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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


Ottawa, le mercredi 2 mars 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 18 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-210, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je suis Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider le comité. Nous tenons aujourd’hui une séance hybride du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

[Français]

Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler au président ou au greffier et nous nous efforcerons de résoudre le problème.

[Traduction]

Je prie uniquement les membres qui n’ont pas de questions à poser de l’indiquer au greffier. Sinon, tous les membres sont sur ma liste d’intervenants.

[Français]

Je voudrais prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui.

[Traduction]

Nous avons parmi nous aujourd’hui le sénateur Boisvenu, le sénateur Campbell, le sénateur Carignan, la sénatrice Clement, le sénateur Cotter, le sénateur Dalphond, le sénateur Harder, la sénatrice Dupuis, la sénatrice Pate, le sénateur Wetston et le sénateur White.

Chers collègues, nous continuons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-210, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite.

Nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui des représentants de la GRC et du CRTC. Nous souhaitons la bienvenue à André Boileau, officier responsable au Centre national de coordination contre l’exploitation des enfants qui relève de la GRC, ainsi qu’à Scott Hutton, dirigeant principal de la consommation, de la recherche et des communications, et à Peter McCallum, conseil juridique, qui nous viennent tous deux du CRTC.

Pouvons-nous commencer par vous, monsieur Boileau? Vous pouvez commencer votre exposé.

André Boileau, officier responsable, Centre national de coordination contre l’exploitation des enfants, Gendarmerie royale du Canada : Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. La sécurité de nos enfants est un enjeu très important pour nous tous. Étant donné que les enfants et les jeunes passent de plus en plus de temps en ligne, il est important de mieux faire connaître les risques qu’ils peuvent courir et de prendre collectivement des mesures préventives afin d’améliorer leur sécurité sur Internet.

Tout d’abord, j’aimerais mettre en contexte notre rôle en matière de protection de l’enfance. En 2004, le gouvernement du Canada a annoncé la Stratégie nationale pour la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle sur Internet, dans le cadre de laquelle la GRC, Sécurité publique Canada, le ministère de la Justice et le Centre canadien de la protection de l’enfance mettent en œuvre une approche globale et coordonnée en vue de mieux protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle sur Internet. Le Centre canadien de la protection de l’enfance est une organisation non gouvernementale qui gère le site Cyberaide.ca, la centrale canadienne de signalement des cas soupçonnés d’exploitation sexuelle d’enfants sur Internet.

[Français]

Le Centre national de coordination contre l’exploitation des enfants de la GRC est l’organisme national responsable du volet de l’application de la loi de la stratégie nationale. Il sert de point de contact central pour les enquêtes liées à l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet au Canada, ainsi que pour les enquêtes internationales impliquant des victimes canadiennes ou des délinquants canadiens ou des entreprises canadiennes qui hébergent des images d’abus pédosexuels.

Le centre enquête sur l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet et offre plusieurs services essentiels aux organismes d’application de la loi, qu’il s’agisse d’intervenir immédiatement auprès d’un enfant à risque, de coordonner les dossiers d’enquête avec les services de police compétents au Canada et à l’étranger, d’identifier les victimes et de les protéger, de mener des enquêtes spécialisées, de recueillir, d’analyser et de produire du renseignement à l’appui des opérations, de mener des recherches opérationnelles ou d’élaborer et de mettre en œuvre des solutions techniques.

Le centre a également pour mandat d’enquêter sur les infractions transnationales de nature sexuelle commises contre des enfants. Il a pu constater une augmentation spectaculaire du nombre de cas d’exploitation sexuelle d’enfants sur Internet signalés au cours des dernières années. Au cours de l’exercice 2020-2021, le centre a reçu 52 306 plaintes, rapports d’incidents et demandes d’aide liées à l’exploitation sexuelle d’enfants sur Internet. Il s’agit d’une augmentation de 510 % par rapport au nombre de signalements reçus en 2013-2014.

La majorité des demandes qui nous sont acheminées proviennent du National Center for Missing and Exploited Children, situé aux États-Unis, et chaque signalement est évalué. Ceux qui sont considérés comme pouvant faire l’objet d’une mesure sont transmis au service de police compétent, afin qu’une enquête plus poussée soit menée.

[Traduction]

En plus du nombre élevé d’incidents signalés, les cas d’exploitation sexuelle des enfants sur Internet sont devenus de plus en plus complexes. Grâce aux progrès technologiques, tels que le cryptage, le Web clandestin et les outils garantissant l’anonymat, les délinquants ont beaucoup plus de facilité à exercer leurs activités sans être découverts par les forces de l’ordre.

Comme bien des cybercrimes, les cas d’exploitation sexuelle des enfants sur Internet s’étendent souvent sur plusieurs provinces ou territoires ou sur plusieurs pays, touchent des victimes dans plusieurs territoires de compétence et compliquent davantage le travail des organismes d’application de la loi. Aucun gouvernement et aucun organisme ne peut, à lui seul, lutter contre ce crime. La GRC collabore assidûment avec ses partenaires aux niveaux municipal, provincial et fédéral au Canada et à l’étranger, ainsi qu’avec des organismes non gouvernementaux, pour intensifier les efforts visant à identifier les victimes et à les soustraire à des situations d’exploitation sexuelle ainsi qu’à traduire les délinquants en justice. La GRC est membre du Virtual Global Taskforce, un organisme de police international qui se consacre à la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle sur Internet et d’autres infractions sexuelles transnationales commises contre les enfants. Le Virtual Global Taskforce regroupe des organismes d’application de la loi, des organisations non gouvernementales et des partenaires de l’industrie qui collaborent pour trouver des stratégies d’intervention efficaces.

La GRC travaille également en étroite collaboration avec le secteur privé, car les délinquants utilisent régulièrement des plateformes gérées par les fournisseurs de services Internet ou de communication pour commettre une série d’infractions au Code criminel ayant trait à l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet.

[Français]

Les infractions sexuelles commises contre les enfants comptent parmi les crimes les plus abominables. Non seulement les enfants sont victimes d’agressions sexuelles, mais ils demeurent souvent des victimes tout au long de leur vie, car les délinquants échangent sans cesse des photos, des vidéos ou des récits de leurs agressions sur Internet.

Le Code criminel prévoit un éventail complet d’infractions liées à l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet. Les services de police canadiens, dont la GRC, sont chargés d’enquêter sur ces infractions lorsqu’elles ont un lien possible avec le Canada. Le Code criminel autorise également les tribunaux à ordonner le retrait de certains contenus, par exemple, un enregistrement voyeuriste, une image intime ou de la pornographie juvénile, qui sont stockés et rendus accessibles au moyen d’un système informatique au Canada.

Nous appuyons fortement les lois actuellement en place qui servent à protéger les enfants des infractions liées à leur exploitation sexuelle sur Internet et nous sommes en faveur de l’amélioration continue de ces lois.

Au fil des années, nous avons observé qu’un certain nombre de modifications ont été apportées au Code criminel du Canada et que des infractions y ont été ajoutées, grâce auxquelles les organismes d’application de la loi sont davantage en mesure de traduire les délinquants en justice pour les crimes qu’ils commettent contre les enfants.

[Traduction]

La définition de « matériel sexuellement explicite », en vertu du paragraphe 171.1(1) du Code criminel du Canada, n’inclut pas la pornographie juvénile. Toutefois, ce paragraphe peut être invoqué dans le cadre d’une infraction commise contre un enfant impliquant ce type de pornographie. Notamment, en vertu de ce paragraphe, commet une infraction quiconque transmet, rend accessible, distribue ou vend du matériel sexuellement explicite à un enfant en vue de faciliter la perpétration à son égard d’infractions désignées d’ordre sexuel et d’exploitation.

Dans le contexte de l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet, certains délinquants fournissent parfois du matériel sexuellement explicite à un enfant en vue de normaliser les actes sexuels contenus dans ce matériel et de préparer le terrain pour la perpétration d’une infraction sexuelle contre l’enfant, sur Internet ou non. On appelle ce phénomène « conditionnement », un processus bien souvent progressif qui peut aboutir à l’exploitation sexuelle d’un enfant. La police a la possibilité de porter des accusations en vertu du paragraphe 171.1(1) du Code criminel du Canada lorsque les délinquants utilisent du matériel sexuellement explicite dans le cadre d’une infraction commise contre un enfant. Le Centre national contre l’exploitation des enfants n’enquête pas sur les affaires liées au matériel sexuellement explicite au-delà de la portée de l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet. Une fois de plus, je le souligne : commet une infraction quiconque transmet, rend accessible, distribue ou vend du matériel sexuellement explicite à un enfant en vue de faciliter la perpétration à son égard d’infractions désignées d’ordre sexuel et d’exploitation. Ceci ne s’applique pas dans le cas où un enfant trouve par hasard du contenu pornographique pour adultes sur Internet.

[Français]

Nous appuyons les mesures en place qui servent à protéger les enfants sur Internet et à empêcher leur victimisation, ainsi que les efforts continus en vue de renforcer ces mesures de protection. Nous avons tous un rôle à jouer dans la protection des enfants et nous devons adopter une approche holistique pour assurer la sécurité de nos jeunes sur Internet.

Le Centre national de coordination contre l’exploitation des enfants s’engage à collaborer avec les intervenants pour renforcer la capacité du Canada à protéger les enfants de toute exploitation sexuelle sur Internet et des infractions transnationales de nature sexuelle commises contre les enfants.

Je vous remercie d’avoir invité le Centre national de coordination contre l’exploitation des enfants aujourd’hui et je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci, monsieur l’officier.

Nous allons maintenant passer à M. Scott Hutton, du CRTC.

Scott Hutton, dirigeant principal de la consommation, de la recherche et des communications, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes : Je vous remercie, madame la présidente, de nous avoir invités à comparaître devant votre comité. Je suis accompagné aujourd’hui par mon collègue Peter McCallum, un conseiller juridique du CRTC.

Nous avons pris connaissance de votre étude du projet de loi S-210, qui propose de limiter l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite.

Internet a accru de façon exponentielle l’accès à toutes sortes de contenus, y compris le matériel sexuellement explicite. Nous avons les mêmes préoccupations concernant les effets néfastes et les répercussions sociales négatives que l’exposition à la pornographie peut avoir sur les jeunes et les adolescents. Il s’agit d’un enjeu mondial qui, selon nous, nécessite une approche globale et pangouvernementale, ainsi que de nombreux outils différents.

Il n’existe pas de solution simple pour réglementer les contenus préjudiciables en ligne. De nombreux pays sont aux prises avec cette question, et je tiens à souligner que le Comité permanent du patrimoine canadien a récemment adopté une motion en vue de mener une étude sur les préjudices causés par l’accès en ligne à du matériel sexuellement explicite.

Bien entendu, il n’y a pas de place sur Internet pour les contenus préjudiciables ou illégaux. Il existe des dispositions dans le Code criminel pour traiter ce type de contenu et plusieurs organisations à l’échelle du fédéral sont très actives dans ces dossiers. Il s’agit du ministère de la Sécurité publique, du ministère de la Justice, du Centre national contre l’exploitation d’enfants de la GRC et du Centre canadien de protection de l’enfance.

[Français]

À l’heure actuelle, les Canadiens peuvent contrôler l’accès de leurs enfants à du contenu inapproprié à l’aide de logiciels de filtrage et de contrôles parentaux.

Le projet de loi S-210 permettait aux autorités désignées d’application de la loi de prendre des mesures pour empêcher que du matériel sexuellement explicite soit mis à la disposition des jeunes sur Internet au Canada. Bien qu’il soutienne les objectifs du projet de loi proposé, le CRTC ne dispose actuellement pas d’une telle autorité. Au Canada, la Loi sur les télécommunications ne prévoit pas clairement de mécanismes de réglementation du contenu en ce qui concerne les fournisseurs de services Internet.

La loi canadienne repose sur le principe fondamental de la neutralité du Net. Il s’agit du concept selon lequel l’ensemble du trafic Internet doit bénéficier d’un traitement égal de la part des fournisseurs de services Internet. Les fournisseurs ne doivent pas manipuler, discriminer ou donner préférence au contenu qui passe par leurs réseaux.

Le CRTC a été l’un des premiers organismes de réglementation au monde à mettre en œuvre l’approche en vue de faire respecter la neutralité du Net. Nous avons rendu trois décisions qui, jumelées, constituent le cadre réglementaire actuel de la neutralité du Net au Canada.

Même si le CRTC avait le pouvoir d’ordonner aux fournisseurs de vérifier le caractère approprié du contenu qui passe par leurs réseaux, il serait peut-être techniquement impossible pour eux de mettre en place un système de vérification. En ce qui concerne le contenu, les pouvoirs du CRTC ont été conçus en tenant compte du système traditionnel de la radiodiffusion.

Comme vous le savez sans doute, le projet de loi C-11, qui fait présentement l’objet d’un débat, propose de moderniser la Loi sur la radiodiffusion. S’il est adopté, le projet de loi C-11 accordera au CRTC le pouvoir de s’assurer que les diffuseurs en ligne contribuent au contenu canadien, en plus d’atteindre d’autres objectifs importants en matière de politiques publiques.

La loi nous fournirait les trois éléments clés qui nous manquent pour réglementer les plateformes en ligne : la clarté de la juridiction, la capacité de recueillir des données et les outils d’application nécessaires.

[Traduction]

Cela dit, permettez-moi de répéter que les contenus en ligne préjudiciables et illégaux sont un enjeu mondial. Divers pays envisagent différentes stratégies pour empêcher les mineurs d’accéder à ce type de contenu en ligne. Par exemple, l’Australie travaille à la mise en place d’un système de vérification obligatoire de l’âge, mais son approche tient également compte de la nécessité de renforcer l’éducation, la sensibilisation et la compréhension des comportements sexuels respectueux et préjudiciables chez les jeunes. Le commissaire australien à la sécurité électronique consulte le public et les parties prenantes. L’une des principales conclusions de sa consultation initiale est qu’une approche technologique unique ne serait pas efficace.

En 2021, le Conseil européen a proposé des amendements au projet de législation sur les services numériques afin d’améliorer les dispositions relatives à l’utilisation d’outils de vérification de l’âge et de contrôle parental pour atténuer le risque d’exposition à des contenus préjudiciables. Ces dispositions s’appliqueraient aux grandes plateformes en ligne et même aux moteurs de recherche. Les débats concernant le texte final de la loi devraient bientôt commencer.

La Commission européenne a également financé un projet en vue de permettre aux fournisseurs de services de vérifier l’âge de leurs utilisateurs, qui sera expérimenté dans le courant de l’année par 1 500 enfants, parents et adultes d’au moins trois pays de l’Union européenne.

Enfin, le Royaume‑Uni est en train de mettre en place une nouvelle réglementation pour s’assurer que les plateformes d’échange de vidéos mettent en œuvre des mesures en vue de protéger les utilisateurs des contenus préjudiciables. Elle exige que les plateformes mettent en place des systèmes de vérification de l’âge, en priorité pour celles qui donnent accès à la pornographie.

[Français]

Il est clair que ces efforts internationaux n’en sont qu’à leurs débuts et qu’il reste à voir dans quelle mesure ils seront efficaces pour protéger les enfants. Il s’agit certainement d’un domaine difficile, car la recherche a montré que les enfants sont de plus en plus aptes à trouver des solutions de contournement aux systèmes de vérification de l’âge. Pour être franc, il n’existe pas d’organisme unique ou de mesure unique permettant de résoudre efficacement ce problème.

Nous estimons qu’il est important d’apprendre de nos homologues internationaux, de prendre le temps d’évaluer les moyens les plus efficaces pour empêcher les mineurs d’être exposés à du contenu préjudiciable en ligne et de développer une approche pangouvernementale.

Nous serons heureux de répondre à vos questions. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Hutton. Nous allons passer à la première série de questions, et c’est la marraine du projet de loi, la sénatrice Miville‑Dechêne, qui commence.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Hutton, du CRTC. Je comprends que le CRTC n’a pas l’autorité d’intervenir sur une question liée au projet de loi S-210, mais j’aimerais vous entendre sur deux choses.

Vous avez affirmé que le fait de demander aux fournisseurs de services Internet de retirer du contenu pornographique s’il n’a pas été vérifié signifierait qu’on va à l’encontre de la neutralité du Net.

Or, si une loi canadienne exige que les sites pornographiques vérifient l’âge des clients, ce serait alors illégal de montrer de tels contenus aux enfants. Donc, je ne comprends pas exactement ce que vous entendez lorsque vous parlez de la neutralité du Net, puisque les fournisseurs de services Internet retirent déjà du contenu illégal, comme des images d’exploitation d’enfants, parce que c’est du contenu illégal.

Donc, s’ils le font pour un contenu illégal comme l’exploitation sexuelle des enfants, pourquoi ne le feraient-ils pas pour le comportement illégal des sites pornographiques? En quoi cela enlèverait-il quoi que ce soit à la neutralité du Net, puisqu’on parle de contenus illégaux?

M. Hutton : La raison pour laquelle nous avons parlé de la neutralité du Net, c’est que les pouvoirs que nous avons en matière de télécommunications nous sont accordés par la Loi sur les télécommunications, qui se fonde elle-même justement sur le partage des informations et la non-implication des fournisseurs de services de téléphonie, d’Internet ou autres dans la distribution du contenu.

Certes, il existe une possibilité de bloquer le contenu, mais elle est très restreinte à cause des pouvoirs qui nous sont assujettis. Ce n’est pas qu’il est impossible de le faire, mais c’est difficile en vertu de la juridiction actuelle.

Le sénateur Boisvenu : J’ai une question pour chaque témoin, que je remercie pour leur intéressante présentation. Ma question pour M. Boileau est celle-ci. Comment voyez-vous votre rôle, si le projet de loi est adopté?

M. Boileau : Dans le contexte où le projet de loi serait adopté, je ne peux pas spéculer sur le rôle de la GRC et des différentes organisations au Canada, car nous n’avons pas d’indications sur la mise en application de la loi.

Le sénateur Boisvenu : Lorsque vous lisez le contenu de la loi, est-ce qu’elle est claire en matière d’intervention policière, ou faudrait‑il clarifier le rôle de la Sûreté du Québec ou de tout autre corps policier?

M. Boileau : À la lecture de la loi, il n’est pas établi quel serait le mécanisme pour régulariser la législation qui serait mise en place.

Le sénateur Boisvenu : Mon autre question s’adresse à M. Hutton. Vous avez dit d’une part, mais cela ne me semble pas inquiétant, que vous n’avez pas légalement les pouvoirs requis pour appliquer cette loi. C’est plus ou moins inquiétant. Une législation, cela peut se modifier.

Ce que j’ai trouvé plus inquiétant, c’est que vous dites que techniquement, il serait impossible pour le CRTC d’appliquer cette loi. Est-ce qu’on parle de ressources ou de formation de la main-d’œuvre au CRTC? Que voulez-vous dire par « techniquement impossible à appliquer »?

M. Hutton : Il y a deux composantes à ma réponse.

Oui, il y a le champ d’application, mais il y a les outils qu’il faut essentiellement donner au CRTC, au cas où nous serions appelés à mettre en place cette loi que nous n’avons pas en ce moment.

Il s’agit non seulement d’une question de champ d’application, mais d’outils. Lorsque nous avons parlé du projet de loi C-11, naturellement, il faut bien comprendre à quoi il s’applique. Est‑ce qu’on peut le traiter en vertu de la Loi sur la radiodiffusion? Voilà l’une des questions. Si nous devons recommander des actions pécuniaires, sommes-nous habilités à recueillir les informations nécessaires pour le faire, comme la collecte de données, et les informations nécessaires pour l’appliquer? Ce n’est pas clair non plus. En fin de compte, ce qui semble clair, c’est qu’il y a une approche pécuniaire qui aiderait à la mise en place et à l’aspect de mise en œuvre de la chose.

L’autre élément technique — un peu moins pour le CRTC, mais peut-être davantage pour les fournisseurs de services Internet —, c’est que c’est très difficile pour eux aussi de procéder au blocage et à la mise en place d’un système de vérification de l’âge pour certains contenus, mais pas pour d’autres, en raison de leur nature. Il y a aussi une différence sur le plan de l’applicabilité; il faut déterminer si un fournisseur de services Internet qui peut gérer son réseau d’un bout à l’autre ou un fournisseur qui loue des installations d’une tierce partie sont aussi capables de le faire.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur White : J’ai une question pour le représentant de la GRC. Elle porte sur la difficulté d’enquêter sur les infractions qui seraient commises si le projet de loi était adopté et sur la question de savoir si vous avez des préoccupations au sujet de la capacité de la GRC si on lui confiait la responsabilité de ces enquêtes.

M. Boileau : Excusez-moi, monsieur. Je n’ai pas pu entendre complètement votre question.

Le sénateur White : J’aimerais savoir si vous avez des préoccupations quant à la difficulté de réaliser des enquêtes si le projet de loi était adopté et à votre capacité d’ajouter des enquêtes au sein de votre unité, par exemple, si la GRC devait en être responsable.

M. Boileau : Nous ne pouvons pas spéculer au sujet des répercussions que le projet de loi aurait sur les activités d’application de la loi étant donné que les mesures de contrôle mises en place sur les plateformes en ligne dans toute loi ou tout règlement à cet égard relèveraient des deux ministères fédéraux. Le Centre national contre l’exploitation des enfants n’enquête pas sur les affaires liées au matériel sexuellement explicite au‑delà de la portée de l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet.

Le sénateur White : Donc de quel organisme cela relèverait-il, si ce n’est pas du Centre national contre l’exploitation des enfants?

M. Boileau : Comme je l’ai mentionné précédemment, je ne peux pas spéculer sur la question de savoir de qui cela relèverait.

Le sénateur White : D’accord. Je vais poser une question au représentant du CRTC, si possible. Je me demande si, après avoir lu le projet de loi, vous recommanderiez une autre façon de faire qui pourrait être adoptée ou adaptée au Canada, selon vous, pour réduire les répercussions de ce matériel et intervenir auprès des fournisseurs de services Internet.

M. Hutton : Je pense que dans notre déclaration préliminaire, nous avons présenté la position selon laquelle une solution unique ne permettra pas de régler ce grave problème. Nous devons collaborer avec un certain nombre de parties concernées et, comme l’a mentionné M. Boileau, sur différents fronts et avec différents organismes, la GRC, Sécurité publique Canada et même d’autres organismes d’application de la loi.

Il y a également une question de sensibilisation du public qui doit être abordée et réglée. Il faut, bien sûr, s’assurer que l’institution habilitée dispose des pouvoirs et des outils nécessaires, ce qui va au-delà des simples ressources, pour être en mesure de mettre en œuvre les dispositions des lois. Comme je l’ai indiqué dans ma réponse au sénateur Boisvenu, certaines questions doivent être réglées. Peut-être que le projet de loi C-11, qui est actuellement débattu pour moderniser la Loi sur la radiodiffusion, fournira au CRTC certains de ces outils. Mais c’est une autre activité qui doit avoir lieu et être examinée.

Le sénateur White : D’autres pays ont pris des mesures similaires et ont commencé à essayer de limiter l’accès à des personnes d’un certain âge. En connaissez-vous qui ont réussi et si oui, lesquels? Si ce n’est pas le cas, quelles erreurs ont-ils commises?

M. Hutton : Il semble qu’aucune mesure unique n’ait bien fonctionné. La simple vérification de l’âge n’est pas assez complète. La sensibilisation des familles et le fait de donner aux familles des outils de blocage tels qu’ils sont actuellement offerts au Canada n’ont pas suffi, car il y a des solutions de contournement. C’est ce que nous avons constaté. En discutant avec les organismes de réglementation d’autres pays sur cette question, il semble y avoir un consensus, à savoir qu’il est nécessaire d’adopter une approche à plusieurs volets, qui consiste à renforcer l’éducation, à fournir des outils aux familles afin qu’elles puissent se protéger et à donner des responsabilités aux différents fournisseurs. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, il peut s’agir de tout, des diffuseurs en ligne et des sociétés de médias sociaux jusqu’aux pays de l’Union européenne qui cherchent à résoudre les problèmes avec des moteurs de recherche eux-mêmes. Aucune solution n’a été pleinement couronnée de succès à ce jour.

Le sénateur White : Merci.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse d’abord au CRTC. La loi crée deux types de situations. Une infraction qui expose la personne déclarée coupable de peines financières importantes, ce qui suppose la tenue d’un procès criminel ou de nature criminelle, et, d’autre part, un processus administratif qui permet de suspendre la fourniture de services Internet ou d’interdire à Rogers ou à Bell d’autoriser l’accès au site délinquant. Dans son application des lois actuelles confiées au CRTC, avez-vous des pouvoirs et pouvez-vous intenter des poursuites de nature pénale ou administrative, comme celles qui sont proposées?

M. Hutton : Je vais demander à M. McCallum de répondre dans quelques instants. Le CRTC étant une instance quasi judiciaire, un tribunal administratif si l’on veut, les pouvoirs qui nous sont octroyés en vertu de la Loi sur les télécommunications et en vertu de la Loi canadienne anti-pourriel prévoient des sanctions administratives, et non des sanctions criminelles à l’heure actuelle. Je pense que M. McCallum peut donner d’autres informations sur ces éléments.

Me Peter McCallum, conseiller juridique, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes : Oui, c’est effectivement le cas. Les sanctions administratives pécuniaires sont possibles dans le cadre d’infractions.

Pour le moment, il y a une possibilité de poursuites criminelles dans la législation, mais elles ne sont que très rarement employées, étant donné qu’il y a des sanctions administratives pécuniaires disponibles et que le conseil s’en sert si c’est nécessaire. J’espère que cela clarifie la situation.

Le sénateur Dalphond : Je comprends que vous avez dit avoir des échanges réguliers avec les autres autorités réglementaires, que ce soit aux États-Unis, en Europe et même en Australie, et que c’est un sujet sur lequel vous travaillez depuis un certain temps. Comment réglementer ou réguler l’accès à du contenu qui a un effet négatif — on dit harmful en anglais — sur les usagers? Est-ce que vous avez des études là-dessus? Vous dites que votre conclusion, à première vue, est qu’une solution unique — ce que vous semblez voir dans ce projet de loi — n’est pas suffisante et qu’il faut une approche beaucoup plus globale.

M. Hutton : Effectivement, on entretient des relations régulières avec un bon nombre de régulateurs internationaux et ils nous aident à comprendre comment diverses lois sont développées dans divers pays. Lorsque je dis que cela fait plusieurs années qu’on y travaille, je veux dire que cela fait plusieurs années qu’on examine l’ensemble des questions liées au contenu sur Internet à cet effet. Je dois dire que nous n’avons pas d’études particulières, à part des échanges avec les régulateurs internationaux sur le dossier du contenu, qu’on peut citer en exemple et qui est le sujet du projet de loi S-210.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Merci. Dans le cadre des poursuites pour pornographie illégale ou criminelle, rencontrez-vous des problèmes liés à l’utilisation des réseaux privés virtuels, ou RPV? On nous dit que beaucoup de jeunes, de 15, 16 et 17 ans, ont accès aux RPV. Est-ce un problème que vous rencontrez lorsque vous essayez d’intenter des poursuites ou de retrouver les traces de pornographie juvénile illégale sur Internet?

M. Boileau : La réponse à votre question est oui. Nous sommes confrontés à l’utilisation de la technologie du RPV. C’est l’un des moyens techniques que la plupart des délinquants utilisent pour se rendre indétectables par les forces de l’ordre. Ils utilisent beaucoup les RPV pour mettre des choses en place et ne pas être détectés et identifiés.

Les RPV pourraient être utilisés à d’autres fins. Ils sont déjà utilisés à des fins légitimes, et c’est pourquoi ils sont si nombreux. Mais, malheureusement, ils sont aussi mis à la disposition des gens qui mènent des activités illégales.

Oui, un RPV pourrait être utilisé de cette manière. Cela nous ramène à ce que mon collègue du CRTC a mentionné. Les gens peuvent disposer de différents moyens pour contourner les mesures mises en place, et cela pourrait être un exemple.

Le sénateur Wetston : Je vais d’abord poser des questions au CRTC, à M. Hutton. Votre explication des raisons pour lesquelles il faut attendre et voir ce qui va se passer en est une que j’entends depuis de nombreuses années, puisque j’ai travaillé dans la fonction publique pendant la majeure partie de ma carrière.

Cela dit, je pense que ce que vous dites, avec tout le respect que je vous dois, c’est qu’il faut d’abord voir ce que font les autres pays, puis agir ensuite. Cela me donne l’impression que vous n’êtes pas prêt à aller de l’avant dans ce dossier, si vous approuvez les objectifs du projet de loi. En disant « nous allons attendre et voir ce que les autres pays feront, nous verrons quelles erreurs ils auront commises et ensuite nous pourrons peut-être élaborer un plan, car il s’agit d’une initiative pangouvernementale », vous laissez entendre qu’il ne s’agit pas d’une initiative de l’ensemble de l’Union européenne, de l’ensemble du Royaume‑Uni ou de l’ensemble de l’Australie. Je n’essaie pas d’être irrespectueux à l’égard de votre observation, mais j’aimerais que vous parliez de cette question.

Ensuite, nous sommes conscients du rôle que vous jouez au CRTC à l’égard des fournisseurs de services Internet, et nous comprenons vos préoccupations quant aux pouvoirs limités dont vous disposez. Cependant, vous avez des pouvoirs considérables. Pourquoi le CRTC n’est-il pas capable de présenter une série d’énoncés de politique ou de lignes directrices qui permettraient aux fournisseurs de services Internet d’accepter ou de refuser la possibilité d’aider aux efforts pour régler cette question? Vous avez l’autorité pour le faire. Vous pouvez le faire, et vous n’avez pas besoin d’une compétence législative explicite pour mettre en œuvre une approche fondée sur des lignes directrices en consultation avec les fournisseurs de services Internet.

M. Hutton : Merci. Je ne pense pas que nous avons dit que nous voulions attendre et voir ce qui allait se passer. Nous sommes ici pour parler du projet de loi que vous étudiez. Le point de vue que nous vous apportons est basé sur notre expérience. Nous mettons en œuvre un certain nombre de lois différentes, y compris la Loi canadienne anti-pourriel. Il y a des acteurs internationaux, et nous avons des pouvoirs et des directives spécifiques pour être en mesure de remplir ces rôles. Je pense que ce sont là les messages que nous transmettons ici aujourd’hui à ce comité.

Lorsque nous parlons de l’élaboration d’une approche pangouvernementale, il faut dire que nous avons une expérience considérable concernant la Loi sur la radiodiffusion et le système de radiodiffusion actuel, dans le cadre desquels nous disposons d’un certain nombre de mesures pour essayer de garantir que les Canadiens de moins de 18 ans n’ont pas accès à ce type de contenu.

Je dirais que c’est le message que nous essayons de vous transmettre dans notre examen du projet de loi, et nous comprenons certainement les questions et les préoccupations qui ont été soulevées dans le cadre de l’étude de ces projets de loi.

Nous travaillons à la question et nous l’étudions, et nous faisons appel au gouvernement concernant la nécessité de moderniser nos pouvoirs afin d’intervenir de manière appropriée. Il va sans dire que le CRTC appuie le principe qui est à la base du projet de loi C-11, qui est actuellement à l’étude à la Chambre des communes et qui, espérons-le, sera soumis à l’examen du Sénat en temps opportun.

En ce qui concerne le rôle des fournisseurs de services Internet, nous avons des pouvoirs considérables à bien des égards, mais en ce qui concerne la Loi sur les télécommunications et la façon dont nous devons la mettre en œuvre, il n’est certainement pas clair — et je suis tout à fait honnête quand je dis « pas clair » — que nous pouvons prendre des mesures en ce qui concerne le contenu en vertu de cette loi. Nous le faisons en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, et nous espérons que cette loi pourra être modernisée de sorte que nous puissions adopter une approche plus interventionniste dans ce domaine.

Le sénateur Wetston : Merci. Madame la présidente, je n’ai pas obtenu de réponses au sujet des lignes directrices.

La présidente : Monsieur Hutton, pouvez-vous répondre à la question du sénateur Wetston au sujet des lignes directrices?

M. Hutton : Je n’ai pas parlé des lignes directrices parce que nous ne réglementons pas les fournisseurs de services Internet en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, et la Cour suprême a été très claire à ce sujet. Ce sont des fournisseurs de télécommunications et, comme je l’ai dit, les lignes directrices ne relèveraient pas clairement de la loi actuelle sur les télécommunications.

Le sénateur Wetston : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci à nos trois témoins. J’aurais une première question pour M. Hutton. Je trouve extrêmement intéressant ce que vous avez dit au sujet de la neutralité du Net. J’aimerais mieux comprendre ce qui est reconnu derrière ce principe. Autrement dit, est-ce que la neutralité du Net veut dire que si je décide de devenir une plateforme Internet, si je décide de devenir fournisseur de services ou si je décide d’ouvrir un site Internet, je suis protégée contre toute intervention de la part du CRTC? Est-ce que cela signifie que, peu importe ce que je publie ou ce que je permets de publier, je sais que je n’aurai pas le CRTC sur le dos, parce que le principe de la neutralité du Net fait en sorte qu’on ne s’intéresse pas du tout au contenu?

M. Hutton : Seulement en partie. Vous avez identifié trois différents types d’acteurs dans le domaine du contenu Internet. Vous avez identifié la plateforme Internet, qui est en ce moment peut-être mieux couverte avec le projet de loi C-10, qui vient se conformer à l’objectif de la Loi sur la radiodiffusion. Si vous avez un site Internet, pour le moment, vous n’êtes pas couvert par les deux lois que nous appliquons.

La troisième partie, comme vous l’avez mentionné, c’est un fournisseur Internet, une compagnie de télécommunication. La compagnie de télécommunication est régie par la Loi sur les télécommunications, et le grand principe de cette loi est de s’assurer du partage de l’information sans intervention de la part de ce même fournisseur.

Quand on parle de l’indication de la neutralité du Net, c’est que les outils qui nous sont donnés et les cadres qui sont en place favorisent le partage de l’information. Ce n’est pas que vous êtes immunisé de toute part. Naturellement, les instances ou les activités qui peuvent être jugées d’ordre criminel le seraient conformément à des lois qui s’adressent à ces éléments, comme ce dont M. Boileau nous a parlé aujourd’hui.

La sénatrice Dupuis : À ce moment-là, diriez-vous qu’une des raisons pour lesquelles il est si difficile d’obtenir quelque chose dans ce domaine, peu importe où on est dans le monde — vous nous l’avez dit, on l’a vérifié et on le voit bien —, c’est parce qu’il y a peu de progrès partout dans le monde, pour toutes sortes de raisons, y compris une position politique selon laquelle on ne va pas déranger ceux qui font ce qu’ils veulent sur le Net? Est-ce que je me trompe, ou une partie de la difficulté ne vient‑elle pas de ce principe de la neutralité du Net? Jusqu’ici, nous avons considéré que c’était très bien d’expérimenter cela — sauf sur le plan du Code criminel, pour ce qui est le plus évident — mais autrement, on veut essayer de rompre avec une mentalité qui est très bien installée, avec des droits acquis, et il sera très difficile de faire bouger les choses.

M. Hutton : Lorsque je parle de la neutralité du Net, je ne parle pas de la même chose que vous, mais j’espère ne pas vous mettre des mots dans la bouche. Il s’agit d’une approche très ouverte envers tout ce qui se passe sur le Net. Nous, on parle des compagnies de télécommunication, et on doit s’assurer qu’elles ne contrôlent pas le contenu qui est distribué, afin que le partage d’information se fasse sans embûches.

Depuis quelques années, le CRTC a pris position dans différents rapports et dans un rapport maître sur tous les contenus Internet. Nous avons pris position et recommandé que tous les fournisseurs, que ce soit les plateformes ou les gens qui font de la radiodiffusion en ligne, contribuent davantage, car le fait d’être présents ici, au Canada, leur permet de recevoir des avantages, parce qu’ils distribuent du contenu aux Canadiens. Nous croyons qu’ils ont l’obligation de faire une contribution à la société canadienne et, conformément aux objectifs de la Loi sur la radiodiffusion, de créer du contenu canadien et de promouvoir du contenu canadien.

Dans la loi, il faut aussi s’assurer que la radiodiffusion au pays observe des normes élevées. L’un des objectifs du projet de loi S-210 serait d’instaurer des normes dans la radiodiffusion canadienne.

La sénatrice Dupuis : Est-ce que j’ai encore du temps?

La présidente : Non, madame la sénatrice.

La sénatrice Dupuis : Au deuxième tour, alors.

La sénatrice Clement : Ma première question s’adresse au représentant de la GRC. Voyez-vous l’utilité de ce projet de loi, étant donné votre vocation de protection des enfants? Si vous y voyez une utilité, quelle serait sa faiblesse majeure, s’il y en avait une?

M. Boileau : Toute initiative visant à protéger nos enfants sur Internet est nécessairement une excellente initiative. Pour ce qui est de votre question sur la faiblesse de cette loi, malheureusement, je ne peux pas spéculer. Les agents régulateurs de cette nouvelle législation n’ont pas encore été définis.

Le mandat du centre est spécifique aux enquêtes menées à l’égard du matériel de pornographie juvénile sur Internet. Ce à quoi vous faites référence, ce sont des enfants qui auraient accès à de la pornographie adulte, ce qui ne fait pas partie du mandat du centre.

La sénatrice Clement : Merci.

[Traduction]

Ma prochaine question s’adresse au représentant du CRTC. Si vous aviez l’autorité — disons que, d’un coup de baguette magique, les mesures adoptées par la Chambre et le Sénat vous donnent les pouvoirs qu’il faut —, voyez-vous ce projet de loi comme un élément utile de l’approche globale dont vous avez parlé? Si oui, dites-nous alors quels pourraient être les problèmes ou les faiblesses de ce projet de loi. J’essaie d’entrer un peu plus dans les détails du projet de loi.

M. Hutton : Comme nous formons un tribunal qui applique des lois, il appartient certainement aux législateurs d’élaborer et de présenter ces projets de loi à cet égard. Comme l’a souligné mon collègue, M. Boileau, il s’agit d’une initiative et nous avons besoin de nombreuses initiatives. Il est certain que c’est considéré comme étant positif. Nous sommes conscients des répercussions sociales que peut avoir le fait que des mineurs dans ce pays ont accès à ce type de contenu.

Je reviendrai sur la question de savoir si nous devrions être en mesure d’intervenir. Oui, il y a la compétence, mais il faut que l’on sache clairement à qui cela s’applique. Ce sont des questions qui doivent être soulignées. Comme je l’ai mentionné, il y a une foule d’acteurs différents qui peuvent diffuser du contenu sur Internet. La question de la clarté est très importante.

En ce qui concerne les outils, c’est simplement que nous avons de l’expérience dans l’imposition des sanctions administratives pécuniaires, mais pour être en mesure d’imposer une sanction, on doit s’assurer qu’on a des éléments de compétence ou des outils pour exiger la communication de données afin de comprendre ce qui se passe dans les réseaux et de comprendre les répercussions financières qu’aurait une sanction administrative pécuniaire. Oui, s’il revenait au CRTC de le faire, il faudrait qu’il y ait des éléments pour permettre à une institution comme la nôtre de mettre pleinement en œuvre ces dispositions.

La sénatrice Clement : Des éléments de nature technique, alors?

M. Hutton : Ce sont des outils législatifs. Je sais que j’ai déjà parlé de compétence, mais il s’agit certainement d’outils législatifs. Par exemple, si nous regardons ce qui est actuellement proposé dans le projet de loi C-10, lorsque le CRTC a demandé des mesures concernant la radiodiffusion, pour les acteurs qui seraient visés par la Loi sur la radiodiffusion, nous serions certainement en mesure d’intervenir dans ce domaine. Mais on nous fournit des outils concernant à la fois les acteurs canadiens et les acteurs internationaux.

À l’heure actuelle, par exemple, le CRTC ne dispose que de deux outils en ce qui concerne la radiodiffusion. L’un consiste à attribuer des licences et à appliquer des règlements aux détenteurs de licence ou à exempter de licence des parties qui font de la diffusion. Si vous détenez une licence, vous devez être un Canadien. Il y a donc des limites quant aux personnes auxquelles nous pouvons appliquer nos règlements à l’heure actuelle. D’autres outils sont certainement envisagés, comme des outils de réglementation qui peuvent être appliqués à ces acteurs particuliers, en veillant à ce qu’ils soient assujettis à notre loi. De plus, il faut pouvoir demander des informations, mener des enquêtes et s’assurer qu’on peut mettre en place des conditions de service, par exemple, en exigeant une vérification de l’âge.

La sénatrice Clement : Merci.

Le sénateur Harder : J’ai une question pour la GRC. Vous avez déclaré que vous n’êtes pas en mesure de répondre à l’excellente question de ma collègue, la sénatrice Clement. Qui devrions-nous inviter pour obtenir une réponse à cette question?

M. Boileau : Je m’en remettrais au ministère de la Justice pour ce qui concerne les mesures législatives. Probablement que des représentants du ministère de la Sécurité publique pourraient aussi vous aider.

Le sénateur Harder : Donc, êtes-vous en train de dire que la GRC n’a aucun rôle à jouer sur ce plan?

M. Boileau : Ce n’est pas ce que je dis. À nos yeux, le projet de loi ne précise pas l’organisme de réglementation responsable de l’application de loi ni la façon dont elle sera appliquée. Nous ne voulons pas spéculer sur certaines des questions qui sont posées, puisque nous ne savons pas exactement quelle est la visée de ce texte législatif.

Le sénateur Harder : Ma deuxième question s’adresse aux représentants du CRTC.

La présidente : Sénateur Harder, avant que vous posiez votre deuxième question, j’aimerais simplement vous aviser que le ministère de la Justice a décliné notre invitation et que le ministère de la Sécurité publique s’en remet à la GRC. Merci.

Le sénateur Harder : À l’intention des représentants du CRTC, donc : je vous écoute et j’en déduis que ce projet de loi vous semble tout à fait correct, mais qu’il n’aurait pas vraiment d’importance ou ne serait pas vraiment utile, les véritables outils étant actuellement à l’étude à la Chambre des communes. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Hutton : Oui. Si nous le mettons en œuvre, ce projet de loi peut s’avérer utile, mais nous avons besoin des outils qui y figurent ou d’outils qui s’apparentent à ceux dans le projet de loi actuellement étudié par la Chambre des communes pour que ce soit efficace.

Le sénateur Harder : Permettez-moi de poursuivre là-dessus. Si vous aviez seulement les outils prévus dans ce projet de loi, quelle incidence aurait-il?

M. Hutton : Des efforts pourraient être faits, mais ce serait difficile si le CRTC était responsable de sa mise en œuvre. Il nous manquerait des éléments pour vraiment être à la hauteur de la visée du projet de loi.

Le sénateur Harder : Merci.

La sénatrice Pate : Merci aux témoins, ainsi qu’à mes collègues pour leurs questions. J’aimerais continuer d’explorer ce qui nous occupe depuis un petit moment.

Si le CRTC agissait comme régulateur dans ce contexte, de quelles ressources aurait-il besoin pour remplir ce mandat selon vous? Ce semble être la prochaine étape.

À l’intention de la GRC : au cours de l’enquête sur Pornhub, on a dit que, faute d’autorité en la matière, certaines enquêtes n’ont pu être menées à terme. La capacité de poursuivre de grandes sociétés qui bénéficient de façon importante de ce type d’exploitation est l’un des problèmes soulevés, et certainement une lacune à laquelle la sénatrice Miville‑Dechêne me semble vouloir remédier avec ce projet de loi. Donc, de quels outils estimez-vous avoir besoin? Dans la lignée des excellentes questions du sénateur Harder, de la sénatrice Clement et de tous les autres intervenants, quels sont les outils nécessaires selon vous et, si vous estimez qu’il est incomplet, qu’ajouteriez-vous à ce projet de loi pour faire ce travail?

M. Hutton : Pour ce qui est du CRTC, je crois qu’il était question de ressources. Premièrement, nous parlons pour l’instant des champs d’application. Il y a des outils législatifs et ceux-ci sont clairs quant aux entités visées. Ce sont les points que j’ai soulevés. Je n’ai pas parlé des ressources comme telles, si vous entendez par là le personnel et les fonds. Je suis certain que, advenant l’adoption d’une loi, le CRTC trouvera une façon d’obtenir ces ressources supplémentaires, mais il faudrait assurément des ressources supplémentaires pour agir en ce sens.

Je crois que l’absence de solution universelle est l’autre message. Le CRTC peut jouer un rôle par rapport à certains acteurs, mais le public doit être sensibilisé et la collaboration internationale doit être beaucoup plus grande. Il faudrait sans contredit aborder de façon beaucoup plus large la question des ressources et de la globalité de l’approche gouvernementale plutôt que de se limiter au CRTC.

M. Boileau : Pour ce qui est de la GRC, en réponse à votre question sur MindGeek, le gouvernement a récemment terminé des consultations publiques sur la question et publié un rapport de type « ce que nous avons entendu ». Dans le cadre des consultations, le gouvernement a proposé de modifier la Loi sur la déclaration obligatoire comme suit : centraliser la déclaration obligatoire des infractions liées à la pornographie juvénile en ligne par l’entremise du Centre national de lutte contre l’exploitation des enfants, ou CNCEE, de la GRC; préciser que la Loi sur la déclaration obligatoire s’applique à tous les types de services Internet, y compris les plateformes de médias sociaux et autres services basés sur des applications; améliorer la transparence en exigeant que le CNCEE présente un rapport annuel aux ministres de la Sécurité publique et de la Protection civile et de la Justice; imposer une obligation de conservation de 12 mois pour les données informatiques au lieu des 21 jours actuels; obliger les fournisseurs de services Internet de fournir, sans autorisation judiciaire, des renseignements supplémentaires au CNCEE lorsqu’une infraction liée à la pornographie juvénile est constatée; et, surtout, désigner, dans les règlements, une personne chargée de recueillir des renseignements pour déterminer l’application de la Loi sur la déclaration obligatoire. Ce serait l’outil de conformité.

La sénatrice Pate : Merci.

Le sénateur Cotter : J’avais l’intention de poser une question semblable à celle de la sénatrice Clement aux représentants du CRTC, donc je ne vais pas faire dans la redite. Ma question s’adresse à M. Boileau. Pendant notre discussion avec vous, j’ai remarqué un avis dans les médias sur le démantèlement d’un grand réseau d’exploitation sexuelle d’enfants et l’arrestation d’une quarantaine de personnes au Canada. Félicitations. Votre travail donne de bons résultats.

M. Boileau : Merci.

Le sénateur Cotter : Si je comprends bien, votre rôle est d’essayer de protéger les enfants des prédateurs sexuels. En ce sens, c’est presque l’inverse de ce dont il est question ici, c’est‑à‑dire des questions liées à l’accès par les enfants à du matériel sexuellement explicite. Je serais intéressé de savoir si vous trouvez que ces deux choses sont interreliées. Vous avez mentionné, entre autres, le conditionnement, mais je me demande si un aspect de cette mesure législative est lié à la plateforme, comment dire, de la tolérance sexuelle — ou peu importe ce que c’est — qui pourrait entraîner les problèmes sur lesquels vous devez travailler.

M. Boileau : Essentiellement, l’interaction avec laquelle nous devons travailler... Dans le contexte du projet de loi S-210, nous parlons des plateformes en ligne qui peuvent être utilisées par des enfants pour toutes sortes de choses, mais aussi par des délinquants pour interagir avec des enfants de sorte à commettre des crimes sexuels contre eux. Les conversations en ligne peuvent commencer dans un espace public où les enfants se trouvent, dans un environnement axé sur les enfants et créé pour eux, avant que les délinquants passent à une conversation plus privée où les risques sont accrus et où ils peuvent plus facilement exploiter les vulnérabilités des jeunes.

Donc, ils vont dans un espace qui est destiné aux enfants, ils établissent un lien de confiance grâce au conditionnement, puis ils retirent concrètement l’enfant de cet environnement ou de cette plateforme et l’isolent en usant de la technologie et à l’aide d’autres conversations privées. L’enfant est alors plus vulnérable.

En ce qui a trait au projet de loi S-210, de ce que nous en comprenons, il vise des sites Web qui hébergent du matériel précis auquel on souhaite limiter l’accès des jeunes.

Le sénateur Cotter : Je vais vous poser une question complémentaire, monsieur l’officier. Dans le travail que vous faites, vos collègues et vous, effectuez-vous des suivis pour établir les conditions préalables à l’origine de la vulnérabilité, et comprennent-elles l’accès des jeunes à du matériel sexuellement explicite qui pourrait les pousser dans le piège des exploiteurs?

M. Boileau : Le CNCEE de la GRC n’offre pas de services aux victimes, à l’intention des jeunes qui consultent du matériel sexuellement explicite, et nous ne faisons pas de recherches spécifiquement là-dessus. Ainsi, nous ne pouvons pas spéculer quant à l’impact que l’exposition à du contenu sexuellement explicite pourrait avoir sur les enfants.

Le sénateur Cotter : Cela dit, considérez-vous que c’est un aspect de la façon employée pour les piéger? J’essaie de comprendre si, quand vous recueillez le témoignage de la jeune victime, vous découvrez la façon dont les prédateurs ont pu entrer en contact avec elle.

M. Boileau : Les prédateurs ou délinquants vont là où les enfants convergent. Donc, si nous délaissons le monde virtuel un instant pour le monde réel, nous savons tous que, pendant longtemps, nous allions au parc avec nos enfants, nous jetions un coup d’œil aux personnes présentes et évaluions à quel point les enfants y étaient en sécurité. Aujourd’hui, nous évoluons dans un monde virtuel, un espace qui est aussi fait pour les enfants, mais, malheureusement, il y a des délinquants sur ces plateformes et, contrairement au monde réel, nous ne pouvons malheureusement pas repérer ces personnes sur les plateformes; elles demeurent invisibles jusqu’à ce qu’elles s’exposent.

Le sénateur Cotter : Merci.

La présidente : Honorables sénateurs, malheureusement, nous n’avons plus de temps. Nous ne pouvons donc pas entamer une deuxième série de questions. Je tiens à remercier MM. Boileau, Hutton et McCallum pour leur présence parmi nous aujourd’hui. L’intérêt suscité par leurs remarques et leurs réponses chez les sénateurs, de même que le désir chez ceux-ci d’en apprendre davantage sur ce qui peut être fait, étaient évidents. Merci de vous être libérés aujourd’hui.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Est-ce qu’on peut demander aux témoins qui ont fait référence à des rapports précis s’il est possible de nous envoyer les liens pour obtenir ces documents?

[Traduction]

La présidente : Messieurs les témoins, avez-vous entendu la demande de la sénatrice Dupuis?

M. Hutton : Oui. Je ne crois pas avoir fait référence à un rapport en particulier, sauf peut-être notre propre rapport intitulé Emboîter le pas au changement, dont nous pouvons bien sûr transmettre le lien au comité.

La présidente : Merci. Si vous pouviez l’envoyer au greffier, ce serait très apprécié.

M. Hutton : Oui, nous connaissons la procédure. Je remercie les sénateurs pour leurs questions et leur accueil aujourd’hui.

M. Boileau : Merci beaucoup.

La présidente : J’aimerais maintenant présenter nos trois témoins : M. Keith Jansa, directeur général, et M. Tim Bouma, directeur de la vérification et des évaluations, au Conseil stratégique des DPI, puis M. Henning Mellage, conseiller de Media Authority of North Rhine-Westphalia (Allemagne). Bienvenue.

Nous allons commencer par votre déclaration liminaire, monsieur Jansa.

Keith Jansa, directeur général, Conseil stratégique des DPI : Madame la présidente, honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Le Conseil stratégique des DPI a pour rôle de fournir une tribune nationale qui regroupe les dirigeants principaux des entreprises technologiques du Canada dans le but de les mobiliser collectivement autour des priorités numériques communes. Je suis accompagné aujourd’hui de mon collègue Tim Bouma.

Les sénateurs de ce comité reconnaissent l’importance des normes dans l’atteinte d’objectifs stratégiques, et je les en félicite. Sans normes, il n’y aurait pas d’assurance de la sécurité des produits, pas de technologie commune unifiant les marchés internationaux, pas d’interopérabilité et pas d’occasions favorisant la concurrence.

Je m’adresse à vous aujourd’hui en tant que spécialiste dans l’élaboration et l’application stratégique de normes, mais surtout en tant que père de trois jeunes enfants qui ont quotidiennement accès à Internet.

Le projet de loi S-210 reconnaît légitimement les effets néfastes de l’accessibilité croissante des jeunes à du matériel sexuellement explicite en ligne et confirme que ces effets constituent une préoccupation importante du point de vue de la santé et de la sécurité publiques. Toutefois, j’invite le comité à élargir la portée de la technologie de vérification de l’âge afin d’englober le contrôle adéquat de l’utilisation des algorithmes d’intelligence artificielle de sorte à refléter les préjudices en ligne que vivent quotidiennement nos enfants.

J’attire l’attention du comité sur certaines tendances très troublantes qui montrent des préjudices qui vont au-delà des sites pornographiques cités et qui exigent une application plus large de la technologie de la vérification de l’âge.

Uniquement au cours des dernières semaines, des enquêtes ont permis de découvrir du contenu sexuellement explicite sur des plateformes de jeu visant les enfants.

Les applications de réalité virtuelle qui sont réservées aux adultes sont, dans les faits, un terrain de chasse pour les prédateurs sexuels qui exploitent les jeunes enfants.

Pour les enfants, il suffit d’un clic pour lancer la diffusion de contenu en direct. Il peut s’agir de l’agression d’enfants ou des actes odieux et non censurés transmis en temps réel dans le cadre des manifestations du « convoi de la liberté »; de publicités en ligne qui ne sont pas supervisées et dont le contenu préjudiciable cible les enfants; d’espaces de clavardage privés et publics qui incitent les enfants vulnérables à poser des gestes indécents; voire de vidéos de pseudo défis qui deviennent virales sur les médias sociaux et entraînent la mort d’enfants.

Nous vivons une crise. Les enfants ont le droit à la protection de leur vie privée. Ils ont le droit d’avoir une identité que personne ne devrait être en mesure de voler ou de manipuler. Ils ont le droit d’être protégés contre les préjudices physiques et mentaux.

Le Canada est à la traîne en matière de protection des jeunes en ligne. Tandis que d’autres pays dévoilent des stratégies globales pour contrer plus efficacement cette crise, comme l’ont fait vos homologues de la Chambre des lords, au Royaume‑Uni, avec le code de conception adaptée à l’âge, nos solutions doivent à tout le moins tenir compte du monde dans lequel nos enfants évoluent au quotidien.

Pour ce faire, la loi doit établir un cadre de réglementation qui englobe les bonnes entités ou les habilitent en leur donnant l’autorité de concevoir un régime global d’établissement et d’application des règles qui protège nos enfants en ligne. Les normes et la certification offrent la souplesse nécessaire à une régulation efficace et constituent le mécanisme de conformité d’usage pour protéger les droits des enfants face à des technologies nouvelles, émergentes et en évolution.

J’ai trois recommandations principales qui permettront de bien cibler vos priorités. Elles sont détaillées dans le document que je vous ai remis. Il s’agit d’abord d’édicter les pouvoirs du gouverneur en conseil à approuver des normes, des codes de pratique et des programmes de certification afin de fournir suffisamment de mesures de protection en ligne et relativement à la conception et à l’utilisation de la technologie de vérification de l’âge; ensuite de remplacer les mots « mécanisme efficace de vérification de l’âge » par « mécanisme de vérification de l’âge efficace, fiable, protégeant la vie privée et de conception adaptée à l’âge » dans le libellé du projet de loi, puis d’y ajouter la précision « utilisation responsable des algorithmes d’intelligence artificielle » afin de protéger les droits des enfants; et enfin de tirer pleinement profit des programmes éprouvés d’identification numérique déjà présents dans les provinces et territoires canadiens en y appliquant des normes nationales qui assurent la conformité pour veiller à une vérification de l’âge fiable pour tous les Canadiens.

La protection des enfants est la plus grande responsabilité qu’une société peut avoir. Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Passons maintenant au témoin suivant, M. Mellage.

Henning Mellage, conseiller, Media Authority of North Rhine-Westphalia, Allemagne : Je vous remercie, honorables sénateurs, de m’avoir invité à participer à l’étude du projet de loi S-210. Je m’appelle Henning Mellage et je suis conseiller juridique auprès de la Media Authority of North Rhine‑Westphalia, en Allemagne. J’ai étudié le droit à l’Université de Cologne. Je préside également un groupe de travail sur la protection des jeunes et les médias numériques de la Commission pour la protection des mineurs dans les médias, la KJM. J’y reviendrai plus tard.

L’honorable sénatrice Miville‑Dechêne, que j’ai rencontrée à l’occasion d’un groupe de discussion tenu dans le cadre d’un événement en ligne, m’a recommandé au comité pour que je puisse vous donner une idée des mesures prises en Allemagne relativement aux systèmes de vérification de l’âge et à la pornographie en ligne, car l’Allemagne dispose depuis 2003 d’un régime de vérification de l’âge. Pour être honnête, je me sens un peu comme un extraterrestre, car, comme on l’a déjà mentionné, aucun autre pays au monde n’a mis en place un tel régime.

En Allemagne, la réglementation des médias relève des États fédéraux. L’Allemagne est une république fédérale. La réglementation des médias relève donc de la compétence des États fédéraux, mais elle doit être organisée de manière indépendante de l’État. Elle est assurée par les 14 organismes responsables des médias de l’Allemagne. La Commission pour la protection des mineurs dans les médias, la KJM, fait office d’organe de réglementation. Il s’agit de l’organisme central de surveillance de la protection des jeunes dans la radiodiffusion et les médias télévisés privés. Comme nous l’avons mentionné, la KJM est l’organe qui réglemente les 14 organismes responsables des médias.

En Allemagne, le fondement juridique du domaine de la protection des mineurs dans les médias est le Traité inter-États sur la protection de la dignité humaine et la protection des mineurs dans la radiodiffusion et les médias télévisés.

Ce traité est entré en vigueur le 1er avril 2003. Il contient une réglementation claire concernant les fournisseurs de contenu pornographique. Ils doivent mettre en place un système de vérification de l’âge ou supprimer le contenu en question.

À la phrase 2 de l’article 4, du paragraphe 2 de ce traité, on peut lire que les contenus ne sont légaux dans les services des médias télévisés — et il convient de le souligner — que si le fournisseur s’est assuré que ces contenus ne sont accessibles qu’à des personnes adultes (au sein d’un groupe fermé d’utilisateurs). Voilà ce que prévoit la loi.

Le contenu est pornographique à tout autre égard. Cela signifie que les contenus ne sont pas de la pornographie infantile, juvénile, violente ou animale. Ces contenus sont absolument interdits par la loi allemande. Les autres contenus sont des contenus indexés et des contenus pouvant évidemment nuire gravement au développement des enfants et des adolescents.

Les systèmes de vérification de l’âge sont utilisés pour garantir que ces groupes d’utilisateurs sont fermés, comme le stipule la loi. La loi ne contient pas d’autres exigences en matière de vérification de l’âge, si ce n’est qu’elle doit constituer une barrière efficace. La KJM, notre organisme de réglementation, a établi des critères pour les systèmes de vérification de l’âge, qui ont également été confirmés dans un procès intenté par la Haute Cour fédérale de justice en Allemagne.

Selon ces critères, la vérification de l’âge des groupes d’utilisateurs fermés doit être assurée par des étapes interdépendantes. La première étape consiste à procéder à au moins une identification ponctuelle — c’est-à-dire une vérification de l’âge — devant être effectuée au moyen d’un contact personnel. En général, il s’agit d’un contact personnel. Le terme « contact personnel » désigne un contrôle face à face avec vérification de données d’identification officielles, d’une carte d’identité ou d’un passeport. À la différence du Royaume‑Uni, par exemple, en Allemagne, le permis de conduire ne constitue pas une pièce d’identité officielle.

Dans certaines conditions, il est possible de se référer à un contrôle en face à face ayant déjà été effectué, par exemple lors de l’ouverture d’un compte bancaire ou de la souscription à un abonnement de téléphonie mobile. Cette procédure est assez récente. Elle remonte à deux ans et demi. Les critères de la KJM prévoient que l’on peut renoncer à un contrôle en face à face si l’identification a été effectuée au moyen d’un logiciel qui compare les données biométriques ou la pièce d’identité et une photo de la pièce d’identité et un enregistrement automatique des données de la pièce d’identité.

La deuxième étape à franchir est une authentification à usage unique des utilisateurs de cette plateforme, afin de réduire efficacement le risque de transmission d’autorisations excédentaires à des mineurs.

Le Traité ne contient pas de procédure de reconnaissance pour les groupes d’utilisateurs fermés ou les systèmes de vérification de l’âge. C’est pourquoi la KJM, notre organe de réglementation, a développé une procédure d’évaluation positive et évalue les concepts pertinents à la demande des entreprises et des fournisseurs. Nous estimons que ces mesures permettent d’améliorer la protection des mineurs sur Internet et constituent en même temps un service pour les fournisseurs, qui peuvent ainsi bénéficier d’une plus grande sécurité juridique et de planification. À ce jour, plus de 80 concepts ont été évalués par la KJM.

Comme je l’ai déjà dit, cette loi est en vigueur depuis 2003. Elle a eu pour résultat que certains fournisseurs de pornographie ont quitté l’Allemagne et ont commencé à proposer leur contenu depuis l’étranger. Les fournisseurs qui sont restés en Allemagne ont mis en place un système de vérification de l’âge et ont toujours suffisamment de clients. Il y a un fournisseur — je ne veux pas faire de publicité, mais ce site peut être considéré comme un modèle.

Bien entendu, les organismes responsables des médias et la KJM ont également constaté que la majorité des sites de pornographie sont exploités depuis l’étranger. Cependant, certains d’entre eux visent aussi spécifiquement le marché allemand. C’est pourquoi la Media Authority of North Rhine-Westphalia a engagé des procédures contre de grands sites Web basés à Chypre et en Irlande. L’une des entreprises qui ont été mentionnées est MindGeek.

Bien que le principe du pays d’origine s’applique au sein de l’Union européenne, le droit européen permet des exceptions dans certains cas, dont la protection des mineurs. Dans les cas où nous avons engagé des procédures contre les grands sites Web, des ordonnances d’interdiction ont été émises à l’encontre des fournisseurs, leur interdisant toute activité sur le marché allemand tant que...

La présidente : Monsieur Mellage, je dois vous demander de conclure.

M. Mellage : D’accord. Nous avons intenté une action en justice et émis une ordonnance d’interdiction. Ils ne sont pas autorisés à accéder au marché allemand à moins qu’ils n’utilisent des systèmes de vérification de l’âge. Cette affaire a été portée devant les tribunaux. Ils ont déposé une plainte à ce sujet. Dans une première décision, le tribunal administratif de Düsseldorf a déclaré que les ordonnances que nous avions émises étaient légales.

Je vais m’arrêter là, madame la présidente, et je serai heureux de répondre à vos questions. Je vous remercie, honorables sénateurs.

La présidente : J’ai quelques questions pour M. Bouma. Monsieur Bouma, pouvez-vous donner des exemples de méthodes de vérification de l’âge qui pourraient être prescrites?

Tim Bouma, directeur, Vérification et évaluations, Conseil stratégique des DPI : Oui. Il existe un grand nombre de technologies de vérification de l’âge. C’est un marché très innovant et très actif. Un rapport a recensé 10 méthodes différentes. La plus simple est l’autodéclaration, pour laquelle vous saisissez votre date de naissance ou votre âge, ce qui n’offre aucune garantie.

D’autres méthodes consistent à fournir des renseignements d’identité, qui peuvent être des identificateurs physiques comme un numéro d’identité, et à les comparer aux bases de données publiques pour confirmer votre âge. Il existe ensuite d’autres techniques comme la biométrie, qui s’apparente à la reconnaissance faciale, mais qui détermine votre âge en analysant votre visage. Il existe également des technologies de profilage et d’inférence, l’intelligence artificielle, les tests d’aptitudes — qui consistent à vérifier si la personne possède effectivement les aptitudes acquises à un certain âge; l’authentification par association de comptes — la personne peut s’être authentifiée sur un autre compte qui a recueilli des renseignements personnels pouvant être partagés; les tiers qui fournissent ces services; au Royaume‑Uni, des fournisseurs commerciaux sont en cours de développement, et quelques-uns peuvent fournir une assurance sur l’âge. Vous pouvez demander à d’autres titulaires de comptes.

Il existe ensuite d’autres techniques qui ne consistent pas tant à vérifier l’âge qu’à contrôler l’accès à la source, comme le contrôle du dispositif, du réseau, et cetera. Il existe donc un grand nombre de contrôles techniques qui pourraient être qualifiés de vérifications de l’âge.

La présidente : Quels problèmes ou préoccupations pourraient susciter ces méthodes de vérification de l’âge?

M. Bouma : Comme je le disais, ces technologies sont vastes et variées. Elles donnent lieu à un ensemble très complexe de problèmes de sécurité et de confidentialité. Par exemple, les fournisseurs tiers peuvent recueillir des renseignements pour vérifier l’âge, mais ils peuvent aussi les utiliser à d’autres fins, ce qui n’est pas du tout souhaitable. Il y a également toute la question du profilage, de la surveillance, et cetera. Et enfin, du point de vue du consommateur, l’acceptabilité des techniques. Ces dernières peuvent être tout à fait inoffensives, mais certaines, comme la mesure de votre visage, et cetera, et la détermination de votre âge, peuvent être jugées très intrusives.

On ne peut jamais savoir avec ce type de technologies. Elles sont très personnelles, pour ainsi dire. Elles peuvent avoir des conséquences involontaires ou des conséquences contraires à celles prévues. Certaines personnes les rejettent. Il faut être très prudent. Il ne s’agit pas seulement de mettre en place ces protections, qu’elles soient efficaces ou non, mais aussi de s’assurer qu’elles sont acceptables.

La présidente : J’ai une question pour M. Jansa. Quels sont les efforts déployés au Canada qui pourraient faciliter la mise en œuvre de la vérification de l’âge?

M. Jansa : Merci pour cette question. Un certain nombre d’administrations mettent en œuvre des programmes d’identité numérique pour vérifier et établir l’identité et les justificatifs associés aux personnes et à leur âge. Je vais passer la parole à Tim Bouma, qui a de l’expérience relativement à l’acceptation par le gouvernement fédéral de certaines des identités émises par ces administrations.

M. Bouma : Beaucoup de travail a été accompli. Le gouvernement fédéral, en collaboration avec les provinces et les territoires, a mis au point ce que nous appelons les « identités numériques fiables », c’est-à-dire l’acceptation des identités numériques fiables. Il s’agit en fait de confirmer que la personne fournit son nom et sa date de naissance, et peut-être quelques autres renseignements à partir desquels on peut déduire son âge. Les programmes fédéraux, à savoir ceux de l’Agence du revenu du Canada et d’Emploi et Développement social Canada ou Service Canada, utilisent ces données pour inscrire ces personnes à ces programmes. Et ces renseignements peuvent par la suite être utilisés à des fins d’établissement de l’admissibilité : Êtes-vous prêt à prendre votre retraite? Avez-vous atteint un certain âge?

Bien que cette solution n’ait pas été expressément envisagée, les travaux effectués avec les provinces et les territoires pourraient être convertis en une capacité de vérification de l’âge.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Mellage, d’Allemagne. Tout d’abord, merci de nous avoir dit que dans un pays, l’Allemagne, il existe une loi sur la vérification de l’âge et qu’elle semble fonctionner, et ce depuis 19 ans. C’est bon à savoir. J’aimerais en savoir un peu plus à ce sujet. Pouvez-vous nous dire si l’on a rencontré des problèmes de sécurité et de confidentialité? Si j’ai bien compris, vous avez un processus de certification pour environ 80 entreprises différentes. Des problèmes importants de confidentialité se sont-ils posés? Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure vous avez réussi à convaincre les entreprises? Je pense enfin à Pornhub et à xHamster, deux sociétés avec lesquelles vous êtes en procès. Où en sont les choses? Vont-elles obtempérer ou allez-vous devoir mettre fin à leurs activités?

M. Mellage : Merci, madame la sénatrice. Oui, la KJM, notre organe de réglementation, a mis en place ce type de processus d’évaluation. Nous sommes évidemment confrontés à des problèmes de protection des données et des renseignements personnels. D’après ce que j’ai pu constater, sur les plus de 80 systèmes que j’ai examinés de mon côté ou dans le cadre d’un processus d’évaluation, la KJM constate que la plupart des fournisseurs de services de vérification de l’âge proviennent du secteur bancaire et financier. Ils doivent donc appliquer la réglementation stricte du secteur bancaire. Ils doivent se conformer à la législation contre le blanchiment d’argent et, bien entendu, ils respectent le Règlement général sur la protection des données au sein de l’Union européenne. Il s’agit essentiellement de réglementations sur la protection des renseignements personnels et des données.

Comme vous l’avez mentionné, notre procès contre ce site Web important, nous sommes devant les tribunaux pour cette affaire. Comme je l’ai dit, la société MindGeek a saisi le tribunal administratif de Düsseldorf, qui a déclaré que nos ordonnances d’interdiction étaient légales, mais cette entreprise a fait appel. L’affaire est maintenant devant la Haute Cour administrative de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Nous attendons toujours qu’une décision soit prise. La situation est probablement la même au Canada, mais les décisions des tribunaux prennent du temps.

En ce qui concerne l’autre point dont vous avez parlé, je ne peux pas vous confirmer qu’il s’agit du site Web que vous avez mentionné, car je ne suis pas autorisé à le faire. Si vous suivez la presse, vous pourrez tirer vos propres conclusions. La sénatrice a tout à fait raison.

Dans ce cas, nous nous sommes adressés au fournisseur et avons émis une ordonnance d’interdiction. Nous ne sommes pas allés au tribunal. L’Allemagne a pris une décision pouvant faire l’objet d’un appel. Cependant, l’entreprise n’a pas respecté cette décision et a continué d’utiliser ses systèmes de vérification de l’âge. Nous nous sommes donc adressés au fournisseur d’hébergement basé aux Pays-Bas, et nous avons obtenu une ordonnance d’interdiction à son encontre. Le fournisseur d’hébergement n’est pas allé en justice, notre décision est donc également contraignante.

La prochaine et dernière étape de nos instruments, ce que nous pouvons faire est émettre une ordonnance de blocage à l’encontre des fournisseurs d’accès Internet. La KJM va prendre une décision dans les prochaines heures ou les prochains jours.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je remercie nos invités.

Ma question s’adresse à M. Mellage. La commission allemande pour la protection des mineurs a-t-elle compétence sur le territoire allemand seulement, ou l’a-t-elle aussi sur le territoire européen?

[Traduction]

M. Mellage : Merci. La compétence du Traité entre États couvre principalement les fournisseurs allemands, mais il y a un article qui nous permet de cibler d’autres fournisseurs non basés en Allemagne lorsqu’ils visent le marché allemand.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’aimerais que vous nous parliez brièvement de l’efficience et de l’efficacité de votre loi ou de votre réglementation en matière de coûts et des ressources dont vous disposez pour faire votre travail et vous assurer de son efficacité. Y a-t-il un grand nombre de délinquants qui ont été trouvés grâce à vos recherches?

[Traduction]

M. Mellage : Je crains de ne pouvoir vous fournir de renseignements sur les coûts, car cela nécessiterait beaucoup de renseignements personnels. Ce que je peux dire est que mon employeur, la Media Authority of North Rhine-Westphalia, est la première organisation responsable des médias en Allemagne à avoir porté plainte contre des fournisseurs de pornographie étrangers. Nous avons plus de 100 employés, mais l’équipe de supervision qui s’occupe de ces procédures compte six personnes.

L’efficacité de cette mesure ne transparaît pas pour l’instant, car nous attendons la décision du tribunal. En revanche, ce que nous avons découvert est que d’autres fournisseurs de pornographie — je n’en connais qu’un, pour être honnête — ont volontairement mis en place des systèmes de vérification de l’âge. Il s’agit de FanCentro. Cette entreprise a déclaré dans un message officiel sur Twitter avoir mis en place un système de vérification de l’âge soutenu par la société Yoti du Royaume‑Uni. Ils l’ont fait pour se conformer à la loi allemande. Je pense que c’est un bon pas.

Le sénateur Dalphond : Ma question vous est également destinée, monsieur Mellage. Vous avez fait allusion à la mise en application de la loi à laquelle vous tentez de soumettre les fournisseurs de services. Je crois comprendre que tous ces fournisseurs sont établis à l’extérieur de l’Allemagne, à l’exception d’un seul, qui s’est conformé à la loi.

En ce qui concerne les fournisseurs qui ne se conforment pas à la loi, si les utilisateurs ont recours à un système de RPV, êtes-vous en mesure de le savoir, ou ignorez-vous combien de personnes consultent des sites pornographiques étrangers sans utiliser d’abord ce système?

M. Mellage : Merci, sénateur. Si je comprends bien, votre question est la suivante : si un fournisseur de pornographie utilise une technologie de vérification de l’âge, un utilisateur qui se sert d’un RPV peut-il passer outre cette vérification? Non. Si un fournisseur de pornographie met en place un système de vérification de l’âge, l’idée est que, par exemple dans le cas de Pornhub...

Le sénateur Dalphond : Ma question concerne ceux qui fournissent de la pornographie à l’extérieur de l’Allemagne.

M. Mellage : D’accord. Vous voulez dire s’ils font l’objet d’un blocage.

Le sénateur Dalphond : S’ils utilisent un RPV pour se connecter, avez-vous un moyen de savoir combien d’entre eux le font? Est-ce une chose que vous êtes en mesure de déterminer, ou n’avez-vous aucune idée à ce sujet?

M. Mellage : Je ne dispose d’aucun chiffre à cet égard. Si nous avons émis une ordonnance de blocage, oui, les utilisateurs ont la possibilité d’utiliser un RPV pour avoir accès à ce site.

Le sénateur Dalphond : Merci.

La sénatrice Pate : Je remercie nos trois témoins d’avoir accepté de comparaître devant nous, et j’adresse ma question à M. Mellage.

L’année dernière, des reportages ont fait état de la décision de l’Allemagne de bloquer l’accès à des sites où des sociétés, des organisations ou des particuliers ne respectaient pas les lois allemandes. Je suis curieuse de revenir sur une question que le sénateur Dalphond vient de soulever. Comment contrôlez-vous la conformité des sites Web, compte tenu de leur nombre et de leur degré de perfectionnement? Comment suivez-vous les différentes façons dont ils peuvent tenter de s’infiltrer derrière — ou devant, selon votre point de vue — le système? Y a-t-il des pratiques que vous avez élaborées et qu’à votre avis, nous pourrions examiner en tant que meilleures façons d’aborder ce problème?

Un certain nombre de personnes ont également exprimé des inquiétudes à l’idée que le gouvernement bloque certains sites. Pourriez-vous préciser les mesures que vous avez prises dans votre système pour vous assurer que l’accès n’atteint pas le non‑respect de la loi et que les jeunes n’ont pas accès à la pornographie?

M. Mellage : Merci, madame la sénatrice. Il y a eu une légère perturbation de l’appel vidéo. J’espère donc avoir compris votre question correctement.

Les systèmes de vérification de l’âge que la KJM a évalués jusqu’à maintenant peuvent, bien sûr, être utilisés très facilement par les fournisseurs de pornographie. Par exemple, en tant que client ou utilisateur, vous voulez avoir accès à un site Web, et l’utilisation d’un processus d’accueil permet de vous identifier immédiatement. C’est là un argument que font valoir tous ceux qui pensent que la protection des renseignements personnels et de la vie privée pourrait être compromise. Le seul renseignement que le fournisseur du système de vérification de l’âge transmet au fournisseur de pornographie, c’est le fait que telle ou telle personne est majeure; rien d’autre. Ni l’adresse, ni le nom, ni la date de naissance n’est fourni. Je pense que c’est un moyen très rigoureux de vérifier l’âge.

L’une des entreprises dont j’ai déjà parlé est Yoti, au Royaume‑Uni. Elle utilise une technique mise au point par une entreprise américaine, appelée FaceTec, qui permet d’obtenir une estimation de l’âge — non pas une vérification de l’âge, mais une estimation de l’âge — simplement en analysant des données biométriques du visage. Je sais que, lorsqu’il est question de données biométriques liées, entre autres, au visage, les gens s’inquiètent à ce sujet, et des sonneries d’alarme se déclenchent en raison de la question de savoir ce qu’il advient de ces données. Mais pour autant que j’aie compris cette technique, il ne s’agit pas de reconnaissance faciale, mais d’une estimation de l’âge. Donc, si j’accédais à un site pornographique où l’estimation de l’âge est requise, le site pornographique ne saurait pas que M. Henning est assis devant l’ordinateur. Il saurait simplement qu’il y a une personne âgée de 35 ans — mais âgée en fait de 40 ans — assise devant l’ordinateur, et c’est tout. En fin de compte, la photo sera supprimée.

Le sénateur Cotter : J’adresse ma question à M. Mellage. Ai-je raison de comprendre que le régime auquel vous êtes associé et avec lequel vous travaillez est une sorte de service de surveillance administrative assorti de sanctions, par opposition à l’utilisation d’un pouvoir essentiellement pénal? C’est là un problème avec lequel nous nous débattons dans le contexte canadien. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

M. Mellage : Nous avons plus ou moins deux façons de composer avec les fournisseurs de pornographie. Nous prenons des mesures administratives, et nous pouvons parler de l’imposition d’amendes. L’imposition d’amendes est un peu compliquée dans le contexte international parce que le droit international ne nous permet pas vraiment, pour l’instant, de percevoir les amendes que nous imposons. Si vous quittez l’Allemagne en voiture pour vous rendre en France et que vous êtes arrêté pour excès de vitesse, vous êtes tenu, en tant qu’automobiliste, de payer cette amende. Mais, dans le contexte dont nous parlons, aucun traité n’a été conclu en Europe pour gérer ces situations.

Le sénateur Cotter : Vous avez répondu à ma question. Merci.

La présidente : Avez-vous quelque chose d’autre à ajouter, monsieur Mellage?

M. Mellage : Ce que je voudrais dire, c’est que, selon le droit pénal allemand, on commet une infraction pénale en permettant à des personnes âgées de moins de 18 ans d’avoir accès à de la pornographie. Ce n’est pas seulement une question de réglementation des médias. La loi allemande stipule que la pornographie est nuisible aux mineurs, un point c’est tout. L’autre question à laquelle le législateur allemand songe, c’est le fait que même certains adultes ne veulent pas ou pourraient ne pas vouloir être exposés à de la pornographie. La volonté de ne pas être exposé à de la pornographie, que ce soit pour des raisons religieuses, morales ou autres, relève du droit à la détermination sexuelle. En Allemagne, il y a deux camps : celui de la protection des mineurs et celui de la protection des adultes qui ne veulent pas être exposés à de la pornographie.

Le sénateur Cotter : Merci.

La sénatrice Clement : J’ai une question à poser à M. Jansa, mais je vais commencer par interroger notre témoin allemand. Vous travaillez dans ce domaine depuis longtemps, et j’imagine que vous avez lu le projet de loi parrainé par la sénatrice Miville‑Dechêne. Avez-vous des recommandations à formuler à ce sujet? Qu’auriez-vous souhaité faire différemment que nous pourrions mettre en œuvre dès maintenant?

M. Mellage : Eh bien, voilà une excellente question. En tant qu’Allemand, je ne pense pas être en mesure d’évaluer un projet de loi canadien, mais nous sommes heureux que d’autres pays tentent de mettre en œuvre la vérification de l’âge.

J’ai étudié le projet de loi de la sénatrice Miville‑Dechêne, et il est assez semblable à la réglementation en vigueur en Allemagne. La seule différence, c’est que, d’après ce que j’ai compris, le projet de loi concerne les fournisseurs de pornographie qui exercent ces activités — le mot m’échappe pour l’instant — un peu comme un travail professionnel. En Allemagne, la loi est conçue de manière à ce que personne, pas même un particulier, ne soit autorisé à diffuser son propre contenu pornographique partout dans le monde sans utiliser un système de vérification de l’âge. La loi a été critiquée récemment dans un article rédigé par un travailleur du sexe qui a déclaré que les travailleurs du sexe doivent être en mesure de faire la promotion de leurs services sur Internet, et a demandé pourquoi il doit y avoir un système de vérification de l’âge. Notre réponse est la suivante : oui, vous pouvez faire la promotion de votre travail et de vos services, mais vous êtes prié de ne pas le faire de manière pornographique et de manière à protéger les mineurs.

La sénatrice Clement : La question que j’adresse à M. Jansa est similaire. Si j’ai bien compris, vous avez lu le projet de loi, et vous avez formulé trois recommandations à son sujet. Vous êtes le père de trois enfants, et vous avez tenu à le mentionner. Que devons-nous améliorer dans le projet de loi? Quelle est votre principale recommandation ou la principale faiblesse que, selon vous, nous devons rectifier dans ce projet de loi?

M. Jansa : Je vous remercie de votre question. Tout d’abord, compte tenu de la variabilité des technologies de vérification de l’âge qui sont vendues sur le marché, il est important de s’assurer que ces technologies offrent des garanties appropriées et que nous pouvons avoir confiance dans les technologies mises en œuvre.

Je recommande premièrement d’expliquer dans le projet de loi en quoi consiste une technologie de vérification de l’âge afin de faire en sorte qu’elle protège la vie privée, qu’elle soit conçue en fonction de l’âge et qu’elle soit digne de confiance.

Le Règlement qui en découlerait, complété par mon autre recommandation, à savoir le fait de conférer au gouverneur en conseil le pouvoir d’approuver des normes, les codes de pratique et des programmes de certification, aurait pour effet de combiner une loi, un Règlement, des normes et des programmes de certification à titre de mécanisme de conformité de référence.

Ces deux recommandations particulières consistent donc à ajouter des dispositions au projet de loi pour décrire les technologies de vérification de l’âge, puis, compte tenu de la nature évolutive de ces technologies, pour pouvoir conférer des pouvoirs d’approbation des normes et des certifications, afin que nous puissions continuer de garantir que des mesures de protection appropriées sont en place après l’adoption de la loi.

[Français]

La sénatrice Clement : Merci à nos témoins.

La sénatrice Dupuis : Merci à nos témoins. J’ai deux questions; l’une s’adresse à M. Jansa et l’autre à M. Mellage.

Monsieur Jansa, ma première question porte sur votre deuxième recommandation. Je n’ai pas votre texte sous les yeux, mais vous avez parlé d’ajouter des algorithmes, ou vous avez parlé d’une question d’algorithmes dans la loi; est-ce bien cela?

Monsieur Mellage, quels sont les critères que l’Allemagne s’est donnés pour juger si sa loi est efficace? Vous avez dit que l’objectif était la protection des mineurs dans le cadre des télécommunications; qu’est-ce qui, selon vous, témoigne de l’efficacité de cette loi? Est-ce que la violence envers les enfants a diminué? On remarque qu’il y a beaucoup plus d’exploitation sexuelle des enfants sur Internet, mais avez-vous constaté que cela avait diminué chez vous, par exemple?

[Traduction]

M. Jansa : Je vous remercie de votre question.

En développant les technologies de vérification de l’âge en vue d’inclure des contrôles adéquats de l’utilisation des algorithmes d’intelligence artificielle, nous reconnaissons les types de technologies de vérification de l’âge qui sont vendues sur le marché. Nous l’avons entendu dire au cours des témoignages qui ont été apportés aujourd’hui au sujet de l’estimation de l’âge que des algorithmes d’intelligence artificielle sous-tendent, en fait, les technologies de ce genre. Nous devons nous assurer que des mesures de protection appropriées sont en place.

Nous devons être conscients qu’il y a une large gamme de technologies de vérification de l’âge; en nous assurant qu’elles comportent des mesures de protection appropriées, nous garantissons qu’elles sont dignes de confiance, qu’elles protègent la vie privée et que leur conception est adaptée à l’âge.

M. Mellage : Sénatrice Dupuis, je vous remercie de votre question. Oui, il est bien de nous interroger sur la façon dont nous mesurons le succès ou l’efficacité de la vérification de l’âge.

Au cours des dernières années, l’Allemagne a été le seul pays à disposer de ce système. Il sera maintenant déployé dans l’Union européenne une fois que la directive SMA aura été modifiée. Ensuite, les États membres devront le transposer dans leur législation nationale, et la directive exige que les fournisseurs de pornographie utilisent des systèmes de vérification de l’âge. Pour être honnête, je pense que l’effet du système ou sa réussite n’est pas encore mesurable.

Mais pour parler du point de vue de l’organisme de réglementation, je dirais que nous sommes très heureux en Allemagne. Nous sommes satisfaits que la directive SMA soit maintenant mise en œuvre en Europe. Même Chypre et l’Irlande ont transposé cette directive dans leur législation.

En outre, des pays en dehors de l’UE, comme le Royaume‑Uni, l’Australie et maintenant le Canada, songent à adopter une telle approche. Je pense qu’il serait vraiment utile, ou qu’il sera utile, que la question des systèmes de vérification de l’âge devienne une question internationale. Je suis personnellement convaincu que nous pourrons disposer d’un système efficace pour protéger nos enfants et nos mineurs que lorsqu’il sera adopté à l’échelle internationale.

Le sénateur Wetston : J’ai trois brèves questions à poser à M. Mellage.

Quel est l’âge de la majorité en Allemagne? Est-ce 18 ans?

M. Mellage : Oui, c’est 18 ans.

Le sénateur Wetston : L’Allemagne souscrit-elle au principe de la neutralité du réseau Internet?

M. Mellage : Oui, et ce principe figure aussi dans la loi européenne.

Toutefois, je crois — car je pense que M. Hutton l’a déjà dit — qu’une ordonnance de blocage d’un serveur de noms de domaines peut être une violation du principe de la neutralité du réseau Internet.

Je dois regarder une note que j’ai enregistrée sur mon ordinateur. Mais une telle violation peut être justifiée si une ordonnance judiciaire ou administrative a été émise en vue de bloquer une offre.

Le sénateur Wetston : Ma dernière question est la suivante : qui réglemente le contenu d’Internet en Allemagne?

M. Mellage : Les autorités des médias; les 14 autorités des médias pour être précis. Nous réglementons le contenu à des fins de protection des mineurs. Nous disposons de la KJM, qui est un organisme de réglementation, et nous n’avons donc pas... une défaillance autorisée n’a pas une approche différente de celle de la Bavière, par exemple.

Le sénateur Wetston : Je suppose que le traité interétatique permet à cet organisme d’évoluer en Allemagne et de réglementer le contenu. Et cette même organisation réglemente-t-elle les services de télécommunications?

Comme vous le savez, au Canada, il y a le CRTC — vous en avez entendu parler —, et la Loi sur la radiodiffusion est problématique. Ces fonctions sont-elles intégrées en Allemagne, ou s’agit-il de fonctions distinctes?

M. Mellage : Elles sont distinctes. Les services de télécommunications relèvent d’une autorité fédérale appelée la Bundesnetzagentur.

Le sénateur Wetston : Je vois.

M. Mellage : Je suis désolé, sénateur Wetson. Je ne connais pas le nom anglais de cette institution.

Le sénateur Wetston : Ça ne pose pas de problème. Merci, monsieur Mellage. Je vous suis reconnaissant des renseignements que vous nous avez communiqués.

La présidente : Je remercie infiniment MM. Jansa, Bouma et Mellage de leur présence et de leur exposé.

Monsieur Jansa, nous allons distribuer l’exposé que vous avez fait dans les deux langues officielles. Je suis sûre que les membres du comité tireront également beaucoup de renseignements de votre exposé.

Je tiens à vous remercier tous les trois. Vous nous avez vraiment aidés à comprendre le problème auquel nous faisons face, et nous vous remercions du temps et des efforts que vous avez consacrés à votre comparution.

Honorables sénateurs, cela conclut à la réunion.

J’aimerais simplement vous communiquer un suivi au sujet de la prochaine réunion. Comme nous avons reçu la motion no 14 du gouvernement, dont la date de rapport est le 31 mars, nous passerons à cette question au cours de nos prochaines audiences, après les semaines de relâche, et nous reviendrons ensuite au projet de loi S-210.

Je vous remercie de votre compréhension.

(La séance est levée.)

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