Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 2 octobre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-256, Loi modifiant la Loi sur la Société canadienne des postes (saisie) et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs.

[Traduction]

Je m’appelle Brent Cotter. Je suis un sénateur de la Saskatchewan et je suis président de ce comité, soit le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J’aimerais maintenant inviter mes collègues à se présenter, en commençant à ma gauche par notre vice-présidente.

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, sénatrice de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Carignan : Claude Carignan, du Québec.

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, division De Lorimier, au Québec.

La sénatrice Audette : Kuei [mots prononcés en innu-aimun] Michelle Audette, du Québec.

La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le président : Je vous remercie.

Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-256, Loi modifiant la Loi sur la Société canadienne des postes (saisie) et apportant des modifications connexes à d’autres lois. Le sénateur Dalphond est le parrain de ce projet de loi.

Nous sommes heureux d’accueillir, à titre personnel, M. Steve Coughlan, professeur à la Schulich School of Law de l’Université Dalhousie. M. Coughlan comparaît par vidéoconférence. Bienvenue, monsieur Coughlan. Nous vous remercions de votre patience pendant que nous nous préparons à commencer l’examen du projet de loi. Nous avons un peu de retard en raison de la tournure des évènements au Sénat, mais nous sommes ici maintenant et nous avons débuté nos travaux.

Nous entendrons d’abord votre déclaration préliminaire et nous passerons ensuite aux questions des membres du comité. Vous avez la parole pendant environ cinq minutes, et nous passerons ensuite aux questions. Vous avez la parole, monsieur Coughlan.

Steve Coughlan, professeur, Schulich School of Law, Université Dalhousie, à titre personnel : Je vous remercie beaucoup, sénateur Cotter, et je remercie tous les sénateurs ici présents de me donner l’occasion de discuter du projet de loi.

Je comprends que l’on s’inquiète du fait que Postes Canada, en particulier les lettres envoyées par son intermédiaire, devienne un « paradis » pour les trafiquants de drogue. En général, je considère qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la manière dont ce projet de loi propose de procéder. Ce qui me préoccupe à l’égard de l’approche proposée, c’est que dans le contexte des lettres en particulier, elle amène l’État à passer d’une situation où il n’a pas la capacité d’ouvrir les lettres à une situation où il a une trop grande capacité d’ouvrir les lettres. Je me demande donc si on a trouvé le bon équilibre.

Je tiens à préciser que deux considérations, qui sont liées entre elles, m’amènent à soulever cette inquiétude. D’une part, tout ce qui est envoyé par courrier n’est pas équivalent et, d’autre part, les mandats qui permettent à l’État d’enquêter ne sont pas tous équivalents.

Tout d’abord, la Loi sur la Société canadienne des postes établit bien sûr, au paragraphe 41(1), une distinction entre les lettres et les autres objets envoyés par courrier. Cette distinction n’est pas modifiée, mais le fait que les inspecteurs ne soient pas autorisés à ouvrir les lettres est en partie à l’origine de cette préoccupation. Il convient de réfléchir à la raison d’être de cette distinction. De toute évidence, je pense qu’elle est liée à la différence de contenu entre une lettre et un colis, et elle est motivée par le même type de préoccupation qui a mené le Parlement à restreindre le pouvoir d’intercepter des communications privées dans des limites très étroites.

Bien entendu, ces règles concernent l’interception par voie électronique et elles ne s’appliquent pas littéralement aux lettres. Cependant, les mêmes types de préoccupations en matière de protection de la vie privée se posent, comme il a été souligné à plusieurs reprises dans la jurisprudence. En effet, pas plus tard que le mois dernier, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré que le courrier sur papier présente un intérêt élevé en matière de protection de la vie privée parce qu’il contient souvent des renseignements délicats concernant l’identité de l’expéditeur ou du destinataire, sa vie personnelle ou ses convictions politiques ou religieuses. Les lettres peuvent donc présenter un intérêt en matière de vie privée particulièrement élevé.

Par ailleurs, tous les mandats de perquisition ne sont pas équivalents. Les mandats délivrés en vertu de l’article 487 sont relativement faciles à obtenir. Toute personne chargée de l’application de toute loi peut en faire la demande, c’est-à-dire non seulement dans les cas d’infractions criminelles, mais aussi d’infractions liées à la pêche et à la faune, par exemple. Ces mandats peuvent être délivrés non seulement par un juge, mais aussi par un juge de paix. À l’inverse, les mandats d’interception de communications privées sans consentement — ce qui est très privé — sont beaucoup plus difficiles à obtenir. En effet, seul un agent expressément désigné peut en faire la demande et seul un juge d’une cour supérieure peut les délivrer. Nous essayons donc de trouver un équilibre entre les intérêts en matière de protection de la vie privée qui sont en jeu et le type d’autorisation.

Je tiens à souligner que le sénateur Carignan, en parlant de ce projet de loi, a indiqué qu’en principe, il serait possible d’abroger simplement le paragraphe 40(3). Il y a une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée dans tout service de courrier et certaines protections s’appliquent. Je suis tout à fait d’accord, mais si cela devait se produire, les tribunaux seraient alors responsables de déterminer le niveau de protection de la vie privée nécessaire pour répondre à l’intérêt en matière de vie privée en jeu.

La loi actuelle donne quelques indications à cet égard. En effet, à l’heure actuelle, les mandats ne peuvent être délivrés qu’en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, de la Loi sur les douanes ou de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. La Loi sur les douanes et la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité visent le courrier qui traverse la frontière, ce qui soulève des considérations particulières. La seule loi visant le courrier à l’intérieur du pays est la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, ou Loi sur le SCRS. Cette loi prévoit davantage de mesures de protection qu’un mandat de perquisition ordinaire. N’importe quel policier ou agent public ne peut en faire la demande, car seule une personne expressément désignée peut le faire, et cette demande ne peut pas être présentée à un juge de paix, car il doit s’agir d’un juge de la Cour fédérale. De plus, l’exigence liée à la nécessité pour les besoins de l’enquête, qui est utilisée pour l’interception de communications privées, s’applique également dans ce cas-ci.

Le projet de loi laisse entendre qu’il devrait être également possible d’obtenir un mandat pour rechercher des preuves dans les cas de crimes ordinaires, tels que le trafic et les stupéfiants, et pas seulement dans les cas liés à la sécurité nationale. C’est un bon point. Toutefois, cet élargissement de la portée ne modifie pas le niveau élevé de protection de la vie privée des individus en jeu et, en fait, lorsque l’intérêt concurrent de l’État est la criminalité ordinaire plutôt que la sécurité nationale, cela signifie habituellement que nous devons imposer des limites supplémentaires au pouvoir de perquisition.

Ainsi, un mandat ordinaire au titre de l’article 487 pourrait ne pas être calibré correctement et être en fait inconstitutionnel. Bien entendu, cette loi va plus loin en autorisant les perquisitions en vertu d’une loi d’application, et il peut s’agir également de lois provinciales et de règlements créés par des organismes de gouvernance autochtones. Il existe donc un risque de décalage entre le niveau de protection nécessaire en raison de considérations liées à la protection de la vie privée et le niveau de protection accordée.

Personnellement, je pense qu’il serait approprié d’exiger qu’un mandat général en vertu de l’article 487.01 représente la norme minimale. Sur le plan pratique, c’est ce que la police utilise souvent lorsqu’elle a affaire à des envois de drogue par courrier, car elle ne veut pas seulement saisir l’objet, elle veut, par exemple, y placer un dispositif de repérage, voir où il est envoyé, arrêter le destinataire, etc. Un mandat général offrirait donc une plus grande protection et je ne pense pas qu’il présenterait des obstacles d’ordre pratique pour la police dans ces cas.

Pour conclure, j’aimerais souligner qu’il est facile d’aborder cette question en disant qu’il suffit de saisir les envois de fentanyl, car ils représentent une menace considérable, ce qui n’est pas faux, bien entendu. Toutefois, la question qui doit être maintenue au premier plan aux fins de la Charte, c’est qu’il s’agit d’un pouvoir d’ouvrir du courrier privé, et que ce pouvoir doit donc être fondé sur des limites et des exigences qui correspondent aux intérêts en matière de protection de la vie privée de tous ceux dont le courrier pourrait être ouvert, et pas seulement des personnes qui utilisent le courrier pour commettre des délits.

C’est ce qui termine ma déclaration préliminaire, sénateur Cotter.

Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Coughlan. J’invite maintenant les sénateurs à poser leurs questions.

La sénatrice Batters : Monsieur Coughlan, je vous remercie d’être ici aujourd’hui pour nous aider à étudier ce projet de loi après un préavis relativement court. Je vous remercie beaucoup d’avoir répondu à l’appel.

Pouvez-vous nous expliquer un peu plus en détail comment, selon vous, les modifications contenues dans le projet de loi C-256 respectent ou non — je crois qu’elles les respectent, selon vous — les protections accordées par la Charte, en particulier le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives prévu à l’article 8 de la Charte?

M. Coughlan : Oui, certainement.

La Cour suprême du Canada a déclaré que pour éviter toute violation de l’article 8 lors d’une perquisition, trois conditions doivent être remplies. La première est que la fouille doit être autorisée par la loi, et c’est certainement ce que fera le projet de loi en s’assurant que ce n’est pas seulement dans la Loi sur le SCRS, mais aussi dans le Code criminel et dans les lois provinciales. Ce sera donc autorisé par la loi.

Deuxièmement, il faut que la loi elle-même soit raisonnable, et c’est là que j’ai quelques inquiétudes quant au respect de la Charte. Il n’y a pas de critère absolu en la matière. Par exemple, dans l’affaire Goodwin, la Cour suprême du Canada a expliqué comment déterminer si une loi est raisonnable ou non. En règle générale, il s’agit de trouver un équilibre entre les intérêts en matière de protection de la vie privée en jeu et les exigences liées à l’obtention d’un mandat.

Pour vous donner un exemple simple, nous avons deux types différents de mandats de localisation. J’ai déjà expliqué que la police veut souvent, par exemple, voir où un colis est livré, afin d’obtenir la preuve que le destinataire est également impliqué dans l’importation de stupéfiants ou d’une autre substance de ce type. Ainsi, un dispositif de localisation d’un objet ne requiert qu’un soupçon raisonnable, car nous ne faisons que suivre un objet. Nous ne portons pas vraiment atteinte à la vie privée.

Toutefois, si nous plaçons un dispositif de localisation sur une personne pour suivre ses déplacements, l’intérêt en matière de vie privée en jeu est beaucoup plus important, et cela exige un motif raisonnable, plutôt qu’un soupçon raisonnable, de croire que cette personne commet une infraction. C’est ce que j’entends par calibrer les exigences liées à la perquisition par rapport à l’intérêt en matière de vie privée en jeu.

C’est à ce moment-là que j’interviens. Je pense que l’intérêt en matière de vie privée lorsqu’il s’agit des lettres, par opposition au courrier en général, est assez important, c’est-à-dire plus important que d’habitude. Par conséquent, nous devrions peut-être établir une norme plus élevée que d’habitude pour la perquisition que celle établie à l’article 487.

La sénatrice Batters : D’accord. Avez-vous des amendements à proposer au projet de loi S-256 pour atténuer toute préoccupation que vous avez à cet égard? J’ai remarqué que juste avant la réunion du comité, le sénateur Dalphond a distribué des propositions d’amendements qu’il compte apporter au projet de loi dont il est le parrain. Il en parlera sans doute plus tard au cours de la réunion, mais je ne sais pas si l’un de ces amendements porte sur cette question ou non. Avez-vous des amendements à suggérer pour répondre à vos préoccupations?

M. Coughlan : Le Code criminel contient plusieurs dispositions, notamment le mandat général. Plutôt que de se contenter de parler d’une loi d’exécution, ce qui risque d’entraîner des contestations en vertu de la Charte pour chaque pouvoir utilisé, personnellement, je parlerais simplement d’un mandat général en vertu de l’article 487 et je m’en tiendrais à cela ou éventuellement à un mandat général ou à une mesure dotée d’une protection équivalente. Certaines lois provinciales, par exemple, prévoient des pouvoirs de perquisition assortis de normes équivalentes plus élevées pour quelque chose comme un mandat général. On pourrait donc avoir un libellé qui ressemble à cela, c’est-à-dire qu’on parlerait d’un mandat général en vertu de l’article 487.01 ou de son équivalent dans une loi provinciale ou un règlement pris par un conseil, un gouvernement ou une autre entité autorisée à agir au nom d’un groupe autochtone, par exemple.

La sénatrice Batters : C’est un bon libellé que vous avez sorti de votre chapeau. Je vous remercie.

M. Coughlan : Je lisais en grande partie.

Le président : Je vous remercie tous les deux.

Le sénateur Dalphond : Je vous remercie beaucoup d’être avec nous aujourd’hui. Je vous remercie également d’avoir réussi à formuler des commentaires après un très court préavis, car nous avons communiqué avec vous plus tôt cette semaine ou la semaine dernière. Vous avez pris le temps de lire le projet de loi et de formuler des commentaires. Je vous en suis très reconnaissant.

J’ai pris note de ce que vous venez de dire pour que les choses soient claires. J’ai toujours eu l’intention d’exiger une autorisation judiciaire. Suggérez-vous d’aller plus loin et de préciser que cela se ferait en vertu d’un mandat général ou de son équivalent en vertu d’une loi fédérale ou provinciale? Cela pourrait se faire facilement. Comment cela fonctionnerait-il dans les règlements émis par un conseil?

M. Coughlan : Eh bien, je ne suis pas sûr que cela crée un problème qui n’existait pas déjà de toute façon. En présumant qu’il suffit qu’un conseil prenne des règlements au nom d’un groupe autochtone, cela satisfait à la partie qui doit être autorisée par la loi. Le caractère raisonnable de la loi elle-même dépend de son contenu. Donc, en présumant qu’il y a une autorité législative dans ces conseils en premier lieu — et je ne conteste pas cela et je présume que vous êtes convaincu qu’il y a une telle autorité —, cela ne concerne pas leur compétence dans ce domaine, mais seulement le contenu minimum d’une telle loi.

Le sénateur Dalphond : En ce qui concerne le critère qui doit être appliqué, à savoir que la saisie est autorisée par la loi, cela signifierait que ce critère ne pose pas de problème.

Le deuxième critère est lié à l’article 8 de la Charte. C’est autorisé par la loi, mais cette loi est-elle raisonnable? Le fait qu’il existe des preuves que le système postal est utilisé ou détourné pour livrer du fentanyl et d’autres drogues très puissantes et mortelles sera un facteur dont le tribunal devra tenir compte dans son analyse.

M. Coughlan : Oui et non, dans une certaine mesure. Ce qu’il faut évaluer dans le cas de la loi, c’est l’intérêt en matière de vie privée qui est en jeu. Depuis une trentaine d’années, la Cour suprême a toujours été d’avis que l’évaluation de l’intérêt en matière de vie privée en jeu doit utiliser une approche neutre quant au contenu, sans tenir compte de la criminalité sous-jacente du comportement.

La première affaire dans laquelle la Cour suprême s’est prononcée en ce sens est l’affaire Wong, dans laquelle l’accusé utilisait une chambre d’hôtel pour s’adonner à des jeux d’argent illégaux. La Couronne voulait faire valoir qu’il n’y a pas d’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée lorsqu’on se livre à des jeux d’argent illégaux dans une chambre d’hôtel. La Cour suprême a déclaré qu’il ne faut pas tenir compte de l’illégalité. Il faut plutôt se demander si on a une attente raisonnable en matière de vie privée lorsqu’on loue une chambre d’hôtel.

Je pense qu’il faut appliquer ce principe dans ce cas-ci. Par exemple, on se demande si on a une attente raisonnable en matière de vie privée si on envoie quelque chose par la poste. On ne demande pas si on a une attente raisonnable en matière de vie privée si on envoie du fentanyl par la poste.

Le sénateur Dalphond : Voilà le vrai problème. Si une enveloppe adressée contenant une petite quantité de fentanyl dans une pochette spéciale, sans message, est mise à la poste, est-ce qu’on peut avoir une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée?

M. Coughlan : Oui, parce qu’il s’agit d’une approche neutre du point de vue du contenu. Si vous utilisez le courrier, vous attendez-vous à ce que votre vie privée soit respectée? Je pense que oui.

Cela soulève toutefois la question suivante, sénateur, et il ne fait aucun doute que vous en savez plus que moi à ce sujet : est-il réellement nécessaire d’ouvrir ces lettres pour savoir si elles contiennent du fentanyl? J’ai cru comprendre que, par exemple...

Le sénateur Dalphond : Ce n’est pas nécessaire. L’examen du courrier suffira à indiquer que nous pouvons les ouvrir.

Le président : Pouvez-vous laisser le témoin terminer sa question, sénateur?

Le sénateur Dalphond : Je pensais qu’il me posait une question.

Le président : Oui, mais il n’a pas tout à fait terminé sa question. Allez-y. Vous avez la possibilité d’interroger les sénateurs.

M. Coughlan : C’est très bien. Il y a de quoi se réjouir.

Ma préoccupation concerne le droit à la vie privée lorsqu’il est question d’ouvrir du courrier, car lorsqu’on ouvre du courrier, on le regarde et on voit ce qu’il contient. Toutefois, si l’on se contente d’utiliser un chien renifleur de drogues, on n’ouvre pas le courrier, alors je pense que tout le monde serait d’accord pour dire qu’on porte ainsi moins atteinte au droit à la vie privée. Il y a moins d’empiétement sur la vie privée. La question est de savoir s’il s’agit seulement d’examiner l’extérieur, car c’est une tout autre question si on ouvre le courrier pour voir ce qu’il y a à l’intérieur.

Le président : Sénateur Dalphond, vous pouvez prendre un peu plus de temps si vous avez d’autres questions.

Le sénateur Dalphond : C’est bon, merci.

La sénatrice Simons : Je suis enchantée de votre présence parmi nous aujourd’hui.

Je voudrais parler d’un autre point, à savoir le libellé du terme « loi d’exécution » qui, comme vous l’avez dit, ratisse très large. Il peut couvrir des infractions concernant la pêche et la chasse. Il peut également couvrir des règlements administratifs qu’une Première Nation pourrait établir pour elle-même et qui pourraient inclure des dispositions contraires aux droits garantis par la Charte.

Des témoins que nous avons entendus ont proposé, par exemple, qu’on accorde le pouvoir d’examiner toutes les lettres et tous les colis reçus dans une réserve.

Je me demande si vous pensez qu’il y aurait un meilleur libellé pour le terme « loi d’exécution »; un libellé qui serait moins vaste. Ce serait le corollaire de ce que vous faites valoir à propos du seuil de fouille.

M. Coughlan : Oui, j’ai dit qu’il faut un mandat général, mais une meilleure façon de procéder serait peut-être d’inclure une obligation, à savoir que toute loi du Parlement, toute loi provinciale ou tout règlement devrait préciser que la délivrance d’un mandat doit obligatoirement être dans l’intérêt supérieur de l’administration de la justice parce que c’est, par exemple, l’une des conditions rattachées aux mandats généraux, ainsi qu’aux interceptions sans consentement.

Ce que vous voulez dire, sénatrice, c’est que si une administration ayant la capacité d’édicter une loi d’exécution pouvait, en théorie, en établir une qui lui permet, comme vous l’avez dit, d’examiner chaque lettre reçue, il ne fait aucun doute que cette loi sera contestée en vertu de l’article 8. Comme je l’ai dit, on dira que c’est autorisé par la loi, mais je pense qu’il ne fait aucun doute qu’une telle loi serait jugée déraisonnable.

Ainsi, même si une telle loi était adoptée, elle serait contestée en vertu de la Charte, elle serait annulée et il serait ordonné qu’elle soit remplacée par une loi conforme à la Charte. Essentiellement, j’essaie juste de dire que si on place la barre trop bas, la loi sera contestée en vertu de la Charte et un tribunal exigera une loi qui ne porte pas atteinte aux droits garantis par la Charte. Je propose qu’on prévoie le coup maintenant pour éviter que cela se produise.

La sénatrice Simons : Très bien.

Ma deuxième question porte sur les amendements proposés par le sénateur Dalphond, que vous n’avez probablement pas vus.

M. Coughlan : Non, je ne les ai pas vus.

La sénatrice Simons : D’accord. L’un des amendements qu’il propose vise à conférer à Postes Canada des pouvoirs accrus en ce qui concerne l’ouverture du courrier. Il s’agit d’un amendement au paragraphe 41(1), avant l’alinéa a), qui serait remplacé par ce qui suit :

La Société peut ouvrir les envois si elle a des motifs raisonnables de soupçonner

Si j’ai bien compris, le sénateur Dalphond voudrait qu’on attribue aux inspecteurs postaux de nouveaux pouvoirs relativement à l’ouverture du courrier, vraisemblablement sans obtenir un mandat au préalable. Cela suscite-t-il de nouvelles inquiétudes chez vous, professeur?

M. Coughlan : Oui. Tout dépend de ce qu’on fait exactement. Je reconnais qu’on propose cela en raison de la décision Gorman rendue à Terre-Neuve, qui indique qu’on ne peut pas ouvrir des colis sans soupçons raisonnables. Dans ce projet de loi, on précise donc qu’il faut avoir des soupçons raisonnables pour procéder à l’ouverture d’un colis. Je pense qu’on fait fi de la distinction entre les colis et les lettres, et de l’intérêt accru pour la protection de la vie privée en ce qui a trait aux lettres, de sorte que la même norme ne s’applique probablement pas à l’un et à l’autre.

L’autre élément est que nous devons faire la distinction — et je dis que nous devons le faire parce que la Cour suprême l’a dit — entre les fouilles aux fins de droit criminel et les fouilles aux fins de la réglementation, où l’ensemble...

La sénatrice Simons : ... oui, les fouilles aux fins des douanes.

M. Coughlan : C’est exact. Dans la Loi sur les douanes, l’objectif est simplement de s’assurer qu’une personne ne se sauve pas d’acquitter les droits de douane qu’elle doit payer ou quelque chose du genre.

Nous accordons régulièrement des pouvoirs en matière de fouille dans des circonstances où nous ne les accorderions pas s’il s’agissait d’un contexte criminel, car les enjeux sont faibles. Nous demandons souvent aux gens de s’incriminer lorsque, par exemple, nous leur demandons de déclarer le nombre de poissons qu’ils ont pêchés afin que nous puissions vérifier s’ils ont fait de la surpêche, auquel cas ils doivent payer une amende. Toutefois, nous ne le faisons pas aux fins de l’application du droit criminel; il ne s’agit que de faire respecter les règlements.

La jurisprudence est quelque peu ambiguë, je le reconnais, mais, dans l’ensemble, elle indique qu’il n’est pas possible de contourner les limites des pouvoirs de nature pénale en prétendant que l’on fait simplement quelque chose aux fins du respect de la réglementation, pour ensuite utiliser une infraction pour appliquer le droit criminel. Cela ne veut pas dire que si l’on agit légitimement aux fins du respect de la réglementation et que l’on trouve des preuves d’un acte criminel, on ne peut pas le signaler — c’est tout à fait possible de le faire —, mais si l’objectif est de prétendre que l’on n’agit pas dans le but d’appliquer le droit criminel, je pense que des problèmes de conformité avec la Charte vont se poser.

La sénatrice Simons : Je vais poursuivre au deuxième tour.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais poser au témoin une question dont je suis en train de discuter avec le sénateur Dalphond.

Je vais à la page 2, à l’article 3, à la ligne 15 du projet de loi. Je vais à la ligne en français :

(3) Malgré toute autre loi ou règle de droit, mais sous réserve des autres dispositions de la présente loi, de ses règlements ou d’une loi d’exécution [...]

— on parle donc de l’autre loi —

[...] rien de ce qui est en cours de transmission postale n’est susceptible de revendication, saisie ou rétention.

Le début dit ceci : « Malgré toute autre loi ou règle de droit [...] », donc on donne une espèce de prépondérance à la loi et par la suite, on fait l’exception, c’est circulaire. Vous ne trouvez pas qu’on devrait modifier ou du moins supprimer les mots « toute autre loi ou règle de droit », parce que sinon, on dit le contraire dans le même article?

[Traduction]

M. Coughlan : J’avoue qu’il m’a fallu lire l’ensemble du projet de loi plusieurs fois pour bien comprendre cet aspect. Je suis d’accord avec vous, sénateur Carignan. Je pense que c’est correct, car on dit d’abord « toute autre loi », ce qui signifie que la plupart des lois n’autorisent pas l’ouverture du courrier, mais ensuite, quand on dit « mais sous réserve des autres dispositions de la présente loi, de ses règlements ou d’une loi d’exécution », on se trouve à dire — bien que la plupart des autres lois n’ont pas préséance sur la Loi sur la Société canadienne des postes — que les lois d’exécution ont préséance sur la Loi sur la Société canadienne des postes.

Je conviens que cette disposition porte à confusion, mais j’estime qu’elle est correcte.

Le sénateur Carignan : D’accord.

M. Coughlan : On pourrait formuler cela plus clairement, mais je pense que c’est correct.

[Français]

Le sénateur Dalphond : C’est bon. C’était ma question. Il faut le lire à quelques reprises. Merci.

[Traduction]

M. Coughlan : Oui, en effet.

[Français]

La sénatrice Audette : Merci au témoin. Je vais poursuivre en français, surtout parce que je suis entourée de gens qui ont une connaissance en droit, et il y a différents droits, on s’entend là-dessus.

Je viens du Nord, de Shefferville, et c’est loin. Postes Canada est le seul organisme qui amène des choses du Sud et d’ailleurs dans nos territoires. On parle de la baie James, de l’Ontario et du reste du Canada.

Les gens y meurent par suicide et overdose; c’est hallucinant ce qui se passe dans nos communautés. On parle de 19 suicides chez les Cris en très peu de temps. Ils ont déposé un mémoire. Il y a un cri d’alarme. Il y a un état d’urgence sur le plan de l’intrusion des drogues, qui se fait aussi par l’intermédiaire de Postes Canada. Ce n’est pas à cause de Postes Canada, ce ne sont pas eux qui amènent la drogue, mais leur système permet ou ce vide-là permet de faire quelque chose qui est inacceptable. Comment pourrait-on trouver une façon de faire plus rapide? Oui, on essaie de protéger la vie privée et c’est important, mais comment protéger une vie humaine pour empêcher les pertes massives que l’on subit dans le Nord? On reçoit des boîtes, on peut les ouvrir, il y a des choses confidentielles, mais selon la grosseur d’une lettre, on peut devenir plus sévère. En 2024, le crime organisé utilise cette faiblesse. Comment pouvez-vous nous proposer quelque chose pour protéger les gens du Nord? Ils ont déposé des recommandations et des mémoires sur cette crise.

[Traduction]

M. Coughlan : Oui. Bien entendu, je ne peux pas régler le problème, mais je peux répondre à votre question, sénatrice.

Il me semble que, compte tenu du sentiment qui sous-tend ce projet de loi, il ne devrait pas y avoir d’interdiction générale de n’importe quelle méthode d’examen du courrier. C’est tout à fait sensé, et il me semble que c’est équivalent à ce que j’ai déjà mentionné au sujet de l’interception des communications privées. Lorsque ces dispositions ont été introduites pour la première fois, c’est-à-dire avant l’adoption de la Charte, nous avons exclu de manière absolue toute preuve obtenue illégalement parce que la Charte n’existait pas. La seule chose qui existait, c’était une sorte de règle générale selon laquelle il ne fallait pas du tout y avoir recours.

Lorsque la Charte est entrée en vigueur, cela a permis d’établir un équilibre, et on a alors modifié cette règle. Je pense que la règle interdisant d’ouvrir le courrier est du même ordre. C’est une règle qui a été introduite pour protéger la vie privée à une époque où il n’y avait qu’un choix binaire, oui ou non. Bien entendu, nous ne sommes plus confrontés à ce choix binaire, et je pense donc qu’il est logique d’autoriser la fouille du courrier dans certaines circonstances.

J’avoue que je me répète. Ce que nous devons faire notamment, c’est calibrer avec précision le pouvoir d’ouvrir les lettres, et je pense qu’il vaut la peine de se pencher — et je ne connais pas les faits à ce sujet — sur davantage d’options en ce qui a trait aux fouilles excluant l’ouverture des lettres. Si, par exemple, des chiens renifleurs peuvent détecter la présence de drogue, il s’agit là d’une méthode qui porte peu atteinte à la vie privée, n’est-ce pas? Il existe peut-être des méthodes de détection autres que les chiens renifleurs, notamment des sortes de détecteurs à balayage qui permettent de déterminer si l’extérieur de l’enveloppe ou quelque chose de ce genre a été en contact avec du fentanyl. Il s’agit là de méthodes qui ne portent pas autant atteinte à la vie privée.

En règle générale, le recours aux chiens renifleurs est autorisé sur la base d’un soupçon raisonnable. Un chien renifleur peut indiquer qu’il y a présence de drogue. Dans ce cas, on a alors un motif pour demander un mandat. En procédant ainsi par étapes, on évite de passer d’emblée à l’ouverture du courrier de tout le monde. C’est ce que je veux dire. Je ne veux pas dire qu’on n’arrivera pas à l’étape d’ouvrir du courrier, je dis simplement qu’il faut se pencher sur la façon d’en arriver à cette étape.

La sénatrice Audette : Que se passe-t-il si la communauté ou la nation dispose de sa propre législation ou réglementation, mais qu’elle n’a pas les moyens d’avoir des chiens renifleurs? Elle dispose probablement d’une autre technologie ou de personnes ayant reçu une formation d’enquêteur au sein de la communauté. Pensez-vous que leurs lois devraient être respectées afin qu’elles puissent faire ce qu’elles doivent faire pour sauver des vies?

M. Coughlan : Personnellement, je pense que nous devrions faire une plus grande place à l’autonomie gouvernementale des Autochtones, mais je crois aussi que cela doit se faire dans le respect de la Charte des droits et libertés, car c’est une loi prépondérante. Je pense que nous devons trouver un équilibre entre ces deux éléments.

Je me demande cependant si Postes Canada ne pourrait pas avoir une certaine obligation à cet égard, si le coût constitue le problème.

La sénatrice Clement : Je vous remercie, professeur, d’être présent et de nous fournir votre point de vue sur différents aspects de cette mesure législative.

Je m’interroge sur l’augmentation du pouvoir policier. Dans certains cas, cela a conduit à une surreprésentation ou à un contrôle excessif de certaines communautés, en particulier les Noirs et les Autochtones. Je me demande si le projet de loi vous préoccupe en ce qui a trait à cet aspect, ou estimez-vous que la conversation concernant l’exigence d’obtenir un mandat de perquisition au sens plus traditionnel du terme atténue cette préoccupation?

M. Coughlan : Il n’y a rien de discriminatoire dans cette loi. Bien entendu, la plupart de nos lois n’ont rien de discriminatoire, et le problème réside dans la surveillance policière excessive.

C’est difficile parce que les policiers — pas seulement dans ce contexte, mais dans n’importe quel contexte — s’appuient souvent sur des profils. Lorsque des biens ou des voyageurs qui entrent dans le pays proviennent des Caraïbes, ils ont en tête qu’il s’agit d’une région source pour les drogues, sauf que, bien sûr, il s’agit souvent de personnes originaires des Caraïbes qui vivent maintenant au Canada, ce qui fait que nous arrêtons de manière disproportionnée des personnes de couleur. Je pense que ce genre de contexte soulève des inquiétudes, notamment en ce qui concerne les biais de confirmation. Des policiers bien intentionnés pensent qu’ils détectent des schémas et, comme nous tous, ils pensent qu’ils détectent des schémas, qui, en fait, n’existent pas. C’est le propre du biais de confirmation. Je reconnais qu’il s’agit d’une préoccupation légitime concernant tout pouvoir policier que nous créons.

C’est possiblement moins préoccupant en ce qui a trait au courrier et aux fouilles des envois. Je n’en sais rien. Il me semble probable qu’il faudra avoir des motifs raisonnables, à tout le moins pour demander un mandat en vertu de l’article 487. Il faut connaître les circonstances. L’application de la loi de façon différentielle demeure un risque. Je ne sais pas si ce risque est plus grand dans ce contexte. Il n’est probablement pas moindre, mais je doute qu’il soit plus grand.

La sénatrice Clement : Merci pour cette réponse réfléchie. Je vous en suis reconnaissante.

Je dois vous avouer, ainsi qu’à mes collègues, que lorsque nous avons commencé à parler de détection avec des chiens renifleurs, j’ai pensé que ces chiens seraient objectifs et peut-être moins imprégnés du racisme systémique dont souffre actuellement notre système. Ce n’est qu’un commentaire supplémentaire.

Je me demande si je peux vous parler de l’article 2.1 du projet de loi, l’article sur l’avis de saisie ou rétention, professeur. L’avez-vous sous les yeux?

M. Coughlan : Oui.

La sénatrice Clement : Un avis est donné à la société lorsqu’il y a eu saisie ou rétention de courrier. Je me demande si le destinataire ne devrait pas également être averti. Pensez-vous que cela soit pertinent ou que la question ne se pose pas?

M. Coughlan : Je pense que c’est pertinent. N’en est-il pas question ailleurs dans la loi? Je dis cela, sénatrice, parce que, si vous allez à la page suivante, il y a, par exemple, l’amendement à l’article 490 du Code criminel...

La sénatrice Clement : Oui.

M. Coughlan : ... l’amendement à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et l’amendement à la Loi sur le cannabis. Je pense que les dispositions visées concernent la notification au destinataire, ou, du moins, c’est certainement ce sur quoi porte l’article 490. Je pense donc que l’ajout de l’article 19 permet de couvrir cela, à savoir la notification au destinataire.

La sénatrice Clement : Il n’est donc pas nécessaire de l’ajouter également dans cet article?

M. Coughlan : Eh bien, je ne veux pas le garantir à la légère.

La sénatrice Clement : D’accord.

M. Coughlan : Je pense toutefois qu’on y a pensé.

La sénatrice Clement : D’accord. Je vous remercie beaucoup pour vos réponses.

[Français]

La sénatrice Oudar : Merci au témoin de son éclairage sur la question.

Je reviens sur un concept dont vous avez parlé tout à l’heure, qui est l’expectative raisonnable de vie privée, chose que l’on défend ici également. Je veux vous entendre sur un aspect que vous n’avez pas abordé tout à l’heure, qui est le fait que, même pour les services de messagerie privée, comme FEDEX, UPS ou Purolator, pour moi, c’est le même principe d’expectative raisonnable de vie privée.

Pourquoi a-t-on ici deux poids, deux mesures, et pourquoi est-ce permis pour les services de messagerie privée et que cela ne serait pas le cas pour le service des postes? Est-ce que ce n’est pas là justement un incitatif pour des gens qui auraient de mauvaises intentions d’utiliser le service des postes pour commettre ces méfaits?

Je veux vous entendre sur la distinction entre l’absence d’expectative de vie privée pour les services de messagerie privée et Postes Canada, car je ne comprends pas que le concept puisse s’appliquer différemment, alors qu’on est devant des citoyens de même nature.

[Traduction]

M. Coughlan : Donc, dans la mesure où... Il y a une distinction à l’heure actuelle, bien sûr, à savoir que les services de messagerie privés peuvent faire l’objet de fouilles du courrier et que Postes Canada bénéficie d’une immunité totale. Je suis d’accord pour dire que cette distinction semble insensée.

Je pense qu’il est légitime de disposer de pouvoirs en matière de fouille du courrier. La question est simplement de savoir quels sont ces pouvoirs en matière de fouille du courrier.

En fait, je comprends tout à fait l’argument qu’on a fait valoir à l’encontre de ma suggestion selon laquelle il faudrait davantage qu’un mandat de perquisition ordinaire, à savoir qu’il semble que personne n’ait contesté l’utilisation d’un mandat de perquisition ordinaire lorsqu’il s’agit de Purolator ou de FedEx. Honnêtement, cela se produira peut-être, mais ce ne semble pas avoir été le cas. Cependant, il arrive souvent que, dans le cas des services de messagerie privés, la police ne demande pas un mandat de perquisition en vertu de l’article 487, parce qu’elle ne veut pas seulement examiner les envois; elle demande un mandat général en vertu de l’article 487.01, ce qui, selon moi, devrait être la norme imposée à la Société canadienne des postes.

Je ne pense pas que cela créerait un obstacle d’ordre pratique qui minerait l’objectif de cette mesure législative parce que c’est, en fait, ce que la police fait souvent de toute façon dans le cas des services de messagerie privés.

[Français]

La sénatrice Oudar : On va quand même se retrouver avec cette solution avec deux poids, deux mesures. J’ai lu l’article 487 lorsque vous en parliez tout à l’heure; il prévoit certaines conditions pour la perquisition et des dispositions qui sont différentes pour l’utilisation de Postes Canada.

Je l’ai appris ici en comité, mais je ne suis pas sûre que les Canadiens sont au courant de la différence de traitement du courrier entre ces deux entités — sauf, bien entendu, comme je le disais tout à l’heure, ceux qui poursuivent un objectif malveillant et qui sont justement attirés par le type de service, car ils savent qu’il y a moins de surveillance et de protection. C’est ce qu’on essaie de contrer ici dans les travaux que l’on fait, mais je vous remercie de votre éclairage sur la question.

[Traduction]

Le président : Quelques sénateurs souhaitent poser une question durant le deuxième tour, mais avant de leur donner la parole, je voudrais aborder un point qui, je pense, est contextuel.

Comme vous l’avez indiqué, les lettres sont associées à un respect accru de la vie privée. C’est un aspect historique. Toutefois, ce que nous constatons, c’est que les lettres servent maintenant à acheminer des produits de contrebande par le courrier d’une manière qui n’était pas possible auparavant.

Je me demande si ce changement sociétal, si je peux l’appeler ainsi, et l’utilisation d’un nouveau moyen de transport des produits de contrebande — qui constitue un autre type de contrebande — ne devraient pas nous inciter à réfléchir aux attentes élevées en matière de respect de la vie privée associées aux lettres.

Sommes-nous entrés dans une nouvelle ère et devons-nous réfléchir à la protection de la vie privée en ce qui a trait aux lettres d’une manière différente qu’auparavant?

M. Coughlan : Il serait possible d’incorporer cette considération. Je ne pense pas que cela concerne la nature de l’intérêt pour le respect de la vie privée en matière de courrier; je pense que la nature de l’intérêt pour le respect de la vie privée en matière de courrier ne change pas à cause de l’usage qui en est fait. Toutefois, lorsque nous essayons de décider si une loi est sensée, nous examinons généralement l’intérêt pour le respect de la vie privée qui est en jeu et l’intérêt de l’État, et nous essayons de trouver le bon équilibre entre les deux.

Par exemple, nous pensons depuis longtemps que la sécurité des frontières va dans le sens de l’intérêt de l’État. C’est d’ailleurs un intérêt particulièrement important. Or, même si l’intérêt en matière de protection de la vie privée reste le même, nous sommes prêts à autoriser plus facilement les fouilles à la frontière.

Il y a donc de la place pour l’argument que vous avancez, sénateur Cotter, à savoir que la possibilité d’envoyer du fentanyl dans des lettres a fait grimper les considérations du point de vue de l’État, de sorte que même si l’intérêt individuel en matière de vie privée reste le même, l’intérêt concurrent de l’État est plus fort qu’il ne l’était auparavant, ce qui justifie l’autorisation de fouilles.

Il reste que, bien entendu, la fouille est autorisée aux termes de la loi. Vous passez d’un pouvoir inexistant à un pouvoir que vous pouvez exercer assez librement.

Le président : Merci. C’est une bonne façon d’approcher la question.

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup encore, professeur.

Certains amendements ont été proposés par des témoins précédents, y compris lorsque nous avons étudié la Loi d’exécution du budget il y a un an, afin de donner aux inspecteurs la possibilité d’ouvrir les lettres. Le courrier comprend les lettres et les colis. Ils peuvent ouvrir les colis. Je pense que vous préconisez que les inspecteurs soient limités au contrôle, sans être en mesure d’ouvrir le courrier. Est-ce le cas?

Je fais une distinction entre les policiers qui doivent demander une autorisation judiciaire avant de pouvoir intercepter le courrier, qu’il s’agisse d’une lettre ou d’un colis, et ceux qui ne peuvent rien intercepter dans le courrier en raison de la manière dont la loi est rédigée.

Sauf que les inspecteurs inspectent, y compris les lettres, et il leur est facile de voir qu’une lettre contenant de la drogue n’aura pas d’adresse de retour. Les machines peuvent le voir, et il est donc facile de l’intercepter. Ils peuvent également disposer de dispositifs pour contrôler les machines. Dans leur mémoire, ils signalent que, depuis que je les ai rencontrés il y a quelques années, le nombre d’inspecteurs des postes est passé de 22 à 80, dans ces eaux-là. C’est une bonne nouvelle. Ils sont formés pour détecter et retirer du courrier les objets inadmissibles, dont les opioïdes.

Pour eux, il n’est peut-être pas nécessaire d’obtenir l’autorisation d’ouvrir les lettres. Peut-être qu’ils pourraient se contenter de retirer ces lettres de la circulation et de donner des infos à la police afin que cette dernière obtienne l’autorisation judiciaire voulue pour saisir ladite lettre.

Qu’en pensez-vous?

M. Coughlan : Cela va dépendre de la manière dont c’est structuré, mais, en principe, ce type d’approche par étape existe à beaucoup d’endroits dans la loi. Elle n’est pas illégitime. La question est de savoir si ce que les inspecteurs des postes découvrent constitue, disons, des motifs raisonnables pour cautionner l’obtention d’un mandat.

Or, c’est le genre de chose qui devient un peu compliqué. Permettez-moi de vous proposer une analogie. Il s’agit d’une affaire de la Cour suprême, l’affaire Jarvis, qui concerne l’impôt sur le revenu. L’Agence du revenu du Canada a deux branches : il y a les personnes qui vous contrôlent pour voir si vous devez plus d’argent et il y a les enquêteurs qui vérifient si vous avez commis une fraude fiscale. Les affaires que traite la deuxième branche sont très délicates, et il faut aux vérificateurs un certain type de droit pénal pour obtenir un mandat qui leur permettra de consulter vos dossiers. En comparaison, un vérificateur peut demander à quelqu’un d’apporter tous ses documents pour établir si l’impôt payé était suffisant.

Dans l’affaire Jarvis, la Cour suprême a déclaré que lorsqu’il s’agit vraiment d’une enquête pénale, on ne peut pas demander à un vérificateur de faire venir une personne pour examiner ses documents. Vous ne pouvez pas tromper le système de cette manière.

Par conséquent, une approche progressive — agissant de façon légitime en vertu de ce qui constitue du courrier inadmissible, un inspecteur trouve quelque chose de suspect qui l’incite à appeler la police — est acceptable, mais s’il s’agit d’un contournement des exigences légitimes ou d’une apparence de contournement, alors il y a peut-être un problème. La distinction ne sera pas simple à faire.

Selon moi, c’est ce qu’il faut garder à l’esprit.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Le président : Pour ce deuxième tour de questions, nous avons maintenant deux sénateurs. Je vous invite à limiter vos questions à trois ou quatre minutes, réponse comprise.

La sénatrice Simons : Postes Canada ne nous a envoyé son mémoire que cet après-midi; du moins, c’est ce que j’ai reçu. La société soulève une question intéressante au sujet du pouvoir constitutionnel du gouvernement fédéral de réglementer les restrictions nationales en matière de courrier.

Comme elle est tout à fait opposée au projet de loi, je vais vous citer un extrait de son mémoire. Voici ce qu’elle dit :

Le projet de loi S-256 donnerait à toute province ou collectivité décrite à l’article 2(c) le pouvoir d’adopter une « loi d’exécution » qui, à première vue, serait contraignante pour Postes Canada. Abstraction faite de l’empiètement potentiel sur l’autorité constitutionnelle fédérale de réglementer le service postal national, la définition de « loi d’exécution » est excessivement large [...]

Postes Canada soutient qu’elle est « [...] vague, qu’elle a une portée excessive et qu’elle va à l’encontre du mandat et des besoins opérationnels de Postes Canada ».

La société affirme également que rien n’oblige les provinces ou les municipalités à agir de façon cohérente les unes avec les autres et avance un scénario dans lequel il pourrait y avoir des règlements qui entrent en conflit les uns avec les autres.

Je sais que le droit constitutionnel n’est pas votre domaine de prédilection, mais je me demande si vous pensez qu’il y a des questions d’application constitutionnelle dans le fait d’avoir autant d’ordres de gouvernement différents sous le parapluie de lois d’exécution.

M. Coughlan : Je peux peut-être dire d’emblée que cela fait ressortir un autre avantage potentiel de ma suggestion de fixer des normes minimales pour ce que les lois d’exécution doivent dire, n’est-ce pas? Cela éviterait de se retrouver dans la situation où on entendrait : « oh, cela peut dire n’importe quoi », n’est-ce pas? Pour peu qu’on ait une loi qui précise ces choses, tout va bien. J’imagine qu’il n’y a pas de problème de division de pouvoirs à ce sujet si cela est perçu comme ayant été fait de façon légitime et dans un but qui s’inscrit dans les limites fixées au législateur.

S’il s’agit d’intercepter du fentanyl parce que c’est contraire à la loi, cela ne pose pas de problème dans le cadre d’une loi du Parlement. En fonction de l’état d’avancement de la question de l’autonomie autochtone, il est possible qu’un règlement administratif soit acceptable, mais cela reste assurément une question.

Je ne suis pas certain de ce qu’il en est si cela touche les lois d’une province, mais sur la base de la division des pouvoirs, parce que je pense que les provinces pourraient légitimement agir pour limiter ce que fait Postes Canada si elle le faisait dans le cadre légitime d’une loi provinciale. Or, s’il s’agit d’enquêter sur des crimes, ce n’est pas un objectif provincial légitime, mais uniquement un objectif fédéral.

La sénatrice Simons : D’accord. Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Audette : Les barrages routiers pour les alcootests ou tests de sobriété, on est habitué à cela. La semaine dernière, je faisais le même commentaire. À l’aéroport, de façon aléatoire, on peut nous mettre de côté et fouiller nos affaires et ouvrir nos bagages. C’est très intrusif. Ce sont nos affaires personnelles.

En ce qui concerne la Charte, pourquoi cette approche est-elle acceptable? Pourquoi ce malaise par rapport à ce que les Premières Nations proposent comme porte d’entrée du crime organisé? Les deux exemples que j’ai donnés concernent la Charte. En tant qu’expert, pouvez-vous nous dire comment on peut s’assurer que ce projet de loi indiquera que les Premières Nations vont le respecter? Je vois des choses qui se contredisent en ce qui concerne la Charte.

[Traduction]

M. Coughlan : Pour être honnête, je ne suis pas tout à fait certain de ce qu’était la question.

La sénatrice Audette : Je vais me reprendre et tenter de clarifier mon propos. La police peut arrêter une voiture pour faire passer un test d’alcoolémie au chauffeur afin de savoir s’il est sobre.

M. Coughlan : Oui, elle le peut.

La sénatrice Audette : Ou à l’aéroport, comme je l’ai mentionné la semaine dernière, ils peuvent ouvrir mes bagages — et mes bagages comme ceux de n’importe qui d’autre contiennent des choses très personnelles — et la Charte ne semble pas s’opposer à cela. Mais lorsqu’il s’agit d’envoyer une enveloppe contenant de la drogue, nous évoquons la Charte, qui défend l’une des deux parties. Pourquoi la Charte travaille-t-elle pour l’autre partie, mais pas dans le sens de ce que nous souhaitons faire pour protéger nos communautés?

M. Coughlan : Madame la sénatrice, s’ils ouvrent vos bagages et que vous ne venez pas d’arriver dans le pays, vous devriez vous y opposer. Comme vous ne faites que vous déplacer d’un endroit à l’autre, ils ne devraient pas ouvrir vos bagages. Sauf que nous avons ces préoccupations particulières — au moins, ce ne sont pas des pratiques de routine — concernant les entrées au pays et il y a diverses règles en place en matière de contrôle.

La sénatrice Audette : Aux fins de clarification, quand je me déplace dans le Canada, comme lorsque je pars de la ville de Québec pour aller à Ottawa, parfois, au hasard, ils ouvrent mes bagages. Je vous remercie.

M. Coughlan : Honnêtement, si j’étais vous, je porterais plainte. Je ne vois pas comment cela peut se produire.

Le président : Si je me fie à ce que je vois dans la salle, professeur Coughlan, nous sommes rendus au bout des questions que nous avions pour vous, ce qui met fin à cette discussion. Je tiens à vous remercier, vous et les membres du comité, d’avoir pris le temps de vous joindre à nous pendant cette heure. Merci de vous être préparé à la dernière minute et de nous avoir aidés à ce point.

Je vais bientôt clore la séance. Chers collègues, je vous rappelle que nous procéderons demain à l’examen article par article du projet de loi S-256. Comme vous l’avez entendu durant la séance, le sénateur Dalphond a fait circuler quelques propositions d’amendements sur lesquels nous devrons nous pencher demain. Si d’autres personnes ont des amendements, si vous pouviez, par courtoisie, les communiquer aux membres du comité avant que nous n’examinions le projet de loi, ce serait formidable.

En l’absence d’autres interventions, je vais clore la séance. J’invite les membres du groupe directeur à rester sur place pour une courte réunion. La séance est levée.

(La séance est levée.)

Haut de page