LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 15 février 2024
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier de nouvelles questions concernant le mandat du comité.
La sénatrice Josée Verner (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La vice-présidente : Je m’appelle Josée Verner. Je suis une sénatrice du Québec et je suis vice-présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
[Traduction]
Je vais commencer par un rappel. Je demanderais aux sénateurs dans la salle de ne pas se pencher trop près du microphone — ou de retirer leur oreillette si jamais ils le font — avant de prendre la parole. Nous éviterons ainsi de causer des retours de son qui pourraient infliger des blessures aux membres du personnel du comité.
[Français]
J’invite mes collègues à se présenter, en commençant par ma droite.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta.
[Français]
La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La vice-présidente : Bienvenue à vous tous qui assistez à la réunion ainsi qu’aux personnes qui écoutent nos délibérations partout au pays. Aujourd’hui, le comité poursuit son étude spéciale sur les changements climatiques et l’industrie canadienne du pétrole et du gaz.
Nous accueillons M. Martin Olszynski, professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université de Calgary, à titre personnel.
Bienvenue au comité et merci de votre présence aujourd’hui. Vous avez cinq minutes pour votre déclaration liminaire. La parole est à vous.
Martin Olszynski, professeur agrégé, Faculté de droit, Université de Calgary, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs. Merci de me recevoir.
Je m’appelle Martin Olszynski. Je suis professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université de Calgary. Mon champ de recherche regroupe l’environnement, les ressources naturelles, le droit de l’eau et les politiques sur l’eau. Dans mes dernières publications, je me penche sur le passif du secteur pétrolier et gazier et la répartition des pouvoirs en environnement à la lumière du jugement récent de la Cour suprême du Canada sur la Loi sur l’évaluation d’impact.
Le comité examine l’industrie canadienne du pétrole et du gaz, notamment sa pertinence pour le Canada et pour l’économie au pays et son bilan en matière de réduction de l’empreinte carbone, ainsi que le plan de transition vers un avenir durable, le positionnement de l’industrie en réponse aux risques et aux tendances mondiales et les questions de la concurrence et des subventions gouvernementales. Je vais examiner chacun de ces thèmes aujourd’hui.
En guise de préambule, je tiens à saluer la décision du comité d’avoir entrepris cette étude. Nous avons désespérément besoin d’un état des lieux objectif, exhaustif et transparent sur l’incidence du secteur en question sur l’économie, l’environnement et la population au Canada.
L’économie au Canada a profité des activités pétrolières et gazières. C’est indéniable. Les dirigeants et les grands pontifes de l’industrie ainsi que les politiciens qui y sont favorables invoquent régulièrement les profits des sociétés, les investissements étrangers, les taux d’emploi — directs et indirects —, les redevances et les recettes fiscales. Il existe néanmoins des variations qui méritent selon moi un examen approfondi du comité.
Quoi qu’il en soit, je veux présenter aujourd’hui l’autre côté de la médaille, c’est-à-dire les émissions de gaz à effet de serre et le passif au titre des activités de fermeture. Le terme « passif au titre des activités de fermeture » désigne les coûts anticipés de l’abandon, de l’assainissement et de la remise en état des sites d’exploitation pétrolière et gazière, que ce soit les puits, les pipelines, les mines de sables bitumineux ou les installations connexes. Ces deux éléments ne sont pas les seuls effets adverses de l’industrie, mais ils ont le mérite d’être quantifiables, même s’ils le sont de manière imparfaite. Ils illustrent en outre très bien un thème omniprésent dans le contexte des industries extractives : la privatisation des profits et la socialisation des coûts. Comme je vais l’expliquer à la fin, les politiques climatiques et le passif au titre des activités de fermeture sont aussi inextricablement liés.
Parlons d’abord de l’empreinte carbone du secteur. En 2021, la production pétrolière et gazière a engendré 28 % des émissions totales de gaz à effet de serre au Canada, ce qui équivaut à 189 mégatonnes. En calculant le coût social du carbone, nous arrivons à un total de 46 milliards de dollars en dommages pour cette seule année. Le coût social du carbone est une mesure employée par le Canada et l’administration américaine actuelle pour estimer, pour chaque tonne de carbone émis, le coût des dommages mondiaux tels que les sécheresses, les inondations ou les feux de forêt.
En outre, selon les meilleures données disponibles, l’industrie canadienne des sables bitumineux reste l’une des plus grandes productrices de gaz à effet de serre dans le monde. Ses émissions moyennes par baril oscillent autour de 75 équivalents de dioxyde de carbone. Elles se situent donc à environ un tiers au-dessus de la moyenne mondiale même si l’industrie et les gouvernements promettent depuis plus de 15 ans une réduction substantielle des émissions.
Depuis 2018, le gouvernement fédéral a lancé ou annoncé tout un train de politiques climatiques, dont la tarification du carbone, la réglementation de l’électricité propre, et plus récemment, la proposition d’un plafond des émissions de gaz à effet de serre produites par l’industrie gazière et pétrolière. Ce dernier point me permet d’enchaîner avec la question du passif au titre des activités de fermeture.
La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, s’oppose fermement au plafonnement des émissions. Elle a parlé récemment d’une analyse du Conference Board du Canada qui démontre que l’imposition d’un plafond se solderait par une perte de revenu de 130 milliards de dollars pour le gouvernement entre 2030 et 2040. Les dernières estimations officielles indiquent par contre que le passif au titre des activités de fermeture dans l’industrie pétrolière et gazière albertaine a connu une augmentation qui le porte à 105 milliards de dollars, ce qui équivaut à peu près au montant des pertes de revenu. Je rappelle que les coûts du passif sont liés au nettoyage des puits, des pipelines et des mines de sables bitumineux.
L’Alberta détient une garantie qui s’élève à environ 1,3 milliard de dollars ou un peu plus de 1 % des coûts du passif. En fait, ces chiffres sont presque certainement une sous‑estimation grossière des coûts réels. En 2018, l’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta — dont les calculs sont très prudents au demeurant — estimait à un montant avoisinant davantage les 260 milliards de dollars le total du passif.
Ces calculs sont faits en présumant que les sites pourront bel et bien être assainis, ce qui est loin d’être une certitude. Des inquiétudes ont été soulevées sur des fuites persistantes dans certains puits, ce qui soulève le spectre de la défaillance de certains puits et pourrait mettre en péril de futures initiatives de captage et de stockage de carbone.
Quant aux sables bitumineux et à l’inventaire croissant de résidus miniers, qui atteint 1,6 billion de litres, il semble que les procédés consistent à les assécher le plus possible ou pourvu que cela est rentable, à les placer au fond de fosses épuisées, à les couvrir de terre, à inonder d’eau les fosses et à espérer que les diverses composantes toxiques ne remontent pas à la surface ou ne descendent pas dans les nappes d’eau souterraine. Les risques pour les poissons et leur habitat, pour les peuples autochtones dans la région du cours inférieur de la rivière Athabasca et pour les collectivités en aval, dans les Territoires-du-Nord-Ouest — qui relèvent tous du fédéral —, sont pourtant évidents.
Après avoir fait récemment un examen minutieux des régimes de gestion des passifs, je peux affirmer avec certitude que les coûts finaux, peu importe le montant, finiront par être pris en charge par les contribuables albertains ou canadiens. Pendant la pandémie de COVID, les contribuables canadiens ont déjà fourni 1 milliard de dollars pour le nettoyage des puits de même que des centaines de millions en prêts sans intérêt.
Au début de mon exposé, j’ai parlé du lien inextricable existant entre le passif et les émissions de gaz à effet de serre. C’est sur ce sujet que je vais conclure.
Premièrement, la plupart des acteurs de l’industrie admettent en privé qu’ils remettent depuis longtemps aux calendes grecques les obligations liées à la fermeture des sites. Toutefois, les changements climatiques et la multiplication des politiques de carboneutralité et des autres politiques climatiques adoptées par certains gouvernements étrangers donnent à penser que l’échéance serait beaucoup plus rapprochée que ne le pensaient l’industrie et les gouvernements il y a 20 ans. Les ventes de véhicules à batterie construits en Chine représentaient 27 % du marché l’an dernier — 37 % en incluant les véhicules hybrides —, tandis que les ventes de véhicules à moteur à combustion interne auraient atteint leur apogée en 2017. Le temps dont dispose l’industrie pour combler avec des moyens raisonnables le passif de 260 milliards de dollars afin d’être en phase avec les tendances et les risques à l’échelle mondiale est plus court que nous le pensions.
Deuxièmement, l’urgence d’atteindre la carboneutralité siphonne tout l’oxygène — et l’argent — dans la pièce. En cette période post-COVID où les prix du pétrole sont relativement élevés, l’industrie s’emploie à récompenser ses actionnaires pour réaffirmer sa rentabilité, tandis que les gouvernements appuient à grands coups de subventions la réduction des émissions de gaz à effet de serre grâce au captage et au stockage du carbone. La R‑D sur les méthodes d’assainissement et de remise en état a été reléguée à une troisième place, voire pire, loin dans l’ordre des priorités. Nous perdons donc du terrain dans la transition vers un avenir durable.
Nous avons désespérément besoin de tenir une discussion objective, transparente et fondée sur des données probantes au sujet des thèmes susmentionnés et d’autres questions. En Alberta, cette discussion est impossible en ce moment, car le gouvernement et les organismes de réglementation sont, dans le meilleur des scénarios, assaillis par une mentalité d’assiégé qui les empêche de tenir à la population un discours critique et franc sur la portée et la gravité des enjeux que j’ai exposés et d’autres dont je pourrai donner des exemples pendant la période de questions.
Je vous remercie de votre attention. Je vais répondre avec plaisir à vos questions.
La vice-présidente : Merci beaucoup.
[Français]
Nous allons passer à la période de questions.
[Traduction]
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, monsieur Olszynski. Je suis triste de ne pas vous avoir rencontré plus tôt, mais je me réjouis du courage que vous démontrez en parlant de faits et de chiffres qui doivent être portés à notre attention étant donné le portrait inquiétant que vous venez de brosser. Nous savions que les fonds réservés à la remise en état et à la restauration étaient ridicules par rapport au passif. Vous faites vraiment œuvre utile en chiffrant cet écart. Merci beaucoup.
Je suis d’accord avec vous pour dire que le passif est énorme. Lorsque le moment sera venu de régler les coûts — ce serait dans 5 ou 10 ans selon ce que j’ai lu —, je me demande qui devra répondre de ce passif, car si la croissance des sables bitumineux se poursuit, c’est parce que des gens financent et facilitent son expansion. Je mets les banques et les assureurs dans cette catégorie.
Qui sera traduit devant les tribunaux lorsque le moment viendra de régler le passif? En fait, ce n’est qu’une question de temps, car cela se produit déjà un peu partout dans le monde. Qu’en pensez-vous?
M. Olszynski : Dans ce contexte, il est important de séparer la production conventionnelle de la production non conventionnelle, et j’ai écrit avec quelques co-auteurs à ce sujet. L’automne dernier, nous avons publié deux articles ici à l’École de politique publique de l’Université de Calgary, que j’ai le plaisir de présenter au comité. L’un porte sur la question des responsabilités dans le contexte du pétrole et du gaz — les puits, les pipelines et l’infrastructure connexe — et l’autre porte sur les responsabilités dans le secteur non conventionnel, c’est-à-dire les sables bitumineux. Il est important, lorsqu’on réfléchit à ce problème, de faire la distinction entre les deux.
En ce qui concerne le pétrole et le gaz conventionnels, la plupart de ces sites — nous avons plus de 80 000 sites inactifs en Alberta — se trouvent sur des terrains privés. Il semble que ce soit une question de volonté politique et une sorte de négociation entre l’industrie et tous ces propriétaires privés qui ont actuellement ces puits dans le paysage, où ces puits, dans leur état inactif — c’est-à-dire qu’ils n’ont pas été correctement abandonnés, qu’ils n’ont pas été correctement assainis et remis en état. Ils prennent, bien sûr, de l’espace sur ces terres privées, et il y a ensuite les problèmes de contamination et de fuite de gaz qui y sont rattachés. Ces enjeux devront être réglés dans le cadre d’un bloc entre tous ces propriétaires fonciers et l’industrie.
Le côté non conventionnel est différent et, dans ce contexte, il est important de se rappeler que la région du cours inférieur de l’Athabasca abrite plusieurs Premières Nations, dont les Chipewyans d’Athabasca, les Cris de Mikisew et la Première Nation de Fort McKay. Dans ce contexte, je pense qu’il n’est pas question — j’aurais dû mal à imaginer que ces endroits ne soient pas assainis à long terme, car, au final, les peuples autochtones ont des droits protégés par la Constitution en vertu de l’article 35 et ces droits incluent le droit de pratiquer, de manière significative, la chasse, la pêche et le piégeage sur leur territoire traditionnel.
Il me semble évident qu’à un moment donné, ces installations, ces mines et leurs résidus devraient être assainis, et la question est de savoir qui va payer pour cela. Deux options s’offrent à nous.
L’une d’entre elles est... Je suppose qu’il y en a trois, en fait. La première est l’industrie, et il convient de souligner que cela faisait partie de l’accord initial. L’accord initial consistait à exploiter ces réserves de sables bitumineux afin d’en tirer parti et de payer un certain niveau de redevances, mais aussi de les assainir au final. À l’heure actuelle, nous ne sommes pas en voie d’atteindre cet objectif stratégique et d’honorer l’accord initial.
Quand nous avons des régimes de gestion de la responsabilité efficaces, les banques mettent peut-être de l’argent de côté. Par exemple, si une entreprise doit garantir une lettre de crédit — dans d’autres provinces du Canada où les régimes de responsabilité minière sont plus rigoureux, les entreprises doivent garantir un montant beaucoup plus élevé. Dans le cas du Québec, je pense que c’est le montant total du passif futur qui doit être garanti par une lettre de crédit auprès d’une banque.
Dans ce cas-ci, si l’entreprise ne peut pas fournir cette garantie, la banque doit essentiellement fournir les fonds offerts ou garantis par cette lettre de crédit directement au gouvernement pour effectuer ce travail. C’est essentiellement ce que nous recommandons depuis longtemps.
Mais si ce n’est pas le cas, si l’industrie n’a pas mis ces fonds de côté et qu’aucune banque n’a mis ces fonds de côté par l’entremise d’une lettre de crédit, la note sera refilée aux contribuables et au gouvernement. C’est là qu’il y a peut-être une certaine ambiguïté. Dans certains cas, rien ne dit que le gouvernement doit nettoyer un site contaminé. Généralement, nos lois dans toutes les provinces renferment des dispositions concernant les sites contaminés, mais il est rare qu’elles exigent l’assainissement. Ici, l’impératif, la protection des droits de l’article 35 plus particulièrement, finira par imposer cet assainissement. La question sera de savoir qui paiera à ce moment-là, et je pense que ce sera le contribuable, qu’il s’agisse de l’Alberta ou des Canadiens en général.
La sénatrice Galvez : Pour les personnes qui travaillent sur ces remises en état et qui suivent l’industrie de l’extraction, il est bien connu que les entreprises laissent des activités d’exploitation minimales pour ne pas être obligées de procéder à une remise en état. C’est bien connu, par exemple, dans le cas des pipelines, où elles laissent couler un peu de pétrole dans les canalisations pour ne pas avoir à les extraire et à les nettoyer. Elles font de même avec les mines. C’est le cas dans les Territoires du Nord-Ouest où il y a encore deux personnes qui exploitent un énorme site parce que cela leur évite de devoir procéder à l’assainissement. Cela se produit-il également dans les sables bitumineux et les puits?
M. Olszynski : Il semble y avoir une légère variation à ce sujet. En ce qui concerne les mines, bien sûr, certaines d’entre elles ont atteint une certaine maturité et sont exploitées depuis avant le début de ce siècle, mais d’autres ont été mises en service entre 2005 et 2010. On peut dire que certaines d’entre elles peuvent être exploitées encore très longtemps en supposant que la demande de pétrole et le marché ne changent pas en raison des politiques climatiques. On s’attend à ce que certaines d’entre elles soient opérationnelles jusqu’à la seconde moitié de ce siècle.
Mais certaines d’entre elles ont atteint leur horizon d’exploitation et approchent de la fermeture. Ce qui est intéressant ici, c’est que le vérificateur général en Alberta a observé et soulevé une préoccupation : lorsqu’une mine approche la fin de sa durée de vie qui, selon le régime de gestion de la responsabilité ici en Alberta, correspond aux 10 dernières années de la durée d’exploitation, elle doit commencer à mettre de l’argent de côté ou commencer la remise en état. Si elle achète une autre mine ou prend de l’expansion, elle peut utiliser cette expansion pour retarder l’échéance. C’est un point que le vérificateur général a relevé, et il a indiqué qu’il était inapproprié d’utiliser ces règles temporelles pour retarder davantage l’assainissement et la remise en état en achetant une autre installation minière ou en agrandissant la mine d’une façon quelconque.
Une grande partie de la question est de savoir pourquoi nous laissons ces sites contaminés pendant si longtemps. Pourquoi ne pouvons-nous pas nous engager dans un processus progressif d’assainissement et de remise en état pour plafonner, par exemple, les émissions de gaz à effet de serre? En 2010, lorsque la Société royale du Canada a publié un rapport sur les sables bitumineux, il a été question de ce qu’elle a appelé les « plafonds de perturbation », c’est-à-dire qu’il ne devrait y avoir qu’un certain niveau de perturbation autorisé à un moment donné et que si on veut en faire plus, il faut procéder à l’assainissement et à la remise en état. Pour vous donner une idée du contexte, il y a actuellement plus de 100 000 hectares de terres perturbées dans les sables bitumineux. L’assainissement et la remise en état, pour ce qui est des terres assainies, restaurées et remises en état, représentent 105 hectares. Pas même une fraction de pour cent n’a été certifiée. L’industrie répondra qu’il y a environ 5 000 ou 6 000 hectares en cours d’assainissement et de remise en état, mais la plupart de ces travaux se concentrent, à mon avis, sur les sites les plus faciles — la remise en état des terres — et ne s’intéressent pas vraiment aux zones aquatiques et humides.
Pour répondre à votre question, oui, il semble — et c’est documenté par le vérificateur général — qu’il y ait une tentative de continuer de reporter l’assainissement et la remise en état de certaines mines en faisant des acquisitions et en élargissant les opérations dans le but de repousser encore plus l’assainissement et la remise en état.
La sénatrice Galvez : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Olszynski, j’aimerais continuer en français sur cette ligne de questions. Est‑ce que vous avez l’interprétation?
M. Olszynski : Je vais comprendre votre question posée en français, mais j’y répondrai en anglais.
[Traduction]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous en prie. C’est certainement votre privilège de le faire.
[Français]
Donc, voici ma question en français. Je vous avoue que je suis plutôt étonnée par les chiffres absolument énormes liés au coût du nettoyage. Là-dessus, je veux bien comprendre.
Au Québec, je comprends qu’il y a des lois qui obligent les mines, par exemple, à mettre de côté, par l’intermédiaire d’une banque, un fonds de réserve réservé au nettoyage. En Alberta, est-ce qu’il existe quoi que ce soit qui exige la même chose en matière de lois provinciales?
Mon souvenir, c’est qu’à un moment donné le gouvernement fédéral avait octroyé des sommes à des compagnies, mais que finalement, cet argent n’avait pas forcément été utilisé pour le nettoyage. Quel est l’état de la législation dans les provinces en ce qui a trait au nettoyage des sites pollués?
[Traduction]
M. Olszynski : Il est important de faire la distinction entre le pétrole et le gaz conventionnels et les ressources non conventionnelles ou les sables bitumineux. Nous avons des régimes de responsabilité pour le pétrole et le gaz, les puits, les pipelines et les installations, et dans le contexte des sables bitumineux, nous avons le programme de garantie financière des mines. Ce programme repose sur un fondement juridique. Il a essentiellement été créé par un règlement en vertu de notre loi sur la protection et l’amélioration de l’environnement.
Ce qu’il est essentiel de comprendre, tant pour la responsabilité du pétrole et du gaz conventionnels que pour la responsabilité du pétrole et du gaz non conventionnels, c’est que les systèmes sont fondamentalement défaillants. Ces régimes ne fonctionnent pas. L’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta sait qu’ils ne fonctionnent pas, mais il refuse de les réparer. Nous avons essayé — le vérificateur général, les universitaires et divers groupes — d’insister sur l’urgence de ce problème auprès des gouvernements successifs de l’Alberta, mais il y a actuellement un refus total à ce jour de faire les réformes qui sont nécessaires pour que ces systèmes fonctionnent.
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce parce qu’il n’y a pas d’application ou parce que le régime tel qu’il est conçu ne fonctionne pas?
M. Olszynski : C’est le régime en soi qui est essentiellement conçu pour ne pas fonctionner. Je peux vous donner une idée générale. En ce qui concerne le pétrole et le gaz conventionnels — les puits, les pipelines et les installations connexes —, il manque deux éléments essentiels que le gouvernement et l’organisme de réglementation refusent de reconnaître.
L’un de ces éléments est un calendrier ou une date limite pour mettre fin aux activités. En Alberta, les pipelines, les puits de pétrole et de gaz et d’autres installations peuvent rester inactifs, comme nous l’appelons, pendant une période indéfinie. On ne tient pas compte du temps pour dire qu’un puits est resté inactif pendant 5 ou 10 ans et qu’il doit être assaini. C’est un énorme problème qui a mené à la prolifération de puits inactifs. On parle de 80 000 à 90 000 puits inactifs dans la province. C’est le point de départ.
L’autre grand problème dans le contexte conventionnel des puits et des installations de pétrole et de gaz est le refus, dans presque tous les cas, d’exiger le dépôt d’une garantie. Au fil du temps, l’organisme de réglementation a élaboré diverses formules alambiquées qui tiennent compte essentiellement des actifs par rapport aux passifs dans ce que nous appelons l’approche de la responsabilité. Cela fait plus de 10 ans que l’on sait que cette approche ne fonctionne pas et, il y a trois ou quatre ans, la province a annoncé qu’elle allait enfin faire quelque chose à ce sujet, mais elle n’a pas fait ce qu’il fallait pour résoudre enfin ce problème.
En ce qui concerne les ressources non conventionnelles — les sables bitumineux —, le problème est essentiellement le même. La province a adopté une approche des actifs et des passifs, à laquelle elle s’accroche. Les entreprises sont autorisées à utiliser leurs réserves, tant prouvées que probables — c’est-à-dire le pétrole dans le sol comme garantie — contre leurs dettes afin d’éviter de déposer des garanties ou autres.
Voici le problème que pose cette approche, et nous l’avons constaté pendant la pandémie de COVID-19 : cette approche suppose que lorsque tout va bien, tout est beau et personne n’a besoin de déposer une caution. Mais lorsque les prix du pétrole baissent et que la rentabilité diminue, le système suppose que c’est à ce moment-là que le gouvernement demandera plus d’argent à ces mêmes entreprises qui éprouvent des difficultés financières, si bien que le fait de demander cette garantie à ce moment-là exacerberait leurs difficultés financières.
En fait, le ministre de l’Environnement de l’époque, Jason Nixon, a déclaré dans un communiqué de presse que les mathématiques du programme de garantie financière des mines ne fonctionnent pas lorsque les prix du pétrole sont bas. Mais le fait est que si cela ne fonctionne pas lorsque les prix sont bas, alors cela ne fonctionne pas du tout parce que nous n’avons pas cette sécurité mise de côté lorsque les temps sont bons et nous ne pouvons pas nous attendre à soutirer cet argent des entreprises lorsqu’elles éprouvent leurs propres difficultés financières. C’est ce qui s’est passé. Pendant la pandémie de COVID-19, lorsque les prix ont atteint des niveaux inférieurs à zéro, le programme de garantie financière des mines aurait alors exigé des sociétés d’exploitation des sables bitumineux des milliards de dollars de garanties supplémentaires. Vous pouvez deviner ce qui s’est passé. L’organisme de réglementation a modifié la formule et n’a pas exigé ce paiement parce que l’industrie a dit : « Comment pouvons-nous vous payer maintenant? Le prix du pétrole est négatif. »
La sénatrice Miville-Dechêne : Je sais évidemment que les ressources naturelles relèvent de la province, mais comme il s’agit d’une question environnementale, le système fédéral devrait-il intervenir dans ce domaine particulier?
M. Olszynski : C’est le point que j’ai soulevé. J’essaie d’être délibéré dans mon mémoire pour bien faire comprendre que, surtout lorsqu’il est question des sables bitumineux, c’est 1,6 billion de litres de résidus et quelque 35 lacs de kettle sur le terrain, qui seront connectés sur le plan hydrologique à la Région du cours inférieur de la rivière Athabasca. Cela suppose donc une compétence fédérale sur les pêches, les poissons, l’habitat des poissons, et une compétence fédérale en lien avec les peuples autochtones et les terres qui leur sont réservées. Il s’agit d’une pollution transfrontalière ou interprovinciale des rivières qui, à ce stade, avec un tel niveau de mauvaise gestion, doit, je pense, intéresser beaucoup plus vivement le gouvernement fédéral à la planification de l’assainissement et de la remise en état.
Jusqu’à présent, je pense que l’approche a consisté à dire que le gouvernement fédéral, en ce qui concerne ces questions, intervient en dehors du périmètre et permet à la province et aux exploitants de faire ce qu’ils veulent à l’intérieur de leurs concessions, si l’on peut dire. Ce qui est très clair, c’est qu’il s’agit essentiellement — du point de vue de l’environnement et du point de vue de la santé et de la sécurité — de bombes à retardement qui auront des effets négatifs clairs et directs sur les zones qui relèvent de la compétence fédérale. Je pense qu’il est probablement temps pour ces ministères compétents de commencer à jouer un rôle plus actif, un rôle plus collaboratif ou coopératif avec la province pour ce qui est de la planification de l’assainissement et de la remise en état.
Pour répondre à votre observation, l’autre domaine pertinent, qui relève clairement du gouvernement fédéral, est la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Je ne sais pas si certains sénateurs connaissent l’affaire Redwater qui remonte à 2018. À l’époque, il y a eu une discussion très vigoureuse sur la relation entre la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et ce qu’elle permet de faire et, plus particulièrement, comment elle permet aux entreprises, dans certains cas, de faire faillite et d’éviter de payer leurs diverses dettes.
Je pense donc qu’il est grand temps d’entamer une discussion concertée sur la manière dont la Loi sur la faillite et l’insolvabilité pourrait contribuer à éviter que ce type de responsabilité ne retombe sur le public.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie.
Le sénateur Wells : Merci, monsieur, de vous être joint à nous aujourd’hui. Je vous suis reconnaissant de vos observations. Connaissez-vous le régime de réglementation dans la zone extracôtière de Terre-Neuve?
M. Olszynski : Je dirai d’emblée que je ne le connais pas très bien, mais je vous en prie, continuez et j’essaierai de vous suivre.
Le sénateur Wells : Je le connais bien pour en avoir été à la tête. Voici ma réponse à la question de la sénatrice Miville-Dechêne : dans la zone extracôtière de Terre-Neuve, il existe une condition de licence, c’est-à-dire que vous devez déposer une caution ou mettre en place une mesure de sécurité quelconque qui n’est pas basée sur la production ou les réserves disponibles. Vous devez verser une caution qui peut être saisie en cas de déversement pour assainissement ou autre, ce qui n’a pas été le cas.
C’est donc une condition de licence. Personne ne peut obtenir de licence s’il n’a pas déposé cette caution, et ce serait une bonne chose que l’organisme de réglementation de l’Alberta envisage de faire.
Je ne suis pas du tout favorable à ce que le gouvernement fédéral intervienne dans une compétence qui n’est pas la sienne. L’organisme de réglementation est habilité à le faire et devrait le faire. S’il ne le fait pas, je ne pense pas que ce soit au gouvernement fédéral d’intervenir.
L’autre jour, nous avons eu une réunion du comité, et la question que j’avais concernait — et vous en avez un peu parlé dans votre déclaration liminaire — le coût pour les Canadiens des différents aspects du plafonnement des émissions, du plafonnement de la production et d’un grand nombre de programmes en place que vous connaissez peut-être et qui encouragent les Canadiens à produire et à utiliser moins de pétrole. J’ai demandé quel était le coût, et le chiffre qu’ils ont donné était basé sur un rapport de la Banque Royale du Canada, ou RBC, de 4 billions de dollars. J’ai vérifié le rapport de la RBC : il s’agit en fait de 2 billions de dollars. Le chiffre le plus bas n’est pas très rassurant. Dans votre déclaration liminaire, vous avez parlé du coût de ne pas intervenir dans l’industrie pétrolière et gazière. Pourriez-vous nous parler un peu du coût pour les Canadiens si nous ne faisons rien ou du coût pour les Canadiens si nous continuons sur la voie dans laquelle nous nous sommes engagés, y compris — et vous l’avez mentionné — le coût social? Je sais que l’emploi et les redevances offrent des avantages pour les Premières Nations. Je sais que c’est l’un des fondements des entreprises qui exercent leurs activités dans l’Ouest. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet, je vous prie?
M. Olszynski : Certainement. Je précise d’entrée de jeu que je n’ai pas tous les chiffres sous la main en ce moment. C’est probablement de ma faute, en partie, puisque j’ai parlé de chiffres. Je ne vous reprocherai donc pas de me poser des questions à ce sujet. Voici quelques chiffres que j’ai vus dans ma préparation pour ce matin : l’an dernier, le Canada a consacré 1 milliard de dollars à la lutte contre les incendies. Nous avons connu une année record au chapitre des feux de forêt, et nous risquons de connaître une autre année record cette année.
Deux ou trois années auparavant, des villes entières ont brûlé en Colombie-Britannique. Cela a été suivi d’une rivière atmosphérique qui a détruit de grands tronçons de la Transcanadienne. On prévoit une sécheresse en Alberta cette saison. Des avis de pénurie d’eau sont actuellement en vigueur dans la moitié de la province. On peut facilement dire que certains de ces phénomènes qui ont été exacerbés, comme nous le savons, se reproduiront, car nous avons toujours connu des sécheresses et des incendies de forêt. Cependant, la science des changements climatiques nous apprend que ces phénomènes sont fortement exacerbés et font encore plus de ravages dans nos différents secteurs, notamment l’agriculture et la foresterie, et rendent aussi nécessaire une adaptation de notre réseau routier et de notre environnement bâti. Je n’ai pas de chiffres précis à vous donner, mais je vous les transmettrai avec plaisir. J’ai l’intention de présenter un mémoire au comité plus tard.
Je dirais que chaque analyse à cet égard — et je sais par exemple que le directeur parlementaire du budget, ou DPB, semblent s’intéresser vivement à ces questions — révèle que la lutte aux changements climatiques coûte de l’argent. C’est indéniable. On n’a rien pour rien. Voilà pourquoi il est important de réduire les émissions. Donc, cela coûtera de l’argent.
Le but et la priorité ont toujours été d’essayer de le faire de la façon la plus efficace possible sur le plan économique tout en reconnaissant que ne rien faire coûtera plus cher. Il y a des analyses, notamment par le DPB, qui décrivent ce qui se passerait. Toutes choses étant égales par ailleurs, le coût des mesures de réduction des émissions pèse moins sur l’économie que le coût d’une augmentation des températures de deux degrés Celsius ou plus. Cette analyse a été faite, mais je ne l’ai pas sous la main.
Le consensus semble être que les coûts de l’inaction en matière de changements climatiques pour les Canadiens seront beaucoup plus élevés que les coûts de mesures immédiates. Évidemment, les mesures ne se valent pas toutes. Les experts estiment que la tarification du carbone est la plus efficace sur le plan économique. Nous étudions des mesures supplémentaires. Leurs avantages font l’objet d’un sérieux et rigoureux débat. Voilà la meilleure réponse que je peux donner à votre question.
Je tiens à souligner que ce n’est pas un problème que le Canada peut régler à lui seul. Dans ce contexte, il convient de souligner que le Canada est effectivement un important acteur sur la scène internationale, lorsqu’on regarde les émissions mondiales : 40 % de l’ensemble des émissions mondiales proviennent de pays qui produisent moins d’émissions que le Canada. Si nous espérons convaincre ces pays de prendre des mesures importantes pour réduire leurs émissions, nous devons faire de même.
Le sénateur Wells : Parmi les experts, êtes-vous de ceux qui considèrent que les avantages de la tarification du carbone sont le moyen le plus efficace de lutter contre les changements climatiques?
M. Olszynski : Non. Respectueusement, je ne me considère pas comme un expert. Si vous veniez ici en Alberta, nous avons plusieurs économistes qui peuvent parler de ces questions, comme Andrew Leach, Blake Shaffer et Trevor Tombe.
Le sénateur Wells : Professeur, vous avez parlé de la place du Canada dans le monde en ce qui a trait aux changements climatiques et aux dommages causés par les incendies, la sécheresse et d’autres catastrophes naturelles. Vous avez mentionné la rivière atmosphérique, qui provenait du Pacifique.
Vous savez que les émissions du Canada représentent 1,5 % des émissions mondiales. Le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère ne tient pas vraiment compte des frontières politiques. Vous avez aussi indiqué que d’autres pays sont de plus importants émetteurs que le Canada. Je crois savoir que les trois principaux pays émetteurs — la Chine, l’Inde et les États‑Unis — représentent probablement beaucoup plus de 50 %, et peut-être près de 60 %, des émissions.
Étant donné que les émissions canadiennes représentent 1,5 % des émissions mondiales, ce qui est très faible, avouons-le, que peut faire le Canada sans un effort mondial à cet égard?
M. Olszynski : C’est une bonne façon de voir les choses. Ces 1,5 % ou 1,6 % nous placent parmi les 10 principaux émetteurs, tout en bas de la liste. Il y a environ neuf autres administrations. L’Union européenne — ou plusieurs de ses pays membres — est considérée comme un tout dans cette équation.
Concernant les pays qui ont des émissions supérieures aux nôtres, je peux dire que si nous ne faisions absolument rien — si nous ne faisions aucun effort pour réduire nos émissions —, nous n’aurions pas d’échanges commerciaux et, par conséquent, aucune raison d’essayer de convaincre les plus importants émetteurs à prendre des mesures.
C’est intéressant, car dans la sphère publique — et je conviens que c’est parfois difficile —, on aime souligner, par exemple, l’hypocrisie d’individus ou de politiciens qui parlent de changements climatiques, mais qui se déplacent ensuite en jet privé partout dans le monde, et cetera. Cela semble vraiment déranger une certaine partie du public, je dirais.
Toutefois, la même logique s’applique à l’échelle internationale dans les négociations et la lutte contre les changements climatiques. On n’a aucun pouvoir, moral ou autre, pour persuader d’autres nations à réduire leurs émissions si on ne prend pas soi-même des mesures en ce sens. Cela s’applique à ceux qui produisent plus d’émissions que nous, mais cela s’applique d’autant plus aux pays qui produisent moins d’émissions que nous.
Comme je l’ai mentionné, près de 200 pays du monde ont des émissions inférieures aux nôtres. Si nous disons que nous n’avons pas besoin d’agir parce que nous représentons seulement 1,5 % des émissions mondiales, ils pourraient tous dire qu’ils n’ont pas besoin d’agir non plus. Collectivement, en tout, cela représente environ 40 % de l’ensemble des émissions mondiales. Donc, nous ne pouvons pas gagner la partie, même avec les importants acteurs. C’est un point important.
La question peut aussi être examinée d’un autre angle, qui est celui que le gouvernement fédéral actuel semble défendre, je suppose : ce n’est pas seulement une question de coûts, mais aussi d’occasions à saisir. Il y a des profits à faire. La transition vers une économie à faibles émissions de carbone peut être créatrice d’emplois.
La question ne se résume pas à des défis, à surmonter ces défis et à atténuer les effets. Il faut vraiment faire place au changement et à la transition vers une économie différente et saisir les possibilités qui pourraient en découler.
La sénatrice Sorensen : Je remercie notre témoin. En tant que concitoyenne albertaine, je vous souhaite la bienvenue à notre comité. Je suis ravie de vous voir.
Ma question sera répétitive, mais je vais tout de même la poser. Cela pourrait prendre une autre direction, ou vous aurez peut-être des choses à ajouter à ce sujet. Vous avez dénoncé le fait que l’Alberta Energy Regulator refuse de divulguer des renseignements financiers sur les permis ou même sur l’état général de l’industrie pétrolière et gazière. Vous avez demandé publiquement au gouvernement albertain de lancer une enquête publique sur les mesures prises par la province pour s’assurer que les producteurs de sables bitumineux ont la capacité de payer pour nettoyer les dégâts qu’ils ont causés. Quels sont les progrès dans ce dossier? Pouvez-vous en dire plus à ce sujet?
M. Olszynski : Cela ne progresse pas bien. Dans ma déclaration préliminaire devant ce comité, j’ai indiqué que cette conversation s’impose de toute urgence.
Deux choses qui me viennent immédiatement à l’esprit. Premièrement, une enquête sur le secteur des énergies renouvelables en Alberta tire à sa fin. Une enquête publique a été lancée. La province de l’Alberta a imposé un moratoire de six mois sur la délivrance de permis d’exploitation des énergies renouvelables. Les préoccupations entourant les obligations de remise en état pour le secteur des énergies renouvelables font partie des prétendus motifs pour lesquels cette enquête et ce moratoire étaient nécessaires. Cette politique de deux poids deux mesures est ahurissante. C’est stupéfiant.
Nous affirmons, dans le même contexte, que cette enquête publique doit être menée. Je ne demande même pas un moratoire sur l’exploitation pétrolière et gazière. Menons une enquête publique pour mieux comprendre ce qui se passe, pour que le gouvernement soit plus transparent avec les Albertains sur l’ampleur et la gravité du problème.
À ce propos, j’aimerais parler d’un incident qui s’est produit ici récemment. Comme vous le savez peut-être, la pression monte dans la province au sujet de cette question. On en parle assez régulièrement aux nouvelles. En janvier, l’Alberta Energy Regulator a publié son premier rapport sur le rendement en matière de gestion du passif. Ce rapport était censé être un exercice d’ouverture et de transparence envers les Albertains, mais la régie s’est appuyée sur des chiffres qu’il sait erronés.
Selon la régie, le passif total du secteur pétrolier et gazier conventionnel s’élève à 33 milliards de dollars environ. Lorsqu’on lui a fait remarquer que ces chiffres étaient erronés, la régie a laissé entendre, notamment dans les médias, qu’elle ignorait s’il s’agissait d’une surestimation ou d’une sous‑estimation. Or, nous savons, d’après des documents internes de 2018 que mes co-auteurs ont obtenus grâce à une demande d’accès à l’information, que les estimations internes de l’Alberta Energy Regulator indiquent que ces chiffres sont sous‑estimés de 263 %. Par conséquent, au lieu de 33 milliards de dollars, le chiffre est plutôt autour de 88 ou de 90 milliards de dollars. L’Alberta Energy Regulator le savait. Elle avait ces documents et a tout de même avancé le chiffre de 33 milliards de dollars, alors que ces documents n’étaient pas encore publics. Qui aurait pu dire s’il s’agissait d’une surestimation ou d’une sous‑estimation?
Nous parlons assez ouvertement, ici, de la notion de capture réglementaire. Dans les documents que je fournirai au comité, l’expression est parfois employée au sens large, mais elle a aussi une signification précise. Essentiellement, cela signifie que l’intérêt public a été supplanté par l’intérêt de l’industrie réglementée. C’est une façon d’expliquer ce qui se passe ici.
J’avoue que je réfléchis davantage dernièrement. C’est ce que j’ai dit dans ma déclaration. Je me demande simplement s’il n’y aurait pas actuellement au gouvernement albertain, y compris chez les fonctionnaires, une mentalité d’assiégé généralisée, mais moins néfaste et, à certains égards, plus compréhensible. Nous sommes en période de transition. Il n’est donc pas surprenant que ceux qui sont très liés et fortement associés à une industrie donnée cherchent à la protéger.
Les conséquences sont vraiment problématiques. Je constate, par rapport à la mentalité d’assiégé, qu’elle s’accompagne de la notion de conformité et du rejet de perspectives différentes et d’opinions divergentes, ce qui peut avoir des conséquences très graves. C’est ce que nous constatons dans le contexte de cette catastrophe financière et environnementale imminente. Nous sommes rendus à un point où nous avons probablement un passif de 260 milliards de dollars, et peut-être 1,3 milliard de dollars en réserve pour éventualités. En guise de contexte, j’ajouterais que la dette actuelle de l’Alberta est de 80 milliards de dollars. Par conséquent, à terme, cela fera quadrupler cette dette.
L’autre exemple est le déversement au site d’exploitation des sables bitumineux du lac Kearl. J’ignore si le comité en a beaucoup entendu parler. Le comité de l’autre Chambre s’est beaucoup intéressé à ce dossier. Pendant neuf mois, on a omis d’informer les Premières Nations des infiltrations dans les eaux souterraines. Elles ont seulement été informées lorsqu’il y a eu un deuxième incident.
Il y a d’autres exemples. L’exploitation pétrolière et gazière peut déclencher l’activité sismique, ce que l’organisme de réglementation a d’abord réfuté en disant que c’était un événement naturel. Il a fallu qu’une voix indépendante s’élève et dise que c’était attribuable à l’exploitation pétrolière et gazière pour que l’organisme se ravise et reconnaisse qu’il y avait eu un élément déclencheur.
Si cela arrive une fois, soit, mais après deux ou trois fois, il y a lieu d’être préoccupé. Nous sommes rendus à un stade où l’enjeu n’est plus seulement économique; cela commence aussi à devenir un danger pour les Albertains.
La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup.
La sénatrice Galvez : Je remercie beaucoup notre témoin de cette intéressante discussion et d’avoir révélé ces problèmes importants qui, comme vous l’avez indiqué, auraient des conséquences désastreuses pour tous les Canadiens si nous devions prendre en charge l’ensemble de ce passif.
Vous avez parlé de substances toxiques et du rôle du gouvernement fédéral. Je crois savoir que le fédéral est aux prises avec des problèmes liés à la pollution, l’environnement, les gaz à effet de serre et les peuples autochtones. Permettez-moi de vous parler d’une chose que j’ai entendue dans mes cercles professionnels.
Au fil des ans, le secteur de l’exploitation et de l’extraction du pétrole et du gaz a utilisé quatre barils d’eau pour produire un baril de pétrole. J’ai posé la question au directeur parlementaire du budget et au commissaire à l’environnement, car si l’on multiplie le nombre de barils d’eau par la quantité de pétrole produite, on constate que la production de ce pétrole a nécessité une énorme quantité d’eau. Ensuite, lorsque l’on compare le volume d’eau utilisé au volume des bassins de décantation, on voit qu’il manque beaucoup d’eau. Selon certains de mes collègues, cette eau s’est infiltrée dans la nappe phréatique. C’est ainsi qu’elle s’est écoulée jusque dans la rivière Athabasca et le bassin hydrographique du fleuve Mackenzie.
Aujourd’hui, après 40 ans d’extraction, mes collègues scientifiques, spécialistes en foresterie et géologues me disent aussi que les niveaux des eaux souterraines ont été considérablement touchés. Les niveaux ne cessent de baisser, de sorte que les arbres doivent creuser profondément dans le sol pour trouver de l’humidité. C’est un des facteurs qui expliquent pourquoi la température des feux atteint le niveau 5. C’est aussi ce qui explique pourquoi il y a des feux de forêt dormants même l’hiver. Ils sont toujours actifs dans le sol et reprennent au printemps.
Vous avez parlé du nombre d’hectares touchés. On peut le voir sur les images par satellite. Cependant, qu’en est-il du sous-sol, des limites et des secteurs transfrontaliers? Cela atteint-il la Colombie-Britannique ou les provinces des Prairies? Avez-vous examiné la question?
M. Olszynski : Oui. Merci, sénatrice. Beaucoup de ces choses dépassent mon champ d’expertise. Je souligne au passage qu’il est assez difficile de savoir ce qui se passe dans les eaux souterraines. Prenons à titre d’exemple les déversements au lac Kearl, l’an dernier, et le témoignage de l’Impériale à l’époque. Je me souviens qu’une des questions était la suivante : « Pouvez‑vous nous dire quelle est l’ampleur de l’infiltration dans ce panache d’eau souterraine? » La réponse qui m’a été donnée à maintes reprises, c’est que c’est très difficile à savoir. Estimer le volume d’infiltration dans ce cas précis n’est peut‑être pas impossible, mais c’est extrêmement difficile. Je trouve cela remarquable.
Avant mon arrivée à l’Université de Calgary comme professeur, en 2013, j’ai travaillé six ans comme avocat au ministère des Pêches et des Océans, ou MPO. J’ai travaillé dans certains de ces domaines et donné des conseils sur certains de ces dossiers. J’ai consacré la majeure partie des 10 dernières années à étudier ces divers régimes de réglementation et à essayer de déterminer s’ils fonctionnent ou non. Les résultats ne sont pas bons.
J’encourage le comité à inviter des spécialistes qui pourront mieux expliquer les choses à cet égard. J’ai l’impression entre autres que nous sommes allés de l’avant sans vraiment comprendre, sans prendre le temps d’établir les données initiales et nous assurer que nous avions des indicateurs permettant de surveiller ces choses. Nous avons simplement foncé. Il est donc très difficile maintenant d’essayer de dire ce qui se passe parce que nous n’avions pas l’information de base. Nous n’avions pas une idée claire de ce qui se passait vraiment.
On nous dit tout le temps que les eaux souterraines et les eaux de surface de la région du cours inférieur de la rivière Athabasca sont connectées. Ainsi, je ne serais pas surpris d’apprendre que ce que vous dites est en train de se produire. Nous savons qu’il existe des liens entre les eaux de surface et les eaux souterraines. Si l’eau souterraine se retrouve dans ces fosses lorsqu’elles sont asséchées et creusées, cette eau doit venir de quelque part et quitte donc un autre endroit.
Une partie de ces données existe. La plupart sont soumises à l’Alberta Energy Regulator, qui est l’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta. Je ne sais pas combien de ces données Environnement Canada ou le MPO demandent.
Pour revenir à la remarque que l’un des membres du comité a faite précédemment, je comprends qu’il y a des choses qui relèvent des provinces, mais il est important de souligner que ce n’est pas le cas ici — et je vais revenir au jugement récent de la Cour suprême concernant la Loi sur l’évaluation d’impact. Peut‑être que je vais finalement parler en tant qu’avocat. Il s’agit d’une sphère commune. Il y aura des chevauchements. La Cour suprême a été très claire. Bien que la Loi sur l’évaluation d’impact dépasse les limites de la compétence fédérale à certains égards, la Cour suprême a été très claire sur le fait qu’il n’y a pas de compétence provinciale exclusive. Le même projet ou le même scénario peut avoir un aspect provincial et être soumis à la réglementation applicable aux ressources naturelles, par exemple, mais il peut aussi avoir un aspect fédéral. Dans le cas présent, ces aspects fédéraux concernent très clairement les poissons et leur habitat, les peuples autochtones et la pollution transfrontalière ou interprovinciale des cours d’eau.
Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer. J’invite ce comité et le gouvernement fédéral à assumer ce rôle afin de s’assurer qu’on n’attende pas essentiellement qu’une menace grandissante se concrétise avant d’agir.
La sénatrice Galvez : Je voudrais passer à la question de la mentalité d’assiégé ou, comme vous le dites, de la capture réglementaire. Il devient évident qu’il y a de nombreuses situations de conflit d’intérêts. Lorsqu’un premier ministre a déjà été lobbyiste pour l’industrie pétrolière et gazière, on n’est bien sûr pas étonné lorsque certains problèmes d’ordre réglementaire sont négligés ou contournés. Il en va de même pour les dirigeants, les conseils d’administration et les autres personnes qui participent à la prise de décision.
Vous êtes-vous penché sur les questions relatives à la Loi sur le lobbying, à la Loi sur les conflits d’intérêts ou à d’autres lois sur la transparence qui doivent être révisées? Je sais que, à l’échelle fédérale, il est nécessaire de moderniser la Loi sur le lobbying. Elle n’a pas été modifiée depuis longtemps. Mais en raison de ces problèmes, quels sont les intérêts qui prévalent au sein des conseils d’administration lorsqu’il s’agit de la pollution qui est causée par l’industrie pétrolière et gazière?
M. Olszynski : Encore une fois, nous atteignons certainement les limites de ce que j’appellerais mon « expertise ».
Je peux dire que d’après mon expérience, à l’échelle fédérale, on s’inquiète essentiellement de la faiblesse des mécanismes de reddition de comptes et ils sont tout aussi faibles ici, en Alberta. Je pense que la Loi sur les conflits d’intérêts, en particulier, a été interprétée de manière très restreinte au fil du temps, de sorte qu’il est très difficile de faire quoi que ce soit à cet égard.
Moi-même, mes coauteurs et mes collaborateurs avons recours aux processus d’accès à l’information dans la province. Ceux-ci sont également défaillants. Je pense que l’Alberta a probablement le pire des gouvernements provinciaux au chapitre du respect des processus d’accès à l’information.
À titre d’exemple, j’ai cherché à obtenir des documents auprès du ministère de l’Environnement et des Aires protégées de l’Alberta concernant la question des infiltrations et on m’a répondu qu’il n’y en avait pas. Lorsque j’ai demandé des documents similaires à l’Alberta Energy Regulator, une partie du dossier que j’ai reçu comprenait des consultations avec le ministère de l’Environnement et des Aires protégées de l’Alberta et des courriels échangés avec lui. Manifestement, il se passait quelque chose.
En ce qui concerne les documents dont j’ai parlé, qui portent sur le passif du secteur pétrolier et gazier, que nous avons publiés à l’automne, mon collègue parle essentiellement d’un courtier avec lequel il doit constamment négocier. À un moment donné, il a pu demander une boîte afin d’obtenir les documents qu’elle contenait et il s’est avéré qu’il y avait toutes sortes de choses pertinentes pour notre analyse. Ce système est malheureusement défaillant.
À propos du lobbying, j’ai eu l’occasion de consulter le registre des lobbyistes récemment. Nous avons appris que dans le contexte de la sécheresse imminente, l’Association canadienne des producteurs pétroliers a fait pression en faveur de diverses modifications à la loi sur les ressources en eau, comme vous l’avez souligné. L’industrie pétrolière et gazière de l’Alberta utilise généralement entre 10 et 15 % de toute l’eau attribuée par le système de permis. Fort McMurray et la région du cours inférieur de l’Athabasca font partie des zones touchées par l’avis de sécheresse, et on fait pression, semble-t-il, au sujet des échanges entre bassins, ce qui est également quelque chose de très radical.
À ce stade, nous savons qu’il existe un lien très étroit. Dans l’un de nos documents, nous avons fourni 100 pages de dossiers qui montrent qu’essentiellement... Il semble naïf de parler de conflits d’intérêts parce qu’il y a essentiellement des relations bilatérales entre l’industrie et l’organisme de réglementation. Derrière des portes closes, ils se rencontrent régulièrement et décident conjointement, par exemple, du montant que l’industrie va payer chaque année pour le passif et de la quantité de travail lié à la fermeture qu’elle devra effectuer.
À un moment donné, il devait y avoir un calendrier de travail, puis soudain ce calendrier disparaît et les entreprises paient moins cette année que ce qu’elles étaient censées payer. Nous savons que cela se produit essentiellement parce que le personnel de l’Alberta Energy Regulator rencontre les acteurs de l’industrie et qu’ils prennent des décisions ensemble. Le public n’est pas invité, il n’y a pas d’examen public, et si nous le savons, c’est uniquement grâce aux processus d’accès à l’information.
Pour revenir à ce que vous disiez, on est bien au-delà de ce que nous pourrions appeler des conflits d’intérêts conventionnels et toutes ces choses. Nous parlons essentiellement d’une relation bilatérale et il est intéressant de souligner que le chef de la direction de l’Alberta Energy Regulator a déclaré à un moment donné qu’il s’agissait d’un organisme de réglementation pour l’industrie. Il ne s’agit pas d’un organisme de réglementation de l’industrie, mais pour l’industrie, et je pense que c’est révélateur. Cela explique beaucoup de choses, à mon avis.
La sénatrice Galvez : Merci.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez parlé d’articles sur cette question de remédiation et de réserve qui ont été publiés l’automne dernier. Avez-vous un article compréhensible à nous envoyer? Vous avez parlé de faire suivre un mémoire. Ce serait vraiment intéressant pour nous d’avoir de la documentation.
M. Olszynski : Certainement.
[Traduction]
Il y a deux publications de l’École de politiques publiques de l’Université de Calgary. Je fournirai les liens vers ces documents. Ils ont fait l’objet d’un examen par les pairs et plus encore. Je dirai que nous y avons consacré beaucoup d’efforts et je vous les fournirai. Il ne fait aucun doute qu’ils contiennent de l’information technique à certains égards, mais nous avons fait de notre mieux pour les rendre compréhensibles, essentiellement, pour les profanes.
J’ai préparé ma déclaration préliminaire et je pourrais l’envoyer au comité. De plus, je peux fournir des liens hypertextes dans ce contexte pour étayer un peu ce que je disais. Voilà ce que je pensais faire.
La vice-présidente : Merci. Les sénateurs tiendront compte de ce que vous fournirez.
Je remercie les sénateurs et le témoin de leur participation aujourd’hui.
(La séance est levée.)