Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 31 octobre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 35 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires).

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs.

[Traduction]

Je m’appelle Brent Cotter. Je suis sénateur de la Saskatchewan et président du comité.

Je vais inviter mes collègues à se présenter, en commençant à ma gauche.

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Carignan : Kwe. Bonjour. Claude Carignan, du Québec.

La sénatrice Oudar : Bonjour. Manuelle Oudar, du Québec. Bienvenue.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Bonjour. Je suis le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, et je viens du territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice Pate : Bienvenue. Je m’appelle Kim Pate, et j’habite ici sur le territoire non cédé et non abandonné du peuple algonquin anishinabe.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires), appelée officieusement Loi de David et Joyce Milgaard.

Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir Me Tony Paisana, membre de l’exécutif, Section du droit pénal, de l’Association du Barreau canadien, qui se joint à nous par vidéoconférence; et Me Jessica Zita, de la Criminal Lawyers’ Association, qui est avec nous en personne, malgré l’effort important que cela a nécessité d’elle. Nous accueillons également Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec, ainsi que Me Nicolas Le Grand Alary, avocat, Secrétariat de l’ordre et Affaires juridiques, du Barreau du Québec, qui se joignent tous les deux à nous par vidéoconférence.

Merci de votre présence.

Nous allons commencer par les déclarations préliminaires de Me Paisana, qui seront suivies de celles de Me Zita et de Me Claveau — je crois que vous allez parler en votre nom et au nom de votre collègue — d’environ cinq minutes chacune, puis nous passerons aux questions et à la discussion entre vous et les sénateurs présents.

Vous avez la parole, maître Paisana. Je vous en prie.

Me Tony Paisana, membre de l’exécutif, Section du droit pénal, Association du Barreau canadien : Je vous remercie de m’avoir invité à présenter le point de vue de l’Association du Barreau canadien sur le projet de loi C-40.

L’Association du Barreau canadien, ou ABC, est une association nationale qui regroupe 36 000 avocats, étudiants, notaires et universitaires. Un aspect important de notre mandat consiste à chercher à améliorer le droit et l’administration de la justice, et c’est cet aspect qui nous amène ici aujourd’hui.

Pour ma part, je suis avocat superviseur du Projet Innocence de l’UBC, et je travaille sur des dossiers d’examen postérieur à la condamnation depuis plus de 10 ans. Je tiens à exprimer clairement notre appui aux éléments centraux du projet de loi C-40.

Pendant des décennies, les avocats et d’autres intervenants ont dû composer avec un système lent et difficile à utiliser pour l’examen postérieur à la condamnation. Le projet de loi C-40 représente un changement radical dans la façon dont ce travail d’examen sera effectué au Canada. C’est un changement qui est le bienvenu et qui, nous l’espérons, permettra de corriger les erreurs judiciaires et, surtout, de le faire plus rapidement.

La création d’une commission indépendante améliorera la transparence et l’efficacité de l’examen postérieur à la condamnation. De plus, nous appuyons la nouvelle norme d’examen contenue dans le projet de loi C-40. La norme actuelle — c’est-à-dire « des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite » — est lourde et difficile à appliquer, et elle laisse de côté de nombreuses condamnations injustifiées potentielles. La nouvelle norme, qui repose sur des « motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire a pu être commise », règle ces problèmes et constitue un progrès bienvenu.

De plus, nous félicitons le gouvernement fédéral d’avoir inclus l’examen des cas à titre posthume dans le mandat de la commission. Les condamnations injustifiées ont des répercussions non seulement sur les accusés, mais aussi sur leurs familles, leurs amis et leurs cercles élargis. Le fait d’inclure l’examen à titre posthume permet aux personnes touchées par des condamnations injustifiées de demander réparation.

Bien que, comme tout projet de loi, le projet de loi C-40 comporte des aspects pouvant être améliorés, l’ABC considère qu’il est impératif qu’il soit adopté le plus tôt possible. Pendant des décennies, les praticiens et les personnes qui ont été exonérées se sont battus pour cette réforme. La voir disparaître à une étape aussi avancée de son développement ne serait rien de moins qu’une absurdité. Ceux qui s’occupent des examens postérieurs à la condamnation savent que le système actuel ne fonctionne pas et qu’il est temps de le changer.

Cela dit, nous souhaitons mettre en évidence un aspect à améliorer que nous vous soumettons. L’ABC appuie l’inclusion d’un nouveau motif d’appel pour condamnation « imprudente » dans le Code criminel. L’étape la plus importante et la plus immédiate pour corriger les condamnations injustifiées se situe au niveau de la Cour d’appel. En effet, pour la grande majorité des accusés, il s’agit du dernier recours. Cependant, la Cour d’appel est une cour créée par la loi, c’est-à-dire qu’elle est spécifiquement assujettie au Code criminel. Lorsque le tribunal est saisi d’une affaire qui ne satisfait pas au critère exceptionnellement élevé de verdict déraisonnable, il ne peut pas intervenir, même lorsqu’un doute plane sur la culpabilité de l’accusé.

Sans surprise, compte tenu de ce libellé, bon nombre des condamnations injustifiées les plus tristement célèbres du Canada ont fait l’objet d’un appel infructueux, parfois à plus d’une reprise. En effet, il est de notoriété publique que certains des principaux cas d’appel au Canada sont liés à des condamnations injustifiées.

Un cas célèbre de verdict déraisonnable, R. c. Yebes, concernait une condamnation pour meurtre qui a été annulée près de quatre décennies plus tard en tant qu’erreur judiciaire. L’une des principales décisions reposant sur la confrontation d’un témoin hostile, est celle dans Milgaard, nom qui a été choisi pour désigner ce projet de loi. Dans le cadre de cet appel, en 1971, la Cour d’appel de la Saskatchewan avait statué essentiellement ceci :

À mon avis, en déclarant l’appelant coupable, le jury a appliqué les principes de droit appropriés à la preuve dont il disposait et, c’est sur la foi de cette preuve qu’il a pu le faire [...]

Comme vous pouvez le constater, dans la mesure où le verdict peut être correctement appuyé, il est maintenu, même s’il existe un doute à la Cour d’appel.

Il est de notre devoir de prévenir les condamnations injustifiées à toutes les étapes du processus, y compris en cas d’appel, et l’ajout des condamnations imprudentes dans les motifs d’appel du Code criminel réglerait ce problème.

Merci, monsieur le président.

Le président : Merci beaucoup.

Maître Zita? Je vous en prie.

Me Jessica Zita, membre, Criminal Lawyers’ Association : Je vous remercie d’avoir invité la Criminal Lawyers’ Association, ou CLA, à vous parler du projet de loi C-40. Il était important pour moi d’être ici en personne aujourd’hui.

La CLA représente près de 2 000 avocats criminalistes de toutes les provinces et de tous les territoires, qui sont quotidiennement aux premières lignes de la défense des accusés. J’ai été admise au Barreau de l’Ontario en 2017, mais mon adhésion à la CLA est antérieure à cela. Je suis devenue membre lorsque j’étais étudiante en droit.

Je suis particulièrement bien placée pour vous parler de ce projet de loi aujourd’hui, à la fois en tant que membre de longue date de la CLA et parce que, depuis 2020, j’ai eu le privilège de travailler en étroite collaboration avec James Lockyer. Je me souviens très bien de l’époque où il participait à des tables rondes dans le cadre de l’étude de ce projet de loi. À l’époque, nos bureaux étaient mitoyens, et il m’arrivait souvent d’écouter discrètement ses interventions. Le fait d’être ici aujourd’hui devant vous à cette étape de la vie du projet de loi et de parler de son importance représente plus qu’un honneur pour moi.

Une autre conséquence du fait que je côtoie M. Lockyer est que je suis régulièrement exposée aux vastes répercussions des erreurs judiciaires. Je prends régulièrement connaissance du point de vue des victimes de ces cas et de leurs proches. Notre bureau est inondé de leurs appels. J’aimerais que nous puissions les aider toutes — et nous essayons vraiment de le faire—, mais la quantité de ressources et de temps requise pour ces cas importants fait en sorte qu’il est difficile de les prendre en charge, tout en gérant également un cabinet privé occupé.

Nous en avons vu le résultat de cela avec le peu de demandes qui se sont rendues jusqu’au bureau du ministre dans le cadre du processus d’examen actuel. Cette commission est absolument nécessaire au Canada. Elle offre une accessibilité jamais vue dans le système actuel.

Pour moi, cette commission est destinée aux David Milgaard qui n’ont pas de Joyce pour les défendre, ceux qui sont dans cette situation, mais n’ont pas de voix pour se faire entendre. La rime n’était pas intentionnelle. Il y a beaucoup plus de gens dans cette situation que nous ne l’imaginons — ceux qui ont abandonné, qui sont seuls, qui ont dû avaler leur condamnation et qui ont fini par vivre dans l’obscurité, ou pire encore, pour quelque chose qu’ils n’ont pas fait.

Joyce Hayman en est un bon exemple. Dans le cadre de son procès, elle a été reconnue coupable d’avoir donné de la cocaïne à son fils. Elle a laissé tomber l’appel de sa condamnation, car elle était à court de fonds. Elle a vécu dans l’obscurité pendant des années, acceptant simplement son sort et n’ayant aucun contact avec son enfant.

La clinique Motherisk, la même qui avait testé son fils au départ, a fait l’objet d’un examen indépendant. Celui-ci a révélé de graves lacunes dans les méthodes utilisées par la clinique et la fiabilité de leurs résultats. Une enquête journalistique a permis de faire un lien entre cette clinique et Mme Hayman. Je dois mentionner que celle-ci a finalement été exonérée par la Cour d’appel de l’Ontario en 2021.

Maria Shepherd est un autre exemple. Elle a plaidé coupable à une accusation d’homicide involontaire et on lui a offert ce que beaucoup considéreraient comme un bon arrangement, mais elle n’avait aucune idée des agissements de Charles Smith à ce moment-là. Un grave sentiment d’impuissance doit envahir une personne qui sait qu’elle n’y est pour rien dans la mort de sa belle-fille et qui se heurte à quelqu’un considéré comme un expert dans la province. Sans ressources, comment peut-on lutter contre cela? La vérité est que cela est impossible. Donc, lorsqu’elle a dû choisir entre une sentence à vie assortie de conditions et une issue rapide, c’est cette dernière qu’elle a choisie, comme tant d’autres avant elle et maintenant.

Ce n’est qu’après l’enquête sur le travail du médecin qu’un lien a été fait avec son dossier et qu’on a communiqué avec elle. Sinon, il est fort possible que Mme Sheppard aurait continué à porter ce titre horrible qu’elle ne méritait pas.

Le sort des femmes dans le système de justice pénale me tient à cœur. Bon nombre des femmes que je connais et qui ont été exonérées l’ont été parce que leur cas est sorti de l’ombre, alors qu’il n’avait pas été examiné par le ministre. Ces femmes ont été laissées pour compte par notre système de justice, et en tant qu’avocate de la défense, ma pire crainte serait de découvrir que je suis complice d’une condamnation injustifiée, ou qu’une personne accepte une entente parce que le combat est trop douloureux, parce qu’elle n’a pas les ressources ou parce qu’elle s’est découragée.

Nous devons tenir compte des réalités quotidiennes de la pratique du droit criminel : les fausses confessions et les plaidoyers de culpabilité invalides. Ces choses arrivent plus souvent que beaucoup d’entre nous le croient. Il ne faut pas oublier non plus les avocats qui ont mal représenté leurs clients.

Nous devons tenir compte de la confiance que ces personnes perdent dans notre système. Il est difficilement logique pour elles de s’en remettre au gouvernement — le même gouvernement qui, dans leur esprit, a réclamé leur condamnation. C’est là que réside l’importance de cette commission — son objectivité et son indépendance —, et je peux vous dire, en tant que personne qui travaille dans le domaine du droit criminel et qui est également exposée aux réalités des personnes condamnées à tort, que notre pays a besoin de cela.

David Milgaard voulait que la composition de la commission reflète la sagesse des personnes exonérées, et nous sommes tout à fait d’accord. Il y a des leçons inestimables à tirer de l’expérience de ces personnes. La majorité des membres devrait avoir une formation juridique, mais, ce qui est plus important encore, la commission devrait être composée de personnes qui connaissent bien ces questions et qui ont un intérêt manifeste pour la justice.

Il y a, je crois, environ 100 condamnations injustifiées connues, selon le registre national, mais je peux vous garantir qu’il y en a beaucoup d’autres qui n’ont pas encore été mises au jour et, pire encore, qui ont déjà été oubliés.

Pour faire écho aux sentiments exprimés hier par M. Lockyer, le Canada a besoin d’une telle commission. Nier cela, c’est ignorer toutes les lacunes systémiques qui nous ont menés jusqu’ici.

Merci.

Le président : Merci, maître Zita.

Maître Claveau? Je vous en prie.

[Français]

Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec, Barreau du Québec : Monsieur le président, honorables sénateurs, je suis Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec. Je suis accompagnée de Me Nicolas Le Grand Alary, avocat au Secrétariat de l’Ordre et Affaires juridiques, Barreau du Québec.

Nous vous remercions d’avoir invité le Barreau du Québec à témoigner sur le projet de loi C-40.

Tout d’abord, le Barreau du Québec tient à souligner qu’il appuie l’objectif du projet de loi. Toutefois, forts de notre expérience dans le domaine de l’administration de la justice criminelle, nous souhaitons formuler certains commentaires afin de le bonifier.

Principalement, nous souhaitons que les nouveaux processus mis en place par le projet de loi atteignent leur objectif de corriger les erreurs judiciaires de manière efficace et efficiente. Ainsi, le Barreau du Québec accueille favorablement la création d’une commission indépendante d’examen des erreurs du système judiciaire, qui remplace le processus actuel de révision ministérielle, soulignant au passage que cela fait plus de 20 ans qu’il en fait la demande.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit que lorsque la commission :

[...] a des motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire a pu être commise ou si elle estime que cela servirait l’intérêt de la justice, la Commission peut mener une enquête relativement à la demande.

Le libellé actuel du projet de loi laisse entendre que la commission « peut » tenir une enquête. En pratique, elle n’aurait aucune obligation de le faire.

Le Barreau du Québec suggère de modifier l’article 696.5 du Code criminel afin de préciser que la commission « doit » mener une enquête lorsqu’elle a des motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire a pu être commise, ce qui permettra d’atteindre l’objectif du projet de loi de faciliter et d’accélérer la révision des dossiers des personnes susceptibles d’avoir été condamnées à tort.

D’autre part, le projet de loi prévoit que lorsque la commission transmet un avis indiquant qu’aucune enquête ne sera menée, l’avis doit également préciser le délai raisonnable dans lequel le demandeur et le procureur général compétent peuvent lui transmettre des renseignements supplémentaires relativement à la demande.

Par souci d’équité procédurale, nous recommandons de préciser que les avis doivent comporter des motifs pour lesquels la commission a décidé de ne pas enquêter.

En effet, les demandeurs devraient connaître les lacunes de leur demande de révision et ainsi avoir la possibilité de rectifier la situation, en ciblant particulièrement les problèmes soulevés par la commission lors de son évaluation du dossier.

Le barreau suggère également de remplacer le délai raisonnable pour transmettre des renseignements supplémentaires par un délai précis et prévu dans la loi, afin de permettre aux demandeurs de disposer d’un délai prévisible pour répondre aux décisions de la commission.

Le Barreau du Québec s’interroge également sur la pertinence d’inclure le critère de l’intérêt de la justice afin de justifier l’octroi d’une mesure de redressement. En effet, nous craignons que ce critère risque de désavantager certains demandeurs, notamment les Autochtones, les Noirs et d’autres demandeurs marginalisés. Parallèlement, les demandeurs qui ont été reconnus coupables de crimes graves ou qui peuvent simplement sembler dangereux aux yeux du public pourraient ne pas obtenir justice, même si une erreur judiciaire a été commise. Le Barreau du Québec considère que le critère de l’intérêt de la justice devrait plutôt être un motif additionnel utilisé au profit des demandeurs, lorsque la commission n’arrive pas à conclure qu’une erreur judiciaire a pu être commise, mais que les circonstances justifient l’imposition d’une mesure de redressement.

Dans ses dispositions transitoires, le projet de loi précise que lorsqu’une demande a été présentée en vertu du régime actuel et qu’aucune décision n’a été prise, le ministère doit donner au demandeur la possibilité de consentir à ce que sa demande soit transférée à la commission et traitée par celle-ci conformément au nouveau régime. Le choix du demandeur de procéder ou non au transfert de son dossier à la commission peut être difficile. Effectivement, bien que l’exigence de preuve soit plus élevée, le processus actuel pourrait être assez avancé et le transfert du dossier à la commission risquerait d’augmenter considérablement les délais, surtout si le processus doit être repris du début. Pour une personne incarcérée, cela peut devenir insoutenable. Le Barreau du Québec propose ainsi que le projet de loi permette aux demandeurs de continuer avec l’ancien processus d’examen, mais en appliquant le nouveau critère qui consiste à avoir :

[...] des motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire a pu être commise ou […] estime que cela servirait l’intérêt de la justice [...]

Enfin, nous sommes préoccupés par l’absence d’exigence concernant la compréhension des langues officielles au sein des commissaires. Le Barreau du Québec est d’avis que des services adéquats en français devraient être offerts aux parties et que les commissaires devraient être bilingues.

Cela fait le tour des principaux enjeux que le Barreau du Québec voulait aborder avec vous dans le cadre des consultations sur le projet de loi C-40. D’autres commentaires se retrouvent dans notre mémoire. Nous sommes maintenant disponibles pour répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup, maître Claveau. Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par le sénateur Arnot, parrain du projet de loi au Sénat, suivi de la sénatrice Batters, vice-présidente de notre comité et porte-parole du projet de loi.

Le sénateur Arnot : J’ai une question pour Me Zita et une autre pour Me Claveau.

Maître Zita, croyez-vous que la commission telle qu’elle est envisagée dans ce projet de loi est adéquate? Du point de vue des demandeurs, croyez-vous que ce projet de loi crée un meilleur accès à un processus équitable pour traiter les condamnations injustifiées?

Me Zita : Oui. Je pense qu’elle est adéquate en ce sens qu’elle représente une réponse appropriée au système actuel. Elle est adéquate en ce sens qu’elle offre beaucoup plus de transparence, et que son objectivité et son indépendance favoriseront, je crois, la confiance de ceux qui souhaitent y avoir recours.

Je pense que c’est un point que j’ai soulevé dans mes observations; des gens demeurent dans le système pendant des décennies, et il est difficile pour eux de faire confiance à l’État dans ce contexte. Le fait de savoir que le dernier recours n’est pas le ministre de la Justice — autrement dit le gouvernement, en termes simples —, mais une entité indépendante, devrait selon moi faire augmenter considérablement le nombre de demandeurs. Bref, pour répondre à votre question, sénateur, oui, je pense qu’elle est adéquate dans sa forme actuelle.

Le sénateur Arnot : Maître Claveau, la commission, telle qu’elle est actuellement conçue, comprend un certain nombre de commissaires qui ne sont pas des avocats, afin de tenir compte de divers points de vue sur les erreurs judiciaires. Votre organisation et vous-même appuyez-vous cette approche? Deuxièmement, compte tenu de l’importance que vous accordez à la transparence et à l’accessibilité au sein du Barreau du Québec, dans le cadre du travail que vous avez fait et que vous défendez, estimez-vous que l’obligation de la commission de publier son processus d’examen en ligne chaque année est adéquate, ou y a-t-il plus de mesures de transparence que vous pourriez recommander pour que le grand public comprenne bien comment le processus fonctionne?

[Français]

Me Claveau : Pour répondre à la première question, nous n’avons pas de commentaires négatifs sur le fait que la commission puisse être composée d’autres personnes que des avocats, si ce sont des personnes compétentes et expertes dans le domaine. Il n’y a pas de souci.

Pour la seconde question, je vais laisser mon collègue Nicolas Le Grand Alary y répondre.

Me Nicolas Le Grand Alary, avocat, Secrétariat de l’Ordre et Affaires juridiques, Barreau du Québec : Comme le souligne la bâtonnière, sur le plan de la formation de la commission, on souligne et on salue la diversité qui est proposée afin de refléter la diversité de la société canadienne, et aussi l’égalité des genres et la surreprésentation de certains groupes dans le système de justice pénale. Je pense qu’il y a une volonté d’avoir une commission représentative. C’est une très bonne chose.

Pour ce qui est des mesures, nous avions proposé dans le mémoire à l’origine qu’il y ait une possibilité pour la commission d’émettre des recommandations qui visent des enjeux systémiques. Cela a été ajouté au projet de loi lors de l’étude à la Chambre des communes. Nous sommes en faveur de toute mesure visant à assurer la transparence, le suivi des décisions et une meilleure publicité des différentes décisions et recommandations de la commission.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice Batters : Merci à vous tous d’être avec nous aujourd’hui, tant ceux qui sont en ligne que Me Zita, qui est avec nous en personne. Je suis d’accord avec ce que vous avez dit tout à l’heure au sujet du privilège et de l’honneur que représente la participation à ce processus visant à résoudre un problème qui dure depuis si longtemps et qui a eu des effets dévastateurs sur tant de gens au fil des décennies.

J’aimerais approfondir un peu la question. En tant que porte-parole, j’essaie de bonifier ce projet de loi. Dans votre déclaration préliminaire d’aujourd’hui, vous avez dit ceci au sujet des commissaires : « La majorité des membres devrait avoir une formation juridique [...] » À l’heure actuelle, le projet de loi C-40 exige que seulement le tiers des membres de la commission aient une formation juridique, et il prévoit également que la moitié au plus ait une formation juridique. En fait, étant donné le quorum requis, il est possible qu’un seul des membres de la commission soit un avocat. Compte tenu de cela et à la lumière de votre déclaration d’aujourd’hui, seriez-vous d’accord pour que le projet de loi C-40 précise qu’au moins 50 % des membres de la commission aient une formation juridique?

Me Zita : Dans mes observations, je parlais au nom de la Criminal Lawyers’ Association. Je m’en tiens à l’utilisation que j’ai faite du mot « majorité ».

D’après ce que je vois des demandes en vertu de l’article 696, il faut bien connaître le droit pénal pour comprendre de quoi il retourne. Il est nécessaire de comprendre le processus de fond en comble. Il faut aussi bien saisir le processus de libération conditionnelle qui s’applique à ces personnes. C’est la définition même de la formation juridique, et je pense que la commission profiterait de la présence de ce genre de personnes à sa tête.

Cela dit, et comme l’a demandé David Milgaard, il est également important d’avoir des personnes exonérées, qui ont une formation juridique différente — peut-être pas officielle, mais tout aussi importante. À mon avis, et cela vient peut-être de ma propre expérience, c’est comme si vous étiez jugé par un jury composé de vos pairs. Il peut arriver que les gens qui reçoivent les demandes et qui ont une formation juridique soient un peu désabusés. Il arrive parfois que les membres de la communauté aient une perception plus claire des choses. Je crois que ce mélange des deux contribuera à renforcer la commission.

Pour répondre simplement à votre question, nous croyons qu’il est important que la commission soit dirigée par des personnes qui comprennent le sujet dont elles traitent.

La sénatrice Batters : Comme vous l’avez dit, au nom de la Criminal Lawyers’ Association, la majorité des membres devrait avoir reçu une formation juridique. Merci.

Ma prochaine question s’adresse au Barreau du Québec. Vous avez parlé d’établir une norme différente pour la révision des condamnations injustifiées, c’est-à-dire celle des motifs raisonnables. À l’heure actuelle, le projet de loi C-40 prévoit un nouveau seuil, à savoir qu’une erreur judiciaire « a pu être commise », ce qui abaisse celui qui est établi pour l’acceptation des demandes de révision.

En comparaison, au Royaume-Uni, c’est le critère de la « possibilité réelle », qui est utilisé. On y a reçu environ 32 000 demandes entre 1997 et 2024. Seulement 900 d’entre elles environ ont été renvoyées devant les tribunaux, et 580 condamnations ont été annulées. Il y a une différence importante dans le seuil.

Étant donné qu’en vertu du projet de loi C-40, il y aurait un nombre limité de commissaires — entre quatre et huit, plus un commissaire en chef —, est-ce que cet élément fait partie de votre raisonnement au sujet des motifs raisonnables? Avez-vous des préoccupations concernant la capacité de la commission de gérer efficacement le volume important de demandes attendues avec une norme moins élevée? Et pourriez-vous nous expliquer davantage pourquoi vous pensez que le critère des motifs raisonnables serait préférable à ce qui est proposé dans le projet de loi C-40, c’est-à-dire qu’une erreur « a pu se produire »?

[Français]

Me Le Grand Alary : Effectivement. Les commentaires de Me Claveau dans son allocution préliminaire visaient la mesure transitoire entre les demandes actuelles et les demandes sous le nouveau régime. Nous appuyons les nouveaux critères qui faciliteront la preuve. Nous sommes persuadés qu’il y aura une augmentation du nombre de demandes, tant en raison du changement en ce qui concerne les critères que de l’adoption de la loi avec un nouveau mécanisme. Cela forme un ensemble. La commission doit avoir des moyens raisonnables pour faire le suivi des dossiers et les traiter dans les délais prévus ou dans les meilleurs délais possibles pour les demandeurs. Si on veut que le projet de loi soit mis en œuvre de manière efficace, il faudra des ressources pour traiter les demandes. Effectivement, on doit s’attendre à une augmentation des demandes, en partie à cause des critères, mais aussi à cause de la publicité de la nouvelle commission. Le fait qu’il y ait une nouveauté influencera aussi le niveau de demandes. Tous ces facteurs militent pour qu’il y ait les ressources appropriées pour le traitement des dossiers.

La sénatrice Batters : Je vous remercie.

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse au Barreau du Québec.

Merci d’être là. Vous êtes toujours présents. Votre participation est toujours très pertinente. Vous êtes de fiers membres du Barreau du Québec quand on vous voit témoigner. Je vous remercie.

J’aimerais vous entendre sur la question de la composition. C’est un peu la même question que la sénatrice Batters a posée, mais j’aimerais avoir la position du Barreau du Québec. On dit qu’un tiers des membres doit avoir au moins 10 ans d’expérience dans l’exercice du droit pénal, et que la moitié doivent être des personnes qui ne sont pas visées au paragraphe 696.75(2), si possible. Cela veut-il dire que ce seront des personnes qui peuvent être avocats, mais qui n’ont pas d’expérience en droit pénal? Cela veut-il dire qu’ils ne devront pas être des avocats? Avez-vous scruté cela? J’aimerais entendre votre point de vue. Cela devrait-il être seulement des avocats? En ce qui concerne l’expérience en droit pénal, lorsqu’ils remplissent leur formulaire d’inscription, certains avocats vont inclure plusieurs champs de pratique. Ainsi, leur expérience ne sera pas complètement en droit pénal, ce qui rendra difficile d’appliquer tout cela. J’aimerais vous entendre là-dessus.

Me Claveau : Merci pour votre question.

En ce qui concerne les 10 années d’expérience en droit pénal ou criminel, cela correspond un peu à nos critères à la magistrature lorsqu’on recrute de nouveaux juges. Cela prend un minimum de 10 ans. Cela nous semble justifié.

Lorsque l’on parle de l’autre paragraphe, ceux qui ne font pas partie du premier groupe, quand on y pense, ce pourrait être des criminologues, des experts en criminologie. Moi, c’est à eux que je vais penser.

J’imagine qu’il y aura un processus qui fera en sorte que les gens qui siégeront à cette commission auront l’expertise et l’expérience nécessaires et pertinentes pour y siéger.

Nous ne sommes pas d’avis qu’il faut 100 % d’avocats. Je l’ai mentionné tout à l’heure. On peut comparer cela à certaines commissions ici au Québec. Par exemple, aux affaires sociales, dans nos tribunaux administratifs, ils siègent souvent à trois. L’important, pour nous, c’est que ce soit présidé par un avocat. C’est important que l’avocat dirige les débats. S’il est accompagné par d’autres ressources expertes, on ne voit pas d’enjeu.

Je vais laisser mon collègue compléter ma réponse.

Me Le Grand Alary : Comme Me Claveau l’a souligné, nous sommes d’avis qu’il devrait y avoir au moins un avocat sur le panel ou sur le banc qui traitera un dossier. Le critère établi à l’article 696.73 concernant la diversité des opinions et la diversité sur le plan des différents enjeux et réalités qui ont été vécus dans le système de justice pénale est important. Un ratio intéressant a été proposé dans le projet de loi, mais il faut qu’il y ait une représentation d’avocats.

Au paragraphe 696.75(3), je préciserais qu’on mentionne que la moitié « [...] ne sont pas, si possible [...] ». On s’attend à ce qu’il y en ait un peu plus. C’est un idéal à atteindre en matière de diversité qui est visé ici. Il s’agit d’une mesure intéressante.

Le sénateur Carignan : Je vous remercie.

J’aimerais vous entendre sur un autre sujet qui me tient à cœur dans ce projet de loi. Il semble y avoir une correction à apporter. Le projet de loi ne semble pas couvrir la cour martiale, donc la justice militaire. On sait que les cours martiales vont appliquer des dispositions du Code criminel et de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances en référence à leur code de discipline. Ne pensez-vous pas que les militaires devraient également avoir accès à un processus de recours en cas d’erreurs judiciaires?

Me Le Grand Alary : C’est une excellente question.

Cela ne fait pas l’objet du projet de loi. Le projet de loi C-66 sur la justice militaire est actuellement à l’étude. Au fil du temps, il y a eu plusieurs rapports en vertu de la Loi sur la défense nationale en ce qui concerne une révision du système des cours martiales. Le Barreau du Québec a toujours milité pour une meilleure indépendance des cours martiales, notamment par la création d’une cour militaire permanente. Si on apportait ces modifications législatives et si on avait un nouveau cadre, le traitement des erreurs judiciaires en matière militaire serait plus facile à intégrer par la suite dans le projet de loi C-40. Il s’agit d’une piste intéressante, mais il faut d’autres arrimages dans d’autres lois, notamment la Loi sur la défense nationale. C’est une réflexion intéressante qui devrait se faire.

Le sénateur Carignan : Je vous remercie.

La sénatrice Oudar : À mon tour de saluer la présence de la bâtonnière, Me Claveau, et de la remercier de son excellent travail au Québec. Moi aussi, je suis une fière membre du Barreau du Québec.

Maître Claveau, j’étais heureuse de lire le mémoire que vous avez déposé en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire de la commission. J’ai posé la même question à peu près à tous les témoins. Hier, j’ai posé cette question au rédacteur du rapport qui a servi d’inspiration au législateur; je parle du rapport de l’honorable juge LaForme. En ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire d’enquêter qui est accordé à la commission à l’article 696.5, il suggérait comme vous un amendement à cet article, pour préciser que si la commission constate qu’elle a des motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire a été commise, elle doit faire enquête. Elle ne peut pas avoir un pouvoir discrétionnaire — pas après avoir entendu les témoins qui ont témoigné auprès du juge LaForme, qui lui ont indiqué que l’on n’avait pas affaire à des dossiers, mais bien à des personnes, et que ces personnes estimaient qu’elles avaient droit elles aussi à des enquêtes en bonne et due forme. Merci pour votre commentaire dans le mémoire, que je partage.

Je vais vous amener à l’article suivant. Toujours dans ces articles, on parle de la notion d’intérêt public, une notion qui donne un grand pouvoir discrétionnaire à la commission.

Je songe notamment à l’article 696.6, selon lequel la commission, si elle constate qu’elle a des motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire a pu être commise, peut ordonner des mesures de redressement. En plus, le législateur a ajouté un autre critère. Il faut également qu’elle estime que cela servirait « l’intérêt de la justice ». Dans votre mémoire, vous avez énoncé — à juste titre — que cela risque de pénaliser les groupes marginalisés. J’aimerais vous entendre là-dessus.

Me Claveau : Merci, sénatrice Oudar; je vais demander à mon collègue de répondre à votre question.

Me Le Grand Alary : C’est une excellente question. C’est une réflexion que le barreau a faite après la lecture du rapport de la juge Westmoreland-Traoré. Ce rapport indiquait clairement que le critère d’intérêt de la justice, qui a été ajouté comme une autre condition... Vous avez parlé de l’intérêt public, et c’est la même chose pour l’intérêt de la justice : l’article 696.6 et ce critère qui a été ajouté pourraient effectivement freiner certaines demandes, notamment pour des demandeurs qui peuvent faire partie de groupes marginalisés, mais aussi des demandeurs qui ont peut-être commis des crimes graves. Il y a peut-être un intérêt à dire qu’il n’y a pas d’enjeu ou, s’il y a bel et bien une erreur judiciaire, que la personne est détenue pour une autre infraction.

On doit éviter les questions purement théoriques dans un tel critère, et le rapport indique clairement que cela pourrait être utilisé. On recommande de conserver ce critère, mais de l’utiliser uniquement au bénéfice du demandeur. Si on ne passe pas totalement la barre du premier critère, mais s’il y a des enjeux et s’il y a eu une réaction médiatique, c’est-à-dire si un dossier a soulevé des enjeux dans la société ou s’il y a un élément qui semble inéquitable, mais sans satisfaire complètement le premier critère, nous recommandons qu’on puisse l’utiliser comme autre motif pour le demandeur pour assurer la tenue d’une enquête de la commission.

La sénatrice Oudar : J’ai une sous-question. Est-ce que vous suggérez que le législateur fasse cette précision dans le projet de loi, c’est-à-dire que le critère soit utilisé seulement au bénéfice du demandeur pour lier le pouvoir de la commission par la loi ou autrement? J’aimerais vous entendre sur le moyen de faire cela.

Me Le Grand Alary : Oui, effectivement; on ne propose pas un libellé d’amendement, mais on suggérerait de modifier l’article 696.6 pour préciser que l’intérêt de la justice doit être un critère qui peut être invoqué par le demandeur dans certaines circonstances.

La sénatrice Oudar : Merci.

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup aux témoins.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup d’être ici avec nous. Mes premières questions s’adressent au Barreau du Québec.

[Français]

D’abord, merci beaucoup; c’est toujours apprécié quand le barreau prend le temps de présenter un mémoire et de témoigner devant les comités du Sénat. Nous l’apprécions toujours. Dans votre mémoire, vous avez soulevé deux points, soit la question du mot « doit » ou « peut » entre la révision du dossier et l’enquête. Vous avez aussi parlé des motifs de la décision.

Dans un sens, est-ce que je comprends bien que la loi n’est pas aussi spécifique que vous le souhaiteriez là-dessus? Le paragraphe 696.83(1) du projet de loi dit ceci :

La Commission peut adopter des politiques pour la conduite de ses travaux et son fonctionnement, notamment des politiques concernant ses procédures et pratiques.

Le paragraphe 696.83(2) dit ce qui suit :

Elle adopte des politiques [...]

En anglais, l’article dit ceci :

[Traduction]

« ... must adopt policies [...] »

[Français]

[...] concernant les sujets suivants : [...]

b) chacune des étapes du processus d’examen; [...]

d) la fourniture d’avis et d’autres renseignements aux demandeurs [...]

Au fond, est-ce qu’on peut penser que les préoccupations que vous soulevez seront couvertes par les politiques que la commission se doit d’adopter?

Me Le Grand Alary : C’est effectivement possible que ce soit visé par les politiques. Il faudrait la voir. De manière générale, je vous dirais que le barreau, lorsqu’il y a un critère qui aura un impact sur la décision... L’exemple qu’on a ici, ce sont les motifs qui expliqueraient le rejet de la demande et les délais pour s’y conformer par le demandeur. C’est sûr qu’il y a un impact important sur le traitement de sa demande, ses droits à l’avenir et, ultimement, la correction ou non de l’erreur judiciaire qui aurait pu avoir lieu. C’est sûr que cela peut être prévu par la politique, mais de manière générale, quand cela peut avoir un impact important sur les droits, il peut être intéressant d’avoir ces dispositions dans la loi. Il est raisonnable d’avoir des politiques qui donnent des détails sur la procédure, mais parfois, il y a peut-être certaines normes ou certains critères que l’on veut prévoir à même le projet de loi. On vous proposait de faire cela dans le projet de loi, mais on examinera attentivement la question quand la commission sera mise sur pied, en plus des politiques qu’elle adoptera en vue de répondre à la demande. Je pense qu’on se comprend sur ce point.

Le sénateur Dalphond : Il faut rappeler le mandat de la commission et ses pouvoirs de rendre le meilleur accès possible. Vous avez parlé de la mixité de la commission en y voyant un avantage. Je suis d’accord avec vous. Ce ne sera pas la première commission mixte entre avocats et gens spécialisés. C’est le cas de la Section des affaires sociales (SAS) du Tribunal administratif du Québec (TAQ), qui agit comme commission pour les personnes jugées inaptes à subir un procès en droit criminel. C’est un avocat qui la préside et il est assisté par des psychiatres et d’autres personnes qui participent à l’exercice, n’est-ce pas?

Me Claveau : Exactement; c’était l’exemple auquel je faisais référence tout à l’heure pour un tribunal administratif sur le plan des affaires sociales, de la santé mentale, de la commission des libérations conditionnelles et des choses comme cela.

Le sénateur Dalphond : Toute application du Code criminel qui est faite par un organisme mixte.

[Traduction]

Je crois comprendre que vous êtes également tout à fait ouverts à l’idée qu’il s’agit d’une commission mixte, et pas seulement d’un groupe d’avocats qui devront examiner les cas sous l’angle du Code criminel et qui sont susceptibles de ne pas voir la discrimination systémique et tous les autres facteurs qui ne sont pas inscrits dans le Code criminel.

Me Zita : C’est exact.

Le président : Merci.

Le sénateur Prosper : Je n’ai que deux questions, une pour Me Zita et une pour Me Claveau.

En réponse à une question posée plus tôt par la sénatrice Batters, vous avez parlé de la provenance des membres de la commission. Croyez-vous qu’il serait approprié que des Autochtones et les Noirs soient explicitement représentés à la commission, compte tenu de la représentation des personnes marginalisées dans le système de justice pénale et parmi les personnes condamnées?

Pour ce qui est de ma question à Me Claveau, nous avons entendu un témoignage dans un groupe de témoins précédent concernant l’intérêt de la justice. Dans son témoignage, cet ancien membre de la magistrature, je crois, affirmait ne pas être certain de la signification réelle de l’« intérêt de la justice ». Je me demande si vous pourriez nous en dire davantage ou nous donner une définition possible de ce que signifie l’« intérêt de la justice » dans ce contexte.

Me Zita : Ma réponse à votre question est oui. Je pense qu’il est bien connu que les Noirs et les Autochtones sont largement surreprésentés dans le système correctionnel, et que leur situation est très différente historiquement, et même aujourd’hui, malheureusement. Avoir cette représentation — encore une fois, je reviens à cette idée d’un jury de vos pairs —, avoir des gens aux vues similaires qui examinent ces demandes, correspond exactement à l’esprit de cette commission, selon moi, c’est‑à‑dire une compréhension plus complète et plus fructueuse, non seulement du dossier qui arrive sur votre bureau, mais aussi de la personne et de sa vie. Une représentation complète et intentionnelle aidera certainement à atteindre cet objectif.

Le sénateur Prosper : Merci.

Me Zita : Je vous remercie de la question.

Le sénateur Prosper : Maître Claveau.

[Français]

Me Claveau : J’abonde dans le même sens sur la présence d’un commissaire autochtone ou noir. Je pense que ce serait vraiment intéressant, puisqu’il y a une surreprésentation carcérale dans le cas de ces deux communautés.

Pour ce qui est du deuxième aspect de la question, je vais laisser mon collègue répondre.

Me Le Grand Alary : Je crois que c’est la question de la journée relativement à l’intérêt de la justice, qui est un critère qui peut avoir plusieurs définitions et peut être interprété selon les circonstances.

Il faut comprendre que dans ce cadre, l’intérêt de la justice va inclure la notion de correction des erreurs judiciaires pour faire en sorte que justice soit rendue, de même que l’aspect qui touche le public. Tous ces facteurs entrent dans la notion d’intérêt de la justice. Le fait que ce soit un critère large explique pourquoi nous considérons qu’il doit être utilisé au bénéfice des demandeurs pour forcer la tenue d’une enquête.

Effectivement, le rapport du juge LaForme et de la juge Westmoreland-Traoré soulignait que ce critère d’intérêt de la justice pourrait être utilisé à mauvais escient, notamment envers les demandeurs autochtones ou noirs ou dans d’autres circonstances. On propose plutôt d’utiliser ce critère comme une mesure positive pour le demandeur.

[Traduction]

Me Paisana : Monsieur le président, je me demande si je peux répondre à la dernière question sur l’« intérêt de la justice ».

Le président : Bien sûr. Faites-nous part de votre point de vue.

Me Paisana : Merci, monsieur le président. Si je voulais intervenir à ce sujet, c’est que nous en avons parlé dans notre mémoire à l’étape de la consultation. À l’instar du Barreau du Québec, nous sommes d’avis que l’« intérêt de la justice » doit être interprété d’une manière favorable au demandeur. Ce que je veux dire, en fait, c’est qu’il y a des circonstances où une erreur judiciaire peut se produire sans être directement liée aux faits particuliers de l’affaire, par exemple, l’influence d’un juré, l’impartialité d’un juré, une aide inefficace qui n’est pas nécessairement le résultat d’un changement, mais qui fait en sorte que la personne a subi un procès si injuste que cela équivaut à une erreur judiciaire. Il y a des choses qui ne correspondent pas nécessairement aux faits précis de l’affaire qui pourraient justifier une conclusion d’erreur judiciaire sous la rubrique de l’« intérêt de la justice ».

Le président : Merci beaucoup, maître Paisana.

La sénatrice Simons : Ma question s’adresse à Me Zita. Je vous remercie beaucoup d’avoir pu vous libérer pour être parmi nous, surtout compte tenu de l’échéance prochaine du projet auquel vous travaillez.

Me Zita : Oui, cette échéance est dans cinq semaines. Merci, sénatrice.

La sénatrice Simons : Une des choses qui m’ont vraiment surprise lorsque nous avons commencé l’étude de ce projet de loi, c’est le peu de cas concernant des femmes qui ont été traités par le passé. Évidemment, il y a plus d’hommes incarcérés que de femmes, mais il me semble tout de même extraordinaire que si peu de femmes aient été exonérées dans le système actuel.

Je me demande si vous avez des préoccupations au sujet de la représentation des sexes ou de la capacité des femmes d’exercer leurs nouveaux droits en vertu de cette loi. Lorsque M. Lockyer était ici hier, il a dit quelque chose comme : « Clarence Woodhouse aurait été libéré il y a 50 ans s’il avait eu ce système. » J’ai remis cette affirmation en question parce que je ne crois pas que cela aurait été le cas, étant donné que, selon moi, il n’aurait pas su comment demander de l’aide. Je me demande si vous pourriez nous parler de cela.

Me Zita : Je suis d’accord avec vous, sénatrice, au sujet des préoccupations concernant la sous-représentation des femmes parmi les personnes exonérées. Lorsque j’ai préparé mes observations, les seules femmes auxquelles j’ai pu penser sont celles dont les cas ont été découverts grâce à des enquêtes — celles de Charles Smith et Motherisk. Même dans mon propre travail sur les appels — j’ai une grande pratique dans le domaine des appels, et je pense surtout aux femmes autochtones qui sont si mal représentées au moment de leur procès. Je me demande pourquoi il en est ainsi. Je pense que c’est parce que leurs voix sont entendues différemment de celles des autres.

Je crois que c’est la raison pour laquelle la représentation au sein de cette commission est si importante. Il ne s’agit pas d’une occasion d’approfondir les questions systémiques...

La sénatrice Simons : Tout est une occasion d’approfondir les injustices systémiques.

Me Zita : Dans les trois minutes qu’il nous reste probablement pour parler de cela, je constate dans ma pratique que les femmes accusées d’infractions criminelles sont considérées comme plus suspectes que les autres.

Une voix : Les hommes.

Me Zita : Oui. Quand je pense à cette commission, je constate que ces discussions sont plus ouvertes qu’elles ne l’ont jamais été. J’ai parlé de la façon intentionnelle dont les choses se déroulent et de la façon dont les dossiers sont abordés et traités. Le changement de culture que nous avons pu constater dans la discussion ouverte qui se tient me donne beaucoup plus d’inquiétude que d’espoir quant à la façon dont les femmes bénéficieront de ce genre de commission.

La sénatrice Simons : L’un des problèmes, c’est que ce projet de loi cherche à redresser des torts qui ont déjà été causés. Il est muet sur la question de la prévention de ces torts. Il s’agit notamment du financement de notre système d’aide juridique, de l’accès à un avocat efficace et de la pression exercée sur l’avocat pour négocier des plaidoyers et régler les cas rapidement. Je n’aime pas les comparaisons empiriques entre les sexes, mais je me demande combien de femmes de plus acceptent précipitamment un plaidoyer du fait de leur éducation qui les a convaincues qu’elles doivent assumer la responsabilité de quelque chose, même si ce n’est peut-être pas approprié pour elles de le faire.

Me Zita : Je pense que ces chiffres sont dévastateurs. C’est une réflexion que je me fais assez souvent. Joyce Hayman en est un excellent exemple. J’ai eu le plaisir de la rencontrer personnellement. Ce n’était pas quelqu’un qui allait revendiquer haut et fort son innocence. Un grand nombre des personnes qui se sont manifestées — les personnes injustement condamnées que nous célébrons aujourd’hui en tant qu’exemples de personnes exonérées — étaient entourées d’une équipe qui se battait pour elles. Le nombre de femmes est si grand — des femmes vulnérables, des femmes sans abri et des femmes toxicomanes —, que c’est là que tout commence. On ne les écoute pas. Il arrive parfois qu’elles soient diabolisées lorsqu’elles prennent la parole.

La sénatrice Simons : Parce qu’un crime commis par une femme est plus horrible pour nous qu’un crime commis par un homme, je pense.

Me Zita : Je ne pensais pas que j’irais jusqu’à dire cela, mais c’est un processus qui consiste à les apparenter à des sorcières.

Je vais terminer sur ce point parce que je pense que nous pourrions discuter de cela encore longtemps aujourd’hui. Je pense à la différence qui existe entre moi et un client que je vois dans une vidéo et qui parle de façon véhémente de ce qui s’est passé et des torts qui lui ont été causés, cette différence étant que, pour une raison ou une autre, lorsque je parle, on m’accorde un peu plus de crédibilité qu’à cette personne. Cela éclaire vraiment mon travail, la façon dont j’écoute mes clients et la façon dont je me présente avec eux.

La sénatrice Simons : Merci.

Le président : Merci à vous deux.

La sénatrice Pate : C’est un point de départ parfait pour la suite de mon intervention.

Maître Zita, je pense que vous connaissez une partie du travail que nous avons fait sur les 12 femmes autochtones. En fait, j’aimerais approfondir un peu votre commentaire selon lequel les femmes autochtones, en particulier, sont parfois mal représentées. J’ai utilisé deux cas en particulier lorsque j’ai parlé de ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, d’excellents criminalistes ayant représenté deux femmes autochtones, sans comprendre d’où elles venaient. J’aimerais que vous nous parliez un peu plus de cette responsabilisation à outrance des femmes dans la façon dont elles sont socialisées.

J’ai été frappée lorsque je suis passée d’un milieu de travail principalement masculin à un milieu de travail principalement féminin par le nombre de femmes emprisonnées pour des infractions pour lesquelles il serait rare de voir un homme emprisonné, de même que par le fait que peu d’entre elles savaient que le contexte laissait à désirer. Dans la plupart des cas, les choses se passent comme vous l’avez dit, et je pense à Tammy Marquardt, qui a accepté la responsabilité. Elle n’avait pas l’intention de contester cela, même si bon nombre d’entre nous insistaient pour qu’elle le fasse, mais elle a été exonérée parce qu’elle était l’une des victimes du Dr Smith. Je pense à de nombreux autres cas de ce genre.

Comment ce projet de loi réglerait-il ces problèmes? À votre avis, que faudrait-il dans ce projet de loi pour aider ces femmes?

Me Zita : Ce que je trouve intéressant et important dans le projet de loi, et dont on n’a peut-être pas suffisamment parlé, c’est qu’il comporte un élément éducatif. On y précise que la Commission est censée élaborer des politiques et collaborer avec les demandeurs, ce que je n’ai pas vu dans des mesures législatives semblables.

Je pense que c’est important parce que, encore une fois, c’est comme des pierres d’assise. Si nous dotons la Commission comme il se doit et de façon représentative, quelqu’un qui examine un dossier ou une demande y constatera ce qu’ont vécu ces femmes et saura peut-être mieux communiquer avec elles, en supposant qu’elles aient d’abord présenté une demande.

Je dois penser que, encore une fois, ces discussions et votre travail auprès des 12 femmes autochtones, une histoire aussi retentissante et captivante que celle des sœurs Quewezance, je peux voir dans ma pratique, dans notre cabinet, à quel point ces histoires sont importantes pour tant d’autres. C’est si simple. Le simple fait de passer à la télévision peut grandement contribuer à faire avancer les choses. Ce sont des choses dont on ne parlait pas quand j’étais jeune. Je pense que c’est important. Il y a beaucoup à approfondir dans votre question.

La sénatrice Pate : Les sœurs Quewezance sont un bon exemple. Il leur a fallu près de 10 ans pour même accepter le fait qu’elles avaient été condamnées à tort, que la responsabilité morale, éthique, familiale et culturelle n’équivalait pas à la responsabilité légale. Elles l’acceptent maintenant, et c’est très bien, mais cela a pris près de quatre décennies.

Me Zita : Dans votre rapport, madame la sénatrice, au sujet des 12 femmes autochtones, il y a un point qui m’a vraiment frappée. Pour ce qui est des sœurs Quewezance, c’est une affaire que je connais et à laquelle j’ai travaillé en coulisse. Comme vous le savez, le cousin a avoué lorsqu’il était jeune avoir commis le meurtre, mais vous avez précisé que la police était vraiment déterminée à épingler les sœurs. C’est là-dessus que nous voulons nous concentrer. Pourquoi?

Pour en revenir à ce que vous disiez au sujet des bons avocats qui représentent des femmes autochtones et qui ne racontent pas leurs histoires, pourquoi cela se produit-il? Ont-ils des préjugés? Leurs histoires sont-elles moins faciles à croire parce qu’elles ne sont peut-être pas communiquées d’une façon qui semble crédible? C’est un problème, et je ne sais pas si cette commission... Je pense que c’est un problème plus profond, mais le fait que ces discussions soient incluses dans la mise sur pied de cette commission me donne personnellement l’espoir qu’elle sera créée dans cet esprit et dans cette intention.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Ma première question s’adresse à Me Paisana. Vous avez dit que la cour d’appel a quand même quelques restrictions. Mais auparavant, je vais vous demander si vous m’entendez bien.

[Traduction]

Me Paisana : Oui, je vous entends. Merci.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Vous avez parlé des lacunes et du fait que la cour d’appel est limitée dans ce qu’elle peut faire. Est-ce que d’autres suggestions auraient pu être faites, que la Commission pourrait utiliser pour tous les cas de révision de dossier?

[Traduction]

Me Paisana : Oui, quelques points qui ont été soulevés aujourd’hui pourraient être des améliorations. Parmi eux, il y a l’intérêt de la justice et l’interprétation corrélative actuelle de cette notion qui est inscrite dans le projet de loi, au paragraphe 696.6(2). Notre recommandation pour améliorer ce passage serait de le rendre disjonctif, en remplaçant le mot « et » par « ou ». En fait, cette modification aurait un effet extrêmement important sur la structure du projet de loi. Cela signifierait que la Commission pourrait accorder un recours en cas d’erreur judiciaire ou si c’est dans l’intérêt de la justice.

L’intérêt de la justice, comme je l’ai dit dans ma réponse à une question posée un peu plus tôt, peut englober des éléments qui ne reflètent pas nécessairement les faits propres à l’affaire, mais qui dénotent qu’une injustice fondamentale a autrement été infligée à la partie demanderesse, y compris certaines choses dont la sénatrice Pate a parlé et a fait valoir dans le cadre de son travail.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Si j’ai bien compris, vous avez parlé d’unsafe ground of appeal. Est-ce que j’ai bien compris, ou vouliez-vous dire autre chose?

[Traduction]

Me Paisana : Si vous me demandez de parler davantage de l’appel au motif d’une condamnation imprudente, ce que je voulais dire, c’est qu’en Angleterre, au Royaume-Uni, ce motif existe. Ce qu’il signifie, à la différence du verdict déraisonnable, c’est qu’il permet à la Cour d’appel d’intervenir dans le cas où ses juges estiment qu’il y a un doute persistant quant à l’innocence de la personne.

À l’heure actuelle, ce motif d’appel n’existe pas au Canada. Le verdict déraisonnable est ce qui s’en approche le plus. La détermination d’un verdict déraisonnable requiert un seuil très élevé. Elle exige qu’il n’y ait aucune preuve à l’appui de la condamnation. Dès qu’il y a une issue ou une interprétation raisonnable de la preuve de la culpabilité de l’accusé, la Cour d’appel ne peut intervenir, même si elle peut être d’avis qu’il existe un doute raisonnable. Il y a là une contradiction lorsque nous examinons la question de l’innocence.

Si la Cour d’appel est d’avis que la personne devant elle est potentiellement innocente, ce qui correspond plus ou moins à la conclusion à laquelle la Commission en arriverait pour ordonner un nouveau procès, la Cour d’appel devrait être habilitée à faire la même chose et, par conséquent, éviter tout ce travail inutile à la Commission et faire en sorte que la décision soit corrigée beaucoup plus tôt dans le processus.

En fait, un appel au motif d’une condamnation imprudente habilite la Cour d’appel à faire exactement ce que la Commission ferait des années plus tard dans la même affaire.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Maître Zita, vous avez parlé du fait qu’il faut quelqu’un de la communauté. On sait que pour les gens qui doivent retourner devant la cour d’appel parce que leur cause sera entendue, c’est souvent le système de justice qui les a incarcérés au début.

Qu’ils soient des femmes ou des hommes, ne croyez-vous pas qu’ils sont intimidés par le fait de devoir retourner devant le système de justice qui les a incarcérés au début?

[Traduction]

Me Zita : Je suis d’accord. Tout le processus qui est enclenché, surtout pour des personnes impliquées depuis aussi longtemps que celles qui sont condamnées à tort, peut certainement être angoissant. Face à la perspective d’un retour devant la cour qui a contribué à leur préjudice, peu de gens veulent vivre la réalité de la poursuite de la condamnation à tort.

Je sais que du point de vue de l’appelant, lorsque vous gagnez un appel et que le recours est un nouveau procès, ce résultat atténue grandement l’euphorie de la victoire parce que vous devez retourner dans ce qui est pour vous une salle des tortures. Je ne sais pas s’il y a une bonne façon de faire autrement. L’affaire doit être tranchée. Il pourrait y avoir des ressources communautaires en place pour aider ces personnes et les soutenir. Comme je l’ai dit, il est bon que nous en parlions et que nous en soyons conscients.

Pour ce qui est des pouvoirs de la Commission — je ne sais pas si c’est ce que vous demandiez —, je ne vois malheureusement pas comment on pourrait faire autrement. C’est une réalité, cependant, à laquelle ces personnes injustement condamnées et ensuite disculpées doivent certainement faire face.

Le président : Merci à vous deux.

Chers collègues, nous n’avons plus de temps, et il n’y aura pas de deuxième tour, mais j’aimerais profiter de la prérogative du président pour prolonger cet échange de deux ou trois minutes en posant une question principalement à Me Paisana.

Hier, dans le cadre de nos discussions, nous avons entendu d’éminents témoins suggérer qu’il devrait y avoir des dispositions qui annuleraient le privilège du secret professionnel de l’avocat entre les procureurs ou entre les procureurs et les policiers. L’exception touchant les affaires où l’innocence d’une personne est en jeu est un exemple qui a été cité. Nous savons qu’il y a des exemples d’annulation du secret professionnel de l’avocat lorsque les barreaux enquêtent sur des actes répréhensibles commis par des avocats. Le secret professionnel de l’avocat est un principe précieux, si je peux m’exprimer ainsi, dans le contexte des relations entre un avocat et son client. J’aimerais savoir si l’Association du Barreau canadien, l’ABC, a une position à ce sujet ou si vous avez une opinion à ce sujet, monsieur Paisana, quant à la possibilité d’annuler le secret professionnel de l’avocat lorsque la Commission mène ses enquêtes.

Me Paisana : Je vous remercie de la question. Nous appuyons ce pouvoir. C’était dans notre mémoire de consultation pour les juges LaForme et Westmoreland-Traoré lorsqu’ils nous ont consultés; nous avons également appuyé cette proposition.

Je pense que c’est fondamental pour deux raisons. La première, c’est que des éléments d’information qui ne sont accessibles que dans le cadre du privilège du secret professionnel pourraient témoigner directement de l’innocence d’une personne. Il pourrait s’agir de renseignements qui n’ont jamais été divulgués parce qu’ils provenaient d’un informateur, mais qui auraient néanmoins disculpé la personne, sans que quiconque n’en ait jamais été informé et qui, par conséquent, ne pourraient jamais être appliqués pour invoquer l’exception de la démonstration de l’innocence en jeu. Ils pourraient également découler de la conduite d’un procureur ou d’un policier en privé, comme la dissimulation de preuves ou une conduite ayant contribué à une erreur judiciaire.

Je suppose qu’il y a un troisième cas dans lequel cela pourrait se produire, et c’est celui d’une aide inefficace. Si un avocat qui défend une personne a commis une faute ou a autrement influé sur l’affaire, mais que cette faute est camouflée dans ses propres dossiers et que, pour une raison ou pour une autre, il ne coopère pas, l’enquêteur qui agit au nom de la Commission devrait avoir accès à cette information.

Le président : Avez-vous une idée de la raison pour laquelle une telle disposition n’existe pas actuellement dans la loi?

Me Paisana : Le privilège du secret professionnel de l’avocat est l’un des principes les plus sacrés en droit criminel canadien et en droit en général. De façon générale, nous ne légiférons pas en la matière; nous nous en remettons à la common law. D’après notre expérience, sur le plan législatif, les seules exceptions sont accordées au Barreau pour les enquêtes sur les avocats.

Cela ne veut pas dire que cela ne peut pas se produire, cependant, et il y a des façons de légiférer pour protéger ce privilège. On peut par exemple procéder à huis clos; étendre le privilège du secret professionnel aux enquêteurs, de sorte que la portée du privilège ne soit étendue que dans la mesure nécessaire pour que les commissaires puissent s’acquitter de leur mandat.

Le président : Merci beaucoup. Permettez-moi de clore la séance. Je veux d’abord remercier nos témoins qui ont participé à distance comme en personne. Maître Zita, je vous remercie de vos efforts. On a fait allusion au fait que vous aviez une date limite à respecter; ce n’est pas tout le monde qui peut voir à l’écran que vous êtes sur le point d’accoucher, et nous tenons à vous remercier de votre présence, malgré la difficulté que cela a pu vous poser. Je remercie également les sénateurs de leurs questions perspicaces et ciblées et de leur excellente discussion.

Pour notre deuxième groupe, nous avons le plaisir d’accueillir, de l’Association canadienne de justice pénale, Me Myles Frederick McLellan, président du Comité d’examen des politiques. Me McLellan se joint à nous en personne; bienvenue. De la Canadian Association of Black Lawyers, nous accueillons Paul Erskine, membre du Sous-comité de la justice criminelle et de la réforme de la police. Me Erskine se joint à nous par vidéoconférence; bienvenue. Du Conseil canadien des avocats de la défense, nous accueillons Mark Knox, membre du conseil d’administration pour la Nouvelle-Écosse, qui se joint également à nous par vidéoconférence.

Nous invitons chacun d’entre vous à faire une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et d’échanges avec les sénatrices et sénateurs.

Me Myles Frederick McLellan, président, Comité d’examen des politiques, Association canadienne de justice pénale : Merci, monsieur le président. En plus d’être ici au nom de l’Association canadienne de justice pénale, je peux dire au comité que j’ai consacré ma vie à des personnes condamnées à tort au cours des 15 dernières années, en examinant en particulier les facteurs systémiques qui entraînent des condamnations injustifiées et ce qui peut être fait pour réformer les opérations des services de police et des avocats de la Couronne afin de réduire, espérons-le, le nombre de condamnations fondées sur ces facteurs systémiques. Je suppose qu’il convient, dans le cadre de mon témoignage d’aujourd’hui, que je paraphrase une citation de David Milgaard, parce que ce dont j’aimerais parler plus particulièrement aujourd’hui, c’est de l’indemnisation en cas d’erreurs judiciaires. Ce que M. Milgaard a dit, c’est qu’il était tout aussi difficile d’obtenir une indemnisation après une condamnation injustifiée que d’être disculpé d’une condamnation injustifiée.

Cela dit, je vais commencer par lire une déclaration préparée.

Le drame des personnes condamnées à tort a pris de l’importance dans le monde entier avec la sensibilisation croissante aux préjudices immenses causés aux personnes innocentes par le système de justice pénale. La majeure partie de l’attention, tant du point de vue législatif que de celui de la recherche, a porté sur les causes des condamnations injustifiées et sur la nécessité de libérer les innocents. La promulgation imminente du projet de loi C-40 et la mise sur pied d’une commission d’examen des erreurs du système judiciaire constituent le plus récent et le plus important progrès à cet égard au Canada.

Il faut maintenant tenter de façon plus exhaustive de déterminer quelle réparation peut être offerte aux personnes dont la vie a été inexorablement gâchée et comment les indemniser le mieux possible dans leurs efforts pour reconstruire leur vie. Les recours disponibles au Canada pour obtenir une indemnisation comprennent les recours au civil pour poursuites malveillantes, pour enquêtes négligentes, pour violation de la Charte et pour l’exercice hautement politisé du pouvoir discrétionnaire d’un gouvernement qui effectue un paiement sans reconnaître aucune responsabilité. Sauf dans de très rares cas, aucun de ces recours n’a été utile jusqu’ici. Comme je l’ai écrit dans mon livre :

Les démocraties libérales comme le Canada sont tenues par l’honneur, sinon par leur Constitution, de prévoir une indemnisation des innocents bien au-delà de la poursuite onéreuse et coûteuse d’un litige contre l’État et du recours exécutif très secret et inadéquat actuel qui exige un exercice insaisissable de la clémence.

J’aimerais traiter à la fois des poursuites et de l’exercice de la clémence comme recours offerts en matière d’indemnisation, et je vais vous raconter rapidement l’histoire d’un jeune homme du nom de Jason Hill. Jason Hill était un Autochtone qui vivait à Hamilton dans les années 1990. À ce moment-là, en 1994 et en 1995, un certain nombre de commerces se sont fait cambrioler et vandaliser. À chaque fois, lorsque la police est allée interroger le propriétaire ou l’employé du commerce, tout ce qu’elle a pu apprendre, c’est qu’on pensait que l’agresseur était autochtone. Donc, le service de police de Hamilton-Wentworth a en quelque sorte tout de suite pensé à Jason Hill pour ces vols, non pas parce qu’il y avait des faits qui menaient directement sur sa piste, mais parce qu’il avait un casier judiciaire pour petite délinquance, et qu’il constituait une cible facile à cueillir pour la police. Si les services de police voient quelqu’un qui a déjà un casier judiciaire et qui a déjà eu des contacts ou des démêlés avec le système de justice pénale, ils s’y intéressent de très près.

Ils ont donc réuni un groupe de 10 ou 12 personnes — et les membres du comité ont tous déjà vu cela à la télévision ou au cinéma — pour une parade d’identification derrière une paroi vitrée. Cela ne se fait plus, mais on le faisait encore à l’époque. Les témoins potentiels du crime sont de l’autre côté de la paroi et ils essaient de déterminer qui pourrait bien être l’auteur du crime parmi ces personnes derrière la vitre. N’oubliez pas, bien sûr, que dans ce cas particulier, tous croyaient que l’auteur du crime était un Autochtone. Ils ont fait parader Jason Hill dans ce groupe, avec 11 personnes de race blanche.

Il a été reconnu coupable. Il a passé près de deux ans en détention avant que la Couronne et la police ne constatent que les cambriolages se poursuivaient. C’était, évidemment, parce qu’il n’était pas le coupable.

Jason Hill a décidé de poursuivre le service de police de Hamilton-Wentworth pour poursuite abusive, y compris la Couronne, pour violation de la Charte et pour enquête négligente. Il a insisté très sérieusement sur le fait qu’il s’agissait d’une enquête négligente, et l’affaire a été portée devant la Cour suprême du Canada en 2007. Il s’agit de l’arrêt de principe dans le monde de la common law sur les enquêtes négligentes parce que la Cour suprême du Canada a statué que la police n’a pas d’immunité relative contre les poursuites pour négligence. En fait, le Canada est la seule juridiction de common law qui applique ce motif de poursuite, c’est-à-dire que l’on peut poursuivre la police si son enquête a été négligente.

Malheureusement pour M. Hill, la cour a déclaré qu’il s’agissait peut-être d’une négligence, mais en 1995 et en 1996, lorsque la parade d’identification a eu lieu, c’était une méthode à laquelle les services de police avaient le droit de recourir. Pour cette raison, la cour a déterminé que la norme de diligence n’avait pas été dépassée pour cause de négligence, et M. Hill a perdu sa cause. Mais l’affaire a tout de même permis d’établir que l’on peut poursuivre la police pour enquête négligente.

C’est un résumé de la difficulté des litiges, pour ceux qui sont en fin de compte disculpés, et qui essaient de reconstruire leur vie. Il ne faut pas oublier que si vous êtes disculpé après une période relativement courte de détention, que ce soit quatre, cinq ou même six mois, vous avez perdu votre emploi, votre maison, votre véhicule et peut-être votre famille. Quel que soit le nombre de préjudices subis, ils découlent d’une peine privative de liberté et, par conséquent, ceux qui sont disculpés et qui sont essentiellement forcés de poursuivre la police ou la Couronne pour négligence ou pour poursuite abusive doivent trouver l’argent nécessaire pour retenir les services d’un avocat, et ce n’est pas à la portée de tous les portefeuilles. Ensuite, ils doivent faire le pari qu’ils pourront porter leur affaire devant les tribunaux et prouver qu’il y a eu négligence ou malveillance. Or, il est presque impossible de prouver la malveillance, en particulier celle d’un procureur de la Couronne; ce n’est arrivé que très rarement.

Il est un peu plus facile d’établir la négligence. Depuis la décision rendue dans l’affaire Hill, on a signalé plus de 200 cas dans lesquels des personnes disculpées ont poursuivi la police. Dans un tiers d’entre ces cas, on a réussi à obtenir un jugement. C’est assez encourageant, mais encore une fois, n’oubliez pas qu’il est très difficile d’en arriver au point où l’on peut obtenir un jugement et être indemnisé en vertu de celui-ci.

L’autre recours, qui existe depuis 1988, est celui des Lignes directrices fédérales-provinciales sur l’indemnisation des personnes condamnées et emprisonnées injustement. Le Canada, de concert avec les provinces et les territoires, a mis ces lignes directrices en place dans le cadre de ses obligations envers les Nations unies lorsqu’il a accepté de mettre en œuvre le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Cela dit, ces lignes directrices ont été mises en place, et elles ont permis à David Milgaard d’obtenir une indemnisation à hauteur de 10 millions de dollars, à Steven Truscott d’obtenir 6 millions de dollars et à William Mullins-Johnson de recevoir 4,25 millions de dollars. Dans le cadre de ces lignes directrices, les décisions sont prises à huis clos, presque toujours par le Cabinet. Elles sont prises dans le secret; il n’y a aucune transparence, et on a tendance à accorder de grosses indemnités pour ne pas que le ridicule du système éclate au grand jour. Le système fait face à des personnes qui ont été très publiquement disculpées grâce au travail, dans la plupart des cas, d’Innocence Canada ou d’autres.

Cela dit, il y a très peu de gens — 20 ou 30 d’entre eux au cours des 35 dernières années — qui ont reçu ce genre d’indemnisation, et personne n’a obtenu davantage que David Milgaard. Mais cela n’aide pas les milliers d’autres personnes condamnées à tort qui sont relâchées, qui doivent se reconstruire et pour qui il n’existe pas de recours dans ce contexte particulièrement opaque dans lequel elles sont dites ex gratia c’est-à-dire « en état de disgrâce » et qui doivent demander la clémence. Cependant, rares sont les personnes qui se prévalent de cette possibilité, car elle est peu connue. La seule autre solution, c’est la poursuite, et elle coûte cher à tout le monde.

Le président : Je dois vous interrompre, mais nous allons sans doute approfondir vos réflexions pendant la période des questions et réponses. J’invite M. Erskine à prendre la parole pendant environ cinq minutes.

Me K. Paul Erskine, membre du Sous-comité de la justice criminelle et de la réforme de la police, Association des avocats noirs du Canada : Bonjour à tous. Je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui à parler de ce projet de loi. Comme vous l’avez entendu, je m’appelle Paul Erskine. Je suis criminaliste et j’ai de l’expérience à la fois comme avocat de la défense et comme procureur adjoint de la Couronne. Je suis également membre de la l’Association des avocats noirs du Canada, ou AANC, et de son sous-comité de la justice criminelle et de la réforme de la police. Je suis extrêmement honoré de prendre la parole aujourd’hui au nom de l’AANC.

L’AANC appuie fermement le projet de loi C-40. Ce projet de loi souligne l’importance de rendre notre système de justice pénale transparent et de le tenir responsable non seulement envers les personnes qui ont des démêlés avec la justice, mais envers la société en général. Lorsque cela se produit, il en ressort un plus grand respect de la primauté du droit, et l’administration de la justice dans notre pays est ainsi tenue en plus haute estime.

Étant donné le peu de temps dont je dispose, j’aimerais souligner trois points importants du point de vue de l’AANC relativement à ce projet de loi.

J’aimerais commencer par quelques statistiques qui donnent à réfléchir. Innocence Project, un groupe de défense basé aux États-Unis qui travaille à obtenir la libération d’accusés innocents et à prévenir les condamnations injustifiées, signale que 58 % des personnes libérées ou disculpées grâce à ses efforts sont noires; 52 % des personnes disculpées de 1989 à 2022 étaient noires, et 75 % de celles qui ont été disculpées après un plaidoyer de culpabilité avaient la peau noire ou brune. Pour mettre ces chiffres en contexte, il faut se rappeler que les Noirs ne représentent que 13,6 % de la population des États-Unis.

Bien qu’il puisse être facile de rejeter ces chiffres et de dire qu’ils ne s’appliquent qu’aux États-Unis, nous sommes tous au courant des études et des rapports publiés ici au Canada qui soulignent les inégalités systémiques dans le système de justice pénale qui ont une incidence négative sur les délinquants noirs et autochtones. Par rapport aux autres délinquants, il est reconnu et accepté que les délinquants noirs et autochtones sont soumis de façon disproportionnée à des taux plus élevés de force excessive de la part des policiers ou des agents correctionnels; à des situations de « suraccusation » par rapport à des infractions criminelles ou quasi criminelles; à des peines potentiellement plus sévères au moment de la condamnation; que ces groupes comptent une proportion plus élevée de détenus; qu’ils sont soumis à des traitements plus sévères pendant qu’ils sont en détention provisoire, qu’ils attendent leur procès ou qu’ils purgent une peine. Il va de soi que ces inégalités systémiques disproportionnées se manifestent dans le nombre d’accusés noirs et autochtones qui sont condamnés à tort.

L’AANC appuie ce projet de loi, car il vise à corriger une inégalité dans notre système de justice pénale et à accroître l’accès à la justice pour les personnes racisées. À cette fin, l’AANC est heureuse de voir qu’on a inclus dans le projet de loi le paragraphe 696.6(6), qui codifie le principe selon lequel une erreur judiciaire a pu être commise, même si un contrevenant a été déclaré coupable, et ce dernier a droit à une mesure de redressement. De plus, l’alinéa 696.6(5)e) reconnaît que des iniquités systémiques existent dans le cas des délinquants noirs et autochtones et qu’il est de notre devoir et de notre responsabilité de remédier à ces inégalités et de les atténuer.

Deuxièmement, l’alinéa 696.6(5)d) du projet de loi nous rappelle l’un des principes fondamentaux de notre système de justice pénale, à savoir que la situation personnelle d’un délinquant doit être prise en compte. L’AANC appuie l’inclusion de ce principe dans le projet de loi. L’AANC est également encouragée par la codification de la nécessité de la diversité dans les nominations à la commission, comme le prévoit l’article 696.73. Cela dit, l’AANC aimerait suggérer que l’article 696.75 aille plus loin et exige un pourcentage précis de nominations à la commission de membres qualifiés des communautés noires et autochtones.

Enfin, le ministre a promis que le projet de loi faciliterait et rendrait plus efficace l’examen des dossiers des délinquants condamnés à tort, en mettant l’accent sur l’élimination des obstacles à l’accès pour les Autochtones, les Noirs et les personnes racisées, les femmes et les membres d’autres communautés marginalisées. Il semble que le paragraphe 696.84(2) du projet de loi reflète cette promesse, mais en tout respect, l’AANC estime que cet article est vague, particulièrement l’alinéa 696.84(2)d).

Le gouvernement doit s’assurer que des fonds sont disponibles aux fins de la représentation des demandeurs à faible revenu, sans quoi ce processus d’examen n’aidera aucunement les personnes à faible revenu ou racisées. Une source de financement précise doit être prévue. L’AANC exhorte le ministre à préciser exactement où se trouvent les fonds destinés à aider les demandeurs ou légiférer pour déterminer de façon précise une source de financement pour les demandeurs et le processus de demande de ces fonds. Le financement ne devrait jamais être un obstacle à l’accès aux recours pour lesquels la commission est créée.

Au nom de l’AANC, je répondrai avec plaisir à toutes les questions du comité, et je vous remercie de votre attention.

Me Mark Knox, membre du conseil d’administration pour la Nouvelle-Écosse, Conseil canadien des avocats de la défense : Le Conseil canadien des avocats de la défense, ou CCAD, est une organisation nationale qui offre son point de vue sur les questions de justice pénale. Nous sommes très reconnaissants au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles de nous avoir invités à participer.

Comme je suis malheureusement ralenti par la COVID aujourd’hui, je ne serai pas très alerte, mais je vais faire de mon mieux pour présenter nos réflexions concernant le projet de loi C-40. Nous appuyons les observations, les recommandations et les modifications du juge LaForme, de la juge Westmoreland-Traoré et de M. Roach. Nous sommes très au fait des préoccupations de madame la sénatrice Pate et de celles du Barreau du Québec, et nous y souscrivons. Toutes ces démarches ont été mûrement réfléchies, examinées à l’échelle internationale et axées sur des objectifs bien précis.

Nous sommes très sensibles à l’argument selon lequel la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire doit être indépendante. Elle doit être indépendante du gouvernement. Comment? Nous appuyons l’observation selon laquelle le mandat des commissaires ne devrait pas être renouvelable et, comme il en a été question plus tôt aujourd’hui, les commissaires devraient être choisis de façon appropriée et logique. Il devrait y avoir entre 9 et 11 commissaires. Ils devraient être choisis par un comité indépendant et non par le Cabinet et, comme nous l’avons vu plus tôt, nous appuyons la recommandation selon laquelle un tiers des commissaires devraient être des avocats et, pour équilibrer le tout, un tiers des commissaires devraient être très conscients des causes et des conséquences des erreurs judiciaires, et le dernier tiers des commissaires devraient représenter les groupes marginalisés qui sont surreprésentés dans les prisons et défavorisés lorsqu’il s’agit de demander réparation, y compris au moins un commissaire autochtone et au moins un commissaire noir. Comme l’ont également souligné les juges et M. Roach dans leur rapport, nous sommes d’accord pour que le premier dirigeant ne soit pas le commissaire en chef.

En ce qui concerne le mandat de la commission, nous croyons qu’il doit englober la détermination de la peine, à l’instar d’autres démocraties occidentales avancées; qu’il soit envisagé de confier à la commission un mandat en matière de libération conditionnelle, comme l’a examiné madame la sénatrice Pate; et que conformément à l’examen en bloc de madame la sénatrice Pate, qu’il englobe les cas de racisme et de misogynie pour veiller à ce qu’ils fassent l’objet d’une enquête et soient traités de façon appropriée.

J’ai quelques derniers points à soulever. Comme l’a expliqué en détail mon ami Me Paisana de l’Association du Barreau canadien, les revendications de privilège ne peuvent entraver les enquêtes. Tout comme mon ami, je connais la capacité de notre association de traiter des dossiers où le privilège constitue un gros problème, comme dans le cas de celui que nous avons en Nouvelle-Écosse en ce moment.

Nous sommes reconnaissants des modifications proposées au projet de loi C-40 qui font qu’il ne soit pas nécessaire d’épuiser toutes les formes d’appel. Nous nous intéressons à la décision concernant les mesures de redressement prévues au paragraphe 696.6(2), les options étant un nouvel appel, un nouveau procès ou le renvoi de l’affaire à une cour d’appel. Nous sommes très impressionnés par l’aspect fonctionnel et pratique du projet de loi C-40, qui autorise la mise en liberté d’un demandeur en vertu du nouveau paragraphe 679(7) du Code.

Enfin, même s’il est facile de l’oublier quand on n’est pas sur le terrain, il faut avant tout insister sur les mesures de soutien que mon collègue a évoquées tout en veillant à renseigner le public sur le mandat.

Voilà ce que je voulais dire au nom du Conseil canadien des avocats de la défense. Je tiens à vous remercier de l’occasion qui m’est donnée d’examiner le travail effectué ainsi que les recommandations et les observations qui ont été formulées. Merci.

Le président : Merci beaucoup, maître Knox. Nous n’avons pas toujours vu du même œil, vous et moi, mais j’espère que vous ne m’en voudrez pas, pas plus que je vous en veux.

Nous sommes un peu pressés. Comme vous le savez, chers collègues, nous devons nous rendre au Sénat sous peu. Il y a plusieurs sénateurs qui souhaitent poser des questions et discuter avec nos témoins. Je vais proposer quatre minutes pour chacun, si cela vous convient, en commençant par le sénateur Arnot, le parrain du projet de loi.

Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à Me McLellan. Étant donné que votre organisation met l’accent sur la réforme de l’éducation, pensez-vous que la commission, telle qu’elle est structurée dans le projet de loi C-40, a le devoir de contribuer à la sensibilisation du grand public et à lui faire comprendre les causes qui contribuent aux condamnations injustifiées, de sorte que l’on puisse cerner ces problèmes systémiques en amont plutôt qu’en aval?

Me McLellan : Absolument. Une partie du projet de loi traite également de cette question. Il ne fait aucun doute que le fonctionnement de la commission devrait aussi comporter un volet de sensibilisation du public afin que la question soit amplement connue, que les facteurs soient pris en compte comme l’exige cet aspect éducatif et que les demandeurs sachent ce que fait la commission et ce qu’elle pourrait faire pour eux.

Le sénateur Arnot : Merci.

Ma question s’adresse à Me Erskine. Dans le même ordre d’idées, croyez-vous que, dans sa structure actuelle, la commission est en mesure de cerner et d’aborder suffisamment les causes profondes des erreurs judiciaires, surtout quand il s’agit de la communauté noire ou de la communauté autochtone?

Me Erskine : Merci, sénateur. Compte tenu de la composition de la commission, oui, c’est possible. Avec tout le respect que je vous dois, je pense que c’est la raison pour laquelle l’Association des avocats noirs du Canada, l’AANC, trouve qu’il est formidable de voir que le mandat de la commission se fonde sur un principe de diversité. Je me souviens d’avoir vu cela codifié dans la loi, ce qui est vraiment encourageant. L’AANC tient à ce qu’il y ait une représentation réelle au sein de la commission, ce qui pourrait exiger un nombre précis de commissaires noirs ou autochtones — les deux, très franchement —, juste pour s’assurer que les cas sont examinés en comptant sur la représentation, la voix et l’optique des intéressés.

Le sénateur Arnot : Maître Knox, compte tenu de votre expérience à titre d’avocat de la défense, j’aimerais que vous nous parliez de l’exemption de la nécessité d’interjeter appel de toute condamnation jusqu’à épuisement des recours. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

Me Knox : Merci, sénateur. Glen Assoun était quelqu’un qui — je vais y arriver, et cela ne prendra pas trop de temps — a congédié son avocat. Il s’est représenté lui-même, et il a été condamné. Il lui a fallu beaucoup de temps — comme la sénatrice Pate et d’autres le savent — pour trouver la perle rare, c ‘est-à-dire un avocat qui comprenne et fasse confiance à un client comme lui. Ainsi, la capacité de faire autre chose, d’être plus rapide et d’éviter de renoncer avant que la question soit réglée ou immédiatement après, je pense, est un atout formidable dans le projet de loi C-40.

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice Batters : Je vais commencer par poser une question à Me McLellan. Vous nous avez remis un long mémoire bien documenté. Je l’ai passé en revue pendant que nous discutions de la question, alors, maître McLellan, j’aimerais vous poser quelques questions à ce sujet. Je remarque que vous avez ici un renseignement qui m’a échappé jusqu’ici, à savoir qu’Innocence Canada ne s’occupe que des cas de meurtre. L’organisme n’est pas équipé pour traiter d’autres types de cas. Comme vous l’avez dit, il faudrait un autre type d’organisme pour aider les gens dans ces autres cas, car le projet de loi C-40 ne se limite pas, évidemment, aux cas de meurtre, mais à toutes sortes de condamnations injustifiées. Je tenais à le souligner.

Ma question s’adresse à vous, maître McLellan. À la fin de votre long mémoire, à la page 121, vous dites que la meilleure estimation du nombre de demandeurs par année pour la nouvelle Commission d’examen des erreurs du système judiciaire se situe autour de 1 333. Maître McLellan, c’est beaucoup plus que les quelque 250 cas annuels auxquels le gouvernement m’a dit qu’il s’attendait. À la page suivante, on peut lire que vous vous attendriez probablement à ce que quelque 400 Autochtones condamnés présentent une demande chaque année.

Je suppose que le gouvernement a décidé du nombre de commissaires et du financement qu’il accorde à la commission en fonction d’un nombre de demandes de l’ordre de 250 par année, et non de 1 300. Il semble que vous ayez fait pas mal de recherches pour arriver à ces chiffres. Pourquoi différent-ils tellement de ceux du gouvernement?

Me McLellan : Je n’ai aucune idée de la façon dont le gouvernement est arrivé à ces chiffres. Dans la présentation PowerPoint que vous avez, j’ai décrit l’expérience des commissions du Royaume-Uni, de l’Écosse, de la Norvège et de la Nouvelle-Zélande. J’ai pris leur population et je l’ai multipliée par le nombre de demandeurs dans chaque cas. J’ai ensuite adapté cette proportion à la population du Canada.

Si nous prenons l’exemple le plus récent de la commission de la Nouvelle-Zélande, qui a été accueilli favorablement par les juges LaForme et Westmoreland-Traoré dans leur rapport, la Nouvelle-Zélande compte environ un huitième de la population du Canada. Sa commission se compose de sept commissaires et, au cours des deux premières années de son fonctionnement, elle a reçu 310 demandes, ce qui représente 155 demandes par année pour une population d’un peu plus de 5 millions d’habitants. Nous avons huit fois cette population. C’est peut-être naïf de ma part, mais si on multiplie 155 par 8, on se retrouve avec plus de 1 200 demandes par rapport à la population du Canada.

Le seul aspect qui est uniforme pour toutes ces commissions, c’est que les causes des condamnations injustifiées sont universelles. En effet, les erreurs d’identité ou les fausses confessions se répètent dans tous les pays qui se régissent par le droit commun, alors il n’y a aucune raison de penser, d’après mon point de vue limité, qu’on ne peut pas prendre les chiffres et les extrapoler à la population canadienne.

La sénatrice Batters : Merci.

Je m’adresse à Me Erskine, de l’Association des avocats noirs du Canada. Dans leur rapport, les juges LaForme et Westmoreland-Traoré ont recommandé que la commission ait le pouvoir de renvoyer les demandes en vue d’un pardon ou d’une suspension du casier judiciaire lorsqu’elles sont justifiées, mais cette disposition n’a pas été reprise dans le projet de loi C-40. Êtes-vous d’accord pour dire que ce genre de mesures de redressement devraient être incluses dans la loi parmi les recours offerts par la commission?

Me Erskine : Je vous remercie, sénatrice, de cette question. Je conviens que les demandeurs devraient avoir accès à un ensemble de recours. En fait, le projet de loi lui-même dit qu’on peut trouver une erreur judiciaire dans une situation où une personne a été reconnue coupable par la loi, c’est-à-dire où tout le monde a bien fait son travail, mais qu’il y avait quand même une erreur judiciaire susceptible d’être corrigée par le pardon ou la suspension du casier judiciaire. Je pense certainement que cela devrait être inclus.

La sénatrice Batters : Merci. Très rapidement, monsieur Knox, dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que les mandats des commissaires ne devraient pas être renouvelables pour favoriser une plus grande indépendance de la commission. Seriez-vous en faveur d’un amendement au projet de loi C-40 pour supprimer la disposition de renouvellement qui y est prévue?

Me Knox : Merci beaucoup, sénatrice. J’ai tiré ma position du rapport dont vous avez parlé, celui des juges LaForme et Westmoreland-Traoré et de M. Roach. Oui, je pense, comme ils l’ont dit, que ces commissaires devraient être indépendants du gouvernement. Ils devraient occuper un poste quasi judiciaire et, par conséquent, ils ne devraient pas faire l’objet d’un examen gouvernemental. Merci.

Le sénateur Prosper : Je n’ai qu’une ou deux petites questions. Maître McLellan, je vous remercie de votre témoignage et d’avoir abordé la question de l’indemnisation. Comme l’a dit le ministre, cela relève du Code criminel, mais il n’y est pas question de cela. Croyez-vous que ce projet de loi nous aidera à nous y retrouver pour ces questions d’indemnisation? J’ai posé une question à M. Anderson à ce sujet, et il a répondu qu’il avait 70 ans, alors voilà pour ma première question.

Ensuite, une question pour vous, maître Knox. Me McLellan vient de nous parler du nombre de cas dont il est prévu que nous soyons saisis. Je crois que vous avez parlé de 9 à 11 commissaires. J’aimerais savoir ce que vous pensez des chiffres.

Nous allons commencer par vous, maître McLellan.

Me McLellan : Merci. J’ai vu la question que vous avez posée à M. Anderson la semaine dernière.

L’article 696.84 du projet de loi prévoit une certaine aide à la réinsertion sociale des personnes exonérées, ce qui est crucial pour quelqu’un qui vient d’être libéré de prison, et le projet de loi pourrait prévoir un élément d’indemnisation. J’en ai parlé dans ma déclaration préliminaire. Il suffit d’un très petit changement au paragraphe pour dire essentiellement que le projet de loi permettra l’accès à un régime législatif — et c’est ce que je préconise — et en rester là. C’est tout ce que nous demandons pour l’instant.

Je ne m’attends pas à ce que ce comité ou l’autre parle de ce qui constituerait une loi sur l’indemnisation. Je pense que cela irait au-delà de ce que nous recherchons en plus de causer un retard impardonnable. Ce ne serait pas le cas.

Je propose d’insérer ce petit changement et de le reporter à un autre jour, mais au moins de l’inclure, car l’idée de devoir recommencer à zéro pour mettre en place un régime législatif sans l’incroyable fondement des principes que ce que ce projet de loi a déjà établis serait exceptionnellement difficile et ne se produira peut-être jamais.

Le sénateur Prosper : Merci.

Maître Knox?

Me Knox : Merci, sénateur.

J’ai essentiellement fait un copier-coller, en examinant la recherche et les conclusions des juges LaForme, Westmoreland-Traoré et de M. Roach, qui — et je regarde le document sommaire soumis au comité — ont étudié les chiffres de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni et déterminé que ce serait une bonne fourchette.

De plus, je pense qu’il faut s’assurer qu’il est possible de faire un examen complet et de siéger à la commission si nous le voulons — nous ne voulons pas trop d’avocats, mais nous en avons besoin, et nous avons besoin de ces deux autres groupes fondamentaux également. Je pense que nous voudrions qu’il y en ait au moins deux de chaque, trois de préférence, et un total de 11 commissaires serait peut-être l’idéal.

Sénateur, je voulais aussi mentionner très brièvement une chose concernant l’indemnisation. Quand j’étais jeune avocat, Donald Marshall fils a subi la première ronde d’indemnisation, et notre gouvernement a été brutal envers lui et son avocat. Cela a donné lieu à une résolution tellement injuste qu’elle a enfin été rouverte après la commission royale. Il était donc très intéressant d’entendre Me McLellan et vous soulever cette question également. C’est une question fondamentale qui n’est pas vraiment abordée ici, et peut-être que nous en reparlerons un autre jour.

Merci, sénateur Prosper.

Le sénateur Prosper : Merci à vous deux.

La sénatrice Simons : J’ai une question pour le représentant de l’Association des avocats noirs du Canada, l’AANC. Vous avez parlé du traitement de cas où il n’y a pas eu d’erreur de droit, mais où il y a tout de même eu une injustice flagrante, même si la police et les procureurs ont agi de bonne foi et que le juge et le jury n’ont fait que leur travail.

Mais je veux parler de l’inverse, où il y a quelqu’un qui est probablement coupable — et nous savons intuitivement qu’il est coupable —, mais le procès a été si mal géré qu’il y a eu des erreurs judiciaires flagrantes. Je dirais — même si certains ne seraient pas d’accord avec moi — que même si ces personnes ne devraient pas être exonérées, il faut tenir compte du fait que des erreurs judiciaires importantes ont été commises à leur égard. Je me demande comment vous pensez que nous devrions traiter les gens qui ne sont pas innocents, mais qui sont néanmoins condamnés à tort.

Me Erskine : Merci, sénatrice. C’est une bonne question.

Notre système de justice pénale repose sur le principe selon lequel prouver la culpabilité d’une personne exige une preuve hors de tout doute raisonnable. Il y a présomption d’innocence au départ.

J’ai commencé mon exposé en disant que j’étais avocat de la défense, et je l’ai été pendant plus de 20 ans, et maintenant je suis procureur de la Couronne, alors j’ai vu les deux côtés de la médaille, si je puis m’exprimer ainsi. Rappelons que la Couronne a le fardeau de prouver une affaire hors de tout doute raisonnable. Ce n’est pas que la personne est coupable ou probablement coupable. S’il y a le moindre doute, elle est innocente, un point c’est tout.

Donc, dans la situation dont vous avez parlé et que vous soulevez, cette personne devrait avoir droit à une mesure de redressement. Il est manifeste qu’il y a eu une erreur judiciaire, comme erreur il y a quand on se dit : « Eh bien, je pense que cette personne est coupable; je soupçonne qu’elle est coupable; elle est probablement coupable, et son procès a été bâclé, mais elle n’a aucun recours parce que nous pensons qu’elle est probablement coupable. »

La sénatrice Simons : Oui.

Me Erskine : Cette norme n’est pas la bonne. La personne devrait avoir droit à une mesure de redressement.

La sénatrice Simons : La nomenclature, c’est que nous parlons du projet Innocence; nous parlons d’exonération. Il y a des gens qui ne devraient pas être en prison, parce qu’il s’agissait d’une fouille illégale ou parce qu’il y a eu falsification de preuves, et je me demande quelle priorité la commission devra accorder à ses ressources.

Je m’inquiète parfois des limites que nous nous imposons en utilisant ce langage. Il est facile de dire, dans le cas de David Milgaard ou de Guy Paul Morin, qu’ils n’ont manifestement pas commis le fait, puisque la preuve génétique les exonère entièrement. Mais il y aura des gens qui n’auraient pas dû être condamnés, mais qui l’ont été à cause d’une erreur au niveau du procès ou de l’enquête. Je me demande si on ne crée pas un problème en utilisant ce langage. Parler de gens pardonnés, purgés de leurs péchés ou trouvés innocents, c’est un langage quasi religieux.

Me Erskine : Bon. Je sais que la terminologie est très importante, et nous pouvons nous enfermer ou nous imposer des contraintes excessives à ce niveau.

Je pense que l’essentiel, c’est l’idée que la commission examine chaque affaire au cas par cas. On dirait presque un cliché, mais c’est important parce qu’il ne s’agit pas de surcharger la commission avec un trop grand nombre de cas sur les bras.

En même temps, l’envers de la médaille, c’est qu’en examinant chaque dossier individuellement, la commission est en mesure de décider du recours qui convient dans chaque cas, parce qu’il ne s’agira pas, pas plus qu’il ni devrait s’agir, du même recours pour tous.

Cela pourrait, espérons-le, mener aux mesures de redressement qui conviennent dans une situation comme celle que vous décrivez, où une personne est légalement coupable, mais où il y a eu une erreur quelque part — disons une fouille inappropriée ou des éléments de preuve qui n’auraient pas dû être présentés. Ce redressement n’est peut-être pas nécessairement une « exonération », mais il peut quand même s’agir d’une reconnaissance que quelque chose a été mal fait, et voici comment nous allons réparer ce tort.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

La sénatrice Pate : Merci, sénatrice Simons, d’avoir présenté...

La sénatrice Simons : Je place les balles sur les tees. Vous les frappez hors du terrain.

La sénatrice Pate : J’aimerais revenir sur le revers de la médaille dont la sénatrice Simons vient de parler, d’abord avec Me Erskine, puis avec Me Knox et Me McLellan, si vous voulez tous faire des commentaires.

Lorsque Me McLellan a parlé de l’affaire Hill, cela m’a évidemment fait penser à des erreurs judiciaires qui sont clairement liées à du racisme ou du sexisme, mais qui ne sont pas du tout examinées. Comment cette commission pourrait-elle examiner ces questions quand il s’agit essentiellement de preuves qui étaient disponibles au moment du procès ou au moment où la personne a plaidé coupable, mais qui n’ont pas été jugées pertinentes en raison de préjugés racistes ou misogynes?

Me Erskine : Merci, sénatrice. Je pense que c’est un point très valable et que c’est l’une des raisons pour lesquelles l’AANC est encouragée par l’idée que la diversité est en fait codifiée au sein de la commission, mais aussi par le fait que nous voulons aller un peu plus loin et dire qu’il doit y avoir un certain pourcentage de personnes des communautés noires et autochtones qui siègent à la commission.

La raison pour laquelle c’est important, c’est que cela nous permet de dire : « Examinons ce cas et voyons pourquoi cette personne a été reconnue coupable, pourquoi cette preuve n’a pas été présentée, pourquoi elle n’a pas été prise en considération, et si c’est en fait à cause d’une certaine perception. » La commission doit se sentir habilitée et encouragée à prendre position et à dire qu’elle a examiné la question et qu’elle pense que la raison pour laquelle cela s’est produit c’est qu’il y a eu une idéologie raciste, une pensée raciste tout au long du processus, outre le recrutement particulier de personnes impliquées dans le processus. Il y avait une pensée misogyne ou sexiste de la part d’un groupe de personnes, et cela a imprégné la poursuite d’une façon qui a aggravé cette erreur judiciaire.

La commission doit se sentir enhardie de pouvoir prendre position et dire : « Voici pourquoi nous pensons que cela s’est produit, et nous devons réparer ce tort », même s’il s’agit d’une déclaration, si je peux utiliser ce mot, pour dire : « Nous estimons que c’est pour cette raison que cela s’est produit. » Ensuite, le demandeur a un recours sous une autre forme parce que la commission a eu l’audace de dire : « La seule raison pour laquelle nous pensons que cette personne a été condamnée, c’est parce que les enquêteurs ont participé à une enquête fondée sur certains stéréotypes racistes. »

La sénatrice Pate : Maître Knox, si vous pouviez également nous dire quelles dispositions du projet de loi permettraient cela, ce serait utile.

Me Knox : Merci, sénatrice Pate. Je ne pourrai probablement pas vous les citer de mémoire, mais je tiens à répéter ce que Me Erskine a dit et, sénatrice Pate, ce que vous savez mieux que nous tous, c’est-à-dire l’omniprésence du racisme et de la pensée misogyne.

Nous parlons de la police. Nous savons ce qu’il en est. Nous parlons des procureurs, et nous savons que ces caractéristiques existent. Nous devrions parler des avocats de la défense qui se préoccupent de ces questions et des juges également. Nous devons aussi penser aux témoins, et c’est une préoccupation que nous oublions parfois.

Ce que je tiens à souligner — j’espère que ce n’est pas hors sujet, sénatrice Pate —, c’est l’importance d’avoir de l’expérience dans un cercle de détermination de la peine, d’examiner les évaluations de l’impact de la race et de la culture, ou EIRC, et les rapports Gladue, qui sont autant de sérieux outils qui m’aident à comprendre les communautés marginalisées. Nous espérons que ces sujets pourront être abordés dans le cadre du mandat de la commission, car ils sont très répandus. Mais vos collègues sénateurs et vous le savez beaucoup mieux que moi. Merci.

La sénatrice Senior : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui. Je voulais revenir un peu sur les réflexions de Me Knox au sujet de la composition de la commission, car je crois qu’il est essentiel d’y songer sérieusement pour veiller à ce qu’elle soit accessible, en particulier pour ceux qui en ont le plus besoin, soit les Noirs et les Autochtones.

Je voulais savoir, maître Erskine, au-delà de la codification, si vous avez des idées, mais avant que j’y arrive, je précise qu’il est question du nombre d’avocats et de membres de la communauté et autres qui devraient en faire partie. On a parfois tendance à penser qu’il n’y a pas d’avocats parmi les membres des communautés noires et autochtones. Je veux donc m’assurer que ce n’est pas ce que l’on pense quand on songe à la composition de la commission. Nous devons tenir compte des qualifications des gens des différentes communautés qui participent.

Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet, maître Erskine?

Me Erskine : Merci, sénatrice. Je suis d’accord avec vous. C’est parfois difficile. Je ne veux pas donner l’impression que l’AANC estime qu’il faut un quota de candidats de certaines communautés, mais nous devons veiller à ce qu’il y ait une représentation. Je conviens avec vous que nous ne devrions pas considérer qu’une personne noire ou autochtone ne saurait être juriste. Ce n’est certainement pas ce que nous voulons. La réalité, cependant, c’est que, parfois, les communautés noires et autochtones sont sous-représentées dans la profession juridique, ce qui est un problème et un autre enjeu qui, je le sais, dépasse la portée de cette audience du Sénat.

Ce qui serait vraiment formidable, ce serait d’obtenir le meilleur des deux mondes en ayant des candidats nommés à la commission qui sont en fait des avocats provenant des communautés noires et autochtones. Je ne veux pas dire par là que le problème sera réglé, mais ça aide. Il importe d’avoir une perspective générale, car même un avocat qui fait partie de la communauté noire ou autochtone ne comprendra pas nécessairement l’enjeu aussi clairement qu’un profane de la même communauté.

Il s’agit là de qualifications juridiques, bien sûr. Je sais que lorsque Me Zita était ici, elle a parlé des qualifications juridiques des membres de la commission — il en faut certainement, mais une personne peut être compétente sans être avocate.

La sénatrice Senior : Merci.

La sénatrice Clement : Le temps est écoulé, et j’en suis parfaitement consciente. Maître Erskine, êtes-vous au courant de la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires?

Me Erskine : Oui.

La sénatrice Clement : Pensez-vous que les recommandations qui y sont formulées appuieraient une diversité obligatoire au sein de la commission, avec plus de force que le libellé actuel du projet de loi?

Me Erskine : Je pense qu’il incombe à la commission, oui, d’avoir un mandat qui aille au-delà de ce qui est actuellement prévu dans le projet de loi.

Il est déjà question de diversité dans le projet de loi et on y précise que la commission doit en tenir compte. Mais si on ne va pas plus loin et qu’on ne songe pas à la population à laquelle il est destiné, ce projet de loi n’est qu’une promesse en l’air. La Stratégie en matière de justice pour les personnes noires en fait également partie. À l’instar de la commission — bien qu’elle ait d’autres objectifs aussi —, elle vise entre autres à rendre la justice accessible aux membres des communautés qui la voient depuis trop longtemps comme étant hors de leur portée. Tout ce que nous pouvons faire pour y arriver est évidemment un bienfait en plus et doit également être mandaté.

La sénatrice Clement : Merci à tous pour votre travail et vos témoignages.

Le président : Merci à vous deux.

Chers collègues, cela nous amène à la fin de la série de questions et de conversations avec nos témoins. Nous avons repoussé leurs limites et, dans une certaine mesure, les vôtres. Je tiens à exprimer ma reconnaissance, car nous aurons sans doute une excellente occasion d’explorer les renseignements qu’ils peuvent nous fournir.

À ce stade-ci, je tiens à remercier Me McLellan, Me Erskine et Me Knox d’avoir été des nôtres et de nous avoir fait part de leurs points de vue, ainsi que mes chers collègues pour les questions précises et ciblées qu’ils ont posées aux témoins.

Je vais maintenant lever la séance. Comme vous le savez, nous poursuivrons l’étude de ce projet de loi la semaine prochaine dans le cadre des délibérations de notre comité.

(La séance est levée.)

Haut de page