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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 23 mars 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la motion concernant l’imposition du chemin de fer du Canadien Pacifique en Saskatchewan.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Mobina Jaffer, je suis sénatrice de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider le comité. Aujourd’hui, la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se déroule sous forme hybride.

[Français]

Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler à la présidence ou au greffier, et nous nous efforcerons de résoudre le problème.

[Traduction]

Veuillez me faire signe seulement si vous n’avez pas de question. Dans le cas contraire, tous les membres du comité sont sur la liste des intervenants.

[Français]

Je voudrais prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : le sénateur Boisvenu, vice-président du comité, la sénatrice Batters, la sénatrice Boniface, le sénateur Campbell, la sénatrice Clement, le sénateur Cotter, le sénateur Dalphond, la sénatrice Dupuis, le sénateur Harder, la sénatrice Pate et le sénateur Tannas.

[Traduction]

Le sénateur Arnot va peut-être se joindre à nous. Nous accueillons aussi parmi nous le leader du gouvernement au Sénat, le sénateur Gold.

Sénateurs et sénatrices, nous étudions aujourd’hui la motion no 14 du gouvernement, qui nous a été renvoyée le 1er mars. La motion, si le comité l’adopte, entraînerait des modifications constitutionnelles concernant l’imposition du Chemin de fer Canadien Pacifique, aussi appelé CP ou CFCP.

Nous ouvrons la deuxième séance par le témoignage de CP Rail. Nous accueillons M. James Clements, vice-président principal, Planification stratégique et transformation technologique.

Monsieur Clements, nous allons vous demander de présenter votre exposé. Je veux aussi vous remercier d’être ici. Je peux vous assurer que les sénateurs et les sénatrices sont impatients de vous entendre.

James Clements, vice-président principal, Planification stratégique et transformation technologique, Canadien Pacifique : Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité. C’est un honneur pour le Canadien Pacifique d’être ici, et nous vous remercions de nous donner cette occasion de vous parler; nous sommes heureux que le Sénat puisse écouter notre témoignage sur ce dossier important. Notre but est de situer le contexte sur l’exemption fiscale à laquelle nous avons eu droit dans le passé, de veiller à ce que vos importantes délibérations s’appuient sur des faits véridiques et de soulever certains points que vous voudriez peut-être prendre en considération dans le cadre de vos délibérations.

Comme vous le savez, les fondateurs du CP et le gouvernement fédéral ont pris des engagements historiques pour construire et exploiter un chemin de fer transcontinental reliant le Canada et créant une infrastructure vitale pour le pays. Dans le cadre de ces engagements, l’article 16 accordait une exemption fiscale à perpétuité. Le CP a rempli ses obligations en vertu de ces engagements et les remplit encore aujourd’hui en continuant d’exploiter la ligne principale du Canadien Pacifique. L’exemption fiscale est inscrite dans la Constitution du Canada, et le CP a le devoir de faire appliquer ses droits pour ses actionnaires, dont de nombreux Canadiens. Cela étant dit, le CP a toujours été disposé à régler cette affaire raisonnablement, afin de trouver une solution qui soit avantageuse pour le CP comme pour les provinces touchées.

Commençons par un peu d’histoire. Le gouvernement fédéral a promis à la Colombie-Britannique le chemin de fer transcontinental qu’elle réclamait, quand la province a rejoint la Confédération en 1871. En vertu des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, ce chemin de fer devait être construit dans les 10 ans. En 1880, il y avait déjà eu deux tentatives malheureuses de construire un chemin de fer, l’une par des investisseurs privés, et l’autre par le gouvernement fédéral. Le délai de 10 ans était sur le point d’expirer. On doutait qu’il soit possible de financer le chemin de fer et de compléter la tâche difficile que représentait sa construction. Les conditions d’une crise politique et constitutionnelle étaient réunies, et le gouvernement a donc entamé des négociations avec les fondateurs du CP.

Dans ce contexte, le Parlement du Canada a adopté la loi de 1881 sur le CFCP. Cette loi comprenait un ensemble de mesures incitatives pour aider à financer et à construire le chemin de fer ainsi qu’un ensemble d’obligations pour le CP, notamment la construction du chemin de fer et une obligation unique à l’époque, celle de l’exploiter à perpétuité.

L’une de ces mesures incitatives, l’article 16, exemptait à tout jamais d’impôt une partie des activités du CP. Cette exemption ne s’applique qu’à la ligne principale et à certaines lignes secondaires précises. La ligne principale va de Bonfield, en Ontario, à Port Moody, en Colombie-Britannique. Le CP l’a terminée en 1885, lorsqu’on a enfoncé dans le sol le fameux dernier crampon.

L’exemption ne s’applique pas aux autres parties du réseau du CP, lesquelles ont toujours été, et seront toujours, assujetties à l’impôt.

Cette exemption constituait une partie si fondamentale de l’édification du Canada qu’elle a été spécifiquement intégrée, près d’un quart de siècle après l’adoption de la loi sur le CFCP, dans la Loi sur la Saskatchewan et la Loi sur l’Alberta, les lois fédérales qui ont créé ces provinces en 1905.

Ces deux lois figurent à l’annexe de la Loi constitutionnelle de 1982 et font partie de la Constitution canadienne.

Cela veut dire que cette exemption fiscale historique fait partie de la Constitution. Les cours canadiennes — y compris la plus haute cour — ont plus d’une fois confirmé que cette exemption existe et qu’elle s’applique aux provinces des Prairies.

La motion devant le Sénat est une tentative de la Saskatchewan de modifier la Constitution afin d’éliminer cette exemption en ayant recours au mécanisme prévu à l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Je vais maintenant parler de l’assise factuelle de l’amendement proposé. Le CP est convaincu que le Sénat voudra procéder en s’appuyant sur un compte rendu correct et qu’il rejettera toute tentative de l’induire en erreur.

Pour dire les choses simplement, même si d’autres ont pu affirmer le contraire publiquement, le CP n’a pas renoncé à cette exemption dans les années 1960. Cette affaire a fait l’objet d’un litige, qui a récemment été tranché par la Cour fédérale.

Ce qui est arrivé en 1966 a fait l’objet d’un débat très animé devant la Cour, et celle-ci a conclu, en s’appuyant sur des dossiers historiques clairs, que le CP avait seulement renoncé à l’exemption des taxes municipales. Le juge Diner a conclu que « les éléments de preuve montraient clairement que le demandeur avait renoncé à l’exemption envers les taxes municipales (ou “locales”) » seulement, au paragraphe 696. La Cour fédérale a aussi conclu, sur une question de droit, que l’article 16 demeurait contraignant pour l’une et l’autre parties encore aujourd’hui.

Le CP est convaincu que le Sénat s’appuiera sur les événements tels qu’ils sont survenus dans les années 1960 et rejettera toute mesure fondée sur une interprétation erronée des faits pertinents.

Le Sénat pourrait aussi vouloir prendre en considération le contexte dans lequel cet amendement a été proposé. La Saskatchewan a amorcé ce processus pour éviter une décision dans le cadre d’un procès en cours devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, à Regina. Durant ce procès, la personne qui représentait le gouvernement de la Saskatchewan a, en toute honnêteté, admis que l’amendement avait été proposé à cause de la poursuite et que son but était de se soustraire à l’issue du procès.

Le Sénat voudra sûrement déterminer si ce genre de circonstances militent pour l’adoption d’un amendement constitutionnel. Le CP est convaincu que le Sénat, lorsqu’il évaluera l’amendement proposé, portera une attention toute particulière aux principes importants qui seront touchés.

Comme certains d’entre vous le savent peut-être, la Cour suprême du Canada a déclaré que le droit de ne pas être assujetti à un impôt inconstitutionnel était essentiel à la primauté du droit. Je vais vous citer ce que la Cour a dit dans l’arrêt Kingstreet, en 2007 :

Lorsque le gouvernement perçoit et conserve une taxe en vertu d’une loi ultra vires, il sape la primauté du droit. En permettant à la Couronne de conserver une taxe ultra vires, on se trouverait à accepter une atteinte à ce principe constitutionnel absolument fondamental.

Le Sénat voudra probablement évaluer la proposition de la Saskatchewan au regard de ce principe.

Enfin, compte tenu des faits sous-jacents, du contexte de l’amendement et des principes importants qui sont en jeu, le CP implore le comité de réfléchir longuement à la mesure dans laquelle un amendement constitutionnel rétroactif serait viable.

Merci, madame la présidente. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Clements.

Le sénateur Cotter : Merci, madame la présidente.

Merci, monsieur Clements, d’être avec nous, d’avoir témoigné et de nous avoir brossé un portrait clair de la position du CP sur cette question.

J’ai quatre, peut-être même cinq questions. Je vais peut-être garder la dernière, qui m’est venue de vos observations sur l’arrêt Kingstreet, pour un peu plus tard.

Je vais commencer par celles que j’ai déjà.

Je crois que j’ai raison, en ce qui concerne le CP... Je devrais peut-être dire CP et Kansas City Southern, maintenant. Est-ce bien la raison sociale de l’entreprise?

M. Clements : Nous allons changer le nom de l’entreprise lorsque nous aurons l’autorisation du Surface Transportation Board des États-Unis de prendre le contrôle de Kansas City Southern, alors ce n’est pas exactement pour tout de suite, mais nous nous croisons les doigts pour que ce soit bientôt.

Le sénateur Cotter : Je crois que nous sommes d’accord sur les faits : le CP a versé des impôts provinciaux essentiellement sans désaccord ni différend de 1905 à 2008, et les a même payés en 1966, lorsqu’est survenue la controverse sur les faits dont vous avez parlé.

Pouvez-vous nous dire qu’est-ce qui a changé pour que le CP s’oppose maintenant, après avoir payé de l’impôt pendant plus de 100 ans, à verser ses impôts provinciaux?

J’ai deux autres questions, mais je crois que nous allons peut-être avoir une petite discussion, et que ce serait peut-être la bonne façon de nous y prendre.

M. Clements : Merci, sénateur, de votre question.

Pour vous dire ce qui a changé, nous avons préféré payer les impôts, puis demander aux cours de clarifier les droits. Nous n’avons pas accepté de renoncer à l’exemption fiscale durant cette période. À dire vrai, ce que nous avons fait, au fil du temps, c’est essayer de continuer de faire valoir ce droit sur diverses tribunes. Mais, pour être une bonne entreprise citoyenne, nous devions continuer de payer l’impôt jusqu’à ce que le droit soit clarifié.

Je soulignerais aussi que, si on regarde ce qui s’est passé en 1966 et l’entente qui a été conclue à ce moment-là, nous versons une subvention plutôt que de payer les taxes municipales, en reconnaissance de l’entente qui a été conclue à ce moment-là. Lorsque cela est arrivé, nous tenions pour acquis qu’un amendement visant précisément cette entente allait, à un moment ou à un autre, être proposé.

C’est donc pour cette raison, en reconnaissant que ce droit n’est toujours pas éteint, que nous avons décidé de verser une subvention au lieu de [Difficultés techniques] mesures de contestation, c’est comme cela que je le décrirais.

Le sénateur Cotter : C’est essentiellement depuis 2008, est-ce exact?

M. Clements : Eh bien, en 2008 — et vous avez cité l’arrêt Kingstreet —, l’affaire était devant les tribunaux. Quand j’ai dit « au fil du temps », je crois que vous parliez de 1905 et après.

À divers moments durant cette période, nous avons essayé de faire valoir nos droits. Diverses décisions ont d’ailleurs confirmé ce droit, durant toute cette période.

Le sénateur Cotter : Voulez-vous dire qu’il y a eu des décisions confirmant le droit du CP spécifiquement de ne pas payer d’impôts provinciaux de 1905 à 2008?

M. Clements : Oui, d’après ce que j’en sais, il y a eu toutes sortes de décisions dans les années 1950 — je crois qu’il y en a une en 1950 et une autre en 1958 — qui ont confirmé l’exemption.

Le sénateur Cotter : Si vous le voulez bien, je vais poser ma prochaine question : il y a une réclamation d’un certain montant — certainement des millions de dollars —, et vous vous attendez à être remboursé. Je crois qu’il serait juste de dire que si cet argent était remboursé au CP, cela reviendrait essentiellement à transférer le fardeau fiscal du CP aux citoyens de la Saskatchewan. Seriez-vous d’accord avec ce point de vue?

M. Clements : Non. Je ne dirais pas que je suis tout à fait d’accord avec ce point de vue.

L’une des choses que je veux réitérer, c’est que nous serions, comme je l’ai dit, prêts à négocier une approche pour arriver à une situation qui soit avantageuse pour le CP et pour n’importe laquelle des provinces où nous faisons valoir ce droit. Je crois que cela nous offrirait la possibilité, certainement, de continuer de voir de la valeur — que ce soit en Saskatchewan ou dans les autres provinces —, grâce à une entente raisonnable qui serait conclue entre les deux parties.

Le sénateur Cotter : J’ai une dernière question pour ce tour, si vous me le permettez, madame la présidente.

La présidente : Sénateur Cotter, est-ce que je peux vous inscrire pour le second tour, s’il vous plaît?

Le sénateur Cotter : Bien sûr.

La présidente : Mesdames et messieurs, j’ai oublié de vous dire que vous aurez quatre minutes à partir de maintenant pour poser vos questions au témoin.

La sénatrice Batters : Monsieur Clements, pouvez-vous nous expliquer une chose. J’ai l’impression qu’il y a deux litiges distincts. Je suis un peu confuse, parce que nous avons une note d’information selon laquelle il y a actuellement une procédure devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, puis on nous dit qu’il y a aussi une affaire devant la Cour d’appel fédérale qui, je crois, est toujours en cours.

Pouvez-vous nous dire si ces deux litiges sont toujours en cours et à quelle étape de la procédure ils en sont?

M. Clements : Oui, madame la sénatrice. Je serai heureux de clarifier cela.

Je dirais qu’il y a, en fait, quatre affaires.

Il y a la cause fédérale que vous avez mentionnée et pour laquelle une décision a été rendue. Le CP a interjeté appel de la décision. Présentement, l’affaire est rendue à cette étape; nous allons en appel.

Il y a une affaire que nous avons contre la Saskatchewan, qui est en cours. Je dirais que cette affaire est à l’étape de la détermination de la responsabilité.

Il y a aussi une procédure contre le Manitoba au sujet de l’exercice du droit prévu dans la Loi de 1881 sur le CFCP.

Il y a aussi une affaire avec l’Alberta.

Ces procès ne sont pas aussi avancés que celui avec la Saskatchewan. Je crois savoir qu’ils sont en suspens présentement, jusqu’à ce que la responsabilité soit déterminée au procès avec la Saskatchewan.

La sénatrice Batters : Le CP a perdu l’affaire en Cour fédérale, mais quel était l’enjeu, exactement? Quand vous dites que l’affaire de la Cour du Banc de la Reine est à l’étape de la détermination de la responsabilité, voulez-vous dire qu’il y a toujours des témoignages, ou est-ce qu’on attend les conclusions finales ou quelque chose du genre? Le procès est rendu à quelle étape exactement?

M. Clements : Pour ce qui est de l’affaire devant la Cour fédérale, vous avez raison de dire qu’une décision a été rendue. Nous demandions d’être exemptés de l’impôt fédéral, et il a été décidé que nous n’avions pas de protection constitutionnelle, ou que cela allait au-delà de la Constitution. C’est une question législative. Comme je l’ai dit, nous avons interjeté appel de la décision, de certaines parties de la décision. Je dirais, comme je l’ai mentionné dans mon exposé, que la Cour a effectivement conclu, à l’issue de la procédure, que l’exemption prévue dans la Loi de 1881 sur le CFCP était contraignante pour les parties, en ce qui concerne les provinces, et que nous n’avions pas renoncé à notre exemption. C’est ce qu’a conclu la Cour fédérale.

Pour la Saskatchewan, je crois savoir que l’affaire est suspendue. Des témoins ont été entendus. Je ne sais pas exactement combien il en reste, si le juge est rendu à son examen final ou si d’autres personnes vont témoigner, mais d’après ce que je sais, ils attendaient de voir ce qui allait se passer avec l’amendement.

La sénatrice Batters : Vous avez dit plus tôt au sénateur Cotter que le CP avait choisi de payer les impôts, et que vous préfériez procéder en intentant des actions en justice pour récupérer l’argent plus tard? Que pensent vos actionnaires de cette façon de procéder? C’est un peu inhabituel.

M. Clements : Merci de la question. Comme je l’ai dit dans mon témoignage, nous avons effectivement une obligation fiduciaire envers les actionnaires. Je suis certain que les poursuites en justice, selon notre préférence, ne sont pas la solution idéale. Nous sommes toujours disposés à essayer de négocier une entente entre nous et les diverses parties aux divers litiges. Au bout du compte, les cours ont le devoir de protéger les droits. Nous croyons que l’arrêt Kingstreet a établi très clairement qu’il y a un principe de droit fondamental selon lequel le gouvernement ne devrait pas pouvoir conserver une taxe ultra vires. Actuellement, nous avons effectivement — s’il est impossible d’avancer sur aucune autre tribune — l’obligation de protéger ces droits également.

Le sénateur Arnot : Merci, monsieur Clements. Selon vous, ou selon le CP, qu’est-ce qui serait une entente raisonnable où tout le monde trouve son compte?

M. Clements : Merci de la question, monsieur le sénateur. De notre point de vue, si nous voulons des discussions qui permettent de trouver une entente où chacun y gagne, c’est parce que nous croyons que l’esprit de la première loi de 1881 sur le CFCP était de créer un chemin de fer vital pour l’économie canadienne. Nous chercherions la possibilité de peut-être conclure un partenariat ou un investissement conjoint ou une autre sorte de participation entre nous et le gouvernement concerné, afin que l’esprit de la loi soit toujours respecté et qu’on puisse développer une infrastructure ferroviaire qui bénéficierait aux citoyens de la province en question, qui bénéficierait au Canada et qui servirait aussi à améliorer le réseau ferroviaire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur Clements, et merci beaucoup de votre présence.

Dans ce conflit, à part les répercussions liées à des éléments financiers ou à vos relations avec les deux ordres de gouvernement, soit fédéral et provincial, cette motion aurait-elle d’autres répercussions sur votre entreprise?

[Traduction]

M. Clements : Merci de la question. La motion, telle que proposée, n’aura pas de répercussions sur l’exploitation normale du Canadien Pacifique ni sur les collectivités que nous desservons. Nous voudrions poser une question, dans l’éventualité où l’amendement est adopté et que l’entente est ainsi modifiée en ce qui concerne l’impôt, et c’est que nous sommes à jamais exonérés d’impôts. Cette entente comprenait aussi une obligation perpétuelle pour nous, celle de maintenir et d’exploiter la ligne principale. C’est une obligation relativement unique, elle aussi. J’examinerais le contexte du libellé original de la Loi de 1881 sur le CFCP et les répercussions que cet amendement pourrait avoir sur toutes les autres composantes de la loi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous avez dit d’entrée de jeu que vous aviez actuellement, si j’ai bien compris, deux différends en cour, l’un avec le Manitoba et l’autre avec l’Alberta. Ai-je bien compris?

[Traduction]

M. Clements : Oui, c’est exact, monsieur le sénateur. Il y a deux autres différends devant les cours.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Cette motion, si elle est adoptée, aurait-elle une influence sur la conclusion de ces deux actions en cour?

[Traduction]

M. Clements : Merci de la question, monsieur le sénateur. Au bout du compte, je m’en remettrais à la compétence et à la décision des cours. Nous nous attendons à ce que l’amendement fasse peut-être partie de la jurisprudence et soit pris en considération dans les examens de la cour, mais je ne peux pas faire de commentaires sur la façon dont cela pourrait influencer la décision finale du juge.

Le sénateur Dalphond : Merci d’être avec nous aujourd’hui. Je sais que la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Kingstreet a été rendue en 2007. Essentiellement, s’il est conclu que l’État, qu’il s’agisse d’une province ou du gouvernement fédéral, perçoit des taxes inconstitutionnellement, alors vous avez le droit de revendiquer l’argent, parce que l’État ne peut pas bénéficier d’une action inconstitutionnelle. Cela vous a amené à intenter quatre actions en justice : l’une devant la Cour fédérale, et trois en Saskatchewan, au Manitoba et en Alberta.

Êtes-vous d’accord avec moi pour dire que ce qui est protégé par la Constitution de la Saskatchewan, c’est l’exemption fiscale, comme définie dans le contrat?

M. Clements : Merci de la question, monsieur le sénateur. Oui, je serais d’accord pour dire que la portée de l’exemption se limite à l’entente prévue dans le contrat de 1880, qui constitue l’annexe de la Loi de 1881 sur le CFCP.

Le sénateur Dalphond : Est-ce que je dois comprendre, d’après ce que vous dites — et je crois que nous nous entendrons pour dire que cette position est correcte en droit — que, s’il est conclu que la portée du contrat est celle qui a été définie par la Cour fédérale ou même les instances supérieures, comme la Cour d’appel fédérale et peut-être même la Cour suprême, alors cela veut dire que tous les impôts dont vous réclamez le remboursement à la Saskatchewan équivaudraient plus ou moins à l’impôt sur le capital, c’est-à-dire 4 millions de dollars?

M. Clements : Merci de la question. Nous ne voulons pas présumer de ce qui sera décidé, dans l’affaire en Saskatchewan, par rapport à la portée des impôts. Cette question serait étudiée lors de la phase de communication des documents, s’il y avait une conclusion de responsabilité à la première phase du procès.

Vous soulevez cependant un point important, sur lequel j’aimerais insister, monsieur le sénateur : la portée de l’exemption se limite très précisément à la ligne principale. Il y a toujours un grand nombre de lignes secondaires et d’autres activités en Saskatchewan et dans les autres provinces concernées ainsi qu’en Alberta, et nous ne demandons pas d’être exemptés de tous les impôts en Saskatchewan. Nous revendiquons une exemption qui s’applique strictement à la ligne principale, comme cela a été prévu dans les contrats. Nous allons continuer de payer de l’impôt à la Saskatchewan, même s’il y a une conclusion de responsabilité et [Difficultés techniques].

Le sénateur Dalphond : Ce serait dans l’éventualité où la portée de l’exemption est plus large que ce que la Cour fédérale a tranché.

M. Clements : Je ne suis pas certain de comprendre la nuance de votre question, monsieur le sénateur. Il y aurait quelques exemptions. Comme je l’ai dit, il faut attendre que cela soit décidé, en Saskatchewan, en ce qui concerne l’exemption provinciale.

Le sénateur Dalphond : Pouvez-vous confirmer ce que le procureur général de la Saskatchewan a dit ce matin, à savoir que, si on se fie à l’impôt sur le capital, en Saskatchewan, la réclamation est de 4 millions de dollars?

M. Clements : Excusez-moi, monsieur le sénateur, je n’ai pas entendu cette audience, mais on nous a demandé au début de la phase de détermination de la responsabilité, dans le procès en Saskatchewan, de fournir une estimation générale de l’impôt en question, et nous avons dit 4 millions de dollars. Encore une fois, le montant exact devra être déterminé lors de la phase de recouvrement du procès, mais c’est exact, l’estimation générale que nous avons donnée pour le procès était de 4 millions de dollars.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Le sénateur Campbell : Je vous remercie d’être avec nous, monsieur Clements, depuis Golden, en Colombie-Britannique. J’aimerais approfondir un peu le sujet des impôts. Dans l’entente que vous avez conclue avec le gouvernement du Canada il y a un siècle, qu’est-ce qui serait imposable? Je crois comprendre que vous avez obtenu des terrains de chaque côté de la ligne, d’un bout à l’autre. Est-ce exact?

M. Clements : Dans le cadre de l’entente, CP a obtenu 25 millions d’acres de terrain pour la construction de la ligne principale, c’est exact.

Le sénateur Campbell : C’était d’un bout à l’autre de la ligne principale, de chaque côté?

M. Clements : Il y avait une alternance de parcelles de terrain habitables et des parcelles de 640 acres, sur 24 milles de profondeur, de chaque côté de la ligne principale.

Le sénateur Campbell : Ce qui veut dire que des municipalités ont été construites, et qu’elles percevaient des impôts. Étiez-vous exempté d’impôts jusqu’à ce que vous ayez conclu ce qui semble être une entente — je ne crois pas que ce soit écrit nulle part — pour le remboursement de l’impôt?

M. Clements : La partie de la question qui m’échappe concerne le statut fiscal des terres concédées. D’après ce que je comprends, l’exemption se limite précisément à l’entretien, à l’exploitation et à la propriété de la ligne principale proprement dite. Je ne crois pas que l’exemption s’applique aux concessions de terres elles-mêmes.

Par rapport à l’entente de 1966, je crois savoir que la lettre du président du Chemin de fer Canadien Pacifique de l’époque et l’entente proposée entre le gouvernement fédéral de l’époque et le CP a été lue aux fins du hansard à ce moment-là, alors je crois qu’il y a un compte rendu documentaire de cela, disons. Je crois aussi que le juge Diner a conclu qu’il y avait des documents reflétant clairement les discussions qui ont eu lieu, quand il a reconfirmé l’existence du droit et le fait que nous n’avions renoncé à rien, mis à part les taxes municipales.

Le sénateur Campbell : Donc, juste pour que ce soit clair : les terres, et cetera, ne font pas partie de l’entente. L’exemption fiscale s’applique à tous les coûts qui sont directement reliés à la ligne, et pas à quoi que ce soit de chaque côté.

M. Clements : La ligne, son exploitation et son entretien, mais pas les terres concédées. [Difficultés techniques] partie de l’emprise ferroviaire qui constitue la ligne principale, mais pas les terres concédées. Encore une fois, je dis cela au meilleur de ma connaissance. Je n’ai pas fait de recherche sur cette question précise avant de venir témoigner.

Le sénateur Campbell : Merci de votre présence aujourd’hui.

Le sénateur Tannas : Merci d’être ici, monsieur. Vous avez dit une ou deux fois que vous étiez tout à fait disposé à négocier un certain genre d’entente. De fait, je crois qu’on vous a demandé ce que vous vouliez ou quel en serait le bénéfice. Je vous ai entendu dire que le bénéfice serait en quelque sorte un investissement conjoint dans l’infrastructure pour renforcer la ligne dans l’avenir. En échange, je présume que vous renonceriez à vos droits passés et futurs.

Y a-t-il eu des progrès de ce côté-là depuis les dernières années? J’aimerais surtout savoir si les négociations ou les discussions ont progressé d’une façon ou d’une autre depuis que le gouvernement de la Saskatchewan a intenté cette poursuite en justice pour faire cesser rétroactivement vos droits.

M. Clements : Merci de la question, monsieur le sénateur. Je dois être prudent sur ce sujet, parce que toute discussion qui peut avoir lieu entre les gouvernements est confidentielle, et pour révéler le contenu de ces discussions, je devrais avoir aussi le consentement du gouvernement concerné.

Durant leurs procédures, les cours ont traditionnellement recommandé la médiation et d’autres formes de conciliation. Je crois juste de dire que c’est ce qui est arrivé, dans le contexte de ces discussions, mais je ne peux pas fournir de détails précis, vu leur nature confidentielle.

Le sénateur Tannas : Y a-t-il eu de la médiation entre vous et le gouvernement de la Saskatchewan, sur cette affaire précise?

M. Clements : Oui, effectivement.

Le sénateur Tannas : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, monsieur Clements, de comparaître devant le comité aujourd’hui.

J’aimerais vous poser une première question. Au début de votre présentation, vous avez parlé du contexte où il y a eu des taxes qui ont été payées par la compagnie. Il y a eu des décisions en votre faveur concernant l’exemption. Vous avez fait référence aux années 1950. Je comprends que vous n’ayez pas tout cela en mémoire aujourd’hui, mais pouvez-vous faire parvenir au greffier du comité la série d’événements exacts auxquels vous avez fait référence, soit les taxes qui ont été payées et les décisions que vous avez invoquées qui allaient en votre faveur? J’aimerais que vous puissiez faire parvenir ces informations au comité.

Ma question porte sur l’entente. Une entente a été conclue. On parle d’un projet qui traverse plusieurs provinces et qui a été créé pour satisfaire une exigence de la Colombie-Britannique. Cherchez-vous à conclure une nouvelle entente, en dollars de 2022, comparable à celle que vous avez obtenue en dollars de 1881?

Autrement dit, cherchez-vous à conclure une entente avec le gouvernement fédéral — parce qu’à l’origine, c’était une entente avec le gouvernement fédéral — ou quatre ententes séparées? Cherchez-vous donc à conclure une entente globale avec le Canada qui porterait sur l’ensemble des trois provinces et couvrirait davantage l’aspect fédéral, ou plutôt quatre ententes séparées?

Est-ce que vous pourriez être plus explicite sur ce que vous recherchez?

[Traduction]

M. Clements : Merci de poser la question, madame la sénatrice. Vous parlez de l’étendue de la ligne ferroviaire en question. Effectivement, elle s’étend sur plus d’une province. La ligne principale — je crois en avoir parlé dans mon exposé — part de Bonfield, en Ontario, tout juste à l’est de North Bay. Donc, la ligne traverse une bonne partie de l’Ontario et toutes les provinces des Prairies. Nous avons l’obligation d’entretenir et d’exploiter la ligne sur tout son long, jusqu’à Port Moody, en Colombie-Britannique, donc essentiellement en traversant la Colombie-Britannique jusqu’au port de mer. Voilà son étendue.

Pour que ce soit très clair, nous avons dit que l’exemption fiscale envisagée dans l’entente de 1881 s’appliquait... L’affaire devant la Cour fédérale portait sur son application au gouvernement fédéral, puis aux provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta. Voilà son étendue. Ces affaires individuelles sont en cours. Nous n’avons pas d’opinion ferme quant à l’éventualité de conclure une entente géante avec le gouvernement fédéral et toutes les provinces réunies; nous ne savons pas si cela pourrait être satisfaisant et si cela pourrait fonctionner pour nous.

Nous examinerions aussi les ententes individuelles. Pour que ce soit 100 % clair, nous sommes aussi heureux de continuer de respecter la « grande entente », comme je vais l’appeler, et ses modalités. L’exemption va continuer de s’appliquer, tout comme l’obligation.

Ce que nous voulons, c’est que les droits soient confirmés. Si on proposait une autre entente, peut-être que cela nous intéresserait de la conclure. L’exemption de 1966 portait sur la question des taxes municipales. Beaucoup de choses se passaient à ce moment-là — par exemple, la Commission MacPherson sur les tarifs appliqués au grain, puis, finalement, en 1967, l’adoption de la Loi sur les transports nationaux —, tous ces changements se produisent donc dans un certain contexte, et il faudrait examiner le contexte du changement en question. Autrement, nous dirions : voici l’entente, voici la loi et voici le contrat. Nous nous attendons toujours à devoir les respecter. Ce n’est pas nécessairement un changement que nous désirons.

Ce que nous disons, comme cela a été établi dans l’arrêt Kingstreet, c’est que, puisqu’une exemption fiscale était prévue dans la Constitution, nous avons un droit créé par cette entente géante de ne pas payer d’impôts, dans le cadre de cette entente, relativement à la ligne principale historique.

Le sénateur Harder : Merci, monsieur Clements, de votre présence aujourd’hui. J’ai quelques petites questions pour vous. L’Assemblée législative de la Saskatchewan vous a-t-elle invités à présenter des observations avant de déposer la motion?

M. Clements : Non, nous n’avons pas été invités.

Le sénateur Harder : Vous avez confirmé, en répondant à la question du sénateur Tannas, qu’il y avait eu des discussions à des fins de médiation, à un moment donné. Y en a-t-il eu depuis que l’Assemblée législative de la Saskatchewan a déposé sa motion?

M. Clements : Encore une fois, ce qui se passe entre les parties est confidentiel, alors je crois que j’aurais besoin du consentement du gouvernement de la Saskatchewan.

Le sénateur Harder : Je comprends. Je voulais savoir s’il y avait ou non des discussions présentement et situer le contexte dans lequel s’inscrivent les mesures proposées dans la motion. Le but était-il d’exercer des pressions lors des négociations, ou de trouver une autre solution?

Aidez-moi un peu. Selon le témoignage que nous avons entendu ce matin, cette motion ne change rien au contrat, et nous avons aussi entendu — et vous l’avez confirmé — que les obligations fiscales dans le contrat, relativement à la ligne principale, sont d’environ 4 millions de dollars. Pourquoi alors parle-t-on de 341 millions de dollars, et pourquoi dit-on que cet amendement constitutionnel permettra de mettre en place un contrat et un régime d’imposition équitable?

M. Clements : Pour répondre à la dernière partie de votre question, monsieur le sénateur, je veux seulement que tout soit très clair par rapport à ces 4 millions de dollars. À ma connaissance, on parlait uniquement d’impôt sur le capital. Je crois que les 340 millions de dollars, c’est pour le portefeuille global de tous les impôts au fil du temps. Encore une fois, les cours n’ont pas tranché quant à la portée de l’exemption. Je ne vais pas trancher ou me prononcer ici. Je vais m’en remettre...

Le sénateur Harder : Je comprends.

M. Clements : Ce chiffre de 340 millions de dollars a été fourni par le CP, à la demande de la Cour de la Saskatchewan, qui voulait une estimation de la hauteur de la revendication. Encore une fois, c’est la cour qui va devoir rendre une décision quant à cette revendication.

Au début de votre question, vous avez demandé quelle était l’intention de la Saskatchewan quand elle a proposé cet amendement. Quelqu’un a déjà témoigné à ce sujet, alors je vais m’en remettre à ce témoignage. Toutefois, comme je l’ai dit dans mon témoignage, nous avons l’impression que le litige a plus d’importance que toute négociation qui était en cours. Il y a même eu un témoin de la Saskatchewan qui a dit que l’amendement était motivé par le fait qu’il y avait un procès, et aussi, selon nous, par la décision de la Cour fédérale et par certaines des conclusions de la décision de la Cour fédérale.

Le sénateur Harder : Que diriez-vous à ceux qui affirment que vous essayez de ne pas payer votre juste part d’impôts?

M. Clements : Je leur dirais que nous payons notre juste part d’impôts. Encore une fois, l’exemption s’applique seulement à la ligne principale historique. Nous allons continuer de payer de l’impôt en Saskatchewan pour toutes les autres activités, ainsi que pour tous les aspects de l’exploitation.

Je dirais qu’il y avait une entente et que nous continuons à la respecter dans le cadre de nos activités. Il y a une disposition limitée qui réduit effectivement nos impôts, mais nous payons toujours l’impôt que nous devons en vertu de la loi. Ce que nous disons, c’est que cet impôt est inconstitutionnel, et c’est pourquoi nous soutenons que nous ne devrions pas payer de l’impôt inconstitutionnel, conformément à la conclusion de l’arrêt Kingstreet.

Le sénateur Harder : Si la motion a été adoptée par le Sénat, votre entreprise serait-elle toujours disposée à négocier et à parvenir à une entente pour régler ces questions économiques?

M. Clements : Oui, nous serions toujours disposés, même si l’amendement était adopté.

Le sénateur Harder : Merci.

La sénatrice Clement : Merci de votre présence, monsieur Clements. J’aimerais revenir à la question du sénateur Boisvenu, du moins en partie. Disons que vous perdez le procès et que vous êtes tenu de payer de l’impôt, quel serait l’impact sur l’exploitation de votre entreprise? Est-ce que cela aurait une incidence sur l’intégrité de notre système de transport?

M. Clements : Merci de la question, madame la sénatrice. Comme je crois l’avoir mentionné, non, il n’y aurait aucun changement dans la nature de l’exploitation de la ligne principale historique ni de toute autre partie du CP au Canada.

La sénatrice Clement : Je vais revenir sur une question que le sénateur Harder vient de poser. Vous avez dit, plus tôt, que vous étiez une bonne entreprise citoyenne, parce que vous payez de l’impôt pendant le litige. Ne pourrait-on pas dire qu’être une bonne entreprise citoyenne, ce serait de payer tous les impôts, qui sont utilisés pour le bien de tous les Canadiens, et que la Saskatchewan veut unanimement changer cela parce que ce n’est pas équitable pour elle?

M. Clements : Encore une fois, je répéterai que, comme cela a été dit dans l’arrêt Kingstreet, c’est un principe de droit fondamental que les entreprises ne devraient pas payer de taxes ultra vires ou un impôt inconstitutionnel. C’est ce que nous faisons valoir, relativement à l’exemption. Le CP paye effectivement de l’impôt et continuera de le payer. Notre but n’est pas de ne payer aucun impôt. Ce que nous disons, c’est que cet impôt est visé précisément par l’entente géante de 1881.

La sénatrice Clement : Merci.

La sénatrice Pate : Merci d’être avec nous, monsieur Clements.

On parle beaucoup du fait que cette entente a été conclue en 1881, à une époque où les Premières Nations n’avaient pas vraiment les protections constitutionnelles que nous leur reconnaissons aujourd’hui. C’est aussi un fait largement reconnu qu’une grande partie des terres qui ont été fournies au CP ou qui sont utilisées par le CP sont des terres des Premières Nations, la plupart non cédées et certaines assujetties à un traité, même si le gouvernement lui-même n’a pas respecté ni appliqué ces traités.

Je serais curieuse de savoir quelle partie des terres visées par cet impôt sont des terres visées par un traité? Combien étaient des terres non cédées? Votre entreprise ressent-elle une obligation en vertu d’un traité ou une obligation morale ou constitutionnelle à l’égard des Premières Nations?

M. Clements : Merci, madame la sénatrice, de poser la question. En ce qui concerne la répartition des terres entre terres cédées et terres visées par un traité, je n’ai pas ces données. Je n’avais prévu cela pour cette comparution.

En ce qui concerne les Premières Nations, nous pensons que nous avons une relation importante avec elles dans les collectivités dans lesquelles nous menons nos activités. Nous avons un engagement productif avec toutes les Premières Nations concernées. Nous continuons de travailler de manière constructive avec elles sur les préoccupations et les problèmes.

La sénatrice Pate : Cela signifie-t-il que, si vous gagnez vos procès, vous partageriez avec ces Premières Nations une partie des produits de l’impôt que vous ne payez pas?

M. Clements : Encore une fois, nous n’avons pas encore examiné cette question. Je n’y ai pas réfléchi. Je ne suis pas à l’aise pour répondre à cette question actuellement, et je ne suis pas en mesure de le faire. Merci.

La sénatrice Pate : Merci.

Le sénateur Cotter : J’ai deux questions, s’il reste du temps.

Monsieur Clements, vous avez tout à l’heure mentionné que votre entreprise payait l’impôt provincial qu’elle contestait ensuite, de temps à autre. Et vous avez dit que, dans les années 1950, il y avait eu une décision. Le CP et le gouvernement du Canada ont déposé au dossier de la Cour fédérale un exposé de faits conjoint de 23 pages, qui porte sur l’impôt fédéral et l’impôt provincial en Saskatchewan, au Manitoba et en Alberta. Il décrit essentiellement l’histoire. C’est assez long. Il est cité du début à la fin dans la décision. Il n’y a aucune référence à une décision en faveur du CP concernant l’impôt provincial. Il y a seulement un aperçu périodique des objections, des ententes négociées, et des paiements continus de cet impôt jusqu’en 2008.

Pourriez-vous m’aider à comprendre? J’ai une seconde question, s’il reste du temps.

M. Clements : Si je me souviens bien, il y a eu des décisions du tribunal. Encore une fois, en me préparant, je ne me souvenais plus de la décision exacte rendue dans les années 1950 qui confirmait les droits et l’exemption; je parle de l’exemption prévue dans la loi de 1881 sur le CFPC. Je ne peux pas la citer de mémoire. Je m’en excuse, monsieur le sénateur.

Le sénateur Cotter : Peut-être que l’un de vos collègues peut mettre la main dessus et nous la transmettre, ce serait utile.

Le sénateur Tannas m’a encouragé à être aussi prévenant que possible, malgré que je sois l’un des promoteurs de cette résolution sur le CP. Je me disais qu’il y avait une sorte de souplesse fiscale à l’égard du CP en Saskatchewan. J’ai pensé que cela pourrait peut-être être contrebalancé par une générosité sociale importante de la part du CP, dans la province.

J’ai donc parcouru votre site Web, chaque aspect que j’ai pu trouver. À l’exception des fonds provenant d’un tournoi de golf féminin parrainé par le CP, il y a environ cinq ans, la Saskatchewan ne bénéficie d’aucune prestation sociale de la part du CP. Il y en a beaucoup pour d’autres provinces. Je suis frappé de voir que les trois provinces des Prairies assument ce fardeau fiscal, si je peux l’appeler ainsi, mais que le CP ne semble rien faire en retour. Pourriez-vous m’éclairer à ce sujet?

M. Clements : Oui. Quand j’y pense, la seule chose qui me vient à l’esprit, monsieur le sénateur, c’est que, chaque année, nous organisons le Train des Fêtes du CP, qui parcourt le Canada et les États-Unis. Nous nous arrêtons dans de nombreuses collectivités. Nous faisons des dons aux banques alimentaires locales de ces collectivités. C’est l’œuvre de bienfaisance sur laquelle nous nous concentrons avec cette activité ferroviaire. Je crois que nous en sommes à 20 millions de dollars depuis que nous avons lancé ce train et à plus d’un million de livres de produits alimentaires. Les collectivités de la Saskatchewan font partie de cette action caritative et des arrêts que nous faisons.

Comme vous l’avez dit, une des grandes choses que nous faisons pour le programme CP a du cœur est la commandite du tournoi de golf féminin, qui permet de recueillir des fonds pour divers hôpitaux, l’Hôpital pour enfants Jim Pattison, entre autres. Nous y avons intentionnellement inclus la Saskatchewan. Nous nous déplaçons dans tout le pays, mais la Saskatchewan est importante pour nous, et c’est pour cela que nous l’avons incluse dans notre liste, si vous voulez.

Nous contribuons toujours pour la Saskatchewan, comme nous le faisons dans les collectivités qui font partie de tout notre réseau. Nous avons de nombreux employés dans la province, et ce sont des membres très actifs de la collectivité et ils contribuent aussi énormément, individuellement.

La sénatrice Batters : En tant qu’avocate de la Saskatchewan, je voulais attirer l’attention de ce comité et des personnes qui nous regardent sur le fait que, dans toutes les procédures de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, il y a différents points définis dans ces procédures, qui doivent avoir lieu dans toutes les actions en justice. Tout d’abord, au tout début du processus, il doit y avoir une médiation entre les parties. Plus tard dans le processus, il doit y avoir une conférence préalable à l’instruction avant que la date du procès ne soit fixée. C’est à ce moment-là que les parties rencontrent un autre juge du Banc de la Reine et essaient de trouver une solution. Les deux parties doivent certifier que des discussions de conciliation se sont tenues avant que la date d’un procès ne soit fixée dans ce processus.

Puisque cette affaire fait actuellement l’objet d’un procès devant la Cour du Banc de la Reine, je suppose que toutes ces choses ont été faites dans le procès du CP et de la Saskatchewan devant la Cour du Banc de la Reine. N’est-ce pas?

M. Clements : Oui, c’est exact.

La sénatrice Batters : Excellent. Il y a donc eu de nombreux points de discussion différents et de règlements en cours de route. Je pense également qu’il est important de se rappeler ici que cette affaire en particulier a non seulement fait l’objet d’une motion adoptée à l’unanimité par la Saskatchewan, mais aussi d’une motion adoptée à l’unanimité par la Chambre des communes. La motion que nous étudions aujourd’hui au comité sénatorial est une motion du gouvernement du Canada, et non pas d’un député en particulier. Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci à notre témoin. Je reviens sur votre différend avec les deux autres provinces. Sur le fond, les différends que vous avez avec les deux autres provinces, soit l’Alberta et le Manitoba, sont-ils de la même nature que celui que vous avez avec la Saskatchewan?

[Traduction]

M. Clements : Oui, la nature générale de l’exemption est la même. En fait, l’Alberta est presque identique à la Saskatchewan, dans le sens où la loi de 1881 sur le CFCP a été intégrée à la Loi sur l’Alberta en 1905, qui fait alors partie de la Constitution canadienne. C’est donc exactement la même chose qu’au Manitoba.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : L’adoption de cette motion ne vous inciterait-elle pas à entamer des discussions avec les deux provinces pour en arriver à une entente hors cour? Vous serez plutôt confronté, une deuxième fois et une troisième fois, à des motions similaires.

[Traduction]

M. Clements : Monsieur le sénateur, votre remarque est très sage dans le sens où nous serions confrontés, du moins en Alberta, à la même chose potentiellement. Encore une fois, je ne me prononcerai pas sur la question de savoir s’il y a eu ou non des négociations, ou s’il y en a en cours, ou sur les détails de celles-ci, mais, comme l’a remarqué la sénatrice Batters, les différentes instances judiciaires ont des exigences en matière de médiation et tout le reste. Il est juste de supposer que, quand c’est nécessaire, cela a lieu ou aura lieu avec d’autres provinces.

Le sénateur Dalphond : Dans la déclaration du CFPC devant le juge de la Cour du Banc de la Reine, vous avez dit que la taxe sur les carburants représentait 248 millions de dollars et que l’impôt sur le revenu était de 40 millions de dollars. Dans la décision de la Cour fédérale, le juge a conclu que les parties avaient l’intention de ne pas inclure dans l’exemption les taxes sur les carburants ni l’impôt sur le revenu.

Je crois comprendre que, si la décision est confirmée par les instances supérieures, le CP, en tant que bonne entreprise citoyenne, renoncera à la réclamation des taxes sur les carburants et de l’impôt sur le revenu, en Saskatchewan.

M. Clements : Merci, monsieur le sénateur, de poser la question. La première chose que je dirais, c’est que la décision de la cour fait l’objet d’un appel. Nous ne voulons pas évaluer ce que signifie la décision d’un tribunal tant que nous n’aurons pas eu une décision et un règlement quant à la façon dont cela peut s’appliquer à une autre instance. En ce moment, nous réglons des affaires devant le tribunal, en Saskatchewan, et le juge examinera tous les faits et les preuves dont il dispose et rendra une décision.

Le sénateur Dalphond : Je comprends que vous êtes prêt à aller devant la Cour suprême comme dans la cause du renvoi du Manitoba, du renvoi de la Saskatchewan et toutes les autres affaires concernant l’article 16 du même contrat. Je pense que la Cour suprême serait ravie de rendre une décision plus récente sur ce contrat historique. Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Monsieur Clements, pouvez-vous me dire si tous les montants que le Canada devra payer, comme celui qui vient de lui être réclamé par le Tribunal des revendications particulières du Canada, dans le cas de la bande siska, soit 4,8 millions de dollars... Estimez-vous que les terres prises illégalement pour mener votre opération, puisque vous avez toujours la propriété de ce chemin de fer, doivent être soustraites, en fait, tout ce à quoi le gouvernement fédéral a contribué, c’est-à-dire les taxes des citoyens canadiens — comme vous, si vous êtes citoyen canadien? Je le suis. Est-ce que cela devrait être soustrait pour ne pas accroître le fardeau financier que les Canadiens ont déjà payé pour ce que vous avez appelé le grand bargain de 1881? Seriez-vous d’accord pour que l’on soustraie, de toute solution négociée avec vous, tout ce qui devra être payé par le Canada en vertu des indemnités qui vont lui avoir été imposées par le Tribunal des revendications particulières du Canada, comme l’exemple que j’ai donné?

[Traduction]

M. Clements : Monsieur le sénateur, je ne suis pas au courant des réclamations de la bande Siska, et je ne comprends donc pas comment elle se rattache à l’amendement.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je ne parle pas d’une allégation, je parle d’un jugement rendu qui ordonne au gouvernement fédéral de payer 4,8 millions de dollars. Je parle de jugements rendus par un tribunal. Est-ce que vous accepteriez que cela soit soustrait de toute entente qui pourrait être conclue avec vous pour régler le présent litige?

[Traduction]

M. Clements : Je me suis peut-être mal exprimé en utilisant le mot « réclamation ». Je ne suis pas au courant du jugement rendu concernant les 40 millions de dollars et du contexte, et de la façon dont il s’appliquerait par rapport à l’amendement dont il est question ici. Je ne peux pas fournir de réponse à cette question.

La présidente : Monsieur Clements, j’aimerais en profiter pour vous remercier de comparaître aujourd’hui. Comme vous le voyez, on s’intéresse beaucoup à ce que vous dites. Nous espérons ne plus vous revoir et que vous mènerez les négociations que le comité vous exhorte à mener pour les autres provinces. Je plaisante. Merci beaucoup d’être ici. Nous avons beaucoup appris de vous.

M. Clements : Merci, madame la présidente.

La présidente : Pour notre second groupe de témoins, cet après-midi, nous accueillons, M. Benoît Pelletier, professeur à l’Université d’Ottawa, à titre personnel; M. Dwight Newman, professeur de droit et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits des Autochtones dans le droit constitutionnel et international, de l’Université de la Saskatchewan, et M. Patrick Taillon, professeur et codirecteur du Centre d’études en droit administratif et constitutionnel, de l’Université Laval.

Nous commencerons par vous, monsieur Pelletier. Vous avez cinq minutes.

[Français]

Benoît Pelletier, professeur, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci, madame la présidente. Messieurs et mesdames les sénateurs, bonjour.

[Traduction]

Merci de me recevoir aujourd’hui. J’ai préparé un document dans les deux langues officielles. Je ne sais pas s’il vous a été transmis, mais je présenterai mon exposé en français. Je serai prêt à répondre à vos questions dans la langue officielle de votre choix.

[Français]

La Loi sur la Saskatchewan fait partie de la Constitution du Canada au sens du paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. Sa modification relève de la procédure de modification constitutionnelle établie dans la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982.

Dans cette partie V, deux modalités de modification constitutionnelle attirent plus particulièrement notre attention. Il s’agit de la modalité prévue à l’article 45 et de celle prévue à l’article 43.

La modalité mentionnée à l’article 45 permet la modification unilatérale de la Constitution de la province par une législature provinciale. La modalité qui est consacrée à l’article 43 requiert le consentement du Sénat — sous réserve que le Sénat ne dispose que d’un veto suspensif de 180 jours —, de la Chambre des communes et de la législature de chaque province concernée par la modification envisagée.

Il est clair dans notre esprit que la modification des dispositions de la Loi sur la Saskatchewan de 1905 relève en partie de l’article 43 et en partie des autres modalités de modification constitutionnelle prévue dans la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982.

En particulier, nous sommes d’avis que l’article 24 de la Loi sur la Saskatchewan peut être modifié en vertu de l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982, c’est-à-dire par le Sénat — sous réserve de son veto suspensif de 180 jours —, par la Chambre des communes et par la législature saskatchewanaise. En effet, l’article 24 en question touche à la fois les intérêts fédéraux, puisque c’est le gouvernement du Canada qui a négocié avec la compagnie du Canadien Pacifique le contrat dont parle l’article 24, et les intérêts de la Saskatchewan, puisque la modification vise la loi constitutive de cette province.

La modification souhaitée ne touche pas les intérêts des autres provinces en tant que telles, bien que le Manitoba et l’Alberta soient aussi intéressés par le chemin de fer et bien que celui-ci doive, au départ, servir surtout au bénéfice de la Colombie-Britannique.

La question se pose néanmoins de savoir si une modification constitutionnelle peut être rétroactive et compromettre, de ce fait, les droits d’une personne, fût-elle morale ou physique. Il est très difficile de répondre à cette question. D’un côté, le pouvoir constituant — c’est-à-dire le pouvoir de modifier la Constitution — est, jusqu’à présent, conçu et perçu par plusieurs experts comme étant illimité, c’est-à-dire que rien ne devrait être à l’abri d’une modification constitutionnelle formelle. En d’autres termes, rien n’est soustrait à la portée des procédures de modification constitutionnelle. Cela est lié au constitutionnalisme, lequel est lui-même la manifestation de la souveraineté de l’État en matière constitutionnelle.

D’un autre côté, il y a le concept des droits acquis et surtout celui de la primauté du droit. Ce dernier concept signifie que ce qui a été fait sous le couvert d’une loi valide demeure valide. C’est donc un concept qui voit d’un mauvais œil toute forme de rétroaction qui priverait un individu de ses droits, ou plus particulièrement de ses droits acquis.

Quoi qu’il en soit, nous nous permettons de conclure en disant que la modification constitutionnelle envisagée ici est probablement valide, en dépit du fait qu’elle cherche à court-circuiter le pouvoir judiciaire. Cette conclusion est notamment basée sur le fait que le pouvoir constituant permet de modifier le cadre constitutionnel totalement s’il le faut, et même de créer une norme constitutionnelle qui est originaire, donc qui donne naissance à une nouvelle Constitution, une Constitution qui n’existait pas auparavant.

[Traduction]

Ce que cela signifie ici, c’est que, aux fins de mon analyse, j’ai examiné la question de l’équité. Est-il juste de supprimer les droits historiques accordés au Canadien Pacifique pour ce qui est de l’impôt?

J’ai examiné le concept de la primauté du droit. Est-ce qu’un amendement de la Constitution rétroactif va à l’encontre de la primauté du droit? J’ai examiné le constitutionnalisme. Le constitutionnalisme est le pouvoir ou la compétence de modifier la Constitution. Pour ma part, j’ai tendance à considérer que ce pouvoir, ou cette compétence, est limité. C’est ce que j’explique dans ma conclusion. Je suis arrivé à la conclusion que, dans notre cas, l’amendement proposé est une chose qui pouvait se faire et qui doit se faire en vertu de l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982, et que de plus, le fait qu’il a un effet rétroactif ne touche pas ou ne doit pas toucher le pouvoir du constituant de faire ce qu’il veut et même d’approuver ou d’adopter une nouvelle constitution, s’il le faut. C’est donc ma conclusion sur cette question.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Pelletier. Nous allons maintenant entendre M. Dwight Newman.

Dwight Newman, professeur de droit et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits des Autochtones dans le droit constitutionnel et international, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Bonjour, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs. C’est un plaisir de vous parler cet après-midi et de participer à cette importante discussion, aux côtés de mes collègues distingués du droit constitutionnel.

À titre de professeur de droit à l’Université de la Saskatchewan, j’ai écrit au sujet de la formule de modification bilatérale de façon générale, à divers moments, y compris en 2013 dans la revue Constitutional Forum, dans un chapitre d’une collection de 2016, appelée Constitutional Amendment in Canada, publié par University of Toronto Press, et dans les éditions de 2013 et de 2017 des traités du droit constitutionnel que j’ai coécrits avec M. Guy Régimbald et qui sont publiés par LexisNexis.

La formule de modification bilatérale prévue à l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982 permet de modifier la Constitution du Canada concernant une disposition qui s’applique dans une seule province ou une disposition qui s’applique dans certaines provinces seulement, mais je parlerai du cas d’une seule province.

En ce qui concerne cette modification, dans le cas d’une disposition s’appliquant dans une seule province, on y parviendrait par une résolution de l’Assemblée législative provinciale et du Parlement fédéral. Cette formule de modification a été utilisée sept fois; donc, contrairement au mythe selon lequel la Constitution canadienne n’est pas modifiable, on a déjà utilisé cette formule quatre fois, à Terre-Neuve-et-Labrador, une fois au Québec, une fois à l’Île-du-Prince-Édouard, et une fois au Nouveau-Brunswick.

Ces exemples concernaient diverses utilisations. À Terre-Neuve-et-Labrador, la formule a été utilisée pour modifier des droits relatifs aux écoles confessionnelles dans trois de ces cas. Une des utilisations concernait le changement du nom de la province.

L’utilisation de la formule au Québec visait à mettre fin aux droits relatifs aux écoles confessionnelles pour passer à des conseils scolaires linguistiques.

Son utilisation à l’Île-du-Prince-Édouard concernait la construction d’un pont en remplacement du service de traversier prévu dans la Constitution dès les premiers temps de la Constitution.

L’utilisation de la formule au Nouveau-Brunswick visait en fait à modifier les droits linguistiques fondés sur la Charte, au Nouveau-Brunswick, pour appliquer différemment la Charte canadienne des droits et libertés.

L’article 43 a donc un champ d’application plus large que ne le pensent ceux qui ne s’y sont pas intéressés. Il n’a pas reçu beaucoup d’attention malgré ces utilisations fréquentes. Bien sûr, il a reçu de l’attention dans les cercles du droit constitutionnel, mais le public n’y a pas beaucoup réfléchi.

Le fait qu’il a été utilisé pour modifier les droits relatifs aux écoles confessionnelles dans deux provinces montre qu’il peut servir à modifier des dispositions historiques qui ne répondent plus aux besoins actuels de ces provinces. Lorsqu’il y avait un certain consensus, dans ces provinces, sur les changements, le Parlement fédéral était disposé à coopérer pour modifier des droits historiques reconnus par la Constitution afin de répondre aux demandes de ces provinces.

Même si le Parlement fédéral a certainement un rôle à jouer dans la formule de modification bilatérale, puisque les modifications dont il est question sont apportées à la Constitution du Canada — même dans la mesure où cela touche une province —, en général, les modifications en vertu de l’article 43 sont une réponse à des demandes provinciales, et le Parlement fédéral les approuve en l’absence de toute raison impérieuse s’opposant à l’utilisation de l’article 43.

D’après mon interprétation, la question dont est saisi le Sénat aujourd’hui correspond, à bien des égards, à d’autres précédents, où le Parlement fédéral a coopéré dans le cadre de ces demandes provinciales. Il y a eu un soutien populaire massif, en Saskatchewan, pour la modification constitutionnelle qui vous a été présentée. Elle concerne une ancienne exemption fiscale accordée à une société spécifique, inscrite dans une loi à une époque où le système fiscal était très différent, dans un contexte où, selon le dossier, la société en question a longtemps payé l’impôt comme il convenait, dans les circonstances de l’époque, et cette société n’a cherché que récemment, en vérité, à raviver des arguments créatifs reposant sur cette disposition obscure.

La modification en question est, à de nombreux égards, une simple adaptation du texte constitutionnel visant à répondre aux circonstances d’aujourd’hui à l’aide d’une correction et de clarifications de ce texte assez cohérentes, de bien des façons, avec les modes d’utilisation de cette formule de modification.

Je m’arrêterai là, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions, tout à l’heure.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Newman. Nous allons maintenant entendre M. Taillon.

Patrick Taillon, professeur et codirecteur, Centre d’études en droit administratif et constitutionnel, Université Laval, à titre personnel : D’abord, j’aimerais remercier les membres du comité de m’avoir invité.

[Français]

Aujourd’hui, j’aimerais me concentrer sur deux observations. Premièrement, j’essaierai de situer le processus de révision de la Constitution par rapport à d’autres expériences de notre histoire, surtout dans le but d’attirer l’attention des membres du comité sur ce qui, en matière constitutionnelle, peut faire la différence entre le succès et l’échec. Deuxièmement, j’aimerais dire un mot sur le rôle du Sénat et son apport dans ce processus.

Nul besoin de refaire l’histoire du Canada pour constater que la modification constitutionnelle a suscité bien des crises, bien des mélodrames et bien des déceptions dans cette fédération. À force de vivre des échecs sur le front constitutionnel, nombreux sont ceux qui se sont désintéressés de la question. On peut même se demander si la modification constitutionnelle n’est pas devenue taboue. Elle est pourtant indispensable à l’évolution à long terme de la fédération. Le Canada n’est pas différent des autres États libres et démocratiques. Le Canada ne peut se mettre éternellement la tête dans le sable et faire fi des réformes et des évolutions constitutionnelles qui s’imposent dans l’intérêt de la fédération.

Dans ce contexte, la résolution lancée par la Saskatchewan est très importante. Elle permet de mieux comprendre pourquoi, parfois, on réussit sur le front constitutionnel alors que, parfois, on échoue. Comme d’autres modifications réalisées avec la procédure bilatérale prévue à l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982, et, aussi, à l’instar d’autres modifications récentes — je pense au projet de loi no 96, au Québec, qui mobilise une autre procédure —, il y a des raisons qui expliquent pourquoi ce projet risque d’être un succès pour le Canada. Premièrement, il a un objet précis, une unité de matière, ce qu’on appelle, aux États-Unis, le single subject rule. Deuxièmement, le projet, il faut le souligner, n’a pas été précédé de négociations directes, formelles, publiques et officielles entre les dirigeants des exécutifs.

Ces deux facteurs contrastent énormément avec les traditionnelles rondes de négociations constitutionnelles, lesquelles donnaient lieu à des marchandages, à des surenchères, à des compromis très complexes et, souvent, à des projets très hétérogènes. L’échec de l’accord du lac Meech, en 1987, de l’entente de Charlottetown, en 1992, ou de la Charte de Victoria, en 1971, ne sont que de nombreux exemples parmi d’autres de ces marchandages complexes et hétérogènes. C’est comme s’il fallait, d’un seul coup, résoudre le plus de problèmes possible. Ce faisant, on multipliait les causes de blocages, qui pouvaient être politiques et juridiques. Or, dans le cas qui nous occupe, la résolution a un objet délimité et précis.

J’attire votre attention sur le fait que la résolution a été présentée, du moins à la Chambre des communes, par un député de l’opposition. Elle a été débattue lors d’une journée consacrée aux propositions de l’opposition. Ceci témoigne du fait que la procédure de modification ne relève pas du monopole des exécutifs au Canada. Même si les exécutifs ont joué un rôle important de 1867 à 1982, et aussi par la suite, leur rôle est essentiellement informel. En vérité, sur le plan juridique, le pouvoir de modifier la Constitution est d’abord et avant tout du ressort des assemblées législatives des provinces et des deux Chambres fédérales.

Pour arriver à un succès, cette absence de négociations intergouvernementales formelles et officielles doit toutefois être complétée par un troisième ingrédient indispensable à ce genre de réforme. Ce troisième ingrédient, c’est une obligation de bonne foi des différents parlementaires, des membres des assemblées législatives concernées par la proposition de modification. Cela impose une délibération constructive. Cet ingrédient indispensable est, certes, entre vos mains. Il repose aussi sur des fondements constitutionnels implicites que la Cour suprême a commencé à rendre de plus en plus explicites dans son renvoi de 1998, lequel portait, à l’époque, sur l’hypothèse d’une sécession du Québec. Dans ce contexte, le rôle du Sénat est important ici. Il pourrait donner le ton à la suite des choses.

Si le Sénat rend les choses plus difficiles, il contribuera à condamner ces nouvelles voies d’évolution et de changements constitutionnels en prolongeant l’impasse qui caractérise la fédération canadienne depuis quelques décennies sur le front constitutionnel. Si, au contraire, le Sénat adopte une posture facilitante, il risque d’encourager d’autres initiatives provinciales et de contribuer à lentement guérir le traumatisme constitutionnel qui caractérise l’histoire de cette fédération. Ici, la marge de manœuvre du Sénat est étroite. Dans nos usages, le Sénat ne peut durablement s’opposer à un projet de loi soutenu par les élus de la Chambre des communes. Il se placerait dans une position fort critiquable s’il s’opposait à un changement approuvé par des élus de la Saskatchewan et par ceux des Communes, d’autant plus que, en vertu de l’article 47 de la loi de 1982, le Sénat ne dispose juridiquement que d’un veto suspensif de 180 jours lorsqu’il est question...

[Traduction]

La présidente : Puis-je vous demander, s’il vous plaît, de conclure?

[Français]

M. Taillon : À mon humble avis, la part du Sénat dans ce débat est bien réelle, mais elle devrait s’articuler autour des questions suivantes : est-ce que la résolution souhaitée par la Saskatchewan permet d’atteindre les objectifs? Est-ce que le choix de la procédure est le bon? Comment, par une délibération constructive, le Sénat peut-il donner suite à son obligation constitutionnelle de bonne foi dans l’analyse des initiatives constitutionnelles lancées par les autres partenaires de la fédération?

Bref, dans ce contexte, le projet de loi ne me semble poser aucun problème. Il revient à la Saskatchewan de choisir et de conduire les évolutions constitutionnelles qui lui conviennent. Je me réjouis néanmoins de voir que, par ses travaux, le Sénat contribue à mieux éclairer les tenants et aboutissants de cette réforme. J’espère ardemment qu’il soutiendra la réforme sur le fond des choses.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Nous passerons aux questions.

Le sénateur Cotter : Merci à chacun de vous de s’être joint à nous et de nous avoir fourni ces exposés concis.

J’ai une seule question, et elle s’adresse à vous, monsieur Newman. C’est un plaisir de vous revoir dans ce contexte.

Vous êtes au courant de — vous y avez fait allusion — 1996; vous êtes au courant de cet amendement à la Constitution. La résolution prévoit qu’il sera rétroactif jusqu’en 1996. Sa légitimité du fait qu’il comporte une composante de rétroactivité vous préoccupe-t-elle?

M. Newman : Je dirais spontanément que je n’ai pas de préoccupation concernant la légitimité constitutionnelle en découlant.

Il faut comprendre que la formule de modification constitutionnelle permet de faire des modifications constitutionnelles rétroactives dans le contexte de la formule moderne; sinon, on pourrait dire que le Canada n’a pas rapatrié sa Constitution et qu’il doit toujours retourner au Parlement britannique impérial de temps à autre, quand il a besoin de faire une modification constitutionnelle rétroactive. Nous pouvons parler davantage de la rétroactivité du point de vue politique, mais d’un point de vue juridique, je n’y vois aucune difficulté.

Le sénateur Cotter : Je n’ai pas d’autres questions.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous tous d’être ici. Monsieur Newman, merci beaucoup de nous avoir présenté une perspective importante. Je sais que vous avez fait des travaux universitaires importants sur cette formule de modification bilatérale, et je sais que vous disposiez d’un temps limité pour votre déclaration préliminaire; alors, pourriez-vous nous donner quelques explications supplémentaires sur la raison pour laquelle vous pensez que cette utilisation particulière de la formule de modification bilatérale serait appropriée, compte tenu de ses utilisations passées?

M. Newman : Je dirais, en termes généraux, que la formule de modification bilatérale est un mécanisme permettant d’apporter à la Constitution une modification qui concerne une ou plusieurs provinces, et la Constitution ne limite pas la façon dont elle doit être utilisée. Je suis tout à fait d’accord avec une bonne partie de ce que mon collègue, M. Patrick Taillon, a dit à propos de l’importance que le Sénat confirme l’utilisation de la formule de modification constitutionnelle quand elle est légalement utilisée afin de ne pas alourdir la Constitution dans le contexte des besoins actuels.

Dans le cadre de la formule de modification bilatérale, cela permet de modifier la Constitution quand cela concerne une chose qui s’applique dans une province en particulier ou dans plusieurs provinces. Selon son dossier d’utilisation, la formule a été utilisée pour réaliser des adaptations dans certaines provinces où les circonstances avaient considérablement changé, ce qui exigeait d’apporter une modification constitutionnelle, et les provinces l’ont fait dans d’autres cas.

La Saskatchewan le ferait dans ce cas particulier pour tenter d’éclaircir et de supprimer une disposition constitutionnelle problématique, qui a suscité la confusion et qui a soudainement donné lieu, aujourd’hui, à des arguments juridiques créatifs. En faisant cela, elle a de nombreuses raisons stratégiques, évidemment, liées à des questions d’équité fiscale et au système fiscal actuel, qui est logique et qui ne prévoit pas d’exemption pour des sociétés en particulier. En revanche, pour ce qui est du fondement constitutionnel pour le faire, on est simplement censé avoir cette flexibilité pour qu’une province puisse apporter les changements qui la concernent, et le Parlement fédéral ne devrait pas empêcher ces changements, à moins qu’il y ait une raison impérieuse de le faire, comme dans le cas où cela nuirait davantage à d’autres provinces.

La sénatrice Batters : Merci. Lors de notre précédente réunion, aujourd’hui, le sénateur Dalphond a posé une question sur le caractère approprié de la rétroactivité. Je crois que vous avez regardé cette précédente réunion du comité, et je me demandais si vous aviez une réponse à cette question.

M. Newman : Là, nous entrons dans la rétroactivité du point de vue politique. Je dirais que presque toutes les lois fiscales sont rétroactives, dans le sens où elles sont annoncées au budget, et finissent par être adoptées avec effet rétroactif. Et pourquoi cela est-il acceptable? C’est parce que le problème de la rétroactivité n’est pas la magie liée au mot « rétroactivité »; le problème de la rétroactivité, c’est qu’il ne faut pas perturber les attentes établies et qu’il faut permettre aux gens de respecter la loi de la façon dont ils s’attendent à ce qu’elle s’applique. Si le budget est annoncé et qu’il n’est pas immédiatement respecté, on aurait en fait plus de problèmes en n’ayant pas de lois rétroactives.

Dans le cadre des attentes établies selon lesquelles une société payerait des impôts, attentes qui seraient établies de diverses manières par le fait qu’elle les a payés et par le fait que le système fiscal a évolué dans l’objectif de créer une égalité entre les différentes sociétés, il me semble que l’attente établie serait que les entreprises du Canada payent des impôts et non pas que certaines sociétés aient droit à des privilèges spéciaux qui perdurent depuis des centaines d’années. Donc, en fait, une réponse rétroactive répond aux attentes établies plutôt que de les perturber, et elle ne pose pas en réalité de problème, mais elle est préférable au fait de ne pas instaurer une imposition rétroactive.

La sénatrice Batters : Merci.

Le sénateur Arnot : Merci. Je remercie les professeurs d’avoir comparu ici aujourd’hui. Je n’ai aucune question, car leurs exposés étaient clairs, cohérents et concis, et je les en remercie.

La présidente : Merci, sénateur Arnot.

J’ai une question pour M. Pelletier. Le Sénat peut-il adopter la motion pour mettre fin à l’exemption constitutionnelle sans interférer avec les tentatives de poursuites judiciaires du CP? Si la modification constitutionnelle est adoptée, comment cela toucherait-il les quatre poursuites judiciaires en cours? Les poursuites judiciaires par lesquelles on demande le remboursement des impôts déjà payés pourront-elles se poursuivre dans une certaine mesure sans interférence?

M. Pelletier : C’est une très bonne question, car les tribunaux devront tenir cette modification constitutionnelle pour acquise et lui reconnaître son importance. Cela changera certainement le résultat final et les conclusions des tribunaux.

Cela dit, cette question de rétroactivité n’est pas simple. Dans le cas qui nous occupe, nous parlons de fiscalité, qui n’est pas un sujet très délicat pour la plupart des gens. Mais, supposons que nous parlons par ailleurs des droits de la personne. Supposons que nous parlons d’une situation où le constituant a décidé de priver de manière rétroactive une personne de ses droits. Cette question de rétroactivité n’est pas une chose qui pourrait se régler simplement. C’est une question de légitimité, et non pas de légalité ou de constitutionnalité. Je fais une différence entre les deux. Dans ce cas-ci, une question de légitimité et d’équité se pose. Cependant, je suis arrivé à la conclusion que, en ce qui concerne l’aspect constitutionnel de la question, la motion est valide et la modification serait valide, si elle est adoptée par le Sénat, la Chambre des communes et l’Assemblée législative de la Saskatchewan.

La présidente : Monsieur, c’était très utile. Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Tout d’abord, je souhaite la bienvenue aux témoins, en particulier à nos deux constitutionnalistes émérites du Québec, M. Taillon et M. Pelletier. Bienvenue au Sénat du Canada.

Monsieur Taillon, vous avez parlé du projet de loi no 96 du gouvernement du Québec. Si cette motion obtient un certain succès, croyez-vous que la décision du Sénat et du Parlement canadien pourrait avoir une incidence sur la modification de la Constitution du Québec relativement au projet de loi no 96?

M. Taillon : Il s’agit de deux changements qui épousent des procédures différentes. Donc, il ne devrait pas y avoir de lien direct entre les deux. Si j’ai fait un rapprochement entre les deux processus, c’est simplement pour souligner que, dans les deux cas, on a un objet de réforme qui est précis et délimité. On n’a pas un ensemble de changements hétérogènes et complexes, où on multiplie et on additionne les objets de mécontentement et de critique, puis, éventuellement aussi, les obstacles procéduraux et juridiques. C’est surtout sur ces points-là que je voulais faire un rapprochement.

Un autre rapprochement possible a trait au fait que, dans notre ordre constitutionnel, il y a beaucoup de constitutions qui sont entremêlées les unes aux autres. Autrement dit, la Constitution de la Saskatchewan, les règles qui organisent l’entité de la Saskatchewan sont des règles dispersées et entremêlées, et certaines de ces règles se retrouvent dans la Constitution de la fédération.

Là où, dans d’autres fédérations, on a des textes étanches et séparés, des textes qui évoluent, au Canada, tant la Constitution de l’entité fédérale, et donc de la fédération dans son ensemble, que celle de l’ensemble des entités fédérées sont des constitutions qui sont entremêlées les unes aux autres.

Ici, on a affaire à une règle qui est, en quelque sorte, au cœur des conditions ayant conduit à la création de la Saskatchewan. C’est pour cela qu’on a affaire à un arrangement spécial ou à un compromis historique. Cependant, en même temps, on a affaire à une règle qui, dans ce cas-là, ne concerne que la Saskatchewan. La même règle peut se reproduire ailleurs, mais cette règle fait à la fois partie de la Constitution de la Saskatchewan et de celle de l’ensemble de la fédération.

Le sénateur Boisvenu : C’est très clair, merci beaucoup.

Mon autre question s’adresse à M. Pelletier.

Bonsoir, monsieur Pelletier. C’est avec plaisir que je vous revois au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous sommes choyés de bénéficier de vos compétences.

M. Pelletier : Merci.

Le sénateur Boisvenu : Comme toute loi est contestable devant les tribunaux, cette motion, si elle est adoptée, même si elle vient modifier la Constitution de la Saskatchewan, serait-elle contestable devant les tribunaux?

M. Pelletier : Toute loi peut être contestée, mais est-ce que les chances de succès d’une contestation seraient grandes? À mon avis, non.

Premièrement, j’en viens à la conclusion que la procédure de l’article 43 est vraiment celle qui s’applique en l’occurrence dans ce cas-ci.

Deuxièmement, j’en viens également à la conclusion que la rétroactivité qui pourrait être problématique ne le sera pas en réalité, parce que les tribunaux vont probablement reconnaître que le pouvoir constituant est un pouvoir illimité.

Cela dit, vous savez, ce qu’il est intéressant de noter, c’est que j’ai aussi fait référence, dans ma présentation, à l’article 45, qui autorise une modification unilatérale par une assemblée législative quelconque.

Pourquoi ai-je fait le parallèle entre les deux? Parce que l’article 45 s’applique aussi aux modifications qui ne concernent qu’une province. La question est de savoir, dans le cadre de l’article 43, si la question en jeu ne concerne vraiment qu’une province ou concerne plus d’une province. L’article 43 s’applique aux modifications qui touchent une province, mais qui, dans leur esprit, concernent néanmoins le principe fédéraliste pour plus d’une province ou pour l’ordre fédéral de gouvernement.

Ici, j’en suis venu à la conclusion que la modification en cause touchait à la fois les intérêts fédéraux et les intérêts de la Saskatchewan, et c’est ce pour quoi l’article 43 s’applique.

Le sénateur Boisvenu : À la limite, cela pourrait concerner également...

La présidente : Merci, sénateur Boisvenu. Je suis désolée.

Le sénateur Boisvenu : Deuxième ronde de questions. Je comprends, madame la présidente, merci.

La présidente : Non, vous pouvez peut-être terminer.

Le sénateur Boisvenu : C’était une sous-question pour notre expert, M. Pelletier.

Vous parlez d’une modification qui touche une province, mais ce qu’on a devant nous pourrait éventuellement être interprété comme touchant trois provinces.

M. Pelletier : Absolument. Je peux vous dire que, dans le dossier de la déconfessionnalisation du système scolaire québécois, on était en présence d’une modification de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui, en soi, s’appliquait à plus d’une province. Il n’en reste pas moins que la jurisprudence dominante a interprété l’article 43 de façon technique, c’est-à-dire qu’elle n’a appliqué l’article 43 qu’à la province directement concernée par la modification constitutionnelle. Ici, je crois que la province directement concernée est la Saskatchewan.

Le sénateur Dalphond : Je voudrais remercier nos trois participants. Je pense qu’ils ont été très clairs et je suis content de constater qu’ils sont unanimes et d’accord pour dire, comme le ministère de la Justice fédéral, que l’article 43 peut s’appliquer en l’espèce et qu’ils reconnaissent aussi que, en théorie, le pouvoir d’amendement peut être rétroactif.

Est-ce que vous connaissez un amendement constitutionnel qui a un effet rétroactif et qui éteint un droit de façon rétroactive?

Est-ce que vous connaissez un amendement aux lois des impôts qui a rendu une taxe imposable et payable par les contribuables et qui n’avait pas fait l’objet d’une annonce par le ministre des Finances un an plus tôt, annonce selon laquelle la loi allait être changée?

M. Pelletier : À qui posez-vous la question?

Le sénateur Dalphond : Vous êtes prêt à répondre, à ce que je vois.

M. Pelletier : Je suis prêt à répondre à la première de vos questions, mais pas à la deuxième, parce que mes connaissances ne me permettent pas d’y répondre.

Le sénateur Dalphond : Le professeur Newman peut répondre à la deuxième; c’est lui qui a parlé de cet exemple.

M. Pelletier : Par rapport à la première question, je ne connais pas de modification constitutionnelle rétroactive jusqu’à présent au Canada, ce qui fait qu’on est vraiment en présence de quelque chose d’inusité, à mon avis. Je ne connais pas de situation où on aurait privé quelqu’un de ses droits rétroactivement.

Vous savez, quand j’aborde un dossier comme celui-ci, sénateur, je regarde plus loin que le dossier en cause et la question de la taxation. Je me demande ce qui arriverait si, un jour, nous étions en présence, à titre d’exemple, d’une modification constitutionnelle qui heurterait de front les fondements du fédéralisme canadien, par exemple. Qu’arriverait-il d’une modification constitutionnelle qui heurterait de front le principe de la primauté du droit? De la même façon, je me demande ce qu’il adviendrait d’une modification constitutionnelle qui heurte de front non seulement un compromis historique, mais des droits que l’on considérait comme acquis jusqu’à tout récemment.

C’est cela qui m’amène à dire qu’on est vraiment en présence d’un sujet particulier et épineux, ce qui ne m’empêche pas d’avoir une opinion claire et ferme sur le sujet. Néanmoins, c’est un très beau dossier.

Le sénateur Dalphond : Je retiens, avant de passer au professeur Newman, que nous allons créer un précédent sur le plan de la question de la rétroactivité.

Le professeur Newman peut-il nous parler de lois fiscales qui ont une application rétroactive et qui n’avaient pas fait l’objet d’une annonce par le gouvernement selon laquelle il allait faire cette réforme?

[Traduction]

M. Newman : J’ai quelques éléments de réponse à vos questions. Je ne suis pas non plus au courant d’une modification constitutionnelle rétroactive, mais la rétroactivité n’échappe pas à la sphère du constitutionnalisme lorsqu’elle est appropriée. La Cour suprême du Canada a rendu des décisions qui indiquent que certaines de ses décisions sur les réparations auront un effet seulement prospectif et que d’autres auront un effet rétroactif, mais peut-être pas sur la même période. Cependant, elle a réfléchi à cette question tout récemment, dans l’arrêt Albashir, l’année dernière; il y a donc dans certains cas des décisions constitutionnelles rétroactives.

Dans le contexte du droit fiscal, c’est certainement quelque chose qui se produit tout le temps. Il serait évidemment inapproprié de simplement imposer un impôt rétroactif soudain dont la personne n’aurait pas été avisée. Ce ne serait pas nécessairement illégal, mais, pour des raisons de politique, ce serait indésirable et très dérangeant. C’est pourquoi j’ai fait tout à l’heure la distinction entre la satisfaction appropriée des attentes établies et les mesures qui perturberaient ces attentes.

Il y a des mesures rétroactives qui seraient très inappropriées. Je suis d’accord avec M. Pelletier pour dire que nous ne devrions pas priver de façon rétroactive les gens de leurs droits fondamentaux, en partie parce que je ne pense pas que nous devrions simplement priver les gens de leurs droits fondamentaux, mais aussi parce qu’il y aurait quelque chose de remarquablement problématique à priver de façon rétroactive quelqu’un de ses droits fondamentaux. Encore une fois, cela correspondrait à l’idée selon laquelle ce qui est conforme aux attentes établies et ce qui ne l’est pas sont des éléments clés de ce qui détermine la pertinence de s’engager dans une réglementation rétroactive.

Le sénateur Dalphond : Ma dernière question est courte. Vous dites que les « attentes établies » sont le type de critère, ce qui signifie que les tribunaux devront décider si cela perturbe des attentes établies ou non. Cela sera alors valide ou invalide?

M. Newman : Je pense que c’est surtout une question pour les décideurs. Dans certains contextes, il y a des contraintes spécifiques en matière de législation rétroactive. Dans le domaine du droit pénal, il y a dans la Charte certaines protections qui entrent en jeu.

Cependant, dans le contexte d’une décision en matière de droit fiscal, je pense que c’est surtout une question pour l’assemblée législative ou le Parlement, qui doivent examiner la question des attentes établies ou des attentes établies raisonnables.

La présidente : Merci, monsieur le sénateur.

Le sénateur Tannas : Merci beaucoup. Monsieur Pelletier, vous avez mentionné l’affaire de l’Île-du-Prince-Édouard, où le gouvernement fédéral a cherché à se décharger de son obligation d’exploiter un service de traversier à perpétuité en échange d’un pont, ce qui me semble logique, mais c’est ce qui se rapproche le plus, dans mon esprit, de ce qui a été mentionné précédemment au sujet des changements.

Ici, nous avons la suppression d’un avantage fiscal du CP, mais nous ne supprimons pas l’obligation. Lorsque vous parlez de légitimité et de tout le reste, l’obligation qui figurait également dans ce contrat à vie était que le CP devait posséder, exploiter et entretenir le chemin de fer pour toujours?

N’êtes-vous pas troublé à l’idée que nous allons supprimer tous les avantages, mais que nous ne supprimerons pas l’obligation? Si c’est en fait comme je le pense, le dernier vestige de ce contrat, est-il désormais vraiment invalide? Pensez-vous que ce que nous faisons ici est la dernière étape ou que ce qui est fait dans ce cas-ci valide le contrat dans son intégralité, quoi qu’il en reste?

M. Pelletier : Je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions très difficiles.

Le premier point est celui-ci, et il renvoie à la question qui a été posée précédemment. Contournons-nous le pouvoir judiciaire, ici? Pour être franc, je dirais que la réponse est probablement oui.

La deuxième question est la suivante : est-il possible pour le pouvoir constituant de contourner le pouvoir judiciaire? La réponse est probablement oui également.

Le deuxième point est le suivant : voyons-nous parfois des modifications constitutionnelles qui affectent des accords et des compromis historiques? La réponse est oui. Je ne dirais pas que cela me contrarie, mais ce qui me préoccupe, c’est que ce que nous faisons a un effet rétroactif.

Je ne suis pas contrarié par le fait que nous maintenons l’obligation et que nous mettons en fait fin à l’exemption; je suis plutôt ennuyé par le fait que nous mettons fin à l’exemption de manière rétroactive. C’est cela qui me contrarie. Je ne dis pas cela pour être populaire ou quoi que ce soit, et je félicite le Sénat de discuter de cette question si sérieusement, car c’est une question sérieuse non pas politiquement, mais légalement et constitutionnellement. Je suis très heureux de participer à ce débat.

La sénatrice Pate : Merci aux témoins.

Ma question s’adresse à M. Newman. Vous être titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits des peuples autochtones dans le droit constitutionnel et international. Étant donné qu’il s’agit de réouvrir un accord historique à un moment où des groupes tels que les Premières Nations ont maintenant des protections constitutionnelles qui n’existaient pas au moment de la signature de ces contrats — et certainement pas en 1881, alors que de nombreux traités en vigueur étaient enfreints —, quelle répercussion cela pourrait-il avoir sur d’autres questions constitutionnelles, à votre avis?

Si d’autres témoins veulent commenter, ils peuvent le faire.

M. Newman : Je ne suis pas sûr de comprendre la question. Pourriez-vous clarifier? Vous dites quelles répercussions cela aura-t-il sur d’autres questions constitutionnelles?

La sénatrice Pate : Je pense en particulier à certaines questions relatives aux revendications territoriales, à la restitution des terres et aux réparations, à la réconciliation et aux réparations financières en particulier.

M. Newman : D’accord, je pense que cette modification en particulier n’a aucun effet direct sur ces autres enjeux. Je dirais certainement que la reconnaissance constitutionnelle appropriée et accrue des droits des peuples autochtones est l’une des circonstances qui ont changé depuis les années 1860 ou même le contexte de 1905. Quelle que soit cette période, il y a eu un certain nombre de changements au Canada depuis la période du contrat original. Nous devons être attentifs aux circonstances contemporaines.

Il est certain que les enjeux relatifs aux terres autochtones sont liés à des circonstances historiques, mais y ont toujours une signification contemporaine pour les Premières Nations d’aujourd’hui qui cherchent à être reconnues à nouveau en tant que nations et à obtenir des réponses appropriées en ce qui concerne les terres.

Je ne sais pas si c’est directement lié, mais, bien sûr, le CP a reçu de nombreuses terres autochtones à l’époque où il a conclu ces accords. Il faut réfléchir à ce que seraient les réponses appropriées aujourd’hui, sans essayer de simplifier à outrance ce qu’elles pourraient être. Elles sont également liées aux questions que vous mentionnez, qui se posent dans le contexte du mouvement de restitution des terres, par exemple.

La sénatrice Pate : Je ne sais pas si l’un des autres témoins souhaite commenter.

M. Pelletier : Pas moi, merci.

[Français]

M. Taillon : Un mot, peut-être, pour dire que le principe d’honneur de la Couronne commande une obligation de consulter les peuples autochtones, mais, comme nous le rappelle l’arrêt Mikisew, cette obligation de consulter les peuples autochtones s’applique aux pouvoirs exécutifs. Si le Parlement adopte une loi et si, a fortiori, cette loi est adoptée par le pouvoir constituant — que le Sénat exerce ici conjointement avec la Chambre des communes et l’Assemblée législative de la Saskatchewan —, cette obligation de consulter les peuples autochtones énoncée par la jurisprudence ne s’applique pas avec la même intensité.

Il y a cependant des dispositions, dans la Constitution de 1982, sur le devoir de créer un espace de participation pour les Autochtones pour des modifications qui les concernent, en l’occurrence, l’exemption fiscale. Je pense que si l’on prend la modification pour ce qu’elle est précisément, il s’agit d’une exemption fiscale à l’endroit d’une entreprise de chemins de fer. Je pense que nous sommes un peu éloignés de ce que les tribunaux considèrent comme une matière qui nécessite une obligation de consulter. Cependant, est-ce qu’il serait opportun de consulter les peuples autochtones dans ce genre de dossier? Quand on regarde le dossier dans une perspective plus large, il est effectivement toujours souhaitable de consulter les peuples autochtones.

Voilà le petit éclairage complémentaire que je voulais apporter. Je crois que, d’un point de vue strictement juridique, la procédure de l’article 43 s’applique ici sans incidence particulière.

La sénatrice Pate : Merci.

La sénatrice Dupuis : Merci à nos trois témoins de nous permettre de pousser un peu plus loin notre réflexion, parce qu’elle est commencée depuis un certain nombre de semaines, et de nous aider à démêler la situation entre le pouvoir du constituant, les droits acquis et la rétroactivité. Ce sont des questions que nous nous posons. Bienvenue au Sénat.

Je vous remercie surtout de nous aider à réfléchir à ces questions. J’aurais une question pour vous trois. J’aimerais faire un lien avec la question des attentes raisonnables quant à la rétroactivité d’une loi.

Le CP nous dit qu’il a accepté de payer les taxes, mais la compagnie veut bénéficier de l’évolution de la jurisprudence, qui dit qu’on ne devrait pas payer des taxes si c’est ultra vires; la compagnie veut donc bénéficier de l’évolution de la jurisprudence et réclame des remboursements de taxes.

Par ailleurs, ils n’ont pas l’air de considérer — et vous nous l’avez exprimé tous les trois sous différentes formes — que le constituant est là pour tenir compte aussi de l’évolution de l’actualité sociale, politique et d’autres considérations. J’ai une question pour vous : pensez-vous que l’une des autres considérations ne serait pas, par rapport aux Premières Nations, les indemnités accordées par le tribunal des revendications particulières pour la prise illégale de terres au bénéfice du CP, en 1881 notamment? Cette considération ne devrait pas être soustraite. Ou alors, n’est-ce pas un facteur que la Couronne pourrait prendre en considération dans des ententes éventuelles qui viseraient à résoudre ce problème?

Par rapport à la réflexion sur les droits acquis, à la rétroactivité et à ce que vous avez dit, monsieur Pelletier et les autres, ne doit-on pas mettre en parallèle, d’une part, le fait que le CP peut bénéficier de l’évolution de la jurisprudence qui lui est favorable? Je crois que cela fait partie des règles du jeu, mais le constituant a une certaine obligation et peut décider de ce qu’il veut incorporer dans ce qu’il considère comme l’évolution de la société et les changements nécessaires.

M. Pelletier : C’est une excellente question. D’abord, est-ce qu’à l’avenir les autorités fédérales ou provinciales devront ou pourront tenir compte des intérêts autochtones dans des ententes qu’elles ont avec des compagnies, à titre d’exemple? À mon avis, il serait drôlement souhaitable qu’on en vienne à cela. Ce serait une dimension tout à fait imaginable et réaliste de l’honneur de la Couronne, soit dit en passant. Ne fait-il pas partie de l’honneur de la Couronne que le concept de fairness, dont je parlais précédemment, soit étendu non seulement aux parties directement concernées par une entente, mais également aux Premières Nations du Canada? Je réponds à cette question par l’affirmative. L’équité veut que les intérêts des Autochtones soient pris en compte.

Ce qui m’a fait réfléchir dans le dossier, c’est le fait que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, dans les causes ayant trait à la suspension de déclaration d’invalidité ou dans des causes de rétroactivité, nous parle toujours de la primauté du droit. Elle nous dit toujours que les citoyens vivent sous un régime légal et sont en droit de s’attendre à ce que ce régime soit respecté. C’est, pour la Cour suprême, le principe premier de la primauté du droit. Cela m’a amené à m’inquiéter par rapport à la rétroactivité. Je me suis dit qu’on change les règles rétroactivement, des règles dont le Canadien Pacifique pouvait s’attendre à ce qu’elles soient respectées. C’est ce qui m’a amené à parler de la primauté du droit. Vous savez, le constituant pourrait même nous doter d’une toute nouvelle Constitution. J’en suis venu à la conclusion que l’autorité du constituant est encore supérieure à tout.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Merci aux trois témoins. On me rappelle encore une fois que j’aurais dû étudier le droit. Je n’ai pas de questions.

Le sénateur Harder : Merci pour ces trois excellents exposés. J’ai une question à laquelle j’aimerais que chacun des témoins réponde. Quel est le rôle du Sénat dans ce processus? Il me semble que vos témoignages donnent fortement à penser que cette motion est constitutionnelle et qu’elle a suivi les procédures appropriées pour aller de l’avant.

Monsieur Pelletier, vous avez dit que vous étiez contrarié par la rétroactivité. J’aimerais que vous nous donniez des conseils, en tant que Sénat, au-delà de l’examen strict de la constitutionnalité; y a-t-il des considérations politiques que nous devrions prendre en compte quand nous déciderons si oui ou non nous allons recommander à nos collègues d’aller de l’avant? Je pense à la question de la rétroactivité. Y a-t-il eu une discussion appropriée?

D’après les témoignages d’aujourd’hui, nous savons qu’il n’y a eu aucun débat à l’assemblée législative — deux discours — et c’est la même chose à l’autre endroit. Cela me rassure un peu de savoir que, aujourd’hui, le Sénat a eu plusieurs heures de discussion, mais y a-t-il des considérations d’ordre politique auxquelles nous devrions réfléchir? Ou bien notre examen doit-il être strict : les mesures constitutionnelles appropriées ont-elles été prises, cette motion est-elle constitutionnelle et, par conséquent, avons-nous le devoir l’adopter?

M. Pelletier : Je vais vous donner une réponse courte, car je ne peux pas prendre tout le temps. Je veux que mes collègues puissent présenter leurs commentaires sur le sujet.

Tout d’abord, permettez-moi de vous dire que le seul fait que le Sénat étudie cette question est, à mon avis, quelque chose qui aide et améliore le débat.

On m’a dit que, à la Chambre des communes, il n’y avait pas eu de débat. Sur une question comme celle-ci, je ne peux pas le croire. Pour être franc, j’ai trouvé cela déplorable. Le fait qu’il y ait un débat est, en fait, quelque chose que j’apprécie beaucoup.

Mon deuxième point est le suivant. Il devrait y avoir plus de discussions au Sénat sur la question de la rétroactivité. Encore une fois, il ne faut pas tenir pour acquis que la rétroactivité va de soi. Il devrait y avoir plus de discussions sur la rétroactivité. Je vous donne mon opinion personnelle à ce sujet. Il serait bon qu’il y ait une discussion sur la façon dont une modification constitutionnelle peut être rétroactive, comme celle-ci, et il devrait également y avoir une discussion sur le pouvoir des autorités constituantes.

Encore une fois, serait-il un jour possible que le constituant abolisse le fédéralisme au Canada? N’y a-t-il rien qui ne puisse pas être modifié? Y a-t-il quelque chose qui devrait être au-dessus de la modification de la Constitution?

Cela amènerait le Sénat à réfléchir aux grands principes de notre pays, à la définition de ce pays et c’est là que le Sénat, à mon avis, pourrait être plus utile.

M. Newman : Le Sénat a toujours un rôle à jouer, car il est un lieu de réflexion sérieuse.

Nous devons reconnaître au Sénat cette valeur.

Dans le contexte de l’utilisation de la formule de modification bilatérale, j’ai dit plus tôt que le Parlement fédéral est, dans son ensemble, à bien des égards, censé répondre aux demandes des provinces et qu’il le fait en l’absence d’une raison impérieuse de s’opposer à la proposition d’une province. Une raison impérieuse, bien sûr, serait l’inconstitutionnalité d’une utilisation de la formule de modification bilatérale si elle touchait d’autres provinces, au sens juridique du terme.

En ce qui concerne l’argument convaincant de l’illégitimité d’une modification constitutionnelle particulière, il pourrait certainement y avoir une discussion au Parlement fédéral. Dans le cas présent, il existe un soutien populaire écrasant, tant au niveau provincial qu’au niveau de la Chambre des communes. Je dirais respectueusement que le Sénat n’a peut-être pas un rôle aussi important à jouer dans cette affaire que dans d’autres affaires. Mais, bien sûr, il est toujours bon que les sénateurs y réfléchissent sérieusement et dans le contexte de toutes les traditions du Sénat.

[Français]

M. Taillon : Si vous me le permettez, madame la présidente, en réponse à la question, j’aimerais préciser que le rôle du Sénat est important, parce que, comme nous l’a dit la Cour suprême en 1998, le pouvoir suprême de modifier la Constitution dans notre fédération est partagé. C’est important que les partenaires de la fédération réagissent de bonne foi aux initiatives d’autres membres de la fédération.

Grâce à ce débat, le Sénat contribue à documenter, à expliquer et à mieux comprendre ce qu’on veut faire, comment on veut le faire et pourquoi on veut le faire. En revanche, l’article 47 de la Constitution de 1982 est très clair. Le Sénat ne peut bloquer ce projet de loi. Il peut le retarder de 180 jours en votant contre ou en décidant de l’ignorer.

La capacité qui existe pour les lois, mais qui est tempérée par des usages et des conventions, n’a pas son équivalent lorsqu’il est question de la modification constitutionnelle. En 1982, on a, juridiquement et formellement, clarifié le rôle du Sénat en cette matière. Il contribue au débat, mais, juridiquement, il n’a pas le même pouvoir formel d’empêcher l’adoption des lois constitutionnelles.

Enfin, en ce qui concerne la question de la rétroactivité, celle-ci est effectivement une arme qui peut être dangereuse, mais, en fin de compte, ce n’est ni bon ni mauvais. C’est une question de légitimité, d’opportunité politique.

Dans le règlement du long contentieux autochtone, il y aura certainement des questions et des remèdes que l’on voudra rétroactifs. Dans d’autres situations, on trouvera que c’est profondément injuste de donner à une norme un effet rétroactif. C’est une question qui appartient aux parlementaires. Je pense que le rôle des juristes et des experts que nous sommes, c’est de souligner le fait que la rétroactivité est une question sensible.

La présidente : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Clement : Je tiens à vous remercier pour vos exposés. Le droit constitutionnel fait partie de mon histoire depuis longtemps, et j’ose dire que j’aurais été une bien meilleure étudiante si j’avais suivi vos cours. Bravo.

[Français]

Ma question s’adresse à M. Taillon.

Dans votre présentation initiale, vous avez parlé du rôle du Sénat et j’ai trouvé intéressant que vous disiez que si le Sénat approuvait cette modification constitutionnelle, cela pourrait encourager d’autres groupes à envisager des applications différentes et favoriser plus de discussions avec d’autres groupes. Comment cela se présenterait-il? Qui serait encouragé, en raison des discussions que nous avons ici, à envisager ce genre d’applications?

M. Taillon : Le Canada n’est pas différent des autres démocraties libérales. Il a parfois besoin de moderniser les règles du jeu. Étant donné qu’on engrange des succès et que, parfois, le recours à des réformes constitutionnelles conduit à des succès, il est normal que cela incite les responsables politiques de la fédération à emprunter ce chemin. Au même titre que, durant les décennies 1980 et 1990, lorsqu’on a connu des échecs, notamment une crise de l’unité nationale, cela a amené les responsables politiques à ignorer cette voie.

Donc, je me réjouis à l’idée que l’on enregistre des succès avec des réformes constitutionnelles qui ont un contenu précis et délimité et qui, somme toute, présentent un progrès et une modernisation, ici, pour la Saskatchewan, demain, pour l’Alberta ou, demain encore, pour le Québec ou pour la fédération dans son ensemble. Je pense que cela montre que le Canada est un pays capable de se moderniser. À l’inverse, faire fi de toute évolution constitutionnelle, c’est, tôt ou tard, condamner le pays à de profondes et plus graves crises, parce qu’à un moment donné, le temps fait son œuvre et le pays et ses institutions ont besoin d’évoluer. C’est dans cet esprit que je formulais ce commentaire.

La sénatrice Clement : Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente : Messieurs, je m’en voudrais de ne pas reconnaître que c’est la motion du sénateur Tannas au Sénat qui nous a amenés à faire cette étude approfondie, et je tiens donc à remercier le sénateur Tannas et vous trois aussi.

[Français]

Le comité était impatient d’entendre des experts constitutionnels sur cette motion très importante. Merci beaucoup de votre présence aujourd’hui.

[Traduction]

Mesdames et messieurs, ceci conclut nos audiences. À la prochaine réunion, nous examinerons le rapport, car notre échéance est le 31 mars. L’élément principal de notre rapport doit être d’établir si nous approuvons ou non la motion.

Si vous avez d’autres observations, veuillez les envoyer dans les deux langues officielles au greffier d’ici vendredi.

(La séance est levée.)

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