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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 5 juin 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner la teneur des éléments des sections 29, 30, 35, 36, 43 et 44 de la partie 4, et des sous-sections B et C de la section 34 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous. Je m’appelle Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique. Je vais maintenant inviter mes collègues à se présenter à tour de rôle, en commençant par la vice-présidente du comité.

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan. Bienvenue.

La sénatrice Simons : Paula Simons, sénatrice de l’Alberta. Je suis du territoire visé par le Traité no 6.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

[Français]

La sénatrice Audette : Bonjour. Michèle Audette, du Québec.

[Traduction]

La présidente : Avant d’aller plus loin, je demanderais à tous les sénateurs et aux personnes présentes dans la salle de bien vouloir consulter les fiches disposées sur la table. Vous y trouverez les consignes à suivre pour prévenir tout incident de rétroaction acoustique. Veuillez prendre note des précautions suivantes destinées à protéger la santé et la sécurité de tous les participants, et notamment de nos interprètes. Assoyez-vous de manière à garder la plus grande distance possible entre les microphones. Servez-vous uniquement d’une oreillette noire approuvée, les anciennes de couleur grise étant désormais proscrites. Gardez-la loin des microphones en tout temps. Lorsque vous ne vous en servez pas, déposez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cette fin. Je vous remercie de votre collaboration.

Nous nous réunissons pour poursuivre notre examen de la teneur des éléments des sections 29, 30, 35, 36, 43 et 44 de la partie 4, et des sous-sections B et C de la section 34 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024.

Dans un premier temps, nous avons le plaisir d’accueillir Cassandra Richards, avocate, Criminal Lawyers’ Association; Jennifer Steeves, directrice, Industrie et consommation, Association canadienne des constructeurs de véhicules; et Charles Bernard, économiste principal, Corporation des associations de détaillants d’automobiles. Je vous remercie de votre participation. Nous vous sommes très reconnaissants pour tout le temps que vous nous consacrez.

Nous avons grand-hâte d’entendre vos observations. Vous disposez de cinq minutes chacun. Nous commençons par la représentante de la Criminal Lawyers’ Association.

Cassandra Richards, avocate, Criminal Lawyers’ Association : Distingués membres du comité, je vous remercie de m’avoir invitée à prendre la parole devant vous aujourd’hui au nom de la Criminal Lawyers’ Association, ou CLA. Notre organisation représente près de 2 000 avocats criminalistes de toutes les régions du Canada. Plus important encore, nos membres représentent quotidiennement des personnes accusées et condamnées pour des crimes liés aux véhicules à moteur.

Il va de soi que le vol d’automobiles est un problème qu’il convient de régler sans tarder au Canada. Cependant, la CLA craint que certains changements législatifs proposés dans le projet de loi C-69 ne permettent pas de réduire le nombre de crimes semblables et de rendre nos communautés plus sûres.

Premièrement, la CLA est préoccupée par l’adoption de dispositions redondantes et faisant double emploi dans le Code criminel. Le projet de loi C-69 vise à introduire des infractions pénales supplémentaires ciblant les vols de véhicules. Un exemple est le vol d’un véhicule à moteur avec usage, menace ou tentative de violence. Ce type de méfait est déjà visé par une autre infraction du Code criminel, à savoir le vol qualifié. Une personne qui agresse un conducteur pour lui voler sa voiture commet un vol qualifié.

La CLA estime que l’on ne contribuera pas à la lutte contre le vol de voitures en instituant une nouvelle infraction au titre d’un méfait déjà visé par une infraction prévue dans le Code criminel.

Malheureusement, l’adoption de dispositions faisant double emploi peut avoir de nombreuses conséquences néfastes. Bon nombre des nouvelles infractions ne font qu’ajouter de la redondance et de la complexité à la procédure pénale. Ainsi, il deviendra plus difficile de donner des instructions au jury. En outre, il sera encore plus ardu pour un plaideur non représenté de s’y retrouver dans le système judiciaire. C’est un obstacle à l’accès à la justice et à l’efficacité de notre système judiciaire déjà surchargé.

En outre, les individus se présenteront devant le tribunal avec un plus grand nombre de chefs d’accusation, non pas parce qu’on les soupçonne d’avoir commis plus de crimes, mais parce que la police peut les inculper pour des infractions qui se chevauchent et font double emploi. Cela peut porter préjudice à l’accusé, notamment en le plaçant dans une situation plus difficile pour les négociations de caution et de plaidoyer. On peut ainsi complexifier les choses pour les personnes accusées en exerçant sur elles une pression indue, alors que des accusations moins nombreuses et déjà existantes suffiraient et témoigneraient de leur culpabilité de manière plus conforme à la réalité. Nos procureurs et nos tribunaux disposent déjà dans le Code criminel des outils nécessaires pour traiter les vols de voitures. Les dispositions faisant double emploi sont superflues.

En outre, la CLA est préoccupée par l’ajout proposé d’une circonstance aggravante au moment de la détermination de la peine. On exigerait ainsi qu’un tribunal considère comme facteur aggravant expressément inclus le fait que l’auteur de l’infraction a amené une personne de moins de 18 ans à prendre part à sa perpétration.

Il y a deux éléments principaux que je voudrais faire ressortir à ce sujet. Tout d’abord, nous voyons un manque de cohérence entre les versions anglaise et française qui n’ont pas la même signification. La version anglaise utilise le terme « involved », qui, selon la CLA, a un sens beaucoup plus large que la formulation « amener une personne âgée de moins de 18 ans à prendre part à » utilisée dans la version française.

Deuxièmement, la CLA considère que cette disposition a un champ d’application trop vaste, en particulier en raison du choix du terme « involved » qui pourrait se traduire par « impliquer ». L’implication d’un jeune dans la commission d’un délit peut englober un large éventail d’actions. Prenons l’exemple d’un scénario très courant dans nos tribunaux. Trois jeunes sont interceptés par la police à bord d’un véhicule volé. Deux d’entre eux ont 17 ans, à quelques mois de leur majorité. L’autre a 18 ans. Ils sont tous amis et fréquentent la même école. Si le jeune de 18 ans plaide coupable ou est reconnu coupable d’un délit de vol de voitures, un tribunal considérera comme circonstance aggravante le fait que deux individus d’âge mineur se trouvaient dans la voiture. Toutefois, le jeune homme de 18 ans n’a pas exercé de pression sur ses amis. Tous trois ont été abordés par quelqu’un de leur quartier. On leur a proposé de faire rapidement un coup d’argent en volant une voiture.

Le terme « involved » a un sens trop large. Cette proposition d’ajout d’une circonstance aggravante a en fait pour but d’empêcher des adultes d’âge mûr, les instigateurs, d’exploiter des jeunes. Cette disposition aurait cependant aussi un impact sur les jeunes de 18 ans dans le scénario trop courant que je viens de décrire.

La CLA estime qu’une formulation plus circonscrite est nécessaire. La disposition pourrait utiliser une terminologie telle que « faire en sorte que l’adolescent soit impliqué ». La disposition pourrait également exiger que le juge chargé de la détermination de la peine prenne en considération la mesure dans laquelle l’adulte a impliqué l’adolescent et les moyens qu’il a utilisés pour ce faire.

En conclusion, la CLA met en garde contre les tentatives de légiférer à outrance pour sortir de la crise des vols de voitures. Le Code criminel n’est qu’un outil souvent limité et réactif. Je vous remercie à nouveau de m’avoir donné l’occasion de vous faire part de ces observations aujourd’hui.

La présidente : Merci, maître Richards. Nous allons maintenant entendre la représentante de l’Association canadienne des constructeurs de véhicules.

Jennifer Steeves, directrice, Industrie et consommation, Association canadienne des constructeurs de véhicules : Nous vous remercions de nous donner l’occasion de participer à votre étude du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024. Nous félicitons le gouvernement d’avoir réuni les parties prenantes dans le cadre de l’élaboration du Plan d’action national de lutte contre le vol d’automobiles ainsi que des premiers progrès réalisés. D’importantes annonces de financement destinées à l’Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC, afin d’accroître la capacité de détection et de fouille des conteneurs renfermant des véhicules volés, et aux forces de l’ordre, afin qu’elles soient mieux aptes à lutter contre le crime organisé international, constituent également des avancées positives dans la lutte contre cette problématique, mais il faut en faire encore davantage.

Les fabricants d’automobiles sont très préoccupés par l’augmentation des vols de voitures au Canada. L’industrie travaille activement avec les parties prenantes, y compris les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux, les compagnies d’assurances et les forces de l’ordre, afin de bien cerner les enjeux et de trouver des solutions pour dissuader les voleurs de véhicules.

Les fabricants ne cessent d’innover et d’améliorer leurs mécanismes antivol pour mieux protéger leurs clients contre ce fléau. À ce titre, je pourrais vous citer le dispositif antidémarrage passif avec système de cryptage, la signalisation automatique en cas d’introduction ou de mouvement non autorisé du véhicule, le marquage des pièces, le marquage caché du numéro d’identification du véhicule, les services de localisation des véhicules volés, les mises à jour et les verrouillages logiciels pour empêcher la programmation de clés et de télécommandes de déverrouillage supplémentaires.

Mais les fabricants ne peuvent à eux seuls réduire le nombre de vols d’automobiles au Canada. Pour trouver des solutions efficaces à cette crise, il faut diagnostiquer correctement la source du problème. Depuis 2021, le nombre de véhicules volés a augmenté plus rapidement au Canada qu’aux États-Unis, et ce, malgré des exigences réglementaires plus strictes pour les véhicules canadiens, soit un dispositif antidémarrage obligatoire et l’installation des mêmes technologies dans les nouveaux véhicules dans les deux pays.

Les groupes criminels transnationaux les mieux organisés ont ciblé le Canada, un pays où le risque de poursuites est faible et les bénéfices potentiels élevés.

Pour lutter efficacement contre le vol de véhicules, nous demandons que des efforts plus importants soient déployés pour combattre ces groupes criminels et fermer le marché d’exportation des véhicules volés. Les mesures incluses dans le projet de loi C-69 pour lutter contre le vol de véhicules sont un pas dans la bonne direction.

Particulièrement, les modifications apportées au Code criminel et à la Loi sur la radiocommunication feront en sorte que les voleurs de véhicules subiront des conséquences bien concrètes et qu’il sera plus difficile d’acquérir et d’utiliser des dispositifs pour le vol de véhicules. Toutefois, ces mesures ne suffiront pas à mettre fin à la crise actuelle. D’autres interventions sont nécessaires, et nous vous en suggérons quelques-unes.

Premièrement, il convient d’offrir un financement plus conséquent à nos forces de l’ordre, car elles ont besoin de plus de ressources pour lutter contre le vol de véhicules. En permettant aux services de police locaux d’avoir plus facilement accès aux installations intermodales lorsqu’ils détiennent des renseignements sur des véhicules volés, on contribuerait également à endiguer le mouvement de ces véhicules à l’intérieur du pays.

Deuxièmement, il faut bonifier les ressources à la disposition de l’Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC. Des investissements dans le personnel, les appareils d’imagerie des conteneurs et les technologies de vérification à distance du numéro d’identification du véhicule, ou NIV, permettraient de réduire l’exportation de véhicules volés. La récupération récente de 598 véhicules volés au port de Montréal met en relief la vulnérabilité des ports canadiens.

Troisièmement, nos politiques doivent être mieux coordonnées. On demande aux constructeurs automobiles d’accroître la sécurité des véhicules tout en les assujettissant à la loi sur le « droit à la réparation », qui prévoit un accès total aux données stockées et transmises par les véhicules au-delà de ce qui est nécessaire pour les réparations. Cela va directement à l’encontre des efforts déployés par les constructeurs automobiles pour assurer la sécurité des systèmes des véhicules.

Enfin, aucune solution n’est complète sans une collaboration continue entre les constructeurs automobiles, les gouvernements et les organismes chargés de l’application de la loi. Nous sommes déterminés à poursuivre notre engagement et nous vous remercions de nous avoir donné l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, madame Steeves.

Nous allons maintenant entendre M. Bernard. Vous avez cinq minutes.

Charles Bernard, économiste principal, Corporation des associations de détaillants d’automobiles : Bonjour, sénateurs et sénatrices. Je m’appelle Charles Bernard et je suis l’économiste principal de la Corporation des associations de détaillants d’automobiles, ou CADA. Je tiens à vous remercier de m’avoir invité aujourd’hui pour parler du projet de loi C-69 et des enjeux qui concernent notre industrie.

Je suis ici au nom de 3 500 des concessionnaires d’automobiles indépendants et franchisés du Canada. Ces concessionnaires et leurs clients ont été les premiers à constater les effets dévastateurs des vols de voitures.

À juste titre, les consommateurs s’inquiètent de plus en plus du vol de leur voiture. Les cambriolages à domicile avec violence sont plus fréquents que jamais. Les braqueurs s’emparent des clés et partent avec le véhicule. Certains employés de nos concessionnaires ont vécu de tels événements traumatisants et peuvent témoigner de la brutalité du choc ressenti lorsqu’on se fait voler sa voiture et qu’on a maille à partir avec le crime organisé.

À la lumière des données des deux dernières années, Équité Association a estimé qu’au Canada, un véhicule est volé toutes les cinq minutes. C’est évidemment inacceptable, et c’est pourquoi la CADA s’est engagée dès le départ à contribuer à la recherche de solutions à ce problème d’envergure nationale. Les conséquences des vols de voitures sont directement subies par les consommateurs et par l’ensemble des conducteurs. Selon de nouvelles données publiées par le Bureau d’assurance du Canada, les réclamations d’assurance pour le remplacement de véhicules volés ont grimpé en flèche pour atteindre le chiffre record de 1,5 milliard de dollars en 2023.

En cette période de fortes pressions financières, la crise du vol d’automobiles a également eu un effet négatif immédiat sur les coûts de possession d’un véhicule et a fait grimper les primes d’assurance d’un grand nombre de Canadiens.

Bien que je vienne de brosser un tableau plutôt sombre de la situation, je me présente devant vous aujourd’hui avec un certain optimisme à la suite des efforts récents de nos élus pour s’attaquer au vol d’automobiles. Il est également important pour moi de reconnaître que le gouvernement et les partis d’opposition se sont affranchis de toute partisanerie pour s’entendre sur le rôle central du crime organisé dans cette crise et sur certaines des mesures nécessaires pour arrêter ces criminels.

C’est vraiment positif, et cela va tout à fait dans le sens de ce que préconise la CADA. Nous réclamons notamment, comme on vous l’a déjà mentionné, des ressources additionnelles pour l’Agence des services frontaliers du Canada afin de prévenir l’exportation de véhicules volés; des modifications au Code criminel pour imposer des peines plus sévères pour le vol de voitures; et une sécurité accrue au port de Montréal et à d’autres endroits stratégiques pour augmenter la capacité d’intercepter les véhicules volés.

Cette volonté d’agir davantage est un excellent signe, mais il reste encore du travail à faire. Nous avons été heureux de voir notre argumentaire faire son chemin jusqu’au projet de loi C-69 du gouvernement du Canada, qui consacre 28 millions de dollars au renforcement de la capacité de l’ASFC à fouiller les conteneurs pour détecter les véhicules volés. Nous devons nous assurer que cet argent est utilisé pour garantir la mise en place des mécanismes nécessaires et des fouilles plus fréquentes avec une meilleure technologie afin de repérer les véhicules volés dans les conteneurs d’expédition.

Selon moi, lorsque les ressources sont utilisées à bon escient, les résultats ont tendance à suivre. Les 600 véhicules récupérés dans le port de Montréal montrent bien à quel point ce port est vulnérable, mais aussi que des résultats concrets peuvent être obtenus lorsqu’on fait bon usage des ressources humaines et techniques à notre disposition. Autre élément crucial, nous avons aussi réclamé des peines plus sévères pour les voleurs de voitures et le crime organisé. C’est pourquoi nous avons été heureux de voir certains partis de l’opposition gouvernementale proposer des amendements au Code criminel qui vont tout à fait dans ce sens-là.

Nous nous réjouissons des infractions supplémentaires prévues pour le vol de véhicules à moteur lorsqu’il y a usage, menace ou tentative de violence, ainsi que pour les organisations criminelles. En outre, nous félicitons le gouvernement d’avoir comblé le vide législatif en créant une infraction pénale pour la possession et la distribution d’un dispositif électronique utilisé pour le vol.

Pour limiter les vols d’automobiles et protéger les Canadiens, il est essentiel d’imposer des peines plus sévères aux récidivistes et au crime organisé. C’est pourquoi la CADA est reconnaissante à l’opposition officielle pour ses récentes propositions en faveur de solutions concrètes comme l’imposition de peines plus sévères pour les récidivistes, l’abrogation de la détention à domicile pour les criminels reconnus coupables d’une infraction grave et la prise en compte des liens avec le crime organisé comme facteur aggravant lors de la détermination de la peine. Ce sont là autant d’étapes incontournables pour vraiment s’attaquer à cette crise.

Enfin, nos membres ont un rôle à jouer pour favoriser un environnement sûr pour leurs clients, que ce soit au moyen des mécanismes de protection eux-mêmes...

La présidente : Je suis désolée de devoir vous interrompre, mais pourriez-vous ralentir un peu?

M. Bernard : Oui, bien sûr, je comprends. Il n’y a pas de problème.

Nos membres ont un rôle à jouer, que ce soit au moyen des mécanismes de protection eux-mêmes ou via la sensibilisation de leurs clients quant aux meilleures pratiques antivol à adopter. Cependant, nous craignons de plus en plus que la nouvelle approche fiscale sur l’imposition des gains en capital ne dissuade nos membres d’investir dans leurs concessions. Je sais que les personnes présentes dans cette salle vont convenir avec moi que les Canadiens méritent d’acheter leurs véhicules dans des endroits sûrs, viables et, surtout, adaptés à la transition vers les véhicules électriques. Pour y parvenir, il faut investir massivement dans les concessions, mais il y a des raisons légitimes de penser que cette mesure aura l’effet inverse.

Cela dit, la CADA reconnaît l’excellent travail accompli par le gouvernement du Canada et les partis d’opposition, et tous les efforts qu’ils ont consacrés à ce dossier. Nous les encourageons à en faire davantage, et la CADA veut être une ressource et une source d’information dans ce domaine. Je vous remercie de m’avoir invité et j’ai hâte de répondre à vos questions dans l’une ou l’autre de nos deux langues officielles.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Bernard.

Nous passons maintenant aux questions des sénateurs. J’ai moi-même une question à vous poser, maître Richards. Vous avez dit que certains des termes utilisés dans les versions française et anglaise ne sont pas équivalents. Les avez-vous tous relevés ou en avez-vous seulement ciblé quelques-uns?

Me Richards : Merci pour cette question. Je n’ai pas relevé tous les termes pouvant poser problème dans les différentes dispositions. Les gens de notre association ont surtout noté la différence de formulation de la circonstance aggravante que l’on propose d’ajouter aux fins de la détermination de la peine. Et en fait, c’est le libellé en français...

[Français]

En français, on dit : « […] a amené une personne âgée de moins de dix-huit ans à prendre part […] ».

[Traduction]

Alors, les deux versions ne sont pas équivalentes.

La présidente : Puis-je vous demander simplement — et je suis désolée de vous donner un supplément de travail — de transmettre les autres problèmes de formulation semblables, le cas échéant, à notre greffier pour que nous puissions les examiner? Merci beaucoup d’avoir souligné ce point. C’est très important.

Me Richards : Ce sera avec plaisir.

La présidente : J’aimerais vous poser une question. Selon vous, quelles sont les conséquences de l’ajout des circonstances aggravantes pour un délinquant qui incite une personne âgée de moins de 18 ans à commettre un vol de véhicule? Est-ce que cela envoie un signal au tribunal que la peine doit être plus lourde? D’un point de vue légal, y voyez-vous des conséquences imprévues, notamment dans le cas où un mineur est impliqué? Merci. Désolée, c’est une longue question.

Me Richards : C’est bien. Je vous remercie de poser la question.

Il faut d’abord et avant tout comprendre que les circonstances aggravantes ne s’appliqueront pas seulement aux crimes liés à un vol de véhicule, mais à tous les crimes, quel qu’il soit, si la personne plaide ou est reconnue coupable.

Voici un exemple. Disons que le père ou la mère se rend à l’épicerie avec son enfant et vole de la nourriture à l’insu de l’enfant. Aux termes du projet de loi, l’enfant a, dans ce cas, participé à la commission d’une infraction, car selon la Criminal Lawyers’ Association, le mot « prendre part » ratisse trop large. Une personne est donc traduite en justice pour avoir volé de la nourriture, et comme elle était accompagnée de son enfant à ce moment, cela constituerait des circonstances aggravantes.

Si cette mesure était adoptée, cela s’appliquerait à toutes les infractions criminelles. Pour ce qui est du signal que cela enverrait aux tribunaux, les tribunaux tiennent déjà compte — pas en raison de la loi ou du Code criminel — du fait qu’une jeune personne est impliquée dans la commission d’une infraction. Cela est déjà considéré comme des circonstances aggravantes, et la mesure dans laquelle les juges en tiennent compte dépend de la situation. Selon la Criminal Lawyers’ Association, encore une fois, il est important de comprendre que cela ne s’appliquera pas seulement aux vols de véhicules, mais à tous les crimes, et, compte tenu des termes généraux utilisés, on risque d’inclure des comportements ou des actions qui n’étaient pas visés par cette disposition.

La présidente : Merci, maître Richards. Nous allons passer aux autres questions.

La sénatrice Batters : Je vous remercie beaucoup de cette réponse. Vouliez-vous dire que cela s’appliquerait à toutes les infractions criminelles liées à un vol ou à toutes les infractions prévues dans le Code criminel?

Me Richards : Cela s’appliquerait à toutes les infractions prévues dans le Code criminel. Ne me citez pas quant à l’article, mais je crois que les dispositions sur la détermination de la peine se trouvent au paragraphe 7(18). D’autres circonstances aggravantes y sont déjà mentionnées, notamment si l’infraction était liée à une organisation criminelle ou commise au profit d’une organisation criminelle. Toutefois, compte tenu de l’endroit où cela se trouve dans le Code, la mesure s’appliquerait à toutes les infractions prévues dans le code.

La sénatrice Batters : Merci, c’est un point très important. Tout ce que vous nous dites aujourd’hui témoigne bien des risques d’inclure des dispositions de ce genre dans un projet de loi de mise en œuvre du budget qui contient plusieurs centaines de pages. Le gouvernement a choisi d’inclure ces dispositions sur les vols de véhicules dans un projet de loi de mise en œuvre qui contient des centaines de pages, et il est très difficile de bien les étudier, et encore plus de les amender, en fait, même quand — et cela semble être le cas ici — il est impératif de le faire pour corriger un libellé inadéquat.

J’ai maintenant quelques questions à poser à M. Bernard de la Corporation des associations de détaillants d’automobiles.

Monsieur Bernard, l’inspecteur-détective Wade de la Police provinciale de l’Ontario nous a dit qu’il était facile d’acheter en ligne et de se faire livrer rapidement des dispositifs électroniques servant à commettre des vols de véhicules. Quelle responsabilité les détaillants ont-ils d’informer leurs clients de ces problèmes et des façons de mieux se protéger?

M. Bernard : Je vous remercie de la question. Cela met en lumière un des rôles clés des détaillants dans cette crise, et nous allons continuer de sensibiliser les gens à ce sujet. Il s’agit non seulement pour eux d’obtenir plus d’information des constructeurs sur le fonctionnement de ces dispositifs et les pièces des véhicules qui sont ciblées, mais aussi de collaborer avec les services de police et de leur transmettre de l’information. Au cours de la majeure partie de la crise, les détaillants ont joué un rôle de centres d’information, et ceux qui ont le mieux réussi à communiquer l’information sont ceux qui ont effectué des recherches et ont discuté avec leurs partenaires.

Les détaillants ont aussi un rôle à jouer pour gérer les inquiétudes des clients, car même si certains types de technologie existent, il se peut que nous ayons, pour une raison ou une autre, à les interdire. Les voleurs font preuve d’une ingéniosité incroyable et ont accès à une quantité d’information comme jamais auparavant. Il s’agit bien sûr d’informer les clients de la technologie et des dispositifs qui existent, mais aussi des mesures qu’ils peuvent prendre pour protéger leur véhicule, et aussi de gérer le stress qui accompagne le tout.

Cela peut paraître un peu étonnant, mais il faut être rigoureux dans nos contacts avec les clients et nous assurer de faire du suivi pour vérifier s’ils utilisent bien les dispositifs, s’ils prennent les mesures recommandées par les détaillants. Le suivi est donc essentiel.

La sénatrice Batters : Le sénateur Carignan, mon collègue conservateur au sein du comité, a remarqué récemment qu’il y avait un recours collectif contre les constructeurs de véhicules au Québec en raison de failles dans les systèmes de clés électroniques. Quelles discussions votre association a-t-elle eues avec les constructeurs pour s’assurer que l’on corrige ces failles et mieux protéger les véhicules?

M. Bernard : Je vais commencer à répondre et Mme Steeves voudra sans doute intervenir aussi. Les détaillants ont des liens étroits avec les constructeurs, que ce soit par l’entremise des conseils de concessionnaires — les détaillants eux-mêmes —, ou d’associations comme la nôtre. Le recours collectif concerne plutôt les constructeurs. Encore une fois, l’information joue un rôle important. Les clients parlent avec les détaillants. Ils leur avaient fait part de leurs frustrations avant le lancement du recours collectif. Nous misons sur des communications claires avec les constructeurs et avec les clients pour nous assurer de bâtir un lien de confiance entre les clients et les détaillants, et nous assurer que les détaillants ne sont pas seulement des porte-parole pour les constructeurs et vice versa. Pour faire en sorte que les questions et les préoccupations des clients soient communiquées aux constructeurs, et que les clients reçoivent l’information voulue, la corporation tient des réunions mensuelles avec les constructeurs.

Je ne connais pas les détails du recours collectif, mais c’est le rôle que les détaillants ont joué par le passé, soit servir de lien pour favoriser la circulation de l’information et de bonnes communications. Il se peut que ce ne soit pas toujours suffisant, mais c’est un rôle que les détaillants vont devoir jouer de plus en plus à l’avenir.

La sénatrice Batters : Merci. Madame Steeves, auriez-vous un bref commentaire? Je vais ensuite devoir attendre à la deuxième série de questions.

Mme Steeves : Rapidement, je ne peux pas vous parler du recours collectif au Québec précisément, mais il y a une proposition au sujet du volet communications, et Innovation, Sciences et Développement économique Canada, ou ISDE, lance un processus de consultations à ce sujet aussi. Je pense que le travail est en cours et qu’il faudra un effort collectif pour remédier aux vols de véhicules, car cela touche à beaucoup d’éléments.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Merci à nos témoins aujourd’hui. C’est toujours très apprécié. Ma question s’adresse à Mme Steeves.

[Traduction]

Vous avez mentionné dans vos remarques que le Canada est devenu l’endroit privilégié pour voler des voitures. Les organisations criminelles ciblent le pays, comme vous l’avez dit, parce qu’elles se sont sans doute rendu compte que les sanctions y étaient moins sévères qu’aux États-Unis. Avez-vous des chiffres pour comparer la situation, soit le nombre de véhicules volés aux États-Unis et au Canada par rapport au nombre total de véhicules ou à la population?

Mme Steeves : Des données sont disponibles à ce sujet. Je ne les ai pas, mais nous pouvons trouver l’information et vous revenir à ce sujet.

Le sénateur Dalphond : D’accord. Êtes-vous au courant des différences par rapport aux États-Unis? Ils n’ont pas de code criminel. Ce sont les États qui s’occupent des lois pénales. Cela ne relève pas du fédéral. Je présume que les lois sont plus sévères dans certains États que dans d’autres. Je ne mentionnerai pas d’États, pour ne pas risquer de me tromper ou d’offenser quelqu’un, mais certains États sont plus cléments à l’égard des délinquants que d’autres où, après trois infractions, c’est la prison à vie, ou plutôt c’était le cas auparavant, car cette règle a été abrogée.

Existe-t-il une étude qui montre une corrélation entre les peines et le fait qu’il y ait plus de véhicules volés dans certains États par rapport à d’autres?

Mme Steeves : Oui, je peux essayer de trouver de l’information pour vous. Au sujet des organisations criminelles, elles font des calculs risques-récompenses. Là où elles estiment que les sanctions seront moins sévères, elles prennent plus de risques, car ce sont des activités lucratives pour elles, très lucratives. Elles ont un système perfectionné et font ce genre d’analyses.

Le sénateur Dalphond : Je crois comprendre que vous n’avez pas d’études par État, mais je présume que l’endroit des vols — s’il se trouve près d’un port ou non — est un facteur important également. Je présume que voler un véhicule au Montana est plus difficile que de le faire à Toronto et de le rendre à Montréal. Existe-t-il une étude montrant la corrélation entre des peines sévères et le nombre de véhicules volés, ou les endroits, les réseaux? Je pense que c’est un peu plus nuancé que cela.

Mme Steeves : Oui, je pense que les peines sont un élément important, mais, pour revenir à votre point au sujet des ports, les organisations criminelles repèrent rapidement si un port ne dispose pas des ressources ou de la capacité pour vérifier le contenu des conteneurs, et elles vont exploiter cette vulnérabilité.

Le sénateur Dalphond : Le problème ne serait donc pas lié à la sévérité des peines, mais aux ressources pour faire appliquer la loi. On peut donc avoir les lois les plus sévères du monde, mais si personne ne vérifie les cargaisons qui quittent le port, ce n’est pas très efficace.

Mme Steeves : Tout à fait. Il s’agit d’une combinaison de facteurs. Le financement et la capacité dans les ports de pouvoir examiner de plus près les cargaisons sont des éléments importants, car les organisations criminelles vont exploiter cela. Il y a aussi les peines. Il faut une stratégie à plusieurs volets pour lutter contre les vols de véhicules.

La sénatrice Simons : Ma question s’adresse à Me Richards. Depuis qu’on nous a expliqué la semaine dernière qu’un grand nombre des crimes commis aux diverses étapes de la chaîne d’approvisionnement en véhicules volés le sont par des jeunes, je me demande quelles seront les répercussions du fait d’alourdir les peines pour des jeunes qui, s’ils ne sont plus de jeunes délinquants jugés comme des adultes, ont à peine 18 ou 19 ans.

J’aimerais savoir si la Criminal Lawyers’ Association a des commentaires au sujet des conséquences imprévues qui pourraient résulter du fait, pour des personnes si jeunes, de se retrouver avec un casier judiciaire aussi lourd à un moment de leur vie où on aime encore à penser qu’ils peuvent être réceptifs à la réadaptation? On imposera ainsi à de très jeunes délinquants — même si ce ne sont pas techniquement de jeunes délinquants — un lourd casier judiciaire. Vous inquiétez-vous des répercussions que cela pourrait avoir pour les clients et le système correctionnel par la suite?

Me Richards : Je vous remercie de la question. La Criminal Lawyers’ Association ne croit pas qu’alourdir les peines rendra nécessairement nos collectivités plus sûres. Le fait est que si on envoie quelqu’un en prison pendant six mois pour le premier crime qu’il commet à 18 ans, il va passer six mois avec des détenus plus âgés qui peuvent être plus intégrés dans le milieu criminel. Il ne faut pas oublier qu’un jeune de 18 ans est à une étape importante de sa vie où il socialise et se forme.

Un autre élément important à prendre en considération est l’endroit où ces jeunes servent leur peine. Pour ces crimes, très souvent, s’il n’y a pas de violence — ou un faible degré de violence —, ils seront envoyés dans des prisons provinciales où on n’offre pas beaucoup de programmes de réadaptation, de counselling ou autre, pour amener la personne à changer pour qu’elle puisse contribuer à la société.

La Criminal Lawyers’ Association est d’avis qu’alourdir les peines n’aura pas nécessairement pour effet de rendre nos collectivités plus sûres. En fait, il sera ensuite beaucoup plus difficile pour une personne de réintégrer la société, de se trouver un emploi légal et de contribuer à la société.

La sénatrice Simons : Je présume que l’idée est, après avoir attrapé les petits, d’exercer des pressions sur eux pour qu’ils vous livrent les gros. Toutefois, cela veut dire que l’on met beaucoup de pression sur les plus jeunes et, sans doute, les moins futés dans la chaîne d’approvisionnement au lieu d’attraper les gros qui se trouvent à la tête du réseau.

Me Richards : On présume qu’ils ont de l’information sur le réseau, mais en fait, beaucoup d’entre eux sont approchés par quelqu’un de leur quartier ou un membre de la famille.

La sénatrice Simons : « Je vais te donner 100 $. »

Me Richards : Beaucoup d’entre eux proviennent de communautés marginalisées ou racisées. Ils se disent qu’ils vont gagner 200 $, de l’argent facile. Ils ne savent pas qui se cachent derrière cela, alors selon la Criminal Lawyers’ Association, sévir contre ces jeunes ne permettra pas de remonter jusqu’aux chefs d’un réseau ou de réduire les vols de véhicules.

La sénatrice Simons : Savoir si le roublard livrera Fagin est une autre question.

La Criminal Lawyers’ Association a-t-elle une opinion sur la portée ou le sens de « commet un vol au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle ou en association avec elle »?

Me Richards : J’aimerais savoir si nous pouvons vous répondre par écrit.

La sénatrice Simons : Vous pouvez faire parvenir l’information au comité, oui.

Me Richards : Certainement.

Brièvement, il existe une jurisprudence abondante qui définit ce qu’est une « organisation criminelle », et ce n’est pas toujours très clair. Cela dépend de l’affaire qui se trouve devant le tribunal.

Je serai ravie de vous fournir notre position à ce sujet par écrit.

La sénatrice Simons : Excellent. Merci beaucoup.

Me Richards : Merci.

La présidente : Maître Richards, c’est très généreux de votre part. Puis-je vous demander de nous faire parvenir l’information dès que possible, car nous allons terminer l’étude demain? Je ne vous demande pas de le faire d’ici demain, mais dès que possible, je vous prie. Merci.

Me Richards : Très bien. Merci.

La sénatrice Pate : Merci.

Me Richards sait sans doute que la Criminal Lawyers’ Association a déjà présenté des mémoires sur le fait que des peines plus longues, plus sévères n’augmentent pas du tout, en fait, leur efficacité. Vous pourrez sans doute puiser dans ces anciens mémoires pour nous faire parvenir la réponse.

Ma première question s’adresse à vous, madame Steeves. Un des enjeux dont on me fait part à mon bureau et probablement à de nombreux autres est que la technologie existe et que les constructeurs peuvent maintenant l’améliorer pour prévenir en grande partie les vols de véhicules. Pourquoi adopterions-nous ce type d’approche qui n’est pas susceptible de faire une grande différence, sauf sans doute, comme mes collègues l’ont déjà dit, de faire en sorte que plus de jeunes, principalement, pauvres et racisés se retrouvent derrière les barreaux? Au lieu de cela, pourquoi n’insisterions-nous pas pour que les constructeurs d’automobiles installent la technologie qui pourrait remédier à ce problème?

Mme Steeves : Les constructeurs ont très à cœur leurs clients et leur sécurité. Les progrès technologiques se poursuivent pour mieux protéger les véhicules contre le vol. Les constructeurs s’attaquent au problème de différentes façons. Ils travaillent avec les gouvernements et les organismes d’application de la loi en permanence pour rapporter les vols.

Encore une fois, on en revient à l’idée qu’il faut une approche à plusieurs volets pour combattre le vol quand on a affaire à des groupes criminels très bien organisés. Il est essentiel notamment que les constructeurs continuent de travailler sur les outils technologies, et c’est ce qu’ils font. De plus, il est important que l’Agence des services frontaliers dispose des capacités nécessaires pour contrôler les exportations aux principaux ports au pays, d’où sont expédiés les véhicules volés. L’Agence des services frontaliers et les corps policiers doivent disposer des capacités nécessaires pour faire ce travail.

Les risques-récompenses pour le crime organisé... Il faut qu’il y ait des sanctions adéquates pour punir ceux qui volent des véhicules.

La sénatrice Pate : Des sanctions sont déjà en place.

Les organismes d’application de la loi comme l’Association canadienne des chefs de police attribuent la diminution importante des vols de véhicules après 2007 à un règlement adopté par Transports Canada qui exigeait des constructeurs qu’ils équipent les véhicules d’un immobilisateur de moteur. Pourquoi ne prônez-vous pas un règlement qui obligerait les constructeurs à équiper les véhicules de nouveaux dispositifs antivol plus perfectionnés?

Plus d’une personne m’a contactée pour suggérer que ce n’était pas dans votre intérêt, car vous vendez assurément plus de voitures lorsqu’il y a des vols. Je pense que c’est un peu cynique, même pour quelqu’un comme moi, de suggérer cela.

Avez-vous des documents que vous pouvez nous fournir pour nous montrer les investissements qui sont faits? Y a-t-il de nouveaux immobilisateurs plus perfectionnés... Quels sont les investissements que font vos membres dans ce domaine, étant donné les succès passés?

Mme Steeves : Les fabricants étudient une foule de technologies différentes. Je n’ai pas de chiffres sur les investissements; ce serait contre l’intérêt concurrentiel de l’entreprise de communiquer cette information. Des efforts concertés sont déployés pour protéger davantage les véhicules contre le vol; c’est un effort constant. Transports Canada et les organismes d’application de la loi collaborent très étroitement pour trouver des systèmes qui contreront le crime organisé.

Je le répète, le crime organisé est très astucieux. Il a réussi à comprendre des systèmes et à déceler des faiblesses. C’est réellement un effort de tous les instants. La lutte est difficile.

La sénatrice Pate : Avez-vous réalisé des enquêtes sur l’infiltration du crime organisé chez les fabricants?

Mme Steeves : Qu’entendez-vous par là?

La sénatrice Pate : Afin de participer au soi-disant processus concurrentiel. Vous ne pouvez divulguer de renseignements à ce sujet, mais avez-vous mené des enquêtes sur ce genre d’infiltration? Il a été démontré que cela fait partie du problème dans bien des contextes à l’échelle internationale.

Mme Steeves : Je n’ai rien entendu à ce propos, mais je peux certainement vérifier.

La présidente : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à l’Association canadienne des constructeurs de véhicules. Je suis curieux de savoir une chose : le Canada n’est pas unique sur la planète. Est-ce que le vol de voitures n’est pas un problème, aux États-Unis, en Europe ou au Japon? Est-ce que le taux est plus élevé ici? Ce sont les mêmes technologies. Si je loue une voiture aux États-Unis ou en Europe, à quelques différences près, ce sont toutes les mêmes technologies, comme les clés magnétiques, qui sont utilisées pour démarrer la voiture?

Est-ce que c’est un problème qui existe dans d’autres pays ou cela existe surtout au Canada? Si oui, pourquoi? Sinon, pourquoi?

[Traduction]

Mme Steeves : C’est un problème qui se pose dans d’autres pays. Aux États-Unis, les vols ont augmenté. Je pense que le gouvernement a pris des mesures préliminaires qui font avancer les choses, comme au port de Montréal, par exemple. Le crime organisé se déplacera alors vers d’autres secteurs où la vulnérabilité est plus grande.

C’est un problème d’envergure, et je pense que le crime organisé cherchera à voir où il peut voler des véhicules et les faire sortir du pays. Ainsi, où qu’il y ait...

Le sénateur Carignan : Mais le problème est-il pire ici au Canada qu’aux États-Unis?

Mme Steeves : Oui.

Le sénateur Carignan : Pourquoi?

Mme Steeves : À titre comparatif, les peines imposées sont plus légères et la capacité des ports de surveiller les conteneurs qui sortent est différente.

Le crime organisé cherche les points faibles, et il lui semble qu’il est plus avantageux de déployer ses efforts de vol ici plutôt que dans d’autres pays.

[Français]

Le sénateur Carignan : Aux États-Unis, ils sont plus rapides qu’ici sur les poursuites contre les manufacturiers.

À l’extérieur du Canada, est-ce qu’il y a des poursuites contre les manufacturiers sur le défaut de sécurité ou la trop grande facilité à capter les ondes de clés magnétiques, ce qui en fait un défaut de fabrication? Est-ce que c’est un élément de sécurité? On met la serrure pour verrouiller les portes, mais si n’importe qui peut ouvrir la serrure, elle n’atteint pas son objectif. Est-ce qu’il y a eu des poursuites à l’extérieur du Canada contre des manufacturiers?

[Traduction]

Mme Steeves : Pas que je sache. Les fabricants peaufinent continuellement la technologie pour essayer de renforcer la protection de leurs véhicules. Ici encore, le crime organisé est astucieux : il examinera les technologies pour trouver des moyens de les contourner. C’est un processus constant.

Le sénateur Carignan : Les criminels sont organisés.

Mme Steeves : Exactement, et ils sont bien financés.

Le sénateur Carignan : Je vous remercie.

La sénatrice Batters : Avec l’Association canadienne des constructeurs de véhicules, j’aimerais aller plus en profondeur pour savoir ce que font les fabricants et quelles sortes de technologies de sécurité de pointe qu’ils devraient, selon vous, recommander ou que vous leur recommanderiez pour éviter que les genres de vols exploitant les dispositifs électroniques ne deviennent monnaie courante. Je me demande également si vous avez des données ou des statistiques sur la prévalence des vols de véhicules effectués au moyen de méthodes électroniques comme le captage du signal des clés.

Mme Steeves : Je n’ai aucune donnée à vous fournir sur le captage du signal des clés, mais je vais vérifier pour voir s’il en existe.

La sénatrice Batters : Merci. Comme vous l’avez entendu, nous aurons besoin de ces informations assez rapidement. Si vous pouviez nous les faire parvenir d’ici demain environ, nous vous en saurions gré.

La présidente : Veuillez les transmettre au greffier, qui les diffusera.

Mme Steeves : Je vous remercie. Je vérifierai s’il y a des données et je les transmettrai au greffier.

La sénatrice Batters : Qu’en est-il des autres genres de technologies?

Mme Steeves : Les entreprises font des investissements et les ingénieurs travaillent à de nouvelles technologies. Il existe des exemples, dont j’ai parlé dans ma déclaration préliminaire. Nous n’avons pas de liste de technologies à vous fournir parce que nous ne voulons évidemment pas que le crime organisé apprenne où les fabricants envisagent d’apporter des changements et de renforcer la protection des véhicules.

La sénatrice Batters : Pouvez-vous nous donner de grandes catégories?

Mme Steeves : Je reviendrais à ce que j’ai dit dans mes notes : l’antidémarrage passif avec des mises à jour de logiciels de chiffrement et ce genre de dispositifs.

La sénatrice Batters : Du chiffrement, dites-vous?

Mme Steeves : L’antidémarrage passif avec des systèmes de chiffrement, les alertes actives en cas d’entrée non autorisée dans le véhicule, le marquage des pièces, les numéros d’identification du véhicule cachés, les services de repérage de véhicules volés, les mises à jour logicielles et le verrouillage des logiciels pour empêcher la programmation de clés ou de porte-clés supplémentaires.

La sénatrice Batters : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Audette : J’ai une question qui fait suite à vos commentaires. Est-il possible d’avoir vos données scientifiques qui montrent que le Canada est maintenant l’endroit où il y a le plus de vols de voitures? Pour moi, cela sera important pour comparer avec les pays qui ont été nommés. J’ai bien aimé la question du sénateur Carignan.

Ensuite, je comprends bien qu’on veut s’attaquer au crime organisé. Je n’ai pas de problème avec cela, mais le fait de rendre des lois claires et nettes pour les rendre plus dures sur le terrain... Ce sont de petits poissons, ce sont des jeunes qu’on va peut-être mettre en prison. Cela coûte cher aux contribuables. Pensez-vous qu’on va encore juste remplir les prisons au lieu de s’attaquer à la technologie et à tout ce qui existe dans ce monde technologique par rapport aux clés et aux systèmes de nos nouvelles voitures? J’aurais préféré que l’on s’attaque à cet aspect plutôt que de remplir des prisons.

[Traduction]

Mme Steeves : Merci de cette question. Pour lutter contre ce problème, il faut un effort collectif et multiforme. Les criminels chercheront à voir où ils peuvent s’en tirer avec le moins de pénalités possible. Il faut atteindre un équilibre où ils ressentent assez de pression pour comprendre que le vol entraînera des conséquences.

Les organismes d’application de la loi et l’ASFC ont également besoin de financement et de ressources pour pouvoir aider à repérer les véhicules qui s’apprêtent à quitter le pays. Je pense que la coordination des politiques est vraiment importante. Il y a certainement beaucoup d’éléments différents qui entrent en ligne de compte à cet égard.

[Français]

La sénatrice Audette : Merci.

M. Bernard : Je pourrais faire parvenir les documents au comité ultérieurement, mais j’ai des données sur la différence entre les États-Unis et le Canada sur le plan de la hausse de vols de voitures. Ce sont les données du bureau national des assurances américaines. Entre 2021 et 2022, l’augmentation des vols aux États-Unis a été de 7 %, ce qui se compare à d’autres pays du G7 comme l’Europe et le Royaume-Uni, tandis qu’au Canada, dans la même période, le taux était de 21 % environ. Je pense que les commentaires que vous avez faits sont importants, c’est-à-dire qu’il faut avoir une approche plus holistique par rapport à cet enjeu. C’est un terme que les économistes aiment utiliser, mais je crois qu’il n’y a pas assez de mesures incitatives négatives qui empêchent de passer à l’action. C’est peut-être à cause des mesures pénales plus importantes. Je pense qu’il y a un précédent qui s’est créé au Canada, qui fait que ce processus de vols est faisable et souvent accompagné de succès.

Donc, je crois que le processus doit être amélioré des deux côtés. Est-ce que c’est la crainte de la punition pénale qui fait la différence, ou est-ce le fait qu’il y a plus de ressources et que les solutions sont plus créatives dans les ports et au sein de l’Agence des services frontaliers du Canada pour attraper ces gens? S’il y a un plus gros risque qu’ils se fassent attraper, il y aura peut-être des changements.

Ce n’est pas nécessairement que la crise des vols de voitures est particulière au Canada, mais elle est plus pointue, et c’est cela qui est inquiétant. Il y a eu un bon commentaire un peu plus tôt sur la situation aux États-Unis. Par exemple, on avait parlé à des représentants du port de Montréal qui disaient que, historiquement et traditionnellement — peut-être parce qu’il y a plus de ressources, je ne connais pas la raison —, il y avait un regard aux États-Unis qui est porté sur ce qui entre et ce qui sort du port, tandis qu’au Canada, on regarde davantage ce qui entre et moins ce qui sort. C’est une question d’approche.

Le port de Baltimore est l’un des ports importants de la côte Est. C’est une région qui est située autour de la Virginie et du Maryland, où il y a beaucoup de crime, mais où les hausses d’exportations ne sont pas aussi importantes. C’est peut-être parce que le désincitatif au vol est plus fort. C’est un mélange de tout cela qui amènera peut-être une solution positive. Je vais partager les chiffres avec vous, si vous me le permettez. Merci.

La présidente : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Merci beaucoup de comparaître. Les témoins nous informent toujours de faits que nous ne connaissons pas beaucoup, mais qui sont leur pain quotidien.

Je pense que la question suivante s’adresse principalement à vous, madame Steeves. Je veux amorcer notre conversation en parlant de « l’once de prévention ». Vous avez souligné que le crime organisé est bien pourvu. J’imagine que s’il cible la ville de Moose Jaw, qui ne dispose pas de beaucoup de ressources pour résister à l’esprit astucieux du crime organisé... Les fabricants d’automobiles ont toutefois des poches assez bien remplies merci. J’aurais cru qu’ils seraient parfaitement capables de continuellement mettre au point des dispositifs et d’élaborer des stratégies pour contrer le crime organisé.

J’aurais aussi pensé que, contrairement à ce que vous avez laissé entendre, plus les voleurs savent qu’il y a ce que j’appellerais les dispositifs antivol, moins ils sont susceptibles de tenter de voler des automobiles.

Je vis maintenant dans un condo, mais j’ai déjà eu une maison, devant laquelle j’avais disposé une affichette indiquant : « J’ai des dispositifs de détection, alors n’entrez pas chez moi par effraction. »

La sénatrice Simons : Avez-vous été victime d’une entrée par effraction?

Le sénateur Cotter : Là n’est pas la question, n’est-ce pas?

Ce que je veux souligner, c’est que si on a de tels dispositifs et qu’on en informe ceux qui pourraient être tentés d’essayer de commettre un vol, ils ne le feront probablement pas ou ils sont moins susceptibles de le faire. Donc, l’idée qu’on ne veuille dire à personne qu’on a mis au point des dispositifs antivol me semble contre-intuitive. Pouvez-vous répondre à ces observations?

Mme Steeves : Merci de cette observation. Les fabricants d’automobiles investissent dans les technologies, dans les systèmes pour lutter continuellement contre le vol. Certes, il importe que les clients comprennent que leur nouveau véhicule, ou que le véhicule qu’ils achètent, est doté de dispositifs antivol. Nous pouvons donner des exemples généraux, mais je pense qu’il ne serait pas utile de tout énumérer, car le crime organisé en profiterait certainement.

La lutte contre le vol est constante, et les fabricants sont vraiment déterminés à développer sans cesse la technologie et à collaborer avec les autorités pour lutter contre le vol.

Le sénateur Cotter : Peut-être poserai-je une brève question complémentaire. Il est vraiment injuste de présenter ainsi les choses, mais je vais quand même formuler ma question de cette manière. Il me semble que si on veut que personne ne sache ce que Ford développe, c’est peut-être parce qu’on craint que Tesla, Chrysler ou quelqu’un d’autre puisse lui voler son idée et l’utilise dans le domaine des technologies de l’information. J’aurais pourtant pensé que si une compagnie d’automobiles pouvait faire valoir qu’il sera assez difficile pour quiconque de voler une automobile parce qu’elle y a installé une technologie, ce serait un argument de vente. J’achèterais une telle voiture ou je serais plus susceptible de le faire. Or, je n’entends rien de tel de la part des fabricants d’automobiles. Est-ce moi qui ne suis pas à l’écoute ou est-ce qu’on ne dit à personne à quel point il est difficile de voler telle ou telle voiture parce qu’on ne veut pas que quelqu’un trouve un moyen de déjouer cette technologie?

Mme Steeves : C’est une remarque importante. Je pense cependant que le vol de véhicules est très lucratif pour le crime organisé, et les voleurs font des efforts extraordinaires pour comprendre les dispositifs antivol. Les entreprises sont fortement déterminées à améliorer les dispositifs qu’elles installent sur leurs véhicules. Chaque année, les véhicules sortent avec de nouveaux systèmes renforcés. C’est un effort continu et il faut toujours en faire plus. Mais il est certain que les fabricants sont déterminés à améliorer la sécurité. Ici encore, le problème comporte plusieurs facettes. Les organismes d’application de la loi ont également besoin de soutien et de capacités, et il importe que tous les intervenants collaborent et travaillent ensemble dans le cadre d’un effort collectif. Il y a beaucoup d’éléments qui entrent en ligne de compte, c’est certain.

Le sénateur Cotter : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Carignan : À vous entendre, j’ai l’impression que vous n’admettez aucune part de responsabilité.

Par exemple, si la clé pour entrer chez moi est un code et que je publie ce code dans un journal, je suis bien mal placé pour dire qu’il y a un important réseau de voleurs et beaucoup de délinquance dans ma municipalité et que c’est la faute de la police, qui n’est pas là pour arrêter les délinquants.

C’est comme si vous n’admettiez aucune part de responsabilité. Par définition, une clé est un petit appareil à formule unique pour déverrouiller ou verrouiller quelque chose. Cependant, si la formule n’est plus unique et que tout le monde peut l’avoir, ce n’est plus une clé. Si vous me vendez une voiture, vous me vendez aussi une clé, et si vous me dites que tout le monde peut l’utiliser, je paierai beaucoup plus cher ma prime d’assurance.

Je comprends que vous ne vouliez pas admettre une part de responsabilité, mais selon vous, les manufacturiers devraient-ils s’impliquer davantage dans la recherche de solutions? Bien sûr, il y a d’autres responsables : il y a les douanes et il y a la police qui ne déploie pas beaucoup d’efforts. Cependant, il me semble qu’une part importante de la responsabilité vient du manufacturier, n’est-ce pas?

[Traduction]

Mme Steeves : Les fabricants travaillent sans relâche pour trouver de nouvelles façons de renforcer la protection de leurs véhicules. C’est un effort continuel. Ils font des investissements pour lutter contre ce problème qui constitue certainement une priorité. Ils sont vraiment déterminés et veulent que leurs clients soient en sécurité. C’est très important pour chaque fabricant.

Le sénateur Tannas : Madame Steeves, pouvez-vous nous dire quel pourcentage de véhicules, de nouveaux véhicules d’aujourd’hui, pourraient être suivis à la trace lorsqu’ils sont volés? Je conduis une camionnette depuis 30 ans. Cela n’étonnera personne : je viens de l’Alberta. J’en ai probablement eu 15, et au cours des 25 dernières années, ils étaient tous dotés du système OnStar. Je sais que si j’ai un accident, bang, ce système va me localiser et je pourrai parler à quelqu’un. Même sans adhésion à OnStar, le système fonctionnera, et je devrais payer après coup. C’est un service de General Motors.

Je m’interroge à ce sujet. Les gens vous houspillent, affirmant que vous êtes censés résoudre ce problème, mais il me semble que si un pourcentage élevé d’automobiles peuvent être suivies et que cette technologie est installée et n’est pas désactivée, il revient à quelqu’un d’autre d’aller récupérer le véhicule, n’est-ce pas? Je suis curieux. Est-ce que quelque chose m’échappe? Ces voleurs astucieux peuvent-ils désactiver aisément le système OnStar, par exemple?

Mme Steeves : Oui.

Le sénateur Tannas : Donc, toute cette technologie et la protection renforcée dont vous parlez ne fonctionnent pas?

Mme Steeves : C’est une lutte de tous les instants. On peut installer de nouvelles technologies, mais au fil du temps, le crime organisé s’y attaquera et essaiera d’en percer les secrets par une sorte d’ingénierie inversée, si je puis dire. C’est un perpétuel combat. C’est tout un défi, et les entreprises élaborent de nouveaux systèmes, de nouveaux processus, pour qu’il soit de plus en plus difficile de voler un véhicule. Je le répète, c’est une lutte de tous les instants, parce que les criminels nous talonnent toujours, et ils sont bien financés. Je tiens vraiment à souligner que les entreprises travaillent sans relâche à cet égard et collaborent avec les ministères et les organismes d’application de la loi pour mettre au point des systèmes qui contrecarreront les efforts des criminels. Mais cette lutte est en cours.

Le sénateur Tannas : Je vous remercie.

Le sénateur Cotter : Ce n’est peut-être pas à cause de la technologie, mais parce que personne ne veut voler votre camion d’une demi-tonne.

Le sénateur Tannas : [Difficultés techniques]

La présidente : Merci beaucoup d’avoir témoigné. Nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir accordé du temps.

Honorables sénateurs, nous souhaitons la bienvenue à notre prochain groupe de témoins, composé de Scott Elliott, qui est ici dans la salle, et de M. Alexander Caudarella et de M. Thomas Kerr, qui témoignent tous deux par vidéoconférence. Nous commencerons par l’allocution d’ouverture de M. Alexander Caudarella.

Alexander Caudarella, directeur général, Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances : Honorables sénateurs, je vous remercie d’avoir invité aujourd’hui le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, ou CCDUS. Je m’excuse de ne pas pouvoir être là en personne. Je témoigne ce soir depuis l’ambassade du Canada à Washington. J’ai rencontré des homologues cette semaine au sujet des problèmes de drogue globaux, car, à l’instar du Canada, les États-Unis subissent les aléas de l’aggravation des crises qui touchent les deux pays. Une chose demeure claire : il faut recourir à un éventail de traitements et de mesures de rétablissement, de prévention et de réduction des méfaits, qui contribuent tous à améliorer la santé.

Dans le cas des sites de consommation supervisée, ou SCS, les avantages sont évidents. Ils ne se contentent pas d’atténuer les méfaits liés aux surdoses, mais travaillent également à améliorer d’autres problèmes de santé clés. Ces sites constituent un point d’accès essentiel à d’autres services de santé et services sociaux pour les populations mal desservies. Un des patients que j’ai vus pendant un certain temps à titre de médecin de famille se sentait tellement stigmatisé et exclu du système de soins de santé qu’il a attendu des mois avec une infection de la colonne vertébrale qui l’a failli le confiner dans un fauteuil roulant. C’est un site de consommation supervisée qui lui a permis de recevoir des soins, de guérir son hépatite C et de commencer à prendre de la méthadone. Au bout du compte, il l’a aidé à réduire sa consommation de drogues pour finalement y mettre fin.

[Français]

Les sites de consommation supervisée existent depuis plus de 40 ans et sont un volet nécessaire et scientifiquement reconnu du continuum de services. Cela dit, les changements réglementaires apportés montrent que la façon de mettre en place et de fournir ces services est aussi importante que les services eux-mêmes. Leur déploiement doit se faire en partenariat, c’est-à-dire en invitant les habitants des quartiers et des communautés à participer aux discussions et aux consultations.

Les sites de consommation supervisée doivent servir leur clientèle, mais ils doivent aussi prendre soin de leur voisinage. Il faut donc s’assurer de faire les bons choix et d’offrir le soutien nécessaire. Par exemple, les sites situés en zone résidentielle, là où vivent des familles, doivent avoir les fonds nécessaires pour participer activement au ramassage des déchets autour des sites et dans les quartiers avoisinants. Ils doivent rendre des comptes à leurs communautés et ils doivent collaborer avec les municipalités et les services policiers à la sécurité du voisinage.

[Traduction]

Le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances veut se faire l’écho de la voix de ceux et celles qui possèdent de l’expérience vécue, des fournisseurs de services, des chercheurs et d’autres partenaires. Nous savons que les exigences relatives aux demandes peuvent constituer un fardeau pour de nombreuses organisations qui demandent l’autorisation d’ouvrir un site de consommation supervisée ou d’en poursuivre l’exploitation. Les propositions d’ouverture et d’exploitation de site émanent souvent de petites organisations communautaires aux prises avec des contraintes budgétaires et ayant un minimum de ressources humaines. Une rationalisation et une simplification accrues, ainsi qu’un accent renouvelé sur le partenariat et la véritable collaboration, amélioreraient le processus de demande et de renouvellement pour les demandeurs.

Nous avons une occasion et une responsabilité collectives en matière de transparence, d’ouverture et de reddition de comptes. C’est à nous et à nos communautés qu’il revient d’élaborer collectivement une approche simple qui accorde la priorité aux besoins des clients et du public, à la qualité et à l’uniformité des services à l’échelle du pays, et à l’utilisation efficiente et efficace des ressources. À l’heure actuelle, le processus n’est pas transparent et il empêche ou dissuade les communautés de présenter une demande, ce qui entraîne une augmentation des préjudices et, malheureusement, des décès.

Nous devrions également profiter de l’occasion pour veiller à ce que les sites de consommation supervisée soient davantage intégrés dans le réseau de la santé et le système social qui servent de porte d’entrée au bien-être. Les sites sont bien placés pour offrir une gamme de services de réduction des méfaits et de soutien à la santé aux personnes qui consomment des drogues, comme des services d’analyse de drogues et des programmes d’aide par les pairs, et peuvent accroître considérablement l’accès aux services de soins primaires. Si on rencontre quelqu’un quotidiennement, on établit une confiance et une connexion, on peut renforcer la confiance de la personne et la mobiliser dès qu’elle est prête à réduire ou à arrêter sa consommation ou renforcer sa motivation envers la santé.

Comme vous l’avez peut-être déjà entendu, les personnes qui travaillent en première ligne de cette crise affichent des taux élevés d’épuisement professionnel et d’invalidité liée aux traumatismes. Un processus réglementaire rationalisé et normalisé peut accorder la priorité aux éléments clés nécessaires, comme les mesures de soutien du bien-être dont ont besoin les travailleurs.

Nous observons une aggravation de la crise à l’ère des drogues synthétiques bon marché et mortelles. Les habitudes de consommation des personnes qui meurent passent rapidement de l’injection à l’inhalation, et la structure et la responsabilisation peuvent aider les sites de consommation supervisée à évoluer et à s’adapter à ces nouvelles réalités.

Si nous traitons les sites de consommation supervisée comme les intervenants de santé publique qu’ils sont, ils peuvent devenir la porte grande ouverte qui mène fréquemment au traitement et à la santé. Si nous engageons le dialogue avec les communautés, veillons à ce que des mesures de soutien globales soient en place et réduisons les formalités administratives réglementaires, nous pouvons améliorer la sécurité publique et sauver des vies ensemble. Il est urgent d’accroître l’offre de mesures de soutien en matière de santé et de consommation de substance fondées sur les données probantes.

Au nom du CCDUS, je tiens à remercier le comité d’avoir pris le temps d’examiner et de mieux comprendre les sites de consommation supervisée et d’autres ressources afin de connaître les divers milieux communautaires dans lesquels ils devraient être intégrés dans le cadre d’un engagement et d’un partenariat significatifs et les répercussions possibles des modifications proposées à la loi sur les substances réglementées. Je répondrai avec plaisir à vos questions et je demeure à la disposition du comité.

La présidente : Merci beaucoup de votre exposé. Nous entendrons maintenant votre déclaration, monsieur Elliott.

Scott Elliott, directeur général, Dr. Peter Centre : Bonjour à tous. C’est un plaisir d’être ici. La dernière fois que j’ai été près du Sénat, c’était en 1986, et le sénateur Jacques Hébert faisait la grève de la faim. Je n’ai pas souvent l’occasion d’être ici en compagnie du Sénat.

Je ne suis pas un homme politique. Ce n’est pas mon domaine. Je suis ancré dans la vie réelle. Je vis avec le VIH. J’ai eu l’hépatite C et je suis un toxicomane et alcoolique en voie de guérison. J’ai traversé des années de stigmatisation et de défis en raison de la consommation de substances, ce qui m’a conféré un point de vue sans pareil sur ce qui se passe dans la rue.

Je suis également PDG d’un des plus importants organismes de lutte contre le VIH et de réduction des méfaits au Canada. Étant membre actif du conseil d’administration d’organisations nationales, je suis témoin chaque jour des succès et des échecs de nos politiques, de nos modalités de traitement et de nos solutions de première ligne.

Je n’ai jamais examiné de mesures comme le projet de loi C-69 auparavant. J’en ai pris connaissance et j’ai essayé de le comprendre. Je constate que d’une situation d’urgence, nous passons à une guerre de tranchées. Il est opportun d’avoir des règlements et un processus simple et limpide. Je pense aussi qu’il est triste de devoir admettre la permanence et l’impact à long terme de ce problème.

De mon point de vue, je veux qu’il soit très clair que, même si je crois que la réglementation contribuera à améliorer l’efficacité du gouvernement, elle ne réglera pas le problème de la consommation chaotique de drogues ou les problèmes connexes que nous observons dans la communauté.

Le problème, ce n’est pas les sites de consommation supervisés, même s’il est facile de les blâmer. Le problème, c’est les drogues toxiques, l’évolution des habitudes de consommation de drogue, les problèmes de santé mentale, les besoins complexes en matière de soins médicaux, l’itinérance, la pauvreté, les préjugés et la sécurité de la communauté. La polarisation et la politisation de ces enjeux sont le problème. Les politiques désuètes et le cloisonnement du financement sont le problème. Le problème, c’est ne pas innover et ne pas répondre de manière exhaustive aux besoins d’une population mise à l’écart par la société.

Dans mon organisme, nous envisageons la question d’un point de vue macroéconomique. Nous constatons que multiplier les stratégies qui ne donnent pas les résultats escomptés n’est pas logique sur le plan des affaires; cela ne fonctionne pas. C’est pourquoi nous soutenons pleinement les nouvelles approches et les tentatives de changement.

Lorsque nous parlons des gens que nous servons au Dr. Peter Centre et dans les organisations avec lesquelles nous travaillons aux premières lignes, nous ne parlons pas des guerriers de fin de semaine, des gens qui consomment occasionnellement ou de personnes qui bénéficient de beaucoup de soutien et qui ont les moyens de trouver un traitement et de s’en sortir par elles‑mêmes. Nous parlons d’une portion de la population qui, si elle n’est pas surveillée, continuera de consommer une quantité disproportionnée de ressources, de discours publics et de tergiversations politiques. Dans les travaux que nous avons examinés, nous voyons environ 2 % de la population canadienne.

Il y a une trentaine d’années, quand le sida était un enjeu complexe et polarisant, le Dr. Peter Centre est intervenu et a apporté de l’espoir et des solutions sur la scène nationale. Il y a 20 ans, lorsque nous avons ouvert les portes de notre installation à Vancouver, nous avons également ouvert le premier site d’injection supervisée en Amérique du Nord. Bon nombre d’entre vous ne le savent pas, car cela s’est fait en raison d’une lacune dans la loi sur les soins infirmiers de la Colombie-Britannique et du fait qu’il n’y a eu une exemption juridique fédérale que bien des années plus tard. Il y a sept ans seulement, on nous a confié le mandat national de diriger les organismes de première ligne qui s’efforcent de trouver des solutions pour intégrer des mesures de réduction des méfaits.

Lorsque nous examinons la situation au niveau macroéconomique, il est parfois difficile de voir de l’espoir. Il est difficile de voir les solutions. Toutefois, là où je travaille, nous voyons des solutions et de l’espoir tous les jours. Nous aiguillons nos clients vers des soins médicaux qui respectent leurs choix et stabilisent leur état de santé. Nous avons obtenu des résultats probants en matière de santé, notamment en ce qui concerne l’observation de la posologie et la réduction du nombre de visites à l’hôpital. Nous disposons d’un environnement thérapeutique et offrons du counselling, des traitements pour la toxicomanie, de la thérapie par l’art et la musique, et nous redonnons aux gens un sentiment d’humanité. Peu de bonnes décisions sont prises avec un estomac vide, si bien que nous fournissons des repas sains et nutritifs. Nous sommes rentables, nous offrons nos services à une fraction du coût des lits pour soins actifs ou de l’incarcération, et nous sommes de bons voisins. Là où nous exerçons nos activités, il y a une école primaire et un parc, et nous nous situons dans l’une des régions les plus densément peuplées du Canada.

Notre modèle d’être une organisation médicale de première ligne, un agent de mobilisation de la communauté nationale et un chef de file d’opinion novateur reste assez unique. Nous ne sommes toutefois pas les seuls qui voient les lacunes et les enjeux au pays. Il n’y a pas de leadership clair pour les organisations de première ligne qui travaillent dans ce domaine. Ce n’est pas un secteur cohérent. Nous ne parlons pas d’un secteur en particulier, mais plutôt de secteurs isolés et distincts qui travaillent sans aucune intégration, qu’il s’agisse du logement ou de la santé. En ce qui concerne les communautés autochtones, africaines, antillaises et noires, les changements de politiques gouvernementales, les finances, les mandats provinciaux compliqués et les problèmes municipaux compliquent la résilience des programmes. La situation va s’aggraver et non pas s’améliorer.

La présidente : Monsieur Elliott, je me suis montrée généreuse avec le temps, mais c’est trop long. Ce serait bien que vous puissiez conclure.

M. Elliott : Je vais résumer. Que cherchons-nous? Que voulons-nous? Nous voulons répondre aux besoins des clients d’une manière holistique, rationaliser le cloisonnement du financement, reconnaître qu’il n’y a pas de solution unique et veiller à ce que les règlements créés par le gouvernement améliorent les solutions plutôt que de créer des obstacles supplémentaires. Je vous remercie.

La présidente : À la fin, s’il n’y a pas de question, je vous laisserai terminer. Je vous remercie. Nous allons maintenant entendre M. Thomas Kerr.

Thomas Kerr, directeur de recherche, British Columbia Centre on Substance Use, professeur de médecine sociale, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Bonjour. Je suis très honoré d’être ici et je voudrais vous remercier de m’avoir invité à participer à cette réunion. Je tiens à souligner que je m’adresse à vous aujourd’hui depuis le territoire non cédé et traditionnel des Salish du littoral, y compris les nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.

J’ai une vaste expérience en ce qui a trait à la consommation de substances qui présentent un risque élevé et les interventions et les politiques liées à la santé. Je suis psychologue de formation et j’ai plus de 15 années d’expérience clinique, notamment dans le domaine de la toxicomanie.

J’ai également une vaste expérience dans l’évaluation des sites de consommation supervisés au Canada, aux États-Unis, en Australie et en France.

En 2003, j’ai dirigé l’évaluation scientifique du premier site de consommation supervisé sanctionné en Amérique du Nord. J’ai publié plus de 40 études examinées par des pairs sur le sujet des sites de consommation supervisés, également connus sous l’acronyme SCS. Il existe aujourd’hui environ 40 SCS approuvés par le gouvernement fédéral au Canada, et plus d’une centaine d’installations de ce genre dans plus de 60 villes et 11 pays. Les objectifs visent à prévenir la transmission de maladies infectieuses, les surdoses et les décès connexes, à mettre les consommateurs en relation avec des services externes, y compris des centres de traitement de la toxicomanie, et à améliorer l’ordre public en réduisant la consommation de drogues dans l’espace public.

Les preuves sont claires et il y a peu de débats sérieux dans le milieu universitaire sur le bien-fondé de ces installations. Ils répondent à ces objectifs. L’une des formes les plus élevées de preuves scientifiques est l’examen systématique, qui consiste à combiner et à analyser les résultats de plusieurs études sur le sujet pour parvenir à une conclusion sur l’efficacité d’une intervention donnée.

Il y a maintenant trois études sur les SCS qui ont été examinées par des pairs et qui aboutissent à la même conclusion, à savoir que les SCS atteignent efficacement leurs objectifs et n’ont pas de conséquences négatives inattendues. Cette conclusion a été confirmée par la Cour suprême du Canada où les juges ont soutenu unanimement Insite, le premier SCS au Canada, et ont conclu qu’il avait été prouvé qu’Insite sauvait des vies.

Malheureusement, malgré le très grand nombre de preuves examinées par des pairs qui soutenaient l’efficacité des SCS, cette forme d’intervention a été grossièrement politisée au Canada. Je serais heureux de fournir des exemples.

Avec la mise en place d’un régime juridique précis pour l’exemption des SCS en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le gouvernement précédent a rendu le processus fédéral d’approbation des SCS extrêmement contraignant.

En 2019, le Réseau juridique VIH a produit un rapport qui a révélé que le processus fédéral de demande d’exemption représentait un obstacle important à l’expansion de ce service qui sauve des vies au pays. Le travail de suivi qu’il a effectué en 2024 a permis de découvrir que, malgré les progrès réalisés pour rationaliser le processus d’exemption, des exemptions au cas par cas continuent de représenter des obstacles à l’expansion des SCS, notamment en laissant la décision d’exploiter légalement un site entre les mains du gouvernement fédéral.

Le Réseau juridique VIH a recommandé de dépolitiser et de faciliter la mise en œuvre des SCS en éliminant l’exigence d’exemptions propres aux sites. Il recommande notamment que le gouvernement fédéral accorde une exemption par catégorie, y compris par voie réglementaire, qui offrirait automatiquement une protection contre les poursuites au titre de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Les sites de consommation supervisés sont des services essentiels de réduction des méfaits, et les clients et le personnel ne seraient pas exposés à la criminalisation pour avoir fréquenté ces sites.

Il est essentiel que tout nouveau régime réglementaire garantisse plus, et non moins, de flexibilité et de voies d’accès pour augmenter rapidement la diversité des services là où ils sont nécessaires. L’accès à des SCS, y compris aux services d’inhalation, est vital pour les milliers de personnes qui consomment de la drogue au Canada et risquent de mourir d’une mort évitable en raison de l’approvisionnement en drogues toxiques. Il faut éliminer toutes les formalités administratives injustifiées qui entravent la mise en œuvre des SCS. Le nouveau régime réglementaire ne doit pas imposer de conditions d’autorisation des SCS qui maintiendraient ou créeraient des obstacles pour l’expansion rapide et empêcheraient leur pleine intégration dans un ensemble complet de services destinés aux personnes qui consomment des drogues.

Des consultations communautaires difficiles en sont un exemple. On pourrait soutenir que les communautés devraient avoir leur mot à dire dans la mise en œuvre des SCS, bien que six études menées dans trois pays ont révélé que la mise en œuvre des SCS améliorait l’ordre public et n’exacerbait pas la criminalité. Pourtant, ces consultations communautaires débouchent souvent sur des affirmations non fondées sur des données probantes concernant le désordre public et la criminalité.

Je constate que nous ne consultons pas les communautés locales sur la mise en place de services pour le cancer ou les maladies cardiovasculaires, alors pourquoi un processus d’approbation aussi élaboré pour les SCS? Le processus d’approbation contraignant semble prendre racine dans la discrimination et les préjugés associés à la consommation de substances, et non dans des données probantes.

Pour conclure, j’aimerais dire qu’il est temps d’accepter que les SCS sont des interventions fondées sur des données probantes qui sauvent des vies et qu’elles devraient être mises en œuvre là où les besoins sont cernés. Ces décisions devraient être laissées entre les mains des experts locaux de la santé qui ont été chargés de protéger la santé des gens et des communautés dans l’ensemble du Canada.

Je vous remercie.

La présidente : Merci beaucoup.

Monsieur Elliott, je vais vous laisser le temps de terminer.

M. Elliott : C’est correct. Merci.

La présidente : Nous allons donc passer aux questions.

La sénatrice Batters : Je vous remercie. Oui, vous êtes très efficace, monsieur Elliott. C’était un bon résumé que vous venez de faire à la fin.

Premièrement, j’aimerais poser des questions à M. Kerr. Du point de vue de la recherche, monsieur Kerr, quels sont les avantages et les inconvénients de passer d’un système d’exemption ministérielle à un régime d’autorisation réglementaire pour les sites de consommation supervisés?

M. Kerr : Malheureusement, je ne pense pas que nous ayons des résultats de recherche qui nous permettent de formuler une observation concluante. À l’heure actuelle, je pense que le sens du terme « autorisation » n’est pas très clair, mais il semble qu’il pourrait conférer au ministre de la Santé un très vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant d’imposer des limites ou des contraintes au fonctionnement de ces installations.

Ce que je veux dire, c’est qu’il s’agit d’un cas d’exception où nous plaçons une intervention sanitaire fondée sur des données probantes qui sauve des vies dans une catégorie totalement différente de celle des autres services. Il est temps d’abandonner ce processus d’approbation fédérale et de laisser les autorités sanitaires locales déterminer les besoins et les types d’installations à mettre en place.

La sénatrice Batters : J’y ai pensé lorsque vous faisiez votre déclaration liminaire, mais étant donné ce que vous avez dit — que le sens du terme « autorisation » n’est pas clair —, ils ont inséré une petite section dans une énorme loi d’exécution du budget. Comme je l’ai dit à un groupe de témoins précédent, nous avons donc un projet de loi de plusieurs centaines de pages pour lequel notre comité ne dispose que d’un temps limité — en fait, ce seul groupe de témoins — pour étudier cette partie du projet de loi. Ensuite, nous devons traiter très rapidement cette question et renvoyer le projet de loi au Sénat pour qu’il l’examine, parce qu’il fait partie d’une loi d’exécution du budget. Nous ne sommes donc pas en mesure d’apporter de véritables amendements.

Pensez-vous qu’il s’agit d’une disposition qui devrait figurer dans la loi d’exécution du budget ou dans une mesure législative distincte que nous pourrions étudier et, le cas échéant, amender?

M. Kerr : Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il devrait s’agir d’une mesure législative distincte.

J’approuve les recommandations du Réseau juridique VIH. Ce sont des experts internationaux en matière de lois et de contrôles liés à ce type d’installations. Ses recommandations ne correspondent pas vraiment au projet de loi dont nous discutons aujourd’hui.

Encore une fois, ma grande préoccupation est que, compte tenu du manque de détails concernant la signification du terme « autorisation » et de la possibilité que de nouveaux pouvoirs soient accordés au ministre de la Santé pour imposer des contraintes et des restrictions, nous augmentons en fait la mesure dans laquelle ces installations pourraient être politisées à l’avenir, à mesure que les gouvernements changent.

La sénatrice Batters : Ces pouvoirs sont-ils accordés au ministre de la Santé — je n’ai pas regardé — ou à la ministre de la Santé mentale et des Dépendances?

M. Kerr : Je ne suis pas certain. J’avais l’impression que c’était le ministre de la Santé, mais je peux me tromper. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que c’est le mécanisme que nous devrions utiliser.

C’est assez. Ces installations exercent leurs activités depuis plus de 20 ans. Nous avons une multitude de données probantes examinées par des pairs. L’expérience de ces installations s’accroît à l’échelle internationale. Il n’y a pas de débat sérieux dans le milieu universitaire sur le bien-fondé de ces établissements ou sur les affirmations concernant le désordre public, la criminalité et l’incitation à la consommation de drogue; tout cela a été étudié. Nous n’avons plus besoin de ce débat. Il s’agit d’interventions efficaces et, étant donné que nous sommes confrontés à ce qui est réellement la pire crise de santé publique de l’ère moderne, nous devons faire tout en notre pouvoir pour sauver des vies. Réduire les obstacles à la mise en œuvre de ces installations est l’un des moyens d’y parvenir.

La sénatrice Batters : Je vous remercie du temps que vous nous consacrez.

Le sénateur Dalphond : Je vais poursuivre avec le même témoin. Je vous remercie, monsieur Elliott, et merci aux autres témoins qui assistent virtuellement à la séance d’aujourd’hui.

Je vais néanmoins poser la question. Pensez-vous que ces amendements constituent une réponse politique à ceux qui affirment que ces centres sont une véritable source de problèmes dans les centres-villes du pays et que l’expérience a été un désastre pour de nombreuses personnes?

M. Kerr : Il m’est difficile de parler des motivations précises du gouvernement. Ce que j’ai observé en tant que personne qui travaille sur le terrain depuis plus de 20 ans, c’est que nous prenons souvent des mesures progressistes et, lorsqu’il y a des réactions négatives, les gouvernements tentent de s’attirer les faveurs en serrant un peu la vis sur ses questions.

Il se pourrait donc qu’une telle dynamique soit en place ici. Il est difficile pour moi de le dire. Mais encore une fois, ce traitement exceptionnel d’une intervention fondée sur des données probantes est totalement injustifié. Ce projet de loi et la raison pour laquelle nous nous engageons dans cette voie en ce moment me laissent perplexe.

Le sénateur Dalphond : Je vous remercie de cette réponse. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Nous devrions examiner les faits et non pas l’idéologie.

D’après votre témoignage, j’en déduis que les faits n’appuient pas les conclusions selon lesquelles ces centres sont une source de problèmes, de détériorations et même d’une utilisation accrue de ces produits illicites?

M. Kerr : Oui, c’est très clair. Comme je l’ai mentionné, il y a au moins six études qui ont été réalisées dans trois pays différents, dont quelques-unes au Canada, qui ont examiné la question du désordre public et de la criminalité. Elles ont toutes tiré la même conclusion : l’ordre public s’est amélioré. Disons-le clairement : c’est logique. Si vous prenez 500 personnes par jour qui s’injecteraient des substances en public et que vous les placez dans un centre médical où elles reçoivent du matériel stérile et où elles laissent leur matériel usagé, vous aurez moins de déchets liés aux drogues dans les rues et moins de criminalité. C’est donc très clair.

Nous avons également publié un article dans le New England Journal of Medicine qui, comme le savent certainement les membres du comité, est l’une des meilleures revues médicales au monde. Nous avons constaté que le taux de personnes qui entraient dans un centre de désintoxication, qui est la première étape du traitement fondé sur l’abstinence, a augmenté de plus de 30 % au cours de l’année qui a suivi l’ouverture d’Insite à Vancouver.

C’est donc très clair. Ces sites n’engendrent pas de criminalité ou de désordre public et ne favorisent pas la consommation de drogue. Toute forme de complaisance à l’égard de ces préoccupations relève davantage de la politique que de la réalité.

Le sénateur Dalphond : Pourriez-vous envoyer un lien vers cet article au greffier?

M. Kerr : Oui.

Le sénateur Dalphond : Je ne sais pas si vous avez soumis un mémoire au comité. Je sais qu’on a communiqué avec vous très tard dans le processus, alors je ne sais pas si vous avez soumis un mémoire au comité, mais je pense que tous les membres du comité aimeraient examiner l’article.

M. Kerr : Vous avez raison. On a communiqué avec moi à la dernière minute, car normalement, j’aurais aimé soumettre plus de documents à l’avance. Je peux le faire demain.

Le sénateur Dalphond : Je vous remercie.

La présidente : Pouvez-vous l’envoyer au greffier pour qu’il le distribue à tout le monde? Je vous remercie.

M. Kerr : Oui.

La présidente : Je suis désolée; nous avons effectivement communiqué avec vous à la dernière minute.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je me demandais ceci : le pouvoir réglementaire du ministre ou du gouverneur en conseil ne devrait-il pas inclure la consultation obligatoire des parties prenantes? Dans les notes, on nous dit que les parties prenantes vont être consultées, dont les provinces et les territoires, mais je ne vois pas d’obligation — à moins que je l’aie échappé quelque part dans le texte, mais je ne crois pas. Je ne vois pas d’obligation légale de consultation.

Je ne vois rien non plus sur la consultation des municipalités. On voit, dans certaines exemptions où cela a été appliqué, que les municipalités sont là et sont directement impliquées, car elles sont dans la communauté. Il y a les questions de zonage, de normes de construction, de prévention des incendies, de services de police et de premiers répondants. On ne voit les municipalités dans aucune des notes, même celles qui viennent du gouvernement. Le processus de consultation pour établir le règlement et les éléments dont il faudra tenir compte dans le cadre du règlement ou des licences qui doivent être émises ne devraient-ils pas être élaborés après une consultation assez large, mais auprès de parties prenantes précisées dans la loi? Ma question s’adresse aux trois témoins.

M. Caudarella : Je peux commencer. Je ne travaille pas pour Santé Canada, donc je ne sais pas exactement ce qui sera inclus. De la façon dont je l’ai lu, les règlements ne sont pas encore mis en place. Ce n’est pas un cas de consultation publique, mais plutôt un cas de participation publique. On essaie donc de développer cette idée de ce à quoi on devrait s’attendre de la part d’un centre de consommation, comme les choses auxquelles on pourrait s’attendre, par exemple, de n’importe quel centre de santé qui devrait s’impliquer dans l’environnement et dans la communauté où il se trouve.

N’importe quel gouvernement ou pays qui a pu tourner la page sur une crise liée aux drogues ou à l’alcool l’a fait en impliquant toute la communauté. Ce qu’on a vu, c’est que les centres de consommation peuvent aider les communautés. On peut voir moins de violence dans les régions, plus de coopération avec les secteurs de la santé et même avec le secteur juridique. Finalement, on peut voir une amélioration du quartier; c’est vraiment une question de participation.

De plus, un mécanisme doit être mis en place pour traiter les problèmes ou les préoccupations que le quartier ou les voisins ont, un mécanisme au moyen duquel ils peuvent porter plainte. C’est essentiel que cela ne soit pas fait d’une manière différente que quand cela concerne le centre de santé, l’hôpital ou n’importe quel bâtiment ou service de santé qui se trouve dans un quartier. Je veux vraiment mettre l’accent sur l’idée que le centre fait partie d’un quartier et qu’il doit être situé de manière à faire partie du quartier quand il mène ses activités.

Le sénateur Carignan : Si je peux préciser, le centre hospitalier, du point de vue du zonage, on va essayer de le placer à un endroit où le site peut l’accueillir, parce que c’est assez gros et parce qu’on souhaite qu’il ait la possibilité de s’agrandir et qu’il soit à proximité des grands axes routiers. Faire un parallèle avec le genre de centre d’injection qu’on place ici me semble un peu boiteux. On va essayer d’installer le centre hospitalier à proximité des besoins, dans des secteurs plus défavorisés, car la personne qui a besoin de ces centres ne prendra pas un taxi pour aller à l’urgence. Ce doit être direct, sur la rue, très proche. Est‑ce que ce n’est pas un peu boiteux comme exemple? Qui dit « milieu défavorisé » dit « risque plus élevé »?

M. Caudarella : N’importe quel centre de service doit être lié à un endroit où il y a plus de besoins. C’est désavantageux qu’on mette tous les sites de consommation dans les zones défavorisées. En fait, c’est plus sensé de les mettre là où il y a des besoins. Ce n’est pas toujours dans ces zones. L’enquête qui devrait être faite dans une ville est la même que pour n’importe quel centre de santé : quel est le besoin dans ce domaine, où installe-t-on le centre, où est-il nécessaire? Ce n’est pas toujours nécessaire qu’il soit là où il y a de la pauvreté, où il y a plus de sans-abri. Cela aurait un effet de stigmatisation plus que n’importe quoi d’autre.

Le sénateur Carignan : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Merci beaucoup à tous nos témoins.

Les statistiques de l’Alberta donnent à réfléchir. En 2019, l’année précédant le début de la pandémie, 626 personnes sont mortes de surdoses en Alberta. L’année dernière, le nombre s’élevait à 1 867. À Edmonton, où les taux de mortalité sont parmi les plus élevés, il y a eu 190 décès en 2019, et près de 700 l’an dernier.

Il est difficile de convaincre la population que les choses seraient encore pires sans les sites de consommation supervisée alors que la situation est assez désastreuse. Il n’existe pas d’autre ligne temporelle que nous pourrions utiliser à titre de comparaison.

D’après ce que j’ai compris d’un article du journaliste Paul Wells que j’ai lu cette semaine, l’une des difficultés rencontrées à Edmonton est que les consommateurs sont passés de l’injection à l’inhalation. Ils fument du fentanyl, du crack ou d’autres drogues, et il est beaucoup plus difficile de surveiller leur consommation parce qu’ils ne vont pas se procurer des aiguilles ou du matériel propres.

Monsieur Kerr, vous en avez parlé, mais je voulais poser la question à tous les témoins à tour de rôle : que devons-nous faire lorsque les gens se détournent des drogues injectables? Il fut un temps où nous pensions que c’était une bonne chose parce qu’ils étaient moins susceptibles de contracter l’hépatite, le VIH et d’autres maladies transmises par le sang. Mais s’il n’est pas possible de surveiller les gens pendant qu’ils consomment des drogues, un site de consommation sûr est-il toujours aussi utile?

M. Elliott : C’est une excellente question. Les modes de consommation ont radicalement changé. Je vais vous donner un exemple très concret. Il y a sept ans, lorsque j’ai commencé à travailler au Dr. Peter Centre, environ 60 personnes fréquentaient notre site d’injection supervisé — 60 personnes différentes. Aujourd’hui, il y en a peut-être deux. Maintenant, la grande majorité des consommateurs ne s’injectent pas les drogues, mais la fument, comme vous l’avez dit. Nous ne sommes légalement pas autorisés à fumer à l’intérieur en raison des lois sur le tabagisme; ce n’est pas lié au gouvernement fédéral en tant que tel, mais cela renvoie aux règlements municipaux et provinciaux.

Nous aimerions avoir... Dans le syntagme « consommation supervisée », le mot « consommation » renvoie au fait de consommer une substance, que ce soit par inhalation, par reniflement ou par injection. Peu importe la méthode, nous pouvons tout faire dans nos centres. Mais les règlements nous en empêchent. Toutes sortes de barrières nous en empêchent. La consommation supervisée est offerte précisément pour que les gens consomment en toute sécurité, et dans l’espoir de leur donner accès à des soins à un moment ou à un autre. Tel est notre objectif.

C’est la réalité, si l’on cherche à changer les habitudes de consommation de drogues. Lorsque je pense à... Dans la dernière question, on a parlé des endroits utilisés et des habitudes de consommation. À Vancouver aussi, si vous vous trouvez près du Dr. Peter Centre ou n’importe où dans le Downtown Eastside, vous verrez un problème plus important qu’il y a sept ans. Je dis « verrez ». Je ne dis pas que le problème est plus grave, car rien ne le prouve. Vous voyez le problème. Le problème se traduit par l’itinérance, la maladie mentale, les graves dommages cognitifs à cause des multiples surdoses que les consommateurs ont subies, et il n’y a pas de traitement pour eux.

Le problème va-t-il donc s’aggraver? Oui. Nous le constatons dans les petites villes du pays, où les surdoses n’existaient pas auparavant. Les sites de consommation supervisée ne sont aucunement à l’origine du problème. Les drogues sont le problème.

Les sites de consommation supervisée sont une partie de la solution. Je dis que c’est une partie de la solution parce que, encore une fois, de notre point de vue, il faut avoir une vision holistique de la situation. Nous pourrions avoir autant de sites de consommation que nous le souhaitons, mais si nous ne nous attaquons pas aux autres enjeux, les problèmes ne s’atténueront pas considérablement.

La sénatrice Simons : Mais vous avez dit avoir deux patients.

M. Elliott : Ce ne sont pas des patients. Il y a probablement deux consommateurs parmi nos clients de jour pour les soins de santé. Nous offrons différents programmes, pour vous donner un peu de contexte. Merci.

La sénatrice Simons : Mais c’est extraordinaire. Ce n’est pas...

M. Elliott : De nombreux consommateurs sont passés au traitement par agonistes opioïdes, ou TAO, et nous offrons également ce que l’on appelle le traitement par agonistes opioïdes injectables, par lequel nous leur prescrivons des médicaments injectables afin qu’ils n’aient pas besoin d’aller s’injecter. Mais nous ne sommes pas autorisés à mettre en place... En principe, nous le pouvons maintenant, grâce à une échappatoire, mais nous n’en avons pas encore les moyens. Or, nous ne sommes pas autorisés à laisser les gens fumer à l’intérieur. C’est là le problème.

La sénatrice Simons : Reste-t-il du temps pour entendre une réponse de M. Kerr?

La présidente : J’ajoute votre nom à la deuxième série de questions.

La sénatrice Simons : Je me demande s’il avait une réponse.

M. Kerr : Il est important de souligner, en plus des points soulevés par M. Elliott, qu’il existe des centres d’inhalation dans tout le Canada et en Colombie-Britannique. Ces centres sont très fréquentés et ils sont efficaces pour promouvoir certains des mêmes objectifs que les sites d’injection, en particulier l’accent mis sur la prévention des surdoses. Il est certain que, puisque les drogues sont devenues plus toxiques, la nécessité d’intervenir en cas de surdose chez les personnes qui inhalent des drogues a augmenté.

[Français]

La sénatrice Audette : J’ai commencé à côtoyer le quartier Downtown Eastside à l’âge de 16 ans. Aujourd’hui, j’en ai 52. J’ai un fils, une petite-fille et aussi de la famille spirituelle qui habite là-bas. Vancouver, Winnipeg et Montréal sont des endroits où j’ai vu, depuis mon adolescence jusqu’à aujourd’hui, un changement radical dans la consommation; il y avait un type de consommation à une époque et, aujourd’hui, on voit plutôt un mélange chimique qui affecte beaucoup nos gens. Quand on me dit qu’il n’y a pas d’impact criminel... Il y a beaucoup d’Autochtones des Premières Nations qui nettoient les ruelles pour ramasser les aiguilles.

Ne croyez-vous pas qu’il serait temps que l’on respire collectivement ensemble et que l’on consulte des organismes communautaires, des organisations comme la vôtre et des organisations de femmes autochtones qui essaient d’accompagner des gens qui vivent dans ces situations, pour proposer des mesures qui reflètent la réalité de 2024? On parle de crime organisé, de santé mentale, de municipalités, de gouvernements des provinces. Il faudrait collaborer, plutôt que de juste insérer très vite quelque chose dans ce projet de loi qui va peut-être encore ralentir la lutte contre la crise existante.

[Traduction]

M. Elliott : Si vous me permettez d’intervenir, je dirai que je souscris tout à fait à ce qu’on vient d’entendre. Je vais vous donner quelques exemples concrets. Parmi nos clients de jour pour les soins de santé, 30 % sont des Autochtones. Au cours des cinq dernières années, nous avons élaboré un programme très solide pour les Autochtones, axé sur la médecine culturelle, puisqu’il est vraiment important d’employer une langue différente qui parle vraiment aux clients. Nous nous sommes également associés à une organisation autochtone pour travailler à l’échelle nationale.

L’un des problèmes qui se posent dans la création et la mise en œuvre des programmes est, une fois de plus — et je répète le même refrain —, la nature cloisonnée de notre approche. Nous avons 500 clients de jour pour les soins de santé, dont 30 % sont autochtones. Nous n’avons pas accès à du financement pour des programmes autochtones parce que nous ne sommes pas une organisation autochtone. Nous nous adressons régulièrement à Services aux Autochtones Canada, ou SAC, mais le ministère n’intervient pas dans les centres urbains. Nous nous adressons à l’Autorité sanitaire des Premières Nations, mais on nous répond que nous ne sommes pas autochtones. Nous obtenons continuellement ce type de réponses.

Pour répondre aux besoins qui existent en milieu urbain, précisément comme vous le dites, il n’y a pas de voie d’accès pour les organisations autochtones urbaines ou les organisations qui soutiennent les autochtones en milieu urbain. Bon nombre de nos clients ne sont pas originaires de la Colombie-Britannique; ils viennent de partout. Beaucoup viennent des Prairies, de l’Alberta; ils viennent à Vancouver, sont coincés dans le Downtown Eastside, parviennent plus ou moins à en sortir, et finissent par venir nous voir. C’est un problème énorme. Il y a beaucoup de leçons à tirer.

Je tiens également à dire qu’il est difficile de travailler avec des organisations autochtones puisque la terminologie et l’approche axées sur l’abstinence ont laissé la place à une approche axée sur la réduction des méfaits. La transition est compliquée et comporte beaucoup d’embûches. Mais il y a beaucoup à apprendre, c’est certain.

La sénatrice Clement : Je remercie tous les témoins de leur présence et de leur travail.

Monsieur Elliott, vous dites que vous n’êtes pas un spécialiste des politiques, mais vous en êtes un. Vous avez dû terminer votre déclaration liminaire parce que nous avons peu de temps, mais vous parliez de l’absence d’un leadership clair pour les organisations. Vous avez parlé de la résilience des programmes qui est en péril. J’aimerais que vous commenciez par ce sujet.

Je veux simplement vous dire que les gouvernements doivent réagir au problème. Il est plus facile pour les gouvernements de mettre en place des règlements, d’adopter un ton dur à l’égard de la criminalité et de parler des peines que de tenir les conversations que vous essayez d’avoir.

Comment parler aux communautés pour qu’elles s’adressent aux politiciens et qu’on obtienne ainsi les conditions qui entraîneront une situation acceptable?

M. Elliott : Je parlerai d’abord un instant du mot « réagir ». Au cours des sept ou huit dernières années, en matière de réduction des méfaits, nous avons été en mode réaction. Nous n’avons rien fait jusqu’à ce que le problème devienne une crise sanitaire majeure. Nous y avons alors réagi. Il y a huit ans — M. Kerr le saurait —, je pense qu’il y avait deux sites d’injection supervisés dans tout le pays — deux seulement. Aujourd’hui, il y en a 60, en plus de tous les sites de prévention des surdoses et de toute une série d’organisations qui œuvrent dans ce domaine. Nous réagissons. Aujourd’hui, les consommateurs n’utilisent plus les sites d’injection. Ils fument. Nous commençons donc à réagir. Nous nous remettons toujours en mode réaction. Nous accusons du retard. Nous sommes en première ligne. Nous sommes l’une des principales organisations dans ce milieu, et nous réagissons parce que nous ne pouvons pas prendre les devants.

Lorsque je parle de leadership dans le secteur de première ligne, je tiens à être clair. Les organisations avec lesquelles nous travaillons — plus de 400 organisations à travers le pays — sont toutes comme nous : elles sont composées de personnes qui travaillent directement avec les clients. Le Réseau juridique VIH a été mentionné. Quel est le rapport entre le VIH et la drogue? Rien, si ce n’est que les seules personnes qui travaillent sur ce dossier, en dehors du secteur, sont issues du mouvement de la lutte contre le VIH. Il y a donc toutes sortes de secteurs qui travaillent d’étranges manières, sans former de cohésion.

Je vous donne un exemple concret : au cours des dernières années, nous avons eu 13 contrats différents avec le gouvernement fédéral pour effectuer notre travail à l’échelle nationale. Il s’agit du même client. En fin de compte, le client que nous servons est la même entité, mais nous avons dû obtenir de l’argent par l’intermédiaire du Centre pour la défense de l’intérêt public, ou CDIP, et du Programme sur l’usage et les dépendances aux substances, ou PUDS, afin de le regrouper. Ce n’est pas ce que j’appelle du leadership. Ce sont des obstacles. Nous pouvons nous faire à ce mécanisme parce que notre centre est suffisamment grand et organisé, mais les organisations sur le terrain — les petites organisations autochtones en dehors de Regina — n’ont accès à aucun financement et n’ont donc pas accès aux programmes.

En ce qui concerne le leadership, l’une des mesures à prendre est de rassembler ces organisations de première ligne d’une manière ou d’une autre. Je ne veux pas créer une autre bureaucratie dans notre secteur, mais comment les appeler? Nous ne pouvons pas les appeler des « organisations de réduction des méfaits », car ce terme est désormais politisé. Nous ne pouvons pas utiliser cette formulation. Comment appeler le secteur? Nous ne le savons pas encore. Nous y réfléchissons. Nous parlons à nos collègues. Nous avons organisé en février une réunion de 30 PDG de tout le pays, du secteur du logement, de la santé mentale, etc. Le but était de commencer à avoir ces conversations ensemble, parce qu’aucun d’entre nous ne peut résoudre ce problème seul. Les sites de consommation supervisée représentent une part importante de ce que nous faisons, et je sais que c’est ce sur quoi porte le projet de loi et ce dont nous parlons. C’est une solution temporaire. Ces sites ne permettront pas d’obtenir ce que vous recherchez. Vous voulez que les gens sortent de la rue, qu’ils suivent un traitement, qu’ils soient en bonne santé. Vous n’obtiendrez pas ce résultat avec une solution temporaire. Vous y parviendrez en abordant le problème de manière holistique et globale.

La sénatrice Clement : C’était un plaidoyer coup de poing.

[Français]

La sénatrice Oudar : Je vais poser ma question en français. Je remercie les témoins de nous avoir éclairés, mais je ne peux pas terminer cette séance sans parler de notre avenir, des enfants et de ce qui se passe au Québec par rapport à la proximité des écoles et des centres de la petite enfance. Il y a probablement une autre crise sociale qui se dessine à l’horizon.

Aujourd’hui, je n’ai pas entendu de commentaires par rapport à cette situation. Je suis d’accord sur le fait de collaborer avec le voisinage et de faire en sorte d’atténuer les modalités administratives qui bloquent les consultations.

Que pensez-vous de l’existence d’une école située à moins de 100 mètres d’un centre d’injection? On sait qu’il y a des enfants qui se font harceler et qui ne veulent plus aller à l’école. Il y a des déchets et des déjections humaines qui jonchent les trottoirs sur le chemin de l’école.

La collaboration des parents est mitigée, car ils sont laissés à eux-mêmes, entre le gouvernement municipal et ses discussions d’arrondissement, la santé publique fédérale et la santé publique provinciale. Bref, je suis étonnée que vous n’ayez pas parlé de cela dans la dernière heure. Quels sont vos commentaires par rapport à la situation?

[Traduction]

M. Kerr : C’est avec plaisir que j’aborderai cette question. Je suis désolé si je m’exprime en termes trop scientifiques, mais nous avons ici un problème de causalité. Cela s’est produit dans un certain nombre de contextes où des SCS ont été mis en place. Il faut établir une installation de ce type à un endroit où se trouve une forte concentration de consommateurs de drogues.

Si vous vous préoccupez des déchets liés à la consommation de drogue et des personnes qui s’injectent dans les espaces publics, il vous faut alors un centre d’injection supervisé dans votre quartier, même s’il se trouve à proximité d’une école. En effet, nous savons que ces centres n’attirent pas plus de consommateurs de drogues. Ils sont simplement situés dans des endroits où les consommateurs de drogues se rassemblent déjà.

Je tiens à souligner qu’il est facile pour le public ou les parents d’enfants d’âge scolaire — j’en suis un — de dire : « Eh, regardez, j’ai vu quelqu’un se droguer en public et il a laissé tomber sa seringue; c’est la faute du site d’injection. » Or, c’est une analyse simpliste et facile à faire. La recherche dépeint en effet un portrait très différent : lorsqu’on adopte une approche systémique et rigoureuse pour évaluer l’incidence de ces installations, on constate qu’elles réduisent les déchets et le nombre de personnes qui s’injectent dans les lieux publics. De plus, rien n’indique qu’elles attirent des consommateurs de drogues d’ailleurs.

En fait, nous aimerions qu’elles attirent des consommateurs de drogues d’ailleurs. J’aime qualifier ces interventions de micro-environnementales parce que l’une de leurs principales limites est leur portée géographique très circonscrite. Dans notre évaluation du site de Vancouver, nous avons constaté que 70 % des utilisateurs réguliers vivent à moins de trois pâtés de maisons de l’installation, et la grande majorité des utilisateurs ont déclaré qu’ils n’iraient pas à une installation s’ils devaient se déplacer à plus de quatre pâtés de maisons.

Là encore, c’est un problème de poule ou d’œuf. Nous l’avons vu récemment à Vancouver, alors que des membres de la communauté ont commencé à tourner des vidéos de personnes consommant de la drogue en public, à les mettre en ligne et à blâmer le centre d’injection. Puis, la Ville a pris la décision de le fermer. Mais en réalité, il y avait un centre d’accueil pour les sans-abri dans ce quartier depuis une dizaine d’années, bien avant l’ouverture d’un site d’injection supervisée. Il y a d’autres services — le centre se situe au centre-ville et près des transactions de trafic de drogue. Ce n’est pas le site d’injection qui est à l’origine de ce chaos, mais bien tous les autres éléments, sociaux et sanitaires.

La sénatrice Pate : Je remercie tous nos témoins. Je voulais revenir sur un point que vous avez soulevé, monsieur Elliott — en fait, que tous les témoins ont soulevé. Vous avez parlé de la nécessité de coordonner les services. Bien entendu, un certain nombre d’entre nous — je pense à la sénatrice Audette, à la sénatrice Clement et à moi-même — ont travaillé dans ces domaines pendant de nombreuses années. En fait, lorsque j’étais en Alberta, la chose la plus facile à obtenir pour quiconque sortait de prison était un billet pour la Colombie-Britannique, car l’Alberta était heureuse d’y envoyer tout le monde.

Les appels à la justice de l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées... D’ailleurs, récemment, j’ai discuté avec des personnes comme Mme Jiaying Zhao, de l’Université de Colombie-Britannique, qui s’occupe des transferts d’argent. J’ai aussi parlé avec des Finlandais qui ont dit exactement ce que vous avez dit : nous devons cesser d’être en mode réaction face à la crise, et il est rentable sur le plan humain, mais aussi sur le plan financier, de s’attaquer d’emblée aux inégalités sociales, économiques, sanitaires et en matière de logement. Ils ont montré qu’ils ont éliminé l’itinérance et qu’ils ont pratiquement éliminé la pauvreté en s’attaquant à ces problèmes. Comme le montrent les recherches de Mme Zhao, lorsque l’on fournit des moyens financiers aux gens, non seulement ils sont logés, mais leur consommation de drogue et d’alcool diminue; c’est vrai même pour les personnes souffrant de dépendance.

Avez-vous vu d’autres exemples... Je ne veux en aucun cas dire que tout ce que vous avez suggéré n’est pas utile, mais avez-vous vu certaines de ces idées prendre racine? Vous avez mentionné les discussions que vous avez avec des PDG dans tout le pays. S’agit-il d’un effort qui est envisagé pour essayer d’élaborer un cadre politique qui aborderait ces questions dès le départ?

M. Elliott : À ma connaissance, personne ne dirige une telle initiative pour coordonner les organisations de première ligne. Par contre, y a-t-il des organisations qui le font? Oui. C’est justement le problème : il y a Casey House à Toronto, il y a nous, il y a d’autres groupes qui effectuent ce travail, mais nous ne le faisons pas d’une manière bien coordonnée et systémique. Il y a des moyens de réunir nos efforts. Ce n’est pas sorcier. Cela demande des efforts et une stratégie concertée.

J’ai un dernier commentaire à faire, pour revenir aux écoles et aux enfants. J’ai commencé à consommer de la drogue à l’âge de 13 ans. Il n’y avait pas de site de consommation supervisée près de chez moi. Je m’en tiendrai là. Une école primaire se trouve juste en face de notre établissement. Nous sommes là depuis 21 ans. En 21 ans, nous n’avons reçu aucune plainte de la part de cette école.

La présidente : Je remercie tous les témoins. Je suis désolée de ne pas avoir pu vous laisser expliquer en détail vos points de vue, mais je suis la personne qui doit tenir compte du temps, et nous avons déjà dépassé le délai imparti. Je vous remercie énormément. C’était très intéressant. Nous aurions pu passer une heure de plus avec vous.

Mesdames et messieurs les sénateurs, merci beaucoup pour votre patience aujourd’hui. Je n’ai pas bien présidé la réunion. Je vous présente mes excuses. Mais c’était tellement intéressant qu’il était difficile de couper la parole aux intervenants.

Chers collègues, je vous rappelle que demain, nous recevrons un groupe de témoins, puis nous travaillerons ensuite sur un rapport de deux pages — souhaitez-nous bonne chance — qui sera présenté lundi. Merci.

(La séance est levée.)

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