LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 24 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 33 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires).
Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs.
[Traduction]
Je m’appelle Brent Cotter. Je suis sénateur de la Saskatchewan et président du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Je vous souhaite à tous la bienvenue à la réunion d’aujourd’hui. J’aimerais commencer par inviter mes collègues à se présenter, en commençant à ma gauche par la vice-présidente, la sénatrice Batters.
La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Carignan : Bonjour. Claude Carignan, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : Bonjour. Sénateur David Arnot, de la Saskatchewan.
La sénatrice Pate : Je m’appelle Kim Pate. Bienvenue. Je vis sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabeg.
[Français]
La sénatrice Oudar : Bonjour. Manuelle Oudar, du Québec. Bienvenue.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
Le sénateur Wells : Christopher Wells, de l’Alberta.
La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, et je viens du territoire visé par le Traité no 6.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Dalphond : Pierre J. Dalphond, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.
Le sénateur Prosper : Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire mi’kma’ki.
Le président : Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel, apportant des modifications corrélatives à d’autres lois et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires).
Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes très honorés d’accueillir deux témoins spéciaux par vidéoconférence, soit la très honorable Kim Campbell, ancienne première ministre du Canada, ancienne ministre de la Justice et procureure générale, et l’honorable David Lametti, ancien ministre de la Justice et procureur général. Vous avez été tous les deux — certainement M. Lametti — des visiteurs réguliers à cette table. Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux.
Étant donné que M. Lametti a un autre engagement et qu’il doit partir d’ici 12 h 15, madame Campbell, vous avez convenu, je pense, que M. Lametti prenne la parole en premier. J’invite chacun d’entre vous à présenter un exposé d’environ sept minutes, qui sera suivi d’une période de questions et d’un dialogue avec les sénateurs présents. Monsieur Lametti, vous avez la parole.
L’hon. David Lametti, c.p., ancien ministre de la Justice et procureur général du Canada, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président — doyen Cotter —, si je puis me permettre. Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui.
[Français]
C’est comme si j’étais parmi mes amis. Je suis très honoré par votre invitation. J’aimerais aussi dire que je suis honoré de partager l’écran aujourd’hui avec la très honorable Kim Campbell, non seulement parce qu’elle était la première femme première ministre du Canada, et la seule à ce jour, mais aussi parce qu’elle était procureur générale du Canada et ministre de la Justice lorsque David Milgaard a été libéré. J’aimerais saluer sa décision. Je sais qu’elle aura quelques mots à dire à ce sujet. Cette décision n’a pas été facile à prendre. Je salue non seulement son intelligence, mais aussi son courage politique. Je remercie la très honorable Kim Campbell. Encore une fois, je suis très honoré de partager l’écran avec elle aujourd’hui.
[Traduction]
Mes amis, je suis ici aujourd’hui pour discuter d’un projet de loi qui est très important pour moi, parce que j’ai promis à David Milgaard, en 2019, lorsque je l’ai rencontré pour la première fois et dernière fois en présence de James Lockyer, que je le ferais adopter. J’espère que vous vous joindrez à moi pour faire tout ce que vous pouvez, honorables sénateurs.
J’ai répété cette promesse à sa sœur Susan, le jour où nous avons déposé ce projet de loi, et j’ai certainement répété cette promesse à Ron Dalton lorsque je l’ai rencontré dans les Maritimes pendant le processus de consultation sur ce projet de loi.
Honorables sénateurs, tous les examens ou les commissions qui ont eu lieu ex post facto au sujet d’une erreur judiciaire ont recommandé la création d’une telle commission. Le processus actuel que nous avons fonctionne, mais trop lentement. C’est trop coûteux, surtout pour les personnes qui doivent essayer de faire bouger le système. Si elles ont la chance d’avoir l’aide d’un avocat bénévole ou d’un projet Innocence à l’échelle du Canada, elles peuvent le faire bouger, mais en réalité, très peu de cas parviennent au Groupe de révision des condamnations criminelles, ou GRCC, au ministère de la Justice, et certainement encore moins jusqu’au ministre de la Justice.
Les cas qui se rendent jusque-là semblent être trop uniformes. Il s’agit généralement de cas d’homicide très médiatisés. Il y a d’autres condamnations injustifiées au Canada qui font du tort aux victimes, aux accusés et à leur famille et qui causent beaucoup de tort à la réputation et aux finances du système de justice.
C’est un système qui coûte trop cher, et nous pouvons le corriger.
Le projet de loi dont vous êtes saisis est un très bon modèle. C’est un modèle qui a déjà fait ses preuves. En fait, nous nous sommes inspirés en grande partie du modèle britannique, qui fonctionne depuis 25 ans, et qui fonctionne très bien. Nous avons adopté une structure et une norme juridiques similaires. Depuis qu’elle a été créée en 1997, cette commission a entendu plus de 500 causes.
Dans notre cas, nous avons eu 30 causes au cours de la même période. Même en tenant compte de la différence démographique, il est tout simplement vrai qu’il y a beaucoup d’erreurs judiciaires au Canada. Des erreurs se produisent. Nous ne blâmons personne; nous essayons de corriger le système dans la mesure du possible. Mais même en tenant compte de cela, c’est encore trop peu. Il y a certainement d’autres erreurs judiciaires au Canada qui ne sont pas rectifiées.
Lorsque je suis devenu ministre de la Justice, en janvier 2019, le premier dossier sur mon bureau était celui de Glen Assoun. Il avait attendu si longtemps, et le processus avait pris si longtemps, que cela m’a convaincu qu’il fallait faire quelque chose.
J’ai demandé aux juges Harry LaForme et Juanita Westmoreland-Traoré de nous proposer une structure. Nous avions déjà eu suffisamment de commissions et d’études pour savoir que nous avions besoin de cette commission. Nous n’avions pas besoin de ces justifications. Ce dont nous avions besoin, c’est d’un ensemble d’idées et de possibilités pour la structure de la commission. Je tiens à remercier les anciens juges LaForme et Westmoreland-Traoré pour le travail qu’ils ont accompli. Ils ont fait un travail exhaustif. Ils ont parlé à d’autres commissions dans le monde qui fonctionnaient bien, et ils nous ont donné un certain nombre d’idées.
Nous avons choisi un modèle parmi les idées qui nous semblent bonnes, et qui ont fonctionné dans d’autres pays. Dans nos pays apparentés, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, cela ne fait que commencer, mais en Angleterre, en Écosse et au pays de Galles, cela fonctionne bien depuis un certain temps. Nous pensons que c’est un modèle qui aidera plus de gens à avoir accès à la justice en corrigeant les erreurs judiciaires, en travaillant dans les limites du système de justice actuel et de la structure d’appel actuelle.
Chers collègues, anciens collègues, c’est un moment charnière. Il y a de l’instabilité politique. Il a été difficile de faire adopter ce projet de loi. Nous sommes en retard de 25 à 30 ans. Il y a des gens actuellement en prison qui bénéficieraient de cette commission. Il y a un processus de transition en place pour ceux qui sont déjà dans le système.
Permettez-moi de terminer là où j’ai commencé, avec David Milgaard. Lorsque David a été libéré, il aurait pu devenir amer, mais il ne l’a pas été. Il a travaillé avec James Lockyer, Ron Dalton et d’autres pour rendre plus accessible la correction des erreurs judiciaires au Canada. Il a été un ardent défenseur de ce type de commission.
Nous le devons à David, à Glen Assoun, à Guy Paul Morin, à Steven Truscott et à tous les autres qui ont été condamnés à tort au Canada — plus récemment, les trois personnes autochtones de Winnipeg qui ont été libérées. Nous leur devons de le faire le plus rapidement possible. Tout est en place. Compte tenu de l’instabilité politique qui existe de l’autre côté, à la Chambre des communes, je suggère que nous le fassions le plus rapidement possible, et que nous le fassions maintenant.
Merci beaucoup.
Le président : Merci. Madame Campbell, vous avez la parole.
La très hon. Kim Campbell, c.p., ancienne première ministre du Canada, à titre personnel : Merci. Vous ne voulez pas poser de questions à M. Lametti pendant qu’il est encore ici?
Le président : Je pense que nous devrions vous entendre. Je pourrais inviter les sénateurs à d’abord poser leurs questions à M. Lametti, afin que nous puissions tirer le maximum de lui avant qu’il ne doive partir. J’aimerais que vous fassiez votre déclaration préliminaire maintenant, si vous le voulez bien.
Mme Campbell : Avec plaisir. Je n’ai pas préparé de déclaration officielle parce que je voulais pouvoir répondre aux observations préliminaires de M. Lametti, pour que ce ne soit pas répétitif.
Lorsque j’ai été saisie de l’affaire très médiatisée de David Milgaard, l’une des premières choses que j’ai faites après avoir annulé sa condamnation, en me fondant sur un avis de la Cour suprême du Canada, a été de demander à l’avocat James O’Reilly, maintenant de la Cour fédérale du Canada, de revoir le processus de l’article 690 et de faire des recommandations parce que c’était clairement inacceptable.
Je voudrais dire deux ou trois choses. D’abord, lorsque j’ai été saisie pour la première fois de l’affaire Milgaard, par exemple, j’ai passé toute une fin de semaine à examiner les dossiers. C’était très laborieux, et j’y ai consacré beaucoup de temps. Il est irréaliste qu’un ministre de la Justice traite des dizaines et des centaines de cas. Comme l’a dit M. Lametti, nous avons besoin des ressources humaines et des capacités voulues pour rendre justice dans ce genre de cas.
Deuxièmement, je tiens à dire que ces examens sont très difficiles, et ce qui est ironique, c’est que si les circonstances qui ont mené à la condamnation de David Milgaard étaient survenues aujourd’hui, il n’aurait même pas été accusé parce que les preuves médico-légales qui l’ont subséquemment disculpé l’auraient exclu en tant que suspect. Mais dans son cas, la preuve circonstancielle était assez extraordinaire.
Lorsque j’ai demandé à la Cour suprême du Canada d’examiner l’affaire autrement que je ne pouvais le faire — de rendre les preuves publiques parce que je n’étais pas libre de le faire —, cinq juges ont passé trois semaines à entendre des témoignages de vive voix. Même le rapport qu’ils m’ont présenté ne disait pas qu’ils avaient trouvé une erreur judiciaire. Dans leurs observations préliminaires, ils ont dit qu’il y avait amplement de preuves pour condamner David Milgaard. Ils n’ont rien trouvé à redire au procès.
Ils m’ont dit que si le jury avait su qu’un autre délinquant du nom de Larry Fisher se trouvait dans le quartier, cela aurait pu soulever un doute raisonnable et, compte tenu du temps que David Milgaard avait passé en prison, il aurait probablement dû être libéré.
Je dis cela parce que nous savons maintenant que les preuves génétiques ont montré que ce n’était pas David Milgaard, mais Larry Fisher. On peut se demander comment cela a pu se produire, mais nous devons comprendre que les cas circonstanciels découlent de toutes sortes de préjugés cognitifs différents.
Lorsque j’ai créé le Leadership College, à l’Université de l’Alberta, j’ai créé un cours conçu pour encourager les étudiants à comprendre que nous ne pensons pas comme nous pensons que nous pensons. Il y a énormément de recherches en psychologie sociale et cognitive qui nous aident à comprendre pourquoi nous nous trompons souvent. Mon amie Carol Tavris, une psychologue de Los Angeles, a écrit, avec son collègue Elliot Aronson, un livre intitulé Mistakes Were Made (but Not by Me), où elle examine précisément les erreurs qui se produisent dans l’application de la loi — les policiers qui sont convaincus qu’ils peuvent dire quand quelqu’un dit la vérité ou non. Eh bien, nous savons que les gens qui sont le mieux en mesure de vous convaincre qu’ils disent la vérité sont en fait les psychopathes. Il y a le genre de dynamique qui a mené à la condamnation des Central Park Five et la résistance de ceux qui avaient participé à cette erreur judiciaire à admettre qu’ils avaient eu tort, même lorsque les preuves génétiques les ont disculpés.
Il est important de comprendre que le travail que fera cette commission sera difficile et qu’il lui faudra un éventail de compétences, pas seulement des bonnes compétences juridiques, mais des gens qui comprennent la dynamique du processus décisionnel et où les jurys et les organismes d’application de la loi peuvent se tromper.
Il est également important de comprendre qu’il ne sert à rien de rejeter la faute sur autrui. Autrement dit, la commission doit se comporter de façon à rechercher la vérité de façon impartiale, essayer de trouver des erreurs là où elles existent et identifier, dans la mesure du possible, les dynamiques ayant mené à ces erreurs — mais sans créer de relations hostiles avec les gens de partout au pays qui administrent notre justice. Il s’agit d’essayer d’aider les gens à comprendre que les bonnes personnes peuvent honnêtement faire des erreurs et que nous sommes tous exposés à certains types de préjugés cognitifs qui nous permettent de nous tromper.
L’affaire Milgaard était très importante pour moi parce qu’après que David Milgaard eut finalement été disculpé, j’étais très heureuse pour lui. Ce qui s’est passé, c’est qu’il y avait des échantillons de sperme sur les sous-vêtements de la victime du meurtre. Malheureusement, le plus gros de ces échantillons, qui aurait peut-être pu faire plus tôt l’objet d’un test ADN — ces tests ne se faisaient pas au moment du procès — a été envoyé par un laboratoire à la demande des Milgaard pour une analyse de groupe sanguin. Il en est ressorti que l’auteur du crime était du groupe A. Eh bien, David Milgaard aussi. L’examen médico‑légal n’a fait qu’étayer la preuve circonstancielle, et n’a pas fait la différence.
Il est tragique qu’un certain nombre de choses aient miné la capacité de David Milgaard de se défendre et, plus tard, de monter le dossier de sa condamnation injustifiée. Mais je pense qu’il est très important que la révision des erreurs judiciaires insiste pour que toutes les formes d’analyses médico-légales possibles soient effectuées. À bien des égards, c’est souvent le seul moyen déterminant d’identifier quelque chose. Dans certains cas, ces preuves sont inexistantes. J’ai lu que parfois, aux États-Unis, les personnes qui clament leur innocence se voient refuser la possibilité de faire analyser l’ADN des preuves biologiques qui existent dans les pièces à conviction d’un procès pour établir si elles sont innocentes ou coupables.
Cette commission doit être composée d’un groupe de personnes ayant une formation juridique et d’autres types de formation, qui comprennent la complexité des procès criminels, les diverses façons dont les choses peuvent mal tourner, le fait que des erreurs peuvent être commises et quelles sont les ressources nécessaires pour essayer d’obtenir des certitudes.
Aujourd’hui, si les circonstances qui ont mené à la condamnation de David Milgaard se présentaient, un test ADN serait effectué immédiatement. Il a fallu un certain nombre d’années avant que les minuscules échantillons puissent être soumis à des tests ADN, parce que la technologie était en train de se développer. Aujourd’hui, il serait immédiatement exclu en tant que suspect.
Toutes les affaires ne se prêtent pas à ce genre de certitude, mais l’importance d’insister pour que toutes les ressources médico-légales disponibles soient déployées devrait être considérée comme le droit de toute personne inculpée, de tout accusé, d’avoir accès à toutes ces ressources, indépendamment de ses ressources personnelles ou de l’inclination des forces de l’ordre.
Je me réjouis de la création de cette commission. Lorsque j’étais ministre de la Justice, la Grande-Bretagne a fait deux choses très intéressantes. Elle a suivi notre exemple en créant un bureau des poursuites pénales parce qu’elle n’en avait pas auparavant. Je me souviens d’avoir parlé à des gens là-bas lorsqu’ils ont créé leur premier poste de directeur des poursuites pénales. Toutefois, la commission des erreurs judiciaires, qui est entrée en vigueur après mon départ, a été fortement encouragée par la célèbre affaire des Guildford Four, l’armée républicaine irlandaise, ou IRA, dont l’histoire est devenue le film Au nom du père, qui a montré que des terribles injustices avaient été commises.
C’est merveilleux que nous ayons non seulement l’exemple des structures qu’ils ont créées dans un ensemble d’institutions juridiques très similaires et conviviales, mais aussi l’exemple de leur fonctionnement au cours des deux dernières décennies, de sorte que nous puissions avoir une plus grande assurance que ce que nous créons peut fonctionner.
Je dirais que nous ne réussirons jamais à tout faire. Je ne pense pas que nous puissions atteindre la perfection. Mais nous pouvons faire de notre mieux pour faire en sorte que les condamnations injustifiées soient renversées, que nous en apprenions de plus en plus sur la façon dont de telles choses peuvent se produire et que nous tâchions de l’éviter avant que les processus ne se déroulent et que nous tirions le maximum de leçons de ce genre de cas afin de rendre justice aux gens qui ont été condamnés à tort. Je vais m’arrêter là. Merci.
Le président : Merci beaucoup, madame Campbell. Il n’est pas surprenant qu’un grand nombre de collègues aimeraient discuter avec vous deux. Par conséquent, je vais demander qu’entre la question et la réponse, nous nous limitions à quatre minutes. Si vous le pouvez, posez vos questions le plus succinctement possible.
Le sénateur Arnot : J’ai deux questions, dont une pour M. Lametti. Premièrement, je tiens à dire qu’à mon avis, cette série de modifications au Code criminel constitue le changement le plus important qui ait été apporté au Code criminel au cours des dernières décennies. Je vous félicite d’avoir pris l’initiative de répondre à ce besoin très pressant dans le système de justice.
Le projet de loi C-40 s’inspire principalement des pratiques exemplaires du Royaume-Uni, de l’Écosse et du pays de Galles en ce qui concerne les exceptions à l’épuisement des appels. J’aimerais que vous nous parliez de votre expérience dans l’avancement des réformes juridiques et de l’obligation d’épuiser ces recours. Selon vous, quelles leçons ont été tirées d’autres administrations pour améliorer le mécanisme de traitement de ces questions? Voilà ma question pour M. Lametti.
Madame Campbell, au cours de votre mandat de ministre de la Justice, vous avez piloté un certain nombre de réformes, en particulier dans le domaine du droit relatif aux agressions sexuelles, afin d’améliorer l’équité à l’égard des victimes. Comment pensez-vous que ces réformes touchant la question des erreurs judiciaires s’inscrivent dans les efforts visant à améliorer l’équité?
Madame Campbell, vous avez également soulevé la question de la nomination de personnes compétentes, de commissaires qui apporteront avec eux les principes du professionnalisme, de l’intégrité et de la neutralité. C’est une lourde responsabilité. Vous en avez parlé. Ce sera difficile. Le travail ne sera pas facile. Avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet? Merci.
Le président : Madame Campbell?
Mme Campbell : M. Lametti veut-il répondre à sa question en premier?
M. Lametti : Je vais me faire un plaisir de répondre. Merci. Nous nous sommes inspirés des pratiques exemplaires d’autres pays, mais nous devons aussi tirer des leçons plus générales, sénateur. Tout d’abord, merci d’avoir piloté ce projet de loi, merci de votre travail et merci de votre question.
Le grand principe est la souplesse. Il faut que la commission puisse être souple, et il faut que les options soient également souples. Nos homologues britanniques nous ont dit : « N’ayez pas les yeux plus grands que le ventre. Assurez-vous que cette commission peut fonctionner dès le départ. » Nous pensons l’avoir fait en laissant à la commission la marge de manœuvre nécessaire pour aborder les problèmes et les cas qui s’imposent. Cela lui assure beaucoup de flexibilité. Il y a une certaine souplesse en ce qui concerne les commissaires. Nous avons fait certaines des choses dont Mme Campbell a parlé, à savoir que nous aurons à la fois des avocats et des non-juristes à la commission. Cela aussi est important.
En ce qui concerne les appels, nous voulions que cela fonctionne dans le cadre de la structure d’appel existante de sorte que, normalement, l’intéressé devra probablement interjeter appel devant la Cour d’appel et avoir au moins entamé le processus pour aller devant la Cour suprême du Canada. Il y a maintenant des exceptions, compte tenu d’un amendement qui a été apporté au comité de la Chambre des communes, pour permettre aux gens de s’adresser exceptionnellement à cette commission.
Mais pour ce qui est du fonctionnement général de la commission, elle va travailler dans le cadre du système d’appel, parce que nous avons une bonne structure juridique. Nous avons une bonne structure d’appel. Nous avons un bon système juridique. Nous essayons de l’améliorer lorsque nous faisons parfois des erreurs, sans bouleverser ce qui fonctionne vraiment bien dans le système.
Le président : Merci. Madame Campbell?
Mme Campbell : Sénateur Arnot, c’est une très bonne question que vous avez posée, car lorsque j’étais ministre et que j’administrais l’article 690, bien entendu, ce sont les personnes qui devaient avoir épuisé leurs recours qui pouvaient faire ces demandes. C’était donc la prérogative royale de clémence qu’on vous demandait d’exercer.
L’un des anciens juges de la Cour suprême des États-Unis — c’était peut-être le juge Breyer, je ne m’en souviens pas — a dit que lorsque les gens se présentent devant le tribunal pour faire renverser une condamnation injustifiée, ce n’est pas avec une présomption d’innocence, mais avec une présomption de culpabilité. Autrement dit, si vous avez été reconnu coupable, si vous avez épuisé tous vos recours, vous n’arrivez plus avec la même présomption. C’est un défi philosophique très intéressant.
Je pense que la possibilité d’une certaine souplesse, surtout dans le cas de preuves accablantes... normalement, les appels sont fondés sur des erreurs de droit, alors s’il peut y avoir une clarification du rôle de la commission en ce qui concerne les constatations de fait qui renverseraient les conclusions du jury ou de l’enquêteur lors du procès, cela pourrait en faire partie.
Vous avez mis le doigt sur quelque chose qui posera un défi assez intéressant. Cela pourrait aussi se rapporter au deuxième point que je voulais soulever au sujet du renforcement de la confiance.
L’un des problèmes — outre le fait que le ministre est une personne occupée qui a beaucoup de choses à faire —, c’est que le ministre de la Justice et procureur général du Canada porte deux chapeaux. Je me souviens du moment où Mme Milgaard m’a prise en embuscade alors que je prononçais un discours à Winnipeg. Honnêtement, on m’a reproché de m’être enfuie et de ne pas lui avoir parlé. J’étais là pour parler d’une question constitutionnelle, et mes avocats chargés de l’article 690 n’étaient pas avec moi. Honnêtement, je ne savais pas si j’avais le droit de lui parler parce que le processus se déroulait par l’entremise d’avocats. Je ne voulais surtout pas le compromettre. J’étais très perplexe. Ce n’était pas parce que je ne m’inquiétais pas pour elle, mais je me demandais ce qu’un demandeur qui n’avait pas de mère pouvait faire...Comment puis-je faire preuve d’équité envers chaque personne afin de traiter sa demande avec la même impartialité?
Brian Mulroney a dit : « C’est la réponse d’une avocate, et pas celle d’une politicienne. » J’ai répondu : « Oui, mais je ne suis pas une politicienne dans ces circonstances. Je suis alors la procureure générale du Canada. » En Grande-Bretagne, bien sûr, le procureur général et le ministre de la Justice jouent deux rôles différents, et le procureur général ne fait pas partie du Cabinet. L’une des choses que je trouve tellement intéressantes dans ce modèle de commission, c’est qu’il évite de donner l’impression que ces délibérations et évaluations ont une connotation politique ou partisane.
L’affaire Milgaard était très controversée. Tout comme il y avait des gens qui voulaient que David Milgaard soit libéré, il y avait des partisans convaincus de la loi et de l’ordre qui voulaient l’enfermer et jeter la clé.
Soit dit en passant, la preuve circonstancielle était tout à fait extraordinaire. Il y a des gens qui pensent que vous êtes une mauviette si vous renversez une condamnation, mais cela ne devrait pas être politique. Ce n’est pas politique. Cela n’a jamais été politique pour moi. Je pense que si vous avez un organisme qui est indépendant du gouvernement, en un sens, et qui peut examiner les choses d’une manière factuelle, fondée sur des principes juridiques et éclairée, vous aurez la confiance du public dont vous avez besoin — je vais utiliser cette expression — pour éviter de jeter le discrédit sur l’administration de la justice.
La raison pour laquelle j’ai soumis ce renvoi à la Cour suprême du Canada — et, soit dit en passant, cela remonte à l’affaire Steven Truscott. Quand j’étais jeune, mon père avocat avait un livre d’Isabel LeBourdais intitulé The Trial of Steven Truscott, et je n’étais qu’une jeune femme quand je l’ai lu. À l’époque, Jean Chrétien était ministre de la Justice et il a renvoyé la cause devant la Cour suprême du Canada. Il lui a demandé de l’examiner comme si elle avait accueilli un appel — je crois qu’elle a rejeté l’appel. Je me suis donc demandé ce que je pouvais faire. J’ai soumis un renvoi à la Cour suprême du Canada pour lui demander si, après avoir examiné tout ce que j’avais sous les yeux et plus encore, elle était d’avis qu’il y avait probablement eu une erreur judiciaire. Ce qui a rendu cela possible, c’est la diffusion publique de tous les témoignages que j’avais devant moi. La question n’était donc pas de savoir pourquoi Kim Campbell ne faisait pas ceci ou cela. Ce n’était pas à propos de moi. C’était à propos de ce cas très difficile, et cela a donné ce genre d’ouverture.
Si une commission a la capacité de faire connaître publiquement les éléments de preuve et de permettre aux gens de voir ce qui est examiné — il faut déterminer quelle est la meilleure mesure à prendre —, cela aide à créer une certaine confiance que rien n’est caché et qu’on répond aux affirmations. Ce processus est très prometteur.
Le président : Merci. À un moment donné, j’aurai peut-être la témérité d’interrompre l’ancienne première ministre du Canada afin qu’un certain nombre de nos collègues aient l’occasion de discuter avec vous.
Mme Campbell : Excusez-moi. J’ai tendance à faire de courtes phrases de 30 minutes.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Tout d’abord, monsieur Lametti, compte tenu des contraintes de temps aujourd’hui, lorsque vous avez prononcé votre discours à l’étape de la deuxième lecture en juin 2023, vous avez dit ceci :
C’est l’une de mes grandes priorités en tant que ministre, et c’est une priorité pour notre gouvernement. C’est aussi important pour moi personnellement [...]
Au cours des dernières années, j’ai travaillé fort pour élaborer une nouvelle approche qui améliorera le processus pour les personnes qui affirment avoir été condamnées à tort. Je travaille depuis longtemps à l’établissement d’une commission indépendante de révision des erreurs judiciaires, tout comme les deux personnes dont le projet de loi C-40 porte le nom [...]
... c’est-à-dire Joyce et David Milgaard...
[...] J’aimerais sincèrement qu’ils puissent nous voir aujourd’hui.
Compte tenu de la façon dont vous avez parlé du projet de loi C-40, je suis convaincue, monsieur Lametti, que vous avez adopté une approche très pratique dans la rédaction de ce projet de loi. Vous avez demandé au ministère de la Justice de rédiger le projet de loi C-40 pour exiger que les appels soient épuisés avec moins d’exceptions que ce qui existe actuellement, et vous avez parlé en faveur de cette exigence dans votre discours à l’étape de la deuxième lecture. Vous avez dit sans équivoque :
Il est important de souligner que le processus d’examen des erreurs judiciaires n’est pas une solution de rechange au système judiciaire ni un autre niveau d’appel. Il prévoit plutôt un mécanisme permettant d’examiner après l’appel de nouveaux renseignements ou éléments de preuve que les tribunaux n’ont pas initialement pris en compte, et d’enquêter sur ces renseignements ou éléments.
Dans ses observations au Comité de la justice de la Chambre des communes, le ministre Virani a fait un commentaire similaire lorsqu’on lui a demandé s’il craignait une ouverture des vannes. Il a dit qu’il fallait avoir épuisé les appels.
Monsieur Lametti, si l’obligation d’épuiser les appels était une mesure de protection contre les demandes frivoles ou sans fondement, pourquoi le gouvernement la supprime-t-il? Pour ce qui est de l’appel dont vous parlez, êtes-vous d’accord avec l’amendement de vos anciens collègues, qui permet maintenant de faire une demande sans nécessairement avoir épuisé toutes les possibilités d’appel? Si vous êtes d’accord, pourquoi n’avez‑vous pas inclus cette exception dans le projet de loi lorsque vous l’avez rédigé avec tant de soin?
M. Lametti : Merci, sénatrice Batters. C’est une bonne question. De toute évidence, le projet de loi initial était celui que vous avez décrit et que le ministre Virani et moi-même avons justifié. Cela devait, et doit toujours, fonctionner dans le cadre de la structure d’appel existante. La commission n’aura que le pouvoir dont dispose actuellement le ministre, c’est-à-dire de renvoyer l’affaire devant une cour supérieure ou une cour d’appel, selon qu’il y a des faits à réexaminer — auquel cas l’affaire serait renvoyée devant la cour supérieure — ou qu’il y a des questions de droit à trancher. À ce moment-là, vous envisageriez de renvoyer l’affaire devant une cour d’appel.
J’étais devenu — je le suis encore, je pense — un gradualiste pragmatique, compte tenu du temps que j’ai passé dans la vie publique et du temps que j’ai passé comme ministre de la Justice. Le processus d’amendement tient compte du fait que d’autres parlementaires aiment avoir leur mot à dire dans la structure d’un projet de loi, et j’ai toujours respecté cela, tant à la Chambre des communes qu’au Sénat. Vous en témoignerez vous-même, compte tenu de mes rapports avec vous et avec le Sénat par le passé.
Je crois comprendre que, même avec l’amendement, la grande majorité des cas demeureront dans le cadre initial. Autrement dit, le processus d’appel doit être épuisé avant que l’on puisse avoir accès à la commission.
L’amendement comportait une soupape de sécurité qui disait que, dans certaines circonstances — encore une fois, il faudrait que j’en voie les rouages —, il incombait à la personne de justifier le caractère exceptionnel de ces circonstances. Mais encore une fois, je crois comprendre qu’il s’agit de cas exceptionnels et que la grande majorité des cas demeureront dans la structure originale que nous avions prévue dans le projet de loi initial.
La sénatrice Batters : Compte tenu de la perspective historique importante que vous apportez ici, madame Campbell — je viens de la Saskatchewan et, comme je l’ai mentionné dans mon discours de porte-parole, l’affaire David Milgaard a été très importante tout au long de ma vie. Vous en avez brièvement parlé dans votre réponse précédente, mais pour l’histoire, je voulais vous donner l’occasion, et une plus longue chance — peut-être maintenant ou peut-être plus tard au cours de cette réunion — de nous faire part, à nous et aux Canadiens, de la perspective historique de votre souvenir de la partie de cette histoire concernant David Milgaard, d’autant plus que des souvenirs différents ont été rapportés au fil des ans, notamment par l’ancien premier ministre Mulroney. Je voulais vous donner l’occasion de relater vos souvenirs devant la caméra dans ce contexte important.
Mme Campbell : Je sais qu’il a dit que c’était son idée d’aller devant la cour — ce n’était pas le cas. C’était mon idée, et elle venait directement de ma lecture du livre d’Isabel LeBourdais. C’est ce qui m’a donné l’idée de soumettre un renvoi à la Cour suprême.
C’était l’un des cas les plus difficiles que j’aie jamais rencontrés, et la raison pour laquelle j’étais si humble quant à ma capacité de connaître la vérité, c’était parce que les preuves circonstancielles étaient écrasantes dans cette affaire. C’était étonnant. Par exemple, le jour du crime, David Milgaard est avec ses jeunes amis, il agit étrangement, il a perdu ses bottes, et ils vont rendre visite à un de ses amis à Saskatoon. Il disparaît à un moment donné. Plus tard, le portefeuille de Gail Miller, la victime, est retrouvé jeté dans le quartier. Cela semble être une circonstance étayant l’accusation contre David Milgaard, mais vous découvrez ensuite que le locataire de l’appartement au sous-sol de la maison de l’ami que David Milgaard visite est Larry Fisher. Il y avait donc tous ces éléments, mais à ce moment-là, il n’y avait aucune preuve qui orientait la police vers Larry Fisher. Sa femme se méfiait de lui. Elle pensait qu’il avait peut-être fait quelque chose et qu’il manquait un couteau dans leur maison. Lorsqu’elle va voir la police, on lui montre, ou on lui décrit l’arme du crime, mais elle dit : « Non, non, ce n’est pas ce qui a disparu de notre maison. »
La police n’a donc aucune raison de poursuivre cette piste. Ce n’est qu’une combinaison de facteurs. Comme je l’ai dit, il y a eu des analyses de groupe sanguin — Davis Milgaard est du groupe A. Comme ce groupe sanguin est rare, on pensait certainement que ces analyses permettraient de le disculper parce que seulement 15 % des gens ont du sang de ce groupe, mais, ô surprise, l’agresseur était aussi du groupe A. Ce test médico‑légal a donc étayé la preuve circonstancielle.
C’était extraordinaire. Au fil des ans, je me suis demandé ce qui m’avait échappé. Mais au bout du compte, ce qui a disculpé David Milgaard, c’est le test ADN, qui n’était pas disponible à l’époque de ce crime. Même lorsque j’examinais le dossier, le gros échantillon de sperme avait déjà été détruit à cause des analyses sanguines, et les petits échantillons ne se prêtaient toujours pas aux tests ADN, mais tout le monde croyait que cela deviendrait possible. Les pièces à conviction avaient toutes été conservées.
Lorsque j’ai appris, quelques années plus tard — j’étais à l’époque consul général à Los Angeles — que David Milgaard avait été officiellement exonéré grâce aux tests ADN et que c’était Larry Fisher le coupable, j’étais ravie pour David Milgaard. J’étais aussi étonnée parce qu’il n’y avait rien pour nous amener à Larry Fisher, aucune preuve circonstancielle ou quoi que ce soit qui le désignait comme un suspect possible.
Il faut être humble. C’est pourquoi je crois très important que chaque fois qu’il y a une forme quelconque d’examen ou de preuve médico-légale qui pourrait étayer de façon certaine et indéniable la culpabilité ou l’innocence d’une personne, elle doit être disponible. Il ne doit jamais arriver que quelqu’un n’ait pas accès à ce genre d’analyse.
Cela ne veut pas dire que ce sera toujours utile, mais c’était un cas très difficile. Le jour où la Cour suprême m’a donné son opinion — et il s’agissait d’une opinion —, elle a dit qu’elle pensait qu’il avait passé suffisamment de temps en prison et que le jury, s’il avait entendu parler de Larry Fisher, aurait pu avoir un doute raisonnable. C’était avant que quiconque sache que c’était Larry Fisher. J’ai annulé la condamnation le jour même. Je n’ai pas attendu le lendemain; je l’ai fait tout de suite, mais en sachant que ce n’était que la première étape. Je me sentais mal parce que je savais que David Milgaard pouvait être libre, mais que ce n’était pas la fin de l’histoire.
Lorsqu’il a finalement été exonéré, j’en étais très heureuse. Mais c’est un cas qui devrait vraiment être étudié dans les cours de criminologie en ce qui concerne le pouvoir des preuves circonstancielles, la façon dont elles se consolident, et la façon dont, dans cette affaire, plusieurs types de preuves qui auraient peut-être dû diriger l’attention ailleurs, n’ont fait que confirmer les preuves circonstancielles.
C’est une affaire qui m’a hantée. Je dois dire que, lorsque j’ai trié mes papiers après que l’électorat canadien m’a imposé ma retraite politique à l’automne 1993, j’ai découvert une très jolie carte de Noël de Joyce Milgaard. Je pense qu’elle a compris que j’avais fait tout ce que je pouvais. Elle se souciait beaucoup de moi. J’étais heureuse pour elle lorsque David a finalement été clairement exonéré.
Le président : Si je peux me permettre, madame Campbell, le rapport d’enquête a, je crois, disculpé votre jugement dans cette affaire également.
Le sénateur Dalphond : Je remercie nos deux invités de ce matin, mais je n’ai pas de questions pour les ministres. J’ai lu les discours; j’ai lu le projet de loi; j’ai parlé du projet de loi. En principe, je pense que nous sommes tous les trois d’accord sur les mêmes principes. Je vais laisser ce temps à mes collègues pour poser des questions.
Le président : Avec tout le respect que je vous dois, je vais maintenant essayer d’imposer la limite de quatre minutes aux autres intervenants et personnes qui répondent. Il se peut que je doive limiter les interventions de 30 minutes de Mme Campbell. J’espère que vous comprenez cela.
Le sénateur Prosper : Je remercie nos deux témoins.
En tant qu’avocat mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse, ce qui me vient à l’esprit, c’est la condamnation injustifiée de Donald Marshall fils, et la commission royale qui a été créée, et qui a formulé 82 recommandations concernant cette erreur judiciaire.
La discrimination systémique étant inhérente au système de justice pénale, je crois qu’elle s’est manifestée à tous les niveaux dans le cas de Donald Marshall fils. J’ai une question au sujet du nouveau paragraphe 696.6(1)(5) du projet de loi, sous la rubrique « Facteurs », il y en a deux qui, je crois, sont de nouvelles dispositions :
d) la situation personnelle du demandeur;
e) les difficultés spécifiques rencontrées par les demandeurs appartenant à certaines populations pour obtenir des mesures de redressement en cas d’erreur judiciaire, particulièrement en ce qui touche la situation des demandeurs autochtones ou noirs;
Je regarde les mots « situation personnelle », « difficultés spécifiques » et « situation des demandeurs autochtones ou noirs ». J’espère que, puisque vous êtes l’architecte ou le rédacteur de ce projet de loi, monsieur Lametti, vous pourrez nous en dire davantage sur les raisons pour lesquelles vous estimez que cela devrait être inclus dans ce projet de loi. Merci.
M. Lametti : Merci beaucoup, sénateur. C’est un aspect important de ce projet de loi. Avant l’affaire des trois Manitobains, les « cousins Woodhouse », comme je les appelle, il n’y avait que Donald Marshall, et pourtant nous savons, d’après les statistiques au Canada, qu’il y a une surreprésentation incroyable des Autochtones et des Noirs dans le système de justice pénale.
Statistiquement, il n’était pas logique que si peu de cas soumis au ministre par l’entremise du Groupe de la révision des condamnations criminelles concernent des Autochtones, des femmes ou des Canadiens noirs. Il fallait sûrement qu’il y ait un obstacle dans le système qui empêchait que ces cas, ce genre de condamnations injustifiées, soient examinés. Statistiquement, ces cas auraient dû être plus nombreux. Il n’y a pas d’autre explication.
Ce que nous visons avec les deux articles que vous citez, c’est de faire en sorte que la commission se penche explicitement sur la situation personnelle des demandeurs d’origine autochtone, noire ou autre et en fasse un motif explicite, afin que ces cas puissent être pris en charge.
S’il y a une façon d’interagir avec l’autorité, par exemple, qui résulte d’un traumatisme intergénérationnel, cela pourrait expliquer le comportement d’une personne qui, autrement, pourrait être interprété comme étant le comportement de quelqu’un pouvant être coupable ou donner cette impression. Tous ces éléments doivent être intégrés aux normes de travail du comité, de même qu’un processus plus accessible, moins coûteux et moins long, de façon à pouvoir traiter des cas qui ne sont peut‑être pas des homicides, mais qui perturbent tout autant la vie des collectivités, de l’accusé et des victimes.
Il faut se rappeler qu’il n’est dans l’intérêt de personne de mettre en prison quelqu’un d’innocent. Cela ne sert de toute évidence pas la personne et sa famille, et ne rend pas service non plus à la collectivité. Si vous y réfléchissez dans le contexte autochtone, c’est doublement important. Nous devons donc régler ce problème. Il s’agit d’une tentative que vous avez qualifiée à juste titre de mesure visant à corriger non seulement le problème de surincarcération des Autochtones, mais aussi de l’accès qu’ont les Autochtones à la justice lorsque des erreurs seront commises.
[Français]
Le sénateur Carignan : J’ai deux questions.
Je vous ai beaucoup entendu parler de l’importance des preuves externes et des preuves scientifiques avec l’ADN. Ma première question est la suivante : ne pensez-vous pas que, en plus d’avoir un genre d’outil comme le conseil, on devrait également élargir l’accès à la Banque de données génétiques, afin qu’il y ait encore plus d’infractions pour lesquelles une personne reconnue coupable doit remettre un échantillon d’ADN?
Hier, j’ai identifié un élément qui est la cour martiale. Cela ne semble pas clair. Même les fonctionnaires ne semblaient pas convaincus que le processus couvrait les personnes condamnées en cour martiale, donc les militaires ou les civils à l’extérieur. Est-ce que votre intention était de couvrir les militaires également pour qu’ils aient accès à ce processus? La question s’adresse au ministre Lametti.
M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur. C’est bien de vous revoir dans ce rôle. On a eu des interactions très positives par le passé, et cela va se poursuivre aujourd’hui.
Pour répondre à la deuxième question, pour être honnête, ce n’était pas un pouvoir que j’avais relativement au projet de loi, car c’était ce que le ou la ministre de la Défense nationale était chargé de faire selon l’interaction entre les deux systèmes et selon le rapport de l’ancienne juge de la Cour suprême Louise Arbour. Il est possible d’inclure la cour martiale. Toutefois, il y a plus de travail qui doit être fait sur la relation entre les deux systèmes avant de l’inclure dans le processus.
Cependant, je ne suis pas contre.
Pour la question des preuves, ce projet de loi permettra de corriger des erreurs et des défauts dans le système. Ce que vous avez mentionné, c’était plutôt comment on pourrait améliorer le système d’enquête ou les preuves dès le début. Si j’étais ministre, je serais ouvert à des idées visant à améliorer le processus, afin de faciliter l’accès et de mieux employer les données pour ainsi éviter, dans un premier temps, que ce genre de situation se produise.
Le sénateur Carignan : J’aimerais entendre la réponse de Mme Campbell sur la question des preuves scientifiques.
Mme Campbell : Il est difficile d’avoir des preuves scientifiques pour chaque processus, mais lorsque c’est possible, on doit les avoir. C’est la chose la plus importante. Aussi, il y a d’autres possibilités pour identifier des éléments chimiques afin de prouver de la présence d’une personne, non seulement avec l’ADN, mais autrement. Il est important de poursuivre la recherche à cet égard. Normalement, cela se fait. Toutefois, je parle de cas que je vois aux États-Unis où les gens qui veulent faire une demande de révision ne peuvent pas faire de tests pour indiquer si leur ADN était présent ou pas.
Excusez-moi, je suis en Italie et en ce moment et je suis en train d’apprendre l’italien. C’est un peu difficile pour moi de parler français.
Le sénateur Carignan : On peut aller vous rejoindre, si vous voulez, il n’y a aucun problème.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Merci beaucoup. C’est un plaisir de vous voir tous les deux.
Quand j’étais journaliste et je couvrais les tribunaux, j’ai vu des cas où, lorsque quelqu’un était disculpé, le juge procédait à une analyse judiciaire exhaustive pour déterminer si une erreur s’était produite. Mais il n’y a rien dans ce projet de loi qui permettra d’analyser ou de signaler les facteurs ayant mené à la condamnation injustifiée. Il n’y aura aucun moyen de savoir quel rôle le racisme systémique a joué, quel rôle l’absence d’un avocat efficace et, peut-être, le manque de financement de l’aide juridique ont joué. Il n’y aura aucun moyen de vérifier si des erreurs ont été commises par des juges, des policiers ou des procureurs.
Je vais m’adresser tout d’abord à M. Lametti — je sais qu’il doit partir sous peu —, mais j’aimerais aussi que Mme Campbell nous en dise davantage à ce sujet. Pensez-vous qu’il devrait y avoir quelque chose dans le projet de loi ou dans les observations qui y sont faites pour demander une sorte de rapport de commission d’enquête pour examiner ce qui n’a pas fonctionné et pourquoi?
M. Lametti : Merci, sénatrice. C’est une excellente question. Je devrai partir immédiatement après avoir répondu. Je remercie encore une fois le comité de son temps, ainsi que de son étude et de son travail sur ce projet de loi.
Sénatrice, l’objectif principal du comité est d’examiner les cas et de les renvoyer aux tribunaux compétents, afin qu’ils soient entendus de nouveau ou que les interprétations juridiques soient réévaluées, et cetera. La principale priorité est donc de régler des problèmes. Cela dit, rien n’empêche le comité de faire ce genre d’observations. Je crois comprendre que, compte tenu d’un amendement apporté par le comité de la Chambre des communes, le comité a le droit de produire un rapport. Rien ne l’empêche de le faire. Cela dépendra des ressources dont dispose le comité et du nombre de cas en cause.
Je répète que la priorité est de régler les problèmes, mais il est certain qu’en cours de route, en tant que ministre de la Justice — à ce titre, j’ai d’ailleurs examiné un certain nombre de cas, et je suis à peu près certain d’en avoir examiné plus que tout autre ministre de la Justice précédent, simplement parce qu’on savait que la question me tenait à cœur, ce qui fait que les dossiers arrivaient jusqu’à moi. Il ne fait aucun doute qu’au cours de l’examen de ces cas et de la lecture de ces dossiers, j’ai vu des choses qui m’auraient poussé à faire rapport. Je pense que si j’étais demeuré en poste comme ministre, le jour où cette commission a été créée, j’aurais lancé une enquête, en vertu de la Loi sur les enquêtes, sur le travail de la police de Winnipeg et du procureur de la Couronne, George Dangerfield, qui ont été à l’origine ensemble d’un certain nombre de condamnations injustifiées, ce qui fait que j’aimerais que toutes les affaires qui sont passées par eux soient examinées.
Je ne pense pas que le comité serait empêché de faire cela, surtout compte tenu de l’amendement de la Chambre des communes. J’aurais aimé vous répondre plus longuement. Sur ce, je vais vous quitter, et je vous remercie de votre question, sénatrice Simons.
Le président : Merci, monsieur Lametti, de nous avoir consacré ce temps.
Madame Campbell, brièvement, un point de vue sur la question de la sénatrice Simons?
Mme Campbell : Eh bien, je pense que lorsque des cas sont renvoyés à un tribunal, il faut qu’on explique pourquoi. Je ne suis donc pas certaine de ce que serait le seuil de divulgation dans ce cas. Il ne devrait pas suffire de dire : « Oh, nous pensons qu’il y a peut-être eu une erreur judiciaire. Pourriez-vous jeter un autre coup d’œil à cela? » Des motifs doivent être fournis. Mais je pense que vous avez tout à fait raison de dire qu’il faut tirer le maximum de leçons de chaque cas, parce que l’idée est d’essayer d’empêcher que ces choses se reproduisent. Mais c’est délicat parce que les gens n’aiment pas être pointés du doigt pour racisme systémique ou pour mauvais comportement dans leurs rapports avec les accusés. Pourtant, cela doit faire partie des raisons pour lesquelles une commission peut renvoyer une affaire devant un tribunal.
Je ne réponds pas vraiment à votre question. Je ne sais pas si le processus prévu dans le projet de loi comprend cela, ou si c’est quelque chose qui pourrait être clarifié, mais il faudrait certainement que des motifs soient invoqués, sinon comment une cour d’appel saura-t-elle par où commencer?
La sénatrice Pate : Merci, madame Campbell, d’être parmi nous. Je vous remercie également d’avoir été la première procureure générale du pays à réunir des groupes de femmes pour parler des problèmes de violence misogyne et de violence raciste qui se sont produits au début des années 1990.
L’une des différences que j’ai constatées lorsque j’ai commencé à travailler auprès des femmes, après des années de travail auprès des jeunes et des hommes, c’est la mesure dans laquelle elles plaidaient coupables. L’une des préoccupations au sujet de ce projet de loi, qui a également été soulevée par la juge Ratushny lorsqu’elle a effectué l’examen de la légitime défense, était l’incapacité d’examiner les erreurs judiciaires attribuables à la détermination de la peine — ce que David Milgaard lui-même a d’ailleurs préconisé —, et plus particulièrement, de procéder à des examens de groupe pour voir le genre de problèmes systémiques qui étaient très bien connus, des efforts étant quand même déployés pour qu’ils soient pris en compte dans les analyses juridiques.
Hier, le ministre et ses fonctionnaires ont soutenu que le projet de loi, dans sa forme actuelle, pourrait permettre le genre d’examen de groupe systémique que nous avons recommandé. Je sais que le ministre Lametti l’avait déjà, mais je crois qu’il vient de recevoir une copie du rapport que les juges LaForme et Westmoreland-Traoré ont encouragé notre bureau à produire, à la suite des consultations qu’ils ont eues avec nous, lorsqu’ils ont dû fournir des conseils à ce sujet.
Que pensez-vous de l’importance de ce genre d’examen et, deuxièmement, croyez-vous que ce projet de loi permettrait un examen de ce genre et, enfin, selon vous, dans quelle mesure ce genre d’examen serait-il utile?
Mme Campbell : Il y a deux choses. Il y a d’abord les règlements qui suivent la loi et qui peuvent peut-être clarifier certains détails sur la façon dont cette dernière sera mise en œuvre et appliquée.
Deuxièmement, il y a la possibilité d’apporter d’autres modifications à la loi. Compte tenu de la situation actuelle — des élections pouvant avoir lieu, et cetera —, vous devez décider si vous voulez que ce projet de loi figure dans le recueil des lois, voir comment il fonctionne et si les résultats sont ceux auxquels vous vous attendiez, ou si le projet de loi doit être amendé. Je dis cela en ma qualité d’ancienne ministre de la Justice qui a modifié le Code criminel. Il s’agit d’un instrument organique permanent qui peut être modifié au besoin.
Pour certaines personnes, il y a des choses qui sont difficiles à reconnaître. Comme vous le savez sans doute, les gens ne veulent souvent pas voir des choses comme le racisme systémique, étant convaincus que cela n’existe pas vraiment. Il faut trouver des façons de montrer le rôle qu’il joue dans la façon dont les gens sont perçus.
Je pense à ce que vous avez dit au sujet des femmes qui plaident coupables. Ce sont des statistiques et des dynamiques intéressantes. La question est de savoir pourquoi cela se produit. Il y a divers facteurs en cause, dont le manque de ressources pour lutter contre le système de justice.
Je n’ai pas de réponse simple à votre question parce qu’il faudrait que j’examine la situation de plus près et que je suive les dossiers au cas par cas. J’aime l’optique que vous avez adoptée. Je pense que les questions que vous posez font partie intégrante de ce qui rendra l’application de cette partie de la loi plus juste et plus équitable.
Nous abordons des sujets qui ne venaient même pas à l’esprit de beaucoup de gens au moment où j’étais ministre de la Justice. Lorsque j’ai convoqué mon Colloque national sur la femme, le droit et la justice, des juges sont venus et ont dit : « Avant de venir ici, je pensais que j’étais assez libéral sur ces questions. Maintenant, je me rends compte que j’étais dans l’ignorance. » Il faut aider les gens à découvrir des choses et leur faire comprendre pourquoi c’est important.
J’espère que le ministre a raison et que vous pouvez avoir l’assurance que ces questions pourront être soulevées, mais sinon, il y aura toujours le règlement. L’autre chose, c’est de faire des pressions pour que des modifications soient apportées. La façon dont les principes de fonctionnement d’une commission seront établis — ils ne seront pas fondés uniquement sur la loi, et il y aura évidemment un mandat et tout le reste — est un autre domaine où l’on peut élargir et nuancer davantage la façon dont les choses sont abordées et ce qui est pris en compte.
Je suis désolée. Ce n’est pas une réponse satisfaisante, mais je suis d’accord avec vous sur ce qui vous préoccupe.
Le président : Merci. Madame Campbell, je me demande si vous accepteriez de prolonger votre participation d’une dizaine de minutes pour permettre à d’autres sénateurs de vous poser des questions. Est-ce que cela vous convient?
Mme Campbell : Ça va. J’ai mon chien couché ici derrière moi, qui n’a pas l’air de vouloir demander à manger, alors je peux continuer.
Le président : Merci.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Madame Campbell, vous avez parlé de la mentalité de coupable. Comme j’ai siégé à la Commission des libérations conditionnelles du Canada, je sais que les gens qui n’admettent pas leur culpabilité sont moins souvent libérés ou le sont plus tardivement, soit pour une libération sous caution ou sur demande, que ceux qui ont admis dès le départ qu’ils étaient coupables. J’ai cru voir dans les documents que j’ai lus qu’on pourrait avoir entre 400 et 500 demandes par année. Ma question et mon problème avec cela, c’est que s’il y a des gens qui ont été trouvés coupables et qui sont emprisonnés, ils ont neuf ans pour faire une demande, à cause de cette mentalité. Y aurait-il des choses que la commission pourrait faire pour encourager ces personnes à faire une demande?
[Traduction]
Mme Campbell : Ce qui est important, c’est que s’il y existe un processus qui semble offrir un répit aux demandeurs dans un délai raisonnable, je pense que cela encouragera les gens qui estiment avoir été condamnés à tort à présenter une demande. S’ils estiment qu’il n’y a pas beaucoup d’espoir, si l’arriéré est trop important, c’est très décourageant pour eux.
Il y a des gens qui sont effectivement coupables lorsqu’ils sont condamnés, et certains d’entre eux pourraient aussi vouloir présenter une demande, parce qu’on dit souvent que les personnes qui sont en prison ne se considèrent pas comme coupables.
Je pense que la crédibilité du processus contribuera grandement à régler ce problème. Les gens auront l’impression qu’il y a une plus grande possibilité de faire entendre leur cause. Je ne peux pas dire si toutes les propositions seront valables.
Ce que votre collègue disait au sujet des femmes qui plaident coupables vient peut-être du fait qu’elles n’ont tout simplement pas l’impression d’avoir un recours. Si elles avaient l’impression, après l’avoir fait, qu’elles pourraient peut-être demander à quelqu’un de revenir sur ce qui s’est passé et leur permettre de dire : « J’ai plaidé coupable, mais je n’étais pas coupable », il commencera à y avoir une attribution plus juste de la culpabilité et de l’innocence dans notre système de justice pénale. Ce ne sera jamais parfait, mais je pense que ce projet de loi aidera à éliminer l’arriéré et donnera l’impression qu’il s’agit d’un processus dans le cadre duquel un demandeur a une possibilité légitime d’obtenir un examen.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Clement : Bonjour, madame Campbell. Je vous remercie d’avoir été la première à occuper ce poste où l’on doit souvent se sentir bien seule. Je vous remercie donc de l’avoir fait et je vous suis reconnaissante de votre participation active aux débats de société depuis votre départ.
Ma question fait suite à celles du sénateur Prosper et de la sénatrice Pate. Revenons au sujet du racisme systémique. Notre pays est en train de faire des rajustements sur cette question. Nous avons maintenant au pays une Stratégie en matière de justice autochtone et, depuis juin, une Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires.
Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé de biais cognitif. J’aimerais que vous alliez plus loin et que vous nous disiez ce qu’il faudrait pour les gens qui font encore partie du système de justice et qui ne voient pas cela. Dans ces stratégies en matière de justice, il est question de formation. Pensez-vous que c’est une façon de s’assurer que les gens qui vont occuper des postes au sein de la commission auront la bonne vision et comprendront ce qu’ils voient?
Mme Campbell : Je pense que la formation est très importante. La question est toutefois la suivante : comment la rendre efficace?
J’ai été frappée en regardant la vidéo avec le prince Harry et Meghan Markle. Dans son entrevue avec Anderson Cooper, le prince Harry disait que les gens sont sectaires, ce à quoi Anderson Cooper a répondu : « N’êtes-vous pas sectaire vous‑même? » Le prince Harry a alors répondu : « Disons que je vois les choses différemment maintenant. » Dans son cas, la formation a été de vivre avec une personne de race mixte et de voir les obstacles auxquels cette personne se heurtait, ainsi que de se rendre compte, du fait d’avoir épousé cette personne, du sectarisme auquel elle faisait face. Autrement dit, parfois, les gens ne voient tout simplement pas cela parce que cela leur est étranger. Ils ne peuvent pas comprendre.
Je pense qu’on peut former les gens de façon abstraite, et il y a beaucoup d’ouvrages sociaux et psychologiques merveilleux, de même que le travail fait par Claudia Goldin au sujet du déroulement des auditions des orchestres symphoniques. Les auditions derrière un écran entraînent l’embauche de beaucoup plus de femmes, en raison des préjugés cognitifs quant à leur façon de jouer d’un instrument. Cela se produit dans toutes sortes d’autres domaines, et il n’y a pas de baguette magique.
Plus vous créez d’occasions pour les gens d’entendre les histoires des autres, et ce n’est pas seulement théorique — non pas que ce ne soit pas une bonne chose —, plus ils sont à même de constater ce que signifie le fait de ne pas être cru, d’être perçu comme ayant moins de valeur ou de laisser les gens supposer que vous manquez de capacité.
Au moment de la rédaction de mon projet de loi sur les agressions sexuelles, nous avions rencontré des représentantes de communautés de femmes de couleur à Toronto. Elles nous avaient dit : « La police pense que la violence familiale fait partie de notre culture. » Les gens attribuent des comportements et des attitudes à des collectivités qu’ils ne connaissent pas ou qu’ils ne comprennent pas, de toutes sortes de façons.
Je pense que les collectivités touchées peuvent jouer un rôle important en aidant à créer des possibilités d’apprentissage, que l’on appelle cela de la formation, ou encore de l’apprentissage, de la sensibilisation et de la prise de conscience de la capacité de rendre justice à des gens différents de nous et de voir les injustices que vous n’auriez peut-être pas jugé utile de remarquer auparavant.
C’est ce que nous devons faire, mais j’aimerais bien qu’il y ait une baguette magique, ce qui n’est pas le cas. C’est un travail difficile, mais beaucoup de bonnes personnes essaient de partager leurs expériences. Le fait que nous ayons un corps législatif beaucoup plus diversifié, que des gens comme vous puissent parler directement de la réalité vécue par certaines communautés, est très précieux. Vos collègues pourront dire « Je ne savais pas cela » et, comme l’a répondu le prince Harry, « Je vois des choses que je n’avais pas vues avant. »
La sénatrice Clement : Merci, madame Campbell.
Le président : Chers collègues, deux autres sénateurs veulent poser des questions. Si vous me le permettez, j’aimerais donner à chacun l’occasion de prendre la parole. Il n’y aura pas de deuxième tour.
[Français]
La sénatrice Oudar : Merci, madame Campbell, d’être parmi nous. Avec tout le respect que je vous dois, j’avais des questions.
Monsieur le président, j’aimerais qu’on laisse du temps au second groupe de témoins. Je vais donc m’abstenir de poser ma question à Mme Campbell. Je ne veux pas augmenter le temps, et je veux permettre à l’autre groupe d’être entendu. J’ai hâte de les entendre aussi.
[Traduction]
La sénatrice Senior : Merci, madame Campbell. J’apprécie votre présence ici et tout ce que vous avez représenté pour les femmes partout au pays et je vous en remercie. J’aimerais prendre quelques secondes pour approfondir un peu vos observations précédentes, votre dernière série de commentaires sur la question posée par la sénatrice Clement.
Je pense que vous avez dit que la façon dont nous croyons penser n’est pas la façon dont nous pensons. Cela m’interpelle, surtout quand je pense à la composition de la commission et à qui sont les commissaires —, le but n’étant pas seulement de former des gens ou de leur permettre d’apprendre, mais aussi de permettre à des gens qui pensent différemment de faire partie de la commission, afin qu’il y ait un apprentissage commun autour de la table lorsqu’il y a des cas et des discussions, surtout pour les questions de discrimination, de racisme, de sexisme, et cetera.
Je n’ai pas nécessairement de question pour vous. Je veux réfléchir à la question en ne m’arrêtant pas seulement à la formation, parce que nous sommes nombreux à penser que celle‑ci a ses limites. Il s’agit probablement davantage veiller à avoir une composition diversifiée de personnes, qui ont des points de vue différents et qui peuvent participer légitimement au processus.
Mme Campbell : Au sein du comité consultatif de la Cour suprême du Canada, auquel j’ai siégé dans le cadre de quatre affectations différentes, l’un des membres était Stephen Kakfwi, un Autochtone et ancien premier ministre des Territoires du Nord-Ouest. C’était une personne merveilleuse, dégageant beaucoup de force, qui a apporté une énorme contribution à nos discussions, parce qu’il a parlé d’une réalité différente de celle de bon nombre d’entre nous. Je dirais aussi des autres membres du comité qu’ils étaient très ouverts.
J’ai vu de mes propres yeux comment la diversité dont vous parlez peut absolument améliorer la compréhension des gens et créer un processus beaucoup plus juste, ouvert et équitable. La première priorité est la composition de la commission. Il faut que ce soit une commission qui peut entendre et comprendre ce qui se dit.
Le président : Merci à vous deux. Je ne pense pas qu’il y aura une deuxième série de questions. Nous vous avons déjà demandé un peu plus de temps que ce qui était prévu au départ, madame Campbell. Même si votre chien semble toujours aussi calme derrière vous, je pense que nous devrions mettre fin à cette partie de la séance.
Ce faisant, je tiens à remercier M. Lametti, en son absence, mais aussi vous, pour le temps que vous nous avez consacré, pour le sérieux de vos réponses et pour votre collaboration importante avec nous, au Sénat. C’était un plaisir de vous revoir, et je pense que beaucoup autour de la table partagent ce point de vue. Merci beaucoup.
Mme Campbell : Merci de l’excellent travail que vous faites.
Le président : Merci.
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous sommes heureux d’accueillir trois personnes condamnées à tort et exonérées, afin qu’elles nous parlent de leur parcours. Accueillons M. Guy Paul Morin, M. Brian Anderson et M. Clarence Woodhouse. Bienvenue, et merci de vous joindre à nous.
Nous allons commencer par vous inviter à faire une déclaration préliminaire, après quoi vous discuterez avec les sénateurs. Vous avez vu un peu comment cela se passe lorsque les derniers témoins ont comparu, et les choses se poursuivront à peu près de la même façon.
Je vais inviter M. Morin et M. Anderson à faire une déclaration préliminaire. S’il le souhaite, M. Woodhouse aura l’occasion de faire part de ses réflexions par l’entremise de M. Anderson. Pour votre information, le Bureau de la traduction a demandé, mais n’a pas pu obtenir un interprète accrédité pour le saulteaux. Étant donné que M. Woodhouse a une connaissance limitée de l’anglais, s’il est à l’aise, M. Anderson pourra agir comme son intermédiaire pour nous faire part de ses réflexions.
Monsieur Anderson, allez-vous être en mesure de faire cela?
Brian Anderson, personne condamnée à tort, à titre personnel : Oui, je vais essayer.
Le président : Ce serait formidable. Merci beaucoup.
J’espère que vous prendrez le temps qu’il faut pour nous faire part de vos réflexions, mais que vous nous laisserez quand même un peu de temps pour dialoguer avec vous. Soyez le plus à l’aise possible. Je vais essayer de ne pas limiter indûment votre temps de parole. Monsieur Morin, voulez-vous commencer et vous adresser à nous pendant quelques minutes?
Guy Paul Morin, personne condamnée à tort, à titre personnel : Bonjour à tous. Je m’appelle Guy Paul Morin. J’ai noté mes réflexions ici. Je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui pour faire part de certaines de mes réflexions. J’aimerais parler du projet de loi C-40 parce que j’ai subi une erreur judiciaire. En effet, j’ai été condamné à tort pour un meurtre que je n’ai pas commis. J’ai été arrêté en 1985 pour le meurtre d’une fillette de 9 ans du nom de Christine Jessop. Elle était ma voisine. Cette arrestation illégale a marqué le début d’une erreur judiciaire qui a duré 10 ans.
Au cours de ces 10 années, j’ai subi deux procès. Au premier procès, j’ai été acquitté, et au deuxième, j’ai été condamné à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. J’ai été incarcéré dans six établissements différents, y compris le pénitencier à sécurité maximale de Kingston. J’ai vécu l’enfer. C’était au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. J’étais une personne innocente — et je le suis toujours —, les infractions que j’avais commises se limitant à quelques contraventions au code de la route. Pourtant, j’ai vécu cela.
J’aimerais que vous preniez tous un moment pour imaginer la police qui vous arrête sur le bord de la route pour vous dire que vous êtes accusé de meurtre au premier degré, alors que vous savez que vous êtes innocent. Au moment de mon arrestation, j’ai dit : « C’est une blague. » On m’a répondu : « Non, nous sommes sérieux. » Ils l’étaient effectivement. Je leur ai dit : « Vous faites une grosse erreur. » Ils ont répondu : « Nous ne faisons jamais d’erreurs. »
Pensez-y un instant : « Nous ne faisons jamais d’erreurs. » Ce genre d’attitude explique précisément pourquoi il est si important qu’une commission indépendante examine les condamnations injustifiées possibles. Même si, sur le plan juridique, ma cause a duré 10 ans devant les tribunaux, la réalité est qu’elle n’a jamais pris fin. Elle continue de peser sur ma vie et de me hanter encore aujourd’hui. Le jour où j’ai été arrêté, le 22 avril 1985, j’avais 25 ans. J’étais dans la fleur de l’âge. Cette stigmatisation et ce traumatisme immenses subsisteront à jamais.
J’aimerais joindre ma voix à celles de David et de Joyce Milgaard. Les erreurs judiciaires ne devraient jamais se produire, mais elles se produisent. Lorsque les résultats de mes analyses d’ADN ont été révélés, le deuxième procureur du procès, Leo McGuigan, a déclaré à la télévision : « Le système de justice n’est pas infaillible. » Personne n’est plus au courant de cela que moi. Sachant que des condamnations injustifiées se produisent, nous nous devons d’avoir un processus rapide et équitable pour les corriger, le cas échéant.
Ce que ce projet de loi peut offrir à d’autres personnes qui se retrouveront dans ma situation à l’avenir, c’est de l’espoir. Ce ne devrait pas être au ministre de la Justice d’examiner les cas, étant donné qu’au départ, il fait partie du système qui m’a laissé tomber. Une nouvelle commission indépendante, ouverte à la réalité des erreurs judiciaires et vouée à la vérité et à l’équité contribuerait grandement à faire la lumière sur ces injustices.
Malgré mon exonération en 1995, la stigmatisation persiste. Elle a touché ma famille et mes enfants. Pas plus tard que cet été, je parlais au téléphone avec une cliente potentielle qui m’a dit que j’avais un nom difficile à porter. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu : « Parce que c’est le nom d’un tueur. » J’étais estomaqué et je lui ai répondu : « Vraiment? » C’est 29 ans après ma disculpation et 4 ans après l’annonce du véritable meurtrier.
Lorsqu’une personne est condamnée à tort, cela entache sa vie pour toujours, et le moins que nous puissions faire, c’est d’essayer d’identifier ces cas le plus rapidement possible et d’aider les personnes touchées à sortir du système carcéral et des tribunaux pour pouvoir commencer à refaire leur vie. Plus elles demeurent longtemps dans le système, plus leur nom et leur réputation sont stigmatisés.
Je suis reconnaissant de l’aide que m’ont donnée James Lockyer et le comité Justice pour Guy Paul Morin, qui est maintenant connu sous le nom d’Innocence Canada, un organisme composé de gens qui consacrent leur temps et leurs efforts à redresser les injustices. Je suis également reconnaissant à Rubin Carter et à de nombreux autres de mes concitoyens qui ont fait preuve de respect et de soutien et qui m’ont aidé à lutter pour ma liberté.
J’ai personnellement connu David et Joyce Milgaard, et je suis au courant de leur lutte acharnée pour la justice. Joyce Milgaard a également joué un rôle important dans la lutte pour la justice dans mon cas, et je pense que la meilleure chose à faire serait de mettre en œuvre le projet de loi C-40 en leur nom et au nom des citoyens du Canada qui, à l’avenir, pourraient se retrouver dans le tourbillon de l’injustice. Vous ne pouvez pas vous tromper en faisant les choses correctement, et voici l’occasion de rendre notre système de justice moins imparfait et plus infaillible.
Faisons les choses correctement. Merci.
Le président : Merci, monsieur Morin. Des paroles très impressionnantes et réfléchies. Monsieur Anderson?
Brian Anderson, personne condamnée à tort, à titre personnel : Boozhoo.
[mots prononcés en ojibwé]
Je m’appelle Brian Anderson. Je suis un Anishinabe de la Première Nation Pinaymootang, au Manitoba. J’ai moi aussi été condamné à tort pour un meurtre à l’âge de 18 ans. Mes coaccusés venaient de la même communauté que moi. L’un d’entre nous, Allan, n’avait que 17 ans lorsqu’il a été amené pour être interrogé et arrêté. Aucun d’entre nous n’avait jamais eu de démêlés avec le système de justice pénale. Lorsqu’on nous a amenés pour nous interroger, nous ne savions pas ce qui se passait. L’anglais n’était pas notre première langue. Je ne parlais pratiquement pas anglais. Je ne parlais que ma propre langue, l’ojibwé. Dans notre communauté, bon nombre des aînés que je côtoyais tout le temps ne parlaient que l’ojibwé. Par conséquent, mon anglais était limité.
La police a profité de notre jeune âge, de notre méconnaissance du système de justice pénale et du fait que nous étions des Anishinabes et que nous ne parlions pas bien l’anglais. Lorsque j’ai été questionné par la police, on m’a menacé et on a utilisé la force. Il était facile pour la police de forger des aveux. Ces faux aveux sont la raison pour laquelle nous avons été condamnés.
Lorsque j’étais en prison, d’autres détenus m’ont dit d’interjeter appel, mais je ne savais pas ce que c’était. J’ai communiqué avec mon avocat, et il s’est fâché contre moi. Il ne voulait pas interjeter appel. Lorsque mon appel a finalement été entendu, je me suis retrouvé face aux mêmes personnes qui m’avaient condamné, c’est-à-dire le procureur de la Couronne et le tribunal d’appel.
George Dangerfield a ensuite condamné injustement beaucoup d’autres personnes, comme Thomas Sophonow, Frank Ostrowski, James Driskell et Kyle Unger, que nous connaissons.
Nous avons besoin des dispositions Milgaard dans le projet de loi C-40. Si nous pouvions adopter ce projet de loi, ce serait merveilleux.
Ce serait formidable si plus de gens comme mes avocats, Jerome Kennedy, James Lockyer et les gens d’Innocence Canada s’occupaient de ces cas. Les gens d’Innocence Canada ont été les seuls à m’aider. Ils ont repris mon dossier en 2019, et le 18 juillet 2023, j’ai été acquitté. Il a fallu presque 50 ans, jour pour jour, pour finalement prouver mon innocence. C’est l’équivalent d’une vie entière. C’est du temps que je ne pourrai jamais rattraper. La vie d’une personne n’a pas de prix.
Le système de justice pénale n’a jamais aidé qui que ce soit ici. Ils ne m’ont pas aidé, et ils n’ont pas aidé la famille de Ting Fong Chan concernant la mort de leur père. Encore aujourd’hui, le système ne m’aide pas. J’attends toujours une indemnisation pour ma condamnation injustifiée.
Il y a une forte population d’Autochtones et de Noirs dans le système carcéral. Je le sais d’expérience. Le racisme et la corruption ont mené à ma condamnation injustifiée. Le projet de loi C-40 peut aider à faire entendre la voix d’autres personnes innocentes comme moi, qui ont besoin de cela parce que personne ne les écoute.
Les gouvernements aiment parler de réconciliation. Agissons concrètement. Donnez-moi des preuves de la réconciliation. J’ai lutté toute ma vie pour cela. Je ne veux plus que cela arrive à des gens comme moi.
Si le projet de loi C-40 était adopté, il aiderait beaucoup d’autres personnes qui ont été condamnées à tort, par exemple les sœurs Quewezance en Saskatchewan, dont le cas n’est toujours pas réglé.
Meegwetch.
Le président : Merci, monsieur Anderson.
Monsieur Woodhouse, vous pouvez nous faire part de vos réflexions, peut-être par l’entremise de M. Anderson. Une autre option serait que, si vous le souhaitez — et peut-être, monsieur Anderson, vous pourriez expliquer cela à M. Woodhouse dans sa langue —, vous soumettiez un enregistrement ou une lettre dans la langue de votre choix — le saulteaux — et nous prendrons des dispositions pour que cela soit traduit et partagé avec l’ensemble du comité.
M. Anderson : Oui, il préférerait un enregistrement.
Le président : Merci beaucoup. Nous allons prendre des dispositions en ce sens.
Merci encore, monsieur Anderson.
Je vais maintenant inviter les sénateurs à s’entretenir avec vous, en commençant par le sénateur Arnot, parrain du projet de loi C-40 au Sénat.
Le sénateur Arnot : Merci à tous les témoins qui sont venus aujourd’hui pour nous aider à étudier ce projet de loi. Nous ressentons certainement la passion dans vos interventions et la souffrance que vous avez endurée en raison d’une condamnation injustifiée.
J’ai une question pour M. Morin.
Monsieur, l’enquête Kaufman a conclu que la police et les procureurs ont fait preuve d’une vision étroite, se concentrant uniquement sur vous, malgré d’autres preuves disponibles. Je vous pose donc la question suivante : croyez-vous que le projet de loi C-40 offre suffisamment de mécanismes pour examiner, déceler et corriger la vision étroite de la police associée aux condamnations injustifiées?
Deuxièmement, après des années passées sous le stigmate d’un crime que vous n’avez pas commis — ce dont vous avez parlé —, comment pensez-vous que le système de justice pourrait mieux répondre aux besoins émotionnels et de santé mentale des personnes qui sont disculpées?
Ma question s’adresse à M. Anderson et à M. Woodhouse. Messieurs, vos condamnations injustifiées étaient en grande partie fondées sur des témoignages peu fiables et sur la coercition exercée par la police. Croyez-vous que ce projet de loi aidera à régler ce genre de problèmes pour toute autre personne qui se retrouverait dans une situation similaire à celle que vous avez connue?
M. Morin : En ce qui concerne cette vision étroite, il ne fait aucun doute que c’était l’un des principaux facteurs. Un des termes utilisés à ce sujet pendant l’enquête et sur lequel l’honorable juge Fred Kaufman a insisté est le mot « renversant ». La vision très étroite dont ont fait preuve les responsables était renversante. C’était difficile à croire. C’est essentiellement l’une des principales raisons pour lesquelles je pense que j’ai été arrêté. Ils se sont concentrés sur moi. Ils n’ont pas tenu compte des autres éléments. Ils se sont uniquement concentrés sur moi. Même dans le deuxième procès, lorsque j’ai vu le premier procureur de la Couronne — le procureur de la Couronne qui était présent au premier procès est revenu pour le deuxième, je me suis dit : « Ça ressemble à une vendetta personnelle. » On s’attaquait toujours à moi.
La vision étroite est un facteur énorme qui pose un gros problème. Parfois, lorsque vous avez une intuition, il ne faut pas toujours vous y fier parce que ce n’est pas toujours la bonne. De la formation doit être donnée aux policiers et à ceux qui travaillent dans le système. Il ne faut pas toujours se fier à son instinct. Il faut laisser la preuve parler d’elle-même, en mettant de côté les preuves circonstancielles.
C’est comme ce qui s’est produit à mon deuxième procès; petit à petit, il faut ajouter un élément ici, un élément là, et s’assurer de tenir compte de tout. Il arrive que les preuves circonstancielles soient suffisantes pour incarcérer quelqu’un, mais pas toujours. Ce n’est pas une preuve irréfutable. C’est le problème que pose une vision étroite.
En ce qui concerne votre deuxième question, oui, une fois que vous entrez dans le système, vous êtes stigmatisé, et c’est un stigmate qui dure pour toujours. J’ai encore des problèmes. Comme je l’ai mentionné, lorsque j’ai parlé à cette dame, j’ai eu du mal à le croire quand je l’ai entendu dire : « Vous avez un nom difficile à porter. » Je lui ai demandé : « Pourquoi? » Elle m’a répondu : « Parce que c’est le nom d’un tueur. »
Vous savez? J’ai été très surpris sur le coup, mais je n’aurais peut-être pas dû l’être, parce que ce qui arrive, c’est que lorsque vous êtes stigmatisé, vous l’êtes pour de bon. Pendant les 10 ans que j’ai passés dans le système de justice, les gens qui me rencontraient dans la rue me disaient : « Tu es comme une vedette de feuilleton. Nous te voyons tout le temps à la télévision. » Le problème, c’est que la personne dont on a découvert que son ADN correspondait aux résultats de l’analyse — Calvin Hoover est le coupable qui a été trouvé grâce à son ADN — n’a eu qu’une semaine peut-être de couverture médiatique. J’ai eu dix ans. Encore aujourd’hui les gens me disent : « Je suis au courant de ton cas. » Ce à quoi je réponds : « Savez-vous qu’ils ont trouvé le vrai meurtrier de Christine Jessop? » Ils me disent alors : « Tu te moques de moi? » Ils sont tellement surpris. Je dis : « Vous avez donc manqué la fois dont on en a parlé dans les nouvelles. » À ce jour, c’est encore un problème pour moi. Je suis déçu de la façon dont cela s’est passé.
J’aime la vie, mais je n’aime pas ce que la vie m’a donné.
Le président : Merci, monsieur Morin.
Monsieur Anderson?
M. Anderson : Oui. Je ne connais pas le système de justice, comme je l’ai dit, alors je ne sais vraiment pas comment répondre à votre question. Peut-être que le fait d’avoir des avocats pour défendre les gens dès le départ serait la meilleure façon de procéder, afin que le processus ne s’éternise pas.
Plus vite le problème est réglé, mieux c’est.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Je suis honorée d’être ici avec vous aujourd’hui. Je suis la porte-parole de ce projet de loi, mais je considère qu’il est de mon devoir d’essayer de l’améliorer et, avec un peu de chance, de réduire le nombre de cas de ce genre.
Monsieur Morin, votre nom est synonyme de persévérance et pas de meurtrier. Vous êtes le symbole pour moi de quelqu’un qui a persévéré malgré d’énormes défis, et j’espère que vous repartirez d’ici aujourd’hui en vous rappelant de cela. J’espère que s’il est à nouveau question de cela dans les médias, ce que vous venez de dire au sujet de l’identité du vrai tueur en fera partie, pour qu’enfin la vérité soit connue, parce que je suis d’accord avec vous pour dire que l’importance que cela a eue dans cette équation était faible.
J’ai quelques questions en vue d’essayer de bonifier ce projet de loi. Les suggestions que peut faire la commission qui a été créée en vertu du projet de loi C-40 sont limitées. L’une d’elles est un appel devant les tribunaux, sans qu’il soit possible pour elle de recommander ou de renvoyer un demandeur pour un pardon ou une suspension de casier, ce que le rapport des juges LaForme et Westmoreland-Traoré recommandait.
Je me demande, monsieur Morin et monsieur Anderson, si vous aimeriez que la commission ait la possibilité d’offrir ce genre d’options élargies aux personnes qui ont été condamnées à tort?
M. Morin : Bien sûr, sans aucun doute. Si la preuve est claire, il n’y a aucune raison de ne pas avoir de pardon. C’est aussi simple que cela. C’est vraiment une question de faits.
Ce sont les éléments circonstanciels dont a parlé plus tôt l’honorable Kim Campbell qui ont servi de preuve dans le cas de David Milgaard. Il s’agit parfois d’un simple hasard. Certaines choses qui arrivent dans la vie sont pour le moins surprenantes. Le fait qu’il ait eu le même groupe sanguin, A, est bizarre. Ces coïncidences peuvent parfois faire aller les choses dans la mauvaise direction. Si c’est ce qui se produit, il y a erreur judiciaire. Il nous faut donc cette notion de preuve irréfutable.
La sénatrice Batters : Je vais peut-être passer à ma deuxième question parce que je ne veux pas manquer de temps et empêcher mes collègues de poser leurs questions.
Le projet de loi C-40 oblige la commission à traiter les demandes de révision de condamnations injustifiées « le plus rapidement possible ». C’est tout ce qui est dit à ce sujet, sans plus de précisions. On ne sait pas ce que signifie cette expression. J’ai interrogé les fonctionnaires du ministère de la Justice hier à ce sujet, et je n’ai pas obtenu beaucoup de détails.
Étant donné les longs délais que vous avez tous dû endurer, par suite de ces condamnations injustifiées cauchemardesques, je me demande si vous pensez que ce projet de loi, ou même le règlement d’application du projet de loi, devrait contenir des détails sur les délais qui doivent être respectés, plutôt que de s’en remettre à la commission pour déterminer ce que signifie « le plus rapidement possible ».
M. Morin : Pour ma part, je peux dire que c’est le ministre de la Justice qui a traité mon dossier. C’est pourquoi je pense qu’il a fallu 10 ans. Ce n’est que grâce à l’ADN que cette affaire a été réglée. Lorsqu’on a demandé à mes avocats si j’étais prêt à accepter cela, j’ai répondu que oui, pour que tout cela se termine.
Je l’ai déjà dit et je le répète : « Le système de justice m’a laissé tomber; la science m’a sauvé. » C’est aussi simple que cela. La raison pour laquelle j’ai dit cela, c’est que je pense que je serais encore dans le système de justice si ce n’était de ce verdict définitif découlant des résultats de l’analyse génétique. Je suis donc très heureux de l’issue. Je savais déjà que j’avais deux ou trois atouts, dont l’un était mon innocence. J’ai toujours su qu’un jour la vérité me rendrait libre, mais la bataille a été difficile.
Maintenant, pour ce qui est de l’échéancier, comme vous le dites, bien sûr, il serait préférable que les choses soient faites rapidement, que le cas soit réglé, mais ce n’est pas toujours ce qui se produit. Il faut du temps pour examiner la situation et la redresser. La précision prend du temps. En ce qui me concerne, si tous les faits sont présents, si tout est bien compilé et présenté, je pense que la justice peut être rendue comme il se doit.
La sénatrice Batters : Merci.
Brièvement, monsieur Anderson, aimeriez-vous que des délais plus précis soient établis pour déterminer ce que l’on entend par « le plus rapidement possible »? Aimeriez-vous avoir des délais plus précis, compte tenu de la gravité de la situation?
M. Anderson : Souvent, tout ce qu’on nous donne, c’est du temps, du temps à passer en prison. Mais pour quelque chose de ce genre, pour essayer d’empêcher que ces affaires aillent plus loin, nous avons besoin de quelque chose ou de quelqu’un qui peut suivre ces procédures judiciaires et, peut-être au bout du compte, voir s’il est possible de mettre fin à cette affaire avant qu’elle aille plus loin. Je pense que ce serait la meilleure façon de procéder.
Le sénateur Prosper : Merci, monsieur Morin, monsieur Anderson et monsieur Woodhouse. Je vous remercie de votre courage, de votre résilience, de votre patience à l’égard d’un système qui est censé protéger les gens, mais qui, comme vous le savez trop bien, est imparfait, surtout à la lumière de ce que nous avons entendu au sujet de problèmes comme une vision étroite, des préjugés inconscients et même la coercition policière.
Nous avons entendu le ministre Lametti dire que ce projet de loi s’inscrivait dans le cadre du système de justice pénale, en ordonnant la tenue d’un nouveau procès ou en renvoyant à une cour d’appel. Cependant, monsieur Anderson, vous n’avez pas encore été indemnisé.
M. Anderson : Non, pas encore.
Le sénateur Prosper : Je sais en outre que quand Donald Marshall fils a voulu parler d’indemnisation, des représentants du gouvernement ont fortement tenté de minimiser la qualité, la valeur et le sens de sa vie parce qu’il était Indien. Je sais donc que l’indemnisation relève du domaine civil et qu’aucune indemnité n’effacera ce que vous avez vécu, mais ils essaient encore d’alléger leur responsabilité.
Que pensez-vous du prochain chapitre de l’indemnisation? Pensez-vous que ce projet de loi devrait donner des indications sur l’indemnisation offerte suite aux préjudices qui ont été causés à l’un ou l’autre d’entre vous?
M. Anderson : Ce serait formidable si le Sénat pouvait nous aider. Dans des cas comme celui-ci, j’ai besoin d’aide parce que si tout le reste est aussi lent... j’ai déjà près de 70 ans. À quoi me sert l’indemnisation s’il ne me reste plus de temps? Je ne verrai pas cela de mon vivant. J’aimerais en voir au moins une partie. Ce serait très utile si vous pouviez nous aider.
Oui, le Sénat devrait nous aider. Quelqu’un appuie-t-il cela?
Le président : Merci à vous deux.
Le sénateur Dalphond : Je voudrais tout d’abord exprimer mes regrets pour les terribles erreurs judiciaires dont vous avez tous été victimes. Cela montre certainement qu’il est nécessaire de mettre sur pied une commission indépendante, mais aussi de trouver des façons d’empêcher que cela se reproduise dans le système d’abord parce que la commission va s’occuper en dernier recours de corriger une erreur qui n’aurait pas dû se produire. Je pense que ce n’est qu’un aspect de l’équation, mais c’est certainement une soupape de sécurité dans une certaine mesure, mais à quel prix? C’est ce qui me frappe.
J’aimerais peut-être me concentrer davantage sur le projet de loi, c’est-à-dire après la condamnation injustifiée. Vous avez donc purgé une peine d’emprisonnement. Je suppose que je connais la réponse à cette question, mais pourriez-vous nous dire à quel point il a été facile d’avoir accès à un groupe de supporteurs comme le groupe de Guy Paul Morin qui est devenu Innocence Canada ou pour vous, monsieur Anderson, d’avoir accès à un avocat ou à quelqu’un pour vous aider à obtenir une révision? Pourriez-vous nous décrire cette expérience et nous dire comment vous avez été laissés à vous-même, si vous le voulez bien?
M. Anderson : Oui, j’aurais aimé avoir des conseils tout de suite, mais il n’y avait rien pour moi. Nous avons écrit de nombreuses lettres à diverses personnes et organisations, dans l’espoir que quelqu’un écoute et fasse quelque chose au sujet de mon cas. Ce n’est que lorsque Innocence Canada s’est penché sur mon cas que le dossier a commencé à bouger.
Ce serait bien si, lorsqu’une personne sort de prison, on lui fournissait un endroit où rester, plutôt que de l’envoyer en maison de transition. J’ai été envoyé dans une maison de transition, et je n’ai pas aimé cela. On n’est toujours pas libre dans ces endroits. On ne peut pas simplement aller chercher du travail. Nos mouvements sont limités. Je pouvais me déplacer dans un rayon de 80 kilomètres d’où je restais. Je ne pouvais pas aller plus loin. Si j’étais allé plus loin, j’aurais été pénalisé.
Puis, lorsque j’ai présenté des demandes d’emploi ici et là, j’ai été victime de discrimination. Les gens me demandaient : « Où est votre curriculum vitæ? » Je n’en avais pas. Je ne savais même pas de quoi il s’agissait et je n’en avais jamais entendu parler.
J’ai quand même essayé d’en rédiger un. Après l’avoir lu, les gens me disaient : « Il manque des années. Où étiez-vous pendant ce temps? » Je répondais que j’étais en prison. Cela m’a donc nui, et j’ai perdu beaucoup de bons emplois à cause de cela. À une certaine époque, j’ai travaillé pour Manitoba Hydro, mais quand ils ont appris que j’avais fait de la prison, ils ont trouvé une excuse pour se débarrasser de moi. Fin de l’histoire.
M. Morin : C’est un combat de tous les instants, n’est-ce pas?
M. Anderson : C’est vrai.
M. Morin : Bien sûr. Essayez de trouver un emploi après avoir été faussement accusé dans les médias. C’était un problème, il n’y a pas de doute.
Je vais vous raconter ce qui s’est passé dans mon cas. J’ai eu la chance d’obtenir un excellent emploi. J’étais très content. J’ai appelé mon avocat et je lui ai dit : « J’aimerais commencer un emploi à l’aéroport. » Il a dit : « Vraiment? » et j’ai répondu : « Oui, c’est un travail très intéressant. » Ce qui s’est passé, c’est que j’ai dit que je voulais tester le système. Je veux voir si mon nom a été rayé de la liste en vertu du Code criminel. Suis-je toujours déclaré coupable de meurtre au premier degré? Suis-je toujours dans les livres? Ou est-ce que mon nom est complètement effacé? Il a dit qu’il devrait être effacé, et j’ai répondu : « Excellente réponse. » Il devrait l’être? J’ai décidé de poser ma candidature pour en avoir le cœur net. J’ai fait tous les tests. Ils m’ont dit : « C’est excellent, vous avez eu de bons résultats. »
Ils m’ont donc embauché. Ensuite, ils ont dit : « Oh, en passant, nous allons faire une vérification de vos antécédents par l’entremise de la GRC. » Aucun problème. Les résultats devraient être bons là aussi, n’est-ce pas? Et ils ont effectivement été bons. J’étais très satisfait et heureux. J’ai donc continué d’occuper cet emploi, que j’aimais beaucoup. Je poussais des 777, des 737 — tous les gros avions que vous pouvez imaginer — et je les chargeais et je les déchargeais. Je suis devenu superviseur en un an et demi. Ils aimaient mon travail, j’aimais l’emploi, et ils pouvaient le constater.
C’est ce qui s’est passé en fin de compte. C’est une belle histoire. Toutes les autres disciplines pour lesquelles j’étais allé à l’école — la réfrigération, la climatisation, l’électricité et le gaz — j’étais allé à l’école et je m’étais préparé pour l’avenir. Puis, l’année suivante, on m’accuse de meurtre au premier degré, et tout s’est enchaîné à partir de ce moment-là. Que puis-je dire de plus? C’est ma vie, telle que je l’ai vécue.
Le sénateur Dalphond : On ne devrait jamais rester en prison aussi longtemps lorsqu’on est victime d’une erreur judiciaire.
M. Morin : C’est vrai.
Le sénateur Dalphond : Il faut s’en occuper, mais pas dans 25, 29 ou 50 ans. Nous devrons nous pencher sur cette question dans les mois à venir ou dans un an ou deux. Merci beaucoup. Vos témoignages sont très éloquents.
M. Morin : Je n’ai fait que vous raconter ce qui s’est passé. J’allais porter un écusson ici aujourd’hui sur lequel on pouvait lire : « Les trois M ». J’étais connu comme l’un d’eux. C’était Milgaard, Marshall et Morin. Ces écussons avaient été imprimés, et j’en portais un sur mon revers de veston, tout comme d’autres qui se battaient pour ma liberté. Les « trois M » étaient connus à l’époque, dans les années 1980.
Le sénateur Dalphond : Merci à vous deux.
M. Morin : Ils ont eu la vie dure, et moi aussi.
La sénatrice Simons : Je ne peux pas vous dire à quel point c’est un privilège d’être ici avec vous trois. Je vous remercie de la clarté de votre témoignage et de votre courage.
Monsieur Morin, vous avez dit que la science vous a sauvé, mais en ce qui concerne M. Anderson et M. Woodhouse, il n’y avait pas de preuve d’ADN. Il n’y avait pas de données scientifiques pour vous disculper. Vous avez été reconnus coupables il y a 50 ans, et il a fallu tout ce temps pour que vous soyez exonéré.
Pourriez-vous nous dire deux choses? Messieurs Morin et Anderson, vous avez tous deux parlé de la difficulté. Le projet de loi obligerait les gens à retourner devant les tribunaux et à leur demander d’épuiser tous les recours en appel. Il y a donc une sorte de porte de sortie dans des circonstances extraordinaires, mais dans la plupart des cas, il faudrait s’adresser aux tribunaux. Vous avez tous les deux dit que le problème, c’est que vous devez ainsi retourner devant l’instance même qui vous a condamné au départ. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Monsieur Anderson, vous pourriez peut-être aussi parler un peu au nom de M. Woodhouse. Je veux comprendre. Vous avez purgé votre peine. Vous avez obtenu une libération conditionnelle. Vous vous êtes toujours battu pour être disculpé, des décennies après avoir été libéré de prison. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi il était si important pour vous d’obtenir cette exonération publique bien après votre libération?
M. Anderson : Eh bien, parce que je suis innocent. Je n’ai rien fait. Je dois prouver mon innocence. Si quelqu’un vous cause un préjudice, vous ne pouvez pas l’oublier. Cela vous dérange. Il faut que ce soit corrigé.
La sénatrice Simons : Dans quelle mesure croyez-vous qu’un projet de loi comme celui-ci, qui oblige les gens dans la plupart des cas à s’adresser aux tribunaux, fonctionnera? Pensez-vous que les gens auront confiance? Sur la base de vos propres expériences, pour vous deux... Monsieur Morin, vous avez dit que lors de votre deuxième procès, vous avez été confronté au même procureur qui était obsédé à l’idée de coincer son homme, et il avait décidé que vous étiez coupable.
M. Morin : Exactement.
M. Anderson : On n’arrive à rien avec les mêmes personnes, le même procureur, le même juge. On ne va nulle part.
La sénatrice Simons : Ce que je trouve très intéressant dans le cas de M. Morin, c’est qu’il y a eu une enquête publique par la suite. Ce n’est pas seulement que la preuve d’ADN vous a disculpé; il y a eu toute une enquête qui a permis de conclure à l’inconduite de la poursuite.
M. Morin : Je suis donc le chanceux, n’est-ce pas?
La sénatrice Simons : Il me semble que sans l’enquête, nous n’aurions aucun moyen de diagnostiquer ce qui a mal tourné. Aimeriez-vous un système dans lequel nous ne nous contentons pas d’exonérer les gens, mais nous retournons en arrière et examinons la situation? J’aimerais qu’on se penche sur le cas de M. Dangerfield, et sur tous les dommages qu’un seul procureur a pu causer. C’était il y a longtemps, mais nous ne pouvons pas tirer de leçons tant que nous ne comprenons pas où les choses ont commencé à mal tourner.
M. Anderson : Parmi les condamnations injustifiées dont il a été responsable, mon cas est le plus ancien, alors il a probablement trouvé un moyen de continuer à condamner des innocents tant qu’il a pu.
La sénatrice Simons : Si nous ne mettons pas fin au problème, il n’y a pas de justice pour les défendeurs. Dans le cas de Christine Jessop, la personne qui l’a violée et tuée est demeurée en liberté pendant des années. Je ne crois pas qu’on lui ait attribué d’autres crimes, mais c’est peut-être parce que nous ne l’avons pas su ou simplement parce que nous avons été chanceux.
C’est l’autre aspect des erreurs judiciaires. Les gens parlent des victimes, mais les victimes n’obtiennent pas justice si les mauvaises personnes sont en prison et si les auteurs de ces crimes demeurent en liberté.
Le président : Il y a trois autres sénateurs qui aimeraient vous poser des questions. Si vous êtes d’accord, et avec l’accord des sénateurs qui doivent partir immédiatement, nous devrions donner la parole à ces trois autres sénateurs, si cela vous convient.
La sénatrice Pate : Merci à vous trois d’être ici. Je vais me faire l’écho de ce que bon nombre de mes collègues ont dit. C’est vraiment un privilège et un honneur pour nous de vous accueillir ici.
Monsieur Morin, vous avez parlé des trois M. Nous ne nous connaissons pas, mais Marshall fils — Donald Marshall — était un ami, et il m’a présenté David Milgaard, qui est aussi devenu un ami. Monsieur Anderson, vous avez parlé des sœurs Quewezance; ce sont deux des femmes dont il est question dans ce rapport, et ce sont aussi des amies que je connais depuis plus de 30 ans.
Il est difficile, même pour des personnes comme moi qui côtoient des gens dans le système depuis près de 50 ans, de comprendre à quel point il est difficile de se faire entendre quand on est en prison. J’aimerais, si vous le voulez bien, que vous expliquiez davantage à mes collègues à quel point il est difficile, une fois que les portes sont fermées — même lorsque la porte du poste de police se ferme lorsqu’on vous interroge —, d’entrer en contact avec vos avocats, avec le monde extérieur et de faire comprendre la situation à vos avocats, en particulier pour vous, monsieur Anderson.
Je regrette beaucoup, monsieur Woodhouse, que nous ne vous ayons pas donné l’occasion de vous exprimer devant nous. C’est typique. Je ne peux pas vous dire combien de personnes rencontrées dans le système ont été condamnées après, semble‑t‑il, être passées aux aveux, alors qu’elles ne parlaient même pas la langue dans laquelle elles étaient interrogées.
Si vous êtes à l’aise d’en parler un peu, c’est une situation que je vois tous les jours. Je dis souvent que s’il y avait un avocat pour chaque personne incarcérée, il n’y aurait pas toujours d’examen des condamnations, mais il y aurait toujours des affaires judiciaires qui pourraient être réglées en raison de la mesure dans laquelle on contrôle des vies.
Certaines personnes ne comprennent peut-être pas que lorsque vous purgez une peine d’emprisonnement à perpétuité, c’est jusqu’à la mort. La raison pour laquelle l’examen de la peine et l’exonération sont si importants pour quelqu’un qui purge une peine d’emprisonnement à perpétuité, c’est que si cette peine n’est pas levée, il faut continuer de se rapporter. Il faut continuer de soumettre toutes les facettes de sa vie au contrôle des autorités jusqu’au jour de sa mort, même si l’on vit dans la collectivité.
Je ne sais pas s’il y a autre chose, si vous êtes à l’aise d’en parler. Je ne veux pas vous mettre mal à l’aise ou encore plus mal à l’aise que vous l’êtes peut-être déjà. Expliquez en quoi cela vous pèse lorsque vous êtes en prison.
M. Anderson : C’est comme quand vous avez perdu vos clés, par exemple, et que vous essayez d’entrer chez vous. Que pouvez-vous faire? Vous ne pouvez qu’attendre que quelqu’un vous ouvre la porte. C’est ainsi. Une fois en prison, vous avez besoin d’aide. Personne ne va vous écouter lorsqu’il n’y a personne d’autre à proximité. C’est très difficile une fois qu’on est pris au piège.
M. Morin : Pour ma part, je peux vous dire que j’étais en route pour une répétition de musique ce soir-là. On m’arrête. Ensuite, on m’interroge pendant ce qui m’a paru une éternité, au moins cinq heures ou plus, puis on m’enferme dans l’une des cellules au-dessous.
Ensuite, on me fait parader le lendemain matin devant tous les médias. Je n’avais jamais vu une caméra des médias avant ce jour-là. Et là, ce n’est que le début. On vous envoie en pâture devant tous les médias. On m’a ensuite envoyé à la prison de Whitby. La première chose que je vois dans les médias qui ont pris des photos de moi, c’est que quelqu’un tient le journal à la fenêtre de la porte avec mon visage sur la première page du Toronto Sun, et ça ne paraît pas bien. Les prisonniers me disent : « Tu es un tueur de bébé. » Et ça n’en finit plus.
Finalement, j’ai mon procès neuf mois plus tard. Je suis acquitté. Mais le public pense majoritairement que vous êtes plus coupable que lorsque vous... J’ai été acquitté. Mais tout le monde pense autrement. Quand on est acquitté, on pourrait penser que les gens se disent que le système a bien fonctionné, mais ce n’est pas ce qui se produit. Les gens ont l’impression que la personne acquittée s’en est tirée impunément. Malheureusement, c’était l’état d’esprit de la plupart des gens, pour une raison ou pour une autre. Les médias m’ont dit qu’ils pensaient la même chose.
Lors du deuxième procès, lorsque j’ai été reconnu coupable, on aurait pu entendre une mouche voler dans la salle d’audience. Beaucoup de gens pleuraient. Ils ont dit : « Vous êtes condamné et tout le monde pleure. » C’est un revirement de situation. Ils pensaient que c’était la fois où j’aurais dû être acquitté, au deuxième procès. Cela n’a pas fonctionné ainsi. Tout a été inversé.
Quand j’ai vu des prisonniers, quand on m’a envoyé à Millhaven, après cet acquittement — au deuxième procès —, oh, mon Dieu. On m’a envoyé au centre de détention de Middlesex, à London. Et il y a une porte en acier massif. Je devais me coucher sur le ventre et coller mon visage au bas de cette porte afin de respirer tout l’air que je pouvais. J’avais eu le souffle coupé par le verdict.
On m’a ensuite envoyé à Millhaven, puis à Kingston. Le cheminement que j’ai dû endurer, cela m’a torturé, certains prisonniers m’ont dit : « Après ce que j’ai vu au deuxième procès, et selon ce que nous savons de ton cas, il n’y a aucun espoir pour nous dans le système de justice. » C’est ce que certains prisonniers... ils pleuraient. Ces gens sont extraordinaires à leur façon. Vous savez, ils ont une stature que je n’avais jamais rencontrée auparavant, mais je dois reconnaître leur mérite. Ils ne sont pas tous mauvais. Ils ne le sont pas tous.
Ce n’est pas parce qu’il y a des détenus dans cette prison... j’en étais un, mais je suis innocent. J’entendais des prisonniers dire : « Laissez-moi deviner. Vous êtes innocent. » Je répondais : « En fait, je le suis. » Cela ne changeait rien. Je veux dire, c’est incroyable comment certains pensent. Mais j’étais innocent, et je le suis encore. Voilà le problème. Lorsque vous êtes pris dans le système et que vous êtes stigmatisé, bonne chance pour la suite. C’est difficile de continuer à vivre normalement après cela.
Le président : Merci, monsieur Morin.
[Français]
Le sénateur Aucoin : J’ai été touché par tous vos témoignages. Je serai bref. Hier, on a entendu des représentants du ministère au sujet du projet de loi C-40 et on nous a dit que l’on pourrait envoyer quelqu’un faire des enquêtes dans les prisons. Ce pourrait être intéressant d’avoir une personne embauchée pour faire le tour des prisons; ainsi, les prisonniers ou les personnes incarcérées auraient la chance, dès le début de leur incarcération, de pouvoir parler à quelqu’un comme cela.
[Traduction]
Essentiellement, ce que je veux savoir, c’est s’il y avait eu quelqu’un qui serait allé systématiquement dans les prisons, aurait circulé dans les prisons, aurait été employé par la commission ou par contrat, et aurait pu faire le tour de la prison au nom de la commission et à qui vous auriez pu parler immédiatement, qu’en auriez-vous pensé?
M. Morin : Il faut commencer quelque part. S’il y a une commission indépendante qui finit par être créée, il faut qu’il y ait des directives et un protocole sur la façon de procéder.
Bien sûr, il faut se présenter et se familiariser avec la personne qui est derrière les barreaux, voir les détails du cas, voir où sont les failles, s’il y en a. Il y a des gens qui proclameront leur innocence, et qui mentent, mais il y a des innocents en prison.
Si c’est ainsi qu’il faut procéder, c’est-à-dire en apprenant peu à peu les détails d’une affaire et en s’assurant de bien la comprendre, comprendre les failles, il faut en parler, présenter l’affaire au ministre de la Justice en disant : « Il y aura un nouvel appel; cette personne a de solides preuves établissant son innocence », ou peut-être qu’un nouvel élément de preuve a été découvert, ou peut-être que quelqu’un a changé son témoignage, quelqu’un a soudainement changé d’avis ou a peut-être menti. Ce sont des choses qui arrivent.
Pour ce qui est de la personne qui irait dans les prisons pour examiner l’affaire et la réviser, je pense qu’il est important que cela se fasse correctement et le plus rapidement possible, mais avec précision. Je pense que c’est important.
La sénatrice Clement : Merci de votre témoignage. Je tiens à reconnaître le fardeau que représente pour vous le fait d’avoir à raconter votre histoire encore et encore, et tout l’effort que cela exige.
Merci, monsieur Morin, d’avoir parlé d’Innocence Canada, d’avoir parlé de la communauté, parce que c’est souvent de cette façon que les gens s’en sortent. Merci aux gens qui vous accompagnent. Merci d’avoir également parlé de Rubin Carter. C’est un nom important pour de nombreuses collectivités du pays.
Merci, monsieur Anderson, de nous avoir parlé dans votre langue — c’est important — et d’avoir parlé de la déconnexion que vous avez ressentie par rapport à la collectivité, du logement au transport en passant par tous les autres aspects.
Ce que le sénateur Aucoin, la sénatrice Pate et le sénateur Dalphond voulaient savoir c’est, lorsque le projet de loi sera adopté, quelle sera la meilleure façon de communiquer avec les personnes condamnées à tort?
M. Anderson : Il faudrait faire circuler un avis dans les établissements pour que tout le monde puisse le voir parce que bon nombre d’entre eux ne sont pas au courant. Comme un journal, par exemple... je ne sais même pas s’ils ont les journaux. À l’époque, quand j’y étais, ils venaient tout juste d’arriver avec la télévision. Auparavant, il n’y avait pas de télévision; seulement la radio, aucun contact avec le monde extérieur.
Donc, si vous envoyez des avis aux institutions pour que tout le monde puisse les lire, alors tous ceux qui les voient peuvent présenter une demande.
M. Morin : Eh bien, nous avons de la chance. Nous avons des ordinateurs, nous avons la télévision et nous avons accès à pratiquement tout. Et le bouche-à-oreille dans notre système carcéral est en fait assez phénoménal. Le mot se passe rapidement. Les nouvelles circulent très vite. Lorsque les prisonniers m’ont dit : « Nous savons tout sur ton cas et sur toi, plus que tu ne le penses, et cela nous effraie vraiment de savoir que tu as été condamné. Il n’y a aucun espoir pour nous »; quand j’ai entendu cela, j’ai su qu’ils avaient eu accès à cette information. Innocence Canada est déjà connu. Ils sont déjà connus dans les prisons. Les détenus savent. Ceux qui sont innocents se manifesteront et auront accès à la commission qui sera mise sur pied pour améliorer le système de justice.
La sénatrice Clement : Merci. Nia:wen.
Le président : Merci à vous deux. Cela met fin à notre série de questions, mais je voulais inviter M. Woodhouse, avec l’aide de M. Anderson, à nous faire part de ses réflexions par votre entremise ou peut-être même dans sa langue, et nous nous efforcerons de faire traduire son témoignage et de le communiquer aux membres du Comité. Je suis un peu mal à l’aise qu’il ait généreusement accepté de venir ici, mais qu’il ait été un peu exclu des échanges.
Pourriez-vous lui demander, monsieur Anderson, s’il aimerait dire quelques mots, soit par votre entremise, soit dans sa langue?
M. Anderson : Il ne sait pas quoi dire.
Vous pourriez peut-être commencer par vous présenter.
Clarence Woodhouse, personne condamnée à tort, à titre personnel : Je m’appelle Clarence Woodhouse. J’étais en prison. Je ne sais pas quoi dire. La seule chose que je pourrais dire — en ojibwé — c’est tout ce que je peux faire.
M. Anderson : Alors, il peut parler; ils vont probablement l’enregistrer de toute façon.
[Mots prononcés en (ojibwé)].
M. Woodhouse : [Mots prononcés en (ojibwé)] l’enregistrent.
M. Anderson : Ils l’enregistrent.
M. Woodhouse : Je vais simplement l’enregistrer.
M. Anderson : [Mots prononcés en (ojibwé)].
M. Woodhouse : [Mots prononcés en (ojibwé)]. On m’a envoyé en prison pour rien. Merci.
M. Anderson : C’est bien.
Le président : Merci beaucoup. Merci, monsieur Woodhouse.
Je pense que cela met fin à la séance. Je pense qu’il est juste de dire qu’aucun d’entre nous dans cette salle ne sera jamais pleinement conscient de la souffrance, de la perte, à bien des égards, que chacun d’entre vous a vécu, mais le temps que vous avez passé avec nous, si vous ne l’avez pas déjà compris, a grandement contribué à nous aider à comprendre du mieux que nous le pouvons. Je tiens à vous remercier tous en notre nom.
Je tiens également à dire que votre présence ici, qui contribue à améliorer un système qui vous a imposé une injustice, est un acte de générosité remarquable et un cadeau plus généreux que vous ne pourrez jamais l’imaginer et que la plupart des gens n’accepteraient de faire dans les mêmes circonstances.
Je pense que c’est une expérience mémorable pour nous tous, et je tiens à vous remercier d’être venus ici, d’avoir passé du temps avec nous et d’avoir répondu si généreusement à nos questions.
Cela met fin à la séance. Merci à tous.
(La séance est levée.)