LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 26 septembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-256, Loi modifiant la Loi sur la Société canadienne des postes (saisie) et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
[Traduction]
Je m’appelle Brent Cotter. Je suis sénateur de la Saskatchewan et je préside ce comité. Je vais inviter mes collègues à se présenter, en commençant, à ma gauche, par notre vice‑présidente.
La sénatrice Batters : Denise Batters, sénatrice de la Saskatchewan.
Le sénateur Dalphond : Sénateur Pierre Dalphond, du Québec.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, Manitoba.
Le sénateur Prosper : Paul Prosper, Nouvelle-Écosse, territoire mi’kma’ki.
La sénatrice Simons : Paula Simons, Alberta, territoire du Traité no 6.
[Français]
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.
[Traduction]
Le président : Avant de commencer, je souhaite attirer votre attention sur les affichettes déposées devant vous et qui donnent les lignes directrices visant à prévenir les incidents dus aux effets Larsen. Essayez de maintenir en permanence votre oreillette loin de tous les microphones. Quand vous ne l’utilisez pas, déposez‑la à l’endroit indiqué sur table, à bonne distance du microphone. Je vous remercie de votre attention.
Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-256, Loi modifiant la Loi sur la Société canadienne des postes (saisie) et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir Rachel Huggins et Michael Rowe, de l’Association canadienne des chefs de police, et Kate Siemiatycki, du Conseil Mushkegowuk. Bienvenue et merci de vous joindre à nous.
Nous allons commencer par vos déclarations liminaires, à commencer par Mme Huggins, qui sera suivie de Mme Siemiatycki. Vous avez la parole pour environ cinq minutes chacun, après quoi les sénateurs vous poseront leurs questions.
Rachel Huggins, directrice adjointe et coprésidente du comité consultatif sur les drogues, Association canadienne des chefs de police : Bonjour et merci de l’occasion de nous adresser à ce comité.
En mai 2023, nous avons comparu devant vous dans le cadre de l’examen du projet de loi C-47. À ce moment-là, nous nous sommes concentrés sur le paragraphe 41(1) de la Loi sur la Société canadienne des postes qui porte sur l’inspection du courrier. L’adoption de cette disposition en juin 2023 a permis de rétablir le pouvoir des inspecteurs postaux d’ouvrir tout courrier, autre qu’une lettre, dans la mesure où ils ont des motifs raisonnables de le faire.
Bien que l’Association canadienne des chefs de police, l’ACCP, ait applaudi cette avancée importante, nous avons reconnu qu’elle ne réglait pas la question de l’impossibilité pour la police d’obtenir légalement une autorisation judiciaire de fouiller et de saisir des objets qui se trouvent « en cours de transmission postale ».
Le projet de loi S-256 comble cette lacune en proposant deux modifications claires et concises qui élimineraient les obstacles qui empêchent les policiers d’enquêter sur les infractions liées au courrier.
Les modifications proposées aux paragraphes 40(3) et 41(1) de la Loi sur la Société canadienne des postes combleraient les lacunes que trop de criminels ont exploitées pour commettre des actes criminels particulièrement payants pour les groupes du crime organisé et des risques considérables pour la santé et la sécurité des Canadiens.
La législation désuète du Canada entrave la collaboration potentielle entre les policiers et les inspecteurs postaux chargés d’identifier les objets inadmissibles, et qui leur impose de travailler indépendamment des enquêtes criminelles de la police.
Les objets inadmissibles renferment souvent des substances illégales comme le fentanyl ou les produits chimiques servant à fabriquer la méthamphétamine, des armes interdites ou des articles contrefaits. Ces envois postaux représentent des preuves importantes pour la police dans le cadre d’enquêtes criminelles.
Le projet de loi S-256 permettrait à la police d’effectuer des fouilles et des saisies autorisées par les tribunaux des produits de contrebande contenus dans les colis et les lettres avant que les envois postaux ne soient remis entre les mains des personnes qui les introduisent dans les communautés.
L’ACCP estime que les lois canadiennes doivent être modernisées et inclure la surveillance judiciaire nécessaire pour protéger la vie privée et les citoyens contre le trafic de matériel nuisible par le biais du système postal.
J’invite maintenant mon collègue, l’inspecteur Michael Rowe, à s’adresser au comité.
Michael Rowe, inspecteur, Comité sur les amendements législatifs, Association canadienne des chefs de police : Merci, madame Huggins.
Les paragraphes 40(3) et 41(1) de la Loi sur la Société canadienne des postes créent un obstacle important aux enquêtes policières. En bref, la formulation de cette loi fait en sorte que les tribunaux doivent suspendre ou rejeter les accusations sérieuses portées contre les personnes qui se livrent au trafic de marchandises dangereuses ou contrôlées.
Cette loi autorise la livraison de produits de contrebande dangereux à un destinataire par Postes Canada dans des circonstances où la police a des motifs raisonnables d’obtenir un mandat pour examiner, saisir ou enquêter davantage sur la livraison du colis ou de la lettre.
Les articles de la poste-lettres pesant 500 grammes ou moins ne peuvent être examinés ou saisis par qui que ce soit, même avec un mandat. Toutefois, la même lettre envoyée par messagerie privée peut être fouillée et saisie avec les autorisations légales appropriées et ce, en cours de transmission.
Les lettres peuvent facilement dissimuler du fentanyl non modifié, qui pourrait potentiellement donner des dizaines de milliers de surdoses mortelles et rapporter aux groupes criminels organisés des profits pouvant atteindre 30 000 $.
Ces profits ne sont pas réinvestis de manière légitime ou constructive dans la croissance économique ou sociale d’une communauté et ils servent souvent à financer la violence dans nos villes.
Il n’existe actuellement aucune technique ou stratégie d’enquête permettant à la police de saisir ou d’examiner des colis ou des lettres « en cours de transmission postale ». Ces contraintes sont connues des groupes criminels qui exploitent spécifiquement Postes Canada pour livrer des substances contrôlées et des articles de contrebande dans les communautés urbaines, rurales, éloignées et autochtones à travers le pays.
Le projet de loi S-256 permet au gouvernement d’atténuer les risques d’enquête liés au processus actuel consistant à confier l’examen des colis aux inspecteurs postaux. Il empêcherait ces derniers d’être mêlés à des processus d’enquête qui ne relèvent pas de leurs responsabilités professionnelles et les protégerait contre les menaces à leur sécurité provenant de l’élément criminel.
Ce projet de loi renforcerait également la protection de la vie privée des Canadiens en garantissant l’application d’une « norme objective justifiant une fouille », introduisant ainsi un contrôle judiciaire dans un processus qui repose actuellement sur des fouilles sans mandat en vertu de la Loi sur la Société canadienne des postes.
Enfin, le projet de loi S-256 perturberait le flux de marchandises dangereuses expédiées par la poste à travers le Canada en permettant à la police de demander des mandats pour examiner et saisir les matériaux avant qu’ils n’atteignent leur destination prévue et de tenir les personnes qui exploitent notre service postal national responsables de leurs actes.
Merci.
Le président : Merci, monsieur Rowe. Madame Siemiatycki, vous avez la parole.
Kate Siemiatycki, Conseil Mushkegowuk : Bonjour, honorables membres du comité et chers témoins. Je représente le Conseil Mushkegowuk. Je tiens à remercier le comité de m’avoir invitée à participer à l’étude de cet important projet de loi, de même que le sénateur Dalphond pour son leadership continu dans ce dossier crucial.
Le Conseil Mushkegowuk représente sept Premières Nations du nord-est de l’Ontario, dont quatre sont situées sur les rives de la baie James et sont inaccessibles par la route pendant la majeure partie de l’année. Il s’agit notamment de la Première Nation de Fort Albany, de la Première Nation crie de Kashechewan, de la Première Nation d’Attawapiskat et de la Première Nation crie de Moose.
Je suis venue exprimer l’appui du Conseil Mushkegowuk au projet de loi S-256. Le projet de loi comblera d’importantes lacunes dans la capacité de Postes Canada d’inspecter le courrier et dans la capacité des organismes d’application de la loi d’obtenir des mandats pour saisir, détenir et fouiller des pièces de courrier.
Je suis également ici pour demander au comité d’adopter des amendements supplémentaires en vue de permettre aux Premières Nations d’être plus en mesure de stopper l’entrée de drogues mortelles dans leurs communautés.
Plus précisément, le Conseil Mushkegowuk aimerait qu’une disposition soit ajoutée à la Loi sur la Société canadienne des postes afin de permettre à Postes Canada d’effectuer des examens préalables de tout le courrier destiné à une Première Nation lorsqu’elle a été autorisée à le faire en vertu d’une loi ou d’un règlement des Premières Nations.
Autrement dit, nous sommes d’avis que Postes Canada devrait être autorisée à mettre en place des systèmes de contrôle de routine, que ce soit au moyen de technologies comme MailSecur, dont nous avons entendu parler hier, ou au moyen de services de détection canine — pour tout le courrier entrant dans une Première Nation, si c’est ce dont la Première Nation croit avoir besoin.
Le libellé exact de l’amendement supplémentaire a été fourni au comité sous la forme de documents supplémentaires. Mais j’aimerais souligner quelques éléments essentiels de la proposition avant d’expliquer pourquoi cet ajout est à la fois approprié et nécessaire.
Premièrement, le pouvoir de contrôle proposé ne conférerait aucun nouveau pouvoir à Postes Canada pour ouvrir le courrier. L’ouverture du courrier continuerait d’exiger des motifs raisonnables aux termes du paragraphe 41(1) de la loi. Au lieu de cela, nous parlons d’un dépistage non invasif dans le but de détecter les drogues illégales qui sont facilement acheminées par la poste, comme le fentanyl, la méthamphétamine, la cocaïne et l’héroïne.
Ce type de dépistage préliminaire se fait tout autour de nous, dans les aéroports, dans les palais de justice, lors de tests de sobriété aléatoires et dans les salles de courrier d’Ottawa. La pratique a également été confirmée par les tribunaux canadiens dans le contexte de la fouille des bagages par les Premières Nations pour les passagers à l’arrivée.
Deuxièmement, la disposition proposée n’obligerait pas Postes Canada à assumer ce rôle de dépistage ni n’imposerait ce régime à une Première Nation. Il appartiendrait à chaque Première nation de décider si c’est un outil qui convient à sa communauté.
Enfin, les règlements et les procédures actuels de Postes Canada demeureraient les mêmes si les drogues illicites étaient mentionnées dans le cadre du programme de dépistage initial.
Pourquoi est-ce important?
En termes simples, sans dépistage initial, la plupart des médicaments continueront de pénétrer dans les communautés éloignées de Premières Nations par l’entremise de Postes Canada. Si les drogues continuent d’entrer dans les communautés de Premières nations au rythme actuel, celles-ci ne pourront jamais se remettre de la dévastation que l’épidémie actuelle de drogues toxiques a déjà causée.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi permettrait aux inspecteurs de Postes Canada d’examiner tous les types de courrier dès qu’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner que la lettre ou le colis contrevient à la réglementation ou contient des objets inadmissibles. Cependant, nous savons que cela ne se produira que dans une petite fraction des cas où Postes Canada reçoit un pourboire ou les médicaments sont mal déguisés.
Dans tous les autres cas, les trafiquants avertis continueront d’être en mesure d’envoyer des drogues mortelles non détectées aux Premières Nations par l’entremise de Postes Canada.
Les statistiques sur les crises qui s’aggravent chez les Premières Nations du Canada sont devenues une véritable plaie dans ce genre de procédure. Il y a un effet d’engourdissement indéniable. Mais pour le Conseil Mushkegowuk et d’autres Premières nations, les chiffres représentent des familles, des amis et la communauté. En 2023, le taux de morts subites attribuable à la toxicité des drogues dans les communautés mushkegowuk était au moins trois fois plus élevé que la moyenne de l’Ontario. En 2021, le taux annuel de visites à l’hôpital pour toxicité liée aux opioïdes chez les membres des Premières Nations était neuf fois plus élevé que la moyenne de l’Ontario. Ces chiffres représentent de vraies personnes — des mères, des pères, des fils, des filles, des frères et des sœurs — dont la vie est détruite et qui meurent inutilement à cause des drogues illicites.
Il devrait incomber à chaque Première Nation de déterminer comment elle abordera les crises de santé et de sécurité publiques qui ont été, en grande partie, la conséquence des pratiques et des politiques coloniales canadiennes.
C’est la seule voie qui appuie l’autonomie gouvernementale et la réconciliation tout en assurant le respect de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de vous faire part de mes commentaires. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
J’aimerais ajouter que je sais que nos documents supplémentaires ont probablement été reçus tard hier soir ou tôt ce matin. S’il y a d’autres questions, nous serons heureux de recomparaître par Zoom pour vous répondre ou travailler avec votre personnel. Merci.
Le président : Merci, madame Siemiatycki. Les documents que vous nous avez fournis sont en cours de traduction et ils seront ensuite distribués aux membres du comité.
Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par la vice-présidente, la sénatrice Batters.
La sénatrice Batters : Merci à vous tous d’être ici. Votre présence est très appréciée. Madame Siemiatycki, je vous remercie pour cet exemple concret qui démontre l’importance de ce projet de loi et de cette question. C’est une chose d’entendre les chiffres, mais c’en est une autre d’avoir des exemples concrets de personnes qui meurent à cause du fentanyl. Je vous remercie.
Ma première question s’adresse aux représentants de l’Association canadienne des chefs de police. Depuis 2015, votre association ne cesse de répéter que les criminels exploitent une lacune législative qui empêche la police d’intervenir dans des cas d’envois postaux suspects. Cette question a suscité une certaine attention en 2023, mais ce n’était manifestement pas suffisant.
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de situations où cette lacune législative a empêché les forces de l’ordre d’agir?
M. Rowe : Je peux répondre à cette question et vous fournir plusieurs exemples. Après en avoir parlé avec mes pairs de l’ensemble du Canada, notamment du Nord et des communautés autochtones, je peux vous dire que des cas semblables se répètent d’un bout à l’autre du Canada.
Le meilleur exemple d’une situation où les policiers sont incapables d’intervenir, c’est quand nous apprenons, dans le cadre d’une enquête ou d’une collecte de renseignements, qu’un colis contient des substances contrôlées. À partir du moment où ce colis est en cours de transmission, après avoir été déposé dans une boîte aux lettres ou à un comptoir postal de Pharmaprix ou autre, il nous est alors impossible de l’intercepter. Les policiers disposent de nombreuses techniques d’enquête pour atténuer le risque que pose le contenu du colis. Nous avons déjà parlé du fentanyl et d’autres drogues qui sont acheminés par la poste, mais ce n’est pas tout, il y a aussi des pièces d’armes à feu et des armes à feu. D’autres produits de contrebande ou matières illégales sont expédiés par le truchement de Postes Canada. Nous avons diverses techniques d’enquête qui nous permettent d’obtenir un mandat ou une autorisation judiciaire afin d’intercepter ces colis, de les fouiller, d’atténuer le risque posé par leur contenu et, surtout, de prendre des mesures coercitives à l’égard de la personne qui reçoit le colis et, potentiellement, de celle qui l’a expédié et qui sera ensuite traduite en justice.
La loi actuelle et notre dépendance à l’égard des inspecteurs des postes réduisent considérablement notre capacité d’établir une preuve légale. Nous sommes incapables de prendre des mesures d’exécution lorsqu’un colis est en cours de transmission postale. Nous sommes incapables d’atténuer le risque pour le public. Lorsque nous devons passer par les inspecteurs des postes, nous introduisons l’examen judiciaire dans nos enquêtes parce que nous nous appuyons sur un pouvoir de perquisition sans mandat, alors que nous préférerions utiliser un mandat conféré par un juge.
Nous sommes exposés à un risque qui menace le succès de nos enquêtes, mais en plus, nous sommes incapables d’atténuer le risque que pose le contenu du colis pour le public.
La sénatrice Batters : Je vous remercie. J’aimerais avoir votre avis à tous les deux. Les services de messagerie privés comme FedEx, DHL, UPS et Purolator permettent déjà aux policiers de faire des fouilles et des saisies sous autorisation judiciaire. Quelles leçons les forces de l’ordre ont-elles retenues de ces interactions avec les services de messagerie privés, et comment ces pratiques pourraient-elles s’appliquer au système postal public? Postes Canada a décliné notre invitation à venir témoigner devant notre comité sur cette importante question et, grâce à une demande d’accès à l’information, nous savons que la société a déjà exprimé ses préoccupations au sujet des répercussions négatives auxquelles ses services pourraient être exposés si les forces policières obtenaient le pouvoir d’ouvrir des lettres.
Que pensez-vous de ces préoccupations et croyez-vous que cela pourrait avoir des répercussions importantes sur les opérations de Postes Canada?
M. Rowe : Je vous remercie de la question. À mon avis, les forces de l’ordre de l’ensemble du pays, peu importe la collectivité qu’elles desservent, pourraient faire leur travail sans nuire au service postal. Comme vous l’avez mentionné, nous avons beaucoup d’expérience à cet égard avec les services de messagerie privés, que ce soit FedEx, DHL ou Purolator, qui appartient à Postes Canada. Nous avons l’habitude d’exécuter des mandats de perquisition dans des entreprises, des écoles ou des hôpitaux, partout où des renseignements sont détenus. Les forces policières ont dû exécuter des autorisations judiciaires pour obtenir des renseignements. Nous pouvons faire ce travail en collaboration avec ces établissements, sans perturber leurs activités quotidiennes ou leurs systèmes. Cela nous permet d’obtenir les renseignements que le tribunal nous a autorisés à obtenir, sans perturber leurs activités. Je suis convaincu que nous serons en mesure d’exécuter les mandats et les autorisations judiciaires au sein de Postes Canada sans que cela ait le moindre effet négatif sur ses activités.
La sénatrice Batters : Comme vous le dites, Purolator appartient à Postes Canada; il semble étrange que la société refuse de venir témoigner. Elle veut peut-être nous faire croire qu’elle n’est pas suffisamment au courant du dossier, mais elle est tout à fait au courant à cause de toutes les transactions qu’ils ont eues depuis que Purolator est visée par ces opérations.
M. Rowe : Oui. Honnêtement, le processus actuel, qui nous oblige à faire appel aux inspecteurs des postes, coûte plus cher que ce que coûteraient une intervention policière et l’exécution d’une autorisation judiciaire. Dans le cadre du système actuel, nous devons collaborer de très près avec les inspecteurs des postes. Nous devons les aider à obtenir les renseignements qui leur sont nécessaires pour mener leurs propres enquêtes indépendantes. Ils doivent ensuite établir les motifs justifiant leur souhait de fouiller un colis. Si les policiers pouvaient exécutaient les autorisations judiciaires, nous pourrions simplement nous présenter et fournir une copie de l’autorisation judiciaire — qui pourrait nous être accordée en fonction des motifs de notre enquête et des renseignements que nous avons déjà recueillis — et l’exécuter, recueillir l’information dont nous avons besoin et repartir. Ainsi, les inspecteurs des postes auraient davantage de temps pour se consacrer à leurs tâches importantes.
La sénatrice Batters : Je vous remercie.
Le sénateur Dalphond : Je remercie nos témoins de leur contribution. Nous avons tous travaillé ensemble quand j’ai rédigé ce projet de loi. Puisque nous sommes ici, je vais passer directement aux amendements possibles. Comme vous ne serez pas ici lorsque nous procéderons à l’étude article par article, nous allons profiter de votre présence aujourd’hui.
D’entrée de jeu, je vais vous demander si vous recevez souvent des indications de la part des inspecteurs des postes avant de lancer une enquête? En recevez-vous rarement ou plusieurs fois par année? Je sais que 25 inspecteurs travaillent à Postes Canada pour couvrir l’ensemble du pays.
M. Rowe : Je ne peux pas parler au nom de tous les policiers du Canada. D’après mon expérience — et j’ai une grande expérience de la lutte contre le trafic de drogue au sein du crime organisé et de nos sections affectées aux gangs de rue —, je peux toutefois dire que quand des policiers mènent des enquêtes sur le trafic de drogue, ce sont eux qui fournissent de l’information aux inspecteurs de Postes Canada et non l’inverse.
Lorsque Postes Canada intercepte des colis contenant des objets non admissibles illégaux, qu’il s’agisse de pièces d’armes à feu ou de substances contrôlées, les employés de la société doivent remettre ces colis au service de police de la ville où se trouve le bureau de poste ou le centre de tri du courrier. Je suis certain que les villes qui ont de grands centres postaux doivent recevoir des dossiers de Postes Canada.
Pour les enquêtes de grande envergure, ce sont généralement les policiers qui demandent l’aide des inspecteurs des postes.
Le sénateur Dalphond : Vous proposez d’élargir le pouvoir des inspecteurs parce que nous avons codifié la règle les obligeant à avoir des motifs raisonnables de soupçonner. Auparavant, il n’existait aucun paramètre, et le tribunal de Terre-Neuve a statué que c’était inconstitutionnel. Le projet de loi corrige cette lacune. Les lettres sont toutefois exclues; la disposition englobe tous les envois postaux, à l’exception des lettres.
Si les inspecteurs étaient autorisés à ouvrir les lettres, pensez-vous que cela pourrait aider les policiers à faire leur travail?
M. Rowe : Je parle ici au nom de l’ACCP. Nous demandons que les forces de l’ordre — la police — aient la capacité d’ouvrir des lettres sous autorisation judiciaire.
Le sénateur Dalphond : C’est l’objectif du projet de loi.
M. Rowe : Oui.
Le sénateur Dalphond : Dans votre mémoire, vous laissez toutefois entendre qu’il faudrait élargir le pouvoir des inspecteurs.
M. Rowe : Oui, je pense que c’est une bonne idée d’élargir le pouvoir des inspecteurs pour qu’ils puissent examiner également les lettres. Comme nous l’avons démontré et constaté à maintes reprises, la définition d’une lettre est très large et le contenu d’une lettre peut avoir de graves conséquences pour nos collectivités. Je crois que tous les inspecteurs devraient pouvoir examiner les lettres.
Le sénateur Dalphond : Madame Siemiatycki, soyez la bienvenue. Je vous remercie de votre soutien et vous félicite pour les structures novatrices du conseil qui nous permettent de communiquer et de recevoir des commentaires. Je vous en remercie.
Vous proposez que pour tous les envois postaux reçus, les destinataires soient couverts par l’un de ces codes spéciaux. Est‑ce que la plupart des réserves auront un code?
Mme Siemiatycki : Comme vous le savez, le Canada compte plus de 600 Premières Nations.
Le sénateur Dalphond : Comment peut-on identifier le courrier qui y est acheminé?
Mme Siemiatycki : Je suis vraiment désolée, puis-je vous demander de terminer votre question?
Le sénateur Dalphond : J’ai terminé. Je comprends l’idée et je sais qu’il existe un système complexe de tri des lettres et des colis. Est-il possible de programmer la machine pour classer ces codes ou ces adresses comme étant hors système, puisque vous proposez de n’inspecter que ceux qui sont hors du système?
Mme Siemiatycki : Le libellé qui est actuellement proposé, et dont vous prendrez bientôt connaissance j’espère, est le suivant :
La Société ou son mandataire peut inspecter tout courrier dont le destinataire se trouve dans une réserve d’une Première Nation si une loi ou un règlement dûment adopté par cette Première Nation l’autorise.
Le deuxième paragraphe se lit ainsi :
L’inspection prévue au paragraphe (1) n’inclut pas l’ouverture du courrier, peut inclure des numériseurs ou la détection canine, et se limite à cibler la présence d’une substance réglementée telle que définie dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Vous remarquerez qu’à ce stade-ci, la proposition ne contient pas de dispositions opérationnelles ou de mise en œuvre. C’est intentionnel. La raison en est qu’il y a plus de 600 Premières Nations au Canada, chacune ayant des caractéristiques géographiques et économiques particulières et des relations différentes avec leur section locale de Postes Canada. Nous croyons qu’il serait plus logique d’inclure un libellé général et permissif dans le texte du projet de loi, ce qui permettrait aux Premières Nations ou aux groupes de Premières Nations de collaborer avec Postes Canada pour opérationnaliser cela de la façon la plus logique.
Pour répondre à votre question au sujet des codes postaux, de nombreuses Premières Nations souhaitent que chaque réserve ait un code postal. La situation pourrait être différence pour d’autres. C’est quelque chose qui pourrait être défini entre Postes Canada et les Premières Nations.
Le sénateur Dalphond : Le fardeau imposé à Postes Canada serait limité parce qu’il s’agirait seulement des envois acheminés à une adresse précise, ce qui représente probablement une petite fraction de l’ensemble du courrier traité.
Mme Siemiatycki : Oui. Par exemple, hier, Mme Gagnon, de RaySecur, nous a parlé hier de cette technologie. Elle a expliqué que les détecteurs de MailSecur pouvaient traiter 400 articles de courrier à l’heure ou à peu près. Ces machines peuvent traiter un volume très élevé. Comparativement au nombre relativement faible de résidents des communautés des Premières Nations et au volume probable de courrier qui serait concerné, je ne pense pas que cela alourdirait la tâche de Postes Canada.
Le sénateur Dalphond : Le prix des vies perdues est beaucoup plus élevé que celui de quelques machines.
Mme Siemiatycki : Vous avez tout à fait raison.
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie.
Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins d’être venus partager avec nous leurs connaissances et de leur expertise. J’ai quelques questions à poser et je vais commencer par vous, monsieur Rowe.
Ce que nous avons entendu — et surtout avec le dernier groupe de témoins —, ce sont des échanges sur la protection de la vie privée. Vous avez dit quelque chose à ce sujet que j’aimerais approfondir un peu. Vous avez dit que l’établissement de normes objectives permettrait de mieux protéger la vie privée. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
M. Rowe : Volontiers, monsieur. Merci de cette question.
Ce que nous proposons améliorera certainement la protection de la vie privée des Canadiens qui utilisent les services de Postes Canada parce que nous, les policiers, nous souhaitons simplement pouvoir introduire une surveillance judiciaire dans le processus de fouille des colis. En vertu du processus actuel, les policiers ne peuvent pas inspecter les colis, comme vous le savez. Ce sont les inspecteurs des postes qui les examinent dans le cadre d’un système sans mandat et du pouvoir qu’ils détiennent en vertu de la Loi sur la Société canadienne des postes.
Nous, les policiers, nous devons faire les démarches pour obtenir une autorisation judiciaire. Pour inspecter des colis et des lettres en cours de transmission postale, nous devions présenter une demande de mandat auprès d’un juge ou d’un juge de paix. Nous devions avoir déjà fourni nos motifs aux juges, qui décidaient s’ils étaient suffisants pour que nous puissions examiner un colis ou une lettre.
Le sénateur Prosper : Merci. J’ai une autre question à poser, cette fois à Mme Siemiatycki.
J’aimerais me pencher sur l’amendement que vous proposez, car je connais bien les règlements administratifs des bandes qui ont un code foncier ou quelque chose du genre.
J’ai déjà été chef d’une communauté et nous avons toujours eu de la difficulté à faire mettre en œuvre des règlements administratifs et, parfois, à les faire respecter — désolé de vous le dire — par les forces policières, voire par un tribunal. La mise en œuvre de règlements pose toujours des problèmes. Leur nombre potentiel, comme vous l’avez mentionné, est élevé parce que chaque bande a parfois son propre règlement.
Pensez-vous que votre amendement contribuerait à régler certains de ces problèmes liés à la mise en œuvre des règlements administratifs? Je vous remercie.
Mme Siemiatycki : Merci beaucoup, sénateur, de votre question.
Ma réponse comporte deux volets. Tout d’abord, je dirais que le Conseil Mushkegowuk est connaît bien le problème d’application des lois et règlements des Premières Nations et des poursuites qui y sont liées et il les reconnaît. C’est certes une préoccupation.
Dans ce contexte, nous croyons qu’en conférant à Postes Canada le pouvoir légal de faire les inspections initiales — ce qui pourrait ensuite s’appliquer au reste des procédures prévues par la loi si des objets inadmissibles ou des drogues toxiques, par exemple, sont trouvés et qu’il faut faire appel aux forces de l’ordre — et qu’en mentionnant expressément les lois et les règlements des Premières Nations comme source de ce processus, cela accroîtrait la probabilité que Postes Canada, les forces de l’ordre et les tribunaux comprennent et reconnaissent la légitimité de ces lois et les appliquent.
En ce qui concerne les modifications générales de l’actuel article 48, c’est la raison pour laquelle nous sommes tout à fait en faveur que les lois ou règlements administratifs des Premières Nations soient inclus dans la définition de « loi d’exécution » à l’article 2 ou dans la modification générale de l’article 48, afin que, comme vous le dites, nous commencions à prendre en compte l’aversion au risque, souvent présente quand les forces de l’ordre interviennent en vertu de ces lois et règlements.
Le sénateur Prosper : Je suis d’accord, merci beaucoup.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup à tous nos témoins. Je vais commencer par poser une question à Mme Huggins et à M. Rowe.
Vu la manière dont le projet de loi est rédigé, le sénateur Dalphond a indiqué que les agents de la paix auraient besoin d’un mandat ou d’une autorisation judiciaire pour saisir ou ouvrir le courrier en vertu de la modification proposée au paragraphe 40(3). La définition de « loi d’exécution » est cependant très large. Y a-t-il des cas où des lois fédérales ou d’autres lois ou règlements pourraient autoriser un agent à saisir ou à ouvrir du courrier sans mandat, surtout si les circonstances l’exigent?
M. Rowe : Merci beaucoup de cette question. Dans des situations d’urgence, il peut arriver que les policiers doivent intercepter un colis qui présente un risque immédiat pour la collectivité ou la vie et la sécurité.
La sénatrice Simons : S’il contient de l’anthrax, une bombe ou quelque chose du genre.
M. Rowe : Ce cas de figure serait certainement couvert en vertu d’un pouvoir d’urgence que détiennent les forces policières et, de toute façon, les policiers l’utiliseraient probablement dans le but de protéger la collectivité.
L’article sur les lois d’exécution nous permettrait d’obtenir des mandats en vertu de l’article le plus large des lois, notamment en vertu du Code criminel et de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ainsi qu’en vertu de la Loi sur les infractions provinciales et de soutenir les diverses collectivités en fonction de leurs besoins particuliers. Les lois d’exécution qui y sont énoncées permettent aux forces policières et aux forces de l’ordre d’obtenir les autorisations judiciaires les plus larges pour effectuer des fouilles.
La sénatrice Simons : C’est justement ce qui me préoccupe, parce que c’est bien beau de dire que nous ne voulons pas que des gens expédient des armes ou des drogues, mais si vous vous appuyez sur n’importe quelle loi au Canada, cela pourrait donner aux policiers la possibilité de fouiller des lettres ou colis qui sont beaucoup moins préoccupants, que ce soit un discours politique ou une enquête sur un meurtre. Il est intéressant de signaler que ces lois remontent à 1844, en Grande-Bretagne, où elles ont été consignées dans les registres parce que le gouvernement examinait des lettres échangées entre des militants politiques; c’est pourquoi nous avons des mesures de protection aussi rigoureuses pour le courrier.
Je me demande simplement si, dans cinq ou dix ans, un agent de la paix ne sera pas tenté d’utiliser ces pouvoirs à une fin non prévue par le rédacteur de l’amendement.
M. Rowe : Sénatrice, mon rôle au sein du service de police de Vancouver est celui d’officier responsable de notre section des crimes majeurs, qui comprend notre unité des homicides. Avec tout le respect que je vous dois, je maintiens que l’établissement de la preuve dans une affaire de meurtre est une tâche très importante et urgente; il est important que les policiers fassent des recherches pour l’obtenir.
Je le répète, l’introduction de la surveillance judiciaire dans ce processus permettra d’empêcher les abus qui vous préoccupent parce que nous, en tant que policiers, nous devrons continuellement aller présenter nos motifs devant les juges, c’est-à-dire leur expliquer sur quoi nous enquêtons et pourquoi nous devons intercepter un envoi postal. Comme nous le faisons lorsque nous fouillons un téléphone, un compte bancaire, une maison ou tout autre article que nous sommes autorisés à fouiller, nous devons être en mesure de justifier cette fouille auprès d’un juge. Nous serions tenus de le faire en vertu de cette loi.
La sénatrice Simons : Ma deuxième question est pour Mme Siemiatycki. C’est curieux de voir à quel point les langues crie et slaves sont truffées de consonnes.
Mme Siemiatycki : Vous pouvez détecter le polonais dans mon...
La sénatrice Simons : Oui. La décision rendue à Terre-Neuve dans l’affaire R. c. Gorman énonce clairement les raisons constitutionnelles pour lesquelles nous n’inspectons pas le courrier des gens. L’amendement que vous proposez ne risque‑t‑il pas de créer une situation où les citoyens des Premières Nations vivant dans une réserve pourraient soudainement se retrouver avec moins de droits constitutionnels que ceux qui vivent hors réserve? Sur le plan philosophique, croyez‑vous que les conseils de bande des Premières Nations devraient avoir le droit d’adopter des lois susceptibles d’être potentiellement inconstitutionnelles? À quel moment leur autonomie à l’égard de leur Première Nation entre-t-elle en conflit avec la Charte?
Mme Siemiatycki : Je constate que j’ai droit aux questions faciles aujourd’hui.
La sénatrice Simons : Vous a-t-on dit que nous étions un comité facile?
Mme Siemiatycki : Je ne suis pas certaine de pouvoir répondre à la question que vous venez de poser, en partie parce que je pourrais passer des heures à y répondre et qu’il faudrait probablement demander l’avis d’experts constitutionnels et d’universitaires qui sont beaucoup plus brillants que moi en la matière.
Je vais quand même essayer de vous donner un début de réponse et parler bien entendu de l’arrêt Gorman, qui est important, à mon avis.
Sénatrice, j’ai entendu ce que vous avez dit hier au sujet de la pratique de manipulation du courrier et de surveillance par un État; je ne l’oublie pas, et le conseil non plus. Le Conseil Mushkegowuk prend très au sérieux la vie privée et les droits civils de ses membres.
Cela dit, la Constitution et l’arrêt Gorman reconnaissent que le droit à la vie privée s’inscrit dans un cadre contextuel et qu’il est fondé sur un équilibre entre différents intérêts, soit l’intérêt individuel et l’intérêt public. Nous croyons que l’amendement que nous proposons garantit cet équilibre. Nous parlons d’abord et avant tout, je le répète, d’inspection et non d’ouverture du courrier. Dans l’arrêt Gorman, vous vous en souvenez certainement, l’inspecteur avait ouvert un colis, puis il en a ouvert un deuxième qui se trouvait à l’intérieur du premier. La portée de l’inspection et de la fouille était beaucoup plus large dans ce cas. C’est un premier point.
Le deuxième point, c’est que dans l’arrêt Gorman, le juge a reconnu que les inspecteurs n’avaient pas besoin d’une autorisation judiciaire pour ouvrir les colis. Dans ce contexte et en tenant compte de tous les facteurs, il n’était pas nécessaire d’obtenir un mandat. Ce que le juge a dit, et ce que nous voyons maintenant dans la loi, c’est qu’il doit y avoir un soupçon raisonnable. Là encore, ce soupçon raisonnable concerne l’ouverture du courrier.
L’amendement que nous proposons se limite aux inspections très peu invasives. Comme Mme Gagnon, de RaySecur, vous l’a expliqué hier, la technologie ne permet pas de lire des mots ou des messages écrits. À moins que les choses aient changé, les chiens non plus ne sont pas capables de lire les lettres. Selon nous, c’est un moyen très conservateur de préserver l’équilibre entre les droits individuels des membres des communautés des Premières Nations et les intérêts publics communs que cet amendement vise.
En ce qui concerne la Constitution et la Charte, comme vous le savez probablement, les gouvernements des Premières Nations sont assujettis à la Charte, de sorte que leurs décisions et leurs lois le sont également dans les tribunaux canadiens. Mais ce qui est très important, c’est que l’article 35 de la Constitution reconnaît que l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones fait partie des droits inhérents des Premières Nations. Qu’est-ce qui est plus fondamental pour un gouvernement que de décider ce qui peut entrer et sortir de son territoire?
La sénatrice Simons : Je n’aime pas l’idée que le Sénat adopte un projet de loi qui dit que, en fonction de la race, nous contrôlons le courrier de certaines personnes, mais pas celui d’autres. Je comprends ce que vous dites, c’est l’idée d’un seul groupe de chefs.
Le président : Je vais devoir vous laisser y réfléchir, sénatrice Simons.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie pour vos exposés. Monsieur Rowe, vous avez parlé d’un obstacle de taille : certaines de vos causes ont été suspendues et rejetées par les tribunaux. Est-ce que cela veut dire que vous faisiez déjà des fouilles? Pourquoi cela s’est-il produit si vous avez respecté la loi?
M. Rowe : Vous avez raison, madame. Je vous remercie de cette question. En vertu du processus actuel, si nous soupçonnons qu’un colis contient des matières illégales, comme des drogues ou des pièces d’armes à feu, les policiers sont tenus de passer par les inspecteurs des postes et de les informer de la présence possible de matières illégales dans le système postal. Ce sont ensuite les inspecteurs des postes qui inspectent les colis en cours de transmission postale. Si le contenu se trouve dans une enveloppe de lettre, nous ne pouvons évidemment pas l’inspecter pendant que la lettre est en cours de transmission postale.
S’il s’agit de colis, par contre, nous nous fions aux inspecteurs de Postes Canada pour effectuer la fouille. Malheureusement, quand l’affaire se retrouve devant les tribunaux, les juges examinent à la loupe la relation entre les inspecteurs de Postes Canada et les policiers. Nous constatons que les tribunaux désapprouvent que les policiers fassent appel à des inspecteurs de Postes Canada pour examiner les colis en cours de transmission postale. C’est la raison pour laquelle nous perdons la plupart des causes portant sur des enquêtes sur les drogues. C’est pourquoi il est si important que les forces policières détiennent le pouvoir d’obtenir et d’exécuter elles-mêmes des mandats émis par un juge pour des envois qui sont en cours de transmission postale.
La sénatrice McCallum : Merci. Une sénatrice a dit que les Premières Nations pourraient se retrouver avec moins de droits constitutionnels. Eh bien, c’est déjà le cas. En toute franchise, c’est la raison pour laquelle les gens de la communauté sont si vulnérables, surtout ceux qui ont été isolés — dans les quatre communautés en question et toutes celles du Manitoba. Dans ce contexte, comment protégez-vous maintenant les gens qui se trouvent dans cette situation à cause de la loi et de la façon dont notre pays les traite. Où en sont-ils maintenant? Comment pouvons-nous faire cela? Ils semblent avoir besoin de plus de protection.
C’est une pente glissante. Vous voulez plus de protection, mais vous voulez quand même que vos renseignements personnels soient protégés.
J’aimerais revenir au règlement administratif des Premières Nations qui régirait Postes Canada. J’ai devant moi un projet de loi sur l’application de la loi et les poursuites, mais on ne peut pas intenter des poursuites si la communauté est assujettie à un règlement administratif des Premières Nations. Lorsque vous dites que cela aurait lieu, qui l’emporterait si les lois des Premières Nations disaient « c’est ce que nous voulons », mais que Postes Canada disait « non »? Comment cela fonctionnerait‑il?
Mme Siemiatycki : Je vous remercie de la question, sénatrice. Dans sa forme actuelle, la modification proposée n’obligerait pas Postes Canada à conclure une entente avec une Première Nation. Pour ce qui est des étapes à suivre, pour simplifier les choses, cette loi permettrait à une Première Nation — la nation Attawapiskat, par exemple — d’adopter un règlement disant que Postes Canada peut effectuer certains types d’examens préalables sur tout le courrier à destination d’Attawapiskat. À partir de là, elle engagerait probablement un dialogue avec Postes Canada au sujet des mesures à prendre pour mettre cela en œuvre.
Je dois dire que le Conseil Mushkegowuk travaille en étroite collaboration avec l’inspecteur des postes local. Ce n’est pas que Postes Canada soit réticente à aider les Premières Nations à mettre fin à cet afflux mortel de drogues; c’est simplement que la loi actuelle ne lui permet pas d’aller beaucoup plus loin.
La raison pour laquelle nous avons rédigé l’amendement de cette façon — pour qu’il soit permissif et qu’il n’oblige pas Postes Canada à effectuer l’examen préalable —, c’est parce que nous reconnaissons que chaque situation sera différente et exigera un plan de mise en œuvre particulier. Il faudra aussi réduire le fardeau que les Premières Nations devront assumer pour conclure des ententes complexes ou entreprendre des travaux supplémentaires pour lesquels elles n’ont pas les ressources nécessaires. Si, dans certaines circonstances, le règlement peut être adopté et que Postes Canada accepte de faire cela de façon informelle, c’est très bien et cela peut fonctionner. Nous voulons pouvoir tenir compte de toutes les circonstances qui répondent le mieux aux besoins des Premières Nations.
La sénatrice McCallum : Quand vous recevez une lettre ou du courrier, combien de temps le gardez-vous en main avant de pouvoir le livrer s’il ne contient rien?
M. Rowe : Excusez-moi, madame, voulez-vous dire pour le compte de Postes Canada, ou pendant combien de temps après que la police l’a saisi?
La sénatrice McCallum : Au total. Une fois le courrier mis à la poste, combien de temps cela prend-il?
M. Rowe : Je ne sais pas, madame. Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question.
La sénatrice McCallum : C’était par simple curiosité.
Le sénateur Dalphond : Cela prend environ 48 heures.
La sénatrice McCallum : D’accord. Ce n’est pas si mal, alors.
La sénatrice Clement : Je remercie les témoins de leur travail. Je suis en faveur de ce projet de loi; c’est la première chose que je dirai. Je suis tout à fait d’accord avec le mot « désuète » que Mme Huggins a utilisé dans sa déclaration préliminaire.
Je pense que l’amendement semble bon pour ce qui est de donner le contrôle aux communautés des Premières Nations. Je comprends les préoccupations du sénateur Prosper au sujet de la mise en œuvre de cette mesure. Cela m’a semblé pertinent.
J’aimerais toutefois vous parler, monsieur Rowe, de l’utilisation que vous faites de l’expression « norme objective ». Je veux revenir à la question que le sénateur Prosper a posée, car j’ai des choses à dire à ce sujet.
Nous appuyons le projet de loi. Nous comprenons son objectif. Il y a des raisons impérieuses d’agir. Mais lorsque certaines communautés — les communautés racisées — entendent dire qu’il y aura plus de services de police et que la police aura plus de pouvoir, cela les inquiète parce que notre système a incorporé un racisme systémique. Donc, quand j’entends parler d’une « norme objective », je me demande ce que cela signifie. Certains d’entre nous se demandent ce que cela signifie.
L’un d’entre vous pourrait-il nous dire si vous avez réfléchi à cette question? Encore une fois, j’appuie ce projet de loi, mais que faisons-nous pour régler le problème de la surveillance policière excessive, du racisme systémique et de ses répercussions sur les gens? Les noms semblent différents et indiquent l’appartenance à certains groupes. Parlons-en.
De plus, avant de céder la parole à quelqu’un d’autre, je me demande pourquoi il n’y a pas d’avocats ou d’universitaires spécialisés dans les libertés civiles qui viennent témoigner à ce sujet, simplement pour alimenter la réflexion qui pourrait être nécessaire à l’égard de ces questions.
Mme Huggins : Je vous remercie de la question. Je vais commencer, et M. Rowe pourra intervenir également.
Chaque fois qu’une mesure législative fait l’objet d’un examen ou d’une étude, comme celle d’aujourd’hui, nous devons penser à ses répercussions sur tous les gens — sur tous les groupes — surtout lorsque cela touche les pouvoirs de la police.
Je pense qu’en ce qui concerne ce projet de loi, ces pouvoirs existent déjà. Il s’agit simplement de dire que c’est une autre situation dans laquelle la police a besoin de ces renseignements. Et comment pouvons-nous le faire de manière à inclure les juges?
Nous comptons sur les juges pour faire en sorte que la police n’outrepasse pas les limites de ses pouvoirs. C’est une autre façon de le faire. En prévoyant que, si la police a besoin de quelque chose ou qu’une partie de son enquête concerne le service postal, il y a un contrôle qui prend en compte tous les éléments que vous avez soulevés et qu’il est très important de considérer avant d’obtenir l’autorisation d’avoir accès à l’élément d’information en cours de transmission.
M. Rowe : Merci beaucoup de la question, madame. J’apprécie les questions difficiles. Elles sont certainement nécessaires pour comprendre ce dont il s’agit.
Je suis d’accord avec ma collègue, Mme Huggins, pour dire que pour obtenir le mandat, obtenir l’autorisation judiciaire ou fouiller le courrier — j’ai moi-même eu à me présenter devant un juge pour exposer mes motifs, les raisons pour lesquelles je voulais obtenir un mandat — il faut beaucoup plus qu’un nom. Il faut beaucoup plus qu’un simple renseignement. Il faut fournir des motifs assez importants pour pouvoir fouiller une enveloppe, un article de courrier ou un colis et l’extraire de notre système postal.
Il y a un autre niveau d’examen après coup, lorsque l’affaire est portée devant les tribunaux. Si elle se retrouve devant les tribunaux, le mandat judicieusement autorisé qui a été utilisé pour fouiller l’envoi postal et la façon dont la perquisition a été effectuée seront scrutés à la loupe par nos tribunaux pour s’assurer que c’était juste, équitable et conforme aux attentes des Canadiens de partout au pays.
J’espère qu’en introduisant ce contrôle judiciaire dans le processus, nous instaurons un niveau d’équité qui n’existe pas à l’heure actuelle.
Mme Siemiatycki : Dans le contexte de l’amendement que nous proposons, je pense qu’il est important de garder à l’esprit que les Premières Nations sont des entités distinctes ayant des droits distincts reconnus par la Constitution, et par la Loi sur les Indiens, par exemple, qui est l’un des rares moyens dont les gouvernements des Premières Nations disposent pour adopter des lois. Ils ont le droit d’adopter des règlements régissant diverses questions dans leurs communautés, notamment en ce qui concerne la loi et l’ordre, la santé et la sécurité publique.
Je pense qu’il est très important de tenir compte de l’égalité entre les Premières Nations et les collectivités non autochtones, mais il est également important de le faire en sachant que les gouvernements des Premières Nations ont le droit de déterminer comment ils gouvernent leurs communautés conformément à la Constitution.
La sénatrice Clement : Je comprends la distinction pour les communautés autochtones, et c’est juste. J’hésite, parce que lorsque vous dites que le système est équitable, certains d’entre nous ne pensent pas qu’il le soit déjà. Même si nous avons un contrôle judiciaire, certaines communautés n’ont pas l’impression que nous nous attaquons vraiment aux problèmes systémiques inhérents au système, mais il s’agit d’une question distincte des questions autochtones, absolument. Je tenais à le souligner. Merci.
La sénatrice Batters : Je voudrais simplement répondre à la question de la sénatrice Clement sur la raison pour laquelle aucun avocat des libertés civiles ne figure sur la liste des témoins. En tant que vice-présidente du comité directeur, je sais que nous avons invité l’Association du Barreau canadien, qui a décliné l’invitation, ainsi qu’un éminent avocat criminaliste. J’avais la même question, et je tiens toujours à ce qu’il y ait un équilibre. Malheureusement, cette personne a également décliné notre invitation. Nous avons eu de la difficulté à obtenir des témoins ayant ces points de vue, mais oui, nous avons essayé.
Le président : C’est une chose que je n’ai plus besoin de mentionner maintenant. Merci, sénatrice Batters.
La sénatrice Simons : Madame Siemiatycki, dans vos communautés, je suppose qu’il n’y a pas la livraison à domicile. Lorsque le courrier arrive, y a-t-il une période pendant laquelle on peut le fouiller avant qu’il ne se rende dans les boîtes aux lettres des gens? Comment cela fonctionne-t-il?
Mme Siemiatycki : Sénatrice, j’aimerais répondre ultérieurement à cette question, si vous le permettez, car je ne voudrais pas me tromper et déformer les faits devant le comité. C’est une bonne question, et il serait utile que je puisse vérifier ce qu’il en est dans les communautés.
La sénatrice Simons : C’est une question technique que je voulais comprendre. Merci.
Le sénateur Dalphond : Y a-t-il une succursale postale dans chaque réserve?
Mme Siemiatycki : Non.
Le sénateur Dalphond : Le courrier est-il toujours en cours de transmission lorsqu’il se trouve dans la succursale postale si elle est dans la réserve? Il est toujours en cours de transmission et ne peut donc pas être saisi tant qu’il n’a pas été livré à une adresse ou tant que quelqu’un n’est pas venu le chercher. Je me demandais s’il y avait des succursales postales.
Mme Siemiatycki : Encore une fois, je vais devoir vérifier, parce que je ne voudrais pas donner une réponse qui ne serait pas exacte pour les sept communautés. Nous avons quatre communautés éloignées qui sont accessibles par avion. En ce qui concerne la façon dont le courrier leur est livré comparativement aux trois communautés qui, bien qu’elles soient rurales, peuvent se trouver à une ou deux heures d’une ville de la région, la situation du courrier sur le terrain et la façon dont il est traité seront différentes. Je me ferai un plaisir de m’informer à ce sujet, et nous pourrons fournir de plus amples renseignements au comité.
Le président : Je remercie nos témoins de leur temps et des réponses qu’ils nous ont données aux questions que nous avons posées, et qui nous ont permis de mieux comprendre le projet de loi. Je tiens à vous remercier d’avoir pris le temps de venir témoigner devant nous.
Chers collègues, pour notre deuxième groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir le chef Michael Yellowback, de la nation crie Manto Sipi. Nous accueillons également la cheffe Betsy Kennedy de l’Assemblée des chefs du Manitoba.
Nous accueillons aussi, par vidéoconférence, Ghenadie Odobescu, président de TITAN Sécurité, et Pierre Jacques, vice-président, Projets spéciaux. Malheureusement, en raison de difficultés techniques, nous n’entendrons pas M. Odobescu, mais je crois comprendre que c’est M. Jacques qui fera l’exposé principal.
Nous invitons maintenant le chef Yellowback et M. Jacques à prendre la parole pendant environ cinq minutes chacun, après quoi nous passerons aux questions et aux discussions avec les sénateurs.
Vous avez la parole, chef Yellowback.
Michael Yellowback, chef, Assemblée des chefs du Manitoba : [Note de la rédaction : Le chef Michael Yellowback s’exprime dans une langue autochtone.]
Je suis heureux que le Sénat me donne l’occasion de faire une déclaration au nom de l’Assemblée des chefs du Manitoba. Je suis le chef Michael Yellowback de la nation crie Manto Sipi. Je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui du projet de loi S-256.
Je comparais devant vous aujourd’hui au nom de l’Assemblée des chefs du Manitoba ou ACM. L’ACM est l’organisme de coordination politique et technique des 63 Premières Nations du Manitoba. En tant que membre du Comité des chefs sur la justice de l’ACM, et en reconnaissance de la perte récente de la grande cheffe Cathy Merrick, je vous présenterai aujourd’hui les observations de l’ACM.
La contrebande de drogues et d’alcool est un problème persistant et dévastateur pour de nombreuses Premières Nations du Manitoba. La nation crie Manto Sipi se trouve dans une région éloignée du Nord du Manitoba uniquement accessible par les routes d’hiver et le transport aérien.
En tant que chef de la nation crie Manto Sipi, j’ai vu les effets de la drogue et de l’alcool sur la vie des citoyens de la nation crie Manto Sipi et les problèmes sociaux destructeurs qui en découlent, comme la négligence des enfants, la maltraitance des aînés et les pertes de vie.
Les chefs de l’ACM ont eu une discussion approfondie sur la contrebande de drogues et d’alcool en octobre 2022 lors de l’assemblée générale annuelle de l’ACM. À ce moment-là, les chefs réunis en assemblée ont discuté de la question des articles illégaux, y compris les drogues, envoyés aux Premières Nations par la poste, en particulier aux membres des Premières Nations du Nord et isolées du Manitoba.
Dans le cadre de cette discussion, les chefs en assemblée ont fait remarquer que la loi autorise Postes Canada à ouvrir le courrier dans certaines situations. Toutefois, cette autorisation ne s’applique pas aux lettres. En excluant les lettres, on permet le transport d’articles comme le fentanyl. Comme vous le savez probablement, le fentanyl est un opioïde synthétique qui est beaucoup plus puissant que les autres opioïdes. Même quelques grains de fentanyl peuvent entraîner une surdose ou la mort.
Les chefs en assemblée s’opposent fermement à toute échappatoire législative permettant la transmission de drogues aux Premières nations. Par conséquent, l’ACM a adopté la résolution OCT-22.04, qui porte sur la saisie des produits de contrebande dans les communautés des Premières Nations, demandant que des modifications soient apportées à la législation existante pour empêcher la contrebande d’entrer dans les communautés des Premières Nations.
À la nation crie Manto Sipi, le chef et le conseil préconisent tous les recours disponibles pour interdire la contrebande de drogues et d’alcool. Nous avons adopté un nouveau règlement administratif en vertu de la Loi sur les Indiens, et nous participons actuellement à un projet pilote dans le cadre duquel nos agents de sécurité des Premières Nations qualifiés peuvent fouiller les sacs et le fret à l’aéroport de Gods River, à Manto Sipi. Lorsque ces fouilles ont commencé il y a à peine deux jours, de grandes quantités de cocaïne et de crack ont été confisquées à l’un des passagers qui débarquaient du vol régulier de la compagnie aérienne.
Même avec ces mesures, tant que la Loi sur la Société canadienne des postes exclura les lettres, le trafic de drogue par la poste se poursuivra. Cela a des répercussions profondes. Les trafiquants de drogue utilisent le système postal pour acheminer des drogues dans notre communauté. Nous sommes impuissants dans ce domaine parce que nous n’avons pas le droit de perquisitionner Postes Canada. Même lorsqu’une personne sort avec son courrier, nous ne pouvons toujours pas faire de fouille. Que ce soit dans les réserves ou à Postes Canada, nous sommes encore limités. Nous espérons que ce projet de loi pourra être appuyé dans le cadre de ce processus législatif.
Notre principale priorité est de sauver la vie des membres de notre communauté. En mars 2023, nous avons perdu une jeune fille de 18 ans, qui a laissé derrière elle un enfant d’un an, à cause de la contrebande d’alcool dans notre communauté.
Cela a des effets dévastateurs sur nos communautés autochtones, pas seulement à Manto Sipi. C’est la raison pour laquelle nous sommes de fervents défenseurs de ces changements législatifs pour notre communauté afin qu’elle se porte bien et que nous puissions y vivre comme notre peuple vivait il y a longtemps — comme un peuple fort et solide. Ce sont les vestiges du système des pensionnats indiens qui ont eu un impact sur nos communautés. Dans le cadre de ce processus législatif, nous voulons changer une partie de Postes Canada afin de créer un meilleur environnement pour les communautés concernées. Je vais m’arrêter là pour l’instant.
Le président : Merci beaucoup, chef. Je donne maintenant la parole à M. Jacques.
[Français]
Pierre Jacques, vice-président, Projets spéciaux, TITAN Sécurité : Merci. Je suis désolé de ne pouvoir être présent avec vous aujourd’hui. Je souffre de la COVID, sinon j’aurais été heureux d’être là.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m’offrir l’occasion de partager nos réflexions et nos analyses, qui se basent sur plus de 35 années de travail, de recherche et d’opérations, tant comme policier maître-chien, instructeur maître-chien ou officier en mesure d’urgence ainsi que pour le service privé et les services de protection.
D’entrée de jeu, j’aimerais confirmer que nous avons lu le projet de loi S-256 et nous sommes d’accord avec ce qui y est proposé.
Nous aimerions maintenant respectueusement faire des propositions additionnelles sur un aspect qui semble avoir été oublié et qui est incontournable et indispensable au succès du projet : la détection des stupéfiants.
Vous n’êtes pas sans savoir que le Canada, comme la plupart des pays occidentaux, est aux prises avec une invasion de drogues synthétiques, dont le fentanyl en particulier. Le Canada s’est malheureusement fait une mauvaise réputation internationale dans ce domaine, ce qui m’a été confirmé récemment lors de mes échanges avec un expressiste qui exporte en Australie. Le fentanyl et les autres drogues de synthèse font des ravages dans nos communautés, et particulièrement dans les communautés autochtones. M. Larose, directeur de police du Nunavik, est bien au fait de la situation, pour en avoir déjà discuté avec lui.
Ce qui nous semble manquer dans le projet de loi touche des actions précises qui permettraient à Postes Canada de prévenir la distribution de ces stupéfiants en interceptant certains paquets lors du transit dans les communautés. Pourtant, l’interception de colis avant qu’ils n’arrivent à destination est des plus cruciales. Nous pouvons décider d’attaquer le problème en amont et en aval pour avoir plus de succès, ou bien faire les deux à la fois.
Lorsqu’on parle de prévention et de répression policière, les ressources humaines au sein de nos corps policiers viennent rapidement à manquer. Les raisons budgétaires sont en partie responsables. Il faut trouver une solution pour soutenir et réduire les coûts liés à la formation des équipes. En 2021, Postes Canada a déjà envisagé de constituer une unité de détection à l’aide de chiens de la GRC. Toutefois, le manque d’effectifs a mis un stop à ce projet. Nous avons aussi été contactés dans le cadre privé — je n’étais pas dans la compagnie à cette époque, mais la compagnie avait été contactée.
Bref, il est impératif pour nos communautés et le Canada tout entier d’engager la participation du secteur privé, qui possède déjà ces capacités dans un programme qui existe actuellement pour les fouilles de cargo et de fret aérien en détection d’explosifs. Il s’agit du programme EMCEDE de Transports Canada. De plus, le secteur privé fait déjà la sécurisation de stades ou d’enceintes sportives ou de grands événements sous l’égide de promoteurs ou compagnies en employant des chiens renifleurs qui assistent les autorités locales.
Les statistiques parlent d’elles-mêmes. Un chien renifleur peut, à lui seul, inspecter plusieurs colis ou envois postaux en quelques secondes avec un excellent taux de réussite. C’est beaucoup plus que ce que peuvent faire des inspections visuelles ou des fouilles avec des appareils de radiographie, qui sont coûteuses et qui nécessitent un entretien constant et des réparations — on ne se le cachera pas.
Pour nous assurer qu’un tel service est instauré, nous croyons qu’il est nécessaire d’inscrire dans la loi l’autorité et la fonction pour une entité fédérale. Il peut s’agir de Postes Canada ou de Santé Canada, qui émet déjà les trousses de stupéfiants à des fins d’entraînement, notamment pour l’Agence des services frontaliers et les organisations policières au Canada. On pourrait ainsi permettre à cette autorité de légiférer et de mettre en place un programme privé de certification des équipes, comme le fait déjà Transports Canada pour la détection d’explosifs.
En plus d’assurer une meilleure détection du trafic de drogues illégales, plusieurs avantages sociaux importants viendraient bonifier le projet. En effet, la mise en place d’un tel service permettra de créer des emplois permanents dans l’industrie de la sécurité et dans les communautés autochtones, qui seront à même de conserver le savoir et l’expertise qui en découleront, contribuera substantiellement à la lutte contre le trafic de drogues et permettra de redorer la réputation du Canada en matière de lutte contre les trafiquants internationaux et nationaux. Bref, on peut même parler de pays, je suis persuadé que vous comprenez tout cela. Ce serait un projet gagnant pour tout le monde, qui sauverait ultimement la vie de jeunes Canadiens et qui protégerait et améliorerait la qualité de vie des citoyens canadiens.
Merci encore une fois de nous avoir donné la possibilité de partager avec vous le fruit de notre expérience et de notre expertise. J’ai bien hâte de continuer la discussion avec vos questions. Merci.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Tout d’abord, je tiens à exprimer mes condoléances aux chefs de l’Assemblée des chefs du Manitoba pour la perte récente de leur grande cheffe. Cela doit vous laisser un grand vide sur le plan personnel et pour votre organisation. Merci beaucoup d’être venus ici aujourd’hui et d’avoir expliqué vos préoccupations au sujet de cette question très importante et de son lien avec votre communauté.
Pendant la préparation des modifications à la Loi sur la Société canadienne des postes dans le cadre du projet de loi C-47 — alors que cela faisait partie de la loi d’exécution du budget du gouvernement —, je me demande si le gouvernement a consulté l’Assemblée des chefs du Manitoba à ce moment-là. S’il l’a fait, était-il au courant des amendements que vous souhaitiez, comme le retrait des mots « à l’exclusion des lettres » et le retrait du paragraphe 40(3)? Si oui, comment a-t-il réagi à ces recommandations?
Betsy Kennedy, cheffe, Assemblée des chefs du Manitoba : Bonjour. Je suis la porte-parole de l’Assemblée des chefs du Manitoba.
En ce qui concerne Postes Canada et le projet de loi C-47, nous n’avons été informés d’aucun changement, mais des problèmes plus vastes ont été soulevés à plusieurs reprises en raison des préoccupations que nous avons dans nos communautés au sujet des drogues qui entrent au pays. Les vendeurs de drogue font des ravages, et nous voulons nous assurer que les colis qui passent par Postes Canada sont vérifiés, puisque ces colis sont maintenant distribués dans la communauté.
Dans d’autres communautés, il y a aussi des inquiétudes parce que ce sont des drogues illicites et très dangereuses. Si nous ne faisons rien, nous perdrons nos jeunes parce que c’est un sujet d’inquiétude au Canada.
J’avais marché avec des familles qui avaient perdu leurs enfants. Ils n’avaient jamais pris de drogue auparavant, et c’était la première fois qu’ils en consommaient. C’est ce qui nous préoccupe. Nous aimerions que ces changements soient apportés à la Loi sur la Société canadienne des postes et qu’il y ait des chiens renifleurs pour ces colis. Je sais que les chiens sont très bons dans ce qu’ils font, et même s’il y a un résidu après la vérification, un autre chien et un autre maître-chien reviendront voir la même personne. Ils sont efficaces dans ce qu’ils peuvent faire pour nous aider. Merci.
La sénatrice Batters : Je comprends cela. Y a-t-il quelqu’un au gouvernement à qui vous avez fait part de ces préoccupations? Veuillez me le faire savoir. De plus, croyez‑vous qu’il est essentiel, compte tenu des préoccupations que vous avez soulevées, de permettre l’inspection des lettres par les inspecteurs? Pensez-vous que cela pourrait améliorer concrètement la sécurité des Premières Nations, particulièrement dans les régions éloignées?
M. Yellowback : Je vous remercie de la question. En ce qui concerne les personnes impliquées dans des activités illégales, elles ne manquent pas d’imagination pour faire entrer illégalement des produits illicites dans notre communauté. Il y aura de plus en plus de tentatives de contrebande dans notre collectivité maintenant que nous avons commencé les fouilles dans les aéroports. Une des choses dont nous avons besoin, c’est d’avoir des inspecteurs accrédités au niveau communautaire, parce que nos agents de sécurité des Premières Nations sont accrédités et autorisés à faire des fouilles et à saisir toute substance intoxicante qui entre au pays. S’ils découvrent de la drogue, ils peuvent la confisquer, l’enfermer dans un coffre-fort, et la GRC peut venir le lendemain pour récupérer les produits qui ont été confisqués.
Dans notre communauté, nous n’avons pas de détachement de la GRC. Il est difficile pour nous de tout arrêter, mais en même temps, nous essayons de faire notre part. Mais il y a maintenant une échappatoire au bureau de Postes Canada. Certaines de ces personnes utilisent des lettres, et d’autres ont fait entrer clandestinement de l’alcool et des drogues par la poste. Une des choses qui arrivent souvent, c’est que même si la marijuana a été légalisée, elle reste illégale chez nous. La quantité de marijuana expédiée dans notre communauté augmente. C’est l’une des choses vers lesquelles nos jeunes se tournent, et même les mineurs commandent de la marijuana en ligne. Ils utilisent des noms d’adultes simplement pour se la faire expédier.
Quelque chose doit changer parce qu’il faut mettre en place un mécanisme plus strict pour les entreprises qui vendent en ligne lorsque des mineurs commandent de la marijuana par la poste. Il y a quelque chose qui cloche sur ce plan-là.
La sénatrice Batters : Surtout compte tenu des répercussions sur la santé mentale chez les jeunes. Merci.
Le président : Allez-y, sénateur Dalphond, qui parraine le projet de loi.
Le sénateur Dalphond : Je vais commencer par les chefs. Merci beaucoup d’être ici.
Je partage votre chagrin devant la perte soudaine de Cathy Merrick. C’était une excellente cheffe. Elle était en train de répondre aux questions des journalistes quand elle s’est effondrée. C’est une perte tragique pour tout le monde.
Je veux aussi remercier l’Assemblée des chefs du Manitoba parce que vous avez adopté une motion à l’appui de mon projet de loi. Je comprends cela.
Je ne sais pas si vous étiez ici avant, mais nous avons entendu des groupes de l’Ontario qui ont proposé que les groupes autochtones aient la capacité d’adopter des règlements ou des lois qui obligeraient Postes Canada à filtrer tous les articles de courrier, les lettres et les colis livrés dans une réserve donnée, par exemple. Qu’en pensez-vous? Êtes-vous en faveur de cela?
M. Yellowback : Nous sommes tout à fait d’accord. Le règlement que nous avons adopté en août 2023 vise les substances intoxicantes et tout article illicite qui est confisqué. Depuis 1989, nous avons élaboré ce règlement sur les substances intoxicantes en vertu de la Loi sur les Indiens. Au cours des 30 dernières années, il a été difficile de faire en sorte que ce règlement soit pleinement reconnu et appliqué par la GRC et la communauté judiciaire. Nous avons dû emprunter une autre voie pour que notre règlement soit pleinement appliqué et reconnu par la GRC et la communauté judiciaire. Nous avons dû participer à ce projet pilote avec l’organisation des chefs pour que ce règlement soit élaboré et reconnu.
Cela a été une réussite pour nous parce que notre communauté est un chef de file en ce qui concerne le nouveau règlement qui a été élaboré. De plus, sous l’autorité du gouvernement provincial, nous avons eu des fonctionnaires canadiens qui ont travaillé avec nous et qui se sont associés à nous à cet égard, y compris la GRC et le Service des poursuites pénales du Canada. Nous sommes donc satisfaits à cet égard, mais il y a encore des lacunes, et ce, du côté de Postes Canada. Nous devons procéder à un examen complet pour nous assurer que notre règlement s’étend à Postes Canada afin de permettre la fouille de tout le courrier qui arrive, y compris les lettres.
Le sénateur Dalphond : C’était ma prochaine question, et vous allez droit au but; cela me plaît.
Avez-vous discuté avec Postes Canada de façons d’améliorer le système et de mieux vous protéger au lieu de simplement livrer des produits qui vont tuer des gens? Je crois savoir qu’au Nunavik, il y a des services de police, et Postes Canada avait un projet spécial qui a connu beaucoup de succès. Y a-t-il eu des tentatives de la part de Postes Canada pour communiquer avec vous et conclure une entente afin de mettre fin à la distribution de produits dangereux dans vos communautés?
M. Yellowback : Nous avons rencontré des représentants de Postes Canada dans la région du Manitoba en 2023 et, plus récemment, en février dernier. Nous avons discuté avec eux de la façon dont Postes Canada peut nous aider à cet égard. En même temps, ils étaient limités dans ce qu’ils pouvaient faire. Nous leur avons communiqué notre règlement sur les boissons alcoolisées. Parfois, lorsqu’ils soupçonnent qu’un colis contient des substances intoxicantes, ils peuvent le saisir. Ils ne peuvent rien faire contre les drogues et l’alcool.
Pour la contrebande de drogues courantes, comme la cocaïne, le crack et même la marijuana, ils sont limités à cet égard parce que notre règlement ne s’applique pas à ces produits.
Le sénateur Dalphond : Merci.
Le sénateur Prosper : Merci, chefs, d’être venus, et je remercie également M. Jacques de sa présence.
J’aimerais commencer par vous, chef Yellowback, et souligner les efforts que vous avez déployés pour faire reconnaître votre règlement sur les substances intoxicantes. J’imagine que ce n’était pas facile.
Comme je viens d’une communauté des Premières Nations et que j’ai déjà été chef d’une communauté des Premières Nations, je sais que nous pouvons rédiger des règlements administratifs et les approuver, mais il s’agit d’amener les autres à les prendre au sérieux, que ce soit les tribunaux ou la GRC.
Pouvez-vous nous parler un peu du processus que vous avez dû suivre pour que les gens prennent votre règlement au sérieux?
M. Yellowback : Tout a commencé en novembre 2022. C’est à ce moment-là que nous avons élaboré notre premier règlement. En décembre 2020, la GRC a accusé cinq de nos agents de sécurité des Premières Nations, dont deux membres élus du conseil, d’avoir tenté de prévenir l’entrée de drogues dans notre communauté, au lieu de s’en prendre aux trafiquants de drogue. À ce moment-là, ces trafiquants parcouraient les médias sociaux et la communauté en disant : « Nous sommes intouchables. La loi est de notre côté. » À mon avis, il y avait quelque chose qui clochait dans le tableau.
Nous avons des élus et des gens embauchés pour protéger notre communauté, mais ils ont été accusés d’avoir tenté de prévenir la circulation de la drogue. C’est ce qui a incité mon conseil et moi-même à faire quelque chose à ce sujet — pour ne plus jamais, au grand jamais, voir des membres du conseil ou même des agents de sécurité des Premières Nations, être accusés alors que ce qu’ils font est bien.
Au lieu de cela, la loi a donné raison à ceux qui commettaient des actes répréhensibles. Ce n’est pas juste. Pour notre part, nous nous sommes adressés aux hauts fonctionnaires de Sécurité publique, ainsi qu’au ministère fédéral de la Justice et au ministère provincial de la Justice. Nous avons répété à chaque réunion que les choses vont de travers. Nous avons besoin d’un meilleur système.
Nous sommes donc des élus de nos communautés. Nous avons le pouvoir d’élaborer des règlements administratifs, comme n’importe quel gouvernement élu peut le faire, comme les règlements municipaux. Ils sont reconnus. Ils sont appliqués.
Quelle est la différence avec les gouvernements autochtones qui élaborent leurs propres règlements? Comment se fait-il qu’ils ne soient pas reconnus? C’est aussi l’une des raisons qui nous ont poussés à faire reconnaître celui-là.
Petit à petit, tout s’est mis en place. Lorsque nous avons rencontré les hauts fonctionnaires du Canada ici, nous nous sommes rendus à plusieurs reprises à Ottawa pour des réunions, et nous avons également rencontré des représentants de la province du Manitoba à Winnipeg. Par la suite, nous avons enfin eu le résultat dont nous avions besoin, à savoir que la GRC, la communauté juridique et le Service des poursuites pénales du Canada allaient enfin reconnaître notre règlement.
La route a été longue et difficile. Malheureusement, comme je l’ai mentionné plus tôt, la vie d’une jeune fille de 18 ans a été perdue. Cela a renforcé notre conviction. Une vie perdue est une vie de trop. Quelque chose doit changer. C’est pourquoi je suis ici aujourd’hui pour veiller à ce que le projet de loi sur Postes Canada soit adopté, car nos populations autochtones doivent être en sécurité.
Il faut commencer en ciblant ces trafiquants de drogue. Des organisations criminelles viennent même sur nos territoires parce qu’on leur dit qu’elles peuvent vendre leurs produits illégaux aux membres de nos communautés.
Ce sont les gens qui souffrent. Nos enfants souffrent. Nos aînés sont victimes d’abus émotionnel et financier. Je deviens un peu émotif et en colère quand je parle du sort de mon peuple.
Je viens ici avec mon cœur. Ces gens m’ont accordé le privilège de les représenter avec vigueur pour défendre leur bien-être.
La sénatrice McCallum : Je travaille souvent avec Manitoba Keewatinowi Okimakanak et les gens du Manitoba. Combien de temps durera le projet pilote dont vous parlez?
M. Yellowback : Il est censé prendre fin en juin de l’an prochain. Il peut aussi être prolongé. De nombreuses communautés du Manitoba, et même de tout le Canada, souhaitent déjà y participer.
La sénatrice McCallum : Étant donné que moins de marchandises sont transportées sur la route en hiver, avez-vous remarqué une augmentation des envois postaux? Selon mon souvenir, la GRC n’assure pas les barrages routiers de manière uniforme. Elle a refusé de mettre en place des barrages routiers à certains endroits.
M. Yellowback : Oui.
La sénatrice McCallum : Même si les agents ont arrêté un grand nombre de personnes.
Pensez-vous qu’on utilisera davantage le courrier?
M. Yellowback : Oui, d’autant plus qu’un nouvel accord de gestion s’appliquera aux agents de sécurité autochtones; leur pouvoir de fouille et de saisie sera étendu à notre section du réseau de routes d’hiver.
La sénatrice McCallum : Pouvez-vous nous donner un exemple de ce qu’ils ont trouvé lorsqu’ils ont mis en place un barrage routier? Ils ne l’ont fait qu’une seule fois l’an dernier, n’est-ce pas?
M. Yellowback : Il y avait des drogues et de grandes quantités de médicaments d’ordonnance. Je crois qu’il y avait une grande quantité de substances intoxicantes comme du rye, de la vodka et des drogues.
La sénatrice McCallum : Les policiers fouillaient aussi des gens. Je pense qu’ils ont arrêté 75 personnes.
M. Yellowback : Oui.
La sénatrice McCallum : Je voulais illustrer à quel point nos communautés sont la cible de personnes qui gagnent de l’argent de manière illégale. Même si elles sont minuscules et isolées, elles sont très ciblées. L’aide du gouvernement est nécessaire pour assurer la sécurité, n’est-ce pas?
M. Yellowback : Oui.
La sénatrice McCallum : D’accord.
La sénatrice Simons : Ironiquement, les sénateurs s’apprêtent à prendre une photo pour la Journée du chandail orange. Je pense qu’il est plus important que nous soyons ici maintenant.
Tansi et hiy hiy d’être avec nous.
Je voudrais savoir dans quelle mesure vos dispositions contre les substances intoxicantes ont été efficaces pour empêcher les drogues et l’alcool d’entrer dans vos réserves les plus éloignées, et quelle est l’ampleur du problème de la criminalité organisée par rapport à la prohibition. Le problème, souvent, c’est que lorsqu’on rend quelque chose illégal, surtout quelque chose comme l’alcool et le cannabis qui sont légaux ailleurs, cela crée parfois un plus gros problème de criminalité organisée.
Pouvez-vous me dire dans quelle mesure les programmes ont été efficaces dans l’ensemble?
M. Yellowback : En vertu de l’article 8 de la Loi sur les Indiens, l’interdiction de l’alcool a toujours existé depuis sa création à la fin des années 1870. Toutefois, la mise en place de ces règlements n’a servi à rien puisque la GRC et le milieu juridique ne les ont pas reconnus.
Il nous a fallu un certain temps pour faire appliquer notre règlement renforcé sur les substances intoxicantes, car nous avons dû améliorer notre entente de gestion et former nos agents de sécurité autochtones. Ce n’est donc que depuis ces derniers jours que nous nous sommes pleinement résolus à retourner à...
La sénatrice Simons : C’est donc très nouveau pour vous?
M. Yellowback : Oui, c’est très nouveau pour nous en ce moment. C’est un nouveau processus pour nous, il est donc difficile de répondre à votre question sur ce que cela impliquera à l’avenir. Mais nous sommes également préparés à cela, car avec la diminution des opioïdes et des substances intoxicantes, certains toxicomanes subiront des sevrages. Nous avons mis en place des mécanismes pour les aider, mais, en même temps, nous prévoyons qu’un plus grand nombre de produits illégaux transiteront par Postes Canada.
La sénatrice Simons : Cheffe Kennedy, vous avez mentionné — et c’est vrai; le fentanyl peut vous tuer la première fois que vous l’essayez. Je ne veux pas minimiser les problèmes liés au fentanyl, mais l’alcool est-il le plus important problème que vous rencontrez?
Mme Kennedy : Les statistiques confirment que l’alcool a donné lieu à de nombreux abus. C’est là que tout a commencé. De nombreuses Premières Nations ont sombré dans l’alcoolisme. Je ne crois pas que le mot « dépendance » soit apparu récemment; je pense qu’il existe depuis longtemps. Souvent, les gens éprouvent encore beaucoup de traumatismes, et ils ne peuvent pas obtenir d’aide — c’est simplement l’un des moyens qu’ils utilisent pour faire face à la situation, et la dépendance est là.
La sénatrice Simons : Je me demande si c’est un peu comme une digue percée de plusieurs trous, non? Nous essayons d’empêcher les drogues d’entrer. De quoi votre communauté a‑t‑elle besoin pour aider vos gens à suivre un traitement de toxicomanie, à recevoir des soins de santé mentale et à trouver des emplois, de la formation et de l’espoir afin qu’ils ne deviennent pas toxicomanes? Mettre des pansements sur le problème est une chose, mais il s’agit en fait de le résoudre et de surmonter les couches de traumatismes intergénérationnels pour aider les gens à être en bonne santé et à se sentir bien.
Mme Kennedy : Je suis heureuse que vous l’ayez mentionné. Nous avons déployé beaucoup d’efforts pour aider les toxicomanes.
Il est très difficile d’obtenir de l’aide de Santé Canada parce que ses ressources sont si limitées que nos membres doivent attendre des mois avant de recevoir des traitements. À ce moment-là, les gens ne peuvent probablement pas attendre — tout le monde se fiche d’eux, et ils continuent à mener ce style de vie.
Si nous avions des moyens pour aider ces gens et prévenir leurs dépendances — et trouver comment et pourquoi elles se produisent — je suis certaine qu’ils obtiendraient de l’aide et de la formation, et qu’ils pourraient parler à des personnes formées dans nos propres communautés, parce que cela concerne nos jeunes. Ils commencent à consommer très tôt maintenant. L’alcool est un des plus graves problèmes à l’heure actuelle, et il mène à d’autres drogues plus fortes.
M. Yellowback : Permettez-moi d’ajouter quelque chose quant aux effets dévastateurs de l’alcool dans nos communautés. Mon fils a été tué par un chauffard en état d’ébriété. Il a laissé derrière lui quatre enfants. J’ai dû vivre avec cela tous les jours parce qu’un conducteur ivre lui a enlevé la vie.
De plus, lorsque vous parlez de centres de traitement, nous préconisons toujours d’en avoir dans notre propre arrière-cour, là où il n’y en a pas — parce que l’une des choses que nos aînés nous ont dites dans nos communautés, c’est que nous devons traiter nos gens. S’ils sortent, ils rechuteront parce qu’il y a beaucoup de drogues et d’alcool là où ils se rendent. Si nous avions des centres de traitement dans nos propres arrière-cours, nous avons des programmes rattachés au territoire et des camps culturels dans nos communautés auxquels nous pouvons accéder et que nous pouvons utiliser. Mais nous avons besoin de financement pour appuyer cela au lieu de dépenser littéralement 30 000 $ ou 50 000 $ pour ces centres de traitement lorsque nous envoyons des membres de notre communauté. Et cela pour une seule personne.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup de nous avoir raconté cette histoire très personnelle. Nous sommes tous désolés de votre perte.
La sénatrice Clement : Bonjour. Merci. Comme mes collègues, je vous offre mes condoléances.
Je tiens également à vous exprimer ma gratitude, et je le ferai en disant nia:wen, qui signifie « merci » en mohawk, parce que ma communauté d’origine se trouve sur le territoire traditionnel mohawk. Nia:wen, merci d’être ici et de partager.
Je vais poser mes questions, puis je vais m’arrêter. J’ai une question à poser à M. Jacques, et je la poserai ensuite à la cheffe Kennedy.
Chef Yellowback, je vous remercie de nous avoir parlé dans votre langue. Il est important de l’entendre ici.
Ma première question s’adresse à M. Jacques.
[Français]
Monsieur Jacques, vous avez parlé des chiens renifleurs. Cela m’intéresse. Hier, on a eu une présentation sur la technologie permettant d’améliorer le dépistage. Vous avez mentionné que les chiens renifleurs seraient un projet qui coûterait moins cher que la technologie. Je trouve cela intéressant, parce que les communautés que je représente et moi-même éprouvons parfois une certaine méfiance face à la technologie, qui a tendance à amplifier le racisme systémique. J’aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.
Avant, je vais poser une question à la cheffe Kennedy.
[Traduction]
Cheffe Kennedy, je crois que vous êtes la femme cheffe qui est restée en poste le plus longtemps au Manitoba. Je suis très honoré d’échanger avec vous.
J’ai posé une question à M. Jacques au sujet des chiens renifleurs, et vous en avez parlé dans vos commentaires. Dans quelle mesure le dépistage est-il rassurant? Je sais que cela dépasse la portée du projet de loi, mais il se peut que nous apportions des amendements qui faciliteront le dépistage et son utilisation dans vos communautés. Quelle est votre réaction, ou pouvez-vous approfondir cette question?
Mme Kennedy : Nous avons une centrale hydroélectrique où travaillent bon nombre de nos Premières Nations. Nous étions préoccupés par l’introduction de drogues dans le site hydroélectrique et dans le complexe. De 1 500 à 2 500 personnes y travaillaient, et nous étions soucieux de savoir comment la drogue y parvenait. Il nous a fallu deux ans, puis nous avons demandé que des chiens viennent s’assurer que nos membres ne ramenaient pas de la drogue à la maison, car nous avions constaté qu’il y avait de plus en plus de drogues dans notre communauté. En fait, on n’avait jamais — je ne devrais pas dire « jamais », mais la quantité de drogues qui entraient dans la communauté provenait des camps, parce c’est là qu’on expérimentait avec elles.
Lorsque nous avons abordé cette question en qualité de leaders dans notre région, on a fait venir ces chiens pour nous aider à dépister la drogue, et ils ont été très efficaces. Quand les gens arrivaient, ils s’asseyaient et on amenait les chiens. On ne révélait pas la date et l’heure; cela pouvait se produire à n’importe quel moment. Les chiens savaient dans quelles chambres aller. Ils étaient très utiles, et c’est la raison pour laquelle je l’ai mentionné plus tôt.
La sénatrice Clement : C’était un facteur dissuasif?
Mme Kennedy : Oui.
La sénatrice Clement : Merci, cheffe Kennedy.
Qu’en pensez-vous, monsieur Jacques?
[Français]
M. Jacques : Ma réponse aura deux volets. Je commencerai avec les appareils de radiographie. Il est sûr que, pour opérer ces appareils, nous avons besoin de techniciens qualifiés. L’achat de ces appareils de radiographie est très coûteux. Une fois que l’appareil est en fonction, il faut le calibrer et s’assurer qu’il fonctionne bien. Puisque nous sommes au Canada, nous devons travailler avec des températures extrêmes, tant le froid que la chaleur. Même s’ils sont situés dans les entrepôts, il faut que ces appareils soient capables de bien fonctionner dans ce type d’environnement. C’est une particularité, et cela signifie que l’on se retrouve souvent avec des défectuosités avec ces appareils.
Pour le deuxième volet, l’entraînement des chiens, je ne dis pas qu’il n’y a pas de coûts qui sont liés à cela, et c’est pour cela que j’ai abordé cette question dans mon introduction.
La GRC et la Sûreté du Québec ont déjà tenté l’expérience d’accompagner Postes Canada; ils le font avec les effectifs qu’ils ont en place, que ce soit le centre d’apprentissage des chiens à Rigaud, qui entraîne les chiens de l’Agence des services frontaliers du Canada, ou le Service correctionnel du Canada; les instructeurs sont très occupés à remplacer les équipes ou à entraîner de nouvelles équipes pour remplacer celles qui partent.
Bien sûr, si on demande d’ajouter des équipes, il faudra ajouter du personnel entraîneur et améliorer la structure de formation des formateurs. Il y aura un coût inhérent à cela.
C’est la même chose pour les organisations policières. Chaque organisation policière a son personnel instructeur pour entraîner ses chiens. Si je fais la comparaison avec les chiens policiers, ce sont souvent des chiens généralistes qui sont entraînés avec une spécialité en détection, notamment les stupéfiants, mais qui peuvent aussi détecter différentes odeurs, comme l’argent canadien et américain, les armes à feu ou même l’alcool.
C’est pour cela que j’ai une proposition à faire — et cela existe déjà chez Transports Canada—, où ce serait une tierce partie, soit Postes Canada ou Santé Canada, qui pourrait légiférer sur ce programme, mais qui mettrait des certifications en place pour des équipes privées. Cela permettrait de soutenir les organisations policières ou l’Agence des services frontaliers du Canada dans cette lutte aux trafiquants.
On a entendu parler des drames vécus par les gens des communautés; c’est difficile à entendre. Ce qu’on essaie de faire ici, c’est de proposer des solutions dans le but d’aider ces communautés et d’aider les gens de nos municipalités ou de nos MRC; cela va de soi.
C’est ce que je peux répondre à votre question. Merci.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Monsieur Jacques, j’ai eu le plaisir de visiter vos installations. Pourriez-vous nous dire quel est le taux de succès pour la détection de la drogue dans les aéroports américains, où les chiens sont utilisés régulièrement?
M. Jacques : Dans les aéroports américains, c’est la Transportation Security Administration (TSA) qui valide ces équipes. Bien sûr, je n’ai pas toutes les statistiques ici; je pourrais les envoyer plus tard au comité, si vous le souhaitez.
Il est indéniable que l’utilisation des chiens renifleurs pour la détection des stupéfiants est un atout incontournable. Il s’agit seulement de bien entraîner les chiens. C’est pour cela que tout à l’heure je demandais si Santé Canada pouvait être impliqué.
En 2017, la GRC a mis au point une technique sans danger pour les chiens pour être en mesure de détecter le fentanyl. Je pense que les chimistes de Santé Canada pourraient être mis à contribution pour nous aider avec les opioïdes et faire en sorte que les chiens puissent détecter les drogues que l’on recherche. On peut entraîner des chiens avec des odeurs plus ciblées. Si c’est la méthamphétamine, le fentanyl ou d’autres substances, on peut entraîner les chiens en fonction de cela.
Tout à l’heure, j’écoutais une intervenante qui expliquait que, dans sa communauté, c’est le cannabis qui est un problème pour les jeunes, même si c’est légal. Actuellement, si je fais la transposition avec les organisations policières, il y a plusieurs organisations qui n’entraînent plus leurs chiens à la détection du cannabis. J’espère que cela peut répondre à votre question. Je vous reviendrai pour ce qui est des statistiques.
[Traduction]
Le président : Permettez-moi de remercier tout particulièrement le chef Yellowback et la cheffe Kennedy d’avoir parcouru une certaine distance pour nous faire part de leurs points de vue et nous permettre de mieux comprendre ce projet de loi et le potentiel qu’il peut offrir pour relever les défis auxquels vos communautés sont si souvent confrontées.
Je remercie également M. Jacques et M. Odobescu. Je vous remercie tous sincèrement, et je remercie les sénateurs d’être restés un peu plus longtemps que d’habitude. Je remercie également le personnel d’avoir fait de même.
La sénatrice Batters : Je voulais évoquer brièvement le fait que j’ai reçu une invitation — et je suis sûre que bon nombre d’entre vous l’ont reçue aussi — du ministre de la Justice, M. Virani, à une réunion sociale informelle à son bureau la semaine prochaine. Nous avions reçu une invitation semblable du ministre Virani lorsqu’il est devenu ministre de la Justice. Nous en avons discuté en séance publique au cours de cette réunion, et quelques-uns d’entre nous — moi y compris, ainsi que la sénatrice Jaffer et la sénatrice Dupuis à l’époque — ont dit que nous ne pensions pas que c’était approprié.
Dans cette invitation, je remarque qu’il s’agit d’un formulaire parce qu’il est écrit : « En raison de votre participation au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles ou de votre parrainage d’un projet de loi en matière de justice » — il n’est pas question de critiques. Il est indiqué qu’il s’agirait de « discuter des priorités en matière de justice que vous pourriez avoir pour la prochaine législature ». Je note que la dernière fois qu’une telle invitation a été lancée, elle l’a été par l’intermédiaire du comité, et c’est peut-être pour cette raison qu’il est un peu différent de recevoir cette invitation directement de la part du ministre. Mais je tiens à dire que je ne pense pas que ce soit approprié. Je ne vais pas y assister. Je pense qu’il est préférable d’avoir des conversations publiques et télévisées avec le ministre, où nous pourrons lui poser des questions que les Canadiens pourront voir, plutôt que ce genre de rencontre sociale officieuse. Je voulais porter cela à votre attention puisque nous en avons discuté lors d’une réunion précédente.
Le président : Je vous remercie, même si je ne suis pas sûr qu’il appartienne au comité de décider, dans un sens ou dans l’autre, si une conversation informelle avec le ministre est interdite; les gens devraient prendre leur propre décision, tout en reconnaissant l’argument de la sénatrice Batters selon lequel nous avons un rôle officiel à jouer en matière de justice.
Merci. Je pense que cela met fin à la réunion.
(La séance est levée.)