aujourd’hui, mais que leurs véhicules rouleront à l’électricité.

Je tiens aussi à signaler l’émergence de carburants de remplacement. Dans cette veine, je crois que ma collègue, Mme O’Brien, peut parler du diésel renouvelable. Celui-ci, ainsi que d’autres produits issus de la bioénergie, jouera un rôle prépondérant dans l’ensemble des sources d’énergie qui serviront à alimenter différents types de machinerie.

Le sénateur Arnot : J’aimerais savoir ce qu’il en est du point de vue stratégique.

Mme O’Brien : Je vous remercie de votre question et de son excellente mise en contexte.

Comme l’a dit mon collègue, je crois que l’essor des carburants propres et des biocarburants représente pour l’industrie et le pays une belle occasion de décarboner l’ensemble du bouquet énergétique.

Comme l’a indiqué M. Charlebois, certains combustibles — notamment le diésel renouvelable, le gaz naturel renouvelable et le gaz d’aviation durable — produisent une quantité nettement inférieure d’émissions sur la base du cycle de vie. Certains de ces combustibles ont l’avantage d’être interchangeables, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire de modifier significativement les moteurs ou les processus industriels existants. En 2020, les biocarburants constituaient environ 5 % du bouquet énergétique principal du Canada, et nous prévoyons que cette proportion augmentera de façon considérable dans les prochaines années.

Pour revenir à votre intérêt au sujet des mesures de soutien pour les régions rurales et agricoles, sénateur, je souligne que ces combustibles sont aussi avantageux sur le plan de l’économie et de l’emploi dans ces régions, car le Canada regorge de produits issus de la biomasse qui servent à les produire. Le renforcement de nos capacités en matière de biocarburants et de carburants propres entraînera un développement économique continu, en particulier dans ces régions.

On s’attend à ce que l’hydrogène occupe une place importante dans le développement de carburants propres. Je crois que votre comité le sait bien, compte tenu de l’excellent rapport qu’il a publié sur le rôle futur de l’hydrogène. Le gouvernement fédéral a mis en place la Stratégie canadienne pour l’hydrogène en 2020, si ma mémoire est bonne. Nous travaillons justement sur un rapport d’étape qui fera état des progrès réalisés au cours des trois dernières années et des débouchés qui restent à explorer. Nous espérons publier ce rapport très bientôt.

Le sénateur Arnot : Messieurs Moffet et Hermanutz, avez-vous des observations à formuler sur les politiques, les programmes ou les mesures visant à inciter le secteur agricole à opérer ces transitions?

M. Moffet : Si vous le permettez, j’aimerais faire deux brèves remarques.

Premièrement, mis à part le changement de combustible, il faut savoir que l’agriculture elle-même est une source d’émissions, c’est-à-dire des émissions entériques qui proviennent du processus de digestion des vaches et des animaux. On peut réduire ces émissions en modifiant l’alimentation des animaux, nul besoin de remplacer le combustible pour cela. Il est vrai que le combustible constitue un aspect important de l’équation, mais ce n’est pas le seul.

Deuxièmement, dans une perspective plus large, je crois qu’il faut parler franchement et faire écho aux commentaires de l’Agence internationale de l’énergie et d’autres acteurs, qui soulignent que le gouvernement connaît déjà des carburants propres qui doivent être appuyés et adoptés. Toutefois, il est clair que nous devrons employer des technologies qui n’ont pas encore été inventées si nous voulons atteindre la carboneutralité mondiale d’ici 2050. Il faut à la fois utiliser davantage les technologies propres existantes et continuer d’investir dans la recherche et le développement pour adopter des technologies qui ne sont pas encore employées.

Derek Hermanutz, directeur général, Direction de l’analyse économique, Direction générale de la politique stratégique, Ressources naturelles Canada : Je n’ai rien à ajouter. Je pense que mes collègues ont fait le tour de la question. Merci.

Le sénateur Wells : Je remercie les témoins de leur participation à la séance. J’ai quelques questions à poser.

Madame O’Brien, vous avez dit que le secteur pétrogazier est responsable de 28 % des émissions au Canada. Pouvez-vous diviser ce pourcentage de manière à obtenir les données pour la production de pétrole et de gaz dans l’Ouest, seulement pour la Saskatchewan et l’Alberta, et dans l’Est, à savoir la production extracôtière de Terre-Neuve?

Mme O’Brien : Je dispose de quelques statistiques, mais elles ne sont peut-être pas aussi détaillées que vous le souhaitez. Je vois que mon collègue, M. Hermanutz, est en train de jeter un coup d’œil aux tableaux.

Je dirai d’emblée qu’il peut être difficile d’évaluer les émissions sur une base régionale et non par type de produit ou par sous-secteur. Dans les 28 % dont j’ai parlé, les sables bitumineux constituent la plus grande source d’émissions. Dans les statistiques que j’ai ici, on voit que les émissions absolues ont grimpé de 168 à 189 mégatonnes d’équivalent en dioxyde de carbone entre 2005 et 2021. Cependant, la majeure partie de la hausse est attribuable à l’augmentation de la production pendant cette période.

Entre 2012 et 2021, dans le secteur conventionnel, c’est-à-dire la production terrestre classique, les producteurs de pétrole et de gaz ont réduit de 24 % leurs émissions de dioxyde de carbone de portée 1, tout en augmentant de 21 % leur production totale.

L’intensité des émissions diminue dans tous les secteurs, probablement pour les raisons que nous avons énoncées sur le rendement du carburant, le remplacement de combustible et le déploiement de technologies propres. L’intensité a diminué dans tout le secteur pétrogazier, y compris pour les sables bitumineux et le secteur conventionnel.

Quant au secteur extracôtier dont vous avez parlé, c’est l’un des derniers sous-secteurs de l’industrie pétrogazière qui rejette de grandes quantités d’émissions. Je peux trouver certaines de ces statistiques si vous me donnez une minute.

Le sénateur Wells : Je vous remercie de votre réponse. Je voulais surtout parler des émissions du secteur extracôtier, principalement du torchage, qui est une procédure de sécurité. Dans le secteur des sables bitumineux, la majeure partie des émissions sont produites lors de la séparation du pétrole et du sable. C’est bien cela?

Mme O’Brien : Je pense que oui.

Le sénateur Wells : Si vous ou M. Hermanutz pouviez me fournir les données sur la répartition des 28 points de pourcentage entre la production extracôtière et la production terrestre, cette information me serait utile.

Je pense que ma deuxième question s’adresse à M. Charlebois. Pouvez-vous donner des exemples de mesures mises en place par le gouvernement pour réduire la production dans le secteur pétrogazier? Il me semble que vous avez abordé le sujet dans votre déclaration liminaire ou dans une réponse à une question d’un autre sénateur.

M. Charlebois : Mes collègues seront mieux placés que moi pour parler des intentions du gouvernement. Dans le cadre de la modélisation énergétique que nous avons effectuée, nous avons surtout modélisé des politiques qui sont déjà en place ou qui ont été annoncées, mais qui n’ont pas encore été mises en œuvre. Nous avons constaté que, à elles seules, ces politiques ne suffiront pas pour que le Canada soit carboneutre en 2050.

En plus de ces deux catégories, nous avons aussi dû employer une technique de modélisation qui tient compte du coût global du carbone pour forcer le système à devenir carboneutre d’ici 2050.

Dans l’ensemble, l’exercice tournait autour de la tarification du carbone et nous avons supposé que de nouvelles technologies propres permettraient de remplacer les hydrocarbures du côté de la demande pour utilisation finale ou, par exemple, dans le secteur de la production d’électricité. Tout au long de l’analyse, nous n’avons jamais supposé ni envisagé la volonté, réelle ou perçue, de réduire ou de cesser la production de pétrole et de gaz.

La sénatrice Sorensen : Merci. Je ne sais pas qui peut répondre à ma question, alors je la pose et j’invite quiconque peut y répondre à le faire.

En janvier dernier, en Alberta, une période de quelques jours de froid extrême de l’ordre de -40 à -50 degrés Celsius a exercé des pressions telles sur le réseau électrique que la province a dû émettre une alerte d’urgence. La faible production éolienne, la réduction de la production à partir de gaz naturel, des pannes et des problèmes liés à l’importation d’électricité depuis la Colombie-Britannique sont les facteurs qui ont contribué à la situation. Beaucoup de gens, dont de nombreux propriétaires de véhicules électriques, affirment que cela illustre combien la transition énergétique sera difficile dans les provinces des Prairies, et ils craignent que la transition soit trop rapide.

Ma question est donc la suivante. Quelles sont les mesures mises en place pour tenir compte d’un scénario comme celui-là, qui n’est pas rare dans bien des régions du Canada, ou pour s’adapter à ce genre de situation alors que le Canada cherche à délaisser le pétrole et le gaz? Est-ce que quelqu’un peut me répondre?

M. Moffet : Je peux commencer. Je vais peut-être admettre l’évidence dont personne ne veut parler, à savoir que le Règlement sur l’électricité propre, qui est le règlement que le gouvernement a présenté et publié l’année dernière et qui vise à compléter les mesures de financement et les décisions prises par les fournisseurs d’électricité provinciaux pour s’assurer que, à mesure que le réseau est renouvelé et élargi pour répondre à la demande accrue d’électrification, vise à ce que ces changements s’opèrent en vue de favoriser la production d’électricité propre.

Bien sûr, nous avons entendu bon nombre des préoccupations que vous venez d’exprimer, soit que, même si, en principe, la transition vers l’électricité propre est essentielle, elle sera le fondement d’une économie carboneutre, alors que nous commençons à conduire des voitures électriques et à chauffer nos maisons et nos bâtiments à l’électricité. À mesure que l’industrie abandonne le gaz naturel pour adopter l’électricité, nous aurons besoin de plus d’électricité, et cette électricité devra être propre. Nous devons également permettre aux provinces de continuer à exercer leurs compétences afin de gérer l’électricité de façon à continuer à fournir une électricité abordable et fiable aux propriétaires et aux entreprises.

C’était un petit préambule. En ce qui concerne ce que nous faisons, je soulignerais deux grands éléments. D’abord, nous examinons s’il est nécessaire d’assouplir les dispositions sur l’électricité propre. Je ne pense pas m’attirer des ennuis si je vous dis de patienter parce que, dans les prochains jours, vous serez informés de la direction que nous prendrons en ce qui concerne ce règlement.

Ensuite, comme le gouvernement l’a expliqué l’année dernière et qu’il continuera d’expliquer, celui-ci fournit également un soutien important aux provinces et aux fournisseurs d’électricité pour leur permettre d’effectuer la transition. Il ne s’agit pas seulement d’investir dans l’énergie solaire ou éolienne, mais aussi dans les réseaux intelligents, les batteries, les technologies de changement de combustible, etc. Le gouvernement a mis en place un ensemble de mesures pour permettre aux provinces d’investir dans ces technologies afin qu’elles puissent répondre à la demande accrue de façon à améliorer la fiabilité.

Enfin, si je puis dire, il incombe en partie aux provinces d’examiner attentivement les règles qu’elles ont mises en place pour gérer l’électricité et de déterminer si ces règles sont les bonnes, non seulement pour faire la transition vers l’électricité propre, mais aussi pour répondre à l’augmentation inévitable du nombre de situations causées par les changements climatiques que vous venez de décrire.

La sénatrice Sorensen : Vous avez fait une excellente transition vers ma deuxième question.

M. Moffet : Ce n’était pas prévu.

La sénatrice Sorensen : Non, mais je pense que ma question s’adresse également à vous. Toutefois, tout le monde peut intervenir.

L’Alberta est en voie de devenir une cheffe de file dans le secteur canadien des énergies renouvelables, et, en septembre dernier, le gouvernement du Canada a annoncé qu’il investissait dans 12 projets d’énergie propre en Alberta auxquels participent des communautés autochtones. À mon avis, il s’agit d’un excellent exemple du type de soutien fédéral qui s’impose de toute urgence dans les régions les plus touchées par l’élimination graduelle du pétrole et du gaz.

Je ne sais pas si vous pouvez nous en dire davantage à ce sujet, mais cette question m’intéresse. Je ne sais pas si vous pouvez nous donner plus de détails sur certains des projets ou si vous pouvez faire le point sur l’un des 12 projets en Alberta qui pourraient se concrétiser.

M. Moffet : Je suis désolé, mais je ne peux pas. Je n’ai pas ces informations, et je m’attendais... Il se peut que nous devions faire un suivi à ce sujet.

La sénatrice Sorensen : Oui. Je pense simplement qu’il s’agit d’une bonne nouvelle et j’en suis heureuse. Je pense que c’est exactement ce dont vous parliez, à savoir tenter de permettre aux provinces d’aller de l’avant. Si vous pouvez obtenir une réponse, c’est très bien, mais je peux aussi regarder les nouvelles.

M. Moffet : Nous pouvons fournir plus d’informations au comité. Je tiens à dire que vous avez en quelque sorte soulevé un autre point extrêmement important, soit que toutes les solutions ne mettront pas à contribution les Autochtones, mais qu’il est possible d’inclure des partenaires autochtones dans une grande partie des prochaines étapes.

La sénatrice Sorensen : Exact.

[Français]

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup à nos témoins.

[Traduction]

Ma première question s’adresse à Mme O’Brien, puis j’aurai une question pour M. Charlebois.

La lettre de mandat du ministre des Ressources naturelles indique ceci :

La science est claire. Les Canadiens ont été clairs. Nous devons non seulement continuer d’agir concrètement à l’égard des changements climatiques, mais aussi le faire plus vite et aller plus loin à ce chapitre [...] Je m’attends à ce que vous cherchiez au sein de votre portefeuille [...] des façons de soutenir nos efforts pangouvernementaux visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre [...]

C’est très bien, mais, selon un rapport publié récemment dans Science, au Canada, la pollution causée par les sables bitumineux est jusqu’à 6 300 % plus élevée que ce qui a été déclaré. Cette étude a été menée par des gens de l’Université Yale et d’Environnement Canada.

Parallèlement, le programme Copernicus de l’Agence spatiale européenne a indiqué que le Canada a produit 23 % des émissions mondiales de carbone découlant des incendies de forêt en 2023. Vous avez demandé des propositions en réponse au plafonnement des émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier et gazier. Nous avons fait valoir que l’échéancier prévu dans le règlement n’est pas assez ambitieux parce que la cible n’est pas assez ambitieuse et qu’il y a des lacunes.

Compte tenu de la sous-estimation flagrante de toutes ces émissions supplémentaires, comment pensez-vous que nous atteindrons nos cibles? Il ne faut pas oublier que le Canada est le seul pays du G7 à n’avoir atteint aucune de ses cibles de réduction des émissions. Cette question s’adresse à Mme O’Brien.

M. Moffet : Vous posez des questions importantes auxquelles nous devons répondre. Tout d’abord, je tiens à apporter une correction au sujet de l’étude que vous avez citée. L’étude a été publiée récemment dans Science et elle a été menée conjointement par des chercheurs de notre ministère et de l’Université Yale, notamment.

L’étude porte sur les rejets de carbone organique, et non sur les gaz à effet de serre. Il est donc question d’un polluant atmosphérique. Il s’agit d’un problème important de sous‑déclaration. C’est un polluant atmosphérique important, un précurseur du smog et d’autres problèmes importants de pollution atmosphérique. Il y a un problème de mesure. Il y a un problème important de sous-déclaration. Cela met en évidence la sous-déclaration d’une source de polluants atmosphériques qui n’était pas bien comprise auparavant.

Cela dit, il y a aussi un écart de mieux en mieux compris entre la déclaration des émissions de méthane, en particulier...

La sénatrice Galvez : Oui, exactement.

M. Moffet : ... et la déclaration des émissions provenant des sables bitumineux et d’autres sources. Ces informations proviennent désormais de levés par satellite et de levés aériens. La technologie s’améliore constamment pour détecter ces émissions.

La sénatrice Galvez : Si on sous-estime tous ces éléments et que l’on sait que les plafonds et les cibles ne sont pas assez ambitieux, comment peut-on être cohérent?

M. Moffet : Cela nous ramène à un point que j’ai soulevé tout à l’heure à propos de la technologie. Nous avons besoin de meilleures technologies. Nous devons favoriser l’amélioration de la technologie afin de pouvoir mesurer de manière rentable et précise les sources individuelles d’émissions. Lorsque nous réglementons ou que nous offrons des mesures incitatives à l’aide de programmes, nous incluons délibérément des exigences strictes en matière de rapport. L’objectif est d’obliger les émetteurs à respecter les meilleures exigences en matière de rapport que nous sommes en mesure de formuler à l’heure actuelle tout en reconnaissant qu’elles s’amélioreront avec le temps.

Mme O’Brien : Oui, je pense que cette réponse est complète. Nous abondons assurément dans le même sens.

En ce qui concerne la nécessité de réduire plus radicalement les émissions, je pense que M. Moffet a raison de dire qu’il s’agit d’établir un équilibre délicat quant à ce qui est faisable aujourd’hui. À une table ronde, nous avons souligné certaines mesures que le gouvernement prend en lien aux règlements et aux programmes, ainsi que des mesures mises en place par l’industrie. Nous avons parlé du remplacement de combustible et d’autres choses. Il faudra poursuivre dans cette voie.

Les observations de la sénatrice Sorensen au sujet de l’Alberta mettent en évidence la complexité de la transition énergétique et la nécessité de progresser de façon équilibrée pour maintenir la résilience du système énergétique et continuer à promouvoir la sécurité énergétique et l’abordabilité de l’énergie.

Je pense que le gouvernement, l’industrie et d’autres intervenants sont déterminés à atteindre l’objectif. Il y aura toujours des gens qui disent que nous n’allons pas assez loin ni assez vite, mais je pense que nous faisons ce que nous pouvons avec les outils et la technologie à notre disposition.

La sénatrice Galvez : Monsieur Charlebois, il y a des modèles d’évaluation intégrée. D’une part, il y a les modèles climatiques, qui tentent de prédire le réchauffement de la planète, et, d’autre part, il y a les modèles économiques, qui tentent de prédire les différents scénarios pour la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Plus je lis sur le sujet, plus il est évident que ces modèles fonctionnent en vase clos et qu’il y a beaucoup d’incertitude dans les prédictions relatives au climat et à la température, mais encore plus dans les prédictions économiques. En général, il semble que le coût des mesures soit surestimé, alors que leurs bénéfices, eux, sont sous-estimés.

Vous avez parlé de vos modèles. Les modèles n’ont de valeur qu’en fonction des données et des hypothèses sur lesquelles ils reposent. J’ai une liste de facteurs en main, et j’aimerais vous demander si vous les incluez dans vos modèles. Tout d’abord, les interactions du système terrestre. Vos modèles incluent-ils les limites planétaires, les interactions du système terrestre, oui ou non?

M. Charlebois : Nos modèles n’incluent pas cela, non.

La sénatrice Galvez : Bien. Je le savais. Les risques physiques aigus?

M. Charlebois : Nos modèles n’incluent pas cela.

La sénatrice Galvez : Les défaillances du marché?

M. Charlebois : Non. À un moment donné, je pourrai expliquer ce que font réellement les modèles, mais nous pouvons continuer d’énumérer la liste.

La sénatrice Galvez : La volatilité des marchés financiers?

M. Charlebois : Dans une certaine mesure.

La sénatrice Galvez : Les chocs géopolitiques?

M. Charlebois : Pas dans notre rapport Avenir énergétique du Canada en 2023.

La sénatrice Galvez : Les droits d’actifs délaissés?

M. Charlebois : Dans une certaine mesure.

La sénatrice Galvez : Il y a 20 éléments sur ma liste. Vous venez de nous dire que l’un d’entre eux n’était pas pris en compte et qu’un autre l’était partiellement. Comment pouvons-nous faire confiance aux modèles et à ce que vous nous dites? Je le répète, quand il est question de mesures, tout le monde dit : « Oh, nous ne pouvons pas nous permettre ceci ou cela. » Or, on ne peut pas se permettre de ne pas agir, et les bénéfices de la transition sont sous-estimés. Que répondez-vous à cela?

M. Charlebois : Ce sont de bonnes questions fondamentales. Je dois reconnaître que la modélisation énergétique est une science imparfaite. Je l’admets sans problème.

Nous devons également faire des choix en cours de route lorsque nous nous fixons pour objectif de modéliser la carboneutralité pour le Canada dans un délai précis afin d’exécuter le travail avec les ressources dont nous disposons.

Le changement climatique est un élément que nous avons délibérément choisi d’exclure de notre étude. Nous avons également choisi d’exclure, par exemple, la gouvernance requise pour atteindre la carboneutralité afin que toutes les décisions nécessaires pour atteindre cet objectif puissent être prises. Ce sont des choix précis que nous faisons en raison des contraintes que nous subissons.

Je dirais également que, quand nous nous concentrons sur les éléments technologiques et économiques de la transition, nous offrons au moins un élément d’information aux décideurs, qu’il s’agisse de décideurs politiques, de gens d’affaires ou de vous, les sénateurs, pour qu’ils comprennent les options disponibles en vue d’atteindre la carboneutralité. Je sais que vous avez entendu d’autres experts en énergie, tout comme les décideurs politiques entendent une myriade d’experts en énergie. Grâce à cette mosaïque d’informations, les décideurs peuvent alors prendre une décision aussi éclairée que possible.

La sénatrice Galvez : Convenez-vous que, sans l’influence et le rôle de catalyseur du secteur financier, nous n’amorcerons pas cette transition?

En passant, je suis ingénieure et j’enseignais à mes étudiants il y a 30 ans que nous étions en pleine transition. Il ne s’agit pas d’une transition. À ce stade-ci, nous devons appeler les choses par leur nom. Nous ne progressons pas. Convenez-vous que, sans la participation du secteur financier, nous ne progresserons pas?

Mon autre question est la suivante : convenez-vous que, pour que le Canada atteigne la carboneutralité d’ici 2050, le premier secteur qui doit l’atteindre est le secteur financier? Sinon, les autres secteurs ne l’atteindront pas.

M. Charlebois : Je ne peux pas commenter le rôle du secteur financier en particulier. Ce n’est pas un élément que nous avons inclus dans notre étude. Encore une fois, c’était à dessein, en raison des choix que nous avons dû faire. Une chose est sûre : la manière dont les fonds sont attribués est un élément essentiel de la transition. Je pense que le secteur financier examine déjà cette question pour déterminer comment les risques et leurs coûts sont évalués. Autrement, je ne peux pas vous aider davantage. Je suis désolé.

La sénatrice Galvez : Merci.

[Français]

La sénatrice Verner : Merci à vous quatre d’être ici ce soir.

Je vais commencer en vous parlant du commissaire à l’environnement et au développement durable qui a présenté cinq rapports en novembre dernier, dont un qui évaluait la stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour atteindre la première cible établie pour 2030 dans le cadre du Plan de réduction des émissions pour 2030 du gouvernement fédéral, en vue d’atteindre la carboneutralité. Dans l’ensemble, le commissaire a conclu dans son rapport de 56 pages que le gouvernement n’est pas en voie d’atteindre la cible établie pour 2030 dans le cadre de cette stratégie qui consiste à réduire les émissions de 40 % sous le niveau enregistré en 2005.

Selon un rapport qui a été produit en décembre 2022, Environnement et Changement climatique Canada indiquait plutôt une baisse de 34 %. Il y a 6 % de différence entre les deux objectifs annoncés.

Pouvez-vous nous confirmer que le chiffre de 34 % serait vraisemblablement le bon chiffre sur lequel il faut s’appuyer pour les six prochaines années?

[Traduction]

M. Moffet : Sénatrice, je vais commencer, puis je vais céder la parole à mon collègue, qui est responsable de la modélisation dans ces projections.

Il est exact de dire que la projection incluse dans le plan de réduction des émissions cité par le commissaire prévoyait que les mesures actuelles permettraient probablement de réduire les émissions d’environ 34 %, mais le rapport est allé plus loin. Notre rapport est allé plus loin parce que d’autres mesures sont en train d’être mises en place, des mesures que nous n’avons pas pu modéliser parce qu’elles étaient encore en cours d’élaboration. Certaines d’entre elles le sont encore, comme le Règlement sur l’électricité propre, par exemple, qui entraînera des réductions supplémentaires. De même, le secteur des investissements prend des mesures que nous ne pouvons prétendre pouvoir modéliser. Nous pouvons modéliser certaines décisions.

Le Plan de réduction des émissions pour 2030 montre que nous sommes convaincus que les mesures actuelles nous permettront d’atteindre cet objectif, mais il indique également que nous sommes convaincus que d’autres mesures prises par la société nous permettront d’aller plus loin, alors que le commissaire, lui, ne s’est concentré que sur le chiffre de 34 %.

M. Hermanutz : Je peux ajouter quelque chose. Le chiffre de 34 % dont le commissaire a parlé provient de notre rapport semestriel, qui a été présenté en décembre 2022. En décembre dernier, nous avons publié des projections actualisées dans le cadre du rapport d’étape sur le Plan de réduction des émissions pour 2030. Il y a eu une publication distincte contenant des projections actualisées qui montrent maintenant que ce chiffre est de 36 %.

Pour mettre les choses en contexte, j’ajouterais que le Canada est en bonne voie de dépasser l’objectif précédent de 30 %. Il est également en bonne voie d’atteindre l’objectif intermédiaire visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2026. Le rapport semestriel que nous avons présenté à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques en 2015 indiquait que les émissions seraient de 9 % supérieures aux niveaux de 2005. C’était notre meilleure prévision à l’époque. Nous enregistrons aujourd’hui une réduction de 36 %. Nous sommes passés de 815 mégatonnes à 467 mégatonnes. Ce sont les chiffres tirés des projections.

[Français]

La sénatrice Verner : Vous comprenez que les Canadiens à qui on demande de faire beaucoup de sacrifices en raison des changements climatiques y croient. Le commissaire à l’environnement et au développement durable soulève des questions au sujet de vos modélisations, qu’il qualifie d’hypothèses trop optimistes, d’une analyse limitée des incertitudes et d’absence d’examen par d’autres chercheurs.

Pour les Canadiens, vous comprenez, ils y croient, ils veulent y croire et ils veulent s’assurer qu’on s’en va tous dans la même direction. Ce n’est pas la première fois, lorsqu’on a fait notre rapport sur l’hydrogène, il y avait aussi eu des questions soulevées sur votre façon de calculer vos chiffres, pour ainsi dire, pour que les Canadiens comprennent bien de quoi on parle.

Pour gagner et garder la confiance des Canadiens quant à la direction dans laquelle on va, n’y aurait-il pas lieu de préciser davantage vos chiffres de façon à ce qu’ils se rapprochent de ceux de l’autre expert en la matière, soit le commissaire à l’environnement et au développement durable?

[Traduction]

M. Hermanutz : Le commissaire ne fait ni modélisation, ni prévision, ni projection. Il les commente, mais il n’est pas un modélisateur : il n’utilise pas de modèles. Nos projections, que nous mettons à jour chaque année, sont présentées tous les deux ans à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et elles suivent ses lignes directrices en matière de rapports, ce qui nous permet de publier un scénario de référence des politiques déjà mises en place, financées, et cetera, ainsi qu’un scénario avec des mesures supplémentaires, qui prévoit une baisse de 36 %.

Je dirais également que, pour le Plan de réduction des émissions pour 2030 et le récent rapport d’étape, l’Institut climatique du Canada a effectué une modélisation indépendante et a récemment proposé une fourchette de 34 % à 36 % en utilisant des définitions comparables aux nôtres. Selon nous, cela montre que nos projections sont crédibles et transparentes.

[Français]

Le président : Si je peux me permettre de poser une ou deux questions, j’aimerais retourner en arrière un peu. Depuis votre arrivée, vous avez constaté qu’il y a une diminution de CO2 entre 36 et 40. Quels sont les chiffres exacts que vous prévoyez?

[Traduction]

M. Hermanutz : Nos dernières projections prévoient un niveau d’émission inférieure de 36 % à celui de 2005.

[Français]

Le président : Si je comprends bien, monsieur Charlebois, on peut même prévoir que la demande de pétrole va diminuer énormément et que le prix pourrait diminuer jusqu’à 18 $ le gallon, si je comprends bien?

M. Charlebois : L’hypothèse est de 24 $ en 2050.

Le président : Pourquoi y aurait-il une diminution de la demande? En raison d’un changement majeur pour les automobiles?

M. Charlebois : Le carburant pour le transport est un exemple, mais c’est surtout le résultat des politiques, tant en ce qui concerne le Canada qu’à l’échelle mondiale, à l’échelle de la planète, où les politiques sont mises en place pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Dans la mesure où les hydrocarbures sont des émetteurs de gaz à effet de serre, cela change la dynamique d’offre et de demande de ces produits.

Le président : Il faut admettre, et je le confirme, que nous sommes tous un peu pessimistes. J’aimerais beaucoup que ce soit le contraire, mais on a tellement vu nombre de cas où chaque fois que des projections sont faites par nous et par d’autres experts, on se trompe. Aujourd’hui, on cherche un tableau plus positif, parce qu’on ne peut pas être découragés continuellement, vous savez.

M. Charlebois : Je vais répondre à votre question. J’en conviens tout à fait. Ce qu’il est important de souligner, à ce moment-ci, c’est la distinction entre l’exercice de modélisation que la Régie de l’énergie du Canada a faite dans le contexte de la carboneutralité dont je parle ce soir et l’exercice de modélisation que mon collègue M. Hermanutz, fait dans un contexte de développement de politiques publiques.

Dans le contexte de notre exercice, comme je viens de le mentionner, on avait une contrainte importante à respecter, soit l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050 au Canada. On a établi des paramètres et des hypothèses, justement pour voir de quelle façon le système énergétique allait évoluer en vue d’atteindre cet objectif.

Évidemment, il fallait faire des hypothèses. Certains vont croire que ces hypothèses sont optimistes. Je réponds qu’on les a et qu’on a utilisé l’information de l’Agence internationale de l’énergie, par exemple, pour ce qui est du contexte mondial. Par exemple, si ces hypothèses de diminution au prix que j’ai mentionnées ne s’avèrent pas de façon directionnelle, cela voudrait dire que cela devient plus difficile du point de vue de la production de pétrole et de gaz de diminuer cette production. Les niveaux de prix seront alors plus élevés que prévu, et cela incitera les producteurs à produire plus.

Le président : Examinons rapidement le scénario estimé dans 15 ans. M. Moffet a dit qu’il faudra éventuellement établir une concurrence et que c’est le coût marginal qui est important. Quel pays producteur peut produire du pétrole à moindre coût? J’espère me tromper, mais on va concurrencer l’Arabie saoudite, où le coût du pétrole est peut-être de 5 ou 10 cents le litre. C’est un prix beaucoup plus bas que les prix d’aujourd’hui, mais votre hypothèse est telle que la demande va diminuer tellement que le prix va diminuer en conséquence.

J’espère que c’est le cas, mais n’est-ce pas un peu optimiste de penser qu’on va devenir son fournisseur alors que nous allons à notre tour nous fier à une réduction des émissions? On dirait qu’il y a un conflit quant à la compréhension ou quant à des résultats fiables.

M. Charlebois : J’aimerais mentionner deux choses. On reconnaît que nos hypothèses de prix sont une incertitude importante dans notre analyse. J’en conviens tout à fait. Seule la dynamique de marché à travers le temps va faire foi de ce que seront les prix réels, et c’est quelque chose qu’on ne peut pas contrôler.

Le président : En raison de nos coûts, surtout en tenant compte de la capture du carbone, cela augmente nos coûts de façon importante. Est-ce que cela pourrait nous rendre non concurrentiels?

M. Charlebois : Les coûts de décarbonation, pour les producteurs canadiens, ont pour effet d’augmenter leur structure de coûts. Comme je l’ai mentionné, c’est en partie pour cette raison que seuls les producteurs les plus efficaces seront en mesure de continuer à produire dans un monde où le prix du pétrole se situera dans un environnement baissier.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Charlebois, vous dites dans vos projections que la demande baisse dramatiquement, surtout en raison des politiques adoptées pour réduire les émissions. Autrement dit, ce n’est pas le marché qui nous amène là, ce sont les interventions politiques. Cependant, quand on propose des mesures politiques, l’industrie et les lobbys économiques viennent nous dire que cela ne sert à rien, car c’est le marché qui va tout déterminer.

Qui a raison? Ceux qui disent que c’est le marché tout seul qui va opérer la transition ou ceux qui disent qu’on va faire la transition seulement si les gouvernements interviennent avec force?

M. Charlebois : C’est un peu des deux, car ce sont les politiques publiques qui mettent en place les paramètres dans lesquels le marché évolue. C’est un peu le dilemme de l’œuf ou la poule, mais en fin de compte, ce sont vraiment les deux facteurs qui sont déterminants. Si les politiques publiques ne contraignent pas le carbone, je pense que c’est raisonnable de penser que le marché va continuer d’évoluer dans la direction qu’on voit en ce moment, qu’il sera sujet à ce que les investisseurs veulent avoir en matière de performance environnementale, sociétale et de gouvernance.

Une fois que le cadre politique est en place, c’est entièrement une dynamique de marché qui prédomine, à savoir quels sont les producteurs les plus efficaces et les producteurs qui peuvent se démarquer et justement offrir un produit. Que ce soit dans le secteur pétrolier ou dans le secteur des véhicules électriques, c’est la politique de marché qui prédomine, une fois que le cadre politique est en place.

La sénatrice Miville-Dechêne : Il me semble qu’il y a une contradiction fondamentale entre les propos de M. Moffet et vos propos.

Dans votre réponse à ma première question, monsieur Moffet, vous avez dit que l’industrie a le choix de maintenir ou d’augmenter sa production, tant et aussi longtemps qu’il y a de la capture de carbone pour diminuer les émissions de GES. D’un côté, vous dites que c’est le libre marché pour ce qui est de l’augmentation de la production et de l’autre, vous, dans vos modélisations que vous admettez imparfaites, dites qu’il faut une chute très importante de la production et des prix pour qu’on arrive à cet objectif de net zéro.

Est-ce que je me trompe ou n’y a-t-il pas là une contradiction? Est-ce que l’objectif ne serait pas de produire moins de pétrole, éventuellement?

[Traduction]

M. Moffet : En bref, oui, mais pour être plus précis, ma réponse sur le fait que les entreprises ont peur d’utiliser la technologie pour réduire les émissions se fondait sur une mesure, à savoir le plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier. Le gouvernement a mis en place une série de mesures dans le but de modifier les règles du marché, afin que les émissions de production diminuent, d’une part, et que la demande diminue, d’autre part.

Nous avons donc mis en œuvre des mesures pour exiger la transition vers des véhicules zéro émission et pour permettre aux gens d’acheter ces véhicules. Nous aidons les provinces et les municipalités à élaborer et à réviser leurs codes du bâtiment afin que les nouveaux bâtiments consomment moins d’énergie. Nous…

La sénatrice Miville-Dechêne : Ce sont toutes des mesures indirectes. Vous prenez des mesures indirectes pour réduire la demande.

M. Moffet : C’est exact. Nous avons une série de mesures pour réduire la demande de pétrole et de gaz et pour augmenter la demande d’énergie propre.

La sénatrice Miville-Dechêne : Mais en même temps, la production de pétrole augmente.

M. Moffet : Comme l’a expliqué mon collègue, les projections sont très incertaines, mais il y a une convergence croissante sur la probabilité que la demande mondiale de pétrole et de gaz atteigne son maximum et commence à diminuer à un moment donné au cours de la prochaine décennie. Pourquoi? Parce que de nombreux pays, et pas seulement le Canada, mettent en œuvre des mesures visant à réduire la demande de pétrole et de gaz. Nous devrons continuer à veiller à la mise en œuvre de ces mesures ici et nous devrons continuer à exercer des pressions et à soutenir les autres pays pour qu’ils mettent en place des mesures semblables, afin de réduire la demande de pétrole et de gaz, ce qui permettra d’assurer la transition à l’échelle mondiale.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Quand vous dites cela, est-ce que cela ne veut pas dire que vous comptez un peu trop sur le contexte des autres pays plutôt que sur notre volonté d’être nous‑mêmes plus durs dans notre propre transition? Vous dites : « éventuellement, comme tout le monde change, ça aura pour effet que notre pétrole sera moins en demande », mais ne peut-on agir un peu plus directement?

[Traduction]

M. Moffet : Le gouvernement doit prendre une décision stratégique importante. Dans l’ensemble, il a visiblement décidé de mettre en place une série de mesures importantes pour réduire la demande au Canada — sans doute plus agressivement que dans la plupart des autres pays —, de sorte que notre demande de pétrole et de gaz diminuera probablement plus rapidement que la demande mondiale de pétrole et de gaz.

Cela nous amène à votre question sur ce que le Canada devrait faire en ce qui concerne le maintien de la production de pétrole et de gaz canadien pour répondre à la demande mondiale. C’est une question stratégique importante. Je vais donc vous la poser à mon tour. Je pense que c’est une question qui préoccupe le Comité.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie.

Le sénateur Wells : Le pourcentage des émissions mondiales du Canada est d’environ 1,5 %, ce qui représente une baisse, car ce taux était récemment de 1,6 %. Je ne sais pas si c’est parce que le monde a changé ou parce que nous avons changé.

Ma prochaine question s’adresse à M. Moffet ou peut-être à M. Charlebois. Je ne sais pas qui est le mieux placé pour répondre ou qui dispose des renseignements nécessaires.

Si toutes les mesures de réduction des investissements, de la production et des émissions, ainsi que toutes les autres mesures conçues pour réduire la production et l’utilisation du pétrole et du gaz au Canada étaient mises en œuvre avec le succès escompté, et si le monde ne change pas, quel serait, selon vous, notre pourcentage des émissions mondiales? Nous atteignons actuellement 1,5 %, et nous sommes l’un des plus grands producteurs de pétrole et de gaz dans le monde et la plus grande masse terrestre au monde.

M. Moffet : C’est une question hypothétique dont la réponse dépend de la deuxième partie de la question, à savoir ce que font les autres pays pour réduire leurs émissions. Mais je pense que le gouvernement part du principe que nous sommes une partie importante du problème. Nous devons donc faire partie de la solution. Notre contribution de 1,5 % est importante. Deuxièmement, nous n’avons aucune autorité morale pour dire aux autres de réduire leurs émissions si nous ne mettons pas de l’ordre chez nous.

Le sénateur Wells : Ma prochaine question est la suivante: combien cela coûtera-t-il aux Canadiens? Je parle du projet de réduction de l’utilisation et de la production, ainsi que toutes les mesures qui ont été mentionnées au cours de la dernière heure et demie. Combien tout cela coûtera-t-il aux Canadiens?

Mme O’Brien : Il est difficile de fournir un chiffre précis pour l’ensemble des initiatives que nous avons mentionnées. La Banque Royale du Canada a récemment publié une étude intéressante sur le coût de la transition énergétique dans son ensemble. Si je ne me trompe pas, je pense qu’elle a évalué ce coût à environ 4 billions de dollars. Il s’agit cependant d’une estimation de la transition énergétique en général, et pas seulement pour le secteur pétrolier et gazier.

Le sénateur Wells : Est-ce en dollars canadiens?

M. Moffet : Il s’agit d’une étude récente publiée par la Banque Royale du Canada. J’insiste toutefois sur le fait que…

Le sénateur Wells : Est-ce en dollars canadiens?

M. Moffet : Oui, car il s’agit de la Banque Royale du Canada.

Le sénateur Wells : Le coût est donc de 4 billions de dollars, et nous représentons 1,5 % des émissions mondiales.

M. Moffet : Mais les responsables de l’étude ont également insisté sur le fait qu’il n’est pas approprié de comparer ces chiffres à un scénario dans lequel aucune mesure n’est prise. Comme l’a dit la sénatrice Galvez, si aucune mesure n’est prise, le coût sera plus élevé. C’est également ce qu’ils ont dit.

Le sénateur Wells : Je vous remercie de votre réponse.

La sénatrice Galvez : J’aimerais revenir sur ce que nous avons dit à propos de la politique par rapport au marché. C’est très intéressant, car l’énergie renouvelable suit une courbe d’apprentissage qui est maintenant en chute libre. En effet, le kilowattheure produit par l’énergie renouvelable devient très bon marché. C’est aussi l’énergie la plus sûre, car le nombre d’accidents dans le domaine de l’énergie renouvelable est peu élevé comparativement au nombre d’accidents dans le secteur pétrolier et gazier ou dans le secteur de la production d’électricité. En même temps, c’est l’énergie la plus propre. Pourtant, nous continuons à produire de l’énergie avec du pétrole, du gaz et du charbon.

Ce matin, au Comité permanent des finances nationales, j’ai discuté du fait qu’à Norman Wells, dans les Territoires du Nord‑Ouest, on produit du gaz qui est envoyé en Alberta pour produire du combustible, alors que nous envoyons du diésel dans les collectivités du Nord. Cela n’a aucun sens.

Cependant, le secteur pétrolier et gazier est soumis à des questions géopolitiques et cela dépend du type. Comme le disait mon collègue, le sénateur Wells, tout le pétrole n’est pas produit de la même manière. Certaines façons de faire sont plus propres, comme en Arabie saoudite, et d’autres sont beaucoup plus complexes. Au Canada, nous exportons tout notre pétrole vers les États-Unis parce que nous ne le raffinons pas ici. Nous l’envoyons donc au Mississippi, aux États-Unis, et il nous est renvoyé à un prix beaucoup plus élevé pour que nous puissions l’utiliser dans nos voitures.

On est donc en droit de se demander comment une telle situation est possible. La réponse, c’est qu’elle est possible parce que nous accordons de nombreuses subventions au secteur pétrolier et gazier. Vous avez peut-être les chiffres actualisés, mais ils se situent entre 8 et 12 milliards de dollars par année.

L’idée du marché libre, c’est-à-dire l’idée selon laquelle le marché régit et règle tout, est impossible, car nous créons une distorsion sur le marché. Le gouvernement annoncera-t-il un jour qu’il doit réduire les subventions afin de rendre le marché plus réaliste, plus réel et moins dépendant de tous ces facteurs externes?

Ma question s’adresse à M. Charlebois. Vous êtes le spécialiste de l’énergie, n’est-ce pas?

M. Charlebois : Je suis peut-être le spécialiste de l’énergie, mais je ne suis pas le spécialiste des subventions et de la politique. Je pense donc que je vais donner la parole à mon collègue, qui pourrait vous en dire plus à ce sujet.

La sénatrice Galvez : Avez-vous tenu compte des subventions dans votre modèle?

M. Charlebois : Nous avons inclus les crédits d’impôt à l’investissement qui ont été annoncés en mars 2023 dans le cadre de notre analyse et comme moyen de soutenir les différents types de technologies qui bénéficient de crédits d’impôt à l’investissement.

La sénatrice Galvez : Je pense que cela remonte à 2005 lorsque nous avons dit que nous allions examiner les subventions. Nous sommes en 2024, et nous nous battons contre l’inefficacité, l’efficacité et la perte d’efficacité, mais nous ne réduisons rien. Nous augmentons les subventions parce que nous accordons et garantissons des prêts.

Le président : Soyons précis. La seule subvention dont vous bénéficiez à l’heure actuelle est le crédit d’impôt à l’investissement?

M. Charlebois : C’est ce dont nous avons utilisé dans notre modèle.

Le président : Mais ce n’est pas ce que vous appliquez?

M. Charlebois : Oui, c’est ce que nous avons fait.

Le président : C’est ce qui se passe; c’est donc la projection.

La sénatrice Batters : Je vous remercie. Premièrement, pour faire suite aux dernières questions soulevées par le sénateur Wells, il y a des sommes considérables qui sont dépensées pour toutes ces initiatives. Le chiffre de 4 billions de dollars semble être un chiffre qui a été lancé, ainsi que le 1,5 % du pourcentage des émissions mondiales du Canada, mais vous ne pouvez pas nous dire dans quelle mesure le 1,5 % du Canada diminuera avec tout cet argent qui est dépensé.

Ne faites-vous pas notamment des prévisions pour conseiller vos ministres en leur disant, « Bien, lorsque nous dépensons telle somme, voici le montant prévu pour telle et telle année »? Ne faites-vous pas ce type de prévisions?

M. Moffet : J’ai quelques points à soulever, sénatrice. Les 4 billions de dollars font référence à une étude que nous n’avons pas réalisée. D’après ce que j’ai lu de cette étude, il s’agissait d’un coût pour l’ensemble de l’économie sur les 30 prochaines années, et non d’une dépense du gouvernement à l’heure actuelle. Néanmoins...

La sénatrice Batters : Peu importe.

M. Moffet : Mais il y a des coûts à court terme associés à la décarbonisation de l’économie. Je pense que nous avons abordé ce sujet à quelques reprises à cette réunion. Nous avons fourni des prévisions que nous continuons de mettre à jour concernant les réductions d’émissions prévues grâce aux différentes mesures. Comme mon collègue l’a expliqué, le Canada est passé d’une situation en 2015 où nous avions prévu une augmentation des émissions d’ici 2030 par rapport à nos niveaux de 2005 à une réduction d’au moins 36 % par rapport à ces chiffres grâce aux mesures que nous avions mises en place.

La sénatrice Batters : D’ici 2030, mais qu’en est-il d’aujourd’hui? C’est toujours en hausse, n’est-ce pas? C’est la dernière information que nous avons reçue au cours des dernières années, à savoir que nous enregistrons toujours une hausse — il n’y a pas encore de réduction.

M. Moffet : Mon collègue peut parler plus en détail de la tendance réelle, mais de façon générale, la situation au Canada est en train de se stabiliser...

La sénatrice Batters : Elle se stabilise, mais elle n’est pas stable.

M. Moffet : ... et nous prévoyons maintenant une baisse. Il est important de noter que la situation se stabilise alors que le PIB a augmenté considérablement depuis 2005. L’activité et la production économiques ont donc augmenté tandis que les émissions atteignent un sommet et sont sur le point de diminuer..

La sénatrice Batters : D’accord. Il y a une autre question que je voulais poser. J’ai vu par hasard que votre ministre Guilbeault participait à une conférence sur les transports cette semaine à Montréal, et il a tenu des propos assez surprenants sur certains enjeux importants liés à l’infrastructure, en particulier à la lumière des sommes que le gouvernement a récemment dépensées pour des usines de véhicules électriques, des usines de batteries et ce genre de projets. Le ministre Guilbeault a dit ceci :

Notre gouvernement a pris la décision de ne plus investir dans de nouvelles infrastructures routières. Bien entendu, nous continuerons à aider les villes, les provinces et les territoires à entretenir le réseau existant, mais il n’y aura plus d’enveloppes du gouvernement fédéral pour agrandir le réseau routier [...]

C’est, bien sûr, avec une population croissante. Il a également fait la déclaration suivante :

[...] surestimer la capacité des transports électriques à résoudre les changements climatiques et d’autres crises environnementales serait « une erreur, une fausse utopie qui nous décevra à long terme ».

Nous devons cesser de penser que les véhicules électriques résoudront tous nos problèmes [...]

Qu’avez-vous à dire à ce sujet, étant donné que nous avons vu de nombreuses annonces de plusieurs milliards de dollars concernant des usines de véhicules électriques très importantes, des usines de batteries et ce genre de projets? C’est un sujet sur lequel le gouvernement a mis beaucoup l’accent, et maintenant le ministre nous dit que cela ne fera apparemment pas partie intégrante de ses plans.

M. Moffet : Je pense que ce que le ministre a dit, c’est que les véhicules électriques à eux seuls ne nous permettront pas d’atteindre la carboneutralité. Le passage aux véhicules électriques sera un élément important de la transition globale de l’économie vers des carburants propres, mais je pense que ce qu’il veut dire, c’est qu’en tant qu’individus, nous ne pouvons pas tous acheter une voiture électrique et penser que nous avons résolu le problème climatique. Nous devons faire de nombreuses autres démarches en plus de la transition en ce qui concerne notre façon de nous déplacer.

La sénatrice Batters : Vous ne pensez pas que nous aurons besoin de réseaux routiers additionnels au Canada et d’investissements supplémentaires de la part du gouvernement fédéral, compte tenu de l’augmentation de la population, entre autres choses? Les gens continueront à conduire, que ce soit des voitures ordinaires ou des voitures électriques, ou peu importe. Nous n’allons pas éliminer les voitures.

M. Moffet : Sénatrice, je pense que vous n’avez pas le bon groupe de témoins pour répondre à une question de la sorte. Nous ne sommes pas responsables de...

La sénatrice Batters : L’environnement?

M. Moffet : Eh bien, vous m’avez posé une question sur les investissements dans les réseaux routiers.

La sénatrice Batters : C’était le ministre de l’Environnement.

Le président : C’est inhabituel. Puis-je vous poser quelques questions à brûle-pourpoint?

Dans deux arrêts de la Cour suprême du Canada, on nous a dit que nous avons dépassé les limites de notre ancien projet de loi, le projet de loi C-69. À votre avis, cela a-t-il une incidence sur votre façon de fonctionner? Cela a-t-il une incidence sur vos activités, sur l’économie et sur les émissions de dioxyde de carbone? Est-ce important?

M. Moffet : Vous parlez de la référence qui a été portée devant la Cour suprême?

Le président : La Loi sur l’évaluation d’impact.

M. Moffet : L’affaire a été portée devant la Cour suprême du Canada et concerne la Loi sur l’évaluation d’impact. Cette référence mentionne en fait deux choses à propos de la Loi sur l’évaluation d’impact, qui doivent être lues en deux parties.

Une partie définit les règles pour évaluer de nouveaux projets d’envergure menés par le gouvernement fédéral ou réalisés sur des terres fédérales. La Cour a déclaré que ces règles ne posaient aucun problème. Toutefois, elle a également déclaré que la loi qui prévoit une surveillance fédérale pour les projets d’envergure réalisés sur les terres fédérales présentait certains problèmes d’ordre constitutionnel dans la mesure où elle octroie au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire pour traiter un vaste éventail d’enjeux qui, comme en a convenu la Cour, ne relèvent pas tous de la compétence fédérale.

Le gouvernement a réagi en acceptant la décision et en s’engageant à réviser la loi de manière à ce que le champ d’application des évaluations fédérales soit plus restreint et qu’il respecte les limites de la compétence fédérale confirmées par la Cour. Vous verrez bientôt le résultat de cette mesure législative. Vous verrez bientôt un nouveau projet de loi. Bien entendu, cela changera, dans une certaine mesure, le type de projets que le gouvernement fédéral examinera.

Je dirais que l’évaluation d’impact des projets d’envergure n’est qu’une partie infime, voire négligeable, du programme global de décarbonation du gouvernement, qui repose beaucoup plus sur la tarification du carbone, la réglementation des émissions discrètes provenant de diverses sources et un vaste éventail de mesures financières, de crédits d’impôt à l’investissement, de programmes, etc.

Le président : L’autre question que j’ai pour vous concerne le captage et le stockage du carbone. Il semble que la vision du gouvernement soit qu’il s’agit d’une étape importante pour que l’économie puisse au moins continuer à produire, mais nous avons réduit le dioxyde de carbone. Vous avez fait référence au fait que le plafond est tel que nous plafonnons les émissions; nous ne plafonnons pas la production, n’est-ce pas?

M. Moffet : C’est une description exacte de l’approche proposée en matière de plafonnement des émissions pour le secteur du pétrole et du gaz.

Le président : Que faites-vous du captage et du stockage du carbone? S’agit-il d’un élément important de votre stratégie? Je pense que vous êtes en train de le faire, mais il s’agit d’un projet très important, probablement de près de 20 milliards de dollars. Il semble que la position du gouvernement fédéral soit d’aider et de payer une partie de ce coût.

Comment maximiser cette question de manière à ce qu’elle soit avantageuse pour les deux parties, sans être ridicule par rapport à la subvention ou au crédit d’impôt à l’investissement? C’est si cela ne fonctionne pas — parce que cela n’a pas bien fonctionné jusqu’à présent. Si cela ne nous permet pas d’atteindre notre but, nous devons fermer les robinets dès que possible. Il faut donc élaborer une stratégie dans laquelle l’entreprise court un risque et est impliquée, et si elle obtient de bons résultats, tout le monde s’en porte bien. Où en sommes-nous avec cette structure, cette négociation?

M. Moffet : Sénateur, je pense que vous faites référence à la proposition que le groupe Nouvelles voies a présentée au gouvernement fédéral. Le groupe est un consortium des principaux producteurs de sables bitumineux. Oui, il a fait une proposition au gouvernement fédéral où il demande différents types de mesures, y compris un soutien financier pour le captage et le stockage du carbone et d’autres activités de décarbonation.

À l’heure actuelle, le gouvernement ne s’est pas engagé à fournir tout ce que le groupe Nouvelles voies a demandé. Ce que le gouvernement a fait, c’est de s’engager à entamer des négociations. Ces négociations sont en cours et n’ont pas encore abouti. Pour l’instant, je ne peux pas vous dire quel sera l’accord final ni les éléments ou les engagements précis que le gouvernement fédéral pourrait prendre si un accord est conclu.

Le président : Quand on lit la presse, on a l’impression que l’Alberta est prête à payer peut-être le tiers du coût total. Je pense que vous souhaitez que le gouvernement fédéral paie peut-être la moitié du coût total et que les entreprises en paient une partie. Est-ce bien ce que nous envisageons? Est-ce la somme dont nous parlons?

M. Moffet : Je répète que c’est une négociation. Je pense que vous parlez du point de départ de l’entreprise, qui n’est peut-être pas là où nous aboutirons.

Le président : Vous avez dit tout à l’heure que nous allions atteindre les objectifs que nous avions prévus. Cela suppose-t-il que vous achetez des crédits à l’étranger, en Californie ou ailleurs? Ou s’agira-t-il simplement de crédits d’impôt à l’investissement?

M. Moffet : Les observations que nous avons faites plus tôt sur la probabilité d’atteindre notre objectif établi au niveau national pour 2030 ne tiennent pas compte de l’acquisition prévue par le gouvernement de crédits provenant d’autres pays.

Le président : Merci.

La sénatrice Galvez : Le Canada est particulièrement touché par le réchauffement de la planète. Comme nous le savons, le Canada se réchauffe deux ou trois fois plus rapidement que la moyenne de la planète. L’Arctique se réchauffe cinq à sept fois plus rapidement. Les changements se produisent très rapidement.

Cette révision de la science nous révèle que nous pouvons maintenant, avec une certaine précision, dire que ces industries dans ces régions causent ces conditions météorologiques extrêmes précises. J’ai notamment lu une étude concernant la rivière atmosphérique qui a déferlé dans la vallée du fleuve Fraser il y a quelques années.

D’après vos prédictions, combien de temps nous reste-t-il avant que des phénomènes météorologiques extrêmes se produisent chaque année? Nous aurons certainement des phénomènes semblables en 2024. Combien de temps pensez‑vous qu’il nous reste pour concevoir de nouvelles technologies, car vous avez tous les trois dit que nous avons besoin de nouvelles technologies? Combien de temps avons-nous pour concevoir ces nouvelles technologies?

M. Moffet : Je ne pense pas qu’aucun de nous ne soit qualifié pour fournir une réponse à cette question.

La sénatrice Galvez : Est-ce un an, trois ans, ou de 10 à 20 ans?

M. Moffet : Nous pouvons vous fournir des renseignements sur les politiques du gouvernement, sur la recherche et le développement, sur la réglementation et d’autres mesures, mais en ce qui concerne...

La sénatrice Galvez : Quel âge ont ces technologies de captage et de stockage du carbone? Quel âge ont-elles? Vingt ans ou plus.

Drew Leyburne, sous-ministre adjoint, Secteur de l’efficacité énergétique et de la technologie de l’énergie, Ressources naturelles Canada : Selon le moment où l’on remonte, la technologie du captage, de l’utilisation et du stockage du carbone, ou CUSC, a au plus 35 ans. La récupération assistée du pétrole, comme la séquestration souterraine du carbone, a eu 52 ans cette année.

Il faut mesurer le développement technologique par rapport aux échelles que nous observons pour d’autres technologies énergétiques au fil du temps. Nous essayons d’accélérer tous ces cycles, mais le premier panneau solaire a été inventé dans les années 1830. Le premier panneau solaire commercial a été vendu en 1959. Ce n’est que maintenant que nous commençons à voir les bénéfices de décennies d’investissement. Tout le travail que nous effectuons collectivement, mais certainement au sein du portefeuille de Ressources naturelles Canada en ce qui concerne les technologies énergétiques, vise à accélérer considérablement ces cycles, de sorte que ce qui était un processus de vingt ans puisse être un processus de cinq ou six ans.

La sénatrice Galvez : Si nous avons le plus long littoral du monde, que nous allons d’un océan à l’autre et que nous avons des zones où les marées sont les plus hautes et où les vagues sont les plus fortes, comment expliquer que le Canada n’ait pas d’inventions dans le secteur de l’énergie hydroélectrique marémotrice? D’ailleurs, le panneau solaire a été inventé par un Canadien. De quoi avons-nous besoin? De quel type d’injection de fonds avons-nous besoin?

M. Leyburne : Je suis heureux d’intervenir d’une manière générale. Je suis en fait membre du groupe de travail sur les marées qui a été créé récemment, si bien que je peux en parler un peu. La réponse courte est que la façon dont certaines ressources sont conçues ou non par une province ou un territoire varie considérablement en fonction des options de rechange disponibles. La raison pour laquelle nous n’avons pas, par exemple, autant d’éoliennes en mer que d’autres pays est en grande partie due au fait que nous avons de l’hydroélectricité ou un potentiel éolien moins cher que d’autres endroits.

En ce qui concerne les marées, on dit souvent que la baie de Fundy est le plus grand prix que l’on puisse obtenir en termes de turbidité. Le défi, c’est qu’il s’agit du mont Everest des marées. Il a fallu plus de temps que prévu pour trouver le moyen d’exploiter ces forces. Mais un certain nombre de projets d’énergie marémotrice sont en cours au pays. Le gouvernement fédéral en a soutenu une demi-douzaine avec des partenaires provinciaux et territoriaux. Nous voyons un rôle potentiel pour l’énergie marémotrice à l’avenir.

[Français]

La sénatrice Verner : Dans un autre ordre d’idée, vous êtes probablement au fait que le Conference Board du Canada a produit une étude pour le gouvernement de l’Alberta concernant l’entrée en vigueur, en 2026, du règlement fédéral projeté pour plafonner les émissions de l’industrie d’ici 2050. Or, entre autres conséquences économiques, on s’attend à perdre entre 82 000 et 151 000 emplois dans tout le Canada d’ici 2030.

On s’attend aussi à une baisse cumulative du produit intérieur brut de 600 milliards à 1 000 milliards de dollars. On prévoit une baisse totale des revenus budgétaires du gouvernement fédéral pouvant aller de 84 milliards à 151 milliards de dollars au cours de la même décennie. Ces chiffres sont absolument mirobolants et inquiétants.

De votre côté, avez-vous fait des évaluations aussi approfondies des impacts économiques et budgétaires pour votre proposition de règlement publiée en décembre 2023?

[Traduction]

M. Moffet : Le rapport du Conference Board du Canada a été publié à un moment où la seule chose que le gouvernement fédéral avait faite était de dire que nous allions plafonner les émissions. Dans le Plan de réduction des émissions pour 2030, nous avions également inclus une déclaration selon laquelle si le secteur pétrolier et gazier réduisait ses émissions à un niveau comparable à celles de tous les autres secteurs, il les réduirait d’environ 42 % d’ici 2030. Ce que le Conference Board a fait, c’est supposer que le plafond applicable au pétrole et au gaz va exiger du secteur qu’il réduise ses émissions de 42 % d’ici 2030, et c’est ce qu’il va imposer. Il n’y aura pas de flexibilité. Qu’est‑ce que cela va me coûter? C’est l’étude que vous avez.

Depuis, nous avons élaboré et publié un cadre qui ne mentionne pas les 42 % et dispose d’un mécanisme fondé sur le marché qui offre une certaine flexibilité en matière de conformité. Pourtant, nous n’en sommes toujours pas au stade de la publication d’un projet de règlement. En ce qui concerne le Conference Board du Canada, je pense que les renseignements constituent un point de référence utile à prendre en considération, mais il ne s’agit pas d’une véritable étude des répercussions du règlement sur le plafonnement des émissions, que nous n’avons pas encore publiée.

[Français]

La sénatrice Verner : Ma question concernait les impacts économiques et budgétaires, en ce qui concerne les chiffres; on parle de pertes d’emplois, de produit intérieur brut, etc. Avez-vous fait une évaluation aussi approfondie des impacts économiques et budgétaires?

[Traduction]

M. Moffet : Nous avons commencé à travailler en ce sens. Encore une fois, nous le ferons lorsque nous publierons le projet de règlement parce que les détails du règlement auront une incidence directe sur les coûts qui seront engagés par les parties concernées et qui, à leur tour, auront une incidence sur l’effet d’entraînement sur le PIB, les redevances, etc.

[Français]

Le président : Si l’on tient compte de tous les changements qu’on fait, dans un sens, si on réduit la production de pétrole, ces compagnies vont faire moins de profits et conséquemment, il y aura un impact important sur l’économie de l’Ouest. On peut le faire sur une période de 10 ou 15 ans, mais il faut admettre que c’est un facteur d’économie positif, à ce point-ci, qui deviendra nul.

Je crois qu’actuellement, le pétrole représente 5 % ou 7 % du PIB du Canada, c’est un chiffre important. J’espère que vous ne vous trompez pas, qu’il y a une baguette magique quelque part pour les garder, mais à ce point-ci, je pense que ce n’est pas possible.

C’est majeur; il ne faut pas faire croire aux gens qu’il n’y a rien là.

M. Moffet : Oui, c’est majeur.

[Traduction]

Nous devons ramener la discussion à la déclaration faite par mon collègue de la Régie de l’énergie du Canada et à ma déclaration initiale dans laquelle j’ai dit qu’entre aujourd’hui et le milieu des années 2030, le gouvernement s’est engagé à fixer un plafond d’émissions qui n’a pas d’effet sur la production qui soit différent de l’effet qui résultera des changements sur le marché mondial.

C’est le marché mondial qui connaîtra une baisse de la demande et nécessitera la transition d’une part importante de l’économie canadienne. C’est inévitable. La question est de savoir à quelle vitesse cela se produit, quel type de soutien le gouvernement fédéral apporte et quel type de soutien les gouvernements provinciaux apportent. Il n’est pas question de mettre fin à cette activité maintenant, mais il y aura une transition vers l’abandon de la demande mondiale de pétrole et de gaz à un moment donné.

[Français]

Le président : Je remercie les témoins et les sénateurs de leur participation aujourd’hui. Cela a été difficile par moment, mais je pense qu’on a eu une discussion franche et pertinente. Merci encore.

(La séance est levée.)

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