LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 9 février 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-210, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite.
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je suis Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider le comité. Nous tenons aujourd’hui une séance hybride du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
[Français]
Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler à la présidence ou au greffier et nous nous efforcerons de résoudre le problème.
Je voudrais prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui.
[Traduction]
Je prie uniquement les membres qui n’ont pas de questions à poser de l’indiquer au greffier. Sinon, tous les membres sont sur ma liste d’intervenants. J’aimerais prendre un moment pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui. Nous avons parmi nous aujourd’hui le sénateur Boisvenu, vice-président, et le sénateur Campbell, le sénateur Carignan, la sénatrice Clement, le sénateur Cotter, le sénateur Dalphond, le sénateur Dawson, la sénatrice Dupuis, la sénatrice Pate, le sénateur Wetston et le sénateur White.
Chers collègues, nous commençons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-210, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite. Vous vous souviendrez peut-être de notre étude, à la dernière session, du projet de loi S-203, qui portait le même titre.
Honorables sénateurs, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui notre collègue, la sénatrice Miville-Dechêne, pour parler du projet de loi S-210 et de la façon dont il diffère du projet de loi S-203 de la dernière session. Elle est aussi la marraine du projet de loi au sujet duquel elle interviendra.
Vous aurez chacun quatre minutes pour poser des questions à la sénatrice Miville-Dechêne.
Madame la sénatrice, je vous prie de faire votre exposé.
[Français]
L’honorable Julie Miville-Dechêne, marraine du projet de loi : Merci beaucoup, madame la présidente. Internet est une invention extraordinaire. Le réseau a ouvert l’horizon de nos sociétés et enrichi nos vies de plusieurs façons que nous n’aurions pas pu imaginer il y a une génération. Toutefois, Internet a aussi créé de nouveaux risques : piratage, fraude, désinformation, intimidation, et j’en passe. Le monde en ligne, qui est un espace dépourvu de toute réglementation et un Far West où tout est permis, a le potentiel de faire des victimes et de briser des choses auxquelles nous tenons comme société.
Je ne crois pas me tromper si je dis qu’une des choses auxquelles tiennent les parents du Canada, c’est de protéger l’innocence et la santé mentale de leurs enfants en limitant leur exposition à la pornographie.
Or, Internet a rendu les contenus pornographiques facilement accessibles aux jeunes, ce qui a des effets négatifs sur leur développement social et affectif, leur estime d’eux-mêmes, leurs relations sexuelles et la notion de consentement. Même dans l’espace numérique, les mineurs ont des droits, y compris celui d’être protégés des contenus préjudiciables. Le Canada fait partie des pays signataires de conventions internationales à cet égard. Il est donc temps d’agir.
Bien sûr, il s’agit d’un champ législatif relativement nouveau. Comment cibler les bonnes organisations et épargner les personnes vulnérables? Comment atteindre les entreprises basées à l’étranger? Enfin, comment vérifier efficacement l’âge sans empiéter sur la vie privée des gens?
La bonne nouvelle, c’est qu’il semble y avoir des solutions à tous ces problèmes. Plusieurs pays, notamment la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, étudient ou ont déjà adopté ou même instauré des lois à cet effet.
Le projet de loi S-210 est assez simple. Il oblige les entreprises qui diffusent de la pornographie sur Internet à mettre en place un mécanisme de vérification de l’âge. Les organisations contrevenantes sont passibles d’une amende et s’exposent à une ordonnance de blocage au Canada.
Parce que la technologie évolue vite, nous avons jugé préférable de préciser les normes de vérification de l’âge à l’étape de la réglementation. La technologie permet déjà de faire des vérifications fiables et non intrusives. Le but est évidemment de minimiser l’atteinte à la vie privée tout en protégeant les enfants.
J’aimerais maintenant prendre quelques instants pour décrire ce que le projet de loi S-210 n’est pas.
Ce n’est pas une loi qui censure des contenus ou qui limite la liberté d’expression. Il s’agit simplement de répliquer, sur Internet, les règles du monde réel quant à la distribution de matériel pornographique aux mineurs. Pour les plus de 18 ans, la loi ne changerait rien. Tous les contenus légaux resteraient disponibles.
Ce n’est pas non plus une loi qui donne des pouvoirs de censure arbitraire au gouvernement. La loi identifie une règle simple, claire et précise : elle oblige les organisations qui diffusent du matériel pornographique à mettre en place un vrai mécanisme de vérification de l’âge. Le texte prévoit toutes les garanties procédurales nécessaires et il protège les droits de toutes les parties.
Ce n’est pas une loi qui ratisse large ou qui vise les personnes marginalisées. Dans sa nouvelle mouture, le projet de loi ne vise que les organisations. Des exceptions claires sont prévues pour le matériel éducatif, scientifique et artistique. Comme dans tout exercice législatif, il faut bien trouver un équilibre. En l’occurrence, la vérification automatique et anonyme de l’âge me semble un inconvénient mineur et très raisonnable pour protéger le développement et la santé mentale des enfants.
Le projet de loi S-210 n’est pas non plus une loi qui crée une bureaucratie de contrôle des contenus. En vertu du projet de loi, la seule obligation des sites pornos consiste à mettre en place un système de vérification de l’âge prévu par règlement. Le pouvoir du gouvernement se limite à agir contre les organisations qui manquent à leur obligation d’implanter un tel système. Il n’est pas question pour l’État de poser des jugements de valeur ou de faire une surveillance proactive des contenus.
Enfin, ce n’est pas une loi qui force les Canadiens à être fichés ou surveillés. La technologie permet aujourd’hui de valider l’âge d’une personne en quelques minutes, sans l’identifier et sans garder d’informations sur elle. Les craintes de cybersurveillance pourront être réduites encore davantage dans la réglementation, qui devra s’assurer de protéger adéquatement la vie privée.
J’aimerais répondre brièvement à un argument qui est souvent soulevé, soit que cette loi sera inutile, car les jeunes la contourneront.
Il est vrai qu’aucun système n’est parfait, même dans le monde réel. Les jeunes parviennent à entrer dans les bars, à acheter des cigarettes et de la marijuana. Cela dit, les vérifications de l’âge réduisent considérablement la prévalence de ces comportements, même si elles ne les éliminent pas complètement. Tout indique que la même chose s’appliquerait pour la porno sur Internet et que les enfants seraient mieux protégés, surtout les plus jeunes. Évidemment, rien de tout cela n’élimine la responsabilité des parents et des écoles quant à la supervision des jeunes et à l’éducation à la sexualité, mais aidons-les.
En terminant, je suis très ouverte à vos commentaires et à vos suggestions. Quand on réfléchit à plusieurs, on est meilleur. Merci.
La présidente : Sénatrice Miville-Dechêne, merci beaucoup de votre présentation. Nous passons maintenant à la période des questions.
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, sénatrice Miville-Dechêne, et félicitations pour votre projet de loi. J’ai évidemment quelques questions à vous poser. La première touche votre projet de loi sur le plan de sa mise en œuvre. Quand je lis votre projet de loi, je m’interroge sur les résultats qui pourraient être obtenus sur le plan de la baisse de ce type de crime. Mes questions sont peut-être techniques, mais qui ira à la recherche des organisations délinquantes? Qui déposera une plainte lorsqu’une infraction sera commise? Expliquez-moi le processus judiciaire qui sera appliqué lorsqu’une organisation sera reconnue « délinquante ». Je comprends que ce ne sont pas les policiers qui déposeront les plaintes. Le processus me semble complexe, donc j’aimerais simplement que vous m’éclairiez sur la façon dont on ira à la chasse aux délinquants lorsque votre loi sera mise en œuvre.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie de votre question, sénateur Boisvenu. Ce qui est le plus facile à expliquer, c’est qu’il s’agit d’un projet de loi qui comporte deux voies d’action. Il y a la voie qui sera probablement utilisée le plus souvent, parce que la plupart des sites pornographiques sont à l’étranger. C’est la voie qui est décrite à partir de l’article 7, l’avis de non-conformité, si vous voulez avoir une référence dans le texte. Cela signifie que le gouvernement va nommer un service de l’administration fédérale qui va être responsable. Cette personne responsable, si elle a des motifs raisonnables de croire qu’un site ne respecte pas la vérification de l’âge, c’est cette personne ou cet organisme parce que cela pourrait être un régulateur — je n’ai pas nommé quel serait le régulateur parce que dans un projet de loi privé on ne peut pas dépenser d’argent, mais il y aura un régulateur ou un organisme qui sera chargé de faire ces vérifications auprès des sites. Cela pourra aussi se faire sous forme de plainte, bien sûr, et à ce moment-là, s’il y a des motifs raisonnables de croire que le site ne se soumet pas à la vérification de l’âge — ce qui n’est pas très difficile à faire puisqu’on a juste essayé d’entrer dans ledit site — à ce moment‑là, on enverra un avis de non-conformité à ce site.
Le sénateur Boisvenu : À combien estime-t-on le nombre de sites partout au Canada et, à la limite, partout dans le monde, qui offrent ce type de « produits » auxquels les jeunes peuvent avoir accès?
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais vous donner une réponse en deux temps. Certains disent qu’il y en a jusqu’à quatre millions. Toutefois, on sait qu’il y a environ une cinquantaine de grands sites qui sont du type Pornhub. Les sites plus consultés sont une cinquantaine environ. Au Canada, uniquement pour ce genre de grands sites qui offrent de la porno gratuite, il y a MindGeek, qui est situé à Montréal. Cependant, la plupart des autres sites peuvent être situés à Chypre, aux États‑Unis ou un peu partout dans le monde. Ces 50 sites sont ceux, par définition, que l’on contrôlerait le plus, parce qu’ils sont les plus populaires.
Le sénateur Boisvenu : Mais est-ce que vous estimez que ce « bureau »...
[Traduction]
La présidente : Sénateur Boisvenu, puis-je vous inscrire au deuxième tour?
Sénatrice Miville-Dechêne, pour faire suite à ce qu’a dit le sénateur Boisvenu, le paragraphe 6(3) du projet de loi dont vous êtes la marraine stipule que « Nulle organisation ne peut être déclarée coupable d’une infraction prévue à l’article 5 si, relativement aux actes qui constitueraient l’infraction, l’organisation a reçu un avis au titre de l’article 8 […] »
Est-ce que je cite bien? Oui? Pouvez-vous nous expliquer comment vous interprétez cette défense, ainsi que sa justification et son but?
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie de la question, et si vous me le permettez, j’aimerais vous répondre en français, parce que ce sont des questions assez techniques. Cet article a été ajouté à la dernière mouture du projet de loi.
L’idée, c’est de donner un moyen de défense aux sites pornographiques. Il peut arriver qu’un site ait été accusé de ne pas respecter la loi, mais que le site en question se soit conformé à la loi au cours du processus judiciaire, c’est-à-dire qu’il ne fait pas que dire : « Oui, j’ai reçu un avis », mais qu’il s’est vraiment conformé à la loi, comme le prescrit cet article, c’est-à-dire qu’il a installé un système de vérification de l’âge.
Donc, le moyen de défense, c’est d’installer un système de vérification de l’âge. Si cette installation est effectuée pendant les procédures judiciaires et que le système est conforme à la loi, à ce moment-là, la personne ne sera pas déclarée coupable. Donc, c’est ce moyen de défense qui est mis de l’avant pour qu’un site pornographique qui se conformerait à la loi, une fois les démarches juridiques entamées, ne soit pas trouvé coupable.
[Traduction]
La présidente : Cela signifie-t-il qu’une organisation pourrait simplement attendre un avis de non-conformité avant de prendre des mesures pour se conformer à la loi?
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Oui, c’est pour cette raison qu’on a inclus les deux moyens d’intervenir dans ce projet de loi, soit la voie judiciaire ou la voie administrative. Ce qui s’est passé dans les autres juridictions, c’est que des avis de non‑conformité ont été envoyés. Par exemple, en France, on attend de voir si les sites pornographiques vont se conformer, mais pour l’instant ils ne se conforment pas. Effectivement, on peut tout à fait s’attendre à ce que les sites pornographiques attendent à la toute dernière minute pour se conformer, parce que, pour eux, c’est aussi une question de concurrence.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup.
Le sénateur White : Merci d’avoir présenté ce projet de loi.
J’ai quelques questions. Pour que ce soit bien clair, je crois comprendre que les balises seraient fixées par règlement et que les fournisseurs de services Internet en seraient informés pour pouvoir les respecter. En cas de non-respect, ils seraient en contravention de la loi. Ce que j’essaie de comprendre, c’est ceci : est-ce que cela inclurait la possibilité de sanctions et, dans l’affirmative, qui les appliquerait?
Si nous examinons le projet de loi proposé le printemps dernier par le gouvernement fédéral, qui était de nature semblable, il y était question de créer un organisme de réglementation. Je pense que le gouvernement avait prévu les coûts qui seraient associés à cela. Vous avez parlé de la possibilité d’avoir un organisme de réglementation. Si nous proposons que cela devienne un projet de loi ayant une incidence financière et s’il y a un coût associé à cela, nous devons avoir une discussion différente. De façon réaliste, même si nous pouvons adopter des lois, les projets de loi d’initiative parlementaire ne peuvent généralement pas inclure de coûts pour le gouvernement fédéral. Pouvez-vous m’expliquer comment cela s’appliquerait dans votre projet de loi?
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci de votre question, sénateur. Dans ce projet de loi, il n’y a pas forcément de création d’un régulateur. J’ai donné un exemple de ce que le gouvernement pourrait faire, parce qu’il pourrait aussi décider de confier cette tâche à des fonctionnaires qui travaillent dans un ministère. Évidemment, il serait opportun que cette personne désignée ou cet organisme désigné observe une certaine indépendance, pour qu’on ne dise pas qu’il s’agit de décisions politiques.
Comme vous le savez, le CRTC existe et il pourrait être un régulateur pour ce genre de projet de loi. En outre, comme vous l’avez dit, le gouvernement a affirmé que, pour limiter les préjudices en ligne, il allait lui-même créer un régulateur. Le ministre Steven Guilbeault l’a dit l’été dernier et, effectivement, ce dernier pourrait tout à fait assumer également la responsabilité de faire les vérifications.
Toutefois, entendons-nous, je veux être claire. On ne demande pas à un organisme de faire de la surveillance proactive. Ce qu’on veut, c’est qu’il y ait des procédures possibles si un site ne se conforme pas au règlement. Je sais qu’en France, par exemple, cela se fait sous forme de plainte. Les organismes de défense des droits des enfants dénoncent les organismes qui ne se conforment pas au règlement. Donc, je ne crois pas qu’il faille mettre sur pied une énorme structure bureaucratique. Le CRTC existe déjà, et je ne trouvais pas opportun de nommer la personne désignée, qui doit être nommée par le gouverneur en conseil.
Cela dit, dans la première partie de votre question, je crois, vous m’avez demandé — et j’aimerais que vous me précisiez si c’est bel et bien ce que vous me demandiez — quelles sont les normes liées aux systèmes de vérification de l’âge, parce qu’on ne prescrira pas un système de vérification de l’âge. Il faut établir des normes en matière de vie privée et d’effacement des données. Ces normes font partie de la réglementation, parce que notre technologie change rapidement. On veut que ces normes soient inscrites dans la réglementation pour pouvoir les changer au besoin.
Je ne sais pas si j’ai bien répondu à votre question.
[Traduction]
Le sénateur White : Je vous remercie de votre réponse. C’est exactement ce que j’essayais de déterminer, c’est-à-dire si la création d’un organisme chargé de surveiller et d’enquêter est prévue dans le projet de loi. Je suis heureux que vous ayez expliqué que nous n’allons pas établir les balises ou, dans le cas qui nous occupe, la nature prescriptive de ces dernières. C’est important.
Avons-nous eu des discussions avec le gouvernement concernant la question de savoir si le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes devrait modifier la façon dont il mène ses activités advenant l’adoption de ce projet de loi, ou le ministre Guilbeault a-t-il abordé cette question l’an dernier au moment de l’examen du projet de loi qui allait être présenté par le gouvernement?
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : La réponse courte, c’est non. J’ai eu des discussions avec le ministre Guilbeault sur la nature de mon projet de loi, qu’il trouvait intéressant, mais nous ne sommes pas entrés dans les détails de sa mise en œuvre.
Le sénateur White : Merci beaucoup.
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie, sénatrice, d’être avec nous aujourd’hui. Le projet de loi a fait l’objet de certains commentaires, et je m’intéresse particulièrement à ceux du Barreau canadien. Ses représentants ne sont pas avec nous aujourd’hui pour des raisons de contraintes, mais ils le seront éventuellement.
J’espère que vous avez obtenu une copie du mémoire. Si c’est le cas, j’aimerais avoir vos commentaires sur les suggestions qui sont faites par le Barreau canadien à l’égard des trois aspects du projet de loi pour lesquels il propose des amendements.
La sénatrice Miville-Dechêne : Malheureusement, sénateur Dalphond, vous allez devoir me nommer ces amendements. Je n’ai pas reçu ce mémoire. C’est dommage.
Le sénateur Dalphond : Je crois que les mémoires ont été distribués par le greffier, mais on vous a peut-être oubliée. Je m’en excuse.
Je vais résumer le mémoire, mais je ne veux pas qu’on m’accuse de ne pas dire ce que dit le Barreau canadien. Le premier changement concerne la limite d’âge, qui est considérée comme arbitraire. Je vous explique pourquoi. L’âge du consentement aux activités sexuelles prévu au Code criminel est de 16 ans. L’Association du Barreau canadien suggère donc que le projet de loi soit amendé pour interdire aux entreprises de distribuer de la pornographie aux jeunes de moins de 16 ans plutôt que 18 ans.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma réponse à cet égard sera relativement facile. Comme vous le savez, dans le monde non virtuel, la pornographie est réservée aux plus de 18 ans. Donc, je ne vois pas en quoi le fait de choisir l’âge de 18 ans dans le monde virtuel est, comme l’a dit le barreau, arbitraire. Cela n’a rien d’arbitraire. C’est la norme dans la société.
Pour entrer dans un sex-shop, pour acheter du matériel pornographique, pour entrer dans des cinémas où l’on présente des films pornographiques, la norme veut que la personne doive être âgée de 18 ans. Évidemment, on pourrait changer la norme.
D’un point de vue plus philosophique, il est tout à fait vrai que l’âge du consentement est de 16 ans. De nos jours, les jeunes sont davantage exposés en ligne à des scènes de nudité et de sexualité. Sur certains sites pornographiques gratuits, on voit des scènes beaucoup plus dures qui incluent parfois de la violence et des actes dégradants. Aujourd’hui, cela semble être la norme. Le lien entre le fait de regarder beaucoup de pornographie et les maux qui en résultent est là. Que l’on soit âgé de 15 ou de 16 ans, l’influence négative est présente dans la mesure où ces scènes ne reflètent pas une sexualité de base.
Le sénateur Dalphond : Nous entrons dans la question du contenu du matériel pornographique.
La sénatrice Miville-Dechêne : Bien sûr.
Le sénateur Dalphond : Comme le temps file, j’aimerais passer à un autre point.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’essaie juste de vous expliquer le fait que notre norme...
Le sénateur Dalphond : Mes quatre minutes seront écoulées avant que vous ayez terminé.
La sénatrice Miville-Dechêne : Allez-y.
Le sénateur Dalphond : Mes deux prochaines questions sont assez simples. Je vous laisserai le soin de lire les deux autres objections du Barreau canadien et on pourra en rediscuter plus tard, lorsque leurs représentants comparaîtront.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’essaierai d’être plus brève dans mes réponses, sénateur Dalphond.
Le sénateur Dalphond : La prochaine question porte sur le contenu de l’avis. À l’article 8, on prévoit qu’un organisme désigné par le gouvernement pourra envoyer des avis de non‑conformité dans lesquels on accorde un délai à une organisation pour lui permettre de prendre certaines mesures.
Serait-il possible d’amender votre texte pour prévoir que l’autorité en question ait le pouvoir d’accorder une prolongation du délai de 20 jours?
La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.
Le sénateur Dalphond : Parfois, la démarche peut être plus technique et complexe et certains répondront qu’ils aimeraient bien le faire, mais que cela pourrait prendre deux mois.
La sénatrice Miville-Dechêne : Un des experts juridiques que j’ai consultés m’a justement dit qu’il serait préférable de donner à l’organisme ou à ces personnes la possibilité de prolonger le délai si nécessaire, si l’on voit que la coopération est bonne.
Le sénateur Dalphond : Ce serait mon premier amendement, et nous sommes d’accord.
Deuxièmement, à l’article 9, on parle de la demande à la Cour fédérale. On dit que la personne ou l’autorité peut, dans les 20 jours suivant l’expiration du délai...
La présidente : J’ai le regret de vous dire que votre temps de parole est écoulé.
La sénatrice Clement : Madame la sénatrice, je dois d’abord vous féliciter de votre préparation toujours très rigoureuse. Votre dévouement et votre niveau de préparation m’impressionnent. Bien sûr, j’ai manqué plusieurs propos qui ont été prononcés précédemment. Mes commentaires seront donc plutôt d’ordre général.
J’aurais d’abord besoin d’avoir plus d’information au sujet des technologies. La première fois que j’ai lu votre projet de loi, je me disais que les gens trouveraient sûrement des façons de contourner la loi. Il me faudrait donc plus d’information sur les technologies. Je pense plus particulièrement aux VPN, les virtual private networks, et à toutes les façons sinueuses de contourner les choses.
Mon autre commentaire est aussi d’ordre général. C’est sans doute ce que vous avez fait, mais s’est-on suffisamment penché sur des moyens autres que le droit criminel pour parler aux jeunes et les éduquer, afin qu’ils sachent comment naviguer dans tout ce matériel et qu’ils comprennent l’impact néfaste à long terme que ce dernier pourrait avoir sur leur vie sexuelle? En a‑t‑on suffisamment discuté en société? Je pense aux parents et à la possibilité d’éduquer les jeunes. Bloquer l’accès est une chose. Il faut aussi aider les jeunes à comprendre comment naviguer dans tout ce matériel.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie de ces questions importantes. Ce projet de loi n’est certainement ni le début ni la fin du sujet. En parallèle, il faut renforcer les cours d’éducation sexuelle. Au Québec, par exemple, on n’y consacre que quelques heures, il n’y a pas de professeur attitré à cette matière et on ne parle pas forcément de pornographie. Le but est d’outiller nos jeunes. Or, on ne le fait pas assez.
Bien sûr, l’éducation sexuelle est absolument essentielle. Si aujourd’hui nous devons recourir au Code criminel, c’est par précaution, car nous connaissons les torts pouvant résulter de cette pornographie. On applique donc un principe de précaution en disant que les sites pornographiques doivent, comme dans la vie, vérifier l’âge de ceux et celles qui en consomment. C’est la réponse à votre deuxième question.
Pour ce qui est de votre première question, il est vrai que les VPN permettent aux adolescents — car ce sont surtout eux qui les utilisent — de contourner les vérifications de l’âge, car les adolescents donnent de fausses informations sur leur lieu de résidence. Avec un VPN, on ne peut pas, par exemple, détecter s’ils résident au Canada. Il existe donc une possibilité de contournement pour bon nombre d’adolescents.
Selon les études, la moyenne d’âge des jeunes qui commencent à regarder de la pornographie est de 11 ans. Ces mêmes études montrent que les plus jeunes, âgés de 13 ans et moins, ont bien moins recours aux VPN. Ils ne connaissent pas cette technologie et elle ne fait pas partie de leur quotidien. Qu’il s’agisse de mon projet de loi ou d’un projet de loi d’un autre pays — car je ne suis pas la seule à emprunter cette voie —, on ne cherche pas à empêcher toute personne mineure de voir de la pornographie. On cherche plutôt à épargner les enfants les plus vulnérables en leur évitant de voir de la pornographie.
Le projet de loi n’est pas parfait. Au même titre, sénatrice, on ne peut pas empêcher les enfants de trouver des manières d’obtenir une bouteille d’alcool par un système ou un autre dans la vraie vie. Je ne sais pas si vous comprenez. On n’a pas attendu d’avoir un système efficace à 100 % avant de décider que la pornographie ne s’adressait pas aux enfants, mais plutôt à un auditoire adulte. Je crois qu’il devrait en être de même pour Internet, car c’est devenu la façon pour les enfants de regarder de la pornographie et d’y devenir accros.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Merci, madame la sénatrice, d’avoir présenté ce projet de loi. Je sais, d’après les discussions que nous avons eues et le travail que vous faites à ce sujet depuis un certain temps, que vous vous intéressez aussi beaucoup à l’éducation du public. Je suis curieuse de savoir comment vous voyez l’interaction entre ce projet de loi et l’amélioration de l’éducation du public, et en particulier des jeunes. Je sais que vous en avez déjà parlé un peu, mais j’aimerais que vous nous expliquiez cela davantage et que vous nous disiez comment vous percevez l’intensification de cette démarche inspirante.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Nous savons que le fait de supprimer certains contenus n’est pas la façon de faire de l’éducation sexuelle. Les jeunes doivent être en mesure d’obtenir une éducation sexuelle saine; et cela fait partie de mes valeurs. Cette éducation doit être offerte par des professionnels dans les écoles, car les parents sont dépassés. Bien sûr, c’est une de leurs responsabilités. Toutefois, étant donné la disponibilité des contenus de toutes sortes sur Internet, une éducation sexuelle de qualité, à toutes les étapes de l’enseignement primaire et secondaire, est plus que jamais essentielle.
En effet, cela permet à l’enfant ou au jeune de faire la différence entre ce dont on discute, les questions de consentement, de malaise, d’égalité entre les partenaires, tout ce dont on discute dans un vrai cours d’éducation sexuelle, et ce qu’on voit dans la pornographie, qui ne fait pas forcément dans le consentement. On y voit des actes sexuels qui sont souvent de la performance, ce qui donne une image assez tordue aux enfants de ce qu’est la sexualité.
Je n’entrerai pas, comme dit le sénateur Dalphond, dans tous les détails de ce qu’il y a sur ces sites pornographiques, que j’ai évidemment consultés avant de proposer ce projet de loi. Cependant, je dois vous dire que cela n’empêche rien. Ce n’est pas parce que Pornhub prétend avoir une page où il est question d’éducation sexuelle sur son site qu’on a la solution, parce qu’évidemment il faut que cette éducation sexuelle soit autre chose. Ce n’est absolument pas ce qu’on retrouve sur les sites pornos et malheureusement, beaucoup d’adolescents disent qu’ils font leur éducation sexuelle sur les sites pornographiques. Tout cela m’inquiète au plus haut point, parce que cela peut faire reculer des principes importants pour moi, qui sont ceux de l’égalité entre les sexes. C’est un critère de base pour avoir une sexualité épanouie. Le désir des deux personnes, et non d’une seule. Ce n’est pas souvent ce genre de scène que l’on voit dans la pornographie.
De plus, je crois que le projet de loi envoie un signal normatif fort pour ce qui est du besoin d’avoir des programmes d’éducation sexuelle. Il est étonnant de voir la conversation que mon projet de loi a suscitée. Beaucoup de parents sont inquiets, mais on n’en parlait pas autant; or, je crois qu’on dit : « Très bien, on bloque les sites », mais qu’est-ce qu’on offre aux mineurs pour qu’ils puissent avoir une éducation sexuelle complète? Cela pourrait se trouver sur Internet. Il suffirait qu’on assure un équilibre et qu’Internet offre des programmes gratuits et bien faits pour les jeunes et les enfants, qu’ils pourraient même consulter à l’extérieur de la classe.
[Traduction]
Le sénateur Wetston : Merci, sénatrice Miville-Dechêne, de votre travail dans ce dossier. Vous en êtes plus ou moins à votre deuxième tentative en ce qui a trait à ce projet de loi. Je voulais simplement vous poser quelques questions d’ordre général.
D’autres pays ont mis en œuvre des mesures visant à régler les problèmes d’accès à la pornographie par des pré-adultes — je vais désigner ce groupe ainsi —, y compris la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. En fait, je ne sais pas si le Royaume-Uni a réussi à mettre en œuvre de telles mesures, mais la France et l’Allemagne, oui, je crois.
Avez-vous de l’information qui pourrait servir à décrire le succès qu’ils ont eu dans la mise en œuvre de leurs programmes?.
Je vais vous poser rapidement une deuxième question, qui se greffe à la première : comment mesureriez-vous le succès de la mise en œuvre de cette loi et de la création de règlements? S’agirait-il du nombre d’avis délivrés par les fournisseurs de services Internet ou par l’organisme que vous décrivez? Je vous serais reconnaissant de me donner une idée de ce que cela pourrait être. Merci.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Pour répondre à votre première question, il est évident que nous sommes à l’aube de cette législation, mais deux pays sont très en avance sur nous, soit la France et l’Allemagne. Depuis une dizaine d’années, l’Allemagne oblige les sites pornos nationaux, c’est-à-dire allemands, à vérifier l’âge de leurs clients, et cela s’est fait sans difficulté. Tous ont obéi. Pour ce qui est des sites internationaux, il y a un problème.
Il y en a seulement un, à vrai dire, qui a obtempéré et qui a fait une vérification de l’âge. Il s’appelle FanCentro. C’est un site américain qui a fait la vérification de l’âge avec un site qui s’appelle Yoti et qui a admis que cela fait une différence sur le nombre d’usagers. Par ailleurs, les Allemands en sont à l’étape où ils ont envoyé des avis de non-conformité à plusieurs sites, notamment Pornhub, mais aussi xHamster, et selon mes sources, ils sont sur le point de faire bloquer, par les fournisseurs de services Internet, un de ces sites pornographiques internationaux qui n’a pas imposé de vérification de l’âge. C’est l’Allemagne qui va le plus loin dans la mise en place de ces lois.
Toutefois, nous avons appris une nouvelle. De mon point de vue, il s’agit d’une très bonne nouvelle, parce que la Grande-Bretagne était vraiment un leader dans la vérification de l’âge, et ses efforts avaient été interrompus quand Boris Johnson a décidé de ne pas aller de l’avant avec le projet de loi. Hier, juste avant la tenue de notre réunion, le gouvernement britannique a annoncé qu’il allait vraiment renforcer le projet de loi qui est à l’étude en ce moment, et qui s’appelle Online Safety Bill, pour obliger tous les sites pornos à faire la vérification de l’âge. Les amendes, tenez-vous bien, ne sont pas de 250 000 $, comme dans mon projet de loi; on parle ici de 10 % des revenus des plateformes en question. On parle donc d’un projet de loi qui irait beaucoup plus loin que le mien, parce qu’il ne toucherait pas que les sites pornographiques gratuits, mais aussi les plateformes Internet plus largement.
Voilà pour votre première question. Pour ce qui est de la deuxième, comment mesurer le succès?
Probablement qu’on pourrait mesurer l’efficacité avec le nombre d’avis de non-conformité, mais idéalement, ce que nous souhaitons, c’est que les sites pornographiques se conforment. L’idéal — et on s’en rendrait compte assez vite — serait que les plus gros sites pornographiques du monde entier, soit une cinquantaine, se conforment. S’il y a suffisamment de pays qui menacent de bloquer les sites, le capitalisme étant ce qu’il est, peut-être que cela se produira.
La sénatrice Dupuis : Bienvenue, sénatrice Miville-Dechêne. Si on parle des expériences à l’étranger, est-ce que vous pourriez fournir à notre comité des références de témoins extérieurs par rapport à ce qui est actuellement en vigueur et à ce qui fonctionne, c’est-à-dire en France et en Allemagne? Nous avons déjà eu l’année dernière des exposés assez détaillés sur la situation en Grande-Bretagne. On sait qu’ils ont maintenant repris le processus parlementaire, donc il ne s’agit pas du tout d’un système qui est opérationnel.
On parle de nouveaux débats, de nouvelles discussions sur un nouveau projet de loi. C’était ma première question. Pour ce qui est de ma deuxième question, j’essaie de comprendre ceci : dans la version précédente du projet de loi, on parlait de « toute personne qui, pour des fins commerciales, rend accessible du matériel sexuellement explicite ». On a modifié ce terme pour « toute organisation »; pouvez-vous nous préciser qui vous visez ici?
La sénatrice Miville-Dechêne : Pour répondre à votre première question, oui, j’ai fourni des noms de témoins qui pourraient parler de la situation en Allemagne et en France qui, comme vous l’avez dit, ne sont pas aussi avancées qu’on le croit.
Pour ce qui est de la question des organisations, j’ai fait deux changements et j’ai effectivement retiré la mention des individus. Avant, on ciblait les entités et les personnes pour l’infraction pénale. J’ai retiré la référence aux personnes, mais en général, la plupart des critiques que j’ai reçues sont venues des experts que j’ai consultés après la dernière réunion du comité. Par exemple, des jeunes pourraient s’échanger de la pornographie pour de l’argent, et ils pourraient donc être visés par la loi, d’une certaine façon. C’est aussi le cas de femmes qui se livrent à la prostitution, qui se trouvent sur des sites pornos et qui pourraient donc être ciblées. Toutefois, rappelons-nous que ce que l’on cible, ce sont les sites pornos, et non les individus qui se trouvent sur ces sites pornos. En effet, pour installer un système de vérification de l’âge, il faut avoir une organisation.
On a choisi le terme « organisation », parce qu’il est défini à l’article 2 du Code criminel, qui précise que ce terme fait référence à une personne morale, une société, une compagnie, une société de personnes ou une entreprise. Donc, on parle d’une structure organisationnelle qui est connue comme telle par le public. On trouvait que ce terme était suffisamment large pour rassurer les individus qui avaient peur d’être poursuivis et pour respecter l’intention de notre projet de loi. On a précisé davantage l’intention de notre projet de loi dans cette nouvelle mouture.
Dans le préambule du projet de loi, on dit ce qui suit, et je cite :
[...] une proportion importante du matériel sexuellement explicite est rendue accessible sur Internet à des fins commerciales — en particulier par le biais de sites pornographiques [...]
Je sais que c’est seulement dans le préambule, mais on a ajouté l’intention à la nouvelle version du projet de loi.
Évidemment, il reviendra aux tribunaux et aux organes décisionnels de décider qui sera touché. Juridiquement, on a choisi d’utiliser des termes connus. L’idée de nommer seulement les sites pornographiques dans le corps du projet de loi semblait, selon les experts que nous avons consultés, impossible parce qu’il fallait créer une nouvelle définition. Je ne devrais pas dire que c’était impossible, mais cela semblait plus complexe parce qu’il faudrait créer une nouvelle définition de ce qu’est un site pornographique.
La sénatrice Dupuis : C’est la raison pour laquelle j’essayais de réconcilier ce qu’il y a dans le préambule avec ce que vous venez juste de citer.
[Traduction]
Le sénateur Campbell : Merci de ce projet de loi, madame la sénatrice.
Ma question porte principalement sur Internet en général. Nous avons vu de nombreuses tentatives, pour diverses raisons, de contrôle d’Internet par le gouvernement. Nous le voyons avec Facebook, et nous le voyons avec tous les sites. Très franchement, à moins que je me trompe terriblement, le gouvernement a échoué à assujettir l’une ou l’autre de ces organisations à la réglementation. C’est presque, comme vous l’avez dit, le « Far West ». On a l’impression que les gens ont le droit de faire ce qu’ils veulent lorsqu’il s’agit d’Internet.
Je pense que nous devrions continuer d’essayer; je ne dis pas que nous devrions arrêter d’essayer et abandonner. Avez-vous l’impression que nous avons ici une occasion de nous occuper d’Internet, et de cette question en particulier, comme cela n’a jamais été fait auparavant?
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Absolument, sénateur Campbell. Il est vrai qu’il y a certains domaines d’Internet qui ne sont toujours pas réglementés. Il y a certainement des batailles. Pensez aux paris et aux jeux en ligne. Pour le jeu en ligne au Québec, il y a Loto-Québec; il s’agit d’une société publique où il y a des vérifications de l’âge très serrées qui font que les adultes seulement peuvent entrer sur ces sites. Évidemment, vous me direz qu’on prend des empreintes de cartes de crédit et que cela aide les choses. Je m’y suis rendue dernièrement, et j’ai pu constater qu’on demande aussi les cartes d’identité.
Il y a des gens en place, pour ce qui est du jeu en ligne, et des systèmes de vérification de l’âge qui fonctionnent parce qu’il y a un consensus qui veut que seuls les adultes doivent pouvoir jouer et parier. C’est exactement ce qui s’est passé en Angleterre parce que, dans ce cas, il y avait aussi du jeu en ligne privé. Il y a donc eu, dans ce cas-ci, une obligation de vérifier l’âge parce que, à un moment donné, tous les enfants fréquentaient les sites de jeu. Cependant, au Canada, comme ce sont les gouvernements qui, en général, ont des sociétés de jeu en ligne, on fait assez diligemment la vérification de l’âge.
Je vous dirais que je fais un parallèle avec cela. On parle ici d’un consensus dans la société, selon lequel les enfants, les mineurs ne doivent pas avoir accès au jeu en ligne ni à la pornographie puisque, dans la vraie vie, les enfants n’entrent pas dans les casinos ni dans les boutiques érotiques. Cela fonctionne très bien dans les autres secteurs. Je crois qu’il est temps d’appliquer les vérifications de l’âge pour la pornographie également. C’est là qu’il y a de petits enjeux supplémentaires. Comme ce sont des sites gratuits, on n’utilise pas automatiquement de carte de crédit. Il faudrait des moyens plus sophistiqués pour évaluer l’âge du client du site pornographique.
[Traduction]
Le sénateur Campbell : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Bonne chance.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à la sénatrice Miville-Dechêne. Je suis 100 % d’accord avec votre projet de loi. J’ai été estomaqué de constater à quel point il était facile, en deux clics, avec Google Images, de trouver du matériel pornographique gratuit. Je l’ai essayé pour voir comment cela fonctionnait. J’ai été troublé de voir le type de photos qu’on pouvait trouver; il y a même des photos d’adolescents. C’est vraiment choquant. Je ne sais pas si la police intervient là-dessus. Je vais poursuivre mon enquête.
Avez-vous parlé aux gens de Google? Si oui, quelle a été leur réaction? Sinon, pourquoi? Comment voyez-vous la mise en œuvre de votre projet de loi quand, en deux clics et en utilisant Google, un enfant de 10 ans peut avoir accès à du matériel pornographique que je qualifierais de haut niveau, pour être poli?
La sénatrice Miville-Dechêne : De bas niveau.
Le sénateur Carignan : Oui, de bas niveau, excusez-moi.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci de votre question. En effet, c’est affolant. Vous n’êtes pas entré dans un site pornographique?
Le sénateur Carignan : Non.
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez simplement cliqué sur un moteur de recherche.
Le sénateur Carignan : Exactement.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous dirais que c’est une première, parce que mon projet de loi vise avant tout les sites pornographiques. La Grande-Bretagne essaie de viser plus largement la pornographie qui existe aussi dans les médias sociaux et un peu partout. J’ai choisi de présenter un projet de loi plus modeste, parce que ceux qui regardent de la pornographie le font surtout sur des sites pornos. On vise quand même le cœur du visionnement de la pornographie. Ce que vous dites est vrai. Il y a au Canada pas mal de mesures visant à éliminer les images d’exploitation sexuelle chez les mineurs sur l’ensemble du Web. Le Centre canadien de protection de l’enfance, situé à Winnipeg, est une institution très sérieuse, qui a notamment créé le projet Arachnid. Cette plateforme détecte des images d’abus pédosexuels sur le Web et demande souvent aux fournisseurs de services Internet de retirer ce genre de matériel.
Vous savez aussi que les médias sociaux disent qu’ils retirent ce genre de matériel de leurs plateformes. Il y a quand même un peu de travail qui se fait dans le cas de l’exploitation sexuelle, mais pas de la pornographie. C’est cela, la différence. Dès qu’on est en face d’images d’adultes qui peuvent être assez perturbantes pour des enfants, c’est le Far West. Tout est permis. C’est vraiment une étape de mon projet de loi. Je pense qu’il faudra sans doute aller plus loin, mais commençons par cela.
Le sénateur Carignan : Avez-vous été en contact avec des gens de Google? Pensez-vous qu’ils devraient venir témoigner?
La sénatrice Miville-Dechêne : Oui, mais je crois que là où le bât blesse, ce sont les moteurs de recherche. En effet, disons qu’on bloque un site qui est distribué au Canada, un enfant peut aller sur un moteur de recherche et trouver immédiatement 40 autres sites.
Comment faire pour que ces moteurs de recherche ne donnent pas de référence à la porno? C’est effectivement ce qui se fait avec Google. Ce que j’ai compris — car je ne l’ai pas appris directement —, c’est qu’une réflexion a été amorcée à ce sujet. Cela ne veut pas dire qu’elle est très avancée.
On peut les faire témoigner devant notre comité, sauf qu’ils ne sont pas directement liés à cet aspect de la question. C’est la prochaine étape. Toutefois, je crois qu’il serait intéressant de savoir ce qu’ils ont à dire.
Le sénateur Carignan : Merci.
La présidente : Passons au deuxième tour de questions. Il nous reste très peu de temps. Je vais accorder à chacun deux minutes pour le deuxième tour.
Le sénateur Boisvenu : Je vais y aller rapidement.
Sénatrice, d’un point de vue technique, dans la précédente mouture, je me souviens que nous avions discuté des technologies qui permettraient de contrôler l’âge d’une personne à l’entrée du site. Je pense que cette technologie représente un point crucial. Je me souviens également des discussions que nous avons eues sur la technologie mise en place par la compagnie Yoti.
Dans beaucoup de lois ou de règlements qui sont adoptés, le gouvernement doit souvent préciser un type de technologie que les entreprises doivent mettre en place lorsqu’elles sont prises en défaut.
Pour quelle raison n’avez-vous pas inclus dans votre projet de loi un type de technologie qui devrait être utilisé par les entreprises?
La sénatrice Miville-Dechêne : Sénateur Boisvenu, la raison est très simple. Tout cela évolue à une très grande vitesse. Donc, nous croyons — et nous avons consulté des experts en technologie à ce sujet — qu’il vaut mieux fixer des normes, à savoir quelles sont les normes que ces systèmes de vérification doivent atteindre en matière de vie privée, d’effacement des données, notamment, plutôt que de les obliger à utiliser une certaine technique.
Ce secteur se développe. Vous savez, Yoti avait parlé non seulement de la possibilité de faire une vérification avec une carte d’identité, avec une image de la personne qui bouge et qui demande l’identité et avec l’analyse faciale. C’est une technologie en plein développement qui permet d’évaluer l’âge. Toutefois, il faut savoir que toutes ces données doivent être effacées le plus rapidement possible. C’est sur ce genre de normes qu’il faut que la réglementation soit stricte, parce qu’il y aura plusieurs compagnies. Vous avez parlé de Yoti, mais une autre compagnie, qui s’appelle Bluink, utilise une plateforme d’identification numérique au Canada. Peu importe la technologie, ce qui compte, c’est que cette technologie respecte la vie privée et qu’elle soit efficace.
Le sénateur Dalphond : J’ai deux petites questions techniques. Je les pose tout de suite, puis je vous laisse le temps d’y répondre.
Premièrement, à l’article 9, on prévoit que l’organisme qui serait chargé de l’application de la loi peut, dans les 20 jours suivant l’expiration du délai de 20 jours prévu à l’article 8, entreprendre des procédures devant la Cour fédérale. Je comprends par cela que vous donnez un choix et que l’organisme n’a pas l’obligation d’aller en Cour fédérale.
Deuxièmement, pouvez-vous m’expliquer le sens du paragraphe 9(5), à propos de l’effet de l’ordonnance que la Cour fédérale juge nécessaire pour garantir de rendre certains types d’ordonnances? Qu’aviez-vous en tête à cet égard?
La sénatrice Miville-Dechêne : C’est une façon très complexe de dire que la Cour fédérale...
Dans les grandes lignes, on veut que la Cour fédérale entende les parties. C’est là qu’on dit qu’il y a quand même des moyens de défense pour les sites pornographiques et que, si on juge que la vérification de l’âge... Si on juge que la loi n’a pas été appliquée, ce à quoi on s’attend, c’est que la Cour fédérale émette une ordonnance de blocage, qui obligerait les fournisseurs de services Internet, dont Bell et Vidéotron, à utiliser différents procédés qui sont soit l’adresse IP, soit le domaine, soit l’adresse URL, non seulement pour bloquer le matériel vu par l’enfant X ou Y, mais aussi l’ensemble du matériel sexuellement explicite sur le site en question qui n’a pas respecté la loi.
Toutefois, je ne prétends pas...
La sénatrice Dupuis : Je voudrais revenir à la question de l’article 5. Je suis un peu surprise d’entendre que les moteurs de recherche ne seraient pas couverts.
Dans le préambule, vous dites que tout ce qui est rendu accessible sur Internet à des fins commerciales serait visé. Toutefois, dans l’article 5, on dit « toute organisation ». Dans l’énoncé de l’article 5, il n’y a rien qui limite l’accès à des sites pornographiques; j’essaie de comprendre tout cela.
Quelles organisations vise-t-on? Est-ce qu’on vise toutes les organisations qui permettent l’accès à du matériel sexuellement explicite? C’est ce que l’article 5 laisse sous-entendre. Toutefois, vous dites que non, parce que les moteurs de recherche ne sont pas couverts. À ce moment-là, on n’a rien réglé, il me semble.
La sénatrice Miville-Dechêne : Votre question est pertinente. D’après les experts que j’ai consultés, on a fait part de l’intention principale du projet de loi, qui est de viser les sites pornographiques. Cependant, on n’a pas exclu quoi que ce soit d’autre, selon la façon dont les choses évoluent. L’intention est, d’abord et avant tout, de viser tous les sites pornographiques.
Vous avez raison de dire qu’il n’est pas écrit noir sur blanc que les moteurs de recherche de Google ne sont pas visés. Toutefois, d’après ce que je comprends, pour ce genre de projet de loi qui est écrit de cette façon, en général, ce sont les sites pornographiques qui sont les plus faciles à viser.
Cela ne veut pas dire que la Couronne, les policiers et tout le monde pourraient décider d’y aller de façon proactive. Cependant, sénatrice Dupuis, je crois qu’on n’en est pas encore là. Il faudra du temps pour « nettoyer » les médias sociaux des vidéos de pornographie qui pourraient s’y trouver, qui sont là, qui sont diffusés par des utilisateurs et qui circulent.
On commence donc avec les fournisseurs de contenu pornographique, qui sont les principaux fournisseurs.
La sénatrice Dupuis : Ce ne sont pas les seuls?
La sénatrice Miville-Dechêne : Non, mais il y a la pornographie...
[Traduction]
Le sénateur Wetston : Sénatrice Miville-Dechêne, j’ai une très brève question au sujet des options. À votre avis, votre projet de loi comporte-t-il à la fois des dispositions administratives et des dispositions pénales? Les dispositions pénales de votre projet de loi visent-elles à dissuader les organisations de faire ce que vous tentez d’empêcher? Est-ce là l’objectif principal?
Je dis cela parce que, comme vous le savez sans doute, il y a beaucoup de dispositions dans le Code criminel qui traitent de différents aspects de ce que j’appellerai les crimes sexuels. Nous sommes conscients qu’Internet est la scène du crime du XXIe siècle. Avez-vous des commentaires sur le choix que vous avez fait et sur l’objectif des dispositions pénales?
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Absolument. Vous avez raison de dire que, étant donné qu’il y a deux voies, celle-ci, de mon point de vue, envoie un signal fort, parce que c’est une infraction criminelle; cela envoie un signal. Jusqu’à maintenant, il n’y avait que l’article 171.1 du Code criminel, qui dit ceci, et je cite :
Commet une infraction quiconque transmet, rend accessible ou distribue ou vend du matériel sexuellement explicite :
a) à une personne âgée de moins de dix-huit ans [...]
On ajoute donc qu’il s’agit d’une infraction commise en vue de faciliter la perpétration à son égard d’une autre infraction sexuelle.
On n’avait donc pas prévu, dans le Code criminel, d’infraction spécifique sur le seul fait de distribuer du matériel sexuellement explicite à des mineurs. On a dû créer cette infraction.
Évidemment, on l’a créée à partir du Code criminel, parce que le Code criminel contient la plupart des infractions de nature sexuelle, que ce soit l’exploitation sexuelle des enfants ou la pédopornographie. Tout se trouve dans le Code criminel. On a donc jugé que c’était la meilleure façon de légiférer, mais selon moi, il est clair que la voie administrative sera sans doute la moins difficile à utiliser, d’autant plus, sénateur Wetston, que la plupart de ces sites pornographiques — je l’ai dit plusieurs fois — sont hébergés sur des serveurs situés à l’étranger. Donc, lancer des accusations criminelles...
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie, sénatrice Miville-Dechêne, de votre exposé exhaustif et de vos réponses détaillées à nos questions. Nous vous sommes reconnaissants de toujours être disponible.
Chers collègues, nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe de témoins, en commençant par M. Michael A. Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’Internet et du commerce électronique de la Section de common law à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa; Lara Karaian, professeure associée à l’Institut de criminologie et de justice pénale de l’Université Carleton, et Brian Hurley, directeur du Conseil canadien des avocats de la défense.
[Français]
Avant de commencer avec les témoins, je veux présenter les membres du comité. Il s’agit du sénateur Boisvenu, du sénateur Campbell, du sénateur Carignan, de la sénatrice Clement, du sénateur Cotter, du sénateur Dalphond, du sénateur Dawson, de la sénatrice Dupuis, de la sénatrice Pate, du sénateur Wetston et du sénateur White.
[Traduction]
Nous sommes prêts pour vos exposés, en commençant par M. Geist.
Michael A. Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’Internet et du commerce électronique, Section de common law, Faculté de droit, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup au comité de m’avoir invité. J’ai déjà comparu devant certains d’entre vous par le passé. Je suis content de vous retrouver et j’espère que votre santé est bonne.
Je m’appelle Michael Geist. Je suis professeur de droit à l’Université d’Ottawa, où je suis titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’Internet et du commerce électronique et membre du Centre de recherche en droit, technologie et société. Je comparais à titre personnel et les opinions que je vais exprimer n’engagent que moi.
Je remercie le comité de m’avoir invité à comparaître au sujet du projet de loi S-210. Je dois d’abord dire que je ne suis pas réfractaire à l’idée de répondre aux préoccupations soulevées dans le projet de loi. J’ai trois enfants qui sont adolescents et au début de la vingtaine et qui ont eu la chance de grandir dans un foyer où les ordinateurs avec accès à Internet étaient omniprésents. Mes préoccupations comme parent, à l’instar de nombreuses autres personnes, comprenaient l’exposition à un contenu inapproprié compte tenu de leur âge. Je croyais à l’époque et je crois toujours qu’il est de ma responsabilité de m’occuper de cette question, y compris grâce à l’éducation, à des conversations franches et à une évaluation, afin de déterminer la pertinence d’utiliser des outils ou des filtres de blocage internes.
Par ailleurs, il y a de nombreuses années, lorsque le gouvernement a collaboré avec les fournisseurs de services Internet pour mettre sur pied le projet Cleanfeed Canada, une initiative visant à bloquer l’accès aux pires images de pornographie juvénile, j’ai appuyé publiquement cette initiative, ce qui me semblait la chose à faire, étant donné que le contenu proprement dit était illégal et que le blocage se limitait à des images précises et non à des sites Web complets. Bien que le blocage de certaines images illégales puisse être justifié, ce projet de loi ne l’est pas. En effet, en regroupant le blocage de sites Web, les technologies de reconnaissance faciale et une portée excessive effarante, qui engloberait de nombreux services généraux, le projet de loi ne représente pas seulement une pente glissante, mais bien un dérapage complet.
Les préoccupations sont nombreuses, mais compte tenu du peu de temps dont je dispose, je vais me concentrer sur trois d’entre elles.
Tout d’abord, il y a le recours au blocage des sites Web. Je me rends compte qu’il y a peut-être eu des amendements dans cette version du projet de loi pour faire intervenir les tribunaux, mais le recours au blocage des sites comme mécanisme d’application demeure troublant. Le danger d’un blocage de sites Web légitimes soulève de graves préoccupations en matière de liberté d’expression, d’autant plus que l’expérience suggère que le blocage des systèmes est susceptible d’aboutir à un blocage excessif. Nous l’avons constaté au Canada en 2005, lorsque TELUS a tenté de bloquer l’accès à un seul site appuyant une action syndicale et s’est retrouvé à bloquer des centaines d’autres sites Web.
Les coûts associés au blocage de sites Web peuvent atteindre des millions de dollars, compte tenu des investissements importants nécessaires dans les technologies et les services de blocage, du temps que les employés consacrent à mettre en œuvre les commandes de blocage et des problèmes de service connexes. Il en résulterait des coûts plus élevés pour les consommateurs et un accès moins abordable aux services Internet dans l’un des pays où les coûts sont déjà les plus élevés au monde.
En fait, dans le cadre de la récente consultation du gouvernement sur le contenu préjudiciable en ligne, la perspective du blocage de sites Web a été largement décriée. Le rapport Ce que nous avons entendu de Patrimoine canadien, publié la semaine dernière, indique ceci :
De nombreux répondants ont critiqué la proposition d’autoriser le blocage de plateformes entières, recommandant plutôt une proposition plus ciblée et conforme aux droits de la personne visant à cibler des pages web précises. Quelques défenseurs des travailleuses du sexe ont expliqué que la portée excessive du pouvoir était particulièrement inquiétante pour eux [...]
Et on parle là de contenu illégal, alors que ce projet de loi vise du contenu légal.
Deuxièmement, je m’inquiète tout autant du recours aux technologies de vérification de l’âge, en particulier du recours possible à la reconnaissance faciale. Nous commençons à peine à prendre conscience des risques associés à de telles technologies, qui soulèvent des préoccupations en matière de protection de la vie privée, des craintes de partialité et d’erreur, des risques pour la sécurité et la possibilité d’une utilisation à mauvais escient.
Le fait de prendre des dispositions législatives concernant leur utilisation va directement à l’encontre du mouvement actuel qui cherche à restreindre l’utilisation de ces technologies jusqu’à ce qu’un cadre réglementaire approprié et efficace soit élaboré. Il y a peut-être des entreprises qui s’acquittent de cela mieux que d’autres, mais en l’absence d’un cadre réglementaire, la dernière chose que nous devrions faire, c’est rendre obligatoire leur utilisation.
Troisièmement, la portée excessive de ce projet de loi est tout simplement stupéfiante. Même si je suis conscient que les personnes qui le proposent ont peut-être en tête certains sites, nous devrions reconnaître que la définition actuelle couvre certains des sites et services les plus populaires et les plus couramment utilisés sur Internet aujourd’hui.
Je présume que de nombreux sénateurs ont des comptes Twitter. J’espère que vous êtes conscients que du contenu explicite est facilement accessible sur cette plateforme. L’intention est-elle d’obliger tous les utilisateurs de Twitter à se soumettre à une vérification de l’âge? Si Twitter refuse de mettre en œuvre un tel système, comme ce serait sûrement le cas, prévoit-on obliger tous les fournisseurs de services Internet au Canada à bloquer l’accès à Twitter? Il en va de même pour Snapchat, où ce genre de contenu pourrait se retrouver, ou Reddit, dont une section étiquetée inappropriée pour un milieu professionnel est remplie de contenu explicite.
Est-ce que tous les Canadiens seront tenus de prouver leur âge pour pouvoir publier un gazouillis ou lire un message sur Reddit? Est-ce que tous ces sites seront bloqués au Canada s’ils ne comportent pas de système de vérification de l’âge? De plus, comme l’a mentionné le groupe de témoins précédent, tous les Canadiens seront-ils tenus de se soumettre à une vérification de l’âge pour utiliser Google? Cela signifie-t-il que les enfants à l’école ne pourront pas faire de recherches sur Internet parce qu’ils ont moins de 18 ans?
Ce ne sont là que quelques-uns des problèmes que pose ce projet de loi. Le fait de confier une grande partie de la responsabilité relative au projet de loi à Patrimoine canadien, alors qu’il s’agit certainement d’une question de sécurité publique, ou pire encore, de confier l’application de la loi au CRTC, qui est déjà confronté à de graves problèmes de crédibilité, ne contribue qu’à empirer les choses.
Je reconnais les bonnes intentions de ce projet de loi, mais en tout respect, je crois que les risques et les préjudices l’emportent de loin sur les avantages. Je serai heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Merci. Nous allons maintenant passer au témoin suivant, la professeure Lara Karaian. Je tiens d’abord à vous remercier. Vous vous êtes rendue disponible à très court préavis. Nous vous avons invitée hier, et vous avez accepté de venir aujourd’hui. C’est assez spécial. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.
Lara Karaian, professeure associée, Institut de criminologie et de justice pénale, Université Carleton, à titre personnel : Merci. Je suis très heureuse d’avoir l’occasion de vous exposer mon point de vue. Étant donné le court préavis, il se peut que mes idées soient un peu moins organisées. Alors j’espère que vous serez patient avec moi.
Comme vous l’avez mentionné, je suis professeure agrégée à l’Institut de criminologie et de justice pénale de l’Université Carleton. J’étudie la réglementation juridique de la sexualité et de la pornographie depuis une vingtaine d’années. Je suis moi-même criminologue, chercheuse en sexualité et chercheuse en études pornographiques.
J’aimerais d’abord souligner les changements de fond apportés au projet de loi initial. J’ai eu l’occasion de lire les versions originale et remaniée. Je tiens à dire que, même si la portée plus restreinte, l’intention clarifiée et les mesures supplémentaires du nouveau projet de loi témoignent de consultations louables auprès d’un éventail d’experts et d’intervenants, j’ai moi aussi des réserves importantes à l’égard du projet de loi. Je vais me concentrer sur des aspects différents de ceux sur lesquels les autres experts mettront l’accès, j’en suis certaine. Je veux parler en particulier des questions de santé et de sécurité publiques, ainsi que des avantages de la pornographie.
Le projet de loi vise à protéger la santé et la sécurité publiques, et non à imposer la prudence et la censure à l’égard de tout matériel à caractère sexuel. L’intention est noble, mais j’aimerais aussi dire que la portée et les répercussions négatives potentielles du projet de loi l’emportent sur les avantages.
Je me ferai un plaisir de vous fournir certaines sources à l’appui de mes affirmations, mais pour l’instant, je vais vous parler des conclusions d’Emily Rothman, professeure de pédiatrie, et de Kimberly Nelson, professeure de sciences de la santé communautaire, toutes deux à l’École de santé publique de l’Université de Boston. Elles s’inspirent du Oxford Handbook of Public Health Practice pour soutenir avant tout que la pornographie ne constitue pas une crise de santé publique.
Une crise de santé publique répond à trois grands critères, à savoir qu’il s’agit d’une situation grave qui nécessite une intervention immédiate; d’une situation susceptible d’entraîner directement la mort ou la maladie, la destruction de biens ou le déplacement de populations; et d’une situation dépassant la capacité des systèmes locaux de maintenir la santé de la collectivité.
De toute évidence, l’accès des adolescents et des adultes à la pornographie ne répond pas aux critères définissant une crise de santé publique pour trois raisons principales.
Premièrement, même avec l’augmentation constante de la pornographie sur Internet et de l’accès à celle-ci, la pornographie et l’accès à celle-ci par les jeunes ne sont pas des situations graves nécessitant une intervention immédiate.
Deuxièmement, la pornographie ne mène pas directement ou de façon imminente à la mort, à des maladies infectieuses, à un état maladif, à la destruction de biens ou au déplacement de populations, malgré les références légitimes au stress émotionnel et psychologique causé à certains jeunes, et aussi les très malheureux, mais rares cas de suicide qui, je le sais, ont été cités pour défendre ce projet de loi. Au bout du compte, le seuil n’est pas atteint en ce qui concerne la portée requise.
Bien que les recherches démontrent que la consommation de pornographie peut avoir des conséquences négatives sur la santé de certains, y compris des jeunes, les études laissent supposer qu’il n’y a pas de conséquences importantes pour la majorité et, en fait, qu’il y a des répercussions positives pour un grand nombre de consommateurs, y compris les jeunes. J’y reviendrai dans un instant. Les conséquences potentielles ne constituent pas un seuil de crise.
Enfin, la pornographie ne dépasse pas la capacité des systèmes de santé locaux de maintenir la santé de la collectivité. Il y a de multiples ressources dans nos collectivités au Canada pour les personnes qui croient avoir été affectées négativement par la pornographie, y compris la thérapie, ce qui fait que ce seuil n’est pas atteint non plus.
Comme le démontrent Nelson et Rothman, le fait de qualifier la pornographie de crise de santé publique a entraîné globalement des politiques injustifiées et inconstitutionnelles, des changements au chapitre du financement et des modes de réglementation, et la pathologisation de formes de comportement sexuel, y compris la consommation de pornographie, qui pourrait restreindre les libertés sexuelles, porter un jugement de valeur sur les sexualités normatives et non normatives et, en fait, aller à l’encontre de la santé publique.
De plus, des décennies d’études corrélationnelles et expérimentales de la pornographie et de sa relation avec la violence sexuelle, ainsi qu’avec les données sur les crimes violents, démontrent que les effets négatifs de la pornographie violente ne sont pas uniformes, et les taux de victimisation aux États-Unis au chapitre du viol démontrent en fait une relation inverse entre la consommation de pornographie et les taux de viol. Les données d’autres pays suggèrent également des relations similaires.
Il me reste peu de temps, mais je voudrais insister sur un point qui est davantage dans mes cordes : dans bon nombre de ces initiatives qui, je le répète, partent de bonnes intentions, on ne prête guère attention au fait que les jeunes sont des êtres sexuels qui ont des désirs, et à l’importance du matériel sexuellement explicite dans la vie de tous les jours.
Ceux qui ont moins de 18 ans et consultent des sites pornographiques ont le plus souvent 16 ou 17 ans, c’est-à-dire qu’ils ont dépassé l’âge du consentement sexuel. Aujourd’hui, nos lois sur l’âge du consentement, au Canada, ont créé un contexte dans lequel les jeunes sont légalement autorisés à avoir des relations sexuelles; ils ont même le droit de créer des représentations sexuelles d’eux-mêmes, pourvu qu’elles soient destinées à un usage privé, comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada, mais ils ne sont pas autorisés à voir des représentations où il y a des adultes. Cela repose en partie sur la prémisse tout à fait erronée selon laquelle le discours sexuel et l’excitation sexuelle, qu’il s’agisse de jeunes ou d’adultes, sont en quelque sorte totalement sans valeur ou nocifs.
J’invite donc le comité à reconnaître que le plaisir sexuel a une valeur intrinsèque et que la pornographie est un discours qui doit être protégé en dehors des contextes pédagogique, artistique ou médical. En effet, la Cour suprême du Canada a jugé que l’expression sexuelle est importante pour l’épanouissement, l’actualisation, l’exploration et l’identité sexuels des adolescents.
La présidente : Merci. Nous passons maintenant à M. Hurley.
Brian Hurley, directeur, Conseil canadien des avocats de la défense : Je remercie le Sénat de m’avoir invité à prendre la parole au nom du Conseil canadien des avocats de la défense. Je suis praticien du droit. Depuis 30 ans, j’exerce le droit pénal, et j’ai participé à un certain nombre de procédures en droit administratif au cours des cinq ou six dernières années de ma carrière.
Comme le premier témoin, j’aborde cette question en tant que père. J’ai deux garçons et deux filles, qui sont âgés de 18 à 24 ans. J’ai commencé par le préambule. Je vais laisser aux experts le soin de parler des préoccupations en matière de santé publique ou de sécurité, mais comme père, je tenais à ce que mes enfants, lorsqu’ils étaient plus jeunes, ne soient pas exposés à la pornographie.
Le deuxième point du préambule concerne la vérification de l’âge. Bien des gens en ont parlé : cette vérification fonctionne‑t‑elle? La consommation de pornographie est tout à fait légale, et nous exigeons une vérification de l’âge. J’aurais voulu que le projet de loi, s’il est adopté, prévoie des pénalités pour les entreprises qui ne traitent pas correctement les renseignements personnels lorsqu’elles vérifient l’âge des internautes.
Comme beaucoup d’experts, je ne suis pas sûr que cela fonctionne. La vérification de l’âge exigée sur d’autres sites pour adultes est très poussée. L’un des plus importants dispositifs se trouve sur les énormes sites de jeu en ligne, qui ont évidemment beaucoup d’argent. Je serais porté à penser que la plupart des citoyens canadiens qui s’adonnent à des jeux d’argent en ligne parfaitement légaux fournissent des renseignements complets à des sites en règle, si je peux m’exprimer ainsi, qui sont extrêmement réglementés. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans le cas de la pornographie.
Le projet de loi définit l’expression « matériel sexuellement explicite » en s’inspirant de l’article 171.1, et plus précisément du paragraphe (5) du Code criminel. C’est un article qu’on ferait bien de consulter. Il est très précis et traite essentiellement du leurre d’enfants avec de la pornographie. Il exclut expressément la pornographie juvénile, car cette question est traitée ailleurs dans le code pénal. Les écrits pornographiques sont également visés.
Je ne suis pas sûr que nous voulions de cet élément dans le projet de loi. Je rejoins ainsi ce que disait Mme Karaian au sujet des jeunes de 16 et 17 ans. S’ils écrivent quelque chose au sujet de leurs expériences sexuelles parfaitement légales et affichent ces textes, on peut présumer qu’ils sont visés par la disposition proposée.
Je fais miennes les préoccupations au sujet de l’absence de définition, d’une portée excessive de la mesure, de l’imprécision et du recours au règlement d’application.
Je préfère cette version-ci du projet de loi à la précédente. À mes yeux, soustraire les consommateurs à l’application des dispositions était le bon choix. Le projet de loi devient ainsi davantage un projet de loi administratif plutôt qu’une mesure pénale, et c’est peut-être la bonne voie.
Cependant, si le texte devient un projet de loi administratif — on se souviendra de la première session —, il devient du même coup un projet de loi de finances. Si un processus administratif est proposé, il faudra un tribunal, un groupe spécial, des agents, faute de quoi l’initiative est vouée à l’échec. Les policiers sont débordés. Il faut qu’il y ait un organisme d’application de la loi et un organisme auquel les manquements sont signalés, si on veut que cela fonctionne. J’ignore ce que font les Français et les Allemands, mais j’imagine qu’ils ont un dispositif de cette nature. Il faut qu’on puisse signaler les infractions. La question mérite réflexion.
Il y a un autre aspect technique à signaler, du point de vue d’un praticien. Je voudrais que le texte devienne un projet de loi d’ordre administratif, s’il est adopté, et que nous options pour une démarche qui ne mène pas immédiatement à des déclarations d’infraction, qu’il y ait des avertissements ou que les déclarations d’infractions soient précédées d’un avis de conformité. C’est la voie que suivent la plupart des projets de loi à caractère administratif. On envoie un avis, et si le destinataire ne se conforme pas, une accusation est portée. Cela tranche avec le projet de loi à l’étude, qui semble nous permettre de passer directement au stade de l’infraction.
Encore une fois, l’expression « but légitime » figure dans le projet de loi. Ce qui me rappelle les propos de M. Geist. Cette expression est très vague et peut être interprétée diversement. Si le Edmonton Sun publie un article sur des femmes qui manifestent les seins nus, comme c’est arrivé l’an dernier, la version en ligne pourrait contenir des photos. Elle peut contenir ce que mon journal local publie s’il s’agit d’articles sur le cannabis : on demande au lecteur s’il a plus de 18 ans, après quoi celui-ci peut lire l’article sur le cannabis. Pourra-t-on parler de but légitime? C’est très vague, et cela m’inquiète.
Je suis heureux que les facteurs aggravants prévus dans le projet de loi précédent — le « matériel obscène » — aient été supprimés. Nous pouvons faire confiance à nos juges pour savoir ce qu’est un facteur aggravant. Je me félicite de cette suppression. C’est certainement un progrès.
Comme je l’ai dit, le recours aux règlements d’application est un gros problème, et de nombreux avocats examinent bien des mesures législatives dans lesquelles les éléments vraiment importants sont renvoyés au règlement d’application, ce qui fait problème, car il va sans dire qu’on peut modifier rapidement les règlements sans aucun débat public. La vérification de l’âge, dont de nombreux intervenants ont parlé, semble présenter bien des problèmes. Si le projet de loi est adopté tel quel, je voudrais qu’il prévoie des mesures de protection des données et des peines sévères pour ceux qui les traitent avec négligence.
Plus important encore, cependant, à la différence des sites de jeu, où on a affaire à une demi-douzaine de grands sites, il y a des milliers et des milliers de sites pornographiques, dont la plupart ne se trouvent pas au Canada. Avocat, je sais que les clients que je vais représenter à ce sujet sont une entreprise de type TELUS et des fournisseurs de services Internet.
La présidente : Merci, monsieur Hurley.
Nous passons maintenant aux questions, en commençant par la marraine du projet de loi, la sénatrice Miville-Dechêne.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai entendu beaucoup de choses pendant ce témoignage sur lesquelles je ne suis pas d’accord, vous le comprendrez.
Madame Karaian, je comprends quand vous parlez des études, mais vous avez parlé d’études sur les adolescents et les adultes. Vous ne parlez pas des enfants, alors que plusieurs études font état de liens probables entre des préjudices et les enfants qui regardent de la pornographie.
Quant au matériel sexuellement explicite, monsieur Hurley, je vous ferai remarquer que la jurisprudence interprète le matériel sexuellement explicite comme étant...
[Traduction]
La présidente : Madame la sénatrice, je vous demanderais de poser des questions plutôt que d’y répondre.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez raison, madame la présidente, je suis désolée.
Ma question s’adresse à M. Michael Geist. J’aimerais vous entendre au sujet du fameux contrôle parental dont vous avez parlé. Je suis certaine que vous n’avez aucune difficulté à le faire fonctionner, car vous êtes Michael Geist et vous connaissez cette technologie. Par ailleurs, les études ont montré que les parents ont beaucoup de difficulté avec ces outils; ils ne les installent pas et ne les comprennent pas. Cela permet manifestement aux enfants de les contourner.
C’est la première chose. De plus, étant donné que vous dites approuver l’objectif du projet de loi et que, au Canada, la pornographie du monde non virtuel est limitée aux 18 ans et plus, ma question est la suivante : comment faire respecter cette loi qui stipule que la pornographie est une industrie réservée aux adultes? Comment faire respecter ce consensus sur Internet?
[Traduction]
M. Geist : Merci beaucoup de la question.
À propos des filtres, les fournisseurs de services Internet sont conscients du problème et ils ont essayé de rendre ces outils facilement accessibles. Avec le temps, ils deviennent de plus en plus faciles à utiliser. Je pense même à mon propre fournisseur qui a fait si grand cas de la connectivité que j’ai, du contrôle que j’ai sur l’accès, de la capacité de bloquer bien plus facilement certains sites.
Il est vrai que les enfants peuvent contourner les filtres, mais c’est peut-être une partie du problème. Dans le groupe précédent, des témoins ont fait bon marché de la possibilité d’utiliser des RPV. De nos jours, les RPV sont intégrés d’office aux navigateurs Web. On a laissé entendre plus tôt que les jeunes de 16 et 17 ans sont probablement [Difficultés techniques] une partie de ce contenu, et qu’ils peuvent probablement donner à leurs parents quelques conseils sur la façon d’accéder à ce qu’ils cherchent. Sauf votre respect, je trouve qu’il est un peu hypocrite de prétendre qu’ils peuvent peut-être contourner les filtres, sans admettre qu’ils peuvent aussi contourner la solution proposée dans le projet de loi. Ils en sont sûrement capables.
Quant à la recherche d’une solution, je suis convaincu que, en gros, il faut mettre l’accent sur le contenu illégal — sur ce qui constitue clairement de la pornographie juvénile et cause indéniablement un grave préjudice, et il nous faut nous assurer d’avoir des outils suffisants à cet égard —, et nous devons veiller à ce que les parents et les éducateurs soient bien outillés. Mais on ne peut pas considérer de la même manière tous les Canadiens, qui seraient tenus d’adhérer à ce système, peut-être avec vérification de l’âge et peut-être même avec la reconnaissance faciale, qu’ils veuillent faire un micromessage, accéder à un site Web ou faire une recherche sur Google, ou encore, ce qui est loin d’être équivalent, qu’ils veuillent jouer en ligne ou accéder à de la pornographie. Aucune comparaison n’est possible.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Ce dont on parle ici, ce sont des sites pornographiques, monsieur Geist, pas de Twitter. Je comprends quand vous dites qu’on peut l’élargir à tout, mais encore faut-il poursuivre Twitter. Je trouve que vous êtes vraiment confiant quant à la possibilité pour tous les parents de contrôler leurs enfants pour ce qui est des sites pornographiques. Ce n’est pas ce qu’on entend. Les parents demandent de l’aide, car ils n’y arrivent pas tous. Tout le monde n’a pas les connaissances en littératie numérique requises pour faire fonctionner ces outils.
[Traduction]
La présidente : Madame la sénatrice, vos quatre minutes sont écoulées et vous ne posez pas de question.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : D’abord, je voulais remercier nos témoins, qui nous ont livré des témoignages intéressants. Ma première question s’adresse à M. Geist. On sait qu’il y a une très grande proximité entre la cybercriminalité et la pornographie. Ce sont des mondes qui se marient très bien. Ma question est la suivante : si les vérifications prévues dans ce projet de loi obligent à fournir des informations confidentielles, comme les pièces d’identité et le passeport, quelles sont vos craintes en matière de vol d’identité?
À cause de ces vols d’identité, comme on l’a vu au Québec, cette information peut être utilisée pour faire du chantage auprès des conjointes et des familles. Il y a eu beaucoup de dénonciations à la police par rapport à cette question.
Ma question est la suivante : si on doit fournir beaucoup d’informations de nature personnelle, même chez un mineur, quel est le danger potentiel de l’utilisation frauduleuse de ces informations?
[Traduction]
M. Geist : Je vous remercie de la question. Tout d’abord, je dois souligner que je ne pensais pas qu’il y avait un lien avec la cybercriminalité. Je pensais qu’il était explicitement entendu que nous parlions de contenu légal et non de contenu criminalisé.
Les risques relatifs aux renseignements personnels sont très importants. Nous pensons aux plus grandes atteintes à la vie privée, par exemple. Dans un grand nombre d’entre elles, ce genre de renseignement était en cause. Pensez à Cambridge Analytica, pensez à certains services qui ont rassemblé d’énormes bases de données constituées d’images. Nous allons littéralement demander à une ou des organisations de recueillir l’image de chaque Canadien qui veut accéder à ces sites parce que, sauf votre respect, la définition d’« organisation » renvoie simplement à celles qui rendent accessible du contenu sexuellement explicite, ce qui comprend la transmission. En effet, des sites comme Twitter et Reddit permettent de télécharger ce contenu et de le rendre accessible. Il ne fait aucun doute que ces sites sont visés par le projet de loi. On n’y trouve rien qui en limite l’application à des sites comme Pornhub. Ce n’est tout simplement pas le cas.
Mme Karaian : Selon des ouvrages de criminologie que je connais, il y a des menaces à la vie privée dans ces données, qui sont à la portée des pirates informatiques. Je comprends qu’aucune donnée n’est parfaitement protégée. Des pirates informatiques se sont même attaqués au gouvernement du Canada. Mais dans les milieux de la criminologie, on parle aussi de la « menace interne ». En ce qui concerne les atteintes à la sécurité des données, on estime qu’entre 43 et 90 % des incidents de sécurité portant sur l’information au sein des entreprises ou des grandes organisations sont le fait de personnes qui appartiennent à ces organisations. Ce ne sont donc pas des pirates de l’extérieur.
Donc, si nous demandons à des organisations particulières — des tierces parties — de détenir cette information, nous ne pouvons pas nécessairement conclure que la menace ne vient que des pirates intéressés par cette information. La menace qui pèse sur ces données peut être le fait d’éléments de l’intérieur de l’organisation.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Hurley, j’ai demandé plus tôt à la marraine du projet de loi quelles sont les procédures judiciaires requises pour en arriver éventuellement à porter des accusations ou à imposer une amende. Selon vous, est-ce que le processus prévu dans le projet de loi, qui peut mener à identifier les contrevenants et les délinquants dans l’application ou la non‑vérification de l’âge des gens, est relativement pratique pour permettre d’en arriver à des résultats?
[Traduction]
M. Hurley : Premièrement, monsieur, il faut déposer une plainte quelque part. Je ne peux pas m’imaginer en train d’appeler la police locale pour porter plainte à ce sujet. Elle répondrait qu’elle a bien d’autres choses à faire. Voilà pourquoi, à mon avis, il faut que le projet de loi repose sur le droit administratif et qu’il y ait un organisme de réglementation capable d’accueillir des plaintes, comme le CRTC, même si j’ai évidemment entendu des préoccupations à ce sujet. J’espère néanmoins que ce texte deviendra un projet de loi de réglementation spécialisée, qui sera appliqué par un groupe de spécialistes qui aurait de solides connaissances sur Internet, qui pourrait accueillir des plaintes, envoyer des avis de conformité et, si l’intéressé n’obtempère pas, porter des accusations.
De toute évidence, il appartient au Parlement et à vous-mêmes de trouver un juste équilibre entre la protection de la vie privée, le préjudice causé par la pornographie et les modalités d’intervention. Cela ne relève pas du père ou de l’avocat de la défense que je suis. Je suis vraiment convaincu qu’il faut un organisme de réglementation spécialisé auprès duquel on peut porter plainte, qui soit doté d’agents d’exécution et de tous les autres moyens nécessaires.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Hurley.
Le sénateur White : Puis-je poser une question à M. Hurley? Je crois vous avoir entendu parler des coûts que cette loi pourrait entraîner, si elle était adoptée. Pouvez-vous apporter des précisions? Si je vous ai mal compris, je vous prie de m’excuser, mais c’est ce que j’ai déduit de votre réponse.
M. Hurley : Comme citoyen et père, je voudrais que mes enfants n’aient pas accès à la pornographie violente. Lorsqu’ils ont dépassé l’âge de 14 ans, ma femme et moi ne pouvions pas les arrêter. Nous avons essayé, mais ils étaient plus malins que nous et savaient comment faire sur Internet des choses dont nous étions incapables.
Vous avez besoin d’un groupe d’experts qui s’y connaît en la matière, d’un organisme de réglementation chargé de la question, analogue au CRTC, mais probablement moins important, si vous voulez que cette initiative donne des résultats. Si vous décidez que la conciliation entre la protection de la vie privée et la lutte contre le préjudice que vous dénoncez est une cause qui en vaut la peine, vous aurez besoin d’un organisme de réglementation, d’une entité auprès de laquelle porter plainte et d’agents d’exécution qui peuvent faire des demandes de conformité et porter des accusations.
Vous voudrez peut-être vous adresser à quelqu’un qui a des compétences supérieures aux miennes, à la Cour fédérale, si c’est bien vers elle qu’il faut se tourner. La Cour fédérale à Edmonton ne s’occupe pas de beaucoup de choses. C’est plutôt calme. C’est merveilleux d’y aller parce qu’on y a beaucoup de temps pour vous aider, mais je n’ai pas la certitude que ce soit à la Cour fédérale qu’il faut s’adresser. Si vous voulez donner suite à cette initiative et qu’elle soit fructueuse, il faut un tribunal spécialisé.
Le sénateur White : Merci beaucoup.
Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse au Conseil canadien des avocats de la défense ou à M. Geist. Elle porte sur le paragraphe 9(5) du projet de loi. Il confère à la Cour fédérale le pouvoir de décider qu’il est nécessaire de veiller à ce que le matériel sexuellement explicite ne soit pas rendu accessible aux jeunes sur Internet au Canada et, par conséquent, de rendre une ordonnance qui me semble être une ordonnance d’interdiction complète, y compris pour le matériel non pornographique. Cela soulève-t-il des questions de constitutionnalité ou de conformité à la Charte? Cette disposition résisterait-elle à une vérification judiciaire?
M. Hurley : Je partage les préoccupations de M. Geist, selon qui cette disposition risque d’avoir une application très large. Il est possible de bloquer toutes sortes de choses sur Internet, si on veut. Les Chinois le font à merveille, mais vous renoncez ainsi à une foule de choses et les Canadiens ne le tolèreraient pas. Alors, oui, tout à fait, la disposition est trop vague et d’application trop large.
M. Geist : J’ajouterais, en le soulignant de nouveau, que les blocages de sites qui se sont faits dans le monde ont invariablement donné lieu à des excès. Si on essaie de bloquer un site qu’on pense avoir bien cerné, on s’attaque souvent à des centaines d’autres sites aussi. Dans l’exemple de Telus, un site Web de collecte de fonds pour la lutte contre le cancer du sein et plusieurs sites dédiés à l’éducation ont tous été bloqués du même coup. C’est pour cette raison, entre autres, que des experts des droits de la personne, dont le rapporteur spécial des Nations unies chargé de la question, se sont demandé si le blocage de sites Web est conforme à nos obligations en matière de droits de la personne.
Mme Karaian : Par le passé, et sur le plan constitutionnel, nous avons observé une surréglementation des communautés sexuelles queer et non normatives qui ont souffert en raison de l’interprétation large des termes « dégradants » et « violents ». Sous l’angle constitutionnel, on s’est intéressés à la question dans l’affaire « Little Sisters », entre autres. Il est évident que nous verrions probablement une application trop large qui donnerait lieu à des contestations constitutionnelles fondées sur la liberté sexuelle, et des communautés sexuelles non normatives seraient soumises à une surveillance excessive.
Nous l’avons constaté au Royaume-Uni, par exemple. Certains types de pornographie qui ont été restreints au début étaient de la pornographie féministe. Les images de fellation n’étaient pas réglementées, mais — et je vais parler crûment — si on présentait une femme assise sur le visage d’un homme, cela était considéré comme un danger pour la santé, comme une chose plus effrayante que si les rôles étaient inversés. Nous avons donc déjà vu qu’au Royaume-Uni, les premiers essais de blocage avaient visés les représentations d’une sexualité non normative.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à M. Geist, à M. Hurley et peut-être même à Mme Karaian. Pour empêcher l’exploitation sexuelle des jeunes et l’accès à des sites pornographiques, on retrouve un ensemble de dispositions dans le Code criminel. À votre avis, les dispositions actuelles du Code criminel sont-elles suffisantes pour empêcher que les jeunes aient accès à des sites qui exploitent la pornographie ou du matériel sexuellement explicite? Autrement dit, le Code criminel contient, à l’heure actuelle, un corpus de dispositions. Je vous remercie de votre réponse, monsieur Hurley, sur la dimension du droit administratif et sur le régime administratif que l’on peut mettre en place, le régulateur et tout le reste. Si l’on veut s’attaquer à l’exploitation des jeunes et des enfants à des fins commerciales, à l’exploitation des femmes à des fins pornographiques et au reste, si l’on veut bloquer l’accès à ces sites aux enfants, est-ce que le corpus de dispositions qui se trouvent dans le Code criminel pourrait répondre à cet objectif?
[Traduction]
M. Hurley : S’il s’agit de l’exploitation des participants, le Code criminel est certainement la solution, et les dispositions nécessaires s’y trouvent.
Par contre, le Code criminel n’interdit pas l’accès à ce matériel pour les jeunes et ne permet pas d’intenter des poursuites. Chose certaine, le parent que je suis préférerait qu’il y ait moins de pornographie, mais cela nous ramène à la même question : que sommes-nous prêts à sacrifier pour qu’il y en ait moins? Et je ne suis pas sûr que, en fait, le projet de loi permette d’en limiter la diffusion.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Par conséquent, la question de l’accès à ce genre de site ne devrait-elle pas plutôt être ajoutée à l’ensemble de ce qui se trouve déjà dans le Code criminel?
[Traduction]
M. Hurley : En général, les dispositions du Code criminel s’appliquent à une personne donnée qui se trouve au Canada et a commis un crime avec une intention précise. Que je sache, cela ne correspond en rien à ce qui est en cause ici.
De toute évidence, s’il s’agit de relations sexuelles parfaitement légales et consensuelles entre adultes qui sont filmées, il est possible de diffuser ce contenu. Cela devient-il un crime, et pour qui, si un enfant y a accès? Même dans les années 1970, lorsque j’avais 15, 16 ou 17 ans, nous trouvions de la pornographie qui nous était interdite. Je ne pense donc pas que le Code criminel soit le bon moyen à employer. Voilà pourquoi, pour peu qu’on veuille aller de l’avant, il me semble qu’il faut en faire une question de droit administratif.
M. Geist : Je suis tout à fait d’accord avec M. Hurley. Votre question sous-entend que l’objet du projet de loi n’est pas ce que je croyais, c’est-à-dire bloquer l’accès à la pornographie pour les mineurs, mais répondre aussi à des préoccupations au sujet de la pornographie en soi, ce qui est une tout autre affaire, à mon sens.
Je répète que le prix à payer sur le plan de la liberté d’expression élémentaire et de la protection des renseignements personnels — ou, simplement, parce que l’application serait trop large — est énorme au regard de l’importance du préjudice que vous essayez d’éviter.
Vous pourriez commencer à réfléchir aux moyens de cibler avec beaucoup de précision les sites Web que vous avez en tête, mais ce projet de loi, dans sa forme actuelle, est loin d’assurer un ciblage précis. En même temps, il faut affronter la réalité : le même contenu est facilement disponible sur d’autres sites. Si vous reconnaissez que la valeur de Google, de Twitter ou d’un grand nombre d’autres sites Web l’emporte de loin sur la gravité du préjudice que l’accès à la pornographie peut causer à certaines personnes, la réponse est tout simplement que le projet de loi n’a pas sa place.
La sénatrice Dupuis : Merci.
Mme Karaian : Nous devons songer à autre chose que le droit pénal pour lutter contre de nombreux préjudices sociaux, y compris ceux que certains jeunes peuvent subir en tombant sur des images qui les troublent ou qui leur semblent étranges. Là encore, nous pourrions faire porter nos efforts sur l’information au sujet de la pornographie, l’éducation sexuelle et d’autres moyens d’aider les jeunes, comme une offre plus généreuse de services de counselling ou autre chose — des mécanismes autres que les dispositions pénales, auxquelles, à dire vrai, nous faisons trop largement appel pour nous occuper des préjudices dans les relations interpersonnelles et d’ordre social.
Le sénateur Cotter : Merci à vous tous de ces renseignements. Ma question s’adresse à M. Geist et à Mme Karaian. Vous avez décrit certaines des difficultés que le projet de loi suscite. Compte tenu de vos compétences, que feriez-vous dans les circonstances? Quelle approche adopteriez‑vous si vous étiez l’architecte d’un cadre législatif ou administratif? Vous ne feriez rien, peut-être? Je ne sais pas si c’est là votre attitude, mais je voudrais savoir comment vous aborderiez la question.
M. Geist : Commençons par dire en toute déférence — la question a été soulevée par le groupe de témoins précédent, du reste —, que l’idée d’assujettir à l’une ou l’autre de ces dispositions les services généraux comme Google, Twitter ou autres est à l’évidence vouée à l’échec dès le départ.
Le problème, plus fondamentalement, concerne certains des grands sites Web pornographiques. À mon avis, la solution n’est pas de refiler le problème aux fournisseurs de services Internet et aux entreprises de vérification de l’âge, ce qui ferait surgir ensuite des difficultés liées à la protection de la vie privée et à la liberté d’expression. Il faut traiter directement avec certains de ces sites Web, et dans la mesure où certains se trouvent au Canada, ce qui est le cas, il est possible d’exercer des pressions sur eux pour qu’ils s’assurent de la légalité des contenus et pour qu’ils prennent des mesures de leur plein gré pour veiller à ce que les utilisateurs aient l’âge voulu. Cela peut se résumer à une vérification de l’âge. Je reconnais que bien des utilisateurs vont cliquer machinalement pour confirmer qu’ils ont l’âge, mais si nous reconnaissons que certains vont de toute façon trouver des moyens de contourner le dispositif, même des obstacles légers peuvent être utiles. Autrement, il n’y a pas lieu de bloquer des sites ou d’exiger la vérification de l’âge pour accéder à un contenu parfaitement légal.
Le sénateur Cotter : J’allais simplement inviter Mme Karaian à présenter son point de vue.
Mme Karaian : Merci, monsieur le sénateur Cotter. Selon moi, il faut opter pour une approche à plusieurs volets. Je respecte les intentions qui sous-tendent le projet de loi. Il vise à répondre aux préoccupations en matière de santé mentale et physique que nous pourrions avoir au sujet des jeunes qui tombent sur des images troublantes. Ces préoccupations sont aussi les miennes, mais je ne crois pas qu’il soit possible de légiférer sur ce genre de choses.
Je prends au sérieux la question que pose la sénatrice Miville-Dechêne : nous avons réglementé la pornographie hors ligne, pourquoi ne pas le faire pour la pornographie en ligne. Au bout du compte, je ne crois pas qu’il existe de mécanisme qui nous permette de le faire si, à ce stade-ci, les préjudices l’emportent sur les avantages. Nous avons besoin d’une approche à plusieurs volets, qui comprend l’intervention parentale. Encore une fois, je sais que la fonction de verrouillage parental et la déclaration de l’utilisateur ne sont pas sans problèmes.
En dernière analyse, nous avons besoin d’une éducation sexuelle plus poussée qui porte sur les relations interpersonnelles à caractère sexuel et qui aborde explicitement des choses comme le plaisir sexuel, les préjudices sexuels et les fantasmes sexuels, de façon que les jeunes sachent ce que sont les fantasmes, sachent que la pornographie est une simulation, à bien des égards, et non une représentation de la réalité ou une forme d’éducation. La meilleure approche consiste à renseigner les jeunes. Les sanctions pénales sont habituellement le moyen le moins efficace.
Le sénateur Cotter : Merci.
Le sénateur Campbell : Merci aux témoins. Je vous remercie d’avoir accepté de comparaître. Vos témoignages sont passionnants. À dire vrai, je n’ai pas de questions, madame la présidente.
La présidente : Merci, monsieur le sénateur Campbell.
La sénatrice Clement : Merci aux témoins. J’ai deux questions à poser. La première s’adresse aux deux personnes qui se sont identifiées comme pères.
Mme Karaian : Je tiens à ajouter que je suis la mère d’une garçon de 10 ans.
La sénatrice Clement : J’ai une question qui s’adresse expressément à vous, madame Karaian, mais vous pouvez répondre à n’importe quelle question.
Y a-t-il un projet de loi qui permettrait de garder une longueur d’avance sur les moyens de contournement que les jeunes peuvent trouver pour accéder à ces sites? En tant que parents, avez-vous eu suffisamment accès à des documents qui pourraient vous aider à avoir des échanges sur la question avec les jeunes? Oublions le blocage des sites, qui a ses limites, nous le comprenons; mais qu’en est-il du rôle des parents qui veulent amener leurs enfants à avoir une pensée critique à ce sujet? Y a-t-il des ouvrages que les parents peuvent consulter? Y a-t-il de l’aide pour eux?
Ma prochaine question s’adresse à Mme Karaian. Vous avez parlé de l’étude de l’Université de Boston. Je vous en remercie. Y a-t-il des données qui permettent d’établir un lien entre la consommation de pornographie par les mineurs et des problèmes de santé publique, en particulier en ce qui concerne les jeunes femmes, les répercussions à long terme sur leur vie sexuelle et leur sexualité? Y a-t-il des données probantes? Je sais que l’Université de Boston a abordé la question, mais peut-on s’appuyer sur quoi que ce soit pour parler de la question?
M. Hurley : Selon ma propre expérience, ce qui a fonctionné jusqu’à ce que mes enfants aient 15 ou 16 ans, sans doute — et ensuite, évidemment, rien n’a fonctionné, comme Mme Karaian en fera l’expérience d’ici quelques années — est précisément ce qui fait problème dans ce genre de loi. Par exemple, Net Nanny était sur tous les appareils de la maison, dont ma femme était responsable. Je devais donc souvent aller travailler au bureau parce que, sur mon ordinateur personnel, je ne pouvais pas accéder à une foule de sites Web parfaitement légaux dont j’aurais eu besoin.
Notre famille a sacrifié la possibilité de consulter des sites d’information sur les ordinateurs personnels de la maison pour garantir la sécurité des enfants. Ma femme a une maîtrise. J’ai deux ou trois diplômes. Nous avons des connaissances en informatique. Nous avons de l’argent. Je ne viens pas d’une famille riche, mais nous avons de l’argent. Et nous avons les moyens de faire tout cela. Je ne suis pas certain que le Canadien moyen ait les mêmes possibilités. J’explique tout le temps à mes enfants qu’ils sont privilégiés et combien la vie a été dure pour un petit immigrant irlandais. C’est le même problème avec ce projet de loi. Nous avons renoncé à beaucoup d’accès à Internet pour limiter ce que nos enfants regardaient, mais, quand ils ont atteint l’âge de 14, 15 ou 16 ans, ils étaient loin devant nous. À un certain âge, vous lâchez prise en espérant avoir bien élevé vos enfants.
La sénatrice Clement : Merci, monsieur Hurley.
M. Geist : Nous accordions moins d’importance au côté technique et plus au souci d’inculquer à nos enfants les valeurs que sont le respect et la liberté d’expression et de leur laisser assez d’espace pour s’y retrouver. Franchement, je n’ai pas senti le besoin d’installer beaucoup de logiciels de filtrage.
Ils ont peut-être pu avoir accès à des choses que je n’aurais pas approuvées. L’un de mes enfants est maintenant ingénieur, et l’autre dans un domaine technique, et je suis donc sûr qu’ils ont pu y arriver même avant l’âge de 15 ans. Pour moi, l’important est d’être présent et de leur transmettre des valeurs. Ces valeurs comprennent non seulement la capacité à distinguer ce qui pourrait être jugé toxique, mais aussi l’importance de s’exprimer et de respecter la liberté d’expression, et je ne crois pas que le projet de loi en tienne suffisamment compte.
La sénatrice Clement : Merci, monsieur Geist. Madame Karaian?
Mme Karaian : Je vous remercie de vos questions. J’ai eu, moi aussi, cette conversation. J’ai un enfant de 10 ans. Je lui ai parlé de sexe et de pornographie, mais nous ne nous sommes pas étendus sur le sujet.
Je ne nie pas que la pornographie puisse avoir des effets néfastes sur le sentiment de soi et sur la conscience de son propre corps et de sa propre sexualité. Cela peut avoir des répercussions négatives, mais la culture populaire, les vidéoclips, les films, la télévision et les jeux vidéo en ont aussi. Sans compter les films romantiques. Il y a toutes sortes de produits culturels qui influent sur notre sentiment de soi, sur nos relations avec les autres, sur nos systèmes de valeurs et sur nos normes.
Cela dit, nous ne pouvons ni ne voulons les réglementer de la même façon que nous le faisons pour la pornographie, parce que la pornographie n’a pas de la valeur aux yeux de la plupart des gens, sauf à lui attribuer une valeur de base axée sur le plaisir personnel, sans valeur ajoutée d’ordre médical, éducatif ou artistique. C’est une hypothèse de départ erronée. Notre culture ferait bien de comprendre la valeur de la pornographie et en quoi elle peut nous éclairer sur nous-mêmes.
En fin de compte, des études démontrent ses méfaits, tout comme d’autres dénoncent les méfaits de la publicité trompeuse, de la manipulation par Photoshop et des films d’amour. Il faudrait réfléchir aux raisons pour lesquelles nous voulons en l’occurrence faire une exception pour la pornographie. Parce qu’il est facile de s’énerver au sujet du sexe et de la pornographie et moins facile d’examiner les normes culturelles plus générales qui peuvent aussi être néfastes.
La sénatrice Clement : Merci, madame Karaian. Je vous remercie tous les trois de votre sincérité.
Le sénateur Wetston : Merci d’être venus nous voir aujourd’hui. Nous avons fait beaucoup de chemin. Quant à moi, je trouve difficile de saisir les différents aspects techniques associés à la mise en œuvre d’un projet de loi comme celui-ci, parce que cela soulève beaucoup de questions que vous avez abordées.
L’un ou l’autre d’entre vous peut répondre. La seule chose qui me préoccupe, c’est que nous semblons associer à l’expression de nos opinions la conviction absolue que les libertés et la protection de la vie privée sont des enjeux cruciaux et plus importants dans le contexte de ce que le projet de loi tente d’accomplir. Et vous êtes tous les trois, à peu de choses près, tout à fait opposés à ce projet de loi. Monsieur Hurley, vous ne l’êtes pas autant, mais vous diriez qu’on devrait envisager la question du point de vue administratif plutôt que pénal, et je ne suis certainement pas en désaccord avec vous là-dessus.
Monsieur Geist, nous avons une charte qui définit les lois légitimes prescrites par le droit et dont la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique. Vous estimez que ce projet de loi ne peut pas être incontestablement justifié dans une société libre et démocratique, et je vous dirais, sauf votre respect, que cette position me paraît un peu extrême. Il me semble que M. Hurley offre une perspective semblable, mais du point de vue de l’avocat de la défense et qu’il envisage ces questions dans le contexte d’une poursuite, donc plutôt du point de vue pénal, mais il a très justement indiqué qu’un système administratif pourrait être une meilleure façon de procéder. Je serais enclin à être d’accord.
Madame Karaian, certains de vos commentaires et votre perspective me semblent très justes, mais il faut aussi des limites. Vous semblez penser qu’il se pose des problèmes moraux, des problèmes qui pourraient avoir une incidence sur le bien-être mental des enfants, ou des pré-adultes si je peux m’exprimer ainsi.
Le flou, la portée excessive, oui, ces questions reviennent constamment. Puis-je avoir l’opinion de chacun de vous sur ce que je viens de dire, à savoir qu’il doit y avoir des limites, mais quelles pourraient-elles être? Je crois que c’est à cela que le sénateur Cotter voulait en venir.
M. Geist : Cela ne me dérange pas de commencer, puisque vous m’avez désigné en premier. Je tiens à préciser que l’idée qu’Internet serait une sorte de Far West et qu’il n’y aurait pas de limites à la liberté d’expression est fausse à mes yeux. Évidemment qu’il y a des limites. On a abordé tout à l’heure la question de la pornographie juvénile, mais il y a d’autres limites. Le gouvernement lui-même vient de présenter au sujet des méfaits en ligne des propositions — qui ont été beaucoup critiquées justement parce qu’il n’a pas assez bien réussi à équilibrer les diverses libertés —, portant sur toute une série d’enjeux touchant le discours. Et il est légal de le faire en vertu de la Charte parce que les méfaits découlant de discours terroristes, de la mise en danger d’enfants ou de propos haineux sont tels que ces choix sont nécessaires.
Cela étant, après examen du projet de loi sur lequel nous sommes invités à nous prononcer, j’estime que l’équilibre n’y est pas. Et si on s’intéresse aux outils couramment utilisés qui sont absolument essentiels non seulement pour l’expression, mais aussi pour l’accès à l’information et à toutes sortes d’outils... eh bien, je dirais qu’il n’y a pratiquement personne ici qui passe une journée sans utiliser au moins un de ces services. À l’idée que la loi pourrait prévoir l’obligation de confirmer son âge pour pouvoir utiliser ces services, faute de quoi tous les fournisseurs d’Internet et toutes les entreprises de communication du pays seraient contraints de bloquer l’accès à ce site à tous les Canadiens, je me dis que, s’il y a bien quelque chose d’extrême, sauf votre respect, c’est bien un projet de loi dont les répercussions seraient celles-là.
M. Hurley : Il est vrai, monsieur le sénateur, que j’aborde cette question comme avocat criminaliste qui voit beaucoup trop de choses criminalisées et qui constate que le système de justice pénale ne donne pas nécessairement des résultats efficaces et que, bien souvent, les décisions qui en découlent ont des effets terribles et préjudiciables sur les collectivités marginalisées de notre pays, ce pourquoi j’ai suggéré d’envisager plutôt une solution administrative. J’apprécie que ce projet de loi s’intéresse plus aux personnes morales qu’aux personnes physiques, si je puis dire. Je suis également frappé par le fait qu’il semble être axé sur ce qui est parfaitement légal, sauf à y donner accès aux enfants, et c’est pourquoi j’estime que la criminalisation est peut-être une erreur et qu’il vaudrait mieux confier la question à un groupe d’experts en administration.
J’aborde évidemment la question à la fois à titre personnel et à titre professionnel, et l’être humain qui vous parle a été élevé dans une famille irlandaise catholique assez stricte qui aurait été très défavorable à ce genre de choses. J’aurais été sanctionné par une punition corporelle, et je l’ai été, si l’on avait trouvé quelque chose sous mon lit, et c’est bien ce qui est arrivé. Je ne sais pas ce qui était le pire, le magazine Playboy caché sous mon lit ou la punition corporelle. C’est aussi ce qui m’inquiète dans ce projet de loi : est-ce qu’on n’empire pas la situation en s’attaquant à quelque chose de parfaitement légal?
Je suis père de quatre enfants et je ne veux pas que mes enfants regardent ce genre de choses. Je veux dire que mes enfants ne sont plus des enfants, mais que, lorsqu’ils étaient plus jeunes, je ne voulais pas qu’ils regardent ce genre de choses. Madame Karaian pourrait sans doute parler du tort que cela a pu leur causer ou pas. Je n’en sais rien. Il est vrai que mon éducation m’a appris que cela leur ferait du tort et qu’ils feraient mieux d’aller voir un prêtre et se confesser. Mais je ne sais pas si c’était juste ou si c’est scientifiquement justifié.
Je ne suis donc pas contre, mais je veux qu’il y ait un équilibre. Je pense qu’il ne faut pas criminaliser ce genre d’activité. Nous avons le luxe de ne pas avoir besoin de réinventer la roue ici, et nous pouvons évidemment nous inspirer de ce qui fonctionne en France, en Allemagne et dans les sites de jeu pour mesurer les risques. C’est très bien d’être un chef de file, mais c’est bien aussi de suivre les exemples valables. À ma connaissance, on n’a aucun exemple de ce qui fonctionnerait bien, et je crains qu’on ne bloque toute une...
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Hurley. Nous allons donner une minute à Mme Karaian pour répondre.
Mme Karaian : Je suis d’accord sur ce qui vient d’être dit. Pour moi, ce qui compte, c’est l’équilibre. L’enfant est un argument invoqué à tout bout de champ. Il finit par être beaucoup invoqué. La protection de l’enfance devient un prétexte qui finit par causer du tort à d’autres groupes théoriquement vulnérables. Il est arrivé que des membres de minorités sexuelles aient été mis en prison pour des actes consensuels parce que, pensait-on, cela menaçait les enfants. L’homosexualité a été largement criminalisée dans le passé en raison de la prétendue menace intrinsèque qu’elle aurait représentée pour les enfants. Nous devons donc faire attention à la façon dont nous invoquons l’argument de l’enfance, de l’innocence et de la vulnérabilité et dont nous nions la sexualité des adolescents en estimant qu’ils sont des réceptacles vides au nom desquels nous allons travailler pour les protéger à tout prix.
Je le redis, il n’y a pas d’équilibre dans ce projet de loi, à mon avis. Cela ne m’empêche pas de m’inquiéter du fait que des jeunes voient des choses qu’ils ne veulent pas voir. Je pense que c’est tout à fait regrettable, mais je ne crois pas que ce soit le moyen de régler ce problème.
La sénatrice Pate : Merci à vous tous. Je voudrais approfondir certaines des questions que mes collègues viennent de soulever, parce qu’on nous dit que ce n’est pas le bon projet de loi. Tout le monde se dit préoccupé, et la dernière version du projet de loi atteste des dommages permanents importants que peut entraîner l’accès à de la pornographie particulièrement violente — y compris sous sa forme sadique et meurtrière —, notamment sur les jeunes et sur leur évolution; c’est là que l’éducation est absolument indispensable.
Que proposerait chacun de vous? Vous avez parlé d’une solution administrative plutôt que pénale. Compte tenu de mes antécédents de travail, je serais plutôt encline à envisager une solution qui ne criminalise pas plus de gens, parce que nous savons bien qui sont ceux qui risquent d’être plus criminalisés que les autres.
Si vous pouviez nous en dire un peu plus, s’il vous plaît, sur le genre de procédures administratives qui pourraient fonctionner à cet égard, ce serait bien utile, car, d’après mon modeste point de vue et mon expérience très limitée dans ce domaine, il me semble que c’est surtout un enjeu économique. Ceux qui en profitent en recueillent les avantages économiques. Il doit donc être possible de s’attaquer à ce problème sans porter atteinte aux droits de tout le monde, mais en imposant le genre de limites raisonnables que le sénateur Wetston nous suggérait d’envisager.
Monsieur Geist, vous pourriez peut-être commencer, puis j’aimerais entendre Mme Karaian et M. Hurley.
M. Geist : Je tiens à préciser que non seulement je pense que nous sommes très mal placés, mais que la question me laisse un peu perplexe, parce qu’elle semble mettre davantage l’accent sur les torts causés par la pornographie que sur les préoccupations concernant l’accès des enfants à la pornographie. Quant à moi, je m’en tiendrai à ce que le projet de loi vise à faire, c’est-à-dire essayer de trouver des moyens d’empêcher les enfants d’accéder à du contenu pornographique. Franchement, je ne pense pas qu’il soit utile de poursuivre ces audiences et je ne pense pas que vous devriez poursuivre l’étude de ce projet de loi.
Il y a, d’une part, les outils dont disposent les parents pour essayer de régler les problèmes liés à du contenu parfaitement légal et, d’autre part, dans le cas des contenus illégaux — et vous avez fait allusion à des choses qui sont ou devraient peut-être être considérées comme illégales —, la question de savoir si nous avons ou non les règles qui conviennent pour s’y attaquer. Par ailleurs, dans la mesure où il existe au Canada des sites ou des services qui peuvent être utilisés, à certaines des fins économiques dont vous avez parlé, il faudrait déterminer si nous disposons de règles efficaces pour nous assurer qu’ils respectent la réglementation et sont parfaitement licites.
Mais que le gouvernement essaie d’intervenir dans ce domaine de cette façon, compte tenu des torts que ce genre de mesure législative pourrait causer, franchement, à mon avis — et je ne crois pas que ce soit une position extrême —, est tout simplement inacceptable. Il existe de meilleurs moyens, plus efficaces, qui n’auraient pas ces conséquences.
Mme Karaian : Je vais reprendre là où M. Geist s’est arrêté. L’un des inconvénients d’un projet de loi comme celui-ci, s’il devait être mis en œuvre, c’est que cela pourrait inciter les gens à s’engager en territoire inconnu, comme le Web caché, où ils seraient plus susceptibles d’avoir accès au genre de matériel imaginaire dont vous avez parlé, qui n’est pas de la pornographie.
La mise en scène d’un meurtre sexualisé n’est pas de la pornographie. C’est une preuve de crime. La pornographie et ce genre de mise en scène sont deux choses différentes. L’exploitation sexuelle des enfants est différente de la pornographie juvénile, même si, au Canada, nous les concevons comme une seule et même chose.
Nous avons aussi besoin de meilleures définitions. Quand on parle de pornographie éventuellement violente ou dégradante, extrême ou pas selon chacun, cela reste de l’ordre d’images construites de façon consensuelle qui ne sont pas nécessairement criminelles. Que des jeunes tombent là-dessus, et ce n’est évidemment pas souhaitable, est une chose, mais qu’ils tombent sur des images de crimes réels en est une autre. Et c’est ce qui risque d’arriver si nous devions adopter une mesure de ce genre qui les enverraient sur le Web caché parce qu’ils essaieraient de contourner ces précautions. C’est ce que j’ajouterais quant à moi.
M. Hurley : Mon point de vue serait un peu plus pragmatique et bien évidemment respectueux du Parlement. Si le Parlement veut légiférer dans ce domaine, pas de problème; s’il veut empêcher les enfants de regarder de la pornographie, et surtout de la pornographie violente, pas de problème. Je ne suis pas du tout en désaccord. La question est la suivante : comment faire et quel équilibre voulez-vous obtenir? C’est, bien entendu, au Parlement d’en décider.
Si vous êtes satisfait des systèmes de filtrage des sites Web tels qu’ils existent, vous devriez vous intéresser aux fournisseurs de services Internet et les forcer à mettre de l’ordre dans leurs affaires. Mais ce serait une décision importante à prendre. Il faudrait décider si les techniciens ont l’expertise nécessaire pour accomplir ce que vous voulez, dans le cadre d’une activité parfaitement légale comme la pornographie, sans sacrifier grand-chose. C’est un exercice d’équilibre qui incombe au Parlement. Bien entendu, les tribunaux décideront ultérieurement si vous avez bien fait ou non.
Il m’est difficile de me prononcer, parce que je n’ai pas cette expertise en informatique. Ce qu’on a constaté au fil du temps au sujet du filtrage de sites Web et d’autres choses, c’est qu’on allait trop loin et que ce n’était pas efficace.
Je ne m’oppose donc pas au projet de loi ni à sa prémisse. Il s’agit de bien faire les choses. Je répète que, à mon avis, la criminalisation n’est pas la bonne façon de procéder à l’égard d’une industrie de la pornographie parfaitement légale.
La présidente : Merci beaucoup à tous les témoins. Le Comité des affaires juridiques vous remercie d’avoir partagé votre expertise. Vous avez vraiment réfléchi à ce projet de loi et vous nous avez donné matière à réflexion. Merci de nous avoir consacré du temps. Nous vous sommes reconnaissants de tout ce que vous avez fait pour le comité.
(La séance est levée.)