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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le vendredi 10 décembre 2021

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 13 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur des articles 1 à 5 du projet de loi C-3, Loi modifiant le Code criminel et le Code canadien du travail.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je suis Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique. J’ai l’honneur aujourd’hui de diriger les travaux du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui tient une séance hybride.

[Français]

En cas de difficultés techniques, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler au greffier et nous nous efforcerons de résoudre le problème.

[Traduction]

Nous ferons de notre mieux afin que tous ceux qui le désirent puissent poser une question aux témoins, et pour ce faire, je prie les sénateurs de raccourcir leurs préambules et questions.

Chers collègues, je sais que la plupart d’entre vous ont des questions pour nos témoins. Je prie uniquement ceux qui n’ont pas de questions à poser de l’indiquer au greffier au moyen de la fonction clavardage de Zoom. Si vous n’êtes pas membre du comité et souhaitez poser une question, veuillez faire signe au greffier, et je ferai de mon mieux pour vous en donner la possibilité. Je crains toutefois que le temps soit serré.

Sénateurs vous aurez chacun quatre minutes pour poser des questions au ministre.

[Français]

J’aimerais prendre un moment pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui.

[Traduction]

Nous avons parmi nous aujourd’hui le sénateur Boisvenu, vice-président, et les sénateurs Campbell, Carignan, Clement, Cotter, Dalphond, Dupuis, Anderson, Pate, Simons et White, ainsi que le parrain du projet de loi, le sénateur Yussuff.

Chers collègues, nous étudierons aujourd’hui la teneur des articles 1 à 5 du projet de loi C-3, Loi modifiant le Code criminel et le Code canadien du travail.

Monsieur Lametti, je vous félicite de votre élection et également de votre nomination au poste de ministre de la Justice et de procureur général du Canada.

Monsieur le ministre, nous sommes ravis de vous accueillir encore une fois, car vous avez un grand esprit de coopération. Vous répondez toujours promptement à nos questions, vous faites preuve d’une grande disponibilité et vous nous envoyez les documents que nous demandons. Nous sommes heureux de collaborer de nouveau avec vous pendant cette session.

Le ministre est accompagné de Laurie Wright, sous-ministre adjointe principale du ministère de la Justice, et de Joanne Klineberg, avocate-conseil de la Section de la politique en matière de droit pénal.

Je rappelle aux sénateurs que le ministre comparaît au sujet des articles 1 à 5 du projet de loi C-3.

Monsieur le ministre, je vous prie de faire votre exposé, et ensuite on vous posera des questions.

L’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci, sénatrice. Je suis heureux de comparaître devant vous aujourd’hui. Je tiens à remercier mes collaboratrices, Laurie Wright et Joanne Klineberg.

Je vous remercie de m’avoir invité à témoigner devant le comité pour discuter du projet de loi C-3, Loi modifiant le Code criminel et le Code canadien du travail. Comme vous l’avez dit, je vais me concentrer sur les dispositions à caractère pénal.

Ces dispositions ont comme contexte immédiat la pandémie de la COVID-19 et la réaction d’un petit nombre de Canadiens, qui ne sont pas d’accord avec les diverses mesures de santé publique prévues par les autorités provinciales. Même si ces mesures de santé publique contre la COVID-19 reposent sur des preuves, sont raisonnables et s’avèrent nécessaires pour protéger la vie et la santé des gens et la relance économique, certaines personnes s’y opposent.

Bon nombre de ces personnes se sont exprimées de façon pacifique. Le fait de s’exprimer, de convaincre et d’encourager ne sont pas en soi des actes criminels aux yeux de la loi actuelle ou des dispositions proposées. Toutefois, un petit nombre de gens ont franchi la ligne et ont proféré des menaces, dont des menaces de mort, envers des professionnels de la santé. Ils ont incité d’autres personnes à la violence, ont bloqué l’entrée aux établissements de santé et ont proféré des menaces pour intimider les travailleurs de la santé ainsi que les personnes cherchant à se faire soigner, les obligeant à renoncer à leurs responsabilités et aux soins de santé.

Ce sont des actes visés par le droit pénal en vigueur ainsi que les dispositions proposées dans le projet de loi C-3. Le projet de loi permettrait de protéger tous les travailleurs du secteur de la santé qui sont à l’œuvre pour assurer notre sécurité, et reconnaîtrait les contributions importantes de ces gens, depuis les médecins et le personnel infirmier, en passant par les préposés aux bénéficiaires et les concierges qui assurent la propreté et la sécurité des installations, et tant d’autres.

[Français]

Évidemment, c’est un sujet particulièrement préoccupant, alors que nous sommes en pleine pandémie. Toutefois, ces comportements ne sont pas nouveaux. Ils se produisent dans le secteur de la santé depuis longtemps.

Des études inquiétantes révèlent que des travailleurs du secteur de la santé et ceux qui les assistent ont été confrontés à des taux inacceptables de violence sur le lieu de travail, et ce, même avant la pandémie. Des gestes d’intimidation, de violence et même des tentatives de meurtre ont été commis contre du personnel des cliniques de santé sexuelle et d’avortement partout au pays.

Honorables sénateurs, les mesures proposées dans le projet de loi C-3 visent à assurer la sécurité de nos héros de la santé et aussi à protéger leurs patients. Après tout, c’est notre santé qui en dépend.

[Traduction]

Le Code criminel prévoit une vaste gamme d’infractions qui peuvent viser les actes commis ainsi que l’intention de la personne qui a commis les actes. Les mesures proposées dans le projet de loi C-3 cherchent à rehausser la protection accordée de deux façons principales. Tout d’abord, le projet de loi crée deux nouvelles infractions précises. La première, une nouvelle infraction pour protéger les travailleurs de la santé et ceux qui les soutiennent, ainsi que les personnes cherchant à se faire soigner, contre l’intimidation et le fait de devoir renoncer à l’exercice de leurs fonctions ou à l’obtention de soins de santé.

La nouvelle infraction visant l’intimidation dans le contexte de la santé serait associée à une augmentation de la peine d’emprisonnement maximale, qui passerait de cinq ans dans le cas de l’infraction en vigueur d’intimidation générale à dix ans pour la nouvelle infraction proposée. L’infraction reconnaît les méfaits commis à l’égard des personnes menacées, du système de soins de santé et des personnes qui pourraient ne pas pouvoir obtenir des services à cause des actes d’intimidation.

Je rappelle aux honorables sénateurs qu’il s’agit d’une peine maximale et qu’il n’y a pas de peine minimale. Ainsi, les juges disposeront d’une grande latitude pour imposer une peine selon la gravité de la situation.

La deuxième infraction interdirait le fait de barrer ou de gêner le passage à une personne qui cherche à pénétrer dans un établissement de santé. Ce comportement est déjà visé par l’infraction de méfait à l’égard d’un bien et serait accompagné d’une peine maximale de dix ans d’emprisonnement.

[Français]

La deuxième série de mesures concerne l’adaptation de facteurs aggravants lors de la détermination de la peine. Depuis plusieurs années, le secteur des soins de santé demande au Parlement d’adopter une telle mesure qui prend en compte la gravité d’une agression commise contre un travailleur de la santé dans l’exercice de ses fonctions. Il s’agissait également d’une recommandation du rapport de 2019 du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes intitulé Violence subie par les travailleurs de la santé au Canada. Je note que les tribunaux canadiens l’ont déjà reconnu comme une circonstance aggravante lors de la détermination de la peine en vertu du droit commun.

La proposition actuelle est plus large que ce qui avait été préconisé précédemment. Elle s’appliquerait lorsqu’un travailleur de la santé est victime d’une infraction, quelle qu’elle soit, dans le cadre de son travail, pas seulement de voie de fait. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une séquestration, ou même d’un acte de vandalisme ou du vol de ses biens. On peut s’attendre à ce que la victimisation criminelle d’un travailleur de la santé dans le cadre de son travail porte atteinte à sa capacité de fonctionner pendant un certain temps. La circonstance aggravante proposée est donc conçue pour s’appliquer largement.

Il s’agirait également d’une circonstance aggravante lors de la détermination de la peine : toute infraction, lorsqu’elle a pour effet d’empêcher une personne d’obtenir un service de santé. Cette circonstance est liée et est distincte de la circonstance aggravante pour les infractions commises à l’encontre des travailleurs de la santé. Elle vise les conséquences de crimes sur les personnes ayant besoin de soins de santé.

[Traduction]

Certaines personnes pourraient avoir l’impression que les amendements chercheraient à criminaliser ou criminaliseraient les manifestations devant les établissements de santé contre les mesures de santé publique liées à la COVID-19, l’avortement ou d’autres questions. C’est tout à fait faux. Les mesures proposées ont été soigneusement conçues pour éviter cette conséquence et pour protéger le droit à la manifestation pacifique et non violente. Plus précisément, l’infraction visant l’intimidation se limite au comportement ayant l’intention de provoquer un état de crainte. Cela correspondrait aux menaces et actes violents, qui sont de toute évidence inacceptables et ne sont nullement protégés par la Charte.

L’infraction visant l’obstruction des accès, par contre, peut s’appliquer aux actes qui empêchent les gens de se rendre à un établissement de santé ou d’y pénétrer. Conformément au droit pénal existant, cette infraction prévoit expressément une exclusion pour les comportements purement communicatifs, tels que des grèves ou les manifestations pacifiques, une exclusion reconnue par les tribunaux lorsque la communication est pacifique, légale et n’a qu’un impact mineur sur l’accès.

Par conséquent, je suis sûr que les infractions proposées respectent les droits garantis par la Charte. Je répondrai avec plaisir à vos questions. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Ce sera le parrain du projet de loi, le sénateur Yussuff, qui posera la première question.

Le sénateur Yussuff : Merci, monsieur le ministre, de nous donner l’occasion de vous poser quelques questions. Je crois que vous avez peut-être déjà répondu à la mienne, mais dans votre exposé, vous avez fait référence au droit à la communication prévu dans le projet de loi, ce qui, d’après ce que je comprends, préserve le droit à la grève. Pouvez-vous nous expliquer comment le projet de loi a été rédigé afin de garantir ce droit?

M. Lametti : Merci, sénateur, et merci également d’avoir parrainé ce projet de loi. Comme je l’ai dit, l’infraction visant le fait de gêner ou d’empêcher l’accès tient compte du droit à la communication de renseignements. Nous respectons la jurisprudence en la matière, qui affirme le droit à la grève et aux activités légales, comme je l’ai dit dans mon exposé, parce que justement, il n’y a qu’une gêne mineure. Nous chérissons ces droits; le droit à la grève est important, tout comme le droit à la liberté d’expression, notamment en public.

Si je puis m’exprimer autrement, il doit y avoir une certaine tolérance à l’égard d’un léger retard pour les gens qui se rendent à leur lieu de travail, par exemple lorsque quelqu’un exprime de façon pacifique son droit à la grève ou encore ses convictions politiques. Mais quand il y a un blocus complet, ce n’est plus un léger retard, comme lorsqu’on barre la voie aux professionnels de la santé qui vont au travail ou encore aux patients qui souhaitent entrer dans le bâtiment. À ce moment-là, les conditions sont réunies pour que les actes constituent une infraction.

Le sénateur Yussuff : Puis-je poser une brève question complémentaire qui, à mon avis, est tout aussi importante pour que le ministre puisse donner plus de détails?

La présidente : Oui.

Le sénateur Yussuff : Monsieur le ministre, lorsque vous décrivez les travailleurs de la santé dans le contexte de la loi, certains d’entre nous ont une idée de qui il s’agit — un médecin, une infirmière, un technicien, un physiothérapeute. Mais comme vous le savez, dans un établissement de soins de santé, il y a beaucoup de personnes qui sont derrière le fonctionnement de ces établissements. Les concierges en sont un exemple. D’autres personnes fournissent des services de restauration. Toutes ces personnes font partie intégrante du fonctionnement d’un établissement de soins de santé. Si l’une de ces personnes devait être victime de violence, cette mesure prévoit-elle qu’elle soit protégée par cette loi et cette autre loi?

M. Lametti : Merci de la question, sénateur. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que la santé est axée sur une approche d’équipe et qu’elle inclut toutes les personnes qui travaillent dans cet établissement ou qui contribuent à le soutenir. Comme vous l’avez dit, il s’agit des concierges, des personnes qui nettoient, ainsi que des assistants personnels, des médecins et du personnel infirmier, évidemment. Donc, oui, ils sont inclus. Le libellé du projet de loi C-3 énonce clairement que l’infraction d’intimidation s’applique aux professionnels de la santé réglementés et aux personnes qui aident à fournir ces services de santé, ce qui inclut tout le monde.

Le facteur aggravant dans la détermination de la peine s’applique lorsque la victime fournit des services de soins de santé, y compris des services de soins personnels. Nous avons intentionnellement veillé à ce que la disposition s’applique à toute personne qui fournit des services de soins de santé, et nous ne l’avons pas limitée aux professionnels de la santé. Je pense qu’il est tout à fait clair que le libellé doit s’appliquer aux deux.

Le sénateur Yussuff : Merci, monsieur le ministre. Je vous remercie, madame la présidente, de m'avoir donné l’occasion de poser ces questions. Merci beaucoup au comité de me permettre de participer à ces délibérations.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur le ministre. C’est un plaisir de vous recevoir dans le cadre de ce projet de loi.

Lorsque vous avez rédigé ce projet de loi, quelles ont été vos communications avec le gouvernement du Québec? Comme on le sait, il y a eu plusieurs manifestations devant des hôpitaux au Québec. Le gouvernement du Québec avait d’ailleurs pressé le gouvernement fédéral d’agir. Quelles ont été vos communications avec le gouvernement de M. Legault?

M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur, pour la question. Nous avons travaillé dans notre domaine de compétence, c’est-à-dire sur les changements au Code criminel. Les provinces ont le droit d’agir en tout temps [Difficultés techniques] de la propriété et les droits civils. Donc, plusieurs provinces ont des protections, des bulles ou des zones d’exclusion devant les hôpitaux. C’est entièrement dans leur champ de compétence, tandis que les changements au Code criminel sont de compétence fédérale. Donc, nous avons conçu les propositions en gardant en tête nos domaines de compétence et en harmonie avec les provinces. C’était une promesse durant la campagne électorale.

Pour répondre à la question du sénateur Boisvenu, nous avons conçu les changements au Code criminel dans le domaine de compétence fédérale en harmonie avec les pouvoirs des provinces d’agir dans leur champ de compétence, c’est-à-dire la propriété et le droit civil.

Le sénateur Boisvenu : Je comprends très bien, monsieur le ministre, mais ma question porte sur le fait que les pouvoirs des provinces sont limités à émettre des avis d’infraction. Est-ce que ce sont les provinces qui vous ont demandé de criminaliser les gens qui manifestent devant les hôpitaux?

M. Lametti : Dans certains cas, oui, mais c’était surtout les personnes œuvrant dans ce domaine qui l’ont demandé. Nous avons vu à plusieurs reprises, dans certaines provinces, des circonstances où il y avait des manifestations assez négatives. Nous avons donc décidé —

Le sénateur Boisvenu : Donc, il faut comprendre que c’est un geste unilatéral du gouvernement fédéral de déposer ce projet de loi et de criminaliser les gens qui manifestent devant les hôpitaux?

M. Lametti : D’abord, sénateur, le droit criminel, comme vous le savez, est une compétence fédérale.

Le sénateur Boisvenu : Je comprends, mais c’est un geste...

M. Lametti : Deuxièmement, nous sommes toujours en contact, surtout au niveau de nos ministères. Mon ministère de la Justice est toujours en contact avec le ministère du Québec et ceux de partout au Canada.

Le sénateur Boisvenu : Sur le plan politique, il n’y a pas eu de discussions de gouvernement à gouvernement pour décider de criminaliser les gens qui manifestent devant les hôpitaux. Ai-je bien compris?

M. Lametti : Il y a tout le temps des discussions...

Le sénateur Boisvenu : Entre fonctionnaires, je comprends, mais je veux dire entre vous et le ministre de la Justice du Québec, il n’y a pas eu de discussions.

M. Lametti : Je n’ai pas eu de discussion, personnellement, mais comme je l’ai dit, c’est notre domaine de compétence.

Le sénateur Boisvenu : D’accord. Merci, monsieur le ministre.

[Traduction]

Le sénateur White : Merci, monsieur le ministre, d’être présent aujourd’hui. Je vais y aller rapidement. J’ai deux questions à la fin.

En septembre, le service de police de Toronto a fait savoir qu’il respecterait le droit à des manifestations pacifiques et légales, mais que le fonctionnement des hôpitaux et la sécurité publique ne pouvaient pas être perturbés et que, le cas échéant, des personnes seraient arrêtées et inculpées, si c’était justifié, à la suite de manifestations et d’actes d’intimidation envers des travailleurs de la santé.

Lorsque j’étais chef de police à Ottawa, nous avons donné un avis semblable aux manifestants qui avaient menacé de manifester contre la voie d’accès à l’Hôpital général, à savoir qu’ils seraient arrêtés. Nous avions 350 manifestations par année dans la ville d’Ottawa.

Je sais que le Code criminel compte déjà des infractions d’intimidation et de profération de menaces. C’est pourquoi nous avons déjà pu dire ce que nous avons dit, et c’est pourquoi le service de police de Toronto a pu dire en septembre ce qu’il a dit.

J’essaie de comprendre pourquoi nous n’avons pas simplement examiné les infractions existantes et augmenté les peines à 10 ans ou, pour être vraiment dissuasif, peut-être même introduit un minimum obligatoire, qu’il s’agisse d’une amende ou autre, car je pense que pour la plupart des participants, un minimum obligatoire serait plus dissuasif qu’un maximum que la plupart d’entre eux réaliseront qu’ils n’obtiendront jamais.

M. Lametti : Merci, sénateur. Ce sont là d’excellentes questions. Vous avez raison de dire qu’il y a une infraction générale d’intimidation. J’ajouterais que le Code criminel prévoit également des infractions de méfait.

Premièrement, les manifestations se déroulaient dans le contexte de la COVID, mais on nous avait également dit à plusieurs reprises, et notamment dans ce rapport du comité de la Chambre des communes en 2019, que ces dispositions étaient insuffisantes et que, pour une raison quelconque, la police et les procureurs ne les utilisaient pas.

En rehaussant les peines, en les rendant plus précises et en les mettant davantage en évidence dans le cadre d’une mesure législative particulière, nous espérons augmenter l’éventail d’outils dont disposent les agents de police et les procureurs pour engager des poursuites. Comme je l’ai dit, nous avons augmenté la peine.

L’autre chose que je voulais souligner, sénateur White, c’est que nous faisons cela dans un autre contexte, celui des acteurs judiciaires. Les personnes qui participent en tant qu’avocats, témoins ou membres d’un jury sont également protégées par une super-protection semblable en vertu du Code criminel. Nous nous sommes inspirés de ce modèle en ce qui concerne les travailleurs de la santé, étant donné ce qu’ils avaient demandé, et la crise de la COVID.

En ce qui concerne les peines minimales obligatoires, nous avons probablement une philosophie différente à cet égard. Nous avons augmenté le maximum, mais un juge a la possibilité d’examiner un éventail de sanctions afin d’adapter la peine au crime.

Le sénateur White : Merci de vos réponses. Le comportement de ces personnes n’est rien de moins que dégoûtant. Je veux commencer par cela. Je crois que la police prend le problème au sérieux et je pense que le plan qu’elle avait mis en place a probablement permis de calmer le jeu dans bien des cas.

Si les gens vont manifester, je ne suis pas sûr qu’une nouvelle mesure législative ait de l’importance, à moins qu’elle ait une incidence immédiate. Je suis le premier à dire que nous sommes allés trop loin avec les peines minimales obligatoires, notamment en ce qui concerne les peines d’emprisonnement, mais je pense que les amendes ont une incidence importante sur les gens, car la grande majorité des personnes qui prennent part à ces manifestations ont les moyens de payer les amendes. Je peux vous dire que, que ce soit la saisie de véhicules pour non-paiement d’amendes ou de la saisie d’un véhicule utilisé lors d’une manifestation, l’incidence financière a plus d’effet que presque tout ce que vous pouvez faire à ces manifestants.

Je lance ces idées par intérêt et pour le moment parce que je ne suis pas certain que les services de police feront quelque chose de différent. Je pense qu’ils en ont aussi assez et qu’ils agiront si de telles situations se produisent.

Je vous suis reconnaissant de votre réponse et de votre présence ici aujourd’hui, monsieur le ministre. Merci.

M. Lametti : Merci, sénateur. J’ajouterais simplement que je ne vais m’opposer à rien de ce que vous avez dit. Je vais revenir sur vos propos.

Il s’agit d’une infraction hybride, ce qui, espérons-le, encouragera les procureurs, selon les circonstances, à procéder par voie de mise en accusation ou par procédure sommaire si cela s’avère plus approprié. Elle laisse également la possibilité aux provinces d’utiliser leurs droits de propriété pour créer des zones d’exclusion et utiliser des amendes, par exemple. Il y a là une concordance qui... [Difficultés techniques]

[Français]

Le sénateur Dalphond : D’abord, monsieur le ministre, je vous félicite pour votre nouvelle nomination aux postes de ministre de la Justice et procureur général. Je sais que la plupart des membres du comité qui étaient ici avant ont été heureux de travailler avec vous par le passé. Nous nous réjouissons de cette bonne communication à l’avenir.

Ma question va un peu dans le sens des questions des sénateurs White et Boisvenu. Elle porte sur la nécessité d’avoir une infraction particulière en matière de travailleurs de la santé et elle fera référence à deux exemples. D’abord, nous avons vu que certaines personnes et certains groupes opposés au vaccin ont organisé des manifestations près des écoles, et ont même empêché les enfants d’y entrer ou les parents d’y reconduire leur enfant sans qu’ils prennent un dépliant. Ce genre d’obstruction ou d’interférence n’est pas visé par la disposition, et il faut donc se rabattre sur la disposition de méfait public.

Dans un deuxième cas, on a vu aussi des manifestations, notamment aux États-Unis, à l’abord des cliniques d’avortement, où on joue pendant la journée, à tue-tête, sur des systèmes de son puissants, des extraits de la Bible ou encore des messages qui répètent aux gens qui entrent à la clinique qu’ils vont commettre un meurtre, que ce qu’ils font est un péché, que ce qu’ils font est contre la volonté de Dieu, et ainsi de suite.

On a vu des employés qui, toute la journée, entendent ces bruits qui les dérangent. On a vu des cliniques qui sont obligées de déménager. Si je comprends bien, cela n’est pas visé par ce projet de loi qui ne fait que viser les personnes qui empêchent ou gênent l’accès, et non pas les conditions dans lesquelles on travaille à l’intérieur. Encore là, il va falloir s’en remettre à l’article 430, soit l’infraction de méfait.

Finalement, est-ce que cela ne démontre pas que l’infraction qui est créée ici n’est peut-être pas vraiment utile?

M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur. Ce sera un plaisir de travailler avec vous encore une fois, pour une période indéterminée, bien que j’espère que ce sera pour quelques années au moins.

Nous visons, évidemment, les services de santé. C’est vrai qu’il y a eu des manifestations à d’autres endroits, mais il y a toujours l’infraction qui a trait à l’intimidation en général qui pourrait s’appliquer en l’espèce.

Nous avons voulu envoyer un message clair, surtout aux gens qui travaillent dans le système de santé, ainsi qu’aux personnes qui voudraient avoir accès aux services, quant au fait qu’ils sont protégés lorsqu’ils se rendent dans un hôpital pour travailler, dans une clinique ou bien lorsqu’ils doivent accéder à des services dans une telle institution.

En ce qui a trait à votre deuxième question, il est vrai qu’il y a toujours un équilibre à atteindre. Quand est-ce que la question doit être posée, à savoir si l’accès est entravé ou s’il y a un blocage? C’est un droit qui est protégé par la Charte : le fait de communiquer, de faire des manifestations et de participer est un droit protégé par la Charte.

À quel moment, alors, une activité vocale empêchera-t-elle l’accès? Il est possible, à un certain moment, que l’infraction d’intimidation ou de blocage soit invoquée, mais c’est toujours quelque chose qui doit être déterminé selon les faits.

Je crois donc qu’on ajoute quelque chose de significatif au moyen des deux infractions que nous proposons, ainsi qu’avec le facteur de détermination de la peine; c’est plus lourd qu’avant, si vous voulez. Est-ce que cela va empêcher n’importe quelle activité communicative? La réponse est non. C’est toujours quelque chose qui sera déterminé en s’appuyant sur les faits.

La sénatrice Clement : Bonjour, monsieur le ministre Lametti. C’est un plaisir de vous rencontrer dans le cadre de cette réunion sur Zoom.

[Traduction]

Je reviens d’une réunion du Caucus des parlementaires noirs et j’ai rencontré votre collègue, le ministre Hassan. Nous avons parlé du fait que le thème du Mois de l’histoire des Noirs de cette année sera probablement axé sur les travailleurs de la santé, et les travailleurs de la santé noirs plus particulièrement, car nous savons que cette communauté est racialisée. C’est intéressant. Je me demande ce que vous diriez aux résidents canadiens qui s’inquiètent de cette mesure législative du point de vue des Canadiens racialisés qui cherchent à obtenir des soins de santé, et s’il s’agit d’un enjeu dont ils devraient s’inquiéter. Seront-ils touchés négativement? Seront-ils ciblés comme les personnes qui seront accusées de ces infractions parce que le système de soins de santé est perçu par certains Canadiens racialisés comme un environnement hostile? Que diriez-vous donc à ces Canadiens?

M. Lametti : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Elle est importante. En tant que législateurs et personnalités publiques qui ont le devoir d’être à l’écoute, nous avons vu et entendu des Canadiens racialisés dire précisément ce que vous avez dit — ils ne font pas confiance au système ou ils ne se sentent pas traités de la même façon par le système. Ce sont des problèmes que nous devons nous employer à résoudre, et nous avons le devoir de le faire. Nous nous efforçons en particulier de travailler avec les provinces, parce qu’une grande partie de ces questions relève des gouvernements provinciaux. Nous envoyons un message concernant la lutte contre le racisme systémique dans les domaines de compétence fédérale, un message qui, nous l’espérons, pourra avoir un effet positif lorsque nous travaillerons avec les provinces, ainsi que lorsque nous mettrons des ressources à leur disposition.

Je dirais à ces personnes, qu’elles fassent partie des gens qui cherchent à obtenir des services au sein du système de soins de santé, ou qu’elles fassent partie du grand nombre de Canadiens noirs et racialisés qui travaillent dans le système de soins de santé, que cette loi les aidera en mettant l’accent sur les types de comportements que nous essayons d’éradiquer. Cela inclut l’intimidation de toute personne qui travaille dans le système de soins de santé ou l’entrave de l’accès à ces services; la loi sera en mesure d’aider les Canadiens noirs et racialisés qui travaillent dans ces systèmes, mais aussi les clients qui décident de faire confiance au système. J’estime qu’il s’agit d’une autre façon de contribuer à établir cette confiance.

Il est évident qu’il faudra que les gens déploient des efforts et adoptent une meilleure attitude pour pouvoir examiner leur propre comportement et déterminer s’ils font quelque chose qui a des répercussions racistes, même s’ils n’agissent pas intentionnellement de cette manière. Leurs actions peuvent avoir ce genre de conséquences. Nous devons donc travailler en ce sens, en distinguant les éléments du racisme systémique et en les supprimant.

La sénatrice Pate : Je vous remercie, monsieur le ministre, de vous joindre à nous. Je me joins à mes collègues pour vous féliciter de votre élection et de votre nomination au poste de procureur général et de ministre de la Justice. Vous ne serez peut-être pas étonné d’apprendre que, pour ma part, je suis heureuse que cette infraction ne soit pas assortie d’une peine minimale obligatoire. Et vos propres recherches au ministère de la Justice ont révélé que l’effet dissuasif est lié à la rapidité et la certitude de la mise en accusation plutôt qu’à la durée de la peine. Je vous félicite de cette découverte.

J’ai cependant une question à vous poser. Étant donné que mes collègues ont posé la première partie de la question que je souhaitais formuler, j’aimerais me concentrer sur la question de la défense. Il est clair que l’infraction doit être intentionnelle. La défense semble presque superflue lorsqu’elle indique que, si une personne ne fait qu’échanger des renseignements sans le vouloir, elle est protégée et dispose d’une défense contre cette disposition. Je me demande donc si cela empêchera l’application de cette disposition à toutes les personnes accusées, à l’exception de celles qui disposent de ressources importantes et d’une représentation juridique et qui pourraient être en mesure d’essayer de monter un dossier suffisant pour faire valoir cette défense.

On vous a déjà interrogé un peu au sujet de la deuxième partie de ma question, mais j’aimerais la poser plus précisément. Pourquoi n’avez-vous pas envisagé une approche de type « zone de sécurité », ou une approche plus réglementaire, au lieu d’ajouter une autre disposition au Code criminel?

Si vous pouviez, s’il vous plaît, nous en dire davantage à ce sujet, ce serait très utile. Merci.

M. Lametti : Merci, madame la sénatrice. Permettez-moi de répondre d’abord à la deuxième partie de votre question parce que, à bien des égards, c’est plus facile. La zone de sécurité est plus susceptible d’être classée parmi les infractions liées à la propriété et aux droits civils, des infractions qui relèvent des provinces. Je suppose qu’on pourrait criminaliser la violation d’une zone de sécurité — et c’est certainement une possibilité que nous avons envisagée. Mais même dans ce cas, il faudrait prévoir une défense, comme nous l’avons fait pour les activités légitimes de protestation et de communication. Là encore, nous ne voulons pas nuire au droit de grève ou aux droits légitimes des Canadiens de manifester ou de faire entendre leurs opinions.

Nous avons donc choisi, je pense, des moyens d’inculpation légitimes et efficaces qui relèvent de la compétence fédérale et de la compétence en matière de droit criminel. Ensuite, cette approche nous permet de travailler de façon harmonieuse avec les provinces qui ont déjà, dans certains cas, créé des zones de sécurité. Nous nous en sommes donc tenus à notre domaine de compétence, pour ainsi dire, afin non seulement d’obtenir un meilleur résultat, mais aussi de ne pas empiéter sur les mesures que les provinces pourraient prendre.

Les dispositions du Code criminel comportent un élément mental et un actus reus, ou acte commis, donc une partie mentale et une partie physique. Il y a donc un élément mental dans tout cela, parce que notre système de justice pénale part du principe selon lequel nous punissons les auteurs d’activités intentionnelles. Toutefois, il existe des moyens de punir les auteurs d’activités non intentionnelles; les provinces peuvent le faire en imposant, par exemple, une zone de sécurité, une amende ou quelque chose de ce genre. Cependant, comme les infractions criminelles sont graves, elles comportent un élément mental.

Les éléments mentaux sont particuliers, et dans le second cas, il s’agit d’une entrave à l’accès. Il y a des façons de déterminer l’élément mental et donc l’intention en analysant l’activité elle-même. Parfois, il y a des présomptions en place, ainsi que d’autres facteurs. Je ne crois donc pas qu’une défense efficace soit aussi coûteuse à cet égard qu’on pourrait le croire.

Ensuite, dans le cas des infractions d’intimidation, l’élément mental est l’intimidation qui provoque une peur telle que la personne est entravée dans son travail ou craint de faire son travail. Il s’agit là d’un élément raisonnablement standard et adapté aux circonstances dans ce cas particulier.

Je précise encore une fois que les agents de police qui enquêtent, les fonctionnaires qui engagent les poursuites et, en dernier ressort, les juges qui peuvent avoir à trancher, ont l’habitude de travailler dans le cadre de ces paramètres. Je pense donc que les dispositions fonctionnent bien, ou qu’elles fonctionneront bien une fois qu’elles auront été adoptées.

La présidente : Merci, monsieur le ministre.

La sénatrice Simons : J’ai deux questions à poser : une question pratique et une question philosophique. D’un point de vue pratique, cette mesure législative s’appliquera-t-elle à une infraction commise à l’extérieur d’un établissement comme une pharmacie commerciale ou une salle communautaire qui pourrait faire fonction de clinique mobile pour la vaccination ou le dépistage, et s’appliquera-t-elle à un travailleur de la santé qui pourrait être victime d’intimidation dans sa propre maison?

Ma deuxième question est cependant plus philosophique. L’intimidation et la provocation de la peur dépendent beaucoup du point de vue où l’on se place. Le fait de crier des injures aux parents qui emmènent leurs enfants dans une clinique peut être très intimidant pour un petit enfant, mais peut-être pas pour un adulte. Si j’étais une jeune femme souhaitant interrompre une grossesse, je pourrais être intimidée si quelqu’un se tenait à l’entrée de la clinique et prenait des photos de moi dans le but de les publier sur les médias sociaux.

Vous avez parlé de l’élément mental, mais il me semble que cette mesure législative exige que vous ayez une idée des sentiments et de l’état d’esprit de la personne intimidée. À quel moment passe-t-on de l’intimidation physique à l’intimidation émotionnelle? Et est-ce une limite difficile à respecter?

M. Lametti : Je vous remercie, madame la sénatrice. C’est une excellente question, comme toujours. C’est un terrain glissant. Le système de justice pénale le fait tout le temps, parce que lorsqu’on tente de désigner l’élément mental, il y a toujours une part de subjectivité et une part d’objectivité. Il y a diverses normes objectives, mais il y a aussi presque toujours des perceptions subjectives. Je crois qu’il est juste de dire que nous sommes en terrain connu pour les infractions de droit criminel, et bon nombre d’entre elles seront désignées en fonction des faits que vous avez évoqués dans la partie philosophique de votre question.

En ce qui a trait aux diverses cliniques, s’il s’agit d’une clinique qui offre des services de santé, à notre avis, elle sera visée par la loi. Donc oui, la loi s’applique aux hôpitaux et aux cliniques. Elle s’applique aussi évidemment aux cliniques de santé qui pratiquent l’avortement. Et je crois qu’il est juste de dire qu’elle s’applique aux cliniques mobiles.

Elle s’applique probablement à une pharmacie, dans la mesure où elle offre la vaccination; elle offre un service de santé. Si la pharmacie n’offre pas la vaccination et ne fait que donner des prescriptions et vendre d’autres produits, je ne crois pas que la loi s’applique, mais si elle offre des services de santé, selon ce que je comprends, elle est visée par la loi.

Je me demande si Laurie Wright et Joanne Lineberg ont des précisions à apporter, mais c’est ce que je comprends.

La sénatrice Simons : Qu’en est-il d’une personne dans sa maison? Nous avons entendu des travailleurs de la santé dire qu’on les menaçait en ligne, que des manifestants se présentaient chez eux, mais surtout, que des gens publiaient leur photo, par exemple.

M. Lametti : La loi s’applique à ce qui se passe en ligne, sans aucun doute : c’est son objectif

La sénatrice Simons : D’accord.

M. Lametti : Étant donné ce que j’ai dit plus tôt, si un médecin ou une infirmière offre des services de santé de sa maison dans une région éloignée, par exemple, je crois que la loi s’appliquerait. S’il s’agit uniquement du lieu de résidence d’un travailleur de la santé, alors je crois qu’il faudrait s’en remettre à... [Difficultés techniques]... d’intimidation en vertu du Code.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Bienvenue au comité, monsieur le ministre. Vous avez fait part de votre désir de continuer la collaboration que nous avons établie avec vous pendant votre premier mandat. Vous aviez développé une habitude qu’on appréciait particulièrement, c’est-à-dire de déposer au comité, pour chacun des projets de loi concernant le ministère de la Justice, un document dans lequel vous donnez des informations sur l’analyse comparative entre les sexes plus qui a été menée dans l’étude du projet de loi. Souhaitez-vous toujours poursuivre cette collaboration et pouvez-vous nous confirmer que l’analyse a été faite?

M. Lametti : Oui, l’analyse a été faite. Oui, j’aimerais continuer la tradition. Il faut tirer l’analyse du mémoire au Cabinet. Il y a une façon de la faire. On l’a fait, et oui, on va le faire pour vous.

La sénatrice Dupuis : Est-ce que je dois comprendre aussi qu’une des raisons pour lesquelles vous avez choisi de déterminer deux infractions particulières, pour ce qui est des travailleurs de la santé ou du milieu de la santé, dont l’accès aux établissements de soin est, entre autres, parce qu’on a affaire à des gens qui sont dans des situations de grande vulnérabilité?

Autrement dit, nous n’avons pas affaire à quelqu’un qui se promène dans la rue, on n’a pas affaire à l’actuelle infraction d’intimidation ou de menace; nous avons affaire à un milieu où les gens sont particulièrement vulnérables, temporairement ou de façon plus permanente, par exemple dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée. Nous avons beaucoup entendu de gens se plaindre du fait qu’ils sont pris en otage, mais qu’ils sont aussi pris en otage dans un contexte particulièrement difficile et avec des gens en situation de vulnérabilité.

M. Lametti : Oui, pour tous les aspects de la question. Oui, dans un contexte où les gens sont vulnérables : soit les travailleurs qui se sentent vulnérables, soit les personnes qui voudraient accéder aux services — parce que parfois, ils sont malades. Il y a aussi le milieu qui est particulier en raison de la pandémie, où il y avait des manifestations particulièrement négatives et menaçantes. Donc, non seulement parce que les personnes sont en situation de vulnérabilité, mais aussi en raison du contexte particulier.

La sénatrice Dupuis : J’extrapole peut-être, mais l’un des facteurs dont vous avez pu tenir compte n’est-il pas, justement, qu’il y a beaucoup de travailleurs dans le milieu de la santé qui sont racialisés et qui se trouvent déjà eux-mêmes dans une situation particulièrement difficile sur le plan social — situation qui est exacerbée par la nature de leur travail, surtout dans une période comme celle que l’on traverse en raison de la pandémie de la COVID-19?

M. Lametti : Tout à fait. On voudrait rendre le milieu sécuritaire afin que les gens se sentent en confiance, soit pour se faire traiter ou pour se rendre au travail en paix et en sécurité. C’est vraiment une mesure qui va rebâtir la confiance des participants du système.

La sénatrice Dupuis : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Bonjour, monsieur Lametti, et bienvenue à cette réunion. Je vous félicite pour votre réélection et votre reconduction à titre de procureur général et ministre de la Justice, un poste auquel aspirent presque tous les universitaires du pays.

J’aimerais aussi dire, si vous me le permettez, que la déclaration concernant la Charte que nous avons reçue au sujet du projet de loi nous a été utile... plus utile que d’autres que nous avons reçues par le passé.

C’est un enjeu grave, et je félicite le gouvernement du Canada pour ses efforts en vue d’aborder la situation avec sérieux, mais je crois que l’application de la loi reviendra aux services de poursuite provinciaux, de même qu’aux services de police provinciaux et municipaux.

Pour que cette mesure législative ne soit pas qu’une façade, mais bien un outil permettant d’aborder cette situation grave pour protéger les professionnels de la santé — surtout, et dans de nombreux cas, les bénéficiaires de leurs services — de manière adéquate, j’aurais cru que vous auriez établi clairement la nécessité pour les provinces d’utiliser cet outil qui leur est offert.

C’est ma première question. J’en aurai une deuxième à poser ensuite, si possible, au sujet des détails en matière d’exécution de la loi.

M. Lametti : Je vous remercie, sénateur Cotter, pour vos bons mots et aussi pour votre question.

Le gouvernement fédéral travaille avec le Code criminel, et selon notre système, nous pouvons y apporter des changements. La majorité de ces changements sont appliqués par les services de police provinciaux ou, dans certains cas, par la GRC en vertu de contrats avec les provinces. Souvent, et même avec le Code criminel, les cours provinciales représentent les systèmes judiciaires utilisés; il y a ensuite les services des poursuites provinciaux.

De façon générale, le système fonctionne bien, alors je sais que les forces policières du Canada — qu’il s’agisse des forces provinciales ou des grandes forces municipales comme celles de Toronto et de Montréal — n’hésiteront pas à appliquer une telle mesure. Nous envoyons un message clair aux services de police : il s’agit d’un ensemble important d’outils qui sont utilisés dans ce contexte particulier, mais aussi pour protéger les travailleurs de la santé de façon générale. Ces outils semblent avoir bien fonctionné pour les acteurs du système judiciaire qui représente le modèle sur lequel on se fonde ici, du moins en partie.

J’ai confiance que le système continuera de bien fonctionner avec ces changements particuliers.

Le sénateur Cotter : En ce qui a trait à l’application des dispositions, on peut imaginer une personne à l’extérieur d’un établissement de santé avec une pancarte où il serait écrit : « N’injectez rien dans le corps de mes enfants », ou quelque chose du genre. On pourrait présumer que ce message se traduit par « Ne prodiguez pas les soins de santé ».

Or, s’il y a 100 ou 500 personnes avec de telles affiches... Le facteur d’intimidation ou de peur s’explique peut-être par le nombre de personnes qui transmettent le message. Il me semble qu’on n’aurait pas l’idée de poursuivre cette personne seule avec son affiche, mais qu’on se préoccuperait beaucoup plus des 500 personnes réunies. Et il me semble que la loi est drôlement réactive dans ce genre de situation. Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet?

M. Lametti : Votre commentaire est juste, sénateur Cotter. Le contexte sera déterminant. Si une personne brandit une affiche sur laquelle est écrit « Il faut tuer le Dr Untel parce qu’il donne le vaccin Pfizer ou Moderna » ou « Il faut tuer le Dr Untel parce qu’il pratique l’avortement », on se retrouvera probablement devant un cas d’intimidation; ce sera la même chose si une personne fait une publication en ligne où elle donne le nom d’un médecin ou d’une infirmière.

À un certain point, le nombre devient un indicateur, et ce sera déterminant sur le terrain. C’est particulièrement le cas pour une infraction d’intimidation et une infraction de blocage. À un certain moment, il faudra des policiers sur le terrain. Les procureurs devront prendre une décision sur l’association de facteurs et la manière de procéder. Il faudra aussi choisir entre la procédure sommaire et la mise en accusation.

Tous ces facteurs serviront à déterminer la marche à suivre par les policiers et les procureurs.

Le sénateur Cotter : Merci.

La présidente : J’aimerais vous poser une question au sujet de la Charte, monsieur le ministre. La liberté d’expression est protégée par l’article 2 de la Charte. Comme vous le savez, elle permet au gouvernement d’appliquer des limites raisonnables en ce qui a trait au discours haineux, à l’obscénité et à la diffamation. Cela étant dit, monsieur le ministre, avez-vous l’intention d’ajouter le fait de provoquer la peur ou d’empêcher un professionnel de la santé de faire son travail aux gestes considérés comme étant haineux, obscènes ou diffamatoires?

M. Lametti : Je vous remercie de la question, sénatrice. Il pourrait s’agir de tous ces éléments, mais pas nécessairement. L’intimidation en soi provoque une certaine peur, de sorte qu’elle n’est pas protégée par l’article 2 de la Charte. Nous estimons donc respecter la Charte à cet égard.

En ce qui concerne le blocage de l’accès, il existe une défense bien ficelée relative aux activités de communication en vertu du Code criminel, qui vise précisément à respecter la Charte et plus particulièrement le droit de manifestation et de grève. Et nous avons expressément incorporé ces éléments au libellé de la disposition afin de les évoquer, la rendant ainsi conforme non seulement à la Charte, mais aussi aux divers exemples de jurisprudence relatifs au Code criminel.

La présidente : Merci, monsieur le ministre. L’heure est pratiquement écoulée. Nous avons toutefois trois questions de suivi, si jamais vous pouvez rester un peu plus longtemps. Est-ce possible, monsieur le ministre?

M. Lametti : Vous pouvez poser trois questions rapides, mais elles doivent être brèves.

La présidente : Je vous remercie de votre indulgence, monsieur le ministre. Sénateurs, je vous propose de poser les trois questions, après quoi le ministre pourra y répondre.

Le sénateur White : Madame la présidente, je pense que j’ai obtenu ma réponse. Je vais plutôt proposer un amendement au Sénat.

La sénatrice Pate : Pour ma part, monsieur le ministre, je veux juste obtenir une clarification sur la façon de nous assurer que la défense ne sera pas invoquée par ceux qui ont les connaissances et les moyens financiers suffisants pour dire : « Ce n’était pas mon intention. J’avais juste l’intention d’exercer ma liberté d’expression et de donner des renseignements aux gens qui viennent. »

[Français]

La sénatrice Dupuis : Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire, si vous ne l’avez pas déjà fait, si vous avez l’intention d’entamer des discussions avec les provinces au sujet de l’application de la loi?

J’imagine que vous souhaiterez non seulement que les provinces appliquent la loi, mais aussi qu’elles complètent, dans les limites de leurs compétences, ce que vous avez tenté d’amorcer avec cette loi.

M. Lametti : D’abord, sénatrice Dupuis, je vous répondrais que oui, nous avons eu des discussions avec les provinces au sujet de l’application des lois. Après avoir promulgué la loi, nous aurons des discussions avec les différents ministères qui porteront surtout sur l’aspect technique.

Certaines provinces ont déjà des lois et c’est à elles de déterminer si elles veulent exercer leur compétence dans le domaine de la propriété pour créer des zones d’exclusion pour les hôpitaux et les cliniques.

[Traduction]

Sénatrice Pate, il y a souvent moyen de présumer du volet mental en fonction des actions prises. Je doute que ce soit aussi simple que de trouver un bon avocat dans le but de se débarrasser de l’aspect mental. Ceci étant dit, nous avons un système juridique qui permet de se défendre. Il peut très bien être possible de trouver un avocat pour réfuter le volet mental, mais il en va de même pour toute infraction pénale. Mais comme je l’ai dit, si vous intimidez une personne en ligne avec des mots, si vous intimidez quelqu’un en ligne avec une publication alors que quelqu’un passe par là, et que c’est suffisamment menaçant et précis pour franchir ce seuil, je pense que le volet mental et l’état d’esprit seront démontrés par le geste lui-même. L’état d’esprit serait démontré par l’activité. Je doute qu’une personne puisse avoir une défense simplement parce qu’elle a un meilleur avocat.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Mesdames Wright et Klineberg, je vous remercie de nous avoir consacré du temps aujourd’hui. Nous sommes ravis que vous ayez été parmi nous. Merci beaucoup.

M. Lametti : Merci à tous.

La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, je propose que nous passions maintenant à huis clos pour discuter du projet de rapport. Êtes-vous d’accord?

Des voix : Oui.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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