LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 28 mai 2024
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 18 h 34 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur des éléments de la section 28 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024.
Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle Paul Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité.
Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
Avant de commencer, je voudrais demander à tous les sénateurs et aux autres participants de consulter les cartes sur les tables pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son. Veuillez prendre note des mesures préventives suivantes, qui ont été mises en place pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes.
Dans la mesure du possible, veillez à vous asseoir de manière à augmenter la distance entre les microphones. N’utilisez qu’une oreillette noire homologuée. Les anciennes oreillettes grises ne doivent plus être utilisées. Tenez votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet.
Merci à tous de votre coopération.
Je vais demander à mes collègues du comité de se présenter, en commençant par ma droite.
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, sénateur de l’Alberta.
Le sénateur Cotter : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan. Bonsoir.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, Québec.
La sénatrice McBean : Marnie McBean, Ontario.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, Alberta.
Le sénateur Wells : David Wells, Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, Québec.
[Français]
Le président : Merci à tous.
[Traduction]
Nous accueillons quelques intervenants importants aujourd’hui. Nous devrions en être fiers.
[Français]
Le sénateur Wells demande notre attention.
[Traduction]
Le sénateur Wells : Avant d’aborder le sujet qui nous occupe avec nos invités, je souhaite proposer une motion concernant le projet de loi C-248, qui porte sur le parc urbain national Ojibway, afin que le comité l’examine.
Pour mettre les choses en contexte, je précise qu’après avoir écouté en comité les délibérations que nous avons eues, ainsi que la présentation du député Masse, j’estime que le projet de loi est bon en principe. Je ne sais pas s’il fera l’objet de beaucoup d’opposition s’il est présenté dans une forme correcte. Toutefois, je ne crois pas — et je pense que mes collègues partagent mon avis — que le projet de loi soit tout à fait correct dans sa forme actuelle.
En raison du processus de sélection aléatoire des projets de loi d’initiative parlementaire dans l’autre endroit et de la probabilité qu’il y ait des élections l’année prochaine, si nous votons en faveur du projet de loi maintenant, il risque de ne pas être bien accueilli là-bas et, par conséquent, de ne pas voir le jour. Je voudrais que le projet de loi soit adopté dans sa forme correcte, mais pour le moment, la tâche de le rectifier ne revient pas au comité sénatorial.
J’en ai discuté avec le député Masse, et il approuve ce que je vais proposer maintenant. J’ai échangé quelques courriels à ce sujet dont je lirai une ligne après avoir lu ma motion.
Chers collègues, je propose de reporter l’examen du projet de loi C-248 à une date ultérieure de la session. Le député Masse a convenu que ce délai supplémentaire, qui nous mènera probablement jusqu’à l’automne si le comité est d’accord — et si le comité directeur est d’accord —, lui permettra de répondre aux préoccupations que notre comité a exprimées au cours de ses délibérations initiales, à l’étape du rapport.
Le président : Y a-t-il des commentaires ou des questions?
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je suis d’accord avec la motion. J’ai beaucoup de respect pour les efforts de Brian Masse. Je considère qu’il a travaillé très fort pour ce projet de loi qui est assez extraordinaire, parce qu’il a déjà un financement, ce qui est rarissime dans le cas d’un projet de loi privé.
Je crois qu’on fait bien d’attendre pour avoir les fameuses coordonnées plus précises, afin d’éviter que des propriétés privées soient coincées. Est-ce de cela qu’il s’agit? Je le crois bien, mais je voulais juste préciser qu’on parle ici des fameuses coordonnées géographiques pour qu’une propriété privée ne se retrouve pas par mégarde dans le territoire d’un parc. Est-ce bien cela?
[Traduction]
Le sénateur Wells : C’est l’un des éléments qu’il a entendu dire que nous trouvions problématique. C’était le principal problème que nous avions soulevé quand il a comparu devant nous. Le chef Duckworth a également entendu parler de problèmes qu’il doit régler. Ce n’est pas à nous de régler les différends entre les Premières Nations présentes dans la région dont nous discutons. Ce sont ses problèmes, et il sait qu’ils doivent être réglés. La question de la propriété privée n’est pas la seule question qui nous a particulièrement préoccupés lorsqu’il était assis à la table avec nous. Il y avait aussi les inquiétudes du chef Duckworth, qui me semblent à la fois pertinentes et importantes.
Dans un certain nombre de courriels échangés, il a déclaré ce qui suit :
Ce délai nous permettra de prendre en compte toutes les préoccupations et de mettre au point toutes les corrections. Je vous suis reconnaissant de vos conseils à cet égard. Une grande partie de ce dossier a abouti, et la communauté défend sa position à ce sujet. Le processus d’examen du comité a été utile pour rassembler tout le monde.
Je crois que c’est ce qu’il est en train de faire. Il a juste besoin de temps pour le faire. Si, comme nous l’avions prévu, nous abordions cette question au cours de l’étude article par article de jeudi prochain, ce travail ne donnerait pas de bons résultats pour qui que ce soit.
Le président : Y a-t-il d’autres commentaires ou questions? Je tiens à préciser pour le compte rendu que j’ai également parlé à Brian Masse. Il a essentiellement confirmé l’exactitude de vos déclarations, sénateur Wells. Il s’agissait d’un accord. J’en déduis que vous voulez reporter le vote à la semaine prochaine.
Le sénateur Wells : Je souhaite reporter tout examen plus approfondi de ce projet de loi à une date ultérieure de la session.
La sénatrice Sorensen : Sommes-nous saisis de la motion?
Le président : Oui. Tout le monde est-il en faveur de la motion?
Des voix : Oui.
Le président : D’accord.
Le sénateur Wells : Après avoir réfléchi au projet de loi, je me suis d’abord adressé à vous, monsieur le président, pour vous demander votre avis. Je vous suis reconnaissant des conseils que vous m’avez donnés à cet égard. J’ai ensuite appelé le député Masse pour savoir s’il était d’accord. Je ne cherchais pas à obtenir sa permission, car le comité doit prendre des décisions en fonction de ses propres objectifs et besoins, mais j’ai pensé qu’il convenait de le mettre au courant de nos projets.
Le président : Bon travail et bon succès, sénateur Wells.
[Français]
Aujourd’hui, le comité entame son examen de la teneur des éléments de la section 28 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024.
Pour notre premier groupe, nous accueillons par vidéoconférence Mickey Amery, député, ministre de la Justice, gouvernement de l’Alberta, Pierre Gratton, président et chef de la direction de l’Association minière du Canada, et Tara Shea, vice-présidente, Réglementation et affaires autochtones, Association minière du Canada.
Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté notre invitation.
Cinq minutes sont réservées pour vos remarques liminaires.
[Traduction]
Mickey Amery, ministre de la Justice, gouvernement de l’Alberta : Je vous remercie de m’avoir invité à m’entretenir avec vous ce soir, et je vais aller droit au but.
Selon l’Alberta, les amendements que le ministère propose d’apporter à la Loi sur l’évaluation d’impact, ou LEI, ne vont tout simplement pas assez loin pour remédier aux faiblesses constitutionnelles de la loi ou pour régler suffisamment les problèmes désignés par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact.
Bien que de modestes améliorations aient été proposées pour réduire la portée de la loi, il n’en reste pas moins que la loi modifiée continuerait de permettre au gouvernement fédéral d’évaluer et, en fin de compte, d’interdire des projets entiers en vertu de la disposition qui traite d’éventuels « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont négatifs ».
C’est le cas, que le projet soit principalement réglementé par la province ou qu’il nécessite des approbations fédérales non liées au processus de la LEI. De manière plus générale, les amendements proposés représentent une occasion manquée de répondre aux préoccupations générales qui ont été exprimées concernant la clarté de la loi et la capacité d’un promoteur à franchir avec succès les étapes d’un processus inutilement complexe.
L’Alberta est d’avis qu’il est possible de faire davantage pour prouver l’efficacité, la rapidité et la certitude du processus qui sont essentielles pour attirer les investissements dont le pays a tant besoin. Par exemple, nous recommandons que votre comité envisage un véritable processus de substitution des évaluations d’impact fédérales, et de permettre ainsi que des systèmes provinciaux raisonnables d’évaluation d’impact remplace les processus fédéraux. Cela nous permettrait d’atteindre un certain nombre d’objectifs. Tout d’abord, nous éviterions les recoupements inutiles, et nous confierions la décision d’intérêt public à l’ordre de gouvernement approprié d’un point de vue constitutionnel. En outre, cela nous permettrait d’éviter ce que le système actuel accomplit, c’est-à-dire qu’il restreint les provinces et imite le modèle fédéral. Cependant, dans le cadre du système provincial actuel, le gouvernement fédéral continue de prendre la décision finale, ce qui ne constitue pas une véritable substitution.
L’Alberta reste également préoccupée par le fait que la loi utilise un modèle fondé sur une liste de projets. Il n’y a aucune raison pour que des autoroutes intraprovinciales, des centrales électriques au gaz naturel et des projets d’exploitation des sables bitumineux in situ, pour n’en citer que quelques-uns, soient de prime abord soumis à des évaluations d’impact effectuées par le gouvernement fédéral.
Bon nombre de ces préoccupations auraient pu être évitées si, à la suite de la contestation réussie de la loi par l’Alberta devant la Cour suprême, le gouvernement fédéral avait entamé des discussions sérieuses avec les provinces. Cela n’a pas été le cas. Au lieu de cela, le gouvernement fédéral a décidé de ne pas faire savoir à l’Alberta qu’il déposait ces amendements à la Chambre des communes.
Même la version originale de la loi, qui a été largement jugée inconstitutionnelle, a fait l’objet de quatre années de consultation et de rétroaction. En effet, votre comité a passé beaucoup de temps à entendre les promoteurs et les intervenants avant la promulgation de la loi.
Je vais maintenant mettre fin à ma déclaration préliminaire et céder la parole à mon collègue.
Pierre Gratton, président et chef de la direction, Association minière du Canada : Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’être ici aujourd’hui. Je tiens tout d’abord à souligner que nous nous réunissons sur un territoire traditionnel algonquin non cédé. Je tiens également à saluer les centaines de Premières Nations du Canada sur les terres traditionnelles desquelles notre industrie exerce ses activités et avec lesquelles nous entretenons des partenariats solides.
En février 2019, l’Association minière du Canada, ou AMC, a comparu devant votre comité et a exprimé l’opinion selon laquelle la LEI améliorerait la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, ou LCEE 2012, si elle était mise en œuvre correctement. Les principaux aspects de la LEI qui nous ont conduits à cette conclusion sont les suivants : l’amélioration du système de gestion du temps en éliminant les dispositions de mise en attente de la LCEE 2012 qui rendaient les délais inutiles; l’adaptation aux projets pour mettre l’accent sur leurs caractéristiques uniques et pour traiter les aspects communs au moyen de mesures d’atténuation standard; la possibilité d’une coopération fédérale-provinciale, que la LCEE 2012 excluait, sauf au moyen d’une substitution qui ne s’est produite qu’en Colombie-Britannique; et l’inclusion des ministères fédéraux chargés de la délivrance des permis dans le cadre du processus de la LEI pour assurer une délivrance plus rapide des permis après l’évaluation environnementale, ce que la LCEE 2012 ne prévoyait pas.
Malheureusement, la mise en œuvre de la nouvelle loi n’a pas répondu à nos attentes. Aucun nouvel accord fédéral-provincial ne s’est concrétisé et la substitution n’est toujours possible qu’en Colombie-Britannique. Comme aucun projet n’a franchi avec succès les étapes du processus de la LEI, il n’y a actuellement aucun moyen de savoir si l’octroi de permis a été accéléré après la mise en œuvre de la LEI. En outre, il n’y a que peu ou pas de preuves de l’adaptation de projets, ce qui constitue la promesse la plus importante de la LEI, qui nous a amenés à croire que la loi améliorerait la LCEE 2012.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples de ce que j’entends par là. Dans le cadre d’un projet à Val-d’Or, le promoteur a été interrogé à propos de l’incidence que le projet aurait sur la vie marine. On a demandé au promoteur d’un projet d’évaluer les répercussions qu’une voie ferrée pourrait avoir sur la mortalité des oiseaux, alors que le projet ne comportait pas de voie ferrée. Les fonctionnaires ne lisent pas les descriptions des projets ou ne comprennent pas le secteur qu’ils évaluent. Ils imposent des demandes d’informations génériques qui sont inappropriées.
Pire encore, nous assistons à l’inverse de l’adaptation aux projets sous la forme d’une recherche extrême d’informations au lieu de mettre l’accent sur les principaux risques propres aux projets. Les promoteurs sont appelés à réaliser des études pluriannuelles qui, en fin de compte, n’auront aucune incidence sur les décisions ou les résultats.
Permettez-moi d’illustrer mon propos. On demande aux promoteurs des données sur les oiseaux migrateurs, ce qui en soi n’est pas déraisonnable. Cependant, les praticiens nous disent que la quantité d’efforts liés à des travaux sur le terrain ou à des analyses qui doivent être déployés pour mener les études de référence en réponse aux directives fédérales a considérablement augmenté. Ces études ajoutent à la préparation d’une étude d’impact des années et des millions de dollars de coûts, sans ajouter de valeur à la décision finale ou aux mesures d’atténuation qui se rattachent à l’étude d’impact.
La portée des études des milieux humides et des données relatives à la compensation des milieux humides s’est également considérablement élargie, en dépit des politiques provinciales et des processus de compensation rigoureux en matière de milieux humides. Il s’agit là d’un dédoublement inutile des efforts.
On demande aux promoteurs des études sur la qualité de l’air pour les sites vierges, c’est-à-dire les mines situées dans une région vierge du Canada. Il existe des mesures d’atténuation standard pour contrôler la poussière et la matière particulaires, et ces mesures sont réglementées par les provinces et non par le gouvernement fédéral.
Dans le cadre des évaluations fédérales, des questions sont posées au sujet des procédures de remise en état, lesquelles relèvent exclusivement des provinces.
Dans l’ensemble, on demande beaucoup d’informations aux promoteurs, bien plus que ce qui est nécessaire pour évaluer les impacts de l’exploitation minière et déterminer les mesures d’atténuation de compétence fédérale qui conviennent. Nous finissons par obtenir des études d’impact massives, et il est extrêmement difficile pour le public de déterminer ce qui est pertinent par rapport au projet.
Pour être utiles aux détenteurs de droits et aux intervenants, les études d’impact doivent être accessibles et compréhensibles. Voilà pourquoi nous abordons les amendements proposés avec scepticisme, voire cynisme. En théorie, les amendements permettront au gouvernement fédéral de conclure plus facilement des accords de coopération avec les provinces et les gouvernements autochtones, mais la loi est un « âne » — ce qui n’est pas un terme antiparlementaire.
Nous devons voir des exemples de ces améliorations. Les amendements qui exigent que les décisions et les conditions soient fondées exclusivement sur des questions relevant de la compétence fédérale devraient logiquement conduire à une meilleure adaptation des évaluations.
Malheureusement, comme je l’ai indiqué, nous remarquons des différences négligeables dans la pratique lorsque nous comparons des projets entamés avant et après l’avis de la Cour suprême. S’il est vrai que la Cour suprême a déclaré que la portée de ce qui est étudié n’est pas limitée et que les évaluations fédérales peuvent englober tout ce que les fonctionnaires fédéraux veulent, il ne nous semble pas logique que le gouvernement impose des études sur des aspects qui n’auront aucune incidence sur les décisions ou les conditions fédérales éventuelles.
C’est pourquoi, dans notre mémoire, nous affirmons que le gouvernement fédéral devrait donner la priorité aux mesures d’atténuation standard pour contrer les effets relevant de la compétence fédérale qui sont généralement liés aux projets miniers, dans le but de réduire les études et les collectes de données qui sont coûteuses, inutiles et qui exigent beaucoup de temps. Les évaluations et les études doivent mettre l’accent sur les aspects uniques du projet qui relèvent de la compétence fédérale. Les études sans rapport avec les effets relevant de la compétence fédérale doivent être découragées, voire interdites.
En bref, le gouvernement fédéral dispose des outils nécessaires pour administrer une évaluation d’impact fédérale efficace en vue de respecter les délais qu’il a lui-même définis dans son budget de 2024, mais il doit choisir d’utiliser ces outils. Tant qu’il ne le fera pas, l’évaluation fédérale restera coûteuse, inefficace et longue — et ne permettra pas au gouvernement d’atteindre ses propres objectifs en matière de croissance propre. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Je vous remercie. Madame Shea, souhaitiez-vous ajouter quelque chose à cet exposé?
Tara Shea, vice-présidente, Réglementation et affaires autochtones, Association minière du Canada : Non, M. Gratton a déjà abordé la question, mais je vous remercie de me l’avoir demandé.
Le sénateur Cotter : Je suis en grande partie un invité du comité, et c’est un honneur pour moi d’être ici. Je vous remercie tous les deux de vos exposés succincts. Monsieur Amery, nous n’avons pas l’habitude de voir les gens qui participent aux séances des comités respecter leur temps de parole, alors je vous en remercie infiniment.
Bien que M. Gratton ait soulevé toute une série de questions stratégiques importantes au sujet de l’efficacité de la LEI et de sa version modifiée que nous étudions en ce moment, et sans vouloir manquer de respect en vers lui, j’aimerais surtout vous poser quelques questions, monsieur Amery, à propos de vos observations selon lesquelles le projet de loi ne va pas encore assez loin. Je suppose que vous voulez dire que le projet de loi comporte encore des aspects inconstitutionnels.
Mon interprétation de la mesure législative est que le gouvernement fédéral a essayé de limiter la portée de la LEI en suivant au moins ce qu’il dit être sa compréhension et son acceptation de la décision de la Cour Suprême. Je constate que dans un certain nombre de dispositions, en particulier dans les définitions des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont négatifs », il semble l’avoir fait de façon assez complète. Pouvez-vous nous en dire un peu plus au sujet des façons dont vous considérez que la loi continue d’empiéter sur la compétence provinciale de manière inappropriée?
M. Amery : Certainement, et je vous remercie de me donner cette occasion.
Dans l’affaire du Renvoi relatif à Loi sur l’évaluation d’impact, la majorité des juges de la Cour suprême ont estimé que la définition des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » qui figure dans la loi allait bien au-delà de la compétence du gouvernement fédéral, et ils ont fait remarqué que la définition englobe tout effet, positif ou négatif, insignifiant ou non insignifiant, sur les sujets mentionnés. Il en résulte, en fin de compte, une dilution de l’attention des décideurs à des moments clés de la prise de décision et des interdictions d’une portée inadmissible pour des activités que le Canada n’a pas la compétence de réglementer.
Les modifications auxquelles vous faites allusion, monsieur le sénateur, concernent un changement en ce sens que le libellé proposé mentionne à présent des « ...effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont négatifs... », ce qui inclut des « ...effets directs ou accessoires négatifs... » sur des aspects fédéraux.
Le problème, c’est que la définition reste très générale. La nouvelle définition fait référence à des « ...changements négatifs non négligeables... » à certaines composantes de l’environnement mentionnées, dont bon nombre sont restées dans la définition précédente des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale », à savoir des composantes mentionnées comme l’habitat des poissons, les espèces aquatiques, les oiseaux migrateurs et l’usage courant de terres à des fins traditionnelles par des peuples autochtones.
Selon l’Alberta, l’ajout des mots « ...négatifs non négligeables... » à la suite des changements mentionnés ne limite pas suffisamment la définition des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » pour régler les questions soulevées par la Cour suprême en particulier, étant donné le rôle central que la définition joue dans le régime général de la loi concernant les projets désignés, notamment en ce qui a trait à la prise de décision en vertu de l’interdiction prévue à l’article 7.
En termes simples, le fait qu’on apporte ce changement mineur aux amendements que l’on propose d’apporter aux définitions de la loi signifie que l’effet pratique et juridique de l’interdiction prévue à l’article 7 de la loi restera pratiquement inchangé.
Je vais vous donner un exemple de ce que j’entends par là. Au lieu de se voir interdire, en vertu de l’article 7, d’apporter un quelconque changement, par exemple, à l’utilisation des terres par les Autochtones, un promoteur se verrait désormais interdire, en vertu des modifications proposées, d’apporter « changements négatifs non négligeables » à l’utilisation des terres à des fins traditionnelles. Autrement dit, la modification proposée de cette définition ou le passage dans la définition de n’importe quel changement à des « changements négatifs non négligeables », pour les composantes mentionnées, par exemple, veut dire, encore une fois, que les effets pratiques et juridiques de l’interdiction restent inchangés.
Dans le contexte de projets plus importants, le résultat pratique est le même. En d’autres termes, nous estimons que la distinction entre tout effet négatif et tout effet négatif non négligeable est, premièrement, trop générale et, deuxièmement, relativement identique en ce qui concerne leurs effets pratiques et juridiques, et que cette formulation continuerait de permettre au Canada de réglementer, en vertu de la loi, des activités qu’il n’a tout simplement pas la compétence de réglementer.
Le sénateur Cotter : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Cette information est très utile.
Ce que je crois comprendre et ce que vous reconnaissez, c’est qu’il peut y avoir des impacts fédéraux sur des initiatives qui sont normalement considérées comme relevant de la compétence provinciale. Les approches que vous avez décrites concernant la substitution seraient-elles le moyen de remédier à ces impacts — et, espérons-le, de satisfaire l’intérêt légitime du gouvernement à l’égard de l’environnement qui serait touché par cette substitution?
M. Amery : Si nous nous référons aux éléments de substitution dont j’ai parlé plus tôt, la capacité des provinces à prendre des décisions importantes dans des domaines relevant de leur propre compétence ou de leur propre ordre serait appropriée dans la version finale des changements qui seraient proposés. Pour le moment, cela ne semble pas être le cas.
À l’heure actuelle, bien que les provinces aient le droit d’imiter le gouvernement fédéral dans la manière dont le processus prend forme, la prise de décision finale incombe toujours au gouvernement fédéral. Essentiellement, cela ne donne pas aux provinces la possibilité de prendre des décisions au sujet de leur propre mécanisme provincial d’évaluation d’impact. Il se peut que les choses fonctionnent mieux dans cette province ou dans d’autres, mais la loi et les changements proposés ne permettent pas que cela se produise à l’heure actuelle.
Je pense que vous avez parlé plus tôt de la question de savoir si la définition était suffisamment circonscrite. Nous pensons qu’elle ne l’est toujours pas. C’est là le véritable problème. Elle continue de mettre en évidence certaines des préoccupations que la Cour suprême a soulevées lorsque nous avons contesté initialement la loi dans l’affaire du Renvoi relatif à Loi sur l’évaluation d’impact. À notre avis, le simple fait d’ajouter les mots « non négligeables » n’apporte pas plus de clarté ou de précision à la définition pour rendre la loi applicable.
Le sénateur Cotter : Monsieur Amery, le gouvernement de l’Alberta a-t-il suggéré une formulation des amendements à la Loi sur l’évaluation d’impact qui vous apporterait le réconfort dont vous avez parlé?
M. Amery : Nous voulions certainement avoir la possibilité de participer à une consultation avec le gouvernement fédéral afin de contribuer à la réalisation de certains de ces objectifs. Nous n’avons pas eu cette possibilité. Nous sommes certainement prêts à présenter cette formulation, mais cette possibilité ne nous a jamais été donnée ou offerte entre le moment où la Cour suprême a rendu sa décision et le point où nous en sommes maintenant.
Le sénateur Tannas : Je vous remercie. Si je comprends bien, il n’y a pas de définition du mot « négligeable » dans la version actuelle de la loi. Est-ce exact? Y a-t-il une définition qui nous permettrait de déterminer ce qui est négligeable et ce qui ne l’est pas?
M. Amery : Non, pas à ma connaissance, sénateur.
Le sénateur Tannas : D’accord. Donc, à votre avis — et je vais m’exprimer en termes non juridiques, car je ne suis pas avocat —, le nouveau libellé donnerait au gouvernement une protection supplémentaire tout en lui permettant d’avoir toujours la liberté de déterminer ce qui n’est pas négligeable, d’où le risque de nouvelles contestations devant les tribunaux? Est-ce essentiellement votre position?
M. Amery : Pour simplifier les choses le plus possible — et je sais que c’est compliqué; ce l’est pour moi aussi, sénateur —, le fait de remplacer, dans la définition, les mots « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » par les mots « changements négatifs non négligeables » n’apporte aucune précision supplémentaire pour l’Alberta. Cette modification n’apporte certainement pas plus de clarté ou ne répond pas aux préoccupations soulevées par la Cour suprême au sujet de la portée excessive de la définition.
À mon sens, les répercussions et les effets non négligeables relevant d’un domaine de compétence fédérale sont pratiquement la même chose. Si vous n’avez aucun effet, vous n’avez rien du tout. Si vous avez un changement négatif non négligeable, ce n’est pas la même chose qu’un changement négatif négligeable ou un changement négligeable.
Là où je veux en venir, c’est que même si le libellé est difficile à comprendre, selon moi, c’est du pareil au même.
Si vous n’avez pas d’effet, par exemple, vous n’avez rien du tout, et si vous n’avez pas de changement négatif non négligeable, alors, en fin de compte, vous avez soit un changement négligeable — c’est-à-dire pratiquement rien du tout —, soit un changement non négligeable, c’est-à-dire quelque chose de concret. C’est là que nous nous heurtons à un problème.
Je vois que vous hochez la tête, sénateur. J’en déduis donc que vous comprenez les difficultés que cela représente pour nous aussi.
Le sénateur Tannas : Je vous remercie.
Dans ce cas, vous pourriez peut-être répondre à la question suivante, et j’aimerais vous entendre tous les deux. Notre comité a prévu deux jours pour étudier cette question. Nous n’avons pas réussi à faire comparaître le ministre pour qu’il vienne nous parler. La Chambre des communes n’a pas encore entrepris d’étude. Nous sommes donc très en avance.
Mais y a-t-il suffisamment d’éléments en l’occurrence pour que nous envisagions d’exclure cette disposition et de prendre le temps d’examiner les observations que vous avez soulevées, monsieur Gratton, du point de vue de l’industrie? Par ailleurs, y a-t-il une solution que nous pourrions trouver sur le plan juridique pour essayer d’améliorer le libellé? J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Le président : Posez-vous cette question au ministre ou à M. Gratton?
Le sénateur Tannas : Je la pose aux deux, si possible. Veuillez répondre brièvement.
M. Gratton : Je n’en ai pas parlé dans ma déclaration préliminaire, mais dans notre mémoire, nous abordons la question de savoir ce qui est « négligeable » et ce qui est « non négligeable ». Les membres de notre association ne savent pas à quoi s’en tenir. Ce libellé introduit une nouvelle terminologie qui n’est pas bien définie et ajoute de l’incertitude à un processus déjà incertain. Il y a donc certes lieu de s’inquiéter de l’utilisation de cette terminologie.
Nous n’avons pas eu le temps ni les ressources nécessaires pour étudier cette question d’un point de vue juridique, et c’est ce qui explique la teneur de l’exposé que je vous ai fait. Par conséquent, nous n’avons rien à proposer à ce stade-ci pour tenter de dissiper cette incertitude ou pour aborder d’autres aspects afin de mieux cibler le projet de loi, de sorte qu’il mette l’accent sur des questions de compétence fédérale.
Par le passé, les membres de notre association se sont toujours concentrés sur les moyens de rendre le tout efficace. Au fil des ans, nous avons eu affaire à cinq versions différentes de la loi fédérale sur l’évaluation environnementale. Chaque version comportait son lot de défis à relever, et nous avons toujours estimé que ce qui compte vraiment, c’est en grande partie la façon dont la loi est mise en œuvre par les fonctionnaires. Or, ce libellé rajoute de l’incertitude en raison de la terminologie que les fonctionnaires devront interpréter. Il reste aussi à savoir comment ils s’y prendront, dans la pratique, pour assurer l’uniformité de leur interprétation. Vous avez raison : il se peut que les tribunaux aient à trancher la question.
Le président : Monsieur le ministre, avez-vous quelque chose à ajouter en réponse à cette question?
M. Amery : Certainement. Encore une fois, je vous remercie de me donner l’occasion de vous faire part de mon opinion.
La Cour suprême nous aide un peu à cet égard. Voici ce qu’elle dit:
Les effets doivent être clairement liés à la compétence fédérale aux termes de la Constitution, ce qui ne laisse comme effets transfrontaliers que ceux pour lesquels la compétence fédérale a été établie. Des seuils appropriés doivent s’appliquer pour assurer que les interdictions ne visent pas des effets insignifiants ni des changements positifs.
Comparons cela à une partie du libellé qui est proposé en ce moment, à savoir, encore une fois, le qualificatif « non négligeable ». Nous ne savons pas ce que cela signifie; je pense que personne ne le sait vraiment. Ce qui nous préoccupe ici, c’est que nous nous éloignons d’un libellé qui était déjà généralement vague pour en adopter un autre qui est tout aussi vague. La Cour suprême a dit que cela fait partie intégrante de la raison pour laquelle certains éléments du dossier de l’évaluation d’impact ont donné ce genre de résultats.
Donc, je ne pense pas que nous accomplissons quoi que ce soit en allant de l’avant avec les changements proposés, parce qu’ils ne clarifient tout simplement pas ou ne restreignent pas la portée de la loi de sorte que nous puissions éviter une autre contestation constitutionnelle.
Le président : Si vous me permettez d’intervenir, lorsque j’ai lu les modifications proposées, j’ai trouvé que la position de la Cour suprême était très claire. De plus, la Cour vous a donné un ensemble de mesures pratiques pour gérer l’incertitude à l’avenir, parce qu’elle recommande fortement que la résolution passe par ce mécanisme. Je pensais que vous arriveriez sûrement à une entente, parce que c’est assez détaillé, mais ce que vous dites malgré tout, c’est que ce n’est pas suffisant. Est-ce parce que les gens n’agissent pas de façon équitable ou ne sont pas disposés à conclure une entente équitable? Est-ce la situation politique qui donne lieu à des exagérations? Aidez-moi à comprendre. Comment se fait-il que nous soyons si loin du compte alors que la Cour suprême a été très claire à bien des égards?
M. Amery : Je vous remercie.
Nous sommes si loin du compte parce que nous ne savons toujours pas ce que signifie réellement l’adjectif « non négligeable ». À notre avis, cela reste trop vague. Nous estimons que ce terme ne saisit pas l’essence de ce que la Cour suprême a indiqué dans sa décision. Selon nous, l’adjectif « non négligeable » n’est pas suffisant pour remplir les exigences de la décision de la Cour.
Par exemple, le concept des droits des Autochtones et le domaine de compétence connexe du gouvernement fédéral demeurent extrêmement larges, ce qui donne lieu à une définition large des « effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale », lesquels n’ont pas encore été clairement définis. Nous sommes d’avis — comme l’a également souligné la Cour suprême du Canada — que ces effets sont loin d’être évidents. À titre d’exemple, malgré la décision selon laquelle les oiseaux migrateurs relèvent de la compétence fédérale, ceux-ci figurent toujours parmi les éléments consignés dans le nouveau libellé proposé.
Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux exemples que nous aimerions présenter au comité pour vous faire comprendre que, selon l’objectif et la directive de la Cour suprême, le caractère trop large des définitions a été jugé inconstitutionnel, et nous n’avons pas remédié à ce problème au moyen des changements proposés en insérant simplement l’adjectif « non négligeable ». Du point de vue de notre province, cette définition ne nous permet pas de savoir ce que cela signifie réellement.
Le président : Je vous remercie. Avant de passer au prochain groupe de témoins — parce que nous sommes un peu en avance —, les membres du comité ont-ils d’autres questions sur des points qui nécessitent des précisions?
Le sénateur Cotter : Monsieur Gratton, vous pourriez peut-être nous parler un peu de ce que vous observez, surtout du point de vue de votre organisation et d’autres personnes qui cherchent à saisir des occasions de développement, quand vient le temps de trouver une façon d’intégrer les initiatives d’évaluation d’impact fédérales et provinciales. Y a-t-il une façon de s’y prendre — mis à part les problèmes que vous avez relevés concernant ce que j’appellerai la bureaucratie — pour que le tout soit le plus efficace possible, mais aussi le plus rentable possible pour les promoteurs?
M. Gratton : Il y a deux ou trois mécanismes. Il y a d’abord la substitution. Pour le secteur minier, le principal domaine de compétence fédérale qui touche notre industrie — et qui constituait auparavant un élément déclencheur —, c’est la Loi sur les pêches parce que la plupart des mines auront une incidence, d’une façon ou d’une autre, sur les eaux, surtout celles où vivent des poissons. Il peut s’agir d’un effet très minime, mais il reste que c’est le plus important permis dont nous aurons besoin. C’est pour cette raison que nous avons toujours été assujettis à la loi fédérale sur l’évaluation, même si nous œuvrons dans un secteur sous réglementation provinciale.
Idéalement, grâce à la substitution — et je comprends l’argument soulevé par le ministre de l’Alberta selon lequel il y a toujours une décision fédérale si le projet est évalué —, l’évaluation est effectuée par la province, comme c’est le cas en Colombie-Britannique.
On peut soutenir que, dans l’état actuel des choses, d’après ce que la Cour a dit, la décision devrait être fondée uniquement sur les aspects fédéraux qui font partie de l’évaluation. Le problème qui se pose — et je crois que c’est là que le bât blesse le plus —, c’est qu’en raison d’un aspect particulier, le gouvernement fédéral peut refuser un projet que la province a jugé acceptable. Comment conciliez-vous cela? Il est difficile de connaître la réponse parce que, dans une certaine mesure, cela se fera également au cas par cas.
Que se passerait-il si les répercussions sur les poissons étaient extrêmement importantes? Cela pourrait constituer un véritable problème. Il y a toutefois lieu de présumer que la province reconnaîtrait ce fait, elle aussi. Ce serait donc également réglé par le gouvernement provincial.
Il y a eu une période, de 2010 à 2012 — que nous appelons les années dorées —, où les évaluations environnementales étaient menées de façon optimale. À cette époque, le gouvernement fédéral et les provinces avaient conclu des ententes en matière d’évaluation. Même si ce n’était pas une substitution officielle ni une équivalence, il y avait beaucoup de coopération, et les deux ordres de gouvernement convenaient de « se mêler de leurs affaires ». Ils faisaient raisonnablement bien leur travail respectif. Nos projets pouvaient avancer à un rythme jamais vu auparavant ou jamais vu depuis. S’il y avait moyen de revenir à la situation qui prévalait à l’époque, nous en serions ravis.
Le sénateur Cotter : Je pense que votre observation, en particulier sur le plan constitutionnel — et je suppose que le ministre Amery sera d’accord —, c’est que la Constitution peut parfois sembler absurde. Certains juges ont dit que la loi peut sembler absurde, mais ce n’est pas le cas. Notre objectif ici est d’essayer de trouver des façons de faire fonctionner un cadre constitutionnel parfois lourd pour les provinces, le gouvernement fédéral et les promoteurs qui veulent y recourir, tout en respectant l’environnement. Il devrait y avoir moyen de résoudre la quadrature du cercle. Cependant, je ne pense pas que nous en soyons encore là.
Le président : Monsieur le ministre, avez-vous quelque chose à ajouter en guise de conclusion pour expliquer votre position?
M. Amery : Je vous remercie encore une fois. Je suis heureux d’avoir pu prendre la parole devant le comité pour présenter notre position en ce qui concerne la Loi sur l’évaluation d’impact et les changements proposés.
Nous sommes d’avis que cette question va vraiment au cœur — comme je l’ai expliqué dans mes observations — des préoccupations de la Cour suprême à l’égard de la loi et des modifications proposées, et je terminerai en disant qu’en Alberta, nous croyons que cela ne va pas assez loin pour corriger la situation.
La Loi sur l’évaluation d’impact et les modifications proposées demeurent inconstitutionnelles, malgré les amendements proposés. Le ministre fédéral de l’Environnement, par exemple, peut toujours s’ingérer dans des projets qui demeurent de compétence provinciale. Il peut s’agir notamment de projets comme l’exploitation des sables bitumineux, la construction de grandes autoroutes à l’intérieur des frontières provinciales et la construction de centrales électriques provinciales.
Il y a eu un bref commentaire tout à l’heure sur la question de savoir si le climat politique a quelque chose à voir là-dedans. Je vous dirais que ces grands projets, qui ont lieu dans toutes les provinces — l’exploitation des sables bitumineux, les grandes routes à l’intérieur des frontières provinciales, les centrales électriques provinciales et d’autres types de grands projets — ont des répercussions sur un grand nombre de Canadiens, et la bonne chose à faire pour nous ici est de veiller à ce que l’Alberta demeure résolue à déployer des efforts pour s’assurer que le projet de loi contribue à répondre aux préoccupations que nous avons soulevées.
Nous exhortons et encourageons le comité à envisager la possibilité de recommander des modifications plus vigoureuses à la loi pour offrir une certitude réglementaire et constitutionnelle afin que nous puissions commencer à rétablir la confiance des investisseurs dans notre pays et à attirer les personnes et les entreprises qui souhaitent investir au Canada. Nous faisons cela dans l’intérêt des Canadiens, et non pour des raisons politiques. Je remercie tous les membres du comité de m’avoir écouté.
Le président : Merci à vous tous.
Le sénateur Cotter : Puis-je poser une petite question? Quelle que soit la forme finale que prendra le projet de loi, serait-il utile, de votre point de vue, que la question soit renvoyée à la Cour suprême dans un autre renvoi? Est-ce que cela retarde les choses? Qu’en pensez-vous?
M. Amery : Il est difficile de dire si cela serait approprié à ce stade-ci, avant que nous sachions quelle pourrait être la version finale. En tout cas, dans la mouture actuelle, tous les indices et tous les avis nous donnent à penser que nous n’avons pas fait suffisamment de progrès pour éviter une autre contestation constitutionnelle et l’intervention de la Cour suprême du Canada. L’objectif ici est de formuler cette proposition ultime et d’encourager le comité à apporter les changements qui s’imposent pour veiller à ce que certains des problèmes que nous avons relevés ici — et je suis certain que d’autres nous emboîteront le pas — soient réglés avant qu’il ne devienne plus difficile de le faire.
Le but ici serait de dire que nous en sommes à une étape où il est encore possible d’apporter des changements éventuels et de formuler des recommandations. Nous aimerions avoir l’occasion de participer à un tel exercice. Nous aimerions également que le comité apporte ces changements en l’absence de cette phase de consultation, et nous prendrons ces décisions une fois que nous verrons à quoi ressemblera la version finale.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi risque de ne pas remplir le critère que la Cour suprême du Canada a établi pour la loi initiale, et il se peut que nous adoptions la même position que celle que nous avions défendue lors de notre première contestation.
Le sénateur Cotter : Je voulais vous remercier. Merci aussi pour ce qui semble être le portrait de votre classe de droit qui se trouve derrière vous.
M. Amery : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Contrairement à mon collègue, je ne suis ni juriste ni constitutionnaliste. Toutefois, en vous écoutant parler, je me demande s’il ne faudrait pas expliquer l’entêtement ou la volonté du gouvernement fédéral de rester impliqué dans les décisions par les menaces environnementales qui pèsent sur notre pays.
Vous avez donné l’exemple des sables bitumineux. On sait que les ressources naturelles sont de compétence provinciale, mais les effets d’un gisement se font sentir bien à l’extérieur de la province.
N’y a-t-il pas là une raison pour le gouvernement fédéral d’examiner ces questions? On sait que la Cour suprême s’est prononcée sur certains aspects de la loi. Cependant, étant donné les menaces qui pèsent sur l’environnement, n’est-il pas normal qu’il y ait un regard national sur ces questions?
[Traduction]
M. Amery : Je ne suis pas en désaccord avec le fait que les deux ordres de gouvernement légifèrent dans des domaines qui relèvent de leur compétence constitutionnelle. Le problème qui s’est posé dans la contestation de la Loi sur l’évaluation d’impact et, en fin de compte, dans la décision de la Cour suprême du Canada, c’est que la Loi sur l’évaluation d’impact, telle qu’elle a été proposée à l’origine, allait bien au-delà du champ de compétence du gouvernement fédéral. En fin de compte, elle a été jugée très clairement inconstitutionnelle pour un certain nombre de raisons.
La première raison était cette définition beaucoup trop large. La deuxième raison concerne les décisions de sélection prises en fonction des éléments consignés à l’article 16. Le tribunal a estimé qu’il existait un potentiel d’effets négatifs du gouvernement fédéral dans le vaste éventail de sélection qui a eu lieu, ce qui englobe la compétence fédérale et la compétence provinciale.
Je ne contesterai pas la position que vous avez émise au sujet des protections environnementales. Nous sommes nous aussi très attachés à cela. Ce que nous disons, cependant, c’est que le modèle d’évaluation de l’impact, dans sa forme actuelle comme dans sa forme originale, va bien au-delà de cela et bien au-delà de ce que la Constitution permet au gouvernement fédéral de décider. La Cour suprême du Canada a pris cette décision il y a peu de temps, et je pense qu’elle a vu juste.
Encore une fois, les changements proposés ne tiennent tout simplement pas compte des conclusions de la Cour suprême, et nous sommes ici pour encourager le comité à proposer des changements ou des amendements à la forme actuelle de la loi, qui tiendront compte des conclusions de la Cour suprême et assureront que la constitutionnalité et les compétences des provinces et du gouvernement fédéral sont respectées.
Le président : Merci beaucoup. Merci aux témoins. Je pense que nous avons eu une bonne discussion. Je vous remercie de votre disponibilité et du temps que vous nous avez accordé, ce qui s’applique aussi à nos propres sénateurs.
[Français]
Pour notre deuxième groupe, nous accueillons Bryan N. Detchou, directeur principal, Ressources naturelles, environnement et durabilité, Chambre de commerce du Canada. Nous accueillons également Francis Bradley, président et chef de la direction, et Channa Perera, vice-président, Affaires réglementaires et autochtones, Électricité Canada. Enfin, nous recevons Jock Finlayson, économiste en chef, Independent Contractors and Businesses Association, qui comparaît par vidéoconférence.
Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Cinq minutes sont réservées pour vos allocutions d’ouverture. La parole est à M. Detchou, qui sera suivi par M. Bradley et M. Finlayson.
Bryan N. Detchou, directeur principal, Ressources naturelles, environnement et durabilité, Chambre du commerce du Canada : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de participer à la discussion d’aujourd’hui, au nom de la Chambre de commerce du Canada, afin d’examiner les modifications proposées à la Loi sur l’évaluation d’impact et leur implication pour les entreprises et les investissements canadiens.
[Traduction]
Sénateurs, permettez-moi de commencer mon intervention en énonçant une évidence : aucun pays n’est mieux placé que le Canada pour mener la transition énergétique mondiale. Grâce à ses vastes ressources naturelles, à sa main-d’œuvre qualifiée, à sa réglementation rigoureuse, à son engagement à l’égard des pratiques environnementales, sociales et de gouvernance, ou ESG, et à l’attention qu’il porte à la réconciliation avec les communautés autochtones, le Canada se démarque des autres nations comme étant un fournisseur mondial de ressources naturelles responsable et fiable.
Le Canada a de grandes ambitions et il dispose des talents et des ressources naturelles nécessaires pour les réaliser. Cependant, nous avons aussi l’habitude de nous mettre nous‑mêmes des bâtons dans les roues.
Faute d’arriver à réaliser de grands projets, le Canada n’atteindra pas ses objectifs en matière de carboneutralité et il ne deviendra pas un fournisseur mondial fiable de ressources naturelles d’origine responsable. L’approbation des projets ne peut plus prendre 10 ans ou plus, qu’il s’agisse d’un grand projet de captage, d’utilisation et de stockage du carbone qui continuerait à réduire les émissions ou d’une passerelle de transport qui permettrait aux entreprises canadiennes d’acheminer leurs marchandises vers les marchés de manière fiable et efficace. La certitude réglementaire est essentielle pour générer les investissements et la croissance dont notre pays a besoin et qui nécessitent l’engagement de partenaires du secteur privé dans des projets à long terme.
Bien que les gouvernements se soient engagés à plusieurs reprises ces dernières années à améliorer l’efficacité de la réglementation, à rationaliser l’octroi de permis pour les grands projets et à résorber les retards, le statu quo demeure. Ce processus qui fait intervenir plusieurs ordres de gouvernement mobilise assurément de nombreux acteurs. Sauf que le gouvernement fédéral a un rôle névralgique à jouer pour affranchir le Canada de sa réputation d’endroit où les grands projets n’aboutissent pas.
Prenons l’exemple de l’industrie des batteries pour véhicules électriques. Le gouvernement fédéral souhaite faire du Canada un acteur majeur de la chaîne d’approvisionnement mondiale en véhicules électriques en investissant massivement dans la production de ces véhicules. Avec le Québec et l’Ontario, il a engagé des dizaines de milliards de dollars pour attirer les grands constructeurs automobiles. Les minéraux critiques comme le lithium, le cobalt, le nickel et le graphite sont essentiels à la fabrication des batteries pour véhicules électriques, mais depuis 2005, seules quatre nouvelles mines de minéraux critiques ont été ouvertes au Canada. Les données du gouvernement indiquent que pour soutenir la production nationale de batteries pour véhicules électriques, le Canada doit ouvrir 20 nouvelles mines d’ici 2035. Il doit donc multiplier par cinq le rythme actuel d’ouverture de ces mines. Cet objectif sera difficile à atteindre, car l’obtention des approbations réglementaires et la consultation des collectivités nécessaires à l’ouverture d’une mine prennent en général 10 à 15 ans. La transition vers les véhicules électriques au Canada est entravée par les enjeux réglementaires et logistiques liés à l’utilisation de nos ressources minérales.
Le fait que la Cour suprême du Canada ait rendu, en octobre dernier, un arrêt déclarant inconstitutionnels certains passages de la Loi sur l’évaluation d’impact n’a fait que souligner les problèmes récurrents auxquels sont confrontées les entreprises canadiennes en raison de l’incertitude réglementaire. Dans un monde où les capitaux sont très mobiles, les pays qui pourront offrir une réglementation claire et efficace attireront davantage d’investissements. Pour rester compétitif, le Canada doit démontrer qu’il peut fabriquer des produits importants avec rapidité et prévisibilité.
Suite à l’arrêt de la Cour, le gouvernement du Canada s’est engagé à procéder à des modifications chirurgicales. Cependant, l’efficacité de cette intervention reste incertaine. Dans le cadre de l’étude de ce comité, certaines questions clés devront être posées. Premièrement, les modifications apporteront-elles la certitude et la prévisibilité souhaitées par les promoteurs de projets? Deuxièmement, les amendements répondent-ils adéquatement aux préoccupations essentielles soulignées par la Cour? Troisièmement, quelles seront les conséquences si les modifications se révèlent insuffisantes?
Pour répondre à la première question, les modifications proposées à la Loi sur l’évaluation d’impact indiquent que la principale priorité du gouvernement après l’arrêt de la Cour suprême était de garantir la constitutionnalité de la Loi sur l’évaluation d’impact et non d’améliorer la clarté de son applicabilité, de ses délais et des pouvoirs décisionnels connexes. En conséquence, le gouvernement a manqué une occasion importante de créer un environnement réglementaire pouvant stimuler la confiance des entreprises tout en limitant les risques.
Pour répondre directement à la deuxième et à la troisième questions, notre principale préoccupation est que si la loi modifiée est finalisée dans son état actuel, elle pourrait à nouveau faire l’objet de contestations constitutionnelles de la part des provinces. Pendant ce temps, alors que les entreprises et les investisseurs attendent à nouveau d’obtenir des éclaircissements, nombre d’entre eux décideront de ne pas investir leurs fonds ou de les investir dans d’autres pays, ce qui entravera la prospérité économique et la transition énergétique du Canada.
[Français]
La rhétorique et l’ambition ne suffiront pas à faire construire de grands projets au Canada. La réalisation de nos objectifs économiques et environnementaux exige une véritable collaboration entre le secteur privé et le secteur public. Il est impératif de reconnaître que la réussite de ces projets est intimement liée à la croissance économique et à la productivité de notre pays. Bien que le Canada soit prêt à mener la transition énergétique mondiale, cette position n’est pas garantie et ne doit pas être présumée.
[Traduction]
Il est essentiel d’apporter les bons amendements à la Loi sur l’évaluation d’impact. La Chambre de commerce du Canada est convaincue qu’une Loi sur l’évaluation d’impact modifiée, élaborée dans un esprit de collaboration, peut créer un cadre réglementaire plus prévisible, plus transparent et plus efficace. Nous avons hâte d’aider le gouvernement à établir un système de réglementation moderne et efficace qui réponde aux besoins de l’industrie et respecte les compétences de tous les ordres de gouvernement. Je remercie les honorables sénateurs.
Le président : Merci.
[Français]
Francis Bradley, président et chef de la direction, Électricité Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis président et chef de la direction d’Électricité Canada. Nous étions connus auparavant sous le nom d’Association canadienne de l’électricité.
[Traduction]
Au nom d’Électricité Canada, je remercie le comité de nous avoir invités à comparaître pour parler des dispositions de la Loi sur l’évaluation d’impact qui figurent dans le projet de loi C-69.
Électricité Canada est l’association nationale du secteur de l’électricité. Nos membres produisent, transportent et distribuent l’électricité, et construisent les grands projets qui alimentent nos foyers, nos institutions et nos entreprises dans tout le pays. Nos membres ont une longue expérience de la fourniture d’une électricité propre, fiable et abordable. Qu’il s’agisse du site C en Colombie-Britannique, de la centrale de Keeyask au Manitoba ou des investissements dans la technologie des petits réacteurs modulaires en Ontario, nous sommes en première ligne pour la construction d’infrastructures majeures dans chaque province et territoire.
Le principal enjeu auquel nous sommes confrontés est la nécessité de produire plus d’électricité à un rythme qui n’a pas été atteint depuis les années 1960. Le Canada connaît une augmentation rapide de la demande en électricité. Plusieurs facteurs y contribuent, notamment la croissance démographique, l’électrification des transports, des bâtiments et des processus industriels, ainsi que les efforts déployés pour parvenir à une économie carboneutre d’ici 2050. Pour atteindre cet objectif, nous devrons au moins doubler la taille de notre réseau électrique et produire plus d’électricité au cours des 26 prochaines années que nous n’en avons produit le siècle dernier. Hydro-Québec, par exemple, a prévu qu’il lui faudra investir 185 milliards de dollars pour décarboniser son réseau d’ici 2035.
Nous devons également veiller à ce que cette nouvelle génération soit propre. Pour ce faire, nous devrons construire, et nous devrons le faire beaucoup plus vite. Toutefois, les délais actuels d’octroi des permis et d’approbation au niveau fédéral ne reflètent pas l’urgence requise pour parvenir à la carboneutralité d’ici à 2050. L’environnement et de l’obligation de consulter doivent être protégés, mais il reste encore beaucoup à faire pour réduire les chevauchements de compétences et mieux cibler les actions.
Les amendements proposés sont un bon début. Depuis la décision de la Cour en octobre 2023, Électricité Canada n’a cessé de plaider pour que le gouvernement fédéral concentre la LEI sur la prévention et l’atténuation des impacts négatifs importants liés à la compétence fédérale. Nous sommes heureux de constater que certaines de nos suggestions ont été prises en compte dans les modifications proposées. Ce changement souligne l’engagement du gouvernement à traiter les impacts négatifs les plus critiques des projets.
Un autre changement important est l’accent mis sur les effets fédéraux non négligeables. Cela permettra à l’agence de désigner et de limiter les évaluations aux projets ayant des effets négatifs non négligeables qui sont de la compétence fédérale. Nous saluons également les dispositions supplémentaires qui permettront une meilleure coordination avec les homologues provinciaux, favoriseront une réconciliation significative avec les peuples autochtones et désigneront les projets en fonction de leurs effets négatifs. Sur ce dernier point, nous sommes impatients de travailler avec l’Agence d’évaluation d’impact lors de l’examen de la liste des projets désignés prévu dans le courant de l’année.
Dans l’ensemble, les modifications ciblées de la LEI constituent une étape positive. Une action rapide de l’Agence d’évaluation d’impact pour rendre opérationnelles les modifications législatives, y compris l’élaboration de règlements et de mesures administratives bien harmonisés, sera essentielle pour un succès à long terme.
Bien que nous soyons satisfaits de certains des amendements, nous continuons à demander une plus grande urgence de l’ensemble du gouvernement si nous voulons générer suffisamment d’électricité pour alimenter une économie carboneutre d’ici 2050. Le gouvernement devrait avancer le plus rapidement possible dans ses principaux engagements liés aux projets dans les budgets 2023 et 2024, y compris en établissant des calendriers pour les approbations de projets et l’octroi de permis.
Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé. Mon collègue et moi-même sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.
[Français]
Le président : Monsieur Finlayson, économiste en chef, vous avez la parole.
[Traduction]
Jock Finlayson, économiste en chef, Independent Contractors and Businesses Association : Merci, monsieur le président. Nous apprécions l’occasion qui nous est donnée de venir de Vancouver, ville humide et morne, cet après-midi, et de présenter notre exposé devant votre comité.
L’Independent Contractors and Business Association est la plus grande association de l’industrie de la construction dans l’ouest du Canada. Elle compte 4 000 membres et clients. Nous avons également une activité florissante dans le domaine de la santé et des avantages sociaux des employés, qui est sous-tend l’association. Nous fournissons actuellement un soutien et des avantages non salariaux à 170 000 Canadiens.
Nous pensons que la construction a un rôle important à jouer pour faire avancer le Canada dans un monde en évolution rapide et de plus en plus compétitif. Nous sommes la cinquième industrie du pays, représentant 8 % de l’emploi, avec 1,6 million de salariés l’année dernière. Les dépenses de construction dans l’ensemble du pays ont représenté environ un dixième du PIB du Canada l’an dernier. Pendant la pandémie, de nombreux décideurs politiques, consommateurs et chefs d’entreprise ont eu l’occasion de réfléchir à l’importance du secteur de la construction alors que nous étions confrontés à des goulets d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement, à des déficits d’infrastructure et à des pénuries de biens et de matériaux essentiels.
La prospérité de notre pays repose traditionnellement sur le travail acharné, la résilience, l’esprit d’entreprise, l’équité et des politiques publiques fortes dans les institutions. Au cours des décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, le Canada s’est appuyé sur ces atouts importants pour construire l’un des pays les plus performants au monde et une économie très prospère.
Cependant, ces dernières années, les pressions exercées sur notre économie ont suscité des inquiétudes croissantes, notamment dans les milieux d’affaires, quant à la capacité de notre pays à être compétitif et à générer une prospérité à long terme. Comme l’ont montré de nombreux groupes de réflexion, dont l’OCDE, le Canada a perdu du terrain par rapport à ses pairs sur certains indicateurs clés de la réussite économique, notamment l’investissement par employé, la croissance du PIB par habitant, les créations d’entreprises et la création de richesses par les entrepreneurs.
Nous avons également acquis la réputation d’être un endroit assez difficile pour faire des affaires, en particulier pour les entreprises qui cherchent à faire avancer des projets à grande échelle dans des secteurs tels que les transports, l’énergie, l’exploitation minière et les infrastructures des secteurs public et privé. Nous pensons que le Canada peut faire mieux, et nous devons faire mieux à un moment où notre population augmente, où l’environnement géopolitique mondial se détériore, où les coûts de l’énergie sont devenus une préoccupation majeure, et où nos décideurs politiques à tous les niveaux s’efforcent de réduire les émissions de carbone tout en développant le secteur de l’électricité et en donnant un coup de fouet au développement de ce que l’on appelle l’industrie des minerais essentiels.
Votre comité examine les changements proposés à la LEI. Comme de nombreux groupes d’entreprises de l’Ouest canadien, nous avions de sérieuses réserves quant à la LEI telle qu’elle a été adoptée en 2019. Nous sommes intervenus dans l’examen de la LEI par la Cour suprême du Canada pour soutenir la position adoptée par la province de l’Alberta et quelques autres provinces. Comme vous le savez déjà, la Cour a jugé que certaines parties de la loi étaient inconstitutionnelles parce qu’elles dépassaient le champ des compétences fédérales.
La réponse du gouvernement fédéral à cette question est présentée aujourd’hui dans un ensemble d’amendements à la Loi sur l’évaluation d’impact inclus dans le projet de loi budgétaire omnibus de 653 pages. Nous avons consulté quatre des principaux cabinets d’avocats du Canada afin d’obtenir leurs commentaires sur les modifications proposées. Les quatre cabinets d’avocats ont convenu que les changements, bien que dans certains cas bienvenus, sont mineurs — un cabinet les a qualifiés de cosmétiques — et ne rendront pas, selon toute vraisemblance, la LEI invulnérable à de futures contestations constitutionnelles.
Les cabinets d’avocats que nous avons consultés ont également exprimé leur inquiétude quant à la nouvelle terminologie utilisée dans le projet de loi qui vous est soumis et à l’incertitude qui pourrait en résulter pour les promoteurs. Nous ne sommes pas opposés aux changements très limités de la LEI proposés dans le projet de loi budgétaire omnibus 2024, et nous ne formulerons pas de commentaires spécifiques à ce sujet. Au lieu de cela, nous voudrions souligner l’importance de rechercher une refonte plus importante de l’évaluation des projets et des permis environnementaux au Canada. Nous pensons que cela sera essentiel si le pays veut atteindre les objectifs fixés par les décideurs politiques en ce qui concerne la carboneutralité, la gestion des déficits d’infrastructure et la garantie de la prospérité pour l’avenir.
Ce n’est un secret pour personne que les régimes actuels d’évaluation des projets, non seulement le régime fédéral, mais aussi un certain nombre de régimes provinciaux, inhibent les investissements du secteur privé, entravent le développement de l’industrie et de l’infrastructure et ralentissent les efforts visant à construire une économie à faible émission de carbone. J’ai inclus dans mes remarques une citation tirée d’une récente analyse de l’Institut C.D. Howe qui confirme que c’est effectivement le cas.
Le gouvernement du Canada, en introduisant la LEI, comme l’a mentionné M. Gratton dans le groupe de témoins précédent, a promis que le nouveau système d’examen des projets serait plus efficace et favoriserait une plus grande certitude. Je vous renvoie ici à un rapport détaillé réalisé par la Canada West Foundation en 2023, qui documente les performances du nouveau système de la LEI et montre qu’il n’a pas atteint les objectifs fixés par les décideurs politiques fédéraux. Le gouvernement lui-même l’a implicitement reconnu, en particulier par les déclarations du ministre de l’énergie et des ressources naturelles, qui s’est plaint en public et en privé qu’il ne devrait pas falloir 12 à 15 ans pour développer une nouvelle mine au Canada.
Le gouvernement agit lentement pour tenter d’apporter certains changements qui amélioreront l’environnement commercial pour l’investissement dans les grands projets. Cependant, le fait est, monsieur le président, que l’intérêt du secteur privé pour l’investissement dans de grands projets industriels et d’infrastructure dans ce pays a diminué depuis le milieu des années 2010, et on peut le constater en consultant les données rapportées par Ressources naturelles Canada sur les projets. Elles recensent les grands projets dans tout le pays. Ceux-ci ont sensiblement diminué depuis 2015, et ce phénomène ne se limite pas au secteur pétrolier et gazier. Il s’étend également à d’autres infrastructures et industries de ressources naturelles.
Le nombre de projets achevés au Canada, selon la même source de données, a chuté de 36 % entre 2015 et 2023. Il y a plusieurs raisons à cela. Les politiques publiques et le système réglementaire ne sont pas la seule explication, mais ils ont clairement contribué à créer un environnement commercial où il devient très difficile de faire avancer les projets. Nous ne pensons pas que les changements dévoilés dans le budget 2024 y changeront grand-chose. Ils peuvent aider marginalement, mais nous pensons vraiment que le pays doit prendre du recul et envisager des changements plus profonds dans la modernisation de nos processus de réglementation et d’examen des projets, y compris le système d’autorisation environnementale. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Finlayson. Première question, sénateur Wells.
Le sénateur Wells : Je remercie les témoins pour leurs exposés. Monsieur Detchou, vous avez dit que le gouvernement avait choisi d’améliorer la constitutionnalité ou de corriger cet aspect plutôt que — et je paraphrase cette partie — d’améliorer le processus. Qu’aurait-il pu ou dû faire, ou que devrions-nous faire par le biais d’un éventuel amendement, pour améliorer le processus plutôt que de s’attaquer spécifiquement à l’aspect de la constitutionnalité?
M. Detchou : Merci beaucoup pour votre question, sénateur, et nous serons heureux de fournir des remarques écrites ou un mémoire au comité dans le cadre de son étude. Nous continuons à recueillir de nombreux commentaires et réactions de la part de nos membres. Comme vous pouvez l’imaginer, beaucoup de ces développements sont assez nouveaux, et nous avons examiné les différents amendements.
Les commentaires ont principalement porté sur le fait que la plupart des changements importants apportés à la LEI — ou ceux que le gouvernement peut considérer comme importants — étaient des éléments qui permettaient au projet de loi d’être conforme à la Constitution. L’une des choses sur lesquelles la Chambre de commerce et un certain nombre d’autres associations se sont prononcés, tout au long du processus de la LEI au cours des six dernières années environ et même avant cela — parce que la Chambre de commerce a comparu devant ce même comité sénatorial en avril 2018 pour discuter de la LEI — était en grande partie les mêmes choses qui, malheureusement, se trouvaient encore dans mes remarques aujourd’hui. Ainsi, l’idée générale était que l’objectif principal visait à s’assurer que le projet de loi soit conforme à la constitution, et non de résoudre certaines des principales préoccupations soulevées par l’industrie concernant l’applicabilité, les délais et la prévisibilité. Il semble que le gouvernement ait manqué son coup, autant du côté de la constitutionnalité que de l’amélioration du processus pour les promoteurs de projets.
Le sénateur Wells : Je vous remercie. Vous savez sans doute que nous n’avons pas beaucoup de temps pour examiner cette partie du projet de loi. Si vous avez quelque chose de précis que le comité pourrait considérer comme amendement, je vous encourage à l’envoyer rapidement. Merci.
M. Detchou : Merci, sénateur.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais continuer dans la même veine que le sénateur Wells, parce que c’est exactement la même question que je voulais poser. Ce n’est pas grave. Cependant, on va y aller en français; cela va vous faire pratiquer une autre langue.
Je vais pousser un peu plus loin, parce qu’il est bien beau de dire qu’ils se sont préoccupés de la constitutionnalité de la loi, mais pas des choses qui sont vraiment importantes pour nous, gens d’affaires.
Quels sont les problèmes dans les échéanciers et la prédictibilité? Qu’est-ce que vous pouvez nous dire aujourd’hui? Vous devez avoir conscience de ce qui nuit à l’implantation de ce projet; cela fait des années qu’on parle de cela.
M. Detchou : Merci beaucoup pour votre question, madame la sénatrice.
Tout d’abord, j’aimerais vous dire que même dans le projet de loi actuel du gouvernement, on s’attendait à certaines réponses aux questions que vous posez.
Le gouvernement a dit dans les dernières années qu’il voulait réduire le temps pour acquérir certains permis. Il a indiqué différents délais, que ce soit trois ou cinq ans. Cependant, dans le projet de loi actuel, il n’y a aucune règle assez claire pour nous indiquer comment le gouvernement va se rendre à ces délais et ce qui se passera si le gouvernement lui-même ne réussit pas à respecter ces délais de trois ou cinq ans.
Pour les compagnies, cela veut dire beaucoup plus de coûts et beaucoup plus de projets qui ne se rendront pas à la dernière étape.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’imagine que cela dépend un peu des secteurs, mais quel est le délai moyen pour l’obtention d’un permis pour un projet? Qu’est-ce que l’on visait? Si l’on visait trois à cinq ans, quel est le délai moyen actuel?
M. Detchou : Je sais que le gouvernement a dit qu’il aimerait réduire le délai à cinq ans. Pour le moment, cela dépend des secteurs, comme vous l’avez dit. L’un des exemples dont on discute beaucoup est le secteur minier, car on sait qu’il est très important pour atteindre tous les objectifs. Dans ce secteur, juste pour la section des permis, on parle de 8 à 12 ans. C’est souvent un peu plus long, car certains projets sont plus complexes que d’autres.
Comme vous pouvez l’imaginer, on ne peut pas toujours atteindre nos objectifs. Dans mes remarques préliminaires, j’ai donné des statistiques qui proviennent du gouvernement du Canada. Nous avons certains objectifs que nous souhaitons atteindre d’ici 2035 ou 2050, mais nous ne sommes même pas capables d’ouvrir des mines dans le pays. Pour le secteur minier, on parle de 8 à 10 ans. Nous aimerions réduire cela, et ce sont des conversations que nous voulons avoir avec le gouvernement.
Je peux vous dire qu’entre la décision de la Cour suprême et aujourd’hui, nous n’avons pas été consultés par le gouvernement du Canada. Nous savons que d’autres associations ont été consultées, mais pas la nôtre. La première ministre de l’Alberta nous a dit qu’il paraît que son gouvernement n’a pas été consulté non plus. Ce sont des choses qui nous dérangent.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, monsieur Detchou.
[Traduction]
La sénatrice Sorensen : Merci. Honnêtement, j’allais poser la même question, mais je vais en poser une autre légèrement différente, que je vais adresser à tous les témoins.
Certains craignent que les amendements ne soient pas suffisants. Je pense que nous souhaitons tous la même chose. Si vous avez des suggestions, j’aimerais les connaître, mais j’aimerais aussi obtenir le point de vue des deux autres témoins.
Je voudrais savoir si vous trois — et les témoins du groupe précédent — pensez que nous devrions apporter des amendements plus substantiels que nous regrouperions dans un projet de loi séparé plutôt que de continuer à travailler avec le cadre actuel. Je commencerais avec M. Bradley.
M. Bradley : Nous n’avons pas d’opinion sur la question de savoir si les amendements devraient faire l’objet d’un projet de loi séparé ou qu’ils devraient être intégrés au projet de loi existant, mais nous pensons que ce doit être fait le plus tôt possible.
La sénatrice Sorensen : L’adoption d’un autre projet de loi prendrait plus de temps.
M. Bradley : Oui. C’est possible. Mon collègue, M. Perera, pourrait peut-être fournir des détails sur les changements additionnels que nous aurions aimé voir.
Channa Perera, vice-président, Affaires réglementaires et autochtones (Électricité Canada) : Nous aurions aimé obtenir quelque chose de plus clair concernant la question des délais, dont nous avons déjà discuté. En même temps, nous voulons rester pragmatiques concernant ce qui peut être accompli à court terme.
Nous avons parlé des délais concernant l’Agence d’évaluation d’impact. Nous aurions évidemment préféré des échéanciers plus courts. Vu la cible de carboneutralité d’ici 2035, nous avons au plus 12 ans pour construire les infrastructures. La demande va doubler ou tripler d’ici 2050. En tenant compte de cela et des délais de 10 à 15 ans pour les grands projets hydroélectriques, nous aimerions que les délais soient inscrits dans le projet de loi si possible. La prolongation des délais est indiquée pour différentes situations, mais aucune disposition ne précise que des projets doivent être menés à bien dans un délai de cinq à sept ans par exemple.
L’Union européenne vise un délai de trois ans pour réaliser certaines de ces évaluations. Il nous faut établir des échéanciers précis. Encore une fois, comme je l’ai dit, nous demeurons réalistes. Ce que nous souhaitons ne sera peut-être pas possible pour l’instant. Les aspects du projet de loi que nous appuyons sont la prise en compte des effets négatifs importants et l’accent mis sur les effets non négligeables relevant de domaines de compétence fédérale. Ces éléments apporteront une amélioration importante concernant le nombre de projets visés par la loi. Nous ne voulons pas que les projets ayant une incidence minime soient visés par la Loi sur l’évaluation d’impact.
Nous félicitons le gouvernement d’avoir ajouté des changements terminologiques concernant les effets non négligeables et d’avoir voulu se concentrer essentiellement sur les projets relevant de domaines de compétence fédérale en évitant les dispositions trop générales qui auraient englobé les projets relevant de domaines de compétence provinciale.
La sénatrice Sorensen : Merci.
Monsieur Finlayson, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Finlayson : Je noterais que les améliorations promises lors de l’adoption de la Loi sur l’évaluation d’impact se trouvaient en amont — nous avons participé aux délibérations du gouvernement à l’époque —, car elles devaient permettre d’accélérer les choses. Comme vous le savez, l’évaluation des projets prévue dans la loi se compose de quatre phases.
La première phase comporte par exemple un échéancier de 180 jours. C’est la phase de planification. Dans l’examen des projets en attente de la Loi sur l’évaluation d’impact qu’elle a réalisé l’an dernier, la Canada West Foundation a calculé une moyenne de 323 jours pour la phase de planification. Force est de constater qu’il y a eu des retards.
Il arrive souvent que l’agence interrompe le processus pour consulter les promoteurs du projet et leur demander de fournir des renseignements additionnels. Par conséquent, les projets n’aboutissent pas. Je me demande si c’est réaliste de raccourcir de façon considérable les délais. Mais bon sang, si ce qu’a dit un autre témoin est vrai et que l’Union européenne — une fédération de 27 États — peut faire avancer et approuver des projets d’envergure en trois ans, j’ose croire que nous sommes capables au Canada de faire au moins aussi bien.
[Français]
La sénatrice Oudar : Ma question s’adresse à tous les témoins. Lorsque le projet de loi C-69 a été déposé, parallèlement, le budget a été annoncé parmi les diverses mesures qui ont été envisagées. Vous avez ciblé tout à l’heure, à juste titre, le délai d’obtention d’approbations réglementaires. C’est ce qu’a ciblé la ministre des Finances lorsqu’elle a déposé son budget.
Elle a parlé de plusieurs mesures que vous avez dû lire et sur lesquelles je voudrais vous entendre. Elle a notamment ciblé les éléments suivants : le délai de cinq ans pour une forme d’approbation réglementaire; le délai de trois ans pour les projets nucléaires; une volonté de mieux consulter les Premières Nations; la publication d’un tableau de bord pour annoncer une certaine prévisibilité; la création d’un Bureau de la croissance. Ce dernier existe déjà au Bureau du Conseil privé, mais la ministre veut créer un poste spécialisé pour diminuer les délais et changer la culture.
Ce sont des mesures qui accompagnent le projet de loi et qui remplissent les objectifs que vous avez en commun, et qui sont également partagés par le gouvernement. Ce qui m’a inquiétée, c’est que la ministre a annoncé la création d’un groupe ministériel dans le budget, et je comprends qu’aucune organisation qui est ici ce soir n’est membre du comité gouvernemental visant à changer la culture. Il serait important d’envoyer un signal. J’aimerais vous entendre sur les mesures publiées dans le budget et qui concourent aux mêmes objectifs que vous avez mis de l’avant ce soir au comité. La question s’adresse aux trois organisations.
[Traduction]
M. Detchou : Merci beaucoup de votre question, sénatrice. Si vous le permettez, je vais répondre en anglais.
Le budget le plus récent renferme un bon nombre de dispositions qui nous semblent très favorables. Je dirais tout d’abord que la phase de mise en œuvre est cruciale. C’est exactement ce qu’on dit les témoins de l’Association minière du Canada. Nous devons aller au-delà des discours et mettre les projets sur les rails. Voilà la première chose.
Le Bureau de la croissance propre et les nouveaux fonds octroyés à Ressources naturelles Canada sont des mesures bien pensées. Toutefois, certaines d’entre elles sont de nouvelles promesses ou des promesses que nous avons déjà entendues dans le passé, et le temps presse. C’est une chose sur laquelle je voulais insister.
Je mentionnerais autre chose au sujet de l’incertitude et de la prévisibilité. Aujourd’hui, notre discussion porte principalement sur la Loi sur l’évaluation d’impact, mais cela s’applique à différentes dispositions. Le gouvernement a pris divers engagements, dont la mise en place de crédits d’impôt à l’investissement. Il a présenté toute une série de ces crédits d’impôt, qui ont tous récolté un très grand appui de l’ensemble des joueurs de l’industrie. Évidemment, des améliorations peuvent toujours être apportées, mais l’industrie est en général très favorable à cette mesure. Toutefois, rares sont les crédits qui sont devenus loi, et un grand nombre d’entre eux avaient été promis ou avaient été annoncés il y a plusieurs années. Promettre des crédits d’impôt à l’investissement, c’est bien, mais les mettre en œuvre, c’est mieux. Ce principe est universel.
Sans contredit, le gouvernement fait des annonces depuis assez longtemps. Nous avons hâte à présent que les mesures soient mises en œuvre comme il se doit.
J’espère que j’ai répondu à votre question, sénatrice.
M. Bradley : Merci. C’est une question intéressante et je suis d’accord avec la réponse fournie par mon collègue de la chambre de commerce. Les engagements qui ont été pris sont accueillis avec beaucoup d’enthousiasme. Nous sommes préoccupés — dans la même veine que ce que disait mon collègue — par les délais de mise en place des engagements et par le fait que certains avaient déjà été formulés dans le passé.
Je soulignerais entre autres l’engagement « un projet, une évaluation », qui figurait dans le budget de 2023 et qui a été repris dans le budget de 2024. Voilà un exemple d’engagement important qui serait selon nous très utile. Nous aimerions vraiment qu’il se concrétise. Les crédits d’impôt à l’investissement suscitent toujours des préoccupations chez un grand nombre de mes membres.
En dernier lieu, je mentionnerais évidemment que cela s’inscrit dans le défi encore plus grand que représentent le développement des projets et l’obtention d’une approbation pour les mettre en route. La Loi sur l’évaluation d’impact et l’Agence d’évaluation d’impact du Canada sont des éléments très importants du processus, mais ce sont loin d’être les seules barrières à franchir. Le secteur de l’électricité, qui relève principalement des provinces, est régi par 90 lois et règlements fédéraux. Les lois et règlements auxquels nous devons nous conformer pour mettre en chantier un projet font partie intégrante du défi. Nous aimerions que tous ces éléments soient examinés.
Le président : Monsieur Finlayson, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Finlayson : Oui. La sénatrice a posé une excellente question, qui me fournit l’occasion de préciser que la Loi sur l’évaluation d’impact ne traite pas des permis, mais plutôt de la question de donner ou non le feu vert à la mise à exécution des projets. C’est la Loi sur l’évaluation d’impact. Une fois que le projet a été approuvé au terme du processus — ou au moyen du processus connexe au niveau provincial —, le promoteur doit entreprendre les démarches afin d’obtenir les permis nécessaires. M. Bradley a indiqué que le promoteur peut avoir à suivre différents processus établis dans les lois et les règlements et à traiter avec différents niveaux de gouvernement et différents ministères d’un même gouvernement.
Les aspects liés à la post-approbation et à la délivrance des permis sont en fait très importants, mais ils ne sont pas mentionnés dans les changements que le gouvernement du Canada propose d’apporter à la loi. Par contre, ils jouent un rôle capital dans l’expérience des personnes qui essaient de réaliser des projets. Dans certains dossiers où j’ai été impliqué, plusieurs années se sont écoulées entre l’étape de l’approbation du projet dans le cadre, par exemple, du régime d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique, et l’obtention de la série de permis nécessaires pour mettre le projet en chantier. Souvent, les permis ont une date d’expiration. Il faut donc les renouveler. Le parcours complexe sur le plan législatif et administratif que doivent effectuer les promoteurs ne se termine pas le jour où ils obtiennent le certificat indiquant que leur projet est approuvé.
La sénatrice McBean : Les deux groupes de témoins ont souligné à de multiples reprises que les amendements proposés à la Loi sur l’évaluation d’impact ne vont pas assez loin et qu’ils nous font rater une occasion. Monsieur Bradley, monsieur Finlayson, je vais vous renvoyer à quelque chose que vous avez tous les deux dit. Vous avez dit que vous aimiez certains amendements. Pourriez-vous indiquer plus précisément certains des amendements qui vont vous faciliter la vie?
Je vais ensuite poursuivre avec vous, monsieur Perera.
M. Bradley : Certainement. En fait, je vais céder la parole à mon collègue, M. Perera.
M. Perera : Comme M. Bradley l’a indiqué, nous sommes heureux que le gouvernement se concentre sur les effets négatifs importants. C’est crucial. Il faut s’éloigner de la méthode axée sur la liste de projets préconisée depuis quelques années. La liste de projets retient les projets en fonction de leur taille. Si nous prenons l’hydroélectricité, le seuil actuel est de 200 mégawatts. Quelle serait la différence si les impacts se chiffraient à 195 ou à 205 mégawatts? La différence serait nulle. Nous devons donc commencer à tenir compte des effets négatifs et à limiter la portée de l’évaluation aux domaines de compétence fédérale. De notre point de vue, c’est exactement ce que le gouvernement propose.
Je sais que les changements sont plutôt chirurgicaux. Nous aimerions que des changements plus généraux soient apportés, mais nous n’avons pas le temps de le faire. Nous ne voulons pas attendre des années pour qu’un autre projet de loi soit adopté. La loi existante est en vigueur depuis seulement sept ans. Même si nous ne l’avons pas encore testée, nous pouvons dire que certains aspects — notamment les délais — pourraient être améliorés.
Comme un autre témoin l’a mentionné tout à l’heure, la Loi sur l’évaluation d’impact n’est pas la seule loi applicable. La Loi sur les pêches, la Loi sur les espèces en péril et la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs renferment toutes des exigences relatives aux permis. Dans le cas encore une fois de l’hydroélectricité, mais dans la perspective des pêches, certaines des installations n’ont même pas obtenu l’autorisation exigée par la Loi sur les pêches.
Par conséquent, les délais de 5, 12 ou 15 ans sont une combinaison des délais de l’évaluation d’impact, qui totalisent environ 6 ans si nous y ajoutons la somme des jours, des mois et des années, mais ensuite, l’obtention des permis auprès des divers ministères responsables prolonge les délais de 6 autres années.
La mesure renferme certaines dispositions qui permettraient aux ministères formant le cycle de vie, tels que Pêches et Océans Canada et d’autres, de participer à l’évaluation d’impact. Pour autant que je sache, l’agence travaille avec acharnement pour coordonner les ministères concernés. Les évaluations réalisées par les commissions d’examen indiquent que les organismes constitutifs du cycle de vie participent déjà aux commissions d’examen intégré.
Le texte renferme beaucoup d’éléments, mais le défi est de l’opérationnaliser et de fournir à l’Agence d’évaluation d’impact du Canada les ressources dont elle a besoin pour entreprendre ces examens sans avoir à demander la prolongation du délai et à accéder aux demandes du ministère pour l’obtention de plus de temps pour son examen. Ces examens devraient être réalisés rapidement. Nous devrions également connaître la nature des barrières créées par les délais.
Nous approuvons l’ajout de dispositions qui permettraient de resserrer la collaboration avec les provinces, d’autant plus que la réglementation du secteur de l’électricité se fait principalement au niveau provincial. Il faudrait que les processus provinciaux se substituent aux processus fédéraux le plus possible pour laisser les provinces faire leur travail. Bon nombre des projets du secteur de l’électricité sont déjà pris en charge par les provinces. Il est donc souhaitable d’instaurer la collaboration la plus étroite possible.
Un point que je veux soulever sur la réconciliation et la participation des Autochtones est l’importance cruciale de planifier longtemps en amont. Il est impossible de donner corps à de nouveaux projets sans la participation des Autochtones. Notre secteur travaille avec les communautés autochtones et développe avec elles des partenariats équitables et d’autres structures de propriété dans le cadre des efforts pour atteindre la carboneutralité.
Je vais m’arrêter ici pour ne pas prendre trop de temps.
La sénatrice McBean : Vos paroles sont incroyablement encourageantes. Vous semblez très enclin à collaborer. Contrairement à ce que d’autres témoins ont dit, vous évoquez l’existence d’une composante d’adaptation aux projets. Vous décelez des possibilités que d’autres ne voient pas.
Me reste-t-il assez de temps pour entendre la réponse de M. Finlayson?
Le président : La réponse sera-t-elle courte?
La sénatrice McBean : C’est à lui de décider.
M. Finlayson : Je vais être très bref. Je suis économiste, et non pas avocat, mais je dirais que le principal changement qui serait selon nous le moindrement prometteur est celui qui rend plus étroite l’application de la Loi sur l’évaluation d’impact. Les amendements qui ont été déposés abrogeraient les définitions de « effets directs ou accessoires » et de « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » dans la loi actuelle et les remplaceraient par la nouvelle définition, plus étroite, de « effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale », qui serait restreinte aux effets non négligeables.
Je suppose que les tribunaux et les avocats parviendront à démêler cette panoplie de définitions.
La sénatrice McBean : Je suis désolée de vous interrompre. Aimez-vous le terme « non négligeable »?
M. Finlayson : Il faudrait que je demande à notre avocat. Ce n’est certainement pas le vocabulaire que j’emploierais, mais nos avocats semblent penser que de légiférer cet aspect pourrait entraîner une application plus étroite de la Loi sur l’évaluation d’impact et répondre aux préoccupations soulevées par le secteur et le gouvernement de l’Alberta au sujet du caractère trop général de la définition de « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » dans la loi actuelle.
J’estime que c’est un changement relativement mineur, mais vous m’avez demandé de parler d’un aspect que nous appuyions. Voilà donc quelque chose que nous trouvons prometteur.
Le président : Merci à nos invités de nous avoir fait part de leurs connaissances. Nous vous sommes infiniment reconnaissants de nous avoir transmis ces informations très utiles. Je voudrais également remercier tous mes collègues, les sénateurs, qui ont contribué au processus. Nous continuons d’obtenir des résultats substantiels dans des délais raisonnables. Merci beaucoup à vous tous.
Toujours sur cet aspect, nous recevrons le jeudi 30 mai d’autres témoins qui discuteront de la section 28 de la partie 4 du projet de loi C-69. Ce sera notre dernière réunion consacrée à l’étude du projet de loi. Puisque cette mesure est passablement complexe, nous devons prévoir un peu de temps pour nous préparer.
(La séance est levée.)