LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 30 mai 2024
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur des éléments de la section 28 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024; et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle Paul J. Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité. Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
Avant de commencer, je voudrais demander à tous les sénateurs et aux autres participants qui sont ici en personne de consulter les cartes sur les tables pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son. Veuillez prendre note des mesures préventives suivantes, qui ont été mises en place pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes.
Dans la mesure du possible, veillez à vous asseoir de manière à augmenter la distance entre les microphones. N’utilisez qu’une oreillette noire homologuée. Les anciennes oreillettes grises ne doivent plus être utilisées. Tenez votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet.
Merci à tous de votre coopération.
Je vais demander à mes collègues du comité de se présenter, en commençant par ma droite.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Cotter : Bonjour. Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan.
La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, sénatrice de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta, du parc national Banff.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.
Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.
[Français]
Le président : Aujourd’hui, le comité poursuit son examen de la teneur des éléments de la section 28 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024. Pour le premier groupe de témoins, nous accueillons Alexandria Pike, présidente sortante, Section nationale du droit, environnement, énergie et ressources, Association du Barreau canadien. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Cinq minutes sont réservées pour vos allocutions d’ouverture. La parole est à vous, madame Pike.
[Traduction]
Alexandria Pike, présidente sortante, Section nationale du droit, environnement, énergie et ressources, Association du Barreau canadien : Bonjour, et merci de me recevoir. Je suis la présidente sortante de l’Association du Barreau canadien, et j’ai discuté il y a plusieurs années avec certains des sénateurs lors de l’étude de la version initiale de cette loi, la Loi sur l’évaluation d’impact. Je pratique dans le domaine depuis plus de 20 ans, et j’ai été membre de l’Association du Barreau canadien pendant la majeure partie de cette période.
L’Association du Barreau canadien compte plus de 36 000 membres, principalement des avocats, mais aussi des notaires, des étudiants et des universitaires. Nous sommes présents partout au pays, et nous sommes fiers du dialogue que nous favorisons entre les provinces et les territoires. Nous formons un groupe très diversifié.
Nous nous efforçons de représenter des intérêts communs, et nos intérêts communs consistent à vraiment mettre l’accent sur l’amélioration du droit aux fins de l’administration de la justice; voilà l’objectif général de l’Association du Barreau canadien. La Section nationale du droit de l’environnement, de l’énergie et des ressources, dont je fais partie et que je représente ici aujourd’hui, se concentre sur les questions touchant le droit de l’énergie, de l’environnement et des ressources. Son effectif est composé principalement de praticiens du secteur privé, mais également d’universitaires et de membres de groupes non gouvernementaux.
Notre fil conducteur au cours des 15 dernières années — où sont survenus d’importants changements en matière d’évaluation environnementale et d’évaluation d’impact au Canada — a été la recherche d’une législation efficace et claire qui contribuera à orienter le processus. Quand on regarde en arrière, on constate que la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 — ou la LCEE de 2012 — a été un changement assez radical par rapport à ce que nous avions avant. C’est à ce moment-là que la Liste des projets a été introduite. Auparavant, c’était un système fondé sur les éléments déclencheurs.
C’était un changement important. L’Association du Barreau canadien y a adhéré, et elle est ouverte à la Liste des projets, étant donné qu’elle figure dans la Loi sur l’évaluation d’impact.
Les modifications de la Loi sur l’évaluation d’impact dont il est question aujourd’hui vont dans ce sens. La LCEE de 2012 a été remplacée par la Liste des projets et divers autres éléments du régime. La Loi sur l’évaluation d’impact représentait un changement, mais elle s’est appuyée là-dessus. À présent, nous souhaitons de nouveau examiner l’avis de la Cour suprême du Canada et apporter d’autres changements.
Notre organisation a participé pendant toute cette période aux discussions sur ces changements. Nous espérons pouvoir vous aider ce matin.
Nous voulons des normes transparentes et cohérentes qui montrent comment les mécanismes vont fonctionner — pour que les gens puissent savoir à quoi s’attendre, fournir ce qui est nécessaire et fonctionner dans le système —, et qui permettent aussi d’effectuer des analyses et de prendre des décisions en temps opportun. Nous croyons fermement que le Canada n’a jamais eu autant besoin qu’aujourd’hui d’un système d’évaluation environnementale — ou, comme c’est le cas actuellement, d’un système d’évaluation d’impact — solide et fonctionnel.
La transition vers une économie à faibles émissions de carbone exige des mesures considérables dans de nombreux secteurs de notre économie, et cela nécessitera du développement. Cela exerce des pressions, car les changements climatiques nécessitent des mesures et qu’il faut évaluer les mesures requises avant de les mettre en œuvre.
La recherche d’un juste équilibre à cet égard est un défi de taille, et nous voulons un plan clair pour les promoteurs et pour ceux qui veulent participer au système, quel qu’il soit. Quant aux divers intervenants, nous voulons nous assurer que le système fonctionne pour eux aussi.
En ce qui concerne les amendements dont vous êtes saisis — et nous pourrons en parler davantage pendant la période des questions —, nous croyons que bon nombre d’entre eux apportent la clarté et la certitude requises. Lorsque nous sommes venus discuter avec des sénateurs au moment de la présentation de la Loi sur l’évaluation d’impact, nous avons soulevé des préoccupations au sujet de l’incertitude qui régnait à ce moment-là. Quand on examine la décision de la Cour suprême, on constate que plusieurs de ces points concordent. À bien des égards, nous accueillons favorablement les efforts déployés en vue de régler certains de ces problèmes.
Cependant, il y a encore quelques préoccupations que nous aimerions soulever. Le pouvoir de désignation, qui est distinct de la Liste des projets se trouvant à la fin de la loi, permet de désigner des choses qui ne figurent pas sur cette liste. Nous pensons qu’il faut examiner sérieusement cette liste, et elle a fait l’objet d’un examen sérieux. Cela se trouve dans la version modifiée du paragraphe 9(2) de la Loi sur l’évaluation d’impact, qui confère des pouvoirs distincts au ministre. Au bas de cette liste, il y a un pouvoir discrétionnaire très large qui est en quelque sorte ajouté à la fin et qui, à notre avis, crée de l’incertitude. À nos yeux, chaque fois que l’on dit : « et toute autre chose souhaitée par le ministre », il faut vraiment réfléchir au contexte dans lequel cela s’inscrit. Nous ne cherchons pas à paralyser le ministre, mais il faut fournir un contexte quant à ce qu’il pourrait décider d’ajouter. Les promoteurs ont besoin de certitude, et les communautés et les intervenants doivent savoir quand un système fédéral s’appliquera.
Dans nos mémoires antérieurs, nous avons également traité du principe « un projet, une évaluation ». C’est la question du système fédéral-provincial et de son fonctionnement. Ce sont encore des défis aujourd’hui. Nous essayons depuis des années de conclure des ententes de substitution et de faire en sorte que ces systèmes fonctionnent. Ils ne fonctionnent pas comme ils le devraient pour que le système puisse être aussi efficace que possible. Il y a encore beaucoup de choses ici qui indiquent quand les substitutions devraient être prises en compte, et les amendements comportent des signaux qui indiquent quand les organismes fédéraux devraient prendre du recul.
Cependant, cela doit se faire à l’étape de la mise en œuvre. C’est une question très sérieuse. Il faut donner à l’agence le pouvoir de faire appel à l’expertise fédérale et d’appuyer les processus provinciaux en ce qui concerne des questions relevant du fédéral, sans prendre le contrôle en procédant à une évaluation d’impact fédérale complète. Ce mécanisme et cette structure sont peut-être plus bureaucratiques que législatifs, mais il faut vraiment les examiner attentivement.
Le critère de l’intérêt public a été précisé dans les amendements. Il a été restreint, et nous pensons qu’il apporte plus de clarté et qu’il favorisera des processus plus efficaces. Nous nous en réjouissons. Plus particulièrement, nous sommes très heureux que, selon la version modifiée de l’article 60 de la Loi sur l’évaluation d’impact concernant l’étape de la décision, il faille tenir compte des mesures d’atténuation avant de prendre la décision. Avant de déterminer si les effets sont importants, il faut examiner comment ils pourraient être atténués. Cela nous ramène en fait à la LCEE de 2012. Nous sommes heureux que ce soit le cas, car il est inutile d’établir d’abord ce qui est « important » et d’examiner ensuite les mesures d’atténuation, ce qui revient à prendre une décision sans avoir réfléchi à la façon d’éviter les effets. Il est très utile de remettre cela au début du processus, et cela a été fait.
En outre, nous pensons que le rétablissement du terme « justification » — qui est de retour — dans l’article touchant l’intérêt public est également utile. Là encore, il s’agit d’un ancien terme. Il est tiré de la LCEE de 2012. Il est de retour parce qu’il donne une meilleure idée de l’équilibre à établir. Il ne faut plus seulement que ce soit dans l’intérêt public, il faut que ce soit justifié par l’intérêt public. Cela illustre un peu mieux l’exercice de mise en équilibre qui a lieu.
Il y a d’autres choses sur lesquelles nous aimerions attirer votre attention. Certaines d’entre elles concernent le libellé, mais nous craignons qu’il en résulte de l’incertitude, de sorte que nous vous demandons d’y réfléchir. Dans l’article concernant le critère et les éléments relatifs à l’intérêt public — la version modifiée de l’article 63 de la Loi sur l’évaluation d’impact—, il est question des effets sur les communautés autochtones et sur les droits des Autochtones, mais les effets ne sont pas traités de la même façon; les termes utilisés sont différents. Nous ne savons pas pourquoi, et nous vous prions donc d’examiner cela. Pourquoi n’est-il pas question de répercussions préjudiciables importantes lorsqu’il s’agit des communautés autochtones, alors qu’il en est question lorsqu’il s’agit des droits des Autochtones?
Nous pensons que cette loi ne devrait porter que sur les répercussions préjudiciables importantes. Une bonne part de son libellé indique qu’il n’est pas question de répercussions négligeables, alors pourquoi ne pas veiller à ce qu’il y ait davantage d’uniformité?
Le terme « durabilité » est également utilisé dans l’article sur l’intérêt public, et nous comprenons pourquoi il y figure, mais il y a de nombreuses façons d’évaluer la durabilité, et il doit y avoir une façon fédérale de le faire. Il doit y avoir un moyen de l’évaluer en ce qui concerne les projets fédéraux et les répercussions fédérales, et c’est là-dessus que ce critère devrait porter.
L’autre élément qui n’est pas inclus ici — et nous nous demandons comment il sera mis en œuvre —, ce sont les cibles annoncées dans le budget. Il y était question d’une cible de cinq ans pour ce qui est des évaluations d’impact fédérales, et d’une cible de deux ans en ce qui concerne la délivrance de permis fédéraux dans les cas où le projet relève d’un régime provincial ou territorial. Ces délais n’ont pas été inclus ici, et nous voulons savoir où ils figureront.
Enfin, les petites incohérences dans le libellé ont de l’importance. On y retrouve les termes « non négligeable » et « important ». Avons-nous vraiment besoin des deux? Cela sème-t-il la confusion? Tâchez de songer à la simplicité lorsque vous vous pencherez là-dessus. Il y est aussi question de la mesure de l’importance, mais ne devrait-il plutôt être question du contexte de l’importance? Je vous laisse y réfléchir. Mais si quelque chose est important, c’est important. Est-ce important souvent? Est-ce important seulement dans certains cas? Peut-être.
Voilà quelques-unes de nos observations générales. Je dois dire que nous avons été informés de la présente occasion à la fin de la semaine dernière, peut-être parce que le responsable des relations avec le gouvernement de l’Association du Barreau canadien vient de démissionner. Je suis désolée de ne pas avoir de mémoire écrit à vous soumettre. J’ai consulté plusieurs anciens membres de l’exécutif de la section avant de venir ici. Nous avons parlé de tout cela. Nous avons assisté ensemble à une conférence à ce sujet il y a un mois. Nous communiquons ensemble depuis le dépôt des amendements.
Je suis disposée à répondre à vos questions. Merci.
Le président : Merci. Nous allons passer aux questions.
Le sénateur Arnot : Merci beaucoup de votre présentation. Vous avez mentionné un certain nombre de questions très préoccupantes. Vous avez mis l’accent sur le fait de dissiper certaines incertitudes que vous avez soulevées, et vous souhaitez que la loi soit simplifiée de manière à ce qu’elle se lise bien et qu’elle soit beaucoup plus applicable.
Avez-vous une liste de recommandations d’amendement à nous soumettre? Envisagez-vous de formuler cela dans un document que vous nous enverrez? Autrement dit, avez-vous des suggestions précises d’amendements qui permettraient d’atteindre les objectifs de clarification, de simplicité et de dissipation de l’incertitude, qui sont au cœur de votre propos? Avez-vous quelque chose à nous fournir?
Mme Pike : J’aurais souhaité vous fournir un peu plus de détails, et je peux certainement m’engager à le faire. Cela devra passer par notre processus exécutif. Je n’ai pas pu le faire à temps pour aujourd’hui, mais nous pouvons certainement le faire.
Le sénateur Arnot : Je pense que c’est important. Si l’Association du Barreau canadien a des amendements à proposer en vue de l’atteinte des objectifs dont vous avez parlé, nous devons les connaître. Merci beaucoup.
Mme Pike : Merci.
Le président : Puis-je vous demander dans combien de temps vous pensez pouvoir nous transmettre vos commentaires et vos suggestions?
Mme Pike : J’espère pouvoir vous les faire parvenir au début de la semaine prochaine.
Le président : C’est bien. Nous allons parachever notre examen au début de la semaine prochaine, alors ce serait très bien.
Le sénateur Wells : Madame Pike, je vous remercie de votre contribution à notre étude.
J’aimerais revenir aux points importants que vous avez soulevés au sujet des termes « non négligeable » et « important ». Je sais qu’en droit, il est toujours bon de quantifier les choses, car ce qui peut être important pour l’un peut ne pas l’être pour l’autre. Je pense aux grands projets qui pourraient avoir un effet néfaste sur l’environnement. Cela pourrait être extrêmement important pour un environnementaliste, et pas tellement important pour un promoteur.
Avez-vous eu connaissance de contestations fondées là-dessus? Comment sont-elles traitées en droit? Je sais que nous fonctionnons selon un système de précédents. Les avocats invoquent donc souvent les précédents. Comment faites-vous cela lorsqu’il s’agit de quelque chose qui n’est pas quantifiable?
Mme Pike : En matière d’évaluation d’impact, il s’agit principalement d’évaluer l’ampleur des effets et de déterminer s’ils sont justifiés. Mais il faut généralement prendre toutes les mesures d’atténuation possibles, et cela devient un projet concret après l’approbation. C’est un travail très important, et il s’effectue souvent à l’étape de la délivrance des permis, mais il peut aussi y avoir des exigences dans le cadre de l’évaluation d’impact proprement dite.
Cette décision en début de processus — de même que les conditions et les préoccupations qui sont intégrées à la prise de la décision — orientera tout le travail qui sera effectué si le projet est approuvé. Il s’agit d’une décision de contrôle qui ne devrait porter que sur les effets importants, et tout le reste devrait être abordé dans le cadre de la gestion des systèmes durant la mise en œuvre du projet.
Le sénateur Wells : Merci. Vous avez dit que cela est effectué après l’approbation.
Mme Pike : Si c’est approuvé.
Le sénateur Wells : Oui. Si ce n’est pas approuvé, il n’y a pas d’après-approbation.
Qu’en est-il de l’utilisation de certaines de ces exigences moins quantifiables ou non quantifiables comme condition pour la délivrance d’un permis? Cela se produirait après l’approbation, et il faudrait traiter avec l’organisme de réglementation, puis satisfaire à certaines conditions afin d’obtenir un permis, est-ce bien cela?
Mme Pike : Tout à fait. Il faut continuellement rendre des comptes, c’est-à-dire rendre des comptes aux intervenants. De nombreux mécanismes permettent cette surveillance à long terme, par l’entremise de l’organisme de réglementation et de la communauté.
Le sénateur Wells : Oui. Je sais que c’est ce qui se fait dans la zone extracôtière de Terre-Neuve. Presque tout fait partie des conditions de permis, parce que c’est un gros marteau.
Mme Pike : Exactement.
Le sénateur Wells : Merci.
Le sénateur Cotter : Merci beaucoup d’être ici, madame Pike.
La principale raison pour laquelle nous sommes de nouveau ici pour étudier ce projet de loi, c’est la décision rendue en octobre dernier par la Cour suprême du Canada, qui a conclu que d’importantes parties de la Loi sur l’évaluation d’impact — dont vous avez parlé plus tôt — étaient inconstitutionnelles. Si ce n’était de cela, nous procéderions à l’application de la Loi sur l’évaluation d’impact telle qu’elle a été rédigée.
La Cour suprême a conclu que deux volets importants du régime étaient inconstitutionnels. Le premier est celui des projets désignés, et le second concerne l’incidence générale du libellé relatif aux effets relevant d’un domaine de compétence fédérale.
J’aimerais savoir si, du point de vue du droit constitutionnel, l’Association du Barreau canadien a une opinion sur la question de savoir si le problème du caractère inconstitutionnel de ces parties de la loi a été adéquatement réglé. Vous connaissez beaucoup mieux que moi les subtilités du processus, tout comme mes collègues ici présents. Mais avons-nous réglé le problème constitutionnel?
Le juge en chef a déclaré au nom de la majorité de la cour que le second volet, qui a trait aux effets relevant d’un domaine de compétence fédérale, dépassait largement la compétence fédérale. Ce sont les termes qu’il a choisis. Selon moi, le changement que suscite cet amendement quant aux effets relevant d’un domaine de compétence fédérale tient à l’introduction de l’expression « effets négatifs non négligeables ». Il me semble qu’on a tenu pour acquis qu’il s’agissait d’effets « négatifs » — c’est de cela que nous parlons —, de sorte que le changement vise à décrire les effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont non négligeables. À mes yeux, la liste des catégories d’effets de l’ancienne loi et celle figurant dans cet amendement sont presque identiques. Ce qui me frappe, c’est que, pour parvenir à constitutionnaliser ces effets relevant d’un domaine de compétence fédérale, selon le gouvernement du Canada, il s’agissait d’élever les enjeux en passant du terme « effets » au terme « effets non négligeables ». Il me semble que c’est un choix de mots inhabituel. Le sénateur Wells a attiré notre attention là-dessus en invoquant l’interprétation de ce libellé effectuée par son fils, un brillant étudiant en droit.
L’Association du Barreau canadien a-t-elle une opinion sur la question de savoir si cela règle le problème de l’inconstitutionnalité de l’ancienne loi?
Mme Pike : Merci de votre question.
En ce qui concerne l’inconstitutionnalité, et plus particulièrement la désignation, le seul problème que nous pose l’article sur la désignation, c’est le dernier petit élément que j’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, à savoir que, en vertu de l’article 9 de la Loi sur l’évaluation d’impact, le ministre a le pouvoir de désigner et, plus bas, le projet d’alinéa 9(2)e) énonce les éléments que le ministre peut prendre en considération pour décider de désigner ou non. Au début de l’article, il est énoncé que le ministre estime que l’exercice de l’activité concrète « peut entraîner des effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale ou des effets directs ou accessoires négatifs ». Tout ce qui relève du fédéral est donc inscrit au début de l’article.
Quant aux éléments à prendre en considération énoncés plus bas, il s’agit principalement de questions de compétence fédérale. À la fin, il est question de tout autre élément que le ministre estime indiqué.
C’est notre seule inquiétude relativement à une sorte de constitutionnalisation par la force. Le ministre ne devrait se préoccuper que des questions qui le concernent. Si nous pouvions régler cela, je pense que nous n’aurions pas d’autre préoccupation pour ce qui est de la désignation.
En ce qui a trait aux effets fédéraux, lorsqu’on compare l’ancien libellé, à savoir les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale », à ce qui existe maintenant, soit les « effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale », il s’agit d’une mesure de précaution supplémentaire. Dans le cadre du régime précédent, il y avait un libellé, mais il n’était pas aussi strict ou contraignant, et on craignait qu’il soit utilisé à mauvais escient. Il s’agit ici de resserrer le régime au moyen des termes « négatifs » et « non négligeables », comme vous l’avez dit.
Pour ce qui est de la différence entre les deux dans la liste, la suppression du passage sur les changements survenant dans une province autre que celle dans laquelle l’activité est exercée constitue une modification importante. Je sais que ce n’est qu’un élément de la liste, mais sa suppression est une modification importante. Je pense que la nouvelle définition porte sur les éléments relevant d’un domaine de compétence fédérale.
Cependant, je me pose encore des questions — comme je l’ai mentionné à la fin de mes observations — au sujet de ce libellé. L’utilisation de l’expression « non négligeables » ne concerne pas seulement les effets négatifs importants; elle ajoute aussi un espace intermédiaire très flou, et très large. Le terme « négligeables » se trouve tout en bas. Le terme « importants » se trouve en haut. Le terme « non négligeables » couvre tout ce qui se trouve entre les deux. Est-ce vraiment nécessaire dans un régime fédéral? Les permis fédéraux s’appliqueront à tout cela, à partir du non négligeable jusqu’à l’autre extrémité. S’il y a une exigence de permis fédéral, elle englobera toutes ces choses.
À notre avis, la Loi sur l’évaluation d’impact devrait simplement mettre l’accent sur ce qui est « important ». Nous comprenons que l’objectif est peut-être d’englober tout ce qui pourrait être sérieux, de l’évaluer d’abord pour ensuite parvenir à ce qui est important. Je pense que c’est la raison pour laquelle le terme utilisé est « non négligeables » : on souhaite englober tout ce qui n’est pas absolument de minimis, l’examiner et passer ensuite à ce qui est « important ».
Nous pensons que cela peut être en grande partie passé au crible par le promoteur dès le début pour que le processus soit plus ciblé. Il devrait y avoir des rapports sur les facteurs qui ne sont pas importants de manière à ce que les gens qui craignent que quelque chose ait été oublié puissent effectuer un examen et dire : « Un instant. Je ne suis pas d’accord avec la décision concernant ce qui est important ici. Je pense que d’autres choses sont importantes. » Il devrait y avoir des façons d’englober cela sans créer cet espace intermédiaire du « non négligeable ».
Je dois signaler que tout ce que je viens de vous dire n’engage que moi. Au sein de la section, nous avons discuté de cet espace intermédiaire du non négligeable. Quant à la façon de régler cette question et d’en arriver à un autre régime — le fait de rendre des comptes sur ce qui n’est pas important et de laisser les gens effectuer eux-mêmes l’évaluation —, il s’agit de mon opinion, et non de celle de l’Association du Barreau canadien.
Le sénateur Cotter : À mon avis, l’une des questions qui se posent ici, outre celle de savoir si les effets négatifs seraient négligeables ou non importants, est celle de la vaste gamme d’effets négatifs que le ministre peut prendre en considération, y compris ceux visés par des formules relativement vagues, plus particulièrement au projet d’alinéa 2g) de la nouvelle modification à la Loi sur l’évaluation d’impact, où il est question de « changements négatifs non négligeables en toute matière sanitaire, sociale ou économique […] qui relèvent de la compétence législative du Parlement ».
Il s’agit d’un effet négatif important ou mineur, mais il y a un large éventail de facteurs dont le ministre peut tenir compte et que la Cour suprême a pu trouver troublant. Il n’y a pas que la profondeur, mais aussi la largeur, si je peux m’exprimer ainsi, et je n’ai pas l’impression que la question de la largeur a été abordée. Je ne sais pas s’il s’agit de la question déterminante pour ce qui est de la constitutionnalité, mais il me semble que c’est l’un des facteurs qui, au sein de la longue liste d’éléments de profondeur modérée qui sont requis ici, a pu être perçu comme excessif aux yeux de la Cour suprême.
Mme Pike : À coup sûr, chaque fois qu’il y a un vaste fourre-tout à la fin de quelque chose de ce genre, il faut en être très conscient et se concentrer là-dessus. Nous avions compris que les facteurs à prendre en compte seraient strictement considérés comme relevant de la compétence fédérale. Nous nous attendons à ce que ce soit le cas.
Le sénateur Cotter : Merci.
Le sénateur Cardozo : Merci, madame Pike, de votre présence, de votre exposé et des observations que vous avez formulées jusqu’à maintenant. C’est très utile.
J’aimerais vous ramener à la case départ concernant les changements climatiques. Il y a deux semaines, j’ai fait partie d’une délégation envoyée au Congrès américain. Un des représentants nous a fait un petit laïus selon lequel les feux de forêt et de broussailles n’avaient rien à voir avec les changements climatiques, mais tout à voir avec la gestion des forêts. J’ai parlé un peu de notre réalité géographique et du fait que ce n’est peut-être pas si simple.
Non seulement pour ceux qui nient l’existence des changements climatiques, mais aussi pour ceux qui n’ont pas participé à la discussion tout ce temps, comment expliqueriez-vous — si je peux vous ramener à la case départ — ce que nous faisons ici? Comment expliquer aux gens en quoi consiste une évaluation d’impact, ainsi que ce qu’il faut faire et ce que le ministre doit faire en matière de changements climatiques?
Mme Pike : Je vous remercie de poser cette question.
Lorsque j’ai commencé à apprendre des choses au sujet de l’évaluation environnementale et de l’évaluation d’impact, c’était vraiment une question de protection, parce que nous sommes un pays développé et que nous n’avons pas toujours eu de bonnes pratiques dans le passé, mais nous allons maintenant nous assurer que de bonnes pratiques seront adoptées à l’avenir, et chaque décision que nous prenons devrait être prise très soigneusement. Il est certain que j’y crois encore.
Cependant, nous faisons maintenant face à des demandes urgentes et nous devons nous développer beaucoup plus rapidement. L’étalement du développement sur au moins 10 ans va causer plus de problèmes environnementaux que ne pourraient en causer les projets que nous envisageons. Ce n’est pas le cas de tous les projets qui seront présentés. Ce n’est pas ce que je dis. Mais il y aura de nombreux projets qui exigeront une évaluation d’impact liée aux ressources naturelles dont nous essayons de tirer parti pour passer à une économie à faibles émissions de carbone.
En établissant cet équilibre, je pense que nous ne sommes plus dans un état où nous recherchons la perfection. Nous sommes dans un état où nous devons trouver l’équilibre entre des préoccupations très graves et urgentes. Nous ne devrions jamais compromettre l’habitat essentiel. Nous ne devrions jamais compromettre les droits des Autochtones lorsqu’il n’y a pas eu de pleines consultations, mobilisation et mesures d’adaptation ni de plein consentement.
Nous allons devoir prendre des décisions difficiles à la lumière de ces exigences. Je pense que notre système doit fonctionner en ce sens. Nous ne mettons pas de points sur les i ni de barres sur les t.
Le sénateur Cardozo : Que répondez-vous aux gens qui estiment que notre économie est dans une situation difficile pour un certain nombre de raisons et que nous n’avons pas le temps d’effectuer des évaluations environnementales, de sorte que les gens doivent se rallier à nous et que nous devions aller de l’avant avec des projets majeurs ou mineurs?
Mme Pike : Je pense que nous pouvons faire les deux. Nous disposons de gens très intelligents et compétents qui peuvent évaluer les effets que nous avons besoin de connaître, qui ont de l’expérience en matière d’atténuation et qui peuvent bien planifier les projets. Je ne dis pas que nous aurons la perfection. Dans bien des cas, nous pouvons atténuer des effets très graves.
Nous pouvons également évaluer l’habitat et les droits des Autochtones. Nous devons faire ce travail. Lorsqu’il est question d’un calendrier de cinq ans, c’est le genre avec lequel nous pouvons travailler. Sur ce fondement, on peut toujours obtenir de très bonnes données scientifiques, des consultations communautaires et la participation des Autochtones. C’est essentiel pour notre système.
Le sénateur Cardozo : Qu’est-ce qu’il en coûterait de ne pas le faire?
Mme Pike : Vous risquez d’endommager gravement l’environnement, surtout pour des groupes qui sont sous-représentés dans notre économie depuis des années. Vous risquez de causer à un territoire des dommages que vous ne pourrez peut-être pas réparer plus tard.
L’équilibre dont je parlais doit être atteint. Il n’est pas nécessaire que ce processus se déroule sur une décennie ou plus. Il peut se dérouler sur des périodes beaucoup plus courtes.
Nous avons beaucoup d’expérience dans les projets miniers. Nous savons comment travailler de manière à réduire leurs effets au minimum. Nous réussissons très bien à atténuer les risques pour les espèces en péril. Nous pouvons faire ce travail. Nous disposons de gens qui sont prêts à le faire rigoureusement afin d’atteindre les objectifs de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.
La sénatrice Galvez : Madame Pike, je vous remercie de votre intervention.
Je voudrais confirmer la réponse donnée à mon collègue, le sénateur Cotter, selon laquelle les modifications proposées régleront le problème de façon inconstitutionnelle. Est-ce bien ce que vous avez dit?
Mme Pike : Je crois que oui.
La sénatrice Galvez : C’est une chose.
En ce qui concerne le libellé dont vous parlez, il s’agit de la différence entre « non négligeable » et « important ». Vous avez dit que c’était trop énorme et qu’il ne devrait pas en être ainsi.
En ce qui concerne l’évaluation des impacts attribuables aux changements qu’un projet a apportés au système, certains sont locaux et d’autres, à plus grande échelle. Je vais donner un exemple pour illustrer cette question.
Prenons le barrage du site C. Le site C se trouve en Colombie-Britannique. Il utilise l’eau de la rivière des Esclaves, en Alberta. Il doit fournir de l’électricité à l’industrie des sables bitumineux. C’est l’eau qui alimente le bassin hydrographique du Mackenzie. Il y a trois administrations, et chacune a des exigences différentes pour l’évaluation d’impact.
Le rôle du gouvernement fédéral n’est-il pas de veiller à ce que tout le monde soit traité de façon juste et équitable? Je parle de l’eau. Nous pourrions ramener la question à une substance très toxique — le pétrole ou le mercure — qui touche les écosystèmes et les gens, tant les Autochtones que les Occidentaux.
Nous ne pouvons pas employer des termes généraux pour dire que c’est non négligeable et important, parce que cela dépend du type de problème, de facteur ou d’indicateur que nous mesurons. Comment pouvons-nous résoudre cette situation légalement?
Mme Pike : Lorsqu’on tient compte des facteurs, on examine les facteurs locaux et régionaux. Nous examinons également l’effet cumulatif. Absolument, tous ces facteurs doivent être pris en considération.
Si le problème relève de la compétence fédérale, le gouvernement fédéral devrait absolument intervenir. Il faut tenir compte des effets cumulatifs. Les mécanismes en place pour l’examen de ces effets régionaux sont très importants. Nous n’avons pas proposé qu’ils soient retirés de cette loi.
Nous croyons qu’il est toujours possible d’évaluer ces types d’effets du point de vue de leur importance. L’importance peut être à l’échelle locale pour l’espèce concernée ou pour le territoire traditionnel. Elle peut aussi être à l’échelle régionale. Elle peut également être cumulative à une échelle beaucoup plus vaste. Absolument, cette importance peut être évaluée à tous ces niveaux.
Le président : Si je puis intervenir, madame Pike, pour apporter une perspective plus commerciale, vous avez beaucoup de compétences, j’en suis sûr. J’aimerais bien que vous commentiez l’affirmation suivante : si on regarde le nombre de projets dont il est question, il y a beaucoup de choses qui se passent. Je partage votre optimisme quant au fait que nous pouvons y arriver si on le veut.
Pourtant, si on le compare à celui de l’Organisation de coopération et de développement économiques et d’autres pays, on constate que nous sommes lents pour ce qui est de faire approuver et de mener à bien des projets. Quels sont vos commentaires? Pourquoi en est-il ainsi? Est-ce de la mauvaise
foi — des gens qui cherchent à se battre ou à se disputer — et un manque de bonne foi qui nous empêche de travailler ensemble sur ces projets et de les réaliser plus rapidement, mais aussi de façon plus complète, sans ces escarmouches? Quelles sont vos réflexions à ce sujet?
Mme Pike : Nous avons de la difficulté avec notre système fédéral-provincial et la façon dont l’environnement est réparti. Cela nous donne vraiment du fil à retordre.
Lorsque nous parlons de substitution dans le projet de loi — et comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire —, nous devons nous assurer que cette substitution fonctionne. Si l’organisme fédéral peut intervenir et déterminer que les aspects fédéraux ne sont pas prédominants et que le système de délivrance de permis permettra d’atténuer les effets fédéraux… nous appuierions la substitution dans ce cas. Nous pensons qu’on devrait y avoir recours davantage. Nous pensons qu’elle facilitera la rationalisation.
Je m’adresse à vous à titre personnel, et non pas en tant que présidente : mon cabinet prépare au Canada des séances d’information juridique à l’intention de clients étrangers qui envisagent d’investir au Canada. La section sur l’environnement représente une grande part, beaucoup plus que dans bien d’autres pays. C’est à cause de nos problèmes de compétence.
Nous n’essayons pas de modifier la Constitution. Nous sommes fiers de ce qui a été construit au pays, du maintien de ces identités et de ces intérêts régionaux. Il faut vraiment que le gouvernement fédéral travaille fort en collaboration avec ces diverses administrations.
Le message est clair. La mise en œuvre devra être sérieuse pour qu’un changement soit apporté. Nous n’avons pas observé de changements. Une grande partie de cette substitution existe depuis très longtemps. Elle n’est pas utilisée adéquatement et pleinement. Nous cherchons à changer cette situation.
Le président : Merci.
Le sénateur Arnot : Vous avez déjà abordé cette question, mais j’aimerais que vous la précisiez. Compte tenu de l’intersection entre le droit environnemental et les droits des Autochtones, selon vous, comment les modifications proposées dans le projet de loi C-69 dissipent-elles les préoccupations des collectivités autochtones? Quelles améliorations pourraient encore être nécessaires?
Mme Pike : L’Association du Barreau canadien a la Section du droit des Autochtones, et je ne me suis pas entretenue avec ses responsables, mais j’en ai discuté avec eux lors d’une récente conférence conjointe à laquelle ont assisté de nombreux membres de cette section. Je pense que la Loi sur l’évaluation d’impact est déjà très protectrice et qu’elle l’était même avant ces modifications. Selon moi, elle met ces enjeux à l’avant-plan en ce qui a trait aux intérêts, aux droits et aux connaissances des Autochtones, et je pense que cette situation est maintenue dans le projet de loi, comme elle devrait l’être. Je ne crois pas que ces modifications compromettent cette protection.
En a-t-on fait assez, et les communautés autochtones ont-elles eu la possibilité de participer pleinement à ces projets? Peut-être pas. Si nous examinons les projets présentés au titre de la Loi sur l’évaluation d’impact, il y a quelques exemples de mobilisation des Autochtones. Je pense que nous allons en voir beaucoup plus et que la plateforme nécessaire à cette mobilisation existe. Nous nous améliorons constamment à cet égard, et nous sommes prêts pour le type de mobilisation prévu dans le projet de loi. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’apporter d’autres modifications à cet égard.
Le sénateur Arnot : Merci. Vous avez parlé d’une anomalie et du fait qu’il y a peut-être deux mesures différentes s’appliquent aux Autochtones et aux Premières Nations. Que diriez-vous à ce sujet?
Mme Pike : Ce n’est peut-être qu’un problème de formulation mineur. Je ne sais pas exactement ce qu’on a pu envisager. Si vous retirez l’alinéa 63a) modifié, il est ainsi libellé :
a) les répercussions que les effets susceptibles d’être entraînés par la réalisation du projet peuvent avoir sur tout groupe autochtone et les répercussions préjudiciables que ces effets peuvent avoir sur les droits des peuples autochtones [...]
Nous devrions examiner le terme défini auquel nous avons consacré beaucoup de temps et d’attention : les effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale. C’est vraiment là-dessus que nous devrions nous pencher… l’autorité provinciale qui tiendra compte des effets provinciaux relevant de sa compétence. Il devrait s’agir des effets négatifs qui relèvent d’un domaine de compétence fédérale.
Je ne sais pas trop pourquoi il y a cette anomalie dans le libellé; les membres de la direction de l’Association du Barreau canadien et moi-même pensons que nous devrions revenir à la définition négative fédérale qui a été créée dans le cadre de ces modifications.
Le sénateur Arnot : Merci infiniment pour cette observation. S’il y a des amendements précis que vous proposez à la suite de celle-ci, j’aimerais vraiment les voir. Merci beaucoup.
Mme Pike : Nous les inclurons dans les notes.
La sénatrice Galvez : Selon certaines organisations non gouvernementales, les modifications vont au-delà de la résolution de ce problème de constitutionnalité. À leurs yeux, il semble que le gouvernement fédéral renonce à ses pouvoirs en ce qui concerne ce dont je parlais tout à l’heure, c’est-à-dire les répercussions importantes qui se font sentir au-delà d’une seule province ou d’un seul territoire. Avec le temps, elles deviennent de plus en plus évidentes en raison de la pollution de l’atmosphère et parce que l’on contamine les rivières et qu’elles traversent d’autres provinces. C’est la même chose pour les sols agricoles et toutes sortes de pesticides, par exemple, qui traversent plusieurs provinces.
Ne devrions-nous pas utiliser les meilleures lignes directrices en matière d’évaluation d’impact environnemental au lieu de chercher des substitutions? Certaines provinces et certains territoires ne sont vraiment pas très doués pour les évaluations d’impact.
Mme Pike : C’est une question très intéressante, mais je crois que la Cour suprême en a déjà décidé une bonne partie. La Cour suprême a statué très clairement que les répercussions environnementales dans une province ou un territoire donné relèvent de la compétence de la province ou du territoire en question. Dans cette opinion, on nous renvoie en réalité à la décision concernant les gaz à effet de serre. Sa réaction à cet égard — et c’est pourquoi il s’agit pour la Cour suprême d’une décision solide qui est formulée avec fermeté — est qu’elle est très mécontente de l’administration des gaz à effet de serre par le gouvernement fédéral.
La Cour suprême a confirmé la constitutionnalité de la loi sur les gaz à effet de serre et de ce régime, mais celui-ci est un filet de sécurité, et il ne suppose pas de travail au niveau du Code du bâtiment ou dans les stations-service de la province. Il ne fonctionne pas à ce niveau de base. Il s’agit d’un filet de sécurité qui garantit le respect de nos engagements internationaux concernant les émissions de gaz à effet de serre.
Peut-être faut-il envisager les choses de la même manière à cet égard. En ce qui concerne les effets interprovinciaux et les effets cumulatifs, nous devrions peut-être considérer qu’il s’agit davantage d’un filet de sécurité, et, lorsque nous examinerons les effets importants, nous n’allons intervenir que lorsque nous serons à cette extrémité-ci, alors nous allons devoir croire que les provinces et les territoires vont travailler au milieu. Toutefois, s’ils ne font pas leur travail, cette responsabilité finira par incomber au gouvernement fédéral, et les exigences qu’il a établies dans certains domaines — pas dans tous les domaines — devraient assurer la protection nécessaire dans ceux des pêches et des gaz à effet de serre. Nous devrions avoir l’assurance que les régimes fédéraux peuvent fonctionner à ces niveaux.
S’il est question d’un type d’émissions atmosphériques qui ne sont pas des gaz à effet de serre, ce n’est pas de ressort fédéral. Il faudra que l’autre province ou territoire touché dise : « Vous avez un impact sur notre territoire; nous avons besoin d’intervenir à cet égard, et nous allons commencer à le faire. » Nous avons constaté une certaine résistance entre les provinces, et je pense que c’est ainsi que notre régime devrait fonctionner. C’est ainsi que notre Constitution est censée fonctionner.
Le président : Merci beaucoup.
Sénateur Tannas, je vous remercie d’être des nôtres. Avez-vous des commentaires ou des questions?
Le sénateur Tannas : Non. Merci.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aurais une brève question complémentaire à celle de la sénatrice Galvez.
Je comprends vos arguments constitutionnels basés sur la Constitution, la division des pouvoirs et ce que la Cour suprême en a fait. Cependant, on est en 2024 et les émissions de gaz à effet de serre se déplacent partout au Canada. Est-ce qu’on peut interpréter de façon aussi historique cette division des pouvoirs, étant donné que les dangers à l’environnement sont non seulement nationaux, mais internationaux? Je vous dis cela en tant que sénatrice québécoise qui croit à la division des pouvoirs en général, mais j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui est un peu au-dessus de tout cela. C’est peut-être une question philosophique que je vous pose; je ne sais pas ce que vous pouvez répondre.
[Traduction]
Mme Pike : Oui. Je suis désolée de répondre en anglais. Ce sont des préoccupations; nous devons être vigilants, et il faut beaucoup de travail pour suivre la situation et l’examiner. Il y a des régimes d’application de la loi dans les provinces et les territoires du pays, et on devrait s’assurer qu’ils sont robustes. Il faut que ces régimes fonctionnent bien. Mais ce n’est pas le rôle du gouvernement fédéral. C’est vraiment celui des provinces et des territoires.
Pour ce qui est du fait que le gouvernement fédéral effectue ses évaluations en fonction des engagements pris à l’égard des changements climatiques, absolument, mais en ce qui concerne les répercussions réelles sur la santé qui vont au-delà des impacts des contaminants qui se retrouvent dans l’eau, si elles n’ont pas d’incidence sur une autorité fédérale, il s’agit d’une affaire provinciale et territoriale.
Si nous vivions dans un autre pays qui a une structure constitutionnelle différente, nous pourrions en faire plus à l’échelon fédéral, mais ce n’est pas le cas. Si nous croyons qu’il y a des provinces et des territoires qui ne collaborent pas et qui ne s’occupent pas de leur population et de leurs ressources, il existe des moyens de faire la lumière sur ces situations. Le gouvernement fédéral dispose d’un outil solide dans le domaine des pêches, par exemple. Dans ce domaine, je pense que c’est la loi environnementale la plus rigoureuse que nous ayons au Canada. Dans les systèmes de nos Maritimes, l’habitat des poissons et les espèces en péril seront protégés grâce aux régimes auxquels vous participez.
En protégeant le territoire traditionnel, le gouvernement fédéral peut jouer un rôle important. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’au-delà de cette protection, lorsqu’il s’agit de particules dans l’air, ce sera de ressort local, et non pas fédéral.
Le président : Madame Pike, je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Nous avons été assez durs envers vous. Nous ne vous avons pas laissée faire d’erreurs.
Mme Pike : Je suis restée vigilante.
Le président : Vos vastes connaissances ont été une source d’inspiration, et votre approche a été fort appréciée. Merci d’avoir été des nôtres.
Mme Pike : Merci.
Le président : Nous avons hâte de recevoir vos observations écrites.
Mme Pike : Oui, nous allons travailler fort pour vous les procurer au début de la semaine prochaine. Merci.
Le président : Merci beaucoup.
[Français]
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons Joshua Ginsberg, avocat et directeur des affaires législatives, Ecojustice Canada; Anna Johnston, avocate-conseil à l’interne, West Coast Environmental Law; Kluane Adamek, cheffe régionale, Yukon, Graeme Reed, conseiller principal, Direction environnement, terres et eau, et Andrea Lesperance, analyste principale des politiques, Secteur environnement, Assemblée des Premières Nations.
Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Je dois vous avertir que nous sommes un peu serrés par le temps. Je vais vous demander d’être précis dans vos réponses et je vous aiderai si nécessaire. Nous demandons la même chose à ceux qui poseront des questions. Merci beaucoup. Vous avez cinq minutes chacun pour vos remarques préliminaires. Monsieur Ginsberg, on lance le bal avec vous.
[Traduction]
Me Joshua Ginsberg, avocat et directeur des Affaires législatives, Ecojustice Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui pour discuter des modifications proposées à la Loi canadienne sur l’évaluation d’impact. Je suis reconnaissant d’avoir l’occasion de vous rencontrer sur le territoire ancestral non cédé du peuple algonquin Anishinabe.
Je suis avocat à Ecojustice, un organisme de bienfaisance en droit de l’environnement qui a des bureaux partout au Canada. Nous avons participé à toutes les causes constitutionnelles concernant la compétence fédérale en matière d’environnement depuis notre création en 1991, y compris le récent Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact de la Cour suprême, auquel j’ai participé à titre d’avocat.
Honorables sénateurs, les modifications que le gouvernement propose d’apporter à la Loi sur l’évaluation d’impact sont un retrait discret d’un important domaine de compétence fédérale, soit la responsabilité du Canada d’évaluer et d’atténuer la pollution atmosphérique transfrontalière importante. La Cour suprême n’a pas exigé ce retrait dans son récent jugement sur la Loi sur l’évaluation d’impact. Nous comprenons, bien entendu, la nécessité d’appliquer scrupuleusement les directives de la Cour suprême. Toutefois, nous pouvons le faire sans abandonner l’autorité fédérale nécessaire à la protection des Canadiens et au respect de nos obligations internationales. Nous espérons que le Sénat veillera à ce que les évaluations d’impact demeurent un outil utile pour protéger les Canadiens contre la pollution nocive.
Dans mes brefs commentaires, je vais expliquer ce que la Cour suprême a dit et n’a pas dit au sujet de la pollution transfrontalière, pourquoi il est important et constitutionnel que le gouvernement fédéral réglemente la pollution atmosphérique transfrontalière importante émanant des grands projets et comment les amendements que nous proposons, que vous devriez avoir sous les yeux — ou que vous aurez sous les yeux peu après la traduction —, affirment ce domaine de compétence fédérale particulier dans les limites établies par la Cour suprême.
La Loi sur l’évaluation d’impact contient une liste des effets relevant d’un domaine de compétence fédérale sur lesquels repose le processus décisionnel du gouvernement. L’un de ces domaines est celui des effets interprovinciaux et internationaux ou, selon le libellé de la loi, il s’agit d’un changement à l’environnement qui se produirait :
(ii) dans une province autre que celle dans laquelle l’activité est exercée ou le projet est réalisé,
(iii) à l’étranger [...]
Ce libellé est général et englobe la pollution marine, la pollution des eaux douces, la pollution atmosphérique et, en fait, tous les autres types d’effets environnementaux qui traversent les frontières.
Il vaut la peine de souligner que le libellé ne provient pas de la Loi sur l’évaluation d’impact. Il a été copié et collé, pour ainsi dire, de l’ancienne Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, qui avait été adoptée sous le gouvernement conservateur précédent. De toute évidence, les gouvernements de toutes allégeances ont considéré que la pollution atmosphérique et la pollution des eaux relevaient de la compétence du Parlement et qu’il s’agissait d’une considération importante dans le cadre des évaluations environnementales.
C’est tout à fait logique, puisqu’il ne fait aucun doute que le Canada a compétence en matière de pollution marine et de pollution des eaux douces — la Cour suprême l’a confirmé, notamment dans le récent Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact — et il a réglementé la pollution atmosphérique transfrontalière pendant des décennies sous le régime de de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, qui a été mise à l’épreuve et maintenue d’un point de vue constitutionnel.
Si la compétence dans ces domaines est très claire, quelle était la préoccupation de la Cour suprême? Elle ne concernait pas l’existence d’une compétence fédérale en matière de pollution de l’air ou des eaux; il s’agissait plutôt du libellé général de la définition. La Cour suprême a déclaré que celle-ci manquait :
[…] de précision quant au type ou à la portée des « changements à l’environnement » dont on dit qu’ils ont un effet relevant d’un domaine de compétence fédérale [...]
Quelle est la solution? Elle consiste non pas à nier que la pollution transfrontalière est un effet relevant d’un domaine de compétence fédérale, mais à être plus clairs quant aux types de pollution et à l’ampleur de la pollution qui la font relever de la compétence fédérale.
La pollution est de ressort fédéral lorsqu’il y a une « incapacité provinciale », dans le jargon juridique, de s’y attaquer. Comme la Cour suprême l’a expliqué dans le renvoi relatif à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, cela signifie que l’absence de coopération d’une ou de plusieurs provinces empêcherait les autres de s’en occuper efficacement et que le défaut d’une province d’agir à l’égard de cette matière sur son territoire aurait des conséquences extraprovinciales graves.
La jurisprudence de la Cour suprême reflète constamment le point de vue selon lequel la pollution interprovinciale et internationale est constitutionnellement différente de la pollution locale et qu’elle peut relever d’un domaine de compétence fédérale. C’est parce que les provinces, seules ou ensemble, ne peuvent pas atténuer suffisamment ce genre de menace.
Je veux vous donner un exemple récent de pollution atmosphérique transfrontalière. Récemment, une multinationale a proposé de construire une cimenterie sur les rives de la rivière des Outaouais, près de L’Orignal, en Ontario, village situé à seulement quelques kilomètres du Québec, et à 70 kilomètres en amont de la ville de Montréal. Cette usine émettrait 20 tonnes de polluants par jour, y compris de l’oxyde d’azote qui cause le smog. L’usine se trouverait en Ontario, mais ce seraient les Québécois qui subiraient le gros de ce smog, compte tenu des vents dominants de l’ouest qui le transporteraient. Seule la surveillance fédérale permet de s’assurer que toute absence de contrôle de ces émissions n’entraînera pas de préjudices pour le Québec, qui n’a aucune emprise réglementaire sur le projet.
Je vais m’arrêter là, et je pourrai aborder le reste dans mes réponses aux questions. Merci.
Le président : Merci beaucoup. Madame Johnston, veuillez prendre la parole.
Me Anna Johnston, avocate-conseil à l’interne, West Coast Environmental Law : Je remercie le comité de me donner la possibilité de témoigner. Je suis également reconnaissante envers la nation algonquine Anishinabe, sur le territoire non cédé de laquelle nous sommes réunis.
Je suis avocate-conseil à l’interne pour West Coast Environmental Law, un organisme d’intérêt public voué à la protection de l’environnement par la voie législative. Je siège également au Conseil consultatif du ministre sur l’évaluation d’impact, et je copréside le Caucus de planification et d’évaluation environnementales du Réseau canadien de l’environnement. Mes domaines d’expertise sont l’évaluation d’impact, le droit constitutionnel, le climat et la biodiversité.
Me Ginsberg vous a présenté nos observations et notre mémoire conjoint sur les raisons pour lesquelles nous croyons que la pollution atmosphérique transfrontalière devrait être maintenue de façon importante dans la Loi sur l’évaluation d’impact.
Je vais prendre un peu de recul et parler de certaines des autres modifications que le gouvernement a proposées dans le projet de loi C-69 et du rôle de l’évaluation fédérale dans le processus décisionnel responsable en général.
Mardi, le comité a entendu des témoins qui ont soutenu que les modifications à la Loi sur l’évaluation d’impact ne vont pas assez loin. En ce qui concerne ces collègues, à mon avis, les modifications vont au-delà de ce que la Cour suprême du Canada a dit qu’il fallait faire pour harmoniser la loi avec la Constitution. De plus, elles vont compromettre la capacité du gouvernement fédéral de prendre des décisions éclairées qui protègent les Canadiens, respectent les droits des Autochtones et garantissent que le Canada intervient pour faire face aux crises touchant le climat et la biodiversité.
Premièrement, elles limitent inutilement la capacité du Cabinet de prolonger les délais. Je crois savoir qu’on a tenu beaucoup de discussions sur les délais et qu’on souhaite que les évaluations d’impact se fassent rapidement, surtout dans le cas des projets qui seront importants pour la transition énergétique, comme Mme Pike en a parlé ce matin. Cependant, la réalité est que le Canada a l’obligation constitutionnelle de consulter les peuples autochtones et de respecter leurs droits. Les tribunaux ont dit à maintes reprises que les consultations doivent être véritables. C’est la simple vérité qu’une partie à la conversation ne peut pas fixer unilatéralement une limite de temps pour un dialogue véritable et, comme n’importe quel bon avocat vous le dira, il sera presque toujours moins coûteux et plus rapide de bien faire les choses du premier coup que d’avoir à s’adresser aux tribunaux. Si j’étais l’avocate du Canada, je lui aurais dit que le fait de restreindre la capacité du gouvernement fédéral de consulter véritablement les peuples autochtones est plus risqué qu’il n’en vaut la peine.
Le deuxième problème que posent les modifications tient au fait qu’elles permettent une trop grande dépendance à l’égard des processus réglementaires provinciaux qui sont en deçà de la norme à laquelle les Canadiens devraient s’attendre en ce qui a trait aux décisions. Cette situation n’a rien à voir avec les processus provinciaux; elle reflète la réalité de la différence fondamentale entre les évaluations d’impact et la prise de décisions réglementaires. Les processus réglementaires ressemblent davantage à des exercices où il faut cocher des cases : utiliserez-vous tel type d’équipement? Allez-vous situer votre projet à x mètres des plans d’eau? Vous obtenez votre permis.
L’évaluation d’impact est une bonne pratique reconnue à l’échelle internationale pour ce qui est de la prise de décisions en matière d’environnement, et ce, pour de bonnes raisons. En tant qu’outil de planification, elle aide les promoteurs à répondre à des questions telles que les suivantes : quel est le meilleur endroit pour le projet? Quels sont le bon rythme et la bonne échelle pour maximiser les avantages, réduire au minimum les répercussions et veiller à ce que les collectivités soient protégées? Un permis réglementaire pour transformer un lac en bassin de décantation pourrait obliger un promoteur à utiliser un revêtement afin que les toxines ne s’infiltrent pas dans les plans d’eau. Une évaluation d’impact pourrait permettre de cerner d’autres moyens de traiter les résidus miniers, de sorte qu’il ne soit pas nécessaire de détruire un lac tout entier.
La Loi sur l’évaluation d’impact permet déjà au ministre de substituer les processus d’évaluation provinciaux aux processus fédéraux. La substitution est une pratique courante dans ma province, la Colombie-Britannique, depuis 2012. Les modifications proposées dans le projet de loi C-69 vont plus loin et permettront aux fonctionnaires de s’appuyer sur des processus de réglementation provinciaux qui ne sont pas à la hauteur. Ces modifications ne remplacent pas des pommes par des oranges; elles remplacent un repas bien équilibré par une PowerBar.
Même si j’aimerais vous demander d’amender le projet de loi C-69 afin de corriger ces problèmes, je reconnais que nous parlons d’un projet de loi d’exécution du budget et que les amendements devraient être judicieux. Nous n’avons donc pas demandé d’amendements visant à corriger les problèmes que je vous ai exposés. Au lieu de cela, nous demandons simplement au comité de tenir compte du fait que les amendements pourraient finir par soulever des questions injustifiées que le gouvernement fédéral devra examiner. Nous avons, bien sûr, recommandé des amendements tenant compte des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution atmosphérique transfrontalière importante. Nous serons heureux de répondre à vos questions sur ces sujets.
Le président : Merci beaucoup. Kluane Adamek, vous avez la parole.
Kluane Adamek, cheffe régionale, Yukon, Assemblée des Premières Nations : Bonjour.
[Mots prononcés dans une langue autochtone.]
Je m’appelle Kluane Adamek et je suis citoyenne de la Première Nation de Kluane, dans le territoire du Yukon. Je suis la cheffe régionale élue du Yukon depuis 2018. Je m’occupe actuellement des portefeuilles de l’environnement, de la gestion des ressources hydriques et, bien sûr, du changement climatique.
Je tiens à remercier et à saluer Ta’an et Kwanlin Dün, les territoires traditionnels où se trouve Whitehorse, au Yukon. Je tiens également à remercier le comité de m’avoir invitée à présenter le point de vue de l’Assemblée des Premières Nations sur la section 28 de la partie 4 du projet de loi C-69. En bref, je me concentrerai sur trois domaines, qui sont chacun décrit plus en détail dans le mémoire technique qui vous a été présenté.
Les Premières Nations ont participé massivement à la Loi sur l’évaluation d’impact et, à cette fin, nous voulons maintenir ces protections dans la loi initiale. En ce qui concerne la participation des Premières Nations à la création de la Loi sur l’évaluation d’impact, il est vraiment important de se rappeler le contexte qui a fait en sorte que les Premières Nations n’ont pas toujours participé à l’élaboration, à la rédaction, à la création et à la mise en œuvre des lois fédérales. Lorsque nous repensons au projet de loi C-69, nous nous réjouissons de cette occasion d’en faire partie, y compris en ce qui concerne la prise en compte obligatoire des connaissances autochtones, l’évaluation des répercussions sur les droits et les possibilités des Premières Nations de mener leurs propres évaluations d’impact.
Lorsque la Cour suprême du Canada a rendu son avis, les Premières Nations ont craint, bien sûr, que ces concepts durement acquis soient complètement perdus. Les modifications proposées ne doivent pas affaiblir la loi à l’égard des Premières Nations, d’autant plus que la cour a confirmé son devoir d’assurer le bien-être des peuples autochtones et qu’elle s’est engagée à respecter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et, par extension, la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Pour ce qui est des considérations supplémentaires, comme je l’ai mentionné, nous nous tournons vers l’élaboration de mesures législatives sous le régime de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La Loi sur l’évaluation d’impact a été la première mesure législative à reconnaître la Déclaration des Nations unies. Depuis, le Canada a adopté la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le plan d’action national qui appuie cette loi vise à élaborer des outils qui permettent d’assurer la cohérence avec la déclaration. Toutefois, ces outils n’ont pas encore été élaborés ni adoptés. Par conséquent, la Loi sur l’évaluation d’impact n’a pas bénéficié de cette analyse, et nous considérons donc qu’il s’agit d’une occasion importante d’assurer la conformité avec la Déclaration des Nations unies et de veiller à ce que les modifications proposées soient conformes aux engagements du gouvernement.
Nous vous exhortons à profiter de cette occasion législative pour prendre des mesures concrètes en vue de la mise en œuvre conforme de la Déclaration des Nations unies et à veiller à ce que les modifications et les règlements proposés soient cohérents avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Le troisième point que je vais aborder concerne les modifications proposées. Les Premières Nations en assemblée, aussi appelées Les chefs en assemblée — qui comptent plus de 630 chefs de partout au pays — ont adopté de nombreuses résolutions demandant à l’Assemblée des Premières Nations de collaborer avec le Canada pour veiller à ce que les dispositions législatives respectent les traités conclus avec les Premières Nations ainsi que leurs droits, leur titre et leur compétence et qu’elles reconnaissent les responsabilités à l’égard de leurs territoires traditionnels. Nous vous exhortons à collaborer directement avec les détenteurs de droits et les détenteurs de titres en vue d’apporter des changements à toute mesure législative fédérale qui pourrait avoir une incidence sur les traités conclus avec les Premières Nations ainsi que sur leurs droits, leur titre et leur compétence et sur les responsabilités à l’égard de nos territoires traditionnels.
Inévitablement, cette conversation débouche sur la question de la compétence et du pouvoir décisionnel des Premières Nations. L’utilisation du pouvoir délégué pour la cogestion de l’évaluation d’impact fédérale au moyen d’ententes au titre de l’article 114 de la Loi sur l’évaluation d’impact a constitué un pas en avant par rapport aux anciennes dispositions législatives en matière d’évaluation environnementale. Cependant, elle ne permet pas de mettre pleinement en œuvre la compétence inhérente des Premières Nations sur leurs terres et leurs eaux ou leur droit de posséder, d’utiliser, de développer et de contrôler leurs territoires. Le gouvernement du Canada doit explorer les possibilités d’aller au-delà de la cogestion de l’évaluation d’impact fédérale pour reconnaître les systèmes des Premières Nations.
Plus précisément, la Loi sur l’évaluation d’impact devrait contenir une affirmation législative de la compétence des Premières Nations sur les terres et les eaux et faire expressément référence aux pouvoirs décisionnels des Premières Nations. Le fait de placer les gouvernements des Premières Nations et les titulaires de droits au centre du processus décisionnel de la Loi sur l’évaluation d’impact permettrait d’atteindre un degré plus élevé de coopération et de coordination en exigeant l’harmonisation avec les Premières Nations touchées, tant pour ce qui est des résultats que du processus. L’inclusion des connaissances autochtones dans la Loi sur l’évaluation d’impact était un autre pas en avant par rapport à l’ancienne loi sur l’évaluation environnementale. Cependant, deux questions soulevées par les Premières Nations n’ont pas été intégrées à la loi.
La première est reconnue par le groupe d’experts, à savoir que les Premières Nations doivent avoir en tout temps le contrôle des connaissances autochtones. La version actuelle de la loi permet la divulgation non consensuelle des connaissances autochtones dans certaines circonstances. Cette divulgation non consensuelle peut entraîner des répercussions négatives sur les Premières Nations, ses collectivités et ses membres et miner la confiance envers le gouvernement.
La deuxième question concerne le manque de clarté des exigences relatives à la prise en compte des connaissances autochtones dans l’évaluation et la prise de décisions relatives aux projets. Une plus grande précision quant à l’exigence obligatoire de prendre en compte les connaissances autochtones permettrait de jeter les bases d’un meilleur engagement et renforcerait les méthodes d’évaluation. Le gouvernement a proposé de nombreuses modifications, et nous vous invitons à consulter notre mémoire technique, comme je l’ai mentionné, pour y trouver d’autres recommandations.
Le dernier point porte sur la réalité du changement climatique. Les Premières Nations en assemblée ont confirmé la déclaration d’une urgence climatique pour les Premières Nations et ont approuvé une Stratégie nationale sur le climat de l’Assemblée des Premières Nations en juillet dernier. Compte tenu de cela, nous sommes particulièrement préoccupés par la proposition de supprimer ou de diminuer des références au changement climatique dans la loi. Le changement climatique est réel, et nous devons le reconnaître. Il a des répercussions disproportionnées sur les Premières Nations, et nous devons être en mesure de jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre cette crise climatique.
Le Canada a pris des engagements internationaux et nationaux afin de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre, et il est impératif que tous les secteurs du gouvernement prennent toutes les mesures nécessaires pour le faire. Vous avez l’occasion, sénateurs, de nous aider à progresser ensemble vers un avenir où les Premières Nations seront considérées comme des partenaires égaux dans toutes les décisions importantes en matière de ressources. Merci. Gùnálchîsh. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de discuter avec vous.
Le président : Merci beaucoup. Nous avons hâte de poser des questions.
Monsieur Reed et madame Lesperance, voulez-vous ajouter quelque chose à la présentation? Non. Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à la période des questions.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Ginsberg et à Mme Johnston. J’ai de la difficulté à comprendre la grande différence d’interprétation que vous faites — et que la première témoin, Alexandria Pike, a faite également — des mêmes amendements et de ce que la Cour suprême dit.
Vous semblez dire que la pollution transfrontalière par les gaz à effet de serre est un domaine de compétence fédérale, et que le gouvernement fédéral peut donc intervenir dès la première heure lorsqu’il en mesure l’impact. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ces deux interprétations sont si différentes?
[Traduction]
Me Ginsberg : Merci de votre question. J’espère que je peux répondre en anglais.
La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.
Me Ginsberg : J’ai cru comprendre que mon amie de l’Association du Barreau canadien — dont je suis membre, mais dont je ne parle pas — disait que les amendements rendent la loi constitutionnelle, ce qui est peut-être vrai, mais ce que nous disons, c’est qu’ils vont plus loin que nécessaire à cet égard et qu’ils omettent d’importants domaines de compétence fédérale que la Cour suprême n’a pas exclus en rendant son jugement.
Vous avez mentionné les gaz à effet de serre. C’est l’occasion pour moi de parler précisément de la pollution transfrontalière. Bien sûr, les gaz à effet de serre traversent toujours les frontières provinciales et, en effet, nationales en ce sens qu’ils contribuent au changement climatique. Mais la Cour suprême a été très claire sur le fait que le Canada ne peut pas revendiquer la compétence sur tous les gaz à effet de serre. Par exemple, Ottawa ne réglementera pas nos cheminées ou nos grille-pain. C’est aller trop loin. Mais le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en ce qui concerne l’incapacité des provinces de gérer des émissions énormes qui sont de si grande ampleur qu’elles empêcheraient le Canada d’atteindre ses objectifs en matière de changement climatique et causeraient des dommages dans les provinces en raison du changement climatique.
C’est pourquoi nous proposons que la Loi sur l’évaluation d’impact soit modifiée pour définir clairement la compétence fédérale comme étant limitée à une pollution atmosphérique transfrontalière importante du genre qui empêcherait le Canada d’atteindre ses objectifs en matière de changement climatique. Sénateurs, pour davantage de prudence, les modifications que nous proposons d’apporter aux articles 7 et 64 de la loi, que vous trouverez aux pages 12 et 16 de notre mémoire, ajouteraient également des garde-fous constitutionnels supplémentaires pour garantir que les décisions ne portent que sur les émissions importantes de gaz à effet de serre et que le gouvernement fédéral n’agisse que s’il n’y a manifestement pas de processus provinciaux en place pour régler ces problèmes. Il a été question plus tôt d’un filet de sécurité — je crois que c’est Mme Pike qui en a parlé — et c’est ce dont il s’agirait.
À cet égard, la Loi sur l’évaluation d’impact n’interviendrait qu’en dernier recours, si les provinces n’ont pas pris de mesures, comme le fait la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre… des contraintes constitutionnelles pour régler la question fédérale.
Me Johnston : Merci. Me Ginsberg a très bien expliqué la loi. Il pourrait également être utile de noter que, dans l’affaire de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, la Cour suprême a souligné l’importance pour le Canada de respecter ses obligations internationales en matière de changement climatique et ses objectifs nationaux et a expliqué comment l’incapacité d’une province de réglementer suffisamment ses émissions pourrait faire dérailler le projet national visant à atteindre nos objectifs. C’était important pour la cour dans cette affaire. C’est pourquoi, lorsque nous parlons d’importance, nous voulons dire qu’il s’agit d’une ampleur qui — comme le tribunal l’a reconnu dans le renvoi relatif à la taxe sur le carbone — nuirait à la capacité du Canada d’atteindre ses objectifs en matière de changement climatique.
Ce n’est pas un domaine qui est établi dans la loi, mais nous avons consulté de nombreux experts juridiques, outre nous-mêmes, et nous pensons que c’est une approche très judicieuse pour créer le genre d’équilibre et de mesures que la cour a dit qu’elle aimerait voir.
Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à l’Assemblée des Premières Nations, ou l’APN. Votre document d’appui technique repose sur une base solide de sept résolutions adoptées par l’APN entre 2017 et 2023 et appuyées par les 634 chefs qui la composent.
J’ai examiné les 11 recommandations que vous avez faites et j’estime qu’elles dénotent de très graves lacunes par rapport à la loi telle qu’elle est proposée. Il me semble que vos recommandations sont solides, logiques et constructives et qu’elles concordent avec la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au Canada.
J’aimerais que vous précisiez la gravité de vos préoccupations et toute priorité particulière dans ces 11 recommandations d’amendements. Merci.
Mme Adamek : Merci, sénateur. Nous sommes reconnaissants du soutien que les chefs de partout au pays continuent de nous apporter dans le cadre de leur travail.
En ce qui concerne les priorités, comme je l’ai mentionné, les connaissances autochtones sont importantes. Je vais vous donner un excellent exemple. Bien que cela pourra sembler anodin pour certains, lorsqu’il s’agit du développement dans le Nord, les gardiens du savoir des Premières Nations transmettent tellement de choses à travers nos histoires, nos chansons et notre langue qui peuvent être très utiles dans le cadre de ces grands projets. Dans certaines régions de la Colombie-Britannique où il y a eu d’importantes inondations, les aînés des Premières Nations ont dit aux collectivités de la province : « Vous ne souhaitez sûrement pas construire un endroit où habiter, ou encore une ville ou une municipalité, là-bas parce que c’est une zone inondable. » Ensuite, regardez ce qui s’est passé.
Je m’écarte du sujet. C’est extrêmement important, et c’est quelque chose de très différent — cela ne devrait pas l’être, mais ce l’est — quant à la façon dont nous considérons que les connaissances traditionnelles sont de même nature que les connaissances universitaires modernes occidentales. C’est extrêmement important.
Je veux parler de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, pour ce qui est de la question de l’intérêt public. La Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, ou la LREI, proposées permettent à tout le monde — promoteurs, gouvernement et Premières Nations — de savoir que l’intérêt public comprend les droits et les intérêts des Autochtones, et ce, malgré l’opposition importante de l’industrie. Il clarifie également un concept autrement ambigu — l’intérêt public — et veille à ce que les droits et les intérêts des Autochtones soient pris en compte avant qu’une décision soit prise. C’est ce que la Loi constitutionnelle de 1982 et les lois proposées exigent.
Par l’entremise de la Cour suprême — l’affaire Clyde River, par exemple —, il a été décidé que les droits et les intérêts des Autochtones constituent un intérêt public spécial et un impératif constitutionnel qui l’emportent sur les autres intérêts publics.
Cela nous amène à la question de savoir où en est la loi. Les recommandations dont je parle — et dont mes collègues avant moi ont parlé — tiennent compte du risque. Au bout du compte, si nous avions plus de temps, nous aimerions prendre le temps d’assimiler, d’évaluer et d’analyser la situation et d’élaborer plus de recommandations. Mais je suis très consciente des échéanciers et des possibles élections fédérales. Pour être tout à fait franche, je ne suis pas une partisane, mais je suis consciente des priorités d’un éventuel gouvernement conservateur et du fait qu’elles ne correspondent peut-être pas aux recommandations dont les Premières Nations ont parlé dans notre mémoire.
Cela nous amène au risque. Nous nous trouvons dans une situation où le risque est plus grand si nous ne donnons pas suite aux suggestions qui ont été proposées dans le cadre de ce projet de loi, ou si nous prenons notre temps ou si nous nous retrouvons dans une situation où certains tentent de retarder la modification de cette loi; il faut que le travail puisse se poursuivre et il doit y avoir une certitude quant à la décision de la Cour suprême.
L’intérêt des Premières Nations est de veiller à ce qu’il y ait une approche équilibrée et à ce que les connaissances autochtones soient incluses d’une manière qui respecte nos valeurs. Les changements climatiques doivent être à l’avant-plan, et les Premières Nations doivent participer à ces décisions. Au bout du compte, la bonne approche est fondée sur les droits. Si vous avez des questions techniques plus précises, je céderai peut-être la parole à mes collègues. De façon générale, ce sont là les intérêts des Premières Nations de tout le pays.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Cotter : Je remercie les témoins d’être venus et de nous avoir éclairés sur bon nombre de ces questions, nous comprenons en partie certaines de ces questions, d’autres non.
Je veux surtout me concentrer sur la question de la constitutionnalité. Je sais que quelques-uns d’entre vous êtes directement au front devant la Cour suprême. Je vous félicite de votre militantisme à cet égard.
À titre d’observation préliminaire, je pense que nous voulons tous adopter la structure d’évaluation d’impact la plus riche et la plus significative possible dans le contexte de la Constitution. Maître Ginsberg, je reconnais que vous soutenez que ces amendements vont au-delà du seuil minimal.
J’aimerais vous poser une question — à vous et à Me Johnston — à ce sujet. Je comprends les considérations politiques, mais ma question ne porte pas là-dessus. Elle concerne l’exigence constitutionnelle minimale.
Vous avez beaucoup parlé de la tarification du carbone. Cependant, d’après ce que j’ai lu au sujet de l’affaire de la Cour suprême du Canada qui nous occupe ici, la décision ne repose pas sur un argument invoquant l’intérêt national selon lequel le régime de tarification du carbone est constitutionnel, mais plutôt sur le fait que, en octobre 2023, il empiétait sur les compétences provinciales et était allé un peu trop loin. La modification — surtout en ce qui concerne les effets relevant d’un domaine de compétence fédérale — vise principalement à établir un libellé qui parle des effets non négligeables.
J’aimerais faire une comparaison. Si j’étais un gouvernement provincial, je serais un peu offusqué — abstraction faite de l’argument de la constitutionnalité — parce que, en ce qui concerne les projets fédéraux qui ont été reconnus par tout le monde comme étant constitutionnels dans les domaines de compétence fédérale, le terme utilisé aux articles 81 à 91 de la Loi sur l’évaluation d’impact est « effets négatifs substantiels ». C’est le terme sur lequel repose le droit de mener des évaluations d’impact. En ce qui concerne les questions qui relèvent davantage de la compétence provinciale, le libellé est « effets négatifs non négligeables ». Il me semble que c’est un choix terminologique différent qui donne plus de latitude pour s’attaquer aux choses que nous pourrions considérer comme relevant de la compétence provinciale. Suis-je trop sensible en tant que politicien provincial si je soulève ce point?
J’aimerais que Me Ginsberg et peut-être Me Johnston répondent.
Me Ginsberg : Oui, je pense que nous avons tous les deux quelque chose à dire. Je serai bref.
Pour ce qui est des effets non négligeables et de la disposition dont vous parlez, tout d’abord, il est important de se rappeler qu’il s’agit de projets qui, au bout du compte, sont assujettis à la réglementation fédérale et provinciale. Par conséquent, il n’y a pas de discrimination entre le fait qu’un ordre de gouvernement ou un autre assume la responsabilité réglementaire principale du projet. Tous les projets sont visés à cette étape-là, où il faut établir si les effets sont non négligeables.
À mon avis, passer à autre chose à cette étape soulèverait la question de la Loi sur l’évaluation d’impact, qui vise en fin de compte à déterminer s’il y a ou non des effets d’une telle importance qui exigent une détermination relative à l’intérêt public. Bien sûr, tant que nous n’aurons pas l’évaluation, nous ne le saurons pas. C’est pourquoi je pense que le gouvernement a calibré un certain seuil, qui est sans doute nécessaire à des fins constitutionnelles, mais ce n’est pas un seuil très élevé.
Me Johnston : J’aimerais souligner que le tribunal n’a pas jugé que les seuils relatifs à la plupart des effets posaient un problème. Dans le cas des pêches et des oiseaux migrateurs, aucun seuil n’est requis. La cour avait un problème avec les seuils seulement en ce qui concerne la pollution transfrontalière — et cela concernait l’air et les gaz à effet de serre — ainsi que les répercussions sur les peuples autochtones.
Le principal problème que la cour avait avec la définition d’« effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » était qu’elle faisait référence à tous les changements, qu’ils soient positifs ou négatifs. C’est la distinction entre les effets positifs et les effets négatifs qui était réellement à l’origine de la préoccupation de la cour, et c’est la raison pour laquelle nous voyons l’accent mis sur les effets négatifs dans le libellé modifié.
Il y a une longue jurisprudence sur le fait que le gouvernement fédéral peut refuser tout ce qui entraîne des répercussions sur les pêches, pourvu qu’il ne s’agisse pas de répercussions de minimis.
Le libellé concernant les effets non négligeables sur les pêches, les oiseaux migrateurs et la pollution marine est tout à fait inutile sur le plan constitutionnel. Selon la cour, une telle chose est seulement vraiment nécessaire lorsqu’il s’agit des répercussions sur le bien-être des peuples autochtones et aussi — selon nous — lorsqu’il s’agit de pollution atmosphérique transfrontalière. Puis, les effets doivent être plus que non négligeables; ils doivent être importants.
Le sénateur Cotter : Qu’en est-il de la différence entre le libellé utilisé pour mettre l’accent sur les projets qui relèvent clairement de la compétence fédérale, les articles 81 à 91 de la Loi sur l’évaluation d’impact? On parle d’« effets négatifs substantiels ».
Me Johnston : Il s’agit d« effets négatifs importants ». C’était simplement une décision stratégique. Ce n’était pas une question constitutionnelle. Lorsqu’ils ont élaboré la loi, les rédacteurs et l’Agence d’évaluation d’impact ont décidé que la plupart de ces projets sont relativement mineurs. Nous parlons ici de bancs installés dans les parcs nationaux.
Je ne suis pas nécessairement d’accord avec la décision stratégique, mais ils en ont fait des évaluations de moins grande envergure assorties de seuils plus élevés parce qu’ils ne voulaient pas s’occuper des effets non importants des petits projets sur les terres fédérales.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup d’avoir clarifié tout ça. Mes questions précédentes au témoin précédent visaient précisément à savoir pourquoi tout était si clair en ce qui concerne les pêches et les espèces en péril, mais complexe lorsqu’il était question de pollution atmosphérique transfrontalière.
J’appuie vos amendements parce que je pense qu’ils permettront de clarifier la situation, et nous convenons tous que la question de la constitutionnalité a déjà été réglée.
Maître Ginsberg, vous avez été interrompu avant de terminer votre histoire sur la multinationale, la rivière des Outaouais et le Québec. Je pense que pour sensibiliser mes collègues, il sera très important que vous nous expliquiez. Si vous avez autre chose à dire à ce sujet, allez-y.
Me Ginsberg : Avec plaisir. Je vous remercie, sénatrice, de m’en donner l’occasion.
Dans ce dossier, des émissions allaient être émises et les vents dominants allaient les pousser vers Montréal, et il n’y avait rien que Québec ou la Ville de Montréal puissent faire parce qu’elles ne contrôlent pas ce processus réglementaire. Ces villes sont, bien sûr, incapables sur le plan constitutionnel et institutionnel de réglementer ce qui se passe en Ontario et vice versa.
Dans ce cas, ce qui s’est produit, c’est qu’une demande d’évaluation a été présentée au gouvernement fédéral par les collectivités locales des deux côtés de la frontière. Le ministre de l’Environnement a conclu qu’il n’était pas forcément nécessaire que le gouvernement fédéral procède à une évaluation, parce qu’il a examiné la situation et que le processus existant semblait permettre de régler ces problèmes. Ce qui est important ici, c’est que le ministre avait le pouvoir d’examiner ces polluants atmosphériques transfrontaliers, car la Constitution ne permet tout simplement pas au Québec de se protéger contre ce genre de pollution venant de l’Ontario. Malheureusement, si les modifications proposées à la Loi sur l’évaluation d’impact étaient adoptées, le Canada perdrait cette importante compétence.
J’ajouterais qu’il en va de même pour la pollution internationale. Nous avons des traités comme l’Accord Canada-États-Unis sur la qualité de l’air, en vertu duquel le Canada est tenu de contrôler les émissions de polluants nocifs qui pourraient nuire à la qualité de l’air d’un autre pays, y compris — et c’est ce que dit le traité — en entreprenant des études d’impact environnemental.
Prenons, par exemple, le projet de construction d’une nouvelle installation dans la vallée de la chimie de Sarnia, près du Michigan, où les problèmes de mauvaise qualité de l’air ont atteint un point tel que — il y a une semaine et demie à peine — le Canada a dû passer un décret d’urgence pour contrôler les émissions de benzène. Le gouvernement fédéral doit surveiller ces répercussions pour respecter ses obligations, car aucun processus d’évaluation provincial n’exige la prise en compte de la pollution atmosphérique transfrontalière, ce qui est compréhensible parce que ce type de pollution ne relève pas de la compétence provinciale.
Dans le cas de l’Ontario, j’ajouterais — parce que j’ai utilisé l’exemple de Sarnia — que cette province n’évalue pas du tout les projets du secteur privé. Il y a là une lacune qu’il faut tout simplement combler, et ces modifications mettent en péril notre capacité de le faire.
Le président : Merci beaucoup, maître Ginsberg. C’est très apprécié. Merci aux autres témoins. Je pense que nous avons eu une discussion solide et sérieuse. De très bonnes informations nous ont été présentées. Merci beaucoup à ceux qui ont déjà soumis leurs commentaires. Ils seront très utiles.
J’aimerais demander aux autres membres du comité si nous pouvons tenir une séance à huis clos pour définir notre approche opérationnelle. Merci beaucoup.
Encore une fois, merci beaucoup à nos invités.
(La séance se poursuit à huis clos.)