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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 6 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 18 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires).

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs.

[Traduction]

Je m’appelle Brent Cotter, et je suis un sénateur de la Saskatchewan. Je suis le président du comité. Je vais maintenant demander à mes collègues de se présenter à tour de rôle.

La sénatrice Batters : Denise Batters, également de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Audette : Kuei. Michelle Audette [mots prononcés en innu-aimun], au Québec.

La sénatrice Oudar : Bonjour. Manuelle Oudar, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Senior : Paulette Senior, de l’Ontario.

Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.

La sénatrice Simons : Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

La sénatrice Pate : Je m’appelle Kim Pate. Je vis ici, sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabeg.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à tous. Merci.

Honorables sénateurs, avant de présenter nos invités, permettez-moi de vous informer, si vous n’êtes pas déjà au courant, qu’il n’y aura pas de deuxième groupe de témoins aujourd’hui. Certains de ceux que nous avons convoqués n’ont pas pu se libérer. Par conséquent, je proposerais, d’autant plus que nous accueillons des invités de marque qui nous rejoignent dans certains cas à des heures peu commodes pour eux, que nous prolongions notre temps avec eux jusqu’à 17 h 30 de telle sorte qu’il soit plus facile pour eux de nous faire part de leurs réflexions et pour nous de leur poser des questions. Je vais donc accorder à nos témoins sept minutes chacun pour nous présenter leurs observations préliminaires, après quoi nous pourrons échanger avec eux.

Ainsi, nous avons le plaisir d’accueillir de la Criminal Cases Review Commission — ou CCRC — du Royaume-Uni, Me John Curtis, avocat au service du gouvernement. Il est avec nous par vidéoconférence. De la North Carolina Innocence Inquiry Commission, aux États-Unis, nous accueillons Me Laura N. Pierro, directrice générale, qui nous rejoint également par vidéoconférence. De la Scottish Criminal Cases Review Commission, nous accueillons, aussi par vidéoconférence, Me Michael Walker, administrateur général.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’être des nôtres. Nous commencerons dans un instant par les remarques liminaires de Me Curtis, Me Pierro et Me Walker. Vous aurez la parole pendant environ sept minutes chacun. Ensuite, nous vous poserons des questions et nous discuterons avec vous.

Me John Curtis, avocat au service du gouvernement, Criminal Cases Review Commission (Royaume-Uni) : Merci, sénateur. Bonsoir du Royaume-Uni, mais encore bonjour au Canada. Je suis très heureux d’être avec vous aujourd’hui et de pouvoir vous appuyer dans ce travail très important. Je vais vous décrire le rôle de notre commission et sa contribution au système de justice pénale britannique. L’année dernière, mes collègues et moi-même avons rencontré David Lametti et son équipe, et j’ai témoigné devant votre comité de la justice par liaison vidéo.

La commission a été créée par le Parlement britannique en 1997 et fonctionne en vertu de la Criminal Appeal Act de 1995. Il a donc fallu quelque deux ans pour sa mise en œuvre à la suite de l’adoption de notre loi sur les appels en matière pénale qui prévoyait sa création.

Le Parlement a fait de nous une entité indépendante chargée d’enquêter sur d’éventuelles erreurs judiciaires pour les renvoyer devant les cours d’appel. En 27 ans, nous avons examiné plus de 32 000 causes et effectué 850 renvois, soit environ 31 par année ou plus d’un toutes les quinzaines. Parmi nos saisines, 70 % ont abouti à l’annulation d’une condamnation pénale ou, dans certains cas, à une réduction de peine. Nous sommes financés par le ministère de la Justice et notre budget actuel est de 8,5 millions de livres sterling.

Nous avons constaté une nette augmentation de notre charge de travail au fil des ans. Nous recevons aujourd’hui environ 1 500 demandes par année. Nous utilisons un formulaire facile à remplir et acceptons les soumissions en ligne. Ces 1 500 demandes sont à mettre en regard de la population carcérale du Royaume-Uni, qui s’élève à environ 80 000 personnes. Actuellement, il n’y a pas de délai d’attente pour les examens de la CCRC, et 85 % de nos examens sont menés à terme dans les 12 mois. Les cas les plus complexes prennent plus de temps et peuvent s’étendre sur deux ou trois ans.

Nous soumettons un rapport annuel et des états de compte au Parlement, et nos activités sont supervisées par un conseil d’administration composé de 10 personnes. Nous employons environ 120 personnes, dont 10 commissaires. Beaucoup d’entre nous, mais pas tous, avons une formation juridique. Nous sommes une organisation collaborative et multidisciplinaire qui regroupe des personnes nous donnant accès à une combinaison de compétences en matière de justice et d’enquête.

Le Parlement nous a accordé un éventail unique de pouvoirs d’investigation. Nous pouvons obtenir des documents auprès d’organismes publics et de particuliers. Nous pouvons diriger des enquêtes de police dans les causes les plus importantes. Une ordonnance judiciaire peut en outre nous autoriser à parler avec les jurés. Nous pouvons examiner n’importe quelle affaire pénale, de l’infraction la plus mineure au crime le plus grave. Comme nous sommes l’organe de dernier recours, les individus sont généralement censés avoir épuisé leurs droits d’appel avant de s’adresser à nous. Toutefois, dans des cas exceptionnels, nous pouvons réexaminer des condamnations même s’il n’y a pas eu d’appel. Il peut s’agir d’un cas de vulnérabilité extrême ou d’une personne qui a besoin que nous utilisions nos pouvoirs spéciaux pour l’aider. Nous pouvons nous pencher sur la condamnation d’une personne décédée si de proches parents en font la demande.

En plus d’obtenir des dossiers de la police, des tribunaux, des procureurs et de la défense, nous recevons souvent des documents des écoles, des prestataires de services sociaux, des professionnels de la santé et des services de sécurité. Nous pouvons nous entretenir avec des témoins — qu’il s’agisse de gens qui ont témoigné lors du procès ou de nouveaux témoins —, des avocats, des scientifiques, des policiers et même des juges pour comprendre ce qui s’est passé dans une affaire donnée. Nous pouvons également ordonner que des pièces à conviction soient soumises à de nouveaux tests. Nous sommes le seul organe habilité à renvoyer une affaire en deuxième appel, et les renvois sont effectués sur la base de nouvelles preuves ou d’un nouvel argument juridique que nous avons trouvé si nous pensons qu’il existe une possibilité réelle ou une perspective raisonnable que la condamnation ne soit pas confirmée par le tribunal.

Nos renvois sont notamment attribuables à des développements scientifiques, souvent liés à l’ADN, mais aussi à la pathologie, à la pédiatrie, à des preuves informatiques déficientes ou à une meilleure compréhension des problèmes de santé mentale. Nous avons renvoyé des affaires impliquant des victimes de la traite des personnes et de l’esclavage moderne. Il y a également eu des cas de non-divulgation d’informations importantes au cours du procès ou de mauvaise conduite de la part de la police. Toutes les affaires sont examinées par les commissaires et un exposé écrit des motifs ou de la décision est fourni dans chaque cas. Il n’y a pas de limite de temps pour s’adresser à nous, la démarche est gratuite et une même personne peut avoir recours à nos services plus d’une fois. En raison de la réduction du financement public, seuls 5 % des demandeurs bénéficient actuellement des services d’un avocat. Cette situation est préoccupante. Bien que nous ne pensions pas qu’il y ait un impact sur le résultat d’un examen, cela augmente le temps que nous devons consacrer à un dossier.

Enfin, nous effectuons un travail de sensibilisation auprès des juges, des avocats, des universités et des groupes de défense. Nous facilitons la recherche universitaire, nous organisons un forum des parties prenantes et nous comparaissons devant le Comité spécial de la justice du Royaume-Uni, en faisant des commentaires publics au besoin et en contribuant à l’amélioration du système judiciaire britannique. Nous collaborons avec nos homologues en Écosse, en Norvège et en Nouvelle-Zélande, et nous avons grand-hâte de pouvoir le faire avec la nouvelle commission canadienne le moment venu. Merci.

Le président : Merci beaucoup, maître Curtis.

Me Laura N. Pierro, directrice générale, North Carolina Innocence Inquiry Commission (États-Unis) : Bonjour, sénateur Cotter et distingués membres du comité. Je suis la nouvelle directrice générale de la North Carolina Innocence Inquiry Commission. Je succède à l’ancien directeur Smith, qui a témoigné devant vous pour la dernière fois en novembre 2023. Je verrai donc à ne pas répéter ce que vous avez déjà entendu, mais je me ferai un plaisir de vous donner un aperçu de nos statistiques et de notre historique.

Pour ce qui est de mon propre parcours professionnel, je suis une ancienne procureure de l’État du New Jersey, qui a gravi les échelons au fil de 20 ans de carrière, passant du rôle d’assistante du procureur à celui de directrice générale adjointe responsable de tous les litiges dans le comté. J’ai été nommée par la suite juge de l’immigration aux États-Unis, d’abord à New York, puis à Newark, dans le New Jersey, deux des tribunaux les plus importants et les plus actifs du pays. J’ai quitté ce poste pour accéder à mon rôle actuel de directrice générale. Je prends la peine de vous parler de mes antécédents, car ils éclairent mon approche à l’égard des condamnations injustifiées et me confèrent une perspective unique du système de justice pénale et de ses composantes.

Comme vous le savez, notre commission est la première et la seule agence d’État indépendante des États-Unis chargée d’enquêter de manière neutre sur les demandes visant à établir l’innocence réelle d’une personne à la suite de sa condamnation. Nous nous distinguons nettement des unités d’enquête ou de révision criminelle qui sont formées et gérées par les autorités poursuivantes, ainsi que des projets Innocence qui sont financés par des fonds publics et qui fournissent une représentation directe au demandeur. J’ai pris connaissance du projet de loi à l’étude, des mémoires et des exposés qui vous ont été présentés, et j’ai visionné vos audiences précédentes pour mieux connaître les enjeux dont vous êtes saisis et me préparer à répondre à vos questions. J’ai le grand honneur d’être la directrice de la commission en Caroline du Nord et, tout comme j’ai salué les efforts législatifs de notre État pour créer cette organisation novatrice afin de s’attaquer au problème insidieux des condamnations injustifiées, j’aimerais également reconnaître et applaudir la détermination du Canada à fonder sa propre organisation dédiée à la même cause.

Les condamnations injustifiées minent la confiance du public envers le système de justice pénale et ses acteurs. Pour chaque condamnation injustifiée, il y a un véritable criminel toujours en liberté, une victime qui a la fausse impression d’avoir obtenu justice et une personne innocente qui peut passer ou a passé des années en prison pour un crime qu’elle n’a pas commis.

Le modèle de la commission de la Caroline du Nord est différent de celui proposé au Canada. Nous n’examinons pas les jugements de délinquance des mineurs, à moins qu’ils n’aient été condamnés en tant qu’adultes à la suite d’une procédure de renonciation ou de transfert. Nous n’enquêtons pas sur les affaires dans lesquelles une personne a été déclarée non coupable pour cause d’aliénation mentale, car nous limitons notre champ d’action aux personnes qui sont réellement et concrètement innocentes. Nous insistons pour que les demandes soient faites par le demandeur lui-même en raison de la renonciation aux droits qui doit être signée et autorisée avant que nous puissions commencer notre travail. Nous ne traitons donc pas les demandes concernant des personnes décédées. Nous ne traitons pas non plus de questions telles que la détermination de la peine et l’assistance inefficace d’un avocat, car il est considéré qu’il s’agit uniquement d’erreurs de procédure ne pouvant pas nécessairement être associées à une demande visant à établir l’innocence réelle. Nous acceptons cependant les demandes d’individus qui sont toujours en cours de procédure d’appel mais nous avons, dans certaines circonstances, reporté toute enquête jusqu’à ce que cette procédure soit terminée.

Ces différences ayant été énoncées, je suis prête à répondre à toutes les questions et à m’engager à appuyer votre travail et celui des futurs membres de l’organisation que vous mettrez en place pour vous aider à naviguer dans ces nouvelles eaux. Sur ce, je vous remercie de m’avoir invitée et je suis disposée à répondre à vos questions le moment venu.

Le président : Merci beaucoup, maître Pierro.

Me Michael Walker, administrateur général, Scottish Criminal Cases Review Commission : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis reconnaissant au comité de me donner l’occasion de commenter ce projet de loi.

La Scottish Criminal Cases Review Commission a été créée par une loi du Parlement en 1997 et a vu le jour en 1999. Une grande partie des dispositions législatives régissant notre commission de révision des affaires pénales correspondent à celles en vigueur en Angleterre, conformément à ce que Me Curtis vous a expliqué. Je me doutais bien que ce dernier allait me couper l’herbe sous le pied en abordant de nombreux points qui s’appliquent également à la commission écossaise. Je ne m’y attarderai donc pas. Je me propose plutôt de passer en revue et de commenter certains aspects du projet de loi sur la base de nos propres expériences en Écosse.

Je constate que le projet de loi s’inspire d’éléments des pratiques écossaises et anglaises, mais innove en vue d’offrir une solution adaptée aux besoins du Canada. Comme je n’ai évidemment pas l’expertise du système juridique canadien, mes commentaires sont basés sur l’application de la loi qui a établi la commission écossaise et qui fournit un cadre pour son fonctionnement. Il va donc de soi que mes observations doivent être considérées sous cet angle.

J’ai choisi quelques dispositions qui nous ont semblé particulièrement intéressantes et importantes. En ce qui concerne les dispositions relatives à la recevabilité d’une demande en fonction des droits d’appel restants, notre expérience nous dirait peut-être maintenant que nous ne sommes pas convaincus qu’il soit absolument nécessaire de faire expressément référence à l’épuisement des voies de recours, bien que le projet de loi prévoie des exceptions à cette règle générale. Si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, la commission de révision des erreurs judiciaires risque d’être indûment empêchée de traiter les cas d’injustice dans lesquels le demandeur n’a pas épuisé ses voies de recours normales. D’après notre expérience, de telles situations peuvent se présenter pour diverses raisons.

Je note que les pouvoirs d’enquête de votre commission sont équivalents à ceux d’un commissaire en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes. Je suppose que ces pouvoirs correspondront à ceux dont nous disposons, par exemple, et comme Me Curtis l’a mentionné, pour demander une ordonnance du tribunal afin de contraindre un individu à nous faire une déclaration, ainsi que pour exiger que des informations pertinentes pour notre enquête nous soient fournies par des organismes publics et privés.

Un pouvoir supplémentaire dont dispose la commission écossaise et qui, je pense, pourrait vous intéresser est celui de demander l’assistance de la Haute Cour de justice d’Écosse pour obtenir des informations de l’étranger. Ce pouvoir s’est avéré inestimable dans le cadre de notre examen de différents dossiers. L’exemple le plus marquant est sans doute celui de la révision effectuée par la commission écossaise concernant l’homme condamné pour l’attentat de Lockerbie.

Je constate par ailleurs que les motifs invoqués pour ordonner un nouveau procès ou renvoyer l’affaire devant la cour d’appel sont conformes aux critères appliqués en Écosse. Le critère de l’erreur judiciaire a de nombreux mérites. Il est, à tout le moins, compréhensible pour les profanes. Contrairement à la loi anglaise, la loi écossaise ne fait pas référence au concept d’une perspective raisonnable de succès, mais la Haute Cour d’Écosse, dans ses commentaires sur l’intérêt de la justice, a laissé entendre qu’il fallait quelque chose d’approchant pour que le renvoi devant la cour d’appel soit couronné de succès.

Dans une perspective plus générale, bien que je note les facteurs que la commission devra prendre en considération pour rendre une décision, l’expérience en Écosse suggère que votre commission devra, dans l’intérêt de la justice, en arriver, de concert avec votre cour d’appel, à sa propre approche correspondant à la réalité canadienne.

Je note aussi que votre commission aura notamment pour mandat de formuler des recommandations relativement aux problèmes systémiques susceptibles d’entraîner des erreurs judiciaires. En Écosse, nous ne jouissons pas de ce pouvoir statutaire. Néanmoins, sans disposer d’aucune autorité en la matière et sans être expressément tenue de le faire, la commission écossaise n’a pas manqué d’assurer le suivi auprès d’autres acteurs du système de justice pénale en Écosse lorsqu’elle a estimé qu’un examen avait soulevé une question d’importance générale pour le système de justice ou avait mis en évidence un dysfonctionnement de ce dernier.

La position d’une commission de révision des affaires pénales au sein du système de justice pénale présente le double avantage d’offrir une vision inhabituellement large des procédures en même temps qu’un certain recul par rapport aux cas individuels dont elle a été saisie. Je ne doute pas que la disposition du projet de loi relative au statut devrait encourager votre commission à emprunter de telles avenues.

Il y a un autre point que je souhaite certainement soulever. Le projet de loi prévoit que la décision devra être prise par la majorité des commissaires. Cela reflète la position de l’Écosse, ou du moins la position adoptée par la commission écossaise, contrairement à celle de la commission anglaise. Nous estimons qu’un quorum supérieur à une personne est raisonnable pour toutes les décisions à prendre. Toutes les décisions de non-renvoi peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire, ce qui nécessite, selon notre expérience, un examen par des commissaires qualifiés sur le plan juridique. En outre, les décisions prises par un seul commissaire ne bénéficient pas des mécanismes intégrés de freins et contrepoids qu’un quorum de commissaires peut offrir. En Écosse, nous avons nommé des professionnels médico-légaux comme commissaires, et nous avons trouvé très utile de faire appel à l’expérience de psychiatres et de psychologues. Les questions relevant de ces domaines de compétence reviennent de plus en plus souvent dans notre travail.

Enfin, en ce qui concerne la publication des décisions, nous n’avons pas le droit, comme la commission anglaise, de publier nos décisions. Parfois, en ce qui concerne les décisions de ne pas renvoyer un cas, des problèmes se sont posés lorsque les personnes concernées ont mal compris ou déformé notre position. Dans de telles circonstances, il peut être très difficile d’organiser une défense efficace contre les allégations en ce sens, et il est possible que de telles allégations non contestées nuisent à la perception du public quant à l’efficacité du système de justice pénale en Écosse pour ce qui est de corriger les erreurs judiciaires.

Je ne doute pas que la publication des décisions de la commission au Canada, sous réserve des restrictions énoncées, devrait lui permettre de justifier ses actions et de donner au public confiance dans la capacité de la commission à corriger les erreurs judiciaires. Je me réjouis à la perspective d’accueillir la commission canadienne au sein du groupe restreint des commissions de révision et d’apprendre de son travail. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci beaucoup, maître Walker. Je vous remercie tous de vos exposés pertinents et très concis. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Il n’est pas étonnant que plusieurs d’entre eux aient hâte de discuter avec vous.

Certains sénateurs vous parleront en français. Lorsque cela se produira dans quelques instants avec le sénateur Carignan, je vais vous interrompre pour m’assurer que vous entendez l’interprétation. Nous allons commencer par le sénateur Arnot, qui est le parrain du projet de loi au Sénat.

Le sénateur Arnot : Je remercie tous les témoins de leur présence aujourd’hui. Je crois que le projet de loi dont le comité est actuellement saisi créera au Canada un nouvel organisme très attendu, indépendant et habilité, qui est chargé d’examiner les possibles condamnations injustifiées. J’ai hâte d’entendre vos témoignages à tous.

Comme vous le savez, les auteurs de cette loi ont étudié les mécanismes qui fonctionnent dans vos administrations. Ils ont à leur tour créé une réponse canadienne indispensable à un enjeu qui en dit long sur la crédibilité de notre système de justice et le besoin de limiter les erreurs judiciaires.

Je poserai deux questions au premier tour, une à Me Curtis et l’autre à Me Walker. J’en aurai une troisième pour Me Pierro au prochain tour.

Maître Curtis, au sein de votre commission du Royaume-Uni, les renvois sont effectués sur la base de nouvelles preuves ou d’un nouvel argument juridique. Trouvez-vous que ce seuil permet effectivement d’atteindre un juste équilibre entre la nécessité de traiter les condamnations injustifiées et de gérer le volume de demandes?

Me Curtis : Je remercie le sénateur. En un mot, la réponse est oui, et je vous renvoie aux chiffres que nous avons fournis. En 27 ans, sur 32 000 cas, 850 renvois ont été faits, dont la majorité a été rejetée.

Certains nous reprochent que ce ne soit pas suffisant ou que nous devions faire plus de renvois et adopter une approche plus audacieuse. Plutôt que de considérer ce qu’on pourrait appeler un taux de réussite de 70 %, ils disent qu’il faudrait accepter plus de cas refusés par la cour d’appel. Notre réponse est la suivante : qu’est-ce que cela révélerait sur le système de justice pénale en Angleterre, au pays de Galles et en Irlande du Nord? Si des milliers de cas étaient invalidés et rejetés, cela laisserait entendre que trop de cas passent sous le radar et que le système d’appel en première instance a échoué.

Nous sommes également conscients qu’il y a un parti pris pour le renvoi à la cour d’appel; ce n’est pas un processus exempt de stress ou de coût. C’est souvent très traumatisant pour les victimes de crimes qui ont peut-être tourné la page sur une infraction sexuelle grave et qui doivent rouvrir la blessure à la suite d’un renvoi de la commission. Le fait de renvoyer une affaire où il y a une simple possibilité plutôt qu’une chance raisonnable pourrait causer des souffrances inutiles ou susciter de faux espoirs, en plus de gaspiller les fonds publics et le temps de magistrature pour une cause sans fondement.

De façon générale, la commission a pu renvoyer tous les cas qu’elle voulait. Elle n’est pas toujours d’accord avec le verdict du tribunal, qui nous surprend parfois, mais il est très difficile de penser à une affaire qui, selon nous, était une erreur judiciaire, et où le critère prévu dans notre loi ne nous aurait pas au moins permis de la renvoyer au tribunal. J’espère que ma réponse vous aide.

Le sénateur Arnot : Maître Walker, j’aimerais explorer la composante d’enquête de votre commission. J’aimerais savoir comment vous affectez les gens à l’enquête et quels types de compétences, d’expérience et de techniques ils peuvent utiliser. Selon ce que nous avons constaté au Canada, les enquêtes policières sur d’autres corps policiers ne fonctionnent pas nécessairement bien. Que faites-vous pour régler efficacement tous les problèmes dans le cadre de votre processus d’enquête?

Me Walker : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. C’est une très bonne question. La première chose que je dirais, c’est qu’en raison de la très petite taille de notre équipe, qui compte environ 10 personnes, dont seulement 6 avocats légalement compétents pour agir, nous n’avons pas de personnel spécialisé — par exemple des employés de la police ayant des antécédents policiers — pour mener les enquêtes. Notre loi nous donne toutefois le pouvoir de charger le lord avocat, le plus haut représentant de la Couronne en Écosse, de mener des enquêtes en notre nom. Au cours de nos 25 années d’existence, nous avons utilisé ce pouvoir une seule fois. Je pense que nous y avons recours avec parcimonie pour les raisons que vous avez évoquées. Nous ne voulons pas que la poursuite fasse enquête d’une manière ou d’une autre sur elle-même. L’un des points que nous rappelons toujours au public est que nous sommes indépendants.

En raison du manque de personnel spécialisé, nous comptons beaucoup sur notre conseil des commissaires, dont les membres apportent tous leurs perspectives différentes sur le système de justice pénale. J’ai mentionné que nous avons des commissaires de police, des policiers à la retraite et des scientifiques. Je ne saurais trop insister sur l’importance de la communauté scientifique, tant du côté de la psychiatrie que des sciences judiciaires. Nous avons d’ailleurs eu au fil des ans des professeurs très estimés dans ce domaine. Ils aident à cibler les enquêtes qui doivent être menées. Notre personnel juridique pourrait s’en charger et mener ces enquêtes jusqu’au bout, mais en fin de compte, les décisions stratégiques concernant les enquêtes et ce qu’il faut faire sont prises par un conseil.

Pour ce qui est du processus d’examen, notre commission est divisée entre quatre commissaires. Chaque cas en cours d’étude est soumis à un processus d’examen réalisé par un comité de quatre membres du conseil. Ce sont leur grande expérience et leurs différents points de vue qui nous permettent de cibler l’enquête à faire. Nous ne donnons pas d’instructions aux policiers. Bien que nous ayons ce pouvoir, nous ne le faisons pas en pratique.

La sénatrice Batters : Maître Curtis, votre Criminal Cases Review Commission du Royaume-Uni applique un seuil de « possibilité réelle » pour le renvoi d’une affaire. Ce critère est appuyé par la jurisprudence et exige que la possibilité d’une erreur judiciaire soit raisonnable, et non pas une simple possibilité. Cependant, avec le projet de loi C-40, le gouvernement canadien introduit un seuil beaucoup plus bas en exigeant simplement qu’une erreur ait pu être commise, sans qu’il soit nécessaire d’avoir de nouvelles preuves à cet égard.

Selon votre expérience, croyez-vous qu’un seuil aussi bas ici pourrait entraîner un nombre élevé de demandes, ce qui augmenterait le risque de retards — y compris des retards judiciaires, ce qui arrive au Canada — et alourdirait le fardeau d’une commission dont les ressources sont limitées?

Me Curtis : Je remercie la sénatrice. La réponse courte à cette question est oui. Si vous me permettez d’élaborer, je dirais ceci.

Notre cour d’appel a clairement indiqué qu’il est pratiquement impossible de s’assurer qu’une information n’aurait peut-être rien changé au verdict du jury. C’est pourquoi les cas où les chances de réussite sont fantaisistes, théoriques ou une simple possibilité ne justifient pas un appel fructueux. La cour a clairement indiqué qu’elle avait besoin d’un fondement plus solide et de possibilités réelles. Le terme privilégié est une « perspective raisonnable ». Il y a une disposition correspondante en droit civil. Si vous rédigez un contrat, que le mot « raisonnable » y figure ou non, les parties sont tenues de se comporter raisonnablement. En pratique, la cour au Canada devrait privilégier les cas raisonnables et significatifs plutôt que des possibilités très faibles et fantaisistes.

La sénatrice Batters : C’est ce que nous allons voir, car il incombe bien sûr à la commission d’appliquer cette norme. Si elle le juge approprié, la commission a le pouvoir de renvoyer l’affaire à un tribunal pour un nouveau procès ou un nouvel appel. Or, c’est la commission qui établit cette norme, de sorte que nous verrons.

Avec le seuil inférieur prévu au projet de loi C-40, croyez-vous que des affaires non fondées risquent aussi d’être acceptées en révision, ce qui pourrait détourner des ressources des véritables condamnations injustifiées et peut-être compromettre l’efficacité de la commission canadienne?

Me Curtis : Oui, je pense que si l’on renvoyait aux tribunaux des possibilités fantaisistes et théoriques, le tribunal pourrait interpréter le libellé et orienter la commission sur l’intention du Parlement. Il pourrait tenter d’expliquer à la commission que, lorsque le Parlement lui a donné le pouvoir de renvoyer des affaires si elle croit qu’une chose s’est mal passée, on devrait l’interpréter comme une possibilité raisonnable plutôt que théorique ou fantaisiste. Autrement, je pense que vous pourriez conclure que les ressources des tribunaux et de la commission sont menacées.

La sénatrice Batters : Je vous remercie.

Avant de poser ma dernière question à Me Curtis, j’aimerais faire un commentaire. Maître Pierro, j’ai beaucoup aimé lorsque vous avez dit que pour chaque affaire dont il est question ici, il y a un « véritable criminel » toujours en liberté. C’est un angle dont nous n’avons pas beaucoup entendu parler, mais c’est très important non seulement pour les personnes qui ont été condamnées à tort, mais aussi pour les victimes potentielles dans ces affaires.

De plus, maître Pierro, vous avez dit que vous ne vouliez pas reproduire les témoignages qui ont déjà été faits. Je voulais vous rappeler que le témoignage n’était pas à notre comité, mais plutôt au Comité de la justice de la Chambre des communes. Nous sommes le Comité sénatorial des affaires juridiques. C’est donc à l’autre processus que vous avez participé.

Ma dernière question s’adresse à Me Curtis. Compte tenu de l’expérience de la Criminal Cases Review Commission du Royaume-Uni, quelles mesures recommanderiez-vous au Canada pour que notre nouvelle commission puisse évaluer les demandes de façon exhaustive et équitable? Quelles sont certaines de vos pratiques qui pourraient être particulièrement avantageuses pour une nouvelle commission canadienne?

Me Curtis : Je pense que l’aspect multidisciplinaire de notre commission, dont Me Walker a parlé pour la commission écossaise, est le reflet de ce qui se passe. C’est formidable que des non-juristes participent à un processus, tant pour apporter des perspectives différentes que pour accroître la confiance du public. En ce qui concerne le rôle des policiers — dont un de vos collègues a parlé —, certains de mes collègues qui sont d’anciens policiers ont participé aux renvois et à la détection d’erreurs judiciaires. Ils ont une carrière tout à fait louable. Il est certainement utile de profiter de leurs connaissances privilégiées.

Si nous pouvions faire les choses différemment, je pense que nous pourrions bâtir un meilleur système de TI qui contient toutes les connaissances et tous les cas différents, puis examiner les enjeux en mettant tout en commun. Nous avons beaucoup de choses en tête et dans nos discussions, et il serait formidable d’explorer l’intelligence artificielle comme moyen de gérer notre savoir. Après 27 ans, il est dommage que les gens du Royaume-Uni — autant les praticiens du droit que le grand public — ne sachent toujours pas ce que nous faisons et la façon de communiquer avec nous. Nous pourrions certainement faire plus sur les plans de la publicité et de l’accessibilité.

La sénatrice Batters : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à Me Curtis.

Au Royaume-Uni, il y a une possibilité de révision judiciaire pour les cours martiales. J’aimerais savoir ceci : quel est le pourcentage du volume qui vient des cours martiales? Y a-t-il un élément de complexité particulier par rapport aux autres situations, donc celles qui ne proviennent pas d’une cour martiale?

Ma deuxième question s’adresse à tous. Quel est le rôle joué par la découverte de l’ADN ou de l’identification de l’ADN dans l’innocence ou dans la preuve d’innocence des personnes? Quel est le pourcentage de cas où vous voyez que les gens sont innocentés grâce à l’ADN?

[Traduction]

Me Curtis : Je vous remercie. Je peux parler de la cour martiale. Nous n’avons qu’un très petit nombre d’affaires venant du tribunal militaire. Je pense que sur nos 32 000 dossiers traités en 27 ans, 10 ou 20 provenaient du tribunal militaire.

En ce qui concerne la complexité, la loi est assez semblable. Nous avons eu de la difficulté à sensibiliser les militaires à nos pouvoirs et à obtenir la même coopération de gens qui ne nous connaissent pas. Quand nous demandons des dossiers et des explications, ils n’ont peut-être pas travaillé avec nous aussi souvent que les corps policiers conventionnels et les procureurs. Cependant, une fois que nous avons surmonté cet obstacle, l’échange d’information et la coopération sont très bons.

Je ne peux penser qu’à une seule affaire militaire dont le renvoi et l’appel ont été fructueux. Il s’agissait d’un marine qui avait tiré sur quelqu’un en Afghanistan qui était apparemment sans défense. Cette condamnation a été réduite de meurtre à homicide involontaire grâce à de nouvelles preuves psychiatriques concernant le moment où il était en service.

Le président : La deuxième question portait sur l’ADN et le nombre de cas qui ont été résolus grâce à des preuves génétiques.

Me Curtis : L’ADN joue souvent un rôle dans nos enquêtes. Notre concept d’innocence est différent. Notre tribunal ne se prononce pas sur la culpabilité ou l’innocence. La cour d’appel dira si un verdict est prudent ou imprudent. Il va rarement rendre un verdict d’innocence. Le jury peut établir l’innocence en première instance, mais la cour d’appel ne dira que si c’est prudent ou non.

Combien de cas avons-nous vus où des gens sont véritablement et objectivement innocentés grâce à l’ADN? Encore une fois, je pense que c’est relativement rare. C’est possible, mais dans la plupart des cas, nous sommes convaincus qu’il existe au moins un doute raisonnable que la personne est responsable du crime. Dans la plupart des cas, le tribunal acceptera ce fait et annulera la déclaration de culpabilité. Ce faisant, on ne dit pas que la personne est innocente. C’est une question à laquelle il est très difficile de répondre. Nous nous faisons peut-être notre propre idée, mais sur le plan juridique, la cour ne considère pas avoir la responsabilité légale d’innocenter une personne plutôt que de dire que le verdict est imprudent.

[Français]

Le sénateur Carignan : Quel est le pourcentage de situations ou de causes dans lesquelles l’ADN crée un doute sur la culpabilité d’un individu? Ma question s’adresse à tous les témoins.

[Traduction]

Me Curtis : Je vous répondrai rapidement que le tiers de nos renvois étaient fondés sur des sciences judiciaires, dont l’ADN fait partie. Ce serait donc 200 ou 300 dossiers.

Le président : Pourriez-vous répondre au sénateur Carignan sur le pourcentage de causes où il a été déterminé que les conclusions étaient « imprudentes », ou quel que soit le libellé utilisé en Caroline du Nord en présence de preuves médico-légales, plus particulièrement l’ADN?

Me Pierro : Oui. Je vous remercie de la question. En Caroline du Nord, l’ADN est un élément important de nos causes et compte pour environ 66 % de nos disculpations.

Me Walker : La réponse de Me Pierro est très intéressante. Je n’ai pas le pourcentage exact que vous recherchez, mais par expérience, il est très faible, et encore plus depuis 25 ans. Je ne sais pas exactement quelle en est la raison. Ce sont évidemment des affaires très intéressantes. Même si nous pouvons laisser tomber les experts en analyse génétique, ils seront toujours prêts à le faire, parce qu’ils peuvent fournir une preuve irréfutable de l’identité du coupable.

D’après mon expérience et les centaines de cas qui ont été portés à notre attention au cours des 15 dernières années environ, il semble qu’en Écosse, il n’est pas habituel de renvoyer les cas à partir de nouvelles preuves génétiques, compte tenu des différents types de collecte de preuves que la Couronne peut maintenant obtenir, y compris ses propres preuves génétiques pour prouver le crime. C’est arrivé, mais c’est beaucoup moins fréquent.

J’ai trouvé très intéressant d’entendre que c’est 66 % des causes pour Me Pierro en Caroline du Nord. Je soupçonne que c’est peut-être à cause de l’idéal d’innocence; voilà pourquoi vous examinez ces cas. Notre commission applique très souvent des critères juridiques pour déterminer s’il y a une preuve suffisante ou si quelque chose d’autre a mal tourné dans le processus — par exemple en cas de procès injuste. Il en va sans doute de même dans toutes les administrations de common law.

Pour répondre à votre question, ce chiffre est très petit.

Le sénateur Dalphond : Je remercie les témoins. Ma question s’adresse à Me Curtis.

Pouvez-vous nous parler du nombre de causes que vous recevez? Était-ce un grand nombre au début, puis une sorte de moyenne lorsque les gens connaissaient votre existence? J’ai aussi remarqué que vous avez parlé d’une augmentation de 20 % dans votre dernier rapport annuel. Est-ce que le chiffre varie constamment à la hausse ou à la baisse, ou s’il est constant? À quoi pouvons-nous nous attendre une fois que cette commission sera en place et qu’elle fera un peu de publicité?

Me Curtis : Oui. Sénateur, je pense que le nombre de demandes reçues sera très élevé au début. Des dossiers viendront du gouvernement, en plus de tous les nouveaux dossiers, ce qui prendra un certain temps à traiter.

Au cours de nos 10 premières années d’activité, nous avons traité en moyenne 800 cas par année, mais nous avions un formulaire juridique contenant trop de texte que les gens devaient remplir. Sans représentant, c’était probablement assez difficile à faire. Nous avons adopté un formulaire beaucoup plus simple où les gens nous donnent des détails très élémentaires. Une fois que nous l’avons adopté, nous avons presque doublé le nombre de demandes reçues, qui était de 800, et a grimpé très rapidement pour atteindre 1 200 ou 1 400 causes. Notre année importante, où nous avons récemment reçu 1 600 demandes, est attribuable au fait que nous avons un formulaire facile à lire et en ligne, mais aussi à nos efforts de sensibilisation. Nous allons dans les prisons, parlons aux détenus et les aidons à présenter des demandes. Il y a un lien entre le processus de demande, sa facilité, ainsi que la publicité et les activités de sensibilisation. Voilà qui vous permet d’avoir un contrôle et d’augmenter ou de réduire le nombre de demandes en ajustant les processus.

Le sénateur Dalphond : Je constate que vous avez renvoyé près de 750 cas relatifs à des condamnations injustifiées présumées, mais que vous en avez renvoyé beaucoup moins relativement à l’imposition d’une peine injustifiée. Il y a 10 fois plus de cas de condamnations injustifiées que de cas relatifs à des erreurs de détermination de la peine.

Me Curtis : Oui.

Le sénateur Dalphond : Ce n’est pas exactement la même chose. Comment expliquez-vous que vous ayez surtout des cas de condamnations injustifiées? En Écosse, il semble y avoir plus de cas relatifs à la détermination de la peine.

Me Curtis : Dans notre cas, je dirais que cela tend à refléter la demande. Il se peut que de nombreuses personnes acceptent la peine qui leur a été infligée et le temps qu’elles doivent passer en prison ou, s’il s’agit d’une peine sans incarcération, il se peut qu’elles ne veuillent pas contester l’amende ou le service communautaire qu’elles doivent effectuer. Nous recevons un plus petit nombre de cas relatifs aux peines, et c’est ce qui détermine le nombre de renvois.

Le sénateur Dalphond : Je vous remercie.

La sénatrice Simons : Je remercie tous nos témoins de leur présence, surtout ceux qui sont au Royaume-Uni où il est près de 22 heures, si je ne m’abuse. Aussi, j’imagine que nos témoins en Caroline du Nord se sont couchés tard hier soir.

Me Pierro : Oui. Merci.

La sénatrice Simons : J’ai une question à propos des processus que vous utilisez au sein de vos commissions. Maître Curtis, vous avez parlé de la possibilité d’interroger les jurés — ce qui m’a surprise, car ce serait très inusité au Canada — et les juges.

Pouvez-vous contraindre les jurés et les juges qui ont travaillé sur les affaires dont vous êtes saisis à vous parler? Vous arrive-t-il d’avoir des problèmes, car des personnes ne veulent pas vous parler de peur de s’incriminer ou de se porter préjudice si jamais une enquête ou un examen sur leur conduite venait à être effectué?

Me Curtis : Nous n’avons pas le pouvoir de les contraindre à nous parler, sénatrice. D’ailleurs, nous ne voulons pas obtenir ce pouvoir parce que nous constatons que lorsque nous abordons les gens en leur disant que nous faisons partie d’un organisme indépendant, que nous voulons établir la vérité et que nous aimerions bien avoir une conversation avec eux, ils sont généralement disposés à le faire. Si nous estimons qu’il existe un risque d’incrimination, nous devons demander à la police de mener l’entrevue, en présence d’un avocat, et d’informer le témoin de ses droits, ce qui peut le dissuader de répondre à une question.

Si nous voulons parler aux jurés, nous devons obtenir l’autorisation du tribunal et lui expliquer ce que nous faisons et la raison pour laquelle nous le faisons. Parfois, c’est l’inverse : le tribunal demandera à la commission de mener une enquête pour l’aider à examiner un appel, car les jurés seront peut-être plus enclins à parler aux membres d’une commission indépendante qu’aux policiers qui mènent une enquête.

Nous avons mené une centaine d’enquêtes de ce type pour aider les tribunaux anglais au fil des ans. Je pense qu’ils accordent beaucoup d’importance à l’aide que nous leur fournissons.

La sénatrice Simons : Je vais commencer par Me Pierro, car nous n’avons pas eu la chance de l’entendre autant que les autres.

J’imagine que certains de vos enquêteurs sont d’anciens policiers qui sont devenus des enquêteurs privés. Ne craignez-vous jamais que les gens ne veuillent pas leur parler, car à leurs yeux, ce sont les interventions de ces anciens policiers qui ont mené à des condamnations injustifiées?

Me Pierro : C’est une excellente question, madame la sénatrice. Cela m’a également traversé l’esprit lorsque je suis arrivée à la commission. On pourrait s’attendre à ce que nos enquêteurs soient d’anciens policiers, mais à la commission, ce sont nos avocats qui effectuent les enquêtes.

Cela me plaît pour plusieurs raisons. Si, lorsque j’étais procureure, je m’appuyais principalement, bien sûr, sur les enquêtes menées par la police ou les enquêteurs, j’étais néanmoins la mieux placée pour connaître les éléments que je devais faire valoir devant le tribunal, pour savoir quels étaient les requêtes et les faits dont j’avais besoin, et pour savoir ce que je devais prouver aux jurés pour obtenir une condamnation. J’avais le sentiment d’être particulièrement bien placée pour saisir les questions auxquelles les témoins devaient répondre et que l’enquêteur n’avait peut-être pas encore posées. Les avocats ont cette précieuse expérience.

Cela dit, comme vous l’avez souligné, nos enquêteurs — c’est-à-dire nos avocats — se heurtent encore souvent à une certaine réticence, car, comme l’ont dit Me Curtis et Me Walker, les gens ne connaissent pas encore assez notre commission. Ils ne savent pas que nous sommes un organisme d’enquête neutre qui n’essaie que de découvrir la vérité.

En revanche, une fois que nous expliquons qui nous sommes — et nous le faisons — aux témoins, ils décident généralement de nous aider. Mais, comme vous l’avez dit, s’ils décident de ne pas le faire, en Caroline du Nord, nous disposons d’outils pour les contraindre à témoigner. Nous pouvons utiliser des ordonnances pour des témoins-clés. Nous pouvons assigner les gens à comparaître. Nous pouvons procéder à un interrogatoire préalable avec les anciens avocats du demandeur et avec les policiers. Nous pouvons les contraindre à faire une déclaration puis à témoigner au cours d’une audience.

La sénatrice Simons : Me Curtis a dit que dans les cas où quelqu’un risquerait d’être incriminé, la police interviendrait et l’informerait de ses droits. Or, je peux imaginer toutes sortes de situations où une personne pourrait être poursuivie au civil ou perdre son emploi. Si l’on découvrait qu’une personne n’avait pas bien fait une autopsie, par exemple, elle pourrait subir de nombreuses répercussions autres que des poursuites criminelles. On peut imaginer une foule de scénarios où les procureurs, les policiers, les médecins légistes — de nombreuses personnes — pourraient être tenus responsables d’un geste autre que ce qui constitue une infraction criminelle.

Maître Walker, cette question s’adresse à vous. Y a-t-il des gens qui ont fait l’objet de ce genre de sanctions de nature financière ou civile à cause des travaux de votre commission?

Me Walker : Merci beaucoup. C’est une question fort intéressante.

Avant d’essayer d’y répondre, j’aimerais soulever un point rapidement. Je crois que les pouvoirs en Écosse sont semblables à ceux qui existent en Caroline du Nord et dont Me Pierro a parlé. Nous pouvons contraindre une personne à faire une déclaration. La possibilité d’imposer cette obligation nous a été très utile. Elle nous a permis, dans certains cas, de recevoir la déclaration d’un témoin récalcitrant, par exemple. Il est très important qu’une commission puisse avoir ce pouvoir.

La deuxième partie de votre question est très intéressante. Je ne peux vraiment parler que de mon expérience dans le cadre des processus d’examen. On a critiqué le fait d’obtenir des déclarations de médecins légistes ou de toute personne impliquée dans le processus. On a fait des reproches à des professionnels. Je ne sais pas si, en Écosse, nous sommes moins prompts à intenter des poursuites qu’en Amérique du Nord, mais j’ai du mal à me souvenir d’un exemple où — après une de nos enquêtes — quelqu’un aurait fait l’objet d’une sanction civile ou d’une poursuite en raison de sa piètre performance. Je n’ai jamais vu cela, et je serais d’ailleurs curieux de savoir si Me Curtis a déjà été témoin d’une telle situation en Angleterre.

Me Curtis : C’est parfois quelque chose qu’une personne pourrait craindre. Il est arrivé que des avocats donnent des conseils à la défense et qu’avec le recul, ils regrettent de ne pas avoir donné d’autres conseils ou de ne pas avoir tenu compte de certains éléments.

Les scientifiques vont parfois admettre avoir fait quelque chose. Par contre, il ne faut pas oublier que les méthodes évoluent. À l’époque, ils ont agi de bonne foi, mais aujourd’hui, ils feraient peut-être les choses différemment.

Je ne pense pas que beaucoup de sanctions ont été imposées. Cependant, lorsque quelqu’un refuse de parler, ce silence en soi amène la commission et le tribunal à déduire quelque chose. Si on invite les gens à parler de ce qu’ils ont fait et à dire s’ils appuient toujours le conseil ou l’avis qu’ils ont donné et qu’ils choisissent de ne pas répondre, il est possible d’en déduire quelque chose.

Le président : Maître Pierro, on dirait que vous aimeriez intervenir à ce sujet. Si c’est le cas, nous vous écoutons.

Me Pierro : Oui. Je tiens à préciser que dans certaines circonstances, par exemple lorsque des policiers hésitent à parler et que nous les obligeons à témoigner, ils seront parfois accompagnés de leur avocat spécialisé dans les appels en matière de discipline policière.

S’il est vrai que nous n’avons pas, nous non plus, vu beaucoup de poursuites au civil à la suite de nos audiences, les commissaires ont toutefois déjà essayé d’intenter une poursuite pour outrage à l’encontre d’un médecin légiste d’un laboratoire médico-légal qui avait menti. Mais cela n’a pas abouti.

D’habitude, ce sont les agences plutôt que les particuliers qui font l’objet de poursuites à la suite d’un événement. On s’en prendra à un service de police ou au bureau des avocats de district dans son ensemble plutôt qu’au procureur du district ou au policier, car ces gens ne font que leur travail conformément à leurs fonctions. Il n’y a pas beaucoup de procédures civiles qui visent des particuliers, mais il y en a certainement qui visent une agence dans son ensemble. Dans ces cas-là, comme vous pouvez l’imaginer, on essaie d’obtenir une forme d’indemnisation à cause de la condamnation injustifiée.

Je voulais également me faire l’écho de ce qu’a dit Me Curtis. Madame la sénatrice, vous avez exprimé avec éloquence une réflexion intéressante. Or, en général, les experts n’ont pas commis de faute. Ils changent simplement leur témoignage parce qu’ils sont en mesure d’examiner de nouvelles preuves sous un nouvel angle, à l’aide de nouvelles théories scientifiques ou de nouveaux processus qui n’étaient pas à leur disposition à l’époque.

La sénatrice Pate : Je remercie tous nos témoins. Comme vous le savez peut-être, ou peut-être pas, le processus dont nous disposons au Canada ne nous a permis, jusqu’à présent, d’examiner que très peu de cas de personnes racisées et aucun cas qui touche des femmes. Les répercussions du racisme et de la misogynie sont évidentes dans ces domaines. Prenons l’exemple des prisons. Une femme sur deux purgeant une peine de 2 ans ou plus est autochtone, et environ 5 à 6 femmes sur 10 sont racisées.

Si ces femmes ont réagi à des actes violents perpétrés contre elles pour la première fois, bon nombre ont vu le contexte de la violence faite aux femmes ignoré par la défense, et ce, même si elles étaient représentées par d’excellents avocats spécialisés en droit pénal. Je dirais que cela est dû, en grande partie, au manque de sensibilisation.

Avez-vous également constaté cela dans vos pays? Choisissez-vous les éventuels commissaires en fonction de cela? Si oui, comment? J’aimerais aussi savoir comment vous composez avec le fait que de nombreuses personnes, comme c’est le cas ici — en particulier des femmes, et plus particulièrement des femmes autochtones et d’autres femmes racisées —, finissent par plaider coupable aux accusations du fait d’une socialisation centrée sur des responsabilités morales, éthiques, familiales, culturelles et communautaires qui n’équivalent pas à une responsabilité juridique. Souvent, ces femmes n’ont pas fait l’objet d’un interrogatoire approprié. Je me demande si vous avez examiné cette question. Comment l’avez-vous traitée? Avez-vous des recommandations à formuler sur la façon dont nous pouvons en tenir compte dans l’établissement du mandat de la commission et du choix des commissaires et des processus?

Me Pierro : Merci. Je tiens tout d’abord à préciser que, selon le recensement de 2020, il y avait 130 000 Autochtones américains représentant huit tribus reconnues par l’État, dont la seule tribu reconnue par le gouvernement fédéral, l’Eastern Band of Cherokee Indians, en Caroline du Nord.

Nous choisissons nos commissaires précisément en fonction de leur race et de leur sexe afin d’assurer une représentation équilibrée. Nous veillons aussi à ce que toutes les régions de l’État soient représentées. Lors de l’examen des nominations — certaines devront bientôt être renouvelées —, il m’incombe de faire des suggestions en ce sens pour que nous continuions à avoir cet équilibre.

Mais pour répondre à votre question, sénatrice, la commission ne compte aucun membre autochtone. Cela dit — et j’ai examiné ces statistiques en prévision de la réunion d’aujourd’hui, sachant que la communauté autochtone vous intéresse vivement au Canada —, je suis prête à tendre la main et à rectifier la situation en matière de représentation à l’avenir.

Je pense que tout commencera par le directeur général de la commission, comme tout commence par moi. J’ai consacré ma carrière à la représentation des victimes et j’ai travaillé sans relâche pour comprendre et aider les communautés marginalisées, et comprendre ce qui influence et cause les condamnations injustifiées au moyen de plaidoyers de culpabilité.

Si vous choisissez le personnel de votre commission avec soin, je suis certaine que ce volet sera respecté et que la communauté sera protégée. Certes, je ne suis pas autochtone, mais je me préoccupe vivement, comme je l’ai dit, des populations marginalisées. Je veux m’assurer qu’elles sont représentées. Il faut aussi comprendre les raisons pour lesquelles une personne peut plaider coupable, et savoir que c’est une possibilité. Nous prenons cela en compte. C’est un autre aspect de ce que font les commissaires.

Par exemple, si le plaidoyer de culpabilité est invoqué, la décision des commissaires de renvoyer l’affaire doit être unanime. Il y a donc des différences. Vous voudrez peut-être tous réfléchir à l’incidence des plaidoyers de culpabilité par rapport aux procès.

Après ce que nous avons vécu, je sais que nous souhaitons revoir et examiner cette question. Je vous invite à faire preuve de diligence raisonnable dès le départ, si je puis m’exprimer respectueusement ainsi, et à vous renseigner sur la possibilité d’adopter une procédure différente pour les plaidoyers de culpabilité et les condamnations à l’issue d’un procès devant jury.

Enfin, je pense que ce sont les membres de votre personnel — et les membres de notre équipe comptent parmi les meilleurs — qui veilleront à ce que ces balises soient en place. J’espère avoir répondu à votre question. Je suis disposée à répondre à toute question complémentaire.

Me Walker : Il va sans dire que nous ne pouvons pas parler de ce qui concerne les peuples autochtones. Cependant, la stratégie du gouvernement écossais au cours des dernières années a notamment consisté à faire en sorte que chaque conseil d’administration en Écosse ait une représentation égale entre les hommes et les femmes, et notre commission principale est majoritairement composée de femmes.

Ensuite, tous les membres de notre personnel ont suivi une formation pour employer ce que l’on pourrait appeler une approche qui tient compte des traumatismes. Ils comprennent beaucoup mieux comment les femmes sont traitées dans la société, et je pense que cela a une incidence sur la manière dont les cas sont examinés. Nous sommes très sensibles à ces éléments, par exemple, lorsqu’une défense ou des plaidoyers de culpabilité sont faits sous la contrainte.

En analysant chaque dossier, nous verrions certainement qu’au fil des ans, nous avons renvoyé des affaires relatives à des femmes qui s’étaient défendues toutes seules et avaient été reconnues coupables de ce que nous appelons, en Écosse, un homicide coupable, ou avaient été reconnues coupables d’un meurtre ou d’une autre infraction, et que, dans ce contexte, une condamnation était la façon appropriée de rejeter les affaires que nous avions renvoyées. Maintenant, notre personnel est beaucoup mieux formé et il est conscient de ce type de problèmes. Il est très important que notre conseil soit toujours composé d’au moins 50 % de femmes.

Me Curtis : Nos commissaires sont majoritairement des femmes, et c’est actuellement une femme qui assure la présidence. Dix pour cent de nos candidats sont des femmes et 10 % sont des jeunes de moins de 21 ans. Ce n’est pas assez selon nous, et nous sommes d’avis qu’il ne s’agit pas tant d’aspects liés à la prise de décisions que du personnel d’intervention en milieu communautaire. Le personnel doit être représentatif. Il doit gagner la confiance des communautés à qui il essaie de tendre la main. Même si nous ne pouvons pas employer un personnel représentatif, nous pouvons essayer de trouver des groupes communautaires et de travailler avec eux. Nous pouvons les utiliser en tant qu’intermédiaires et intervenants et sensibiliser les gens. Cette approche marche assez bien.

Le président : Merci, maître Curtis.

Chers collègues, nous avons trois autres sénateurs qui souhaitent poser des questions. Avec votre indulgence et l’indulgence de nos témoins, j’espère que nous pourrons poursuivre pendant encore 15 minutes.

[Français]

La sénatrice Oudar : Tout d’abord, je vous remercie tous les trois. Votre expertise et les expériences que vous avez partagées avec nous aujourd’hui sont importantes. Vos trois témoignages seront utiles.

J’ai aussi beaucoup apprécié votre main tendue à la nouvelle commission. Si le projet de loi est adopté et que cette commission voit le jour, c’est un cadeau que vous leur faites.

Merci d’avoir lu le projet de loi C-40. Avec l’expertise et l’expérience que vous avez, à la lecture de ce projet de loi, que ce soit par rapport au mandat, à la composition ou aux pouvoirs de la commission, y a-t-il des choses que vous auriez souhaité voir dans le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui? Quels conseils ou recommandations pourriez-vous nous donner?

Si vous n’avez pas eu le temps de regarder le projet de loi en détail, quels sont les trois meilleurs conseils que vous avez à nous donner aujourd’hui pour favoriser la réussite de cette nouvelle organisation?

Commençons par vous, madame N. Pierro, puisque vous avez été la première à dire que vous aviez lu le projet de loi et que vous avez fait vos devoirs. J’aimerais vous entendre en premier lieu.

[Traduction]

Me Pierro : Merci. L’une des distinctions fondamentales, comme je l’ai déjà mentionné, est le fait que nous n’examinons pas de demandes de personnes décédées, contrairement à ce que Me Curtis a indiqué.

Il y a un peu de cela, je pense, car je crois que le témoignage du plaignant finit par faire partie intégrante de notre processus. Me Walker a fait une très bonne observation à propos de notre système par rapport aux autres, mais vous aurez compris que nous sommes limités à l’innocence factuelle. En tant que partenaires, nous avons forcément besoin que le plaignant participe.

Je pense également que votre seuil différent était quelque chose qui... Je ne veux pas dire que cela me préoccupait, car ce n’est pas le bon mot, mais lorsque nous cherchons à présenter une affaire à nos commissaires, ils sont chargés de déterminer s’il y a des preuves suffisantes d’innocence factuelle pour justifier une révision judiciaire. Je leur présente notre dossier au nom de la commission. Lorsqu’ils déterminent qu’il y a suffisamment de preuves, le dossier est ensuite renvoyé à une instance composée de trois juges, et à partir de là, la personne déclarée coupable doit prouver à l’aide de preuves claires et convaincantes qu’elle n’est pas coupable des accusations portées contre elle.

Je vais reprendre à mon compte ce que Me Curtis a dit, à savoir que pour moi, l’emploi du mot « peut », qui est théorique, laisse beaucoup de questions à trancher. Qu’entend-on par « peut »? Je sais qu’aux États-Unis, par exemple, nous nous penchons sur la probabilité par rapport à la possibilité lorsqu’il s’agit, par exemple, de certaines formes d’homicide involontaire. Sans définition concise, j’ai cette préoccupation en ce qui concerne l’emploi du mot « peut » dans cette disposition de la loi.

De plus, en tant qu’ancienne juge, je dirai que nous sommes limités à l’innocence factuelle. Nous ne nous occupons pas de la détermination de la peine et nous ne formulons pas de recommandations. Ces démarches visent à obtenir une disculpation.

L’une des autres choses que je vais souligner et dont on n’a pas parlé ici, et je pense que c’est un aspect important du système de justice dans son ensemble, c’est que vous appelez votre instance la commission d’examen des « erreurs judiciaires ». Fait important, une erreur judiciaire est attribuable à un tribunal ou à un système judiciaire qui n’a pas réussi à parvenir à une décision juste, surtout lorsqu’une personne est reconnue coupable d’un crime qu’elle n’a pas commis. J’aime votre appellation parce qu’elle ne se limite pas aux personnes condamnées injustement d’un crime et qu’elle peut aussi, dans certains cas, relever du domaine judiciaire. Je sais que les juges sont très sensibles au, peut-être, directeur d’une commission qui prend ce qui pourrait être considéré comme des décisions qui seraient habituellement prises par un tribunal...

Le président : Maître Pierro, je m’excuse, mais je vais vous interrompre ici pour que nous puissions entendre Me Curtis et Me Walker.

Me Pierro : Absolument.

Le président : Merci.

Me Curtis : Je vais reprendre à mon compte les réflexions de Me Pierro à propos du sens du mot « peut ». Je pense qu’il est important que la nouvelle commission trouve un moyen de préserver la confiance des juges ainsi que la confiance du public. Le dialogue avec la magistrature est aussi important pour nous que la sensibilisation des communautés.

Je pense que l’endroit est également important. Je ne sais pas si vous envisagez un seul emplacement pour votre commission ou des bureaux régionaux, mais pour mener des enquêtes sur le terrain, parler aux gens et se rendre dans les prisons, un pays de la taille du Canada présentera des défis très différents — et plus grands — des défis pratiques considérables dans un pays de la taille du Royaume-Uni. Se rendre dans certaines régions du Royaume-Uni pour enquêter ou faire une entrevue peut quand même prendre deux jours. Je me demande combien de temps il faudra pour faire la même chose lorsque c’est sur une côte du Canada.

Me Walker : J’aimerais revenir à un point soulevé au début; je pense que Me Pierro et Me Curtis l’ont tous les deux abordé. Le critère à remplir pour avoir une erreur judiciaire correspond exactement à celui que nous avons en Écosse. Je pense que ce que vous allez constater en allant de l’avant, c’est que l’emploi du mot « peut » ne vous permettra pas de renvoyer des dossiers en vous appuyant sur des arguments fantaisistes, à titre d’exemple. Chose certaine, en Écosse, on nous a dit au début qu’il ne fallait pas en faire une interprétation aussi peu rigoureuse. Nous avons eu un dossier que nous avons renvoyé en nous appuyant sur un « doute qui planait », et on nous a dit que ce n’était pas la bonne interprétation lorsqu’on dit « qu’une erreur judiciaire peut avoir été commise ».

Lorsque j’ai lu le projet de loi, j’ai été étonné de voir combien de dispositions correspondent à nos propres procédures et à nos propres politiques. Je trouve que c’est rassurant.

Le dernier point que je soulèverais rapidement est beaucoup plus vaste. En Écosse, la commission ne représente qu’une petite partie du système de justice pénale, et elle fonctionne efficacement seulement lorsque le reste du système de justice pénale est, par exemple, bien financé et lorsque les accusés ont des avocats et sont bien représentés. Après 26 années de travail acharné, ce que nous avons constaté, et je pense que c’est la même chose dans une certaine mesure en Angleterre et au pays de Galles, c’est que lorsque les demandeurs ne sont pas représentés — et selon nos chiffres, la proportion de demandeurs représentés a chuté jusqu’à 14 %, ce qui est un peu plus élevé qu’en Angleterre —, nous ne pensons pas que le système fonctionne aussi bien. Lorsque les personnes qui représentent les accusés à un procès et qui ont une connaissance approfondie du dossier ne participent pas au processus à l’étape de la commission, cette perte de connaissances se traduit par un échec.

Par conséquent, à mesure que nous allons poursuivre nos activités pendant les 25 prochaines années, nous allons exercer des pressions sur notre gouvernement et sur le système proprement dit pour indiquer que nous pouvons seulement mener nos activités dans un système plus vaste, et que si ce système craque, il y aura des répercussions sur le fonctionnement de la commission écossaise.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Merci aux invités. C’était très, très intéressant.

Puisque le temps est limité, ma question s’adresse possiblement seulement à Me Walker, mais peut-être aussi aux deux autres invités.

Je vois qu’en Écosse, vous avez une population gaélique de 2 %. Premièrement, qui nomme les commissaires? Deuxièmement, est-ce que vous tenez compte de la langue pour la nomination du commissaire? Est-ce que vous tenez compte du gaélique, par exemple?

[Traduction]

Me Walker : C’est le roi qui nomme les commissaires, et notre gouvernement passe en revue les nominations. En tant qu’employés à la commission, nous ne participons pas au processus.

À propos du point concernant le gaélique, comme en Angleterre, nous sommes toujours disposés à traduire nos formulaires, et nous tendons la main à ces communautés. Je n’ai pas une grande expérience de la vie dans ces communautés. Cela a tendance à être dans les îles à l’ouest de l’Écosse, et quitte à paraître trop direct ou maladroit, il semble y avoir peu de crimes commis dans ces communautés par rapport à la forte criminalité observée ailleurs en Écosse.

Ce n’est pas quelque chose qui ressort beaucoup dans notre processus. Ce n’est pas parce que nous ne tendons pas la main à la communauté gaélique. Nous autorisons évidemment les demandes en gaélique. Nous n’en recevons tout simplement pas autant, peut-être parce que le nombre de crimes et de personnes accusées d’un crime est beaucoup moins élevé où les gens qui parlent gaélique vivent en Écosse. Cela semble être une réponse simpliste, mais je me fie à mon expérience. Nous ne recevons pas beaucoup de demandes de la population gaélique.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Juste pour préciser, ma question était la suivante : dans la nomination des commissaires, est-ce que le gouvernement favorise le fait d’avoir des commissaires qui parlent et connaissent le gaélique?

[Traduction]

Me Walker : Je ne sais pas, car je ne participe pas à ce processus. C’est la réponse honnête. Je peux vous dire avec certitude que depuis que je suis là, nous n’avons pas eu de commissaire qui parle gaélique. C’est peut-être révélateur. Je serais certainement heureux de vous fournir une réponse écrite afin de ne pas vous induire en erreur, mais je crois comprendre que non.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Est-ce que les autres commissaires ont des commentaires par rapport à la question des langues des minorités?

[Traduction]

Me Curtis : Je pense que tous nos documents sont traduits dans au moins une douzaine de langues pour servir les différentes communautés au Royaume-Uni. Au cours des 27 années ayant suivi la création de la commission, nous avons eu des commissaires qui parlaient d’autres langues que l’anglais et qui ont été nommés pour travailler auprès de différents groupes ethniques. La loi ne contient pas de dispositions qui portent précisément là-dessus, mais inévitablement, la vie publique et les principes de nomination publique font en sorte que le gouvernement a besoin d’une instance représentative qui commande le respect des communautés.

Me Pierro : Je signale que contrairement à certains des autres commissaires, nous n’avons pas de langue prédominante mis à part l’anglais. Il y a toutefois beaucoup d’hispanophones en Caroline du Nord. Nous devons nécessairement traduire tous nos formulaires en espagnol pour eux. Nous nous assurons d’avoir un interprète, comme ici aujourd’hui, pour tout traduire. Je parle couramment la langue pour échanger avec les témoins et les victimes. Cela dit, à ma connaissance, nous n’avons actuellement pas de commissaires qui parlent couramment la langue.

La sénatrice Senior : Je vous remercie tous beaucoup de la générosité dont vous faites preuve en nous accordant du temps et de toute l’information que vous nous transmettez. Je vous en suis très reconnaissante.

Je suis curieuse à propos des principales leçons que vous avez tirées et dont vous pouvez nous parler, peut-être les deux ou trois plus importantes, surtout en ce qui concerne le genre de personnes que vous rencontrez dans les dossiers dont vous êtes saisis. Pour la gouverne des personnes qui font ce travail, pouvez-vous également nous parler de certains des obstacles systémiques que vous voyez et pour lesquels vous êtes intervenus? Maître Pierro, puisque vous avez parlé de la composition de la commission et des changements que vous aimeriez apporter, vous pourriez peut-être commencer.

Me Pierro : Merci, sénatrice Senior. Je participe au processus depuis 2007, et je pense l’une des principales choses que j’ai retenues de mes échanges avec les personnes avec qui je travaille se rapporte au traitement différent qui est réservé aux dossiers qui nous sont renvoyés avec une reconnaissance de culpabilité par rapport aux dossiers qui proviennent d’un procès devant jury. Je pense que de la même manière qu’un rattrapage a été fait en ce qui a trait à la science et à la technologie, l’idée des fausses confessions est l’un des aspects pour lesquels nous avons du rattrapage à faire. Ce serait ma priorité : approfondir la question de savoir comment nous allons traiter les dossiers qui s’accompagnent d’une reconnaissance de culpabilité par rapport aux dossiers qui proviennent d’un procès.

Une autre leçon se rapporterait — et cela fait partie des fausses confessions — à l’idée des communautés marginalisées. Je parle des personnes qui présentent des lacunes en matière d’éducation et des personnes qui ont d’autres troubles d’apprentissage indéterminés. Elles sont plus susceptibles de faire de fausses confessions. Les deux sont étroitement liés.

La deuxième leçon consiste à essayer de tendre la main à des groupes précis et à reconnaître les personnes qui pourraient être limitées dans leur capacité de nous présenter une demande. Vous semblez tous mettre beaucoup l’accent là-dessus, ce qui est formidable. Cela comprend les femmes et les communautés autochtones. Les femmes hésitent naturellement plus à se manifester. Il ne fait aucun doute pour moi que ma deuxième priorité serait de se concentrer sur ces personnes afin de leur tendre la main et de les reconnaître.

Pour ce qui est de ma troisième priorité — je pense que c’est pour vous tous une source de préoccupation et c’est quelque chose qui continue de me préoccuper —, je pense qu’il faut limiter le temps que nous consacrons à des dossiers auxquels nous ne pourrons pas donner suite au bout du compte. Il y a énormément de personnes qui vont occuper votre temps avec des demandes futiles, pour être honnête. Ce serait les trois principales leçons tirées de ce processus que vous devriez examiner selon moi.

Me Walker : Je vais reprendre à mon compte ce que Me Pierro a dit à propos d’avoir une sorte de système de triage pour traiter les dossiers non fondés afin de permettre à la commission de consacrer la majeure partie de son temps aux dossiers qui méritent une enquête plus approfondie. C’est quelque chose que nous avons mis en place il y a environ 10 ans et qui nous permet de régler très rapidement les dossiers futiles. Le taux de renvoi des dossiers que nous retenons est plutôt élevé lorsque nous tenons compte des dossiers que nous examinons une fois rendus à ce que nous appelons la « deuxième étape ».

Il y a deux autres points que je soulèverais très rapidement. Chose certaine, en Écosse, nous avons constaté que le nombre d’homicides a diminué — ce qui est une bonne chose — compte tenu de différents stratagèmes mis en place par le gouvernement. Toujours en Écosse, nous observons une prolifération des poursuites relatives aux infractions sexuelles, ce qui vient avec son lot de difficultés compte tenu du personnel nécessaire — ce sont des affaires très difficiles à examiner — et parce qu’il n’est très souvent pas question de nouveaux éléments de preuve, d’empreintes génétiques ou de fausses confessions. Cette catégorie de dossiers, lorsque je parle d’infractions d’ordre sexuel, se rapporte généralement à des agressions familiales de nature sexuelle. C’est ce que nous observons depuis 10 ans, et je soupçonne que ce sera peut-être la même chose ici lorsque vos juridictions chercheront à intenter des poursuites contre les personnes qui commettent ces infractions.

L’autre chose, je pense, consiste à toujours faire attention aux tendances dans d’autres dossiers, lorsque nous sommes saisis d’un ou deux dossiers. Me Curtis a parlé de la traite des personnes. Nous sommes aux prises avec ce problème en Écosse, et c’est là que nous pouvons nous adresser à nos procureurs et voir s’ils suivent les règles qu’ils sont censés suivre pour éviter que les personnes ne soient pas poursuivies pour traite de personnes. Cela nous permet de nous pencher sur des problèmes systémiques et d’essayer de régler le problème avant que des personnes soient poursuivies pour les infractions.

Me Curtis : Pour ce qui est de la communauté à laquelle on tend la main, j’imagine que la littératie ou l’analphabétisme sera un gros problème. Les documents écrits ne sont pas une panacée; il faut des moyens de nouer le dialogue autrement. Dans les prisons, beaucoup de personnes ont des problèmes de santé mentale, et il faut donc trouver des mécanismes pour communiquer avec eux. À l’interne, un bon système de gestion des connaissances est essentiel au fonctionnement d’une commission.

Je vous suggérerais de déterminer s’il devrait être interdit aux personnes qui n’ont pas interjeté appel de s’adresser à la commission. Le tiers des dossiers que nous avons renvoyés avec succès se rapporte à des cas où la personne n’a pas pu interjeter appel, et c’est l’aide que nous avons pu offrir qui a permis de casser l’accusation. Il s’agit de reconnaître la vulnérabilité des gens.

Je pense ensuite que c’est une question de financement pour non seulement permettre aux avocats au Canada de soutenir des demandeurs devant la commission, mais aussi pour protéger le budget et les ressources de la commission et éviter qu’elle ne soit perçue comme une victime facile dans une période d’austérité.

Le président : Merci beaucoup. Le moment est venu de conclure la séance. Nous n’aurons pas l’occasion de faire un deuxième tour, et le président ne pourra pas poser la question qu’il souhaitait poser.

Chers collègues, je vous invite à vous joindre à moi pour remercier les témoins qui ont comparu devant nous cet après-midi et ce soir : Me Curtis, Me Pierro et Me Walker. Leurs témoignages sont extrêmement utiles dans le cadre de nos délibérations sur ce projet de loi. Votre perspicacité, votre expérience et votre réceptivité face à nos questions sont grandement appréciées. Je m’excuse, du moins pour ma part, de vous être fait rester tous les trois beaucoup plus tard que ce qui était prévu ce soir, mais nous vous sommes vraiment reconnaissants du temps que vous nous avez accordé.

Je remercie également mes collègues d’être restés plus longtemps que la période prévue pour la réunion. Je pense que c’était une excellente occasion pour nous de discuter avec ces témoins.

Je veux aussi remercier le personnel à qui nous avons demandé de rester plus tard pour nous permettre de poursuivre nos délibérations un peu plus longtemps. Voilà qui conclut nos délibérations pour aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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