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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 18 mai 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, avec vidéoconférence, à 12 h 2 (HE) afin d’étudier la teneur des éléments des sections 1, 21 et 22 de la partie 5 du projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je suis la sénatrice Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider le comité. Aujourd’hui, nous tenons une réunion hybride du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

[Français]

Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler à la présidente ou au greffier et nous nous efforcerons de résoudre le problème.

Je voudrais prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui. Nous avons le sénateur Boisvenu, notre vice-président, la sénatrice Batters, le sénateur Campbell, la sénatrice Clement, le sénateur Cotter, le sénateur Dalphond, la sénatrice Dupuis, le sénateur Klyne, la sénatrice Pate, le sénateur White et le sénateur Wetston.

[Traduction]

Honorables sénateurs, nous allons aujourd’hui revenir à notre façon précédente de faire. Veuillez le signaler au greffier ou lever votre main sur Zoom si vous avez une question.

Comme vous le savez, sénateurs et sénatrices, aujourd’hui nous commençons notre étude des sections 1, 21 et 22 de la partie 5 de la Loi d’exécution du budget. Nous nous concentrerons aujourd’hui sur la section 21.

Pour notre premier groupe de témoins aujourd’hui, nous sommes heureux d’accueillir Sam Goldstein, directeur, Affaires juridiques, de B’nai Brith Canada; Shimon Fogel, chef de la direction, du Centre consultatif des relations juives et israéliennes; et Bernie Farber, président, du Canadian Anti-Hate Network.

Je vais demander à M. Goldstein de commencer. Vous avez cinq minutes pour présenter votre exposé, monsieur Goldstein.

Sam Goldstein, directeur, Affaires juridiques, B’nai Brith Canada : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. Nous sommes très honorés de pouvoir présenter aujourd’hui des mémoires au nom de B’nai Brith Canada, ou BBC, sur le projet de loi C-19.

Les commentaires de B’nai Brith Canada concernent uniquement la modification proposée de l’article 319 du Code criminel, la création d’une nouvelle infraction de fomenter volontairement l’antisémitisme. La nécessité de cette infraction est mise en évidence par les propres études de Statistique Canada sur la haine envers la communauté juive et l’audit de l’antisémitisme réalisé par B’nai Brith en 2011. L’antisémitisme peut prendre de nombreuses formes, mais comme le reconnaît le projet de loi, les antisémites continuent de faire leur beurre du déni de l’Holocauste. C’est avec le cœur lourd que BBC remercie le Parlement pour cette législation malheureuse et utile.

Cependant, nous avons deux suggestions à vous faire concernant ce projet de loi. La première consiste à éliminer le moyen de défense des croyances religieuses et de la vérité. La deuxième est de changer le libellé de la section opérationnelle de la nouvelle infraction en remplaçant le mot downplaying par le mot distortion.

Permettez-moi d’abord d’aborder le moyen de défense de la croyance religieuse. L’objection à une défense fondée sur la croyance religieuse est simple : la croyance religieuse n’est pas un moyen de défense contre la perpétration d’autres infractions dans le Code criminel. Si c’était le cas, cela rendrait le Code criminel inapplicable. Il en va de même pour cette infraction. De plus, on craint qu’un moyen de défense fondé sur des croyances religieuses n’ouvre la porte à la négation et à la distorsion de l’Holocauste par le régime iranien des mollahs. Divers éléments de ce régime ont joué un rôle actif pour la négation de l’Holocauste et la distorsion de l’Holocauste, y compris la Garde révolutionnaire islamique et l’entité terroriste connue sous le nom de Hamas. En effet, l’Iran a parrainé une conférence sur la négation et la distorsion de l’Holocauste en 2016 et publie chaque année une déclaration niant l’Holocauste qui coïncide avec le Jour commémoratif de l’Holocauste.

Je reviens maintenant à la raison pour laquelle la défense de la vérité devrait être supprimée. La réponse est simple : n’enlevez pas d’une main ce que vous donnez de l’autre. Ne permettez pas qu’une poursuite potentielle pour l’acte consistant à fomenter volontairement l’antisémitisme devienne un autre cirque comme le procès Zundel en 1988. La communauté juive se souvient encore de l’avocat de la défense de M. Zundel, Doug Christie, qui a laissé entendre à un survivant d’Auschwitz que les camps de concentration avaient des piscines. L’Holocauste ne devrait pas être à nouveau jugé comme un fait historique, et c’est exactement ce qui se produirait si on autorisait la défense de la vérité.

En fait, le Sénat ne sait peut-être pas que non seulement l’Holocauste est un fait indiscutable, mais qu’il s’agit d’un fait que le droit canadien reconnaît déjà, puisque le tribunal, lors du nouveau procès de Zundel en 1988, a admis d’office l’existence de l’Holocauste. La création d’une défense de la vérité constituerait en fait un recul dans le temps. Vous iriez à l’encontre du précédent de common law déjà reconnu, à savoir la reconnaissance de l’Holocauste.

Enfin, B’nai Brith Canada suggère que le mot distortion remplace le mot downplaying. Nous croyons que le mot « distortion » apporte plus de précision à l’infraction.

L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, l’AIMH, définit la distorsion de l’Holocauste comme les :

Les efforts délibérés pour justifier l’Holocauste ou ses principaux éléments, notamment les collaborateurs et les alliés de l’Allemagne nazie, ou en minimiser l’impact;

L’AIMH précise également que la distortion équivaudrait à une « minimisation flagrante du nombre de victimes de l’Holocauste en contradiction avec les sources sûres ». Trois autres points de la définition de distortion de l’AIMH sont les suivants : « Toute tentative de reprocher aux Juifs d’être la cause du génocide dont ils ont été victimes »; « Les déclarations présentant l’Holocauste comme un événement historique positif » peuvent sous-entendre que l’Holocauste n’est pas allé assez loin dans la réalisation de son objectif d’être la « solution finale » à la question juive; et enfin, l’AIMH définit la distortion comme toute tentative d’atténuer la responsabilité pour l’établissement des camps de concentration et de la mort conçus et dirigés par l’Allemagne nazie en jetant le blâme sur d’autres nations ou groupes ethniques.

En conclusion, BBC souhaite que cette loi soit couronnée de succès, et nous pensons que la modification de la législation pour éliminer les défenses de vérité et de religion et changer le mot downplaying pour distortion l’aiderait certainement à y parvenir. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Lucie Moncion, la marraine du projet de loi, se joint également à nous.

Shimon Fogel, chef de la direction, Centre consultatif des relations juives et israéliennes : Merci, honorables sénateurs, d’avoir invité le Centre consultatif des relations juives et israéliennes à participer à cette discussion importante.

L’introduction d’une loi qui criminalise la négation de l’Holocauste représente le résultat d’années d’efforts de la part de la communauté juive pour obtenir la reconnaissance des effets uniques et toxiques de la négation de l’Holocauste sur la société canadienne et une réponse constructive à cet égard. Cet effort a atteint son paroxysme lors du sommet d’urgence sans précédent sur l’antisémitisme organisé l’été dernier par le gouvernement du Canada sous la présidence de l’envoyé spécial du gouvernement pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste, l’honorable Irwin Cotler, où il a concrétisé l’une des principales recommandations que le Centre consultatif des relations juives et israéliennes, ou CCJI, a présentées au gouvernement.

La haine et l’intolérance augmentent à un rythme effrayant et inquiétant. La haine envers les Juifs, qui ne constituent que 1 % de la population canadienne, compte pour 62 % des crimes haineux signalés par la police et visant des minorités religieuses. Tous les Canadiens doivent être alarmés par ces chiffres de Statistique Canada pour des raisons à la fois particulières et générales.

Sur le plan particulier, la négation de l’Holocauste tente effectivement d’effacer l’expérience vécue des Juifs, en rejetant comme un grand canular le meurtre de six millions de personnes, la destruction du tiers de la population juive mondiale. Sur le plan général, le déni de l’Holocauste représente la théorie du complot par excellence. C’est le fondement sur lequel est construite toute l’architecture de la haine dirigée contre tous les groupes vulnérables. De nombreuses études réalisées en Amérique du Nord et en Europe ont révélé que la négation de l’Holocauste et la haine contre les Juifs constituent le facteur prédictif le plus puissant de la radicalisation et de la violence, qui découlent inévitablement d’une idéologie toxique et d’un discours haineux.

La théorie vénéneuse du remplacement, qui a servi de justification perverse à la tuerie de Buffalo il y a quelques jours, repose sur l’idée que les Juifs sont les auteurs d’un grand complot, qui plonge ses racines dans l’histoire inventée de l’Holocauste. C’est la genèse du complot qui se joue aujourd’hui à Buffalo, à Christchurch et à Pittsburgh.

C’est la place centrale et unique de la négation de l’Holocauste dans l’ensemble des usines à haine qui mérite une attention particulière. Morte la bête, mort le venin. On ne saurait faire fi de cet impératif. Les discours violents engendrent à des actions violentes, les discours haineux mènent à des actions inspirées par la haine, et des personnes meurent en conséquence.

Nous devons donc déployer tout notre arsenal pour combattre ce cancer grandissant. Cette boîte à outils comprend, bien sûr, des initiatives éducatives, la mobilisation à l’échelon communautaire et, le cas échéant, le pardon des transgressions passées, mais elle doit également s’étendre aux recours juridiques, qui représentent finalement le reflet des principes qui nous définissent.

Je reconnais que le concept de liberté d’expression est un principe cher à une société ouverte et démocratique, mais il n’est jamais arrivé que tous les discours soient protégés. Il y a un chemin direct entre la diabolisation du peuple juif, et c’est exactement ce que la négation de l’Holocauste représente, et le ciblage du peuple juif, et comme on l’a souvent observé, ce qui commence avec les Juifs ne finit jamais avec les Juifs. Tout le monde a intérêt à faire taire l’obscénité du négationnisme de l’Holocauste et à signaler explicitement qu’il représente une « ligne rouge » que la société canadienne n’est pas prête à franchir.

Je vais m’arrêter ici pour l’instant, et je vous invite à poser vos questions plus tard dans la discussion.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Fogel.

Bernie Farber, président, Canadian Anti-Hate Network : Merci, honorables sénateurs, de m’avoir invité ici aujourd’hui. En fait, je suis désolé de devoir être ici aujourd’hui. J’aimerais que nous n’ayons pas à discuter de ce sujet.

Les théories du complot propagées par l’extrême droite et les suprémacistes blancs, comme le déni de l’Holocauste et, comme nous l’avons vu la fin de semaine dernière à Buffalo, la théorie dite du grand remplacement, continuent d’être les principales menaces mortelles pour les Juifs au Canada et en Amérique du Nord. En 2018, 11 personnes ont été assassinées à la synagogue Tree of Life à Pittsburgh. Le suprémaciste blanc Robert Bowers croyait en la théorie du grand remplacement ou du génocide blanc. Que croyait-il exactement? Que les Juifs essayaient de remplacer les Blancs en faisant venir des immigrants. Cette même conspiration a inspiré le massacre de Buffalo visant la communauté noire de Buffalo la fin de semaine dernière.

Notre mouvement d’extrême droite possède et adopte des éléments antisémites, en particulier les éléments les plus extrêmes qui le composent. Il propage cet antisémitisme au sein du mouvement complotiste de la COVID, comme nous l’avons malheureusement vu au cours des deux dernières années. Ce mouvement est essentiellement devenu le véhicule du complot, et les Juifs, comme toujours... et la minimisation et la distorsion de l’Holocauste sont au cœur de ce mouvement, comme toujours. Pat King était l’un des organisateurs de l’occupation d’Ottawa. C’est un déformateur de l’Holocauste, un minimiseur de l’Holocauste. Tout comme Chris Sky, qui est une autre figure de proue du mouvement complotiste lié à la COVID. C’est également le cas de Jeremy McKenzie, le chef de facto du mouvement Diagolon, une organisation néonazie. Ses partisans ont été accusés de complot en vue de commettre un meurtre et ont été pris avec une cache d’armes à feu près du poste frontalier de Coutts, en Alberta. Ce sont ces personnes, mes amis, auxquelles nous avons affaire en permanence. L’antisémitisme, les complots, la minimisation et la distorsion de l’Holocauste ainsi que la négation de l’Holocauste vont de pair avec les complots et les meurtres de masse de l’extrême droite.

Nos tribunaux tiennent compte de 11 thèmes distinctifs des messages haineux lorsqu’ils déterminent si un document constitue de la propagande haineuse. La négation de l’Holocauste est l’un de ces thèmes distinctifs. Ils prétendent que les messages banalisent ou célèbrent des persécutions ou des tragédies passées qui concernent des membres d’un groupe ciblé. C’est la définition. Dans la décision Warman c. Kulbashian, les intimés ont fait des devinettes et des blagues au sujet de l’Holocauste. Le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que ces devinettes et ces blagues traitaient cruellement à la légère le génocide des Juifs dans les camps de la mort nazis. Cela avait pour effet de déshumaniser les membres du groupe ciblé et de créer un climat de dénigrement qui permettrait à la haine et au mépris de s’épanouir; autrement dit, le déni et la minimisation de l’Holocauste sont déjà considérés comme des thèmes distinctifs des messages haineux et contribuent à déterminer si un tribunal déclarerait une personne coupable d’avoir fomenté volontairement la haine envers ce groupe, en l’occurrence les Juifs.

Le problème tient-il à la loi elle-même? Eh bien, à mon avis, nous devons avoir suffisamment de lois pour que la police soit prête à y faire face. En ce moment, il est triste de constater que la police ne s’y attaque pas de front. Nous devons envisager l’adoption d’une nouvelle loi, ce à quoi nous sommes favorables, mais le problème plus important est que les forces de l’ordre n’appliquent pas les lois sur les crimes haineux qui existent déjà dans les livres. Ce n’est pas une question de ressources. Mme Barbara Perry, probablement l’une des chercheuses les plus célèbres sur la haine dans notre pays, a réalisé une étude et interviewé des agents en Ontario et a constaté que le problème était culturel. De nombreux policiers hésitaient en fait à porter ce genre d’accusations.

Nous devons examiner si nous devons remettre en vigueur un article comme l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il permet aux citoyens d’accéder au système juridique pour se plaindre lorsque des personnes fomentent la haine, de tenir un procès ou une audience, et le Tribunal des droits de la personne pourrait ordonner une ordonnance de cesser et de s’abstenir ayant la force d’une ordonnance du tribunal. Dans ce cas, c’est essentiel.

Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup.

J’ai une question pour vous trois. Le gouvernement du Canada a annoncé diverses initiatives de consultation des Canadiens afin de mieux lutter contre l’antisémitisme, la haine en ligne et d’autres questions. À votre avis, le gouvernement du Canada adopte-t-il la bonne approche avec ces initiatives? Fait encore plus important, fournit-il des ressources afin de sensibiliser la population au fait que cela va devenir illégal et pour faire respecter la loi? M. Farber a dit que l’application de la loi signifie que la police doit être plus consciente qu’elle doit appliquer la loi, mais aussi que des ressources doivent être fournies à la police.

M. Goldstein : Merci, madame la présidente.

Mon ami, M. Farber soulève un bon point au sujet de la poursuite d’un crime haineux, mais n’oubliez pas que le Code criminel exige — l’article 319 est celui auquel il fait référence — l’autorisation ou le pouvoir discrétionnaire du procureur général. En fait, je crois que, dans mon mémoire écrit, nous avons remarqué qu’il y a plus d’allégations de crimes haineux que de poursuites.

En Ontario, je connais l’unité qui s’occupe des crimes haineux. Il s’agit d’un groupe de très bons procureurs. Le gouvernement de l’Ontario a élaboré de bonnes politiques, et il fait de son mieux pour engager des poursuites. Bien que je respecte ce que dit M. Farber, je pense que nous essayons de faire du bon travail en Ontario. J’ai le plus grand respect pour les procureurs qui travaillent là-bas. Certains sont mes amis. J’ai commencé comme procureur de la Couronne.

Cependant, la vraie question pour régler le problème dont M. Farber parle est la suggestion de B’nai Brith de donner plus de précision à la définition, et ce que nous suggérons, c’est de parler de distorsion plutôt que de minimisation. La raison est une autre question à laquelle M. Farber fait allusion. Une fois que le procureur général a pris la décision de ne pas engager de poursuites, nous ne pouvons pas en faire un contrôle judiciaire. Les tribunaux ont dit que nous ne voulons pas de contrôle judiciaire du pouvoir discrétionnaire du procureur général, parce que nous pourrions alors nous prononcer sur la question de fond du procès. Mais si nous donnons plus de précision à l’infraction elle-même, alors le procureur général aura plus de précision et comprendra mieux ce sur quoi il devrait engager des poursuites, et par conséquent, ce procureur général sera plus responsable devant le public, parce que la précision et le langage seront là. C’est donc un des problèmes.

Le deuxième problème en ce qui concerne l’antisémitisme... et le gouvernement fait du bon travail, pour répondre à votre question. Monsieur Farber, sans vouloir vous offenser, je n’essaie pas de m’en prendre à vous. M. Farber, comme le gouvernement, veut se concentrer sur l’antisémitisme ethnonationaliste, qui est important. Il existe, et il est certain que cette modification du Code criminel s’y attaque en grande partie. Cependant, il y a aussi l’antisémitisme de la gauche progressiste, radicale et humanitaire, qui porte sur la distorsion et la banalisation de l’Holocauste. Pour vraiment nous attaquer à l’antisémitisme, nous devons examiner à la fois la gauche radicale et la droite radicale. Merci.

Le sénateur White : Merci aux témoins.

Ce sont des commentaires intéressants en ce qui concerne les enquêtes et les poursuites, parce que le Canada et l’Australie ont des statistiques similaires, en ce sens que nous avons des milliers de plaintes et très peu d’accusations et de poursuites. Cependant, si nous regardons les États-Unis, où le FBI joue un rôle beaucoup plus important pour enquêter sur les crimes haineux, et où la police fédérale joue un rôle beaucoup plus important, je dirais que, directement ou indirectement, les crimes finissent par être entendus à un moment donné par un tribunal, parfois même après que les accusations criminelles ont déjà été traitées, comme nous l’avons vu en particulier dans un certain nombre de cas où les policiers ont été accusés eux-mêmes de crimes haineux. Recommanderiez-vous que la GRC ait la responsabilité de superviser les enquêtes sur les crimes haineux, voire, pardonnez le jeu de mots, de prendre les armes en ce qui concerne les enquêtes proprement dites, le dépôt d’accusations et les poursuites? Serait-ce une mesure utile?

M. Farber : Selon moi, tous les services de police du pays devraient participer aux enquêtes sur les crimes haineux. Cela dit, je reviens sur ce que dit M. Goldstein. Je m’occupe de ce dossier depuis plus de trois décennies, et je me souviens d’une époque, dans les années 1990 et même au début des années 2000, où divers services de police d’Ottawa, de Toronto, de Calgary, de Regina et de Vancouver avaient des unités de lutte contre la haine. Je ne parle pas de deux ou trois agents qui, à partir des renseignements, sont chargés d’examiner les crimes haineux et l’antisémitisme et de formuler des recommandations. À l’instar d’une escouade des homicides ou d’une escouade de lutte contre les motards et les gangs, il faut des agents formés dont le seul but est d’enquêter sur les crimes haineux, un point c’est tout. Nous avons perdu cela. Honnêtement, peu m’importe que cela se fasse au sein de la Police provinciale de l’Ontario, de la GRC ou des services de police locaux. Je pense que tous font le travail qui doit être fait, et ils le feraient certainement s’ils avaient la bonne formation et la bonne compréhension de ce qui est absolument nécessaire.

Deuxièmement, je suis en quelque sorte d’accord avec M. Goldstein. Je comprends la nécessité d’obtenir la permission du procureur général provincial d’aller de l’avant. Si vous examinez ce qui s’est passé récemment à Ottawa avec le convoi, la Couronne à Ottawa était très concentrée sur la façon exacte de poursuivre ce genre de crimes, mais nous avons ensuite des situations comme celle de James Sears, qui était essentiellement un éditeur néonazi d’un journal à Toronto. Entre le moment où la communauté juive canadienne a déposé des plaintes, ce qui remonte à près de 2011, et le moment où il a été reconnu coupable et a passé du temps en prison pour avoir attisé la haine contre les femmes et les Juifs, il a fallu près de dix ans pour passer devant les tribunaux. C’est beaucoup trop long. Nous devons trouver un moyen de rationaliser cela. Nous devons trouver un moyen de faire les choses correctement. Nous devons nous assurer que nous disposons d’un personnel qualifié, au sein tant du système judiciaire que de nos services de police.

Le sénateur White : L’un des défis, monsieur Farber, est que nous avons 198 services de police au Canada. J’ai travaillé dans trois d’entre eux : deux grands services municipaux, celui de la région de Durham et celui d’Ottawa, ainsi que la GRC. Il est assez facile de reconnaître ces ressources spécialisées à Ottawa, et, en fait, nous avions des agents spécialement formés à Ottawa; et pour être juste, nous avons mené un certain nombre d’enquêtes. Le défi cependant, c’est que dans beaucoup d’endroits où ces cas se produisent, il s’agit de très petits organismes où, de façon réaliste, il est difficile d’obtenir la formation, sans parler de l’expertise. Vous pouvez être formé autant que vous le voulez, mais si vous ne faites pas les enquêtes, il est très difficile de maintenir ce niveau d’expertise.

Je suppose que j’en reviens toujours à l’exemple d’un service de police fédérale et à la raison pour laquelle elle est responsable des menaces à la sécurité nationale. Auriez-vous une objection à ce qu’il y ait une agence responsable? Il se peut qu’elle ne fasse que soutenir le Service de police de Calgary dans le cadre de l’enquête, mais je pense que cela ajouterait un niveau de surveillance détaillé et même une fonction de contestation lorsque les agents décident de ne pas porter d’accusations, par exemple. Ils pourraient peut-être se charger de la tâche, comme le fait le FBI, ce qui a favorisé une prise de conscience pour un certain nombre de ces organismes qui ne respectent pas la loi aux États-Unis.

M. Farber : Monsieur le sénateur, je veux être clair. Je ne vois absolument aucun problème avec cela. Je l’encourage même. En fait, j’ai travaillé en étroite collaboration avec la GRC et le SCRS en tant que consultant sur les questions de crimes haineux. Vous et moi avons travaillé ensemble sur des questions de crimes haineux. Ottawa comptait probablement l’une des meilleures unités de crimes haineux au pays. Mais je comprends votre point de vue selon lequel, dans les régions du nord de l’Alberta et du Nouveau-Brunswick, où il n’y a qu’un, deux ou trois agents, il est assez difficile d’obtenir ce genre de formation, alors c’est là que les services de police provinciaux et nationaux peuvent certainement jouer un rôle important. L’idée de superviser certaines des activités de lutte contre les crimes haineux les plus graves a beaucoup de poids, et je l’aime bien.

Le sénateur White : Merci beaucoup aux témoins.

Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse au président du Canadian Anti-Hate Network, M. Farber, mais j’invite tous les autres à se joindre à la discussion s’ils le souhaitent. Il ne fait aucun doute que le nombre d’attaques radicalement racistes contre la population juive au Canada suscite de plus en plus d’inquiétudes, et j’ai trois questions à ce sujet.

D’abord, j’aimerais connaître votre définition de la « ligne rouge » très nette entre la liberté d’expression tolérable et le discours haineux. Je ne pense pas qu’elle soit floue. Il y a probablement un point où elle franchit la « ligne rouge ». J’aimerais l’entendre.

Comme Statistique Canada l’a souligné, les crimes haineux contre la population juive du Canada ont augmenté en 2020. Ce sont des nouvelles qui font réfléchir. Pourriez-vous dire au comité pourquoi vous pensez que ces types de crimes semblent être en hausse, pas seulement au Canada, mais dans le monde entier, car je suis à peu près certain que l’Amérique du Nord n’a pas le monopole des crimes haineux. Je me demande si vous avez une opinion au sujet d’autres pays qui font des progrès dans ce domaine et qui pourraient servir de modèle pour ce qu’ils font de bien, ce qu’ils font activement pour répondre à d’autres mesures et ce qu’ils se préparent à faire dans l’avenir. Je parle de cela par rapport à ce que le projet de loi tente de faire.

Enfin, pensez-vous que, laissée telle quelle, cette nouvelle loi proposée est suffisante pour dissuader ceux qui commettent ces actes ou atténuer leurs actes?

M. Farber : Monsieur le sénateur, nous pourrions organiser un séminaire d’une semaine sur ces trois questions.

Le sénateur Klyne : Juste trois petites questions.

M. Farber : Oui. Et on ne répondra peut-être pas à toutes.

Permettez-moi de répondre à la première sur la définition de la « haine ». Nous ne parlons pas de quelque chose qui est simplement intolérable ou offensant. Malheureusement, les Canadiens ont le droit d’être intolérables, stupides et offensants, et il n’y a pas de loi contre cela. Dans l’affaire Keegstra, le juge en chef Brian Dickson a en fait indiqué exactement ce que signifiait la définition juridique de la « haine ». Je vous invite, vous et les autres sénateurs, à en tenir compte dans votre évaluation. Je crois que c’est le juge Rothstein qui, quelques années plus tard, dans l’affaire Whatcott, a établi ce qu’on appelait les 11 thèmes distinctifs des messages haineux. Au Canada, nous avons des interprétations et des définitions très précises du terme « haine », et c’est vraiment ce que la police et d’autres utilisent pour faire des évaluations et aller de l’avant.

En ce qui concerne ce qui a stimulé et fait avancer la haine, je ne crois pas que ce soit un secret bien gardé. Les médias sociaux sont là aujourd’hui, et ils n’y étaient pas hier. Ils permettent aux personnes animées par la haine d’accéder au public dans des proportions que nous n’avons jamais vues auparavant. Shimon Fogel et d’autres se souviendront que, dans le bon vieux temps, les gens se tenaient au coin des rues Bank et Sparks et distribuaient des petits tracts haineux, et si cinq personnes prenaient ce tract, c’était considéré comme une sacrée bonne journée. Aujourd’hui, ils prennent leur ordinateur portable et diffusent des messages sur Twitter, Facebook, Telegram, Signal et bien d’autres, et peuvent rejoindre des centaines de milliers de personnes, voire des millions. Sur ces centaines de milliers de personnes, si seulement deux ou trois pour cent d’entre eux sont des irréductibles et adhèrent au mouvement, et que sur des deux ou trois pour cent, disons, une centaine seulement sont les personnes qui prendraient les armes... il suffit d’une seule personne. Nous avons vu cela à London, en Ontario, et nous l’avons vu à Sainte-Foy, à Québec, et à Pittsburgh. Il suffit d’une seule personne. Aujourd’hui, nous sommes passés, malheureusement à cause des médias sociaux je crois, des paroles haineuses et des symboles haineux aux actes haineux, aux agressions et même aux meurtres.

Enfin, vous vous interrogez sur ce qui se passe ailleurs. Nous sommes tous aux prises avec ce problème, que ce soit en Europe, au Canada ou aux États-Unis. Ici, comme dans d’autres pays, nous examinons maintenant un tout nouvel alignement de ce que sont les méfaits en ligne, et j’ai été honoré d’être invité à représenter le gouvernement fédéral et à siéger à un groupe d’experts sur les méfaits en ligne, où nous espérons aider le gouvernement à élaborer une législation sur les méfaits en ligne, de la même manière que ce que nous voyons se passer au Royaume-Uni, en Australie, en Allemagne, en Belgique, en France et ailleurs. Le monde est uni. Les gens comprennent ce qu’est la haine et ils comprennent que quelque chose doit être fait, mais nous avons un long chemin à parcourir pour que cela fonctionne.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à M. Goldstein. Dans une de vos recommandations, vous proposez d’utiliser le mot distorsion — dont l’équivalent en français serait « déformation » —, plutôt que le mot downplay.

Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ce terme est plus précis? En effet, la déformation en soi risque d’être plus difficile à prouver que la minimisation. J’aimerais avoir des précisions à ce sujet.

Dans sa présentation, M. Farber a fait référence à l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je crois que vous avez bien dit que l’article 319 du Code criminel exige le consentement du procureur général pour autoriser la poursuite, alors que la plainte individuelle, en vertu de l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, pouvait être une plainte privée.

Pensez-vous que c’est un élément qui devrait compléter l’amendement que l’on veut apporter au Code criminel, afin de réintroduire, dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, un article clair qui autorise les plaintes en matière de propagande haineuse?

[Traduction]

M. Goldstein : Merci.

Tout d’abord, pour revenir à l’utilisation du mot et de ce qu’il signifierait dans la terminologie française, distortion par rapport à downplaying, je pense que la raison pour laquelle, madame la sénatrice, le mot downplaying a été utilisé, c’est parce qu’il est effectivement utilisé dans la législation allemande. Ils utilisent le mot downplaying en allemand. La raison pour laquelle j’ai recours à distortion, c’est qu’il existe déjà un courant de pensée qui traite de ce mot. Je ne sais pas ce que serait la traduction exacte du mot — ça pourrait revenir à « minimisation » — mais nous savons, par exemple, que l’AIMH en a discuté. Nous savons que de nombreux autres organismes ont discuté du concept de distorsion de l’Holocauste, nous avons donc déjà donné une définition à ce mot, et c’est pourquoi je pense qu’il est très important.

Pour revenir à ce à quoi le sénateur Klyne faisait allusion, BBC soutient la liberté d’expression au pays, et nous comprenons que toute loi devra en fin de compte être soumise à une sorte d’examen fondé sur la Charte. Plus vous donnez de la précision au libellé, plus le taux de réussite sera élevé en cas de contestation constitutionnelle de la loi. Ce n’est pas tant que j’ai une fixation sur le mot distortion. J’utilise juste ce mot parce que je sais qu’il existe déjà un ensemble d’interprétations facilement accessibles à tout juriste qui pourrait être confronté à cette question.

En ce qui concerne votre question suivante relativement au consentement du procureur général, je suis un avocat en droit criminel en plus d’être directeur des affaires juridiques, et je suis aussi censé porter le chapeau de BBC, mais la réalité, c’est que dans un cas comme celui-ci, il faut avoir un certain pouvoir discrétionnaire pour décider d’intenter des poursuites ou non. La réalité, c’est que, bien qu’il existe une énorme jurisprudence sur la signification de l’article 13, mon ami M. Farber a fait référence à l’affaire Sears. C’était une affaire réussie. N’oubliez pas que cette affaire portait non pas seulement sur l’antisémitisme, mais aussi sur la misogynie. Le tribunal a examiné la jurisprudence et a pu l’appliquer. La loi a résisté à l’examen en vertu de la Charte. Pour peut-être éviter des problèmes, je pense qu’il est tout de même important que le procureur général intervienne et prenne des décisions sur des questions comme celle-ci. Je pense que c’est sensé. Même si je suis certain que de nombreuses collectivités aimeraient supprimer le pouvoir discrétionnaire du procureur général, je pense que cela reste une bonne idée.

J’espère que j’ai répondu à vos questions.

Le sénateur Cotter : Messieurs, merci de vos exposés ciblés et perspicaces.

J’ai deux questions pour M. Goldstein. La première fait suite au dialogue que vous venez d’avoir avec la sénatrice Dupuis. J’ai l’impression que les deux mots qui circulent dans votre mémoire — distortion et downplaying — véhiculent en fait des concepts différents. Ils peuvent se chevaucher à certains égards, mais il me semble que downplay soit une enveloppe plus large, d’une certaine manière. Je suis curieux. Je ne veux offrir une suggestion de rédaction ni à vous ni au ministre de la Justice, mais je me demande pourquoi vous ne seriez pas à l’aise avec l’inclusion du mot distortion et du mot downplay dans le libellé de l’infraction. Il me semble que chacun d’entre eux véhicule un sens puissant, mais peut-être légèrement différent.

Je pourrais peut-être poser ma deuxième question, et vous pourriez répondre aux deux. Vous discutiez de l’argument visant à éliminer certaines des défenses offertes par cette loi. Je ne suis pas retourné étudier l’article 319 en particulier, mais il me semble que certaines des suggestions que vous faites sont en fait aussi des suggestions qui supprimeraient certains des moyens de défense qui figurent dans la législation actuelle. Je me demande si vous voulez laisser entendre que les moyens de défense qui sont offerts dans ce domaine vont trop loin et qu’ils devraient être réduits de manière générale et non seulement en ce qui concerne cette disposition particulière.

M. Goldstein : Merci, sénateur, de ces excellentes questions. J’ai ici mon Code criminel et je regarde l’article 319 pendant que nous parlons.

Laissez-moi aborder la question des mots downplaying et distortion. Nous suggérons le mot distortion parce que nous croyons tous en la liberté d’expression. C’est très important. Ma capacité de m’exprimer et de dire que l’Holocauste s’est effectivement produit est, je pense, la meilleure parade. La façon de contrer un discours que vous n’aimez pas, c’est avec plus de discours. Cela dit, malheureusement, nous voyons la nécessité de cette modification du Code criminel en particulier en ce qui a trait à la négation et à la distorsion de l’Holocauste. En raison de notre préoccupation pour la liberté d’expression, nous voulons nous assurer que Mme Zwibel de l’Association canadienne des libertés civiles... Je ne veux aucunement m’en prendre à elle, mais elle est depuis longtemps une défenseure de la liberté d’expression, et nous sommes sensibles à ces préoccupations. Plus vous serez précis, mieux la législation survivra à tout examen au regard de la Charte.

Pour ce qui est du mot downplaying, il n’y a pas de courant de pensée établi autour de ce mot comme il y en a pour la distortion. Je crains que, légitimement, quelqu’un puisse dire que downplaying est trop vague. Si vous incluez downplaying and distortion, vous créez un texte de loi dont la portée est plus vaste, et cela serait préoccupant. À bien des égards, cette modification particulière remplace en quelque sorte les dispositions du Code criminel sur les fausses nouvelles, remontant à l’époque où Zündel a été poursuivi. La Cour suprême a fini par invalider les dispositions du Code criminel sur les fausses nouvelles — je crois que c’était l’article 181 — en raison de leur portée excessive, alors nous voulons nous assurer que cette disposition ne crée pas la même portée excessive que celle qui existe.

En ce qui concerne l’article 319, je ne crois pas qu’il permette une défense de religion ou de vérité. Je devrais revenir en arrière et regarder l’article 319, monsieur le sénateur. Vous m’avez mis sur la sellette. Je ne suis pas en mesure de répondre précisément à votre question à ce sujet. Je ne dis pas que toutes les défenses doivent être supprimées. Je ne pense pas qu’il s’agisse de moyens de défense contre la législation sur les crimes haineux. On pourra me corriger si je me trompe.

La présidente : Monsieur Goldstein, auriez-vous la gentillesse de nous envoyer quelque chose par écrit à ce sujet, si vous le pouvez? Nous avons une semaine. Je sais que vous êtes très occupé. Si vous pouviez l’envoyer au greffier, cela sera transmis à tout le monde.

M. Goldstein : Merci.

La sénatrice Clement : Merci à tous les témoins de leurs témoignages.

Je vous remercie également d’avoir fait référence aux événements récents à Buffalo et à Pittsburgh. La liste est longue. Je suis une femme noire, et toutes mes nièces et tous mes neveux sont les enfants d’une mère juive, une belle-sœur qui m’est chère. Vous pouvez imaginer les conversations à la table sur Zoom que nous avons eues au cours des deux, trois ou quatre dernières années. C’est de la douleur, encore de la douleur, toujours de la douleur.

Je veux revenir à la question de la sénatrice Jaffer sur ce que le gouvernement fait. Vos organisations se sentent-elles soutenues par le Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme, par exemple, et par ce que le gouvernement fait pour élever ces questions dans le discours public? Vous avez parlé de la façon dont les médias sociaux amplifient le mal. Le gouvernement en fait-il assez pour parler du bien et permettre à vos organisations de faire face à ces choses, ainsi qu’aux contrecoups, d’ailleurs? Parce que nous allons de l’avant avec cela et qu’il y a toujours des contrecoups pour nos communautés. Êtes-vous prêts et vous sentez-vous soutenus pour faire face à cela?

M. Fogel : Je dirai que les gouvernements à tous les échelons — assurément le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux dans l’ensemble du pays et de nombreuses administrations municipales — ont été exceptionnellement sensibles non seulement aux menaces et aux défis auxquels la communauté juive est confrontée, mais aussi à ce qui touche la communauté musulmane et d’autres minorités ciblées.

Cela rejoint la question du sénateur White en ce qui concerne l’approche d’application de la loi. On s’est efforcé de la consolider, dans la mesure du possible, et de trouver des formules et des solutions qui pourraient s’appliquer à de nombreux ensembles de circonstances différents. De nombreuses communautés sont confrontées à des ensembles uniques de menaces, certaines en raison de leur couleur, d’autres, de leur inclusion dans un segment économique de la société canadienne, d’autres encore parce qu’elles sont de nouveaux Canadiens, et d’autres, en raison de leur orientation sexuelle ou des vêtements qu’elles portent, d’ailleurs. L’un des thèmes centraux qui ont été mis de l’avant — par le gouvernement fédéral, bien sûr, mais aussi par tous les ordres de gouvernement — a été d’essayer de trouver une cause commune qui permette aux communautés ayant des expériences disparates de se réunir et de trouver des solutions communes. Celles-ci ont été accessibles à tous. Notre expérience, en tant que communauté juive, a été marquée par une remarquable réactivité de la part du gouvernement.

Bernie Farber a fait référence aux efforts qui sont consentis pour contrer les méfaits en ligne. C’est un véritable défi. Nous avons des impératifs contradictoires entre la liberté d’expression et la protection contre la haine. Nous avons d’énormes défis à relever pour que les communautés bénéficient d’une protection concrète tout en garantissant une société libre et ouverte. La portée de la consultation et de l’inclusion par le secrétariat et ses homologues d’autres administrations a démontré qu’un véritable effort est fait, même à l’échelle des conseils scolaires, pour écouter, entendre et reconnaître les difficultés auxquelles font face les communautés et pour les inviter à participer à la résolution de ces défis et à leurs solutions.

Le sénateur Wetston : Je tiens à remercier M. Vogel, M. Farber et M. Goldstein.

J’essaie de rester objectif à ce sujet. Je suis juif. Certains de mes collègues savent que je suis né dans un camp de personnes déplacées en Allemagne en 1947. Mes parents ont vécu en Ouzbékistan pendant près de trois ans et demi pour fuir les nazis. D’autres membres de ma famille n’ont pas eu la même chance. Je vais tenter de rester objectif à ce sujet, en raison de mon rôle ici en tant que sénateur, et vous poser une question précise à ce sujet afin de comprendre la législation et ce qu’on tente de réaliser ici. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que l’un ou l’autre des témoins tente de répondre à cette question. C’est peut-être un peu plus juridique.

Selon la façon dont l’article 319 est modifié, il traite du fait de fomenter volontairement l’antisémitisme en tolérant, en niant ou en banalisant l’Holocauste. À votre avis, pourquoi le fait de banaliser, de nier ou de tolérer l’Holocauste devrait-il être lié à l’antisémitisme plutôt que d’être une infraction en soi, sachant que — vous en avez parlé — il est bien établi et qu’il serait impossible aujourd’hui de démontrer que l’Holocauste n’a pas eu lieu? Cela ne concerne évidemment pas que les Juifs, même si six millions de Juifs sont morts pendant l’Holocauste. C’est la première question que je vous pose. L’un d’entre vous peut-il y répondre?

M. Farber : Je vais juste tenter une réponse. Je suis aussi l’enfant d’un survivant de l’Holocauste. Toute la famille de mon défunt père a été assassinée. Dans toute sa ville en Pologne, aucun Juif n’existait à part lui.

Nous savons que l’Holocauste est en soi un fait, mais nous vivons à une époque de folie. Nous vivons à une époque où les gens croient ce qu’ils veulent croire. Nous savons que la négation de l’Holocauste — M. Fogel et d’autres l’ont dit — est la quintessence de l’antisémitisme. Lorsqu’il y a déni de l’Holocauste, il est presque inévitable que la haine des Juifs s’ensuive, et lorsque la haine des Juifs s’ensuit aujourd’hui, il est presque inévitable que nous assistions à de la douleur, des agressions et même des meurtres, et nous devons donc trouver un moyen efficace de l’éliminer à la base. Si sa base se trouve à être le déni de l’Holocauste pour les Juifs, l’antisémitisme est, comme l’a un jour fait remarquer Robert Wistrich, le grand historien, « la plus longue haine » et ce n’est pas pour rien. Six millions de Juifs ont été assassinés de mémoire d’homme.

Nous devons trouver les outils nécessaires pour faire face aux théories du complot qui sévissent aujourd’hui. La négation de l’Holocauste n’est qu’une des principales théories du complot. Nous avons des théories du complot de la COVID et les théories du complot du « grand remplacement », et elles tuent. Elles tuent. Nous devons trouver une loi qui fonctionne et qui les éliminera, à mon avis, à leur base même.

M. Fogel : Sénateur, si un idiot monte sur une tribune et déclare que le monde est carré, et non pas rond, nous allons tous reconnaître qu’il s’agit d’une déclaration absurde, mais le fait d’avoir prononcé cette déclaration n’a aucune conséquence pour lui. La différence avec la négation de l’Holocauste, c’est qu’il y a une conséquence. C’est un catalyseur pour quelque chose d’autre. Comme M. Farber l’a souligné, il y a une corrélation directe entre la négation de l’Holocauste et sa traduction en action. Toutes les théories du complot que M. Farber vient d’énumérer, y compris la COVID — qui, si nous ne le savez pas, serait le fait des Juifs pour diverses fins néfastes — sont présentes sur les plateformes de médias sociaux dont nous venons de parler il y a quelques minutes. Il faut reconnaître qu’un langage méchant et offensant, même s’il n’est pas anodin, ne sert pas de déclencheur à quelque chose de plus grave. Dans le cas de la négation de l’Holocauste, elle est unique en ce sens qu’elle est presque toujours un prédicteur de la radicalisation qui conduira à des méfaits, non seulement contre les Juifs, mais aussi contre d’autres personnes. Les clichés deviennent des clichés, parce qu’ils contiennent une vérité essentielle. Les Juifs sont le canari dans la mine de charbon. Comme je l’ai mentionné plus tôt, ce qui commence avec les Juifs ne se termine presque jamais avec eux. Nous devons être particulièrement attentifs et sensibles à la menace qui pèse sur les Juifs, qui est la menace particulière, et à la façon dont cela s’étend pour devenir une menace générale envers toutes les communautés vulnérables.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins.

Je suis curieuse de savoir, pour vous trois, si vous avez des recommandations sur la façon dont la police et les procureurs pourraient déterminer au mieux que toutes les étapes nécessaires de l’infraction sont établies. Par exemple, pour la mens rea et l’actus reus de la défense, qu’est-ce qui serait selon vous une conversation privée plutôt que le fait de fomenter l’antisémitisme? Serait-il nécessaire de prouver qu’un accusé avait l’intention de fomenter l’antisémitisme en niant l’Holocauste, ou la simple expression, la négation de l’Holocauste, serait-elle suffisante pour établir les éléments de l’infraction?

M. Fogel : Je ne veux pas dominer, mais si je peux me permettre de faire une brève remarque, je pense que l’intentionnalité est un élément vital et critique de cette question. Lorsque nous discutons de l’antisémitisme — et je pense que mes collègues en conviendraient —, nous reconnaissons que les commentaires les plus offensants, la plupart d’entre eux, relèvent de l’ignorance ou de l’insensibilité, et non pas de la malice. Ce que nous examinons ici et ce à quoi cette mesure législative vise à remédier, ce sont les situations où une personne a un objectif très précis et délibéré d’inciter à la haine, d’attiser l’intolérance, et que cela mène à des actions. Du côté tant des forces de l’ordre que de la justice, il est nécessaire que la motivation et l’intention soient claires : le recours s’adresse à ceux qui sont incorrigibles. L’éducation et les autres instruments dans la boîte à outils peuvent être déployés de manière beaucoup plus constructive pour éduquer, sensibiliser et créer un niveau de tolérance plus élevé.

Cela nous ramène... et j’ai déjà fait référence au sénateur White, qui a beaucoup plus d’expérience que nous tous sur ces questions. D’après ce que nous avons constaté, le déficit pour ce qui est de la coordination se trouve, en partie, dans la formation à laquelle M. Farber a également fait allusion, qui est laxiste dans de nombreuses administrations différentes. Cependant, je suis heureux de dire qu’elle a été relancée et qu’il existe une nouvelle volonté politique de doter les forces de l’ordre de cette capacité dans de très nombreuses collectivités du pays. Le véritable défi, c’est d’atteindre ce niveau de coordination. Le sénateur White a parlé de la GRC à l’échelon national, qui fournit un soutien et des ressources supplémentaires là où elles sont nécessaires. Je pense que les collectivités doivent être conscientes de cela. Il doit y avoir un plan d’action collectif. L’un des résultats du sommet d’urgence tenu l’été dernier a été l’engagement des provinces, du gouvernement fédéral et des principales municipalités à essayer d’atteindre ce type de coopération, d’échanger des pratiques exemplaires et de tirer profit des ressources d’un endroit à l’autre. Monsieur le sénateur, cela contribuerait grandement à créer des règles du jeu équitables, mais aussi à relever plus efficacement le défi.

M. Goldstein : Monsieur le sénateur, si vous le permettez, je répondrai à votre question d’une manière un peu plus légaliste. Je suis d’accord avec mon ami, M. Fogel. J’ai ouvert mon Code criminel et j’examinais l’article 319. De nombreuses affaires sont penchées sur l’établissement de la mens rea, dont vous avez parlé, et sur la signification de la communication dans un lieu public, et l’article 319 en traite. Il y a des affaires qui traitent de cette question. Encore une fois, si vous vous inquiétez de la portée excessive de la loi et du fait qu’elle ne résistera pas à l’examen au regard de la Charte, ces questions ont déjà été débattues dans le cadre de l’article 319.

Je m’adresse au sénateur White; je dois vous présenter mes excuses. Vous avez raison. Il y a une section dans l’article 319, comme je l’ai vu. Je veux toujours l’admettre quand j’ai tort par rapport à quelque chose et corriger le tir immédiatement. Toutefois, la différence, et la raison pour laquelle je demande que le mot « vérité » soit supprimé de l’article 319 tel qu’il est modifié, est la suivante : nous nous concentrons sur une question particulière, alors que l’article 319 traite généralement de nombreuses questions différentes. La réalité, c’est que nous avons déjà établi, et nous l’avons admis d’office au Canada en 1988 lors du nouveau procès de Zündel, c’était la deuxième affaire, à savoir que l’Holocauste a existé. Il s’est produit. Vous n’avez donc pas besoin de défense pour dire que vous retournez en arrière. Le gros problème du procès d’Ernst Zündel, à la fois le premier et le deuxième, mais surtout le premier, c’est que vous finissez par faire le procès de l’Holocauste lui-même, comme si deux parties débattaient d’une réalité historique. Ce n’était pas bon pour la communauté au Canada. Ce n’était pas bon pour la vérité. C’est pourquoi je suis d’avis, dans ce cas, que si nous avons déjà un précédent judiciaire qui reconnaît que l’Holocauste s’est produit, que permettre une exception, une défense de la vérité, serait un retour en arrière.

M. Farber : Je vais ajouter quelque chose. Je souscris aux propos de M. Fogel et de M. Goldstein. Mais dans l’affaire Zündel, le véritable problème était aussi le critère de constitutionnalité. En fait, la Cour suprême a jugé que la disposition législative de l’époque — l’article 181, je crois — était inconstitutionnelle en ce qui concerne les fausses nouvelles. Il ne satisfaisait tout simplement pas au critère constitutionnel.

Je veux juste revenir à la question du sénateur sur l’intentionnalité et à l’exemple de M. Fogel concernant la tribune à l’angle des rues Bank et Sparks, où quelqu’un se levait pour dire que la Terre est plate. De la même manière, quelqu’un peut se lever et dire que l’Holocauste n’a jamais eu lieu. C’est stupide et ignorant. Les gens le savent. Mais s’ils vont plus loin et disent : « Non seulement l’Holocauste n’a pas eu lieu, mais ce sont ces Juifs, vous savez, qui se moquent de tout le monde afin d’obtenir des paiements pour l’État juif d’Israël », alors c’est de l’intentionnalité. Trop souvent, lorsque nous assistons à un déni de l’Holocauste, cet élément est toujours présent. Donc, l’intentionnalité joue un rôle.

J’aimerais tout de même ajouter un mot pour l’article 13. Je pense que cet article est un bon moyen, plus « chirurgical » de traiter certaines formes d’expression haineuse, où les gens eux-mêmes peuvent agir. Mais pour ce qui est de la négation de l’Holocauste, je pense que nous devons être très clairs quant à son danger clair et présent.

La présidente : Monsieur Fogel, j’ai une question pour vous. J’ai été réfugiée dans ce pays il y a 50 ans, donc cela ne fait pas partie de mon histoire. Je ne l’ai jamais comprise. Il y a de nombreux Canadiens comme moi. Étant donné que nos réunions sont entendues par de nombreuses personnes, quelle est la cause de cette montée de l’antisémitisme déclaré, et dans quelle mesure les Canadiens devraient-ils s’en inquiéter?

M. Fogel : Comme Sam Goldstein l’a souligné, l’antisémitisme, ou la haine des Juifs, s’exprime sur tout le spectre. Il découle de différentes choses. Comme M. Farber l’a fait remarquer, le type de haine exprimé par l’extrême droite est plus qu’inquiétant, tout comme son penchant pour traduire cette haine en action. La délégitimation de certains éléments de l’extrême gauche est tout aussi inquiétante, car elle marginalise et exclut les Juifs de la participation à des choses qui font partie de notre ADN, y compris la poursuite des droits de la personne et ainsi de suite. Il existe également des éléments au sein du monde musulman, dont certains ont une approche particulière à l’égard de leurs croyances, qui crée un territoire propice à ce type d’extrémisme dirigé contre les Juifs.

M. Farber a fait remarquer que nous vivons à une époque de folie. À bien des égards, tous les participants à cet appel reconnaîtraient que nous n’avons presque pas de cadre de référence pour ce que nous vivons, les types de polarisation et de permission que l’anonymat des médias sociaux a donnés aux gens de dire ce qu’ils veulent sans filtres, sans contraintes ou sans restrictions. Tout cela a contribué à créer un climat de fièvre dans la société.

Ce n’est pas un hasard si cela s’exprime surtout envers les Juifs. Pas seulement envers les Juifs, mais toujours envers les Juifs et d’autres. À certains égards, ce ne sont que les Juifs parce que, comme Bernard Lewis l’a fait remarquer, il y a beaucoup de haine qui circule, mais ce n’est qu’à un groupe en particulier que le mal cosmique est rattaché. Cela est à l’origine de toute la théorie du complot. À chaque génération, il y a une histoire selon laquelle les Juifs exercent un contrôle à des fins diaboliques et intéressées.

La présidente : C’était ma question, mais nous n’avons plus de temps. Je ne veux pas vous arrêter, mais je dois le faire.

Le sénateur Campbell : Merci aux témoins, j’ai tellement de questions que je ne sais pas par où commencer.

Je suis certain que tous les sénateurs le savent, mais nous recevons des courriels empreints d’antisémitisme, de racisme et tout le reste qui vous rendraient malades. Nous parlons des forces de l’ordre, de la police, et nous avons toutes ces différentes organisations policières qui peuvent s’en charger. Ce n’est certainement pas scientifique, mais à la lumière des courriels que je reçois, c’est dans les très petits villages, si petits que je dois les chercher pour les trouver, que le problème est le plus important. Ils proviennent de très petits villages, et ils font état de toute la gamme de commentaires racistes : qui dirige le monde et tout le reste.

Ma question est la suivante : comment pouvons-nous atteindre ces petits villages? Comment pouvons-nous aborder ces problèmes qui ne tiennent vraisemblablement pas à des faits outre ce qui provient d’Internet? Comment pouvons-nous aborder ce problème? Ma crainte tient au fait que nous nous soucions toujours de Toronto, Vancouver et des grosses villes. Je peux vous dire qu’elles se font battre à plate couture par des endroits qui peuvent compter peut-être 50 ou 60 personnes. Comment pouvons-nous augmenter la présence policière là-bas? Comment pensez-vous pouvoir y parvenir? Ma question s’adresse à n’importe quel témoin.

M. Farber : Je ne suis pas certain qu’on devrait toujours s’en remettre à la police. Nous avons un système qui est présent à l’échelle de ce pays : le système d’éducation. Selon moi, le système d’éducation devrait être un outil utilisé pour éduquer la population. Les professeurs doivent comprendre à quoi ressemblent leurs étudiants lorsqu’ils sont radicalisés. Les jeunes doivent comprendre que, lorsqu’ils vont en ligne, tout n’est pas toujours ce qu’il semble être. Les commissions scolaires du pays devront fournir un effort colossal, mais au moins elles existent déjà, monsieur le sénateur. Nous sommes en mesure de faire quelque chose grâce à notre système d’éducation. Puis, nous pouvons travailler avec la police, mais toutes ces composantes doivent travailler ensemble. Tout commence par l’éducation. Cela ne s’arrête pas là, mais dans les petites régions, c’est grâce aux écoles que nous sommes en mesure de rejoindre les jeunes, et d’avoir le plus d’incidence positive.

Le sénateur Campbell : Je suis prêt à parier avec vous que ce genre d’éducation ne se fait simplement pas dans les régions d’où proviennent ces courriels.

M. Fogel : Monsieur le sénateur, je suis tout à fait d’accord avec M. Farber pour dire que l’éducation est l’un des outils les plus importants que nous puissions utiliser pour bâtir une société plus tolérante, ouverte et constructive. Cependant, laissez-moi vous suggérer rapidement quelque chose d’autre que nous avons aussi mentionné l’été dernier : une campagne sur la littératie numérique.

Je vais faire une analogie, sans commenter ses bienfaits : lorsque le gouvernement canadien a décidé qu’il allait légaliser la marijuana, il a rapidement réalisé qu’il s’agissait d’un couteau à double tranchant, et que certaines façons de consommer la marijuana n’avaient pas été étudiées, comme le fait de mélanger l’alcool et la marijuana, ou la durée des effets découlant expressément de produits comestibles à base de marijuana. Il a compris qu’il devait mettre en place une importante campagne publique continue et exhaustive pour sensibiliser les Canadiens aux dangers de la marijuana.

Je propose ce qui suit : le gouvernement doit mettre en place une campagne exhaustive axée sur la littératie numérique qui explique la façon dont elle peut être utilisée de façon constructive, et destructive, et la façon de les différencier afin que les jeunes soient davantage en mesure de mieux reconnaître les signes de danger, et que les parents soient en mesure de reconnaître quand leurs enfants empruntent une mauvaise voie. Vous avez raison, monsieur le sénateur, de dire que cela doit passer par bien plus que l’éducation conventionnelle; il s’agit d’information supplémentaire qui appuie et complète ce que les enfants peuvent apprendre dans les écoles.

Le sénateur Campbell : J’ai un commentaire. L’Holocauste remonte à plus de 80 ans. Bien franchement, selon moi, d’aussi loin que je me rappelle, la situation n’a jamais été pire. Malgré tous les efforts que nous avons déployés en matière d’éducation et d’adoption de projets de loi, nous devons faire mieux, parce que, comme vous le dites, tous les jours nous voyons des choses se produire. Je suis d’accord avec vous pour dire que tout commence par les Juifs, et qu’on passe ensuite à d’autres groupes. On rejette la faute là-dessus. Nous ne sommes parvenus à rien en 80 ans. Pour nous, c’est une tragédie.

La présidente : Monsieur Goldstein, monsieur Farber et monsieur Fogel, vous pouvez voir qu’un grand nombre de questions vous sont adressées, et que les sénateurs présents doivent discuter davantage avec vous. Malheureusement, nous n’avons plus de temps. J’aimerais vous remercier tous les trois d’avoir discuté franchement avec nous. J’espère que nous en aurons d’autres occasions à l’avenir. Je vous remercie de votre présence.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe de témoins. Nous commençons par Cara Zwibel, directrice, Programme des libertés fondamentales, Association canadienne des libertés civiles. Madame Zwibel, vous avez cinq minutes.

Cara Zwibel, directrice, Programme des libertés fondamentales, Association canadienne des libertés civiles : Merci, madame la présidente, et merci aux membres du comité. Je suis honorée d’être devant vous aujourd’hui au nom de l’Association canadienne des libertés civiles, ou l’ACLC. L’ACLC a été fondée il y a plus de 50 ans et vise à protéger, promouvoir et défendre les droits et libertés des personnes au Canada.

J’aimerais commencer aujourd’hui par être très claire sur le fait que l’ACLC se désole du fait qu’elle semble s’opposer à une loi visant à éliminer et condamner l’antisémitisme. Le fait de nier que l’Holocauste est survenu veut non seulement dire qu’on ferme les yeux sur une réalité historique, mais on le fait très souvent afin d’envoyer un message antisémite, ou de concert avec un tel message, ce que nous dénonçons fermement. Il n’est pas plus acceptable de nier la réalité historique liée à l’Holocauste que de nier les vérités historiques que sont le colonialisme, les pensionnats autochtones ou l’esclavage. Cependant, il vaut la peine de faire remarquer qu’aucun de ces mensonges odieux n’est considéré en tant que tel comme une infraction criminelle.

Durant le peu de temps que j’ai aujourd’hui, j’aimerais souligner trois choses. Premièrement, la nouvelle infraction proposée visant à rendre illégal le fait de cautionner, de nier ou de minimiser l’Holocauste n’est sans doute pas constitutionnel. Deuxièmement, la nouvelle infraction proposée n’est pas nécessaire. Troisièmement, la nouvelle infraction proposée, si elle entre jamais en vigueur, risque d’entraîner des conséquences involontaires et défavorables graves.

D’abord, en ce qui concerne la Constitution, notre Charte des droits et libertés canadienne protège la liberté d’expression générale, et exige que la plupart des restrictions d’expression soient justifiées par le gouvernement. Même si la disposition proposée est étroite, dans la mesure où elle vise seulement l’Holocauste, elle est générale dans la mesure où elle concerne le fait de le nier, mais aussi le fait de le cautionner et de le minimiser.

Le Code criminel interdit déjà le fait de fomenter volontairement la haine, et nos tribunaux ont jugé qu’il était possible de le faire sans aller à l’encontre de la Constitution dans la mesure où une forme d’expression précise, étroite et assez extrême est ciblée. Le fait de s’en remettre à des termes précis comme « minimiser » et « cautionner » est préoccupant du fait qu’ils sont vagues et trop larges.

Le terme « minimiser » pourrait raisonnablement qualifier quelqu’un qui reconnaît la réalité historique de l’Holocauste et son atrocité, mais qui pourrait soutenir que d’autres atrocités historiques ont été pires. Est-ce qu’on pourrait dire qu’un expert qui étudie les génocides historiques qui ne qualifie pas l’Holocauste de pire exemple minimise l’Holocauste, et est donc visé par la loi? Qu’en est-il des activistes qui s’opposent à l’avortement qui utilisent le terme holocauste pour décrire l’avortement? Est-ce que ce genre de rhétorique peut entraîner une peine criminelle? Selon nous, l’infraction proposée pourrait donné lieu à trop de latitude et s’appliquer à des discours qui, bien qu’offensants et impopulaires, ne devraient pas et ne doivent pas, à proprement parler, être considérés comme des actes criminels.

Ensuite, cette infraction n’est pas nécessaire. Le fait de nier l’Holocauste, qui fomente volontairement l’antisémitisme, ou, en termes plus généraux, la haine, figure déjà dans l’infraction existante prévue au paragraphe 319(2) du code, une disposition qui a déjà été mise à l’épreuve par nos tribunaux. En effet, l’affaire traitant de discours haineux sans doute la plus connue, R. c. Keegstra, concerne une poursuite contre une personne niant fermement que l’Holocauste a eu lieu. La Cour suprême a rejeté la contestation constitutionnelle de M. Keegstra, et a maintenu sa condamnation. On doit se demander : qu’est-ce que cette nouvelle infraction va ajouter de plus? Dans la mesure où elle vise à aller au-delà de l’infraction existante liée au discours haineux, les problèmes liés à la Constitution que j’ai mentionnés sont clairement soulevés.

Enfin, la nouvelle infraction proposée, si elle entre jamais en vigueur, risque d’entraîner des conséquences involontaires et défavorables graves. Je dis « si elle entre jamais en vigueur », parce que même si c’est le Parlement fédéral qui créerait cette infraction, au bout du compte, ce sont les procureurs généraux provinciaux qui approuveraient le fait de porter des accusations, et tout comme cela a été le cas avec le paragraphe 319(2), bon nombre d’entre eux seront très réticents à le faire. S’ils le font, nous pouvons nous attendre à donner une plateforme nationale à ceux qui tiennent des discours haineux et blessants, et à ceux qui les appuient. Lorsque Ernst Zündel a été poursuivi il y a de nombreuses années, pour avoir propagé de fausses nouvelles, il a utilisé son procès afin d’émettre davantage son point de vue, ce qui a entraîné dans un tribunal canadien un débat sur le fait de savoir si Auschwitz était non pas un camp de concentration nazi, mais plutôt un camp de vacances juif. L’infraction proposée donne lieu à une défense de vérité, ce peut entraîner ce genre de situation grotesque dans nos tribunaux.

J’incite fortement le comité à retirer cet amendement proposé de la loi budgétaire, et je vais terminer avec quelques mots de l’ancien conseil général de l’ACLC, le défunt Alan Borovoy, qui a dit dans une page en regard de l’éditorial publié il y a 25 ans :

Dans une société démocratique qui valorise la liberté d’expression, le but devrait être non pas de faire taire les gens comme Ernst Zündel, mais plutôt de les marginaliser. La loi devrait leur permettre de s’exprimer, mais la culture devrait s’assurer qu’ils ne sont pas en mesure d’avoir l’influence voulue pour convaincre qui que ce soit.

Je serai heureuse de répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Merci beaucoup.

Joanna Baron, directrice générale, Fondation de la Constitution canadienne : Bon après-midi, madame la sénatrice Jaffer et membres du comité. C’est un honneur d’être ici pour vous parler de cette question très importante.

Je m’adresse à vous en tant que directrice générale de la Fondation de la Constitution canadienne, ou FCC, une organisation caritative juridique qui protège les libertés constitutionnelles canadiennes, mais je vous parle aussi en tant que petite-fille de deux survivants de l’Holocauste. Ma grand-mère, Daisy Baron, a survécu à Auschwitz et à Bergen-Belsen avant d’immigrer au Canada en tant qu’orpheline en provenance de la Hongrie. Mon défunt grand-père, Steven Baron, s’est caché dans des entrepôts et des hôpitaux à Budapest avec son petit frère avant d’être aussi parrainé afin de venir au Canada lorsqu’il avait 13 ans. Je formule mes commentaires en étant pleinement consciente du réel fléau qu’est la haine contre les Juifs qui a sévi par le passé et existe encore.

Les amendements proposés du projet de loi visent à modifier le Code criminel pour interdire le fait de fomenter volontairement l’antisémitisme en cautionnant, en niant ou en minimisant l’Holocauste. La première observation de la FCC est la suivante : ce projet de loi est superflu. Le fait de nier l’Holocauste, qui incite à la haine contre les Juifs ou la fomente, y compris sans doute en niant l’existence de l’Holocauste, est déjà considéré comme un acte criminel. Le paragraphe 319(2) du Code criminel mentionne déjà que quiconque dans un endroit public fomente volontairement la haine contre un groupe identifiable est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans.

L’amendement proposé n’est sans doute pas constitutionnel non plus, et va à l’encore de l’alinéa 2b) de la Charte, qui protège le droit à la liberté d’expression. Il y a presque 30 ans, la Cour suprême du Canada a abrogé l’article 181 du Code criminel, ce qu’on appelait la disposition liée aux fausses nouvelles en vertu de laquelle Ernst Zündel a été accusé et incarcéré en raison de sa brochure Six millions de personnes sont-elles vraiment mortes?. Celle-ci a remis en question le fait de savoir si six millions de Juifs avaient réellement été tués avant et durant la Deuxième Guerre mondiale, et elle laissait entendre que l’Holocauste est un mythe perpétué par un complot juif mondial. Dans le cadre de cette affaire, la cour a expressément mentionné que toute expression, peu importe son contenu, était protégée par l’alinéa 2b).

La juge J. McLauchlin a formulé précisément un commentaire au sujet des opinions impopulaires ou répugnantes. Elle a dit :

La liberté d’expression est donc une garantie qui sert à protéger le droit de la minorité d’exprimer son opinion, quelque impopulaire qu’elle puisse être... Elle sert à éviter que la perception de la « vérité » ou de l’« intérêt public » de la majorité réprime celle de la minorité. L’opinion de la majorité n’a pas besoin d’une protection constitutionnelle; elle est tolérée de toute façon. Vue ainsi, une loi qui interdit l’expression d’une opinion minoritaire ou d’une opinion « fausse » sous peine de poursuite pénale et d’emprisonnement contrevient, à première vue, à l’objectif visé par la garantie de liberté d’expression.

L’État devrait seulement limiter l’expression lorsque cela est nécessaire. Les droits protégés au titre de l’alinéa 2b) devraient donc seulement être limités aux cas les plus clairs. Les amendements proposés soit font double emploi, dans la mesure où ils concernent des choses qui sont déjà interdites au titre du Code criminel comme les discours incitant à la haine, ou ils visent à criminaliser des déclarations mal informées ou sans fondement liées à l’Holocauste qui n’équivalent pas à un discours haineux et n’incitent aucunement à la haine. Donc, soit ils font double emploi, soit ils sont trop larges et vagues, comme vient de le mentionner ma collègue, Mme Zwibel.

Enfin, il faut souligner qu’il est primordial de protéger les Juifs et de constater la troublante augmentation d’incidents antisémites; et nous devrions nous attarder à cette question. Cependant, le gouvernement ne peut pas cerner un objectif urgent et important parmi les amendements vu que le discours haineux ou qui vise à inciter à la violence est déjà considéré comme un acte criminel. Si l’objectif du gouvernement est de réprimer les incidents antisémites grâce à l’amendement proposé, il devrait étudier ce que la France et la Belgique ont fait; à ces endroits, le fait de nier l’existence de l’Holocauste est effectivement un acte criminel, et le taux d’incidents antisémites continue d’augmenter de façon alarmante.

Ceux qui minimisent l’Holocauste sont ignorants, et le meilleur moyen d’y remédier tient non pas à des menaces d’emprisonnement de la part de l’État, mais à l’éducation et à l’échange ouvert d’idées, dans un contexte où des citoyens libres sont en mesure de montrer que les atrocités commises contre les Juifs ont vraiment eu lieu, et où il est possible de démentir la fausse information.

Malgré tout, je n’ai pas une vision libertaire utopique de la capacité favorable de la liberté d’expression de purger notre société de l’antisémitisme, qui est la forme de préjugé la plus ancienne de l’humanité. Cependant, la solution ne peut pas être d’accabler une société libre et libérale en empiétant de façon vague et démesurée sur la liberté d’expression à l’aide de lois redondantes.

Je vous remercie. Je serais heureuse de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, madame Baron.

Me John Carpay, président, Centre juridique pour les libertés constitutionnelles : Je vous remercie, honorables sénatrices et sénateurs, d’avoir invité le Centre à être un des témoins de cette séance très importante aujourd’hui.

Sur une note personnelle, alors que je suis profondément honoré de l’occasion de faire un exposé, il m’est extrêmement difficile de le faire aujourd’hui. Le déni de l’Holocauste est un discours ignoble. Il est destructeur. Il propage un mensonge, que ce soit de manière sincère par des personnes qui se bercent d’illusions ou malveillantes. D’une manière ou d’une autre, il s’agit d’un mensonge haineux, et je parle avec le cœur lourd.

Les objectifs de la lutte contre l’antisémitisme et le déni de l’Holocauste sont louables. Je les soutiens à 100 %. Je demande au comité de réfléchir à la meilleure manière d’y parvenir. Je traiterai de neuf points, tous très brefs, dont certains ont déjà été exposés par d’autres témoins.

Premièrement, l’article 319 du Code criminel interdit déjà la promotion délibérée de la haine fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la religion et interdit effectivement l’expression publique de l’antisémitisme. Nous avons en outre l’article 718.02 du Code criminel, qui permet aux juges d’utiliser les éléments de preuve. Si une infraction a été motivée par la haine, une peine plus grave peut être imposée. Cet ajout proposé à l’article 319 n’est tout simplement pas nécessaire.

Deuxièmement, seuls les régimes autoritaires dictent la vérité au nom de tous. Il peut s’agir d’un régime fasciste de droite, d’un régime communiste de gauche ou d’un régime théocratique, et cetera. Les régimes autoritaires et les régimes totalitaires ont pour mission de décider de la vérité pour l’ensemble de la population, et les gens ne sont pas libres de penser, d’entendre, d’écouter, de réfléchir et de tirer leurs propres conclusions. Cette proposition d’amendement est un très petit pas, mais néanmoins un pas, qui nous éloigne d’une société libre et nous mène vers un régime autoritaire.

Troisièmement, il existe des conséquences involontaires. Il est raisonnable de dire qu’il est probable que si ce projet de loi devient une loi, les antisémites vont s’en servir et prétendront qu’il s’agit d’une preuve de la puissance du lobby juif. Il s’agit d’une conséquence non intentionnelle.

Quatrièmement, si nous ajoutons à cela l’article 319, il est probable que cela entraîne une demande de criminalisation supplémentaire concernant d’autres génocides et événements historiques. Il y a de nombreux autres groupes, dont les Arméniens, les Ukrainiens, les Tutsis au Rwanda, qui malheureusement ont été victimes de génocide. Il n’est pas improbable que les Canadiens appartenant à ces groupes ethniques disent : « Eh bien, pourquoi ne pas criminaliser le fait de nier l’Holodomor », la mort par famine que le régime communiste de Staline a perpétrée sur les Ukrainiens dans les années 1930. À mon avis, cela créera une mauvaise dynamique avec d’autres groupes qui diront : « Pourquoi pas nous? »

Cinquièmement, si le gouvernement a le pouvoir, grâce au droit pénal, de déclarer ce qu’est la vérité — et je pense que la réalité de l’Holocauste est une vérité — je m’oppose au fait que les gouvernements le déclarent et le fassent respecter à grand renfort de sanctions pénales. Si les gouvernements peuvent faire cela dans le domaine de l’histoire, cela ouvre la porte pour qu’ils puissent faire la même chose dans les domaines de la science, de la médecine, de l’art, de la philosophie et ainsi de suite.

Sixièmement, cela aura un effet paralysant sur la liberté d’expression des Canadiens. À cet égard, le fait de criminaliser la banalisation de l’Holocauste est particulièrement dangereux pour la libre expression. Les Canadiens ne devraient pas à avoir à regarder par-dessus leur épaule et à s’inquiéter du fait que s’ils parlent de l’horreur d’autres génocides, ils pourraient par mégarde banaliser l’Holocauste. Je ne dis pas que le libellé de l’amendement proposé est susceptible d’avoir cet effet, mais je parle d’un effet paralysant qui existera même si l’application de la loi ne criminalise pas nécessairement les discussions ouvertes concernant d’autres génocides.

Septièmement, les lois générales sont davantage respectées que les lois qui semblent favoriser un groupe. Cela nous renvoie à la question des conséquences involontaires. Les gens peuvent respecter et comprendre l’application générale de l’article 319 interdisant la promotion délibérée de la haine. Dès qu’un groupe est considéré comme privilégié et placé dans une sorte de position supérieure, le respect de la loi peut diminuer.

Huitièmement, selon moi, la meilleure solution est l’éducation publique. Le seul moyen sûr d’empêcher un génocide, à mon humble avis, c’est que le public adopte les normes les plus élevées en matière de vertu, de moralité et de connaissances. L’objectif doit être atteint, et le meilleur moyen d’y parvenir dans une société libre est de respecter le droit de chaque personne à respecter ses opinions.

Enfin, mon neuvième et dernier point — et M. Farber y a fait allusion — est que si les dispositions actuelles de l’article 319 ne sont pas correctement et convenablement appliquées, il est insensé d’ajouter de nouvelles lois si les lois actuelles de l’article 319 ne sont pas appliquées.

Je vous remercie de nouveau de cette occasion cet après-midi, et je suis impatient d’entendre vos questions.

La présidente : Merci, monsieur Carpay.

Nous allons maintenant passer à la période de questions. Sénatrices et sénateurs, je vous rappelle que si vous avez une question, vous devez en informer le greffier.

La sénatrice Batters : Ma question est pour Mme Zwibel, de l’Association canadienne des libertés civiles et pour Mme Baron, de la Fondation de la Constitution canadienne. Il ne fait pas de doute que ce sujet est important et que le fléau de l’antisémitisme continue de gangrener notre société. Compte tenu de cela, que pensez-vous toutes deux du fait que le gouvernement fédéral a choisi de s’attaquer à ce sujet et a proposé d’apporter ces amendements assez importants au Code criminel du Canada afin de lutter contre ce problème au moyen d’une loi d’exécution du budget qui compte 440 pages et qui laisse aux parlementaires qu’une capacité plus limitée de débattre et de délibérer au sujet de ces amendements?

Mme Zwibel : Je vous remercie de la question.

Initialement, je pense que ma réponse aurait été qu’il s’agit d’un gros problème d’intégrer une disposition comme celle-ci dans le projet de loi sur le budget. Il est évident que cela n’a rien à voir avec le budget. Cela limite la mesure dans laquelle les parlementaires peuvent participer au grand genre de débat que nous voudrions voir lorsque nous parlons de transformer un type de manifestation — un type de manifestation grotesque, mais un type de manifestation quand même — en une infraction pénale.

Tout ce que je sais, c’est qu’un projet de loi d’initiative parlementaire a été présenté à la Chambre des communes afin d’apporter essentiellement les mêmes modifications au Code criminel. J’ai suivi une partie de la discussion concernant ce projet de loi d’initiative parlementaire à la Chambre. En fait, il semble qu’il n’y ait presque pas de débat parmi les députés de la Chambre des communes quant au fait que c’est quelque chose que nous devrions faire — que nous devrions ajouter dans le Code criminel. Selon moi, la raison pour laquelle il y a un consensus est en partie parce que je ne pense pas que quiconque veuille être perçu comme défendant les personnes qui nient l’Holocauste. Je comprends combien il serait difficile d’être un parlementaire et de s’opposer à un projet de loi comme celui-ci.

Cependant, je crois que le fait d’intégrer ces modifications pose de réels problèmes. Franchement, il s’agit d’une situation où nous voulons tous avoir l’impression de faire quelque chose pour régler le problème, mais à mon avis, ce n’est pas un moyen efficace de s’attaquer au problème. Je comprends votre point de vue et conviens qu’il est problématique d’inclure des mesures comme celle-ci dans le budget.

Mme Baron : Je suis d’accord avec tout ce qu’a dit ma collègue Mme Zwibel. Je voudrais ajouter deux points.

Le premier point est que la Fondation de la Constitution canadienne a déjà vu ce genre de situation se produire lorsque des lois très importantes ont été présentées dans le cadre d’un projet de loi budgétaire. Par exemple, la Fondation de la Constitution canadienne a contesté un amendement à la Loi électorale du Canada qui a été mise en place à la fin de 2018, également dans le cadre d’un projet de loi budgétaire, et qui criminalisait le fait de faire de fausses déclarations, même si la personne qui les faisait ne savait pas à ce moment-là qu’elles étaient fausses. Cette modification ne semble pas avoir été remarquée avant que la Fondation de la Constitution canadienne n’entame son litige.

Mon deuxième point est que cela souligne l’importance de cet honorable organisme ainsi que les groupes d’intérêt public qui travaillent sur les libertés constitutionnelles, puisque, pour un politicien, il est très difficile de s’opposer à cette question pour des raisons évidentes.

La sénatrice Batters : Absolument. Oui. Nous savons également, au sein du comité, qu’une loi d’exécution du budget de la même année contenait un article sur les accords de poursuites suspendues qui a pris de l’importance par la suite. Je vous remercie.

La présidente : J’ai une question. Après avoir entendu le dernier groupe de témoins, avez-vous une opinion quant au remplacement du mot downplaying par « distortion », et cela affecte-t-il vos préoccupations au sujet de la portée excessive?

Mme Baron : Je ne le pense pas, pour être honnête. Il s’agit d’un problème notoire que de définir le verbiage relatif au discours haineux. La Cour suprême du Canada a tenté de définir les choses aussi clairement que possible dans l’affaire Whatcott, mais la définition reste assez circulaire. Elle parle de sentiments de condamnation et de répugnance intenses, mais il y aura toujours un élément de subjectivité, et je ne crois pas que « distortion » soit vraiment, selon moi, plus objectif ou moins vague que downplaying. Ma réponse est donc non.

M. Carpay : Je suis d’accord avec Mme Baron. distortion par rapport à downplaying est certainement plus vague et beaucoup plus englobant que le strict « déni de l’Holocauste ». Je pense que c’est assez simple et assez compréhensible. Je n’ai rien à ajouter sur ce point.

Mme Zwibel : Je suis d’accord avec ce qui a été dit. Comme l’a dit Mme Baron, nous avons ce problème dans les cas de discours haineux où nous définissons le discours haineux en utilisant d’autres mots pour le mot « haine » — un terme comme « détestation ». Si vous regardez la définition de « distorsion de l’Holocauste » de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, qui, je crois est celle à laquelle les témoins du premier groupe faisaient référence, il est question de distorsion, notamment de minimiser les effets de l’Holocauste ou de minimiser les impacts, ce qui est une autre manière de dire « minimisation ». Je ne pense donc pas que cela nous mène à quelque chose d’utile.

Le sénateur Cotter : J’ai juste quelques questions à poser à M. Carpay. Vous avez mentionné des inquiétudes concernant la possibilité de se diriger vers une situation où la vérité serait dictée par des gouvernements autoritaires. J’observe dans cette législation, comme c’est le cas pour l’article 319, que la vérité est une défense. Pourriez-vous répondre à cette question? J’en ai une deuxième comme suivi, si vous me le permettez.

M. Carpay : Les quatre moyens de défense qui sont maintenant énoncés à l’article 319 minimisent l’effet néfaste sur la liberté d’expression, et je précise que l’amendement proposé prévoit également ces mêmes moyens de défense, ce qui minimise certainement l’impact négatif sur la liberté d’expression.

Mon inquiétude, c’est l’ouverture de la porte et le terrain glissant. Ce n’est pas tant que cet ajout à l’article 319 en soi va nous transformer du jour au lendemain en un pays où le gouvernement décrète ce qui est vrai ou faux. Ce que je trouve déconcertant, c’est qu’il s’agit d’un tout petit pas dans cette direction, et selon moi le gouvernement n’a pas sa place pour déclarer — ni en histoire, ni en science, ni en médecine et ainsi de suite — ce qui est vrai ou faux, à grand renfort de sanctions pénales. Même s’il s’agit d’un petit pas, il constitue un pas dangereux dans la mauvaise direction.

Le sénateur Cotter : Alors, étiez-vous également opposé à la disposition de l’article 319 qui inclut la vérité comme défense?

M. Carpay : J’accepte la décision majoritaire de la Cour suprême. Personnellement, je suis plus favorable à l’opinion dissidente de la juge McLachlin, poste qu’elle occupait à ce moment-là, mais je reconnais que la jurisprudence au Canada porte que l’article 319 est constitutionnellement valide. Il est peu probable que cela change de sitôt. Je n’ai pas vraiment d’opinion concernant ces moyens de défense, sauf pour dire que ces quatre moyens de défense minimisent l’impact négatif sur la liberté d’expression.

Le sénateur Cotter : Si nous devions réfléchir à cette question en nous inspirant de votre philosophie, pouvez-vous nous dire quelles sont les limites ou quelles pourraient être les limites imposées à la liberté d’expression? Si une personne lance un appel à la sédition, disons, au renversement du gouvernement par des moyens non démocratiques, allons-nous commencer à nous heurter à la portée de la liberté d’expression légitime?

M. Carpay : C’est une excellente question. Je suis tout à fait favorable à certaines restrictions de la liberté d’expression, mais pas à celle qui est proposée dans le projet de loi C-19. Je pense que l’apologie du génocide, l’apologie de la violence, la profération de menaces et les appels au renversement violent du gouvernement devraient être criminalisés. Il existe une longue liste de restrictions valables. Je pense que celle que le Sénat envisage est un pas dans la mauvaise direction.

Le sénateur Cotter : Merci beaucoup.

La sénatrice Clement : Merci à tous les témoins d’être ici avec nous pendant tout ce temps.

Ma question découle de la puissante citation de M. Borovoy faite par Mme Zwibel, selon laquelle vous souhaitez une culture qui marginalise les discours haineux plutôt que de voir la loi museler la liberté d’expression. Comment obtenir cette culture? Comment y parvenir? C’est ce dont nous avons besoin. Cette citation date d’il y a plusieurs dizaines d’années, mais aujourd’hui, les médias sociaux amplifient tout ce qui est mauvais. L’un d’entre vous a-t-il un commentaire à faire sur la manière de parvenir à une culture qui marginalise plutôt que de s’appuyer sur la criminalisation?

Mme Zwibel : C’est la question à un million de dollars, et c’est une question très difficile. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une seule chose. Le dernier groupe de témoins a parlé d’éducation, et c’est très important.

Lorsqu’il s’agit de savoir dans quelle mesure certains de ces messages et problèmes sont amplifiés par les médias sociaux, par notre vie en ligne, il y a beaucoup de travail à faire en matière d’alphabétisation numérique et pour s’assurer que les jeunes en particulier, mais aussi tout le monde, examinent d’un œil critique le contenu dont ils sont abreuvés.

La meilleure réponse que je puisse donner est que je ne pense pas que nous atteignions la culture qui marginalise en utilisant le droit pénal. Je pense qu’en utilisant le droit pénal, nous risquons d’amplifier ce message et de faire de ces personnes des martyrs de la liberté d’expression. Ils peuvent utiliser leur poursuite comme preuve du contrôle exercé par le gouvernement. Très souvent, dans le cas des théories du complot, le plus grand soutien qu’on leur apporte est que le gouvernement considère qu’il s’agit d’une théorie du complot. C’est la marque qui indique que le gouvernement ne veut pas que vous sachiez la vérité.

Je pense que la réalisation de cette culture passe par l’éducation et par le contre-discours, et le contre-discours n’est le fait non pas seulement des individus, mais aussi des gouvernements. Les gouvernements peuvent faire un gros travail de relations publiques sur la nécessité de s’opposer au racisme et à l’antisémitisme. Mais je ne pense pas que le droit pénal soit la chose qui nous permettra d’atteindre nos objectifs.

Mme Baron : Je voudrais juste noter brièvement que je crois que ce même projet de loi budgétaire prévoit un nouveau financement pour divers musées de l’Holocauste et des initiatives d’éducation sur l’Holocauste dans diverses communautés à l’échelle du Canada, et c’est certainement quelque chose que j’applaudis et que je trouve beaucoup plus constructif.

Bien sûr, j’ai des sentiments partagés à ce sujet, mais c’est une question pour un autre jour. Il est vrai que les diverses plateformes de médias sociaux numériques disposent de mécanismes de vérification des faits assez étendus qui signalent les fausses informations dès qu’elles sont publiées sur la plateforme. Cela ne veut pas dire que la désinformation ne circule pas sur des plateformes plus ouvertes, mais nous devons être conscients que cela se produit.

Je pense que le principal effet néfaste de l’accent mis sur l’élément de criminalisation est que personne ne semble laisser entendre le moindrement — j’ai écouté les commentaires extrêmement réfléchis des témoins de la séance précédente — que la criminalisation réduira les incidents de haine antisémites. C’est presque comme si nous concentrions notre énergie dans un vide.

M. Carpay : Le travail de création et, espérons-le, de maintien d’une culture qui marginalise la haine et les mensonges est un projet permanent et sans fin. Ce n’est pas pour les âmes sensibles. Cela exige beaucoup de travail.

Un point connexe est que les génocides nécessitent des personnes ignorantes et obéissantes qui vont se soumettre aux ordres de l’État ou à tout le moins sont favorisés par ces personnes. Les pires génocides ont été orchestrés et promus par l’État. Nous avons besoin d’une culture d’où sont absents cette obéissance aveugle et irréfléchie et cet autoritarisme. Criminaliser certaines faussetés est un petit pas vers cet autoritarisme qui, selon moi, est très dangereux.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse aux trois témoins. Merci d’être des nôtres aujourd’hui.

Maître Carpay, je ne vais pas vous poser la question, mais vous m’avez fait penser à quelque chose : faites-vous une équation entre toute forme de gouvernement et l’autoritarisme? On sait que tous les groupes radicalisés, y compris les groupes conspirationnistes, de quelque obédience qu’ils soient, sont antigouvernement; pas antigouvernement autoritaire, mais antigouvernement tout court.

Voici ma question, que j’ai également posée aux témoins du premier groupe. Vous dites qu’il ne faut pas criminaliser — et je le comprends —, mais êtes-vous d’accord pour dire qu’une façon d’empêcher, ou à tout le moins d’essayer de contrer ces discours haineux à l’endroit de certains groupes serait de réintroduire, dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, une disposition permettant à des groupes ou à des gens qui sont victimes de discours haineux de déposer une plainte à la Commission des droits de la personne, donc à l’extérieur du système de droit criminel?

M. Carpay : Merci beaucoup de votre question, sénatrice.

Je ne suis pas d’accord avec l’ancien article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. C’est un vaste sujet, beaucoup de débats ont eu lieu et je ne crois pas qu’on ait suffisamment de temps pour en parler.

Quant à vos premières remarques, je dirais que le gouvernement, c’est comme l’électricité ou comme le feu; il faut l’avoir dans le bon chemin et il faut des frontières clairement délimitées. Le feu peut nous servir comme une très bonne chose; on peut l’aimer et on peut en tirer des bénéfices. Cependant, si le feu n’est pas bien contrôlé et ne se trouve pas à l’intérieur de ses propres frontières, il devient très dangereux.

C’est la même chose avec l’électricité, notre serviteur, qui est dangereux quand il est notre maître; c’est mon argument principal.

La sénatrice Dupuis : Merci. Puis-je obtenir une réponse de la part des deux autres témoins, s’il vous plaît?

[Traduction]

Mme Baron : Je vais commenter la question relative à l’article 13 et indiquer si celui-ci propose d’introduire un meilleur recours civil pour les discours haineux. Je dirais que non, parce que, pour de nombreuses raisons que mon collègue a mentionnées et que nous n’avons pas le temps d’aborder, il préserve les problèmes que nous avons avec l’imprécision et les définitions circulaires du discours haineux et la façon de savoir quand on en est témoin, mais il soutient également ces plaintes civiles avec la protection de l’État et la protection contre tout type de condamnation aux dépens. Cela invite certainement les litiges ou les poursuites frivoles. Il présente également un effet dissuasif important. Je ne pense pas que l’article 13, bien qu’il élude les problèmes liés à la criminalisation, soit une solution appropriée.

[Français]

Mme Zwibel : Merci de cette question.

[Traduction]

Je ne suis pas en faveur du rétablissement de l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’Association canadienne des libertés civiles était parmi les organisations qui ont comparu devant votre comité au sujet de son abrogation et qui ont fait valoir qu’il devrait être abrogé. Je suis d’accord avec une grande partie de ce que Mme Baron a dit, en particulier qu’il y a une préoccupation au sujet de l’effet refroidissant et de la façon dont ces dispositions sont utilisées.

Je pense également qu’un rapport commandé par la Commission des droits de la personne il y a de nombreuses années et rédigé par le professeur Richard Moon de l’Université de Windsor portait sur l’article 13 et ses répercussions. L’une des choses qu’il a notées, et qui, à mon avis, est une raison impérieuse de ne pas rétablir l’article 13, c’est que ce qu’il exige du Tribunal canadien des droits de la personne est très éloigné de ce que ce tribunal est censé faire dans toutes ses autres activités. Dans tous ses autres travaux, il est censé adopter une compréhension très large du droit à l’égalité. Il est censé être là pour soutenir les groupes marginalisés. Pourtant, en raison de la protection constitutionnelle que nous avons pour la liberté d’expression et du fait que la Cour suprême a prescrit que nous devons définir le discours haineux comme étant assez étroit et extrême, cela signifie que si des personnes qui ont été exposées à des messages très blessants et nuisibles viennent déposer des plaintes devant le tribunal, celui-ci peut devoir dire que ce n’est tout simplement pas assez mauvais pour équivaloir à un discours haineux. Je pense que cela ne convient pas. Cette fonction ne convient pas à cet organisme, et je ne suis donc pas en faveur de cette solution.

Le sénateur Wetston : Merci de votre témoignage aujourd’hui.

Cette question s’adresse à quiconque veut y répondre. Nous avons beaucoup entendu parler de la constitutionnalité de ces dispositions. Bien entendu, le décideur ultime de ces questions reste les tribunaux, pour des raisons évidentes, car aucune interprétation ne peut être claire si elle n’est pas contextuelle. Les situations de fait donneront lieu à l’élaboration de la loi, si celle-ci est adoptée. Je reconnais que vous ne voulez pas voir cela.

Quel est, selon vous, l’objectif du droit pénal? Il me semble que nous entendons de nombreux arguments, et j’ai moi-même beaucoup d’expérience en matière de droit constitutionnel. Je me demande quel est son objectif dans ce contexte. Je pense que tous les témoins minimisent les objectifs du droit pénal en ne reconnaissant pas que le droit pénal n’est pas seulement une affaire de poursuite; il s’agit aussi de transmettre un message au public. C’est le message que vous voulez transmettre aux Canadiens et Canadiennes sur ce qui est odieux et ce qui n’est pas acceptable dans notre société. Je pense que le gouvernement dit qu’il s’agit d’une conduite inacceptable et l’une des façons d’examiner ce qui pourrait être une limite raisonnable, et bien sûr, nous devons considérer les limites raisonnables prescrites par la loi, c’est d’en tenir compte. Je pense que vous laissez entendre que le gouvernement ne le fait pas. Et si vous pensez qu’il l’a fait, les mesures de protection en place — que je trouve toutes un peu compliquées, je l’admets — portent à croire que le gouvernement reconnaît les limites raisonnables prescrites par la loi. L’un d’entre vous ou l’ensemble d’entre vous peut-il répondre brièvement à cette question? Merci.

Mme Baron : J’ai beaucoup réfléchi à cette question en tant qu’ancienne avocate de la défense qui a également fait des études supérieures en criminologie. Je suis d’accord pour dire que le droit pénal a une fonction symbolique et morale. Cependant, en tant qu’avocate de la défense ici, au centre-ville de Toronto, il est important de se rappeler que cette fonction se termine par la menace d’une peine d’emprisonnement, par la restriction la plus draconienne et la plus grave de la liberté qui soit. La fonction des modifications proposées ne peut pas être comprise si nous voulons rendre justice à notre pays, par exemple en diffusant des messages importants, mais aussi en brandissant la menace d’une peine d’emprisonnement. Afin d’aller de l’avant avec cette menace d’emprisonnement, nous devons examiner très sérieusement quels sont les effets proposés et si l’objectif est proportionnel à la restriction des libertés. Dans ce cas, je dirais que oui, bien sûr, le droit pénal a une fonction symbolique et morale importante, mais il a surtout pour fonction de mettre les gens en prison et nous devons donc en tenir compte.

M. Carpay : Je suis d’accord avec ces commentaires.

J’ajouterais à cela, sénateur Wetston, que je suis d’accord avec vous pour dire que la loi est un professeur. Il est certain qu’elle a des répercussions sur la psychologie personnelle de chaque citoyen. La loi est un enseignant, mais je ne pense pas que ce soit le rôle du gouvernement d’enseigner à l’aide de sanctions pénales ce qui est une vérité historique, même si l’Holocauste est une vérité historique. Le gouvernement ne devrait pas avoir pour mission de le déclarer ou de faire respecter cette réalité pour deux raisons. Cela va conduire à des demandes pour que le gouvernement se prononce sur d’autres vérités historiques, à une potentielle criminalisation du déni de ces vérités et ensuite on débordera le cadre de l’histoire pour passer à la science et à la médecine. Ce n’est tout simplement pas le bon endroit pour le droit pénal.

Mme Zwibel : Je suis d’accord avec une grande partie de ce qui a été dit. Je pense qu’il y a certainement une valeur symbolique et que le Code criminel vise à envoyer un message aux gens sur ce qui est un comportement acceptable et inacceptable. Cependant, je dirais que lorsqu’il s’agit de ce genre de rhétorique, nous avons déjà une disposition qui la couvre. Nous avons déjà le paragraphe 319(2) et, comme l’a dit M. Farber lors de la dernière séance, la Cour suprême du Canada a reconnu que la négation de l’Holocauste est l’un des thèmes distinctifs des messages haineux permettant d’établir si la limite a été franchie. Je pense qu’ici, la valeur symbolique permet au gouvernement de dire : « Regardez ce que nous avons fait. Nous avons fait quelque chose pour résoudre ce problème. » Néanmoins, je ne pense pas que ce soit quelque chose d’efficace et je ne pense pas que ce soit quelque chose que nous devrions faire.

La présidente : Il y a un sujet qui n’a pas été abordé, et c’est la conversation personnelle. L’interdiction prévue au paragraphe 319(2) ne s’applique pas aux conversations privées. Je voudrais qu’un ou deux d’entre vous expliquent ce qui constitue une conversation privée. En particulier, qu’est-ce qui est considéré comme une conversation privée au regard des nombreuses façons différentes dont les gens communiquent en ligne, que ce soit par appels vidéo, groupes de discussion ou plateformes de réseaux sociaux?

Mme Baron : Merci de votre question, sénatrice Jaffer.

Je pense que vous attirez l’attention sur quelque chose qui soulève davantage le spectre du caractère vague bien sûr parce qu’il y a des groupes de discussion WhatsApp qui comptent des centaines de personnes. Comme vous l’avez mentionné, il y a des appels Zoom qui sont de grands groupes. S’agit-il d’une conversation privée? À quel moment franchit-on le seuil? Nous avons eu des problèmes similaires avec la réglementation des médias sociaux par le gouvernement et la question d’établir si elle couvrait les domaines de conversation semi-privée. Je suis d’accord pour que le gouvernement délimite les conversations privées, mais je pense qu’il y a beaucoup de zones grises concernant ce que cela constitue.

M. Carpay : Je suis d’accord avec cela. J’ajouterais qu’on pourrait penser qu’une grande discussion par courriel est privée, mais s’il y a 20, 30, 40, 50 ou 100 personnes en copie du courriel, je pense que la loi n’établit pas clairement si cela devient une conversation publique une fois que votre discussion par courriel dépasse un certain nombre de personnes.

Mme Zwibel : Je ne pense pas avoir quoi que ce soit à ajouter. Tout a été couvert.

La présidente : Merci beaucoup. Cela a mis notre imagination à rude épreuve. Nous avons pensé à d’autres choses aujourd’hui avec vous trois et vos exposés. Je tiens à vous remercier d’avoir pris le temps de vous présenter devant nous, et je suis sûre que nous vous inviterons à nouveau. Je vous remercie de votre présence.

(La séance est levée.)

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