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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 21 septembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner le projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je suis Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique. J’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui.

[Français]

Monsieur le ministre, je voudrais prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : le sénateur Boisvenu, vice-président du comité, la sénatrice Batters, le sénateur Campbell, la sénatrice Clement, le sénateur Cotter, le sénateur Dalphond, le sénateur Klyne, la sénatrice Miville-Dechêne, la sénatrice Pate, la sénatrice Simons et le sénateur White.

[Traduction]

Se joignent aussi à nous aujourd’hui le sénateur Gold, représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Carignan et la sénatrice LaBoucane-Benson. Je vous souhaite la bienvenue.

Je suis heureuse de vous revoir au comité, honorables sénateurs. J’espère que vous avez passé un été reposant. Aujourd’hui, nous entreprenons notre étude du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs qui pensent avoir des amendements à proposer durant l’étude article par article de consulter le Bureau du légiste. Les plans ne sont pas encore confirmés, mais nous procéderons probablement à l’étude article par article à la fin d’octobre.

Aujourd’hui, nous accueillons l’honorable David Lametti, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Il est accompagné des fonctionnaires suivants : M. François Daigle, sous-ministre de la Justice et sous-procureur général du Canada; M. Matthew Taylor, avocat général et directeur; M. Matthias Villetorte, avocat-conseil et chef d’équipe; et M. Andrew Di Manno, avocat.

Le ministre sera des nôtres pendant une heure; ses collaborateurs ont gracieusement accepté de rester avec nous une deuxième heure. Je vous suggère respectueusement de vous concentrer sur vos questions pour le ministre pendant la première heure; vous aurez l’occasion d’adresser vos questions aux fonctionnaires pendant la deuxième heure. Chaque sénateur et sénatrice disposera de quatre minutes pour poser ses questions.

La parole est à vous, monsieur le ministre. Je vous remercie.

David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Honorables sénateurs, madame la présidente, comme vous, je suis heureux d’être de retour après un bel été et je suis ravi de me joindre à vous pour parler du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

L’objectif du projet de loi est de rétablir l’équilibre dans la détermination de la peine tout en assurant la sécurité des Canadiens, peu importe où ils se trouvent. Il vise à protéger les collectivités en permettant aux juges de traiter les criminels endurcis et les délinquants primaires différemment, et aux policiers de ne pas déposer des accusations et des poursuites contre chaque personne en possession de drogues.

Les politiques du gouvernement précédent axées sur la répression de la criminalité ont déséquilibré le système de justice pénale canadien. Dix ans plus tard, nous constatons les conséquences désastreuses de cette approche discréditée. Les personnes autochtones, racisées et souffrant de dépendances ou de problèmes de santé mentale ont fait les frais de ces politiques sévères et inefficaces, et la sécurité de nos collectivités n’a pas été améliorée. Dans les prisons, les taux de surreprésentation des Autochtones et des Noirs sont alarmants. Dans les tribunaux, les affaires avancent au pas de tortue parce que beaucoup de défendeurs choisissent de contester les accusations assorties de peines minimales obligatoires et d’autres en contestent la constitutionnalité.

Je sais que le projet de loi est attendu depuis longtemps et que nombre d’entre vous auraient voulu que des changements soient apportés plus tôt. Eh bien, nous y voici. Le projet de loi C-5 ne réglera pas tous les problèmes du système de justice pénale. Franchement, aucun projet de loi ne pourrait y arriver. Peu importe votre allégeance politique, je pense que vous serez tous d’accord avec moi sur le fait que les défis touchant le système de justice pénale sont complexes et profondément enracinés. De nombreux enjeux sociaux y culminent. En adoptant le projet de loi C-5, nous franchirons une étape importante, pragmatique et progressiste vers la création d’un système plus équitable et efficace.

Concrètement, que fait le projet de loi C-5? Premièrement, il abolit les peines minimales obligatoires pour toutes les infractions relatives aux drogues, pour 13 infractions relatives aux armes à feu et pour une infraction liée au tabac. Il n’abolit pas les peines minimales obligatoires pour les infractions incluant l’utilisation d’armes à poing ni pour celles liées au crime organisé. Les peines minimales obligatoires que nous proposons d’abolir sont en cause dans la majorité des admissions dans les établissements de détention fédéraux liées à des infractions passibles d’une peine minimale obligatoire. Il est vrai que le projet de loi C-5 n’élimine les peines minimales obligatoires que pour 20 des plus de 70 infractions passibles d’une peine minimale obligatoire prévues par le Code criminel, mais la plupart des personnes qui reçoivent une peine minimale obligatoire sont admises pour une des 20 infractions ciblées. L’élimination des peines minimales obligatoires pour ces infractions aura donc un effet.

Deuxièmement, le projet de loi C-5 permet un recours accru aux ordonnances de sursis dans certains cas, ce qui donne aux juges le pouvoir discrétionnaire d’infliger des peines efficaces qui s’attaquent aux causes profondes des infractions. Ainsi, un plus grand nombre de petits délinquants ne présentant aucun risque pour la sécurité publique pourront purger leur peine dans la collectivité, sous stricte surveillance. Par conséquent, plus de parents seront à la maison pour élever leurs enfants, et les organismes de protection de la jeunesse n’auront pas à s’occuper de leurs enfants pendant leur incarcération. En outre, plus de personnes pourront garder leur emploi et nourrir leur famille sans avoir recours au crime. Enfin, il y aura un accès accru aux solutions de rechange, comme les programmes de justice réparatrice.

Soyons clairs : tous n’auront pas droit à une peine d’emprisonnement avec sursis. Les délinquants qui présentent un risque pour la sécurité publique, ceux qui encourent une peine de deux ans ou plus et ceux ayant commis une infraction passible d’une peine minimale obligatoire supérieure à deux ans n’y seront pas admissibles. De plus, un délinquant qui enfreint les conditions de l’ordonnance de sursis pourra être renvoyé en prison. Je sais que certains craignent que le projet de loi permette à des délinquants dangereux de demeurer en liberté. Je tiens à vous assurer, honorables sénateurs, vous et toute la population canadienne, que ce n’est pas le cas. Les crimes graves continueront à être punis sévèrement.

Troisièmement, le projet de loi C-5 modifie la Loi réglementant certaines drogues et autres substances en exigeant des policiers et des procureurs qu’ils envisagent de donner un avertissement, de diriger les personnes trouvées en possession simple de drogues vers les ressources appropriées ou même de ne rien faire. Cette mesure tient compte du fait que la toxicomanie est avant tout un problème de santé et de société qu’il faut résoudre par la voie de la prévention et du traitement. Ce serait la première fois qu’une déclaration de principes axée sur la protection de la santé et de la sécurité publiques serait enchâssée dans la loi en vue d’aider les policiers et les procureurs à décider s’il convient ou non de déposer des accusations ou des poursuites.

Honorables sénateurs, certains sont d’avis que le projet de loi va trop loin; d’autres croient le contraire. Je vous encourage toutes et tous à saisir l’occasion que nous offre le projet de loi de prendre des mesures concrètes pour remédier aux problèmes très réels et urgents que pose le système aujourd’hui.

Je vous rappelle aussi qu’il ne s’agit que d’une mesure parmi tant d’autres que prend notre gouvernement. Par exemple, le budget de 2021 propose d’accorder près de 75 millions de dollars sur 3 ans pour améliorer l’accès à la justice pour les Autochtones et appuyer l’élaboration d’une stratégie de justice pour les Autochtones afin de lutter contre la discrimination systémique et la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale. Cela comprend la mobilisation des communautés et des organisations autochtones dans l’élaboration de lois et d’initiatives qui s’attaquent aux obstacles systémiques à la justice, un élément essentiel de la réconciliation. De plus, notre gouvernement travaille à rétablir la Commission du droit du Canada, qui a pour mandat d’aider le système juridique à mieux répondre aux problèmes complexes auxquels il fait face, y compris l’éradication du racisme systémique. En outre, pour évaluer l’efficacité du projet de loi C-5 et d’autres mesures touchant le système de justice pénale, le budget de 2021 propose aussi de verser 6,7 millions de dollars sur 5 ans et 1,4 million de dollars par année par la suite pour la collecte et l’utilisation de données désagrégées.

En ma qualité de Québécois et de député de la région de Montréal, je suis particulièrement sensible à l’anxiété croissante liée au contrôle des armes à feu. Notre gouvernement est au fait de la situation et il ne se croise pas les bras. Nous avons délibérément présenté à la population canadienne la mesure législative sur le contrôle des armes à feu la plus importante depuis une génération. Le projet de loi C-21 comprend un gel national sur la vente, l’achat et le transfert d’armes de poing; une nouvelle loi « drapeau rouge » pour aider à prévenir la violence conjugale; et l’élargissement de la définition d’une réplique d’arme à feu.

[Français]

Le projet de loi C-21 augmente aussi les peines maximales de 10 à 14 ans d’emprisonnement pour certaines infractions liées aux armes à feu, y compris le trafic et la contrebande. En 2020, nous avons banni les armes d’assaut et nous allons bientôt lancer un programme de rachat obligatoire pour les retirer des communautés canadiennes.

En 2016, nous avons investi plus de 900 millions de dollars pour lutter contre la violence découlant de l’utilisation des armes à feu et pour empêcher les armes à feu de se retrouver dans les mains des gangs et des criminels. Nous avons également sévi contre la contrebande d’arme à feu à nos frontières. En 2021, l’Agence des services frontaliers du Canada a saisi plus de 11 000 armes, plus du double par rapport à 2020.

[Traduction]

L’approche de notre gouvernement à l’égard de la criminalité n’est pas laxiste, mais malgré cela, tous n’appuient pas la stratégie sensée et équilibrée que nous proposons pour assurer la sécurité des collectivités. Comme tous les Canadiens, vous avez vu, ces derniers mois, les conséquences tragiques que peuvent avoir les crimes graves sur les victimes et les collectivités. Nous devons rétablir l’équilibre du système tout en maintenant la confiance de la population. Au moyen du projet de loi dont vous êtes saisis, nous pouvons montrer à la population canadienne qu’en adoptant une approche plus équitable et plus intelligente à l’égard du crime, nous serons mieux protégés. Je sais que certains parmi vous veulent que nous allions plus loin. Je pense qu’il est important d’être à l’écoute des collectivités. Les réformes proposées fonctionneront, mais la population canadienne doit le voir de ses propres yeux. Lorsque les progrès deviendront évidents, ils donneront lieu à de nouvelles réformes.

Honorables sénateurs, je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Je vous remercie, monsieur le ministre. Avant de passer aux questions, j’aimerais commenter la nomination de la juge Michelle O’Bonsawin. Malheureusement, le Comité sénatorial des affaires juridiques n’a pas eu le privilège de vous poser des questions à ce sujet, contrairement à la Chambre des communes. Je tiens à profiter de l’occasion pour vous remercier d’avoir accru la représentativité, le bilinguisme et la diversité au sein de la cour. Vous avez fait preuve d’un grand courage, et je vous en félicite.

Je ne vais pas poser de questions parce que nous sommes nombreux. Nous allons commencer par le parrain du projet de loi, le sénateur Gold.

Le sénateur Gold : Monsieur le ministre, notre étude du projet de loi s’inscrit dans un contexte où il y a de grandes préoccupations à la fois par rapport au racisme systémique dans le système de justice pénale et à la criminalité au sein des collectivités. Nous le voyons chez nous, où la population montréalaise se mobilise pour soutenir le mouvement Black Lives Matter tout en exprimant des craintes au sujet de la violence liée aux gangs. Nous le voyons aussi ailleurs. Par exemple, en 2019, la population de San Francisco a élu un procureur qui proposait un programme en matière de justice pénale très progressiste. Toutefois, après quelques années, la réaction a été si brutale qu’il a été défait lors du plébiscite de révocation. Pouvez-vous nous parler du défi de repousser les limites pour réformer le système de justice pénale tout en veillant à ce que les modifications proposées reçoivent assez de soutien de la part de la population pour perdurer?

M. Lametti : Je vous remercie, sénateur Gold, et avant de continuer, je tiens à vous remercier pour votre travail dans ce dossier.

Les deux objectifs sont compatibles. Nous tentons d’améliorer le système de justice pénale, d’en renforcer l’efficacité et de le rendre plus équitable. Pour le rendre plus équitable, il faut s’attaquer aux causes profondes du racisme systémique. C’est ce que nous faisons au moyen du projet de loi, en accordant un pouvoir discrétionnaire dans la détermination de la peine pour les petites infractions, pour ainsi dire, les infractions pour lesquelles l’incarcération n’est la meilleure solution ni pour le délinquant ni pour la collectivité — et ni pour la victime, d’ailleurs. Ce sont des problèmes de santé, de santé mentale et de bien-être social qui doivent être réglés, et la prison n’est pas la solution. C’est la conclusion qu’ont tirée les experts partout dans le monde, y compris aux États-Unis, par rapport aux solutions de rechange.

En même temps, nous devons lutter contre la contrebande d’armes à feu et contre les gangs et la prolifération des gangs. Nous prenons des mesures en ce sens, y compris, entre autres, le projet de loi C-21, déposé par mon collègue M. Marco Mendicino. D’après moi, les deux vont ensemble. Nous allons bâtir la confiance à mesure que nous avançons, en recueillant des données et en progressant à un rythme qui convient à la population canadienne.

Le sénateur Gold : Le projet de loi s’applique à tous les Canadiens assujettis à notre système. Toutefois, nous devons nous attaquer en particulier au recours excessif à l’incarcération pour les Canadiens autochtones et noirs, ainsi qu’à la criminalisation excessive de ces groupes. Pouvez-vous nous donner un exemple ou un aperçu des consultations sur le projet de loi que vous avez menées auprès des représentants et des organismes des communautés autochtones et noires? Quelle a été l’ampleur de vos consultations? Qu’avez-vous entendu?

M. Lametti : Mon bureau et le ministère ont tous deux mené de très amples consultations auprès des représentants des deux communautés racisées, la communauté noire et la communauté autochtone, et ce, à divers échelons. J’entends presque toujours les mêmes choses. Par exemple, dans le cadre des consultations sur la DNUDPA, des participants ont parlé des répercussions négatives des peines minimales obligatoires sur leur communauté, ou encore du fait qu’une mère autochtone ayant trafiqué des drogues à très petite échelle pour nourrir sa famille ne puisse pas obtenir une ordonnance de sursis. Il faut s’attaquer aux causes profondes de ces enjeux sociaux; c’est ce que nous essayons de faire. Les communautés autochtones et les communautés noires nous ont dit qu’elles voulaient travailler en partenariat avec nous, avec les services de police, avec les centres de justice de proximité — par exemple ceux de la Colombie-Britannique dont les services sont axés sur les peuples autochtones —, dans le but de trouver des solutions de rechange pour la détermination de la peine pour les personnes ne présentant aucun risque pour la sécurité publique. Tous ces éléments sont liés; c’est ce que les représentants des communautés m’ont dit très clairement.

Le sénateur Gold : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur le ministre, je regardais les échanges de lettres provenant des ministres québécois de la Justice et de la Sécurité publique, des lettres qui vous ont été envoyées le 4 mai 2022. Les ministres affirmaient qu’ils sont très préoccupés par l’abolition des peines minimales pour certaines infractions commises avec des armes à feu. Ils trouvent que le message est contradictoire par rapport au fait que l’on voulait réduire les infractions commises avec des armes à feu, particulièrement dans le Sud du Québec, dans votre circonscription, d’ailleurs.

J’ai aussi fait une recherche très rapide et j’ai pu constater que sept infractions ont été commises avec des armes à feu dans votre propre circonscription électorale, soit LaSalle—Émard—Verdun. Le Journal de Montréal rapportait que l’un de vos citoyens avait dit que ce n’est pourtant pas le Far West et qu’on n’est pas en 1840. On est en 2022. Il a dit qu’il ne fallait pas oublier que des enfants qui jouent dans la rue pourraient être touchés et que les citoyens n’ont pas besoin de vivre avec cette crainte au quotidien.

Ne trouvez-vous pas qu’il est contradictoire d’abolir des peines minimales pour les crimes commis avec des armes à feu? Ne devrait-on pas plutôt répondre à ces citoyens, aux ministres de la Justice et de la Sécurité publique et à la mairesse de Montréal qu’il faut maintenir les peines minimales et qu’il faut sévir contre les actes criminels de cette nature?

M. Lametti : Merci de la question, monsieur le sénateur. D’abord, il n’y a pas de contradiction dans le message. Lorsqu’une personne ne pose pas un risque pour la société, on donne une certaine souplesse aux juges pour ce qui est de la peine. On est en train de combattre le crime violent, les armes de poing, les armes d’assaut, les gangs de rue et la contrebande. Je suis un député montréalais, alors je suis conscient des risques que cela représente. Même si l’incident que vous avez cité s’est déroulé à LaSalle, à côté de ma circonscription, cela ne fait aucune différence. Pour moi, c’est très important.

Le sénateur Carignan : Est-ce qu’elle est visée par le redécoupage?

M. Lametti : Pour moi, c’est très important. Il faut souligner que les peines minimales obligatoires n’ont pas fonctionné. Elles ne servent pas à diminuer les crimes. Les armes que nous avons visées pour ce qui est des peines minimales obligatoires ne sont pas les armes de poing, les armes d’assaut et les gangs de rue. Ce ne sont que les armes de chasse qui sont visées. C’est vraiment une catégorie très restreinte. Nous avons aussi augmenté les peines et les ressources pour nous attaquer au problème à la racine. Nous travaillons avec la Ville de Montréal, le gouvernement du Québec et les autres provinces pour réduire ce genre de crimes, comme l’exemple que vous avez cité.

Le sénateur Carignan : Quand vous dites que cela ne vise pas les infractions graves, êtes-vous conscient qu’avec le projet de loi C-5, si une personne fait une prise d’otage sans se servir d’une arme à feu, on lui permet de purger sa peine d’emprisonnement dans la société? Dans le cas du trafic de carfentanil, une drogue plus dangereuse que le fentanyl, on permet de purger la peine dans la société. Quand une agression sexuelle commise sans arme à feu est commise sur une personne de plus de 16 ans qui a été blessée, défigurée et dont la vie est en danger, on permet que la peine soit purgée dans la collectivité. Ne trouvez-vous pas qu’il s’agit là de crimes graves?

M. Lametti : Avec tout mon respect, monsieur le sénateur, votre présomption de base est erronée. Vous présumez que le minimum sera toujours la peine accordée. Les infractions sérieuses seront punies avec des peines sévères.

Le sénateur Carignan : Alors, pourquoi les abolissez-vous?

M. Lametti : On veut donner de la souplesse uniquement dans les cas où la sécurité du grand public n’est pas mise en cause et où un juge aurait prononcé une peine de deux ans ou moins. Donc, cela ne s’applique pas dans la plupart des cas. Cela donne une certaine marge de manœuvre pour les délits moins graves ou lorsque la sécurité publique n’est pas menacée. Cette disposition a bien fonctionné quand elle a été présentée en 1996. Elle a eu des effets positifs dès le début. Lorsque le gouvernement conservateur a supprimé la possibilité des ordonnances d’emprisonnement avec sursis, il y a eu des blocages dans le système judiciaire, et on n’est pas plus en sécurité aujourd’hui qu’en 1996.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur le ministre. Je vais poursuivre dans la même veine que mon collègue le sénateur Carignan.

Lorsque vous avez comparu à la Chambre des communes, mon collègue le député Bob Moore vous a interpellé sur le fait que vous alliez réduire les peines pour les agressions sexuelles. Selon M. Moore, vous avez ajouté une disposition grâce à laquelle des gens reçoivent des peines de moins de deux ans pour des agressions sexuelles graves. Si ma mémoire est bonne, vous avez dit que ces situations n’existaient pas.

Pas plus tard que la semaine dernière, à Gatineau, un homme qui a violé une femme à trois reprises et qui l’a droguée a été condamné à une peine de deux ans moins un jour. Donc, il est admissible à une libération au sixième de sa peine. Ces situations-là existent, monsieur le ministre. Des juges donnent des peines de moins de deux ans pour des crimes liés à des agressions sexuelles graves.

Comment pouvez-vous redonner confiance aux victimes d’agression sexuelle et de violence conjugale lorsque leur agresseur, plutôt que de prendre le chemin de la prison, purge sa peine chez lui, souvent à proximité de la victime, sans avoir passé une seule journée en prison? Comment pensez-vous redonner confiance aux victimes? Pourquoi pensez-vous qu’un dixième des femmes seulement dénonce leur agresseur? Comment voulez-vous faire en sorte que toutes les femmes dénoncent leur agresseur si vous traitez les agressions sexuelles de façon aussi banale?

M. Lametti : Merci de la question. Je ne partage pas votre présomption de base. D’abord, il faut souligner que les peines minimales obligatoires pour les agressions sexuelles ne sont pas visées en soi. C’est important de le souligner. Pour ce qui est des ordonnances d’emprisonnement avec sursis, c’est une décision qu’un juge va prendre après avoir entendu les deux parties, c’est-à-dire après avoir entendu les avocats et les victimes. C’est donc très important, dans notre système — et je suis très fier de notre système de justice pénale —, de donner cette discrétion quand la sécurité publique n’est pas en danger. Même pour les exemples que vous avez donnés, ce n’est pas une garantie que la personne recevra une ordonnance d’emprisonnement avec sursis.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, je parle de la victime. Je ne parle pas du criminel. Je parle d’une femme qui a été violée et qui va en cour, où le juge va donner une « peine de salon ». Avez-vous consulté des groupes de victimes d’agression sexuelle qui sont d’accord avec cette disposition?

M. Lametti : Je souligne que ce projet de loi ne touche pas les peines minimales obligatoires pour les agressions sexuelles.

Il faut le souligner. Il ne faut pas donner l’impression qu’on l’a fait. Ce n’est pas juste. Pour ce qui est des consultations, oui, nous avons consulté plusieurs organismes dans ce spectre. Nous avons également écouté les victimes et surtout l’ombudsman des victimes d’actes criminels à l’époque. C’est très compliqué, mais le principe est toujours que les infractions sérieuses — les agressions sexuelles, entre autres — seront toujours punies de façon sérieuse. Ce que l’on accorde, c’est une discrétion dans certains cas...

Le sénateur Boisvenu : Donc, elles auront une sentence minimale d’un an?

M. Lametti : Je ne peux pas le dire.

Le sénateur Boisvenu : Pourquoi? C’est vous qui avez écrit le projet de loi.

M. Lametti : Si, selon les faits, la personne ne pose pas un danger et que la peine ne s’applique pas, une ordonnance de sursis est possible, mais c’est toujours à la discrétion du juge après qu’il a entendu les parties et la victime dans ce cas. Vous êtes en train d’exagérer une possibilité afin de critiquer la flexibilité qui fait partie du système de common law dans notre pays.

Le sénateur Boisvenu : Mais c’est vous qui avez dit...

La présidente : Sénateur Boisvenu...

Le sénateur Boisvenu : ... que pour les agressions sexuelles graves, les sentences sont graves, n’est-ce pas?

M. Lametti : C’est vrai.

La présidente : Sénateur Boisvenu, votre temps de parole est écoulé.

Le sénateur Dalphond : Bienvenue au Sénat encore une fois, monsieur le ministre. Lundi, j’ai lu dans The Lawyer’s Daily le compte rendu d’une récente entrevue avec le juge Michael Moldaver, qui vient de quitter la Cour suprême du Canada. Il s’inquiète de l’avenir du système de justice, qu’il décrit comme étant complexifié, parfois inutilement, et surtout chargé de nombreuses infractions qui ne mériteraient pas d’y être. Il suggère notamment que de nombreuses infractions de moindre importance, comme les infractions mineures liées à l’usage de la drogue, les petits vols et les infractions mineures à l’administration de la justice, soient décriminalisées ou traitées différemment qu’à la suite de procès.

Monsieur le ministre, que pensez-vous des recommandations de l’ancien juge Moldaver? Comment le projet de loi C-5 peut-il en partie donner une réponse aux préoccupations des juges, notamment le juge Moldaver?

M. Lametti : Merci pour la question, sénateur. Je crois sincèrement que le projet de loi s’inscrit fort bien dans l’encadrement qui a été donné par l’ancien juge Moldaver. Il est justement question d’utiliser les ressources du système pour les infractions graves et de ne pas les gaspiller pour les infractions moins graves. J’ai lu attentivement l’entrevue et je suis tout à fait d’accord avec ces principes de base.

Il faut aussi ajouter que le juge Moldaver était vraiment un grand juge, si l’on veut, dans notre tradition de justice pénale au Canada. De plus, personne ne pourra l’accuser d’avoir été trop doux avec les criminels.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Monsieur le ministre, à mon avis, les ordonnances de sursis représentent un élément important du projet de loi C-5. Le projet de loi propose de redonner aux juges le pouvoir de rendre des ordonnances de sursis dans de nombreux cas, à l’exception des cas dans lesquels les délinquants présentent un risque pour la sécurité publique, comme vous venez de le dire au sénateur Boisvenu. Pouvez-vous nous parler des répercussions possibles de cette mesure sur les Canadiens autochtones?

M. Lametti : C’est ce qui, selon moi, aura une influence capitale. Je crois que c’est l’un des aspects les plus importants du projet de loi.

Si l’on n’accorde pas au juge la latitude lui permettant de rendre une ordonnance de sursis, la possibilité d’un programme de justice réparatrice, la possibilité de centres de justice communautaires que nous soutenons en Colombie-Britannique en collaboration avec le gouvernement de la Colombie-Britannique et avec les dirigeants autochtones de la Colombie-Britannique pour offrir aux Autochtones des services complets à 360 degrés au lieu de les mettre en prison, alors nous jetons toutes ces possibilités par les fenêtres.

Au lieu de cela, vous avez des situations où, par exemple, une femme autochtone toxicomane, souffrant d’une dépendance problématique, vend quelques médicaments d’ordonnance pour un revenu d’appoint qui lui permettra de mettre du pain sur la table. Elle est jetée en prison, peine minimale obligatoire, quatre ans, et ses enfants sont placés sous la garde de la province — nous espérons que désormais la communauté autochtone pourra prendre ses enfants en charge. Cela ne fait rien avancer pour personne. Si elle avait pu rester au sein de la communauté, garder son emploi, s’occuper de ses enfants, obtenir l’aide appropriée et nécessaire pour régler sa dépendance problématique, nous serions nettement plus avancés que si elle avait été mise en prison.

Encore une fois, il y a une mobilisation générale mondiale contre l’incarcération pour ce genre de situations, y compris dans les États américains qui ont inspiré les politiques de soi-disant répression contre la criminalité du gouvernement Harper. Les choses changent. Il nous faut changer aussi.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Bonjour, monsieur le ministre. Je ne suis pas juriste. Je vais faire appel à votre sens de la pédagogie. Votre ministère a dit que les amendements proposés au projet de loi C-5 constituent une étape importante de la lutte contre le racisme et la discrimination. Or, si le gouvernement considère que les sentences minimales alimentent le racisme et la discrimination systémiques, ne devrait-on pas toutes les éliminer? Ou, au contraire, si le gouvernement juge que les sentences minimales sont utiles et efficaces dans certains cas, pourquoi les associer au racisme? En d’autres mots, quels sont vos critères pour identifier les peines minimales qui alimentent le racisme et la discrimination systémiques et celles qui sont efficaces pour assurer la sécurité et réduire la récidive?

M. Lametti : Merci pour cette très bonne question.

D’abord, il faut admettre que les statistiques ne sont pas parfaites, mais celles que nous avions montraient que les 20 peines minimales obligatoires plus une que nous avons choisies avaient un impact démesuré sur la surreprésentation des peuples autochtones et des personnes racisées dans le système de justice pénale. Déjà, c’était quelque chose. Deuxièmement, comme je l’ai dit dans mon discours, 75 % des peines minimales qui se trouvent dans les inscriptions fédérales portent sur des infractions liées à la drogue, et nous allons éliminer ces peines minimales. Cela aura un impact positif, je crois, sur les populations autochtones et racisées.

Évidemment, il faut aussi continuer à recueillir des données et à bien montrer aux Canadiens et aux Canadiennes que le ciel ne va pas nous tomber sur la tête si nous éliminons les peines minimales obligatoires. C’est une étape qui vise justement à montrer clairement, avec des résultats positifs, que nous allons améliorer la situation.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une brève sous-question. Il reste que, par exemple, dans les crimes commis par les gangs, il y a aussi la question des personnes accusées qui sont elles-mêmes racisées. Vous coupez la poire en deux, je le comprends, mais en même temps, il y a eu aussi des situations de racisme systémique pendant l’enfance de ces jeunes qui peuvent se retrouver dans des gangs. Vous voyez pourquoi il est difficile de suivre la logique du projet de loi C-5.

M. Lametti : Pour moi, la logique est évidente dans le sens où, pour les armes à feu, nous avons visé les armes de chasse. Les armes de poing sont liées aux gangs et à la contrebande de drogue, et elles représentent une menace pour la société actuelle. À une autre étape, il sera possible d’examiner la situation après avoir combattu plus efficacement les gangs — je pense ici à la ville de Montréal —, mais pour l’instant, nous en sommes à une étape qui vise à montrer que les peines minimales obligatoires ne fonctionnent pas. Nous allons le montrer clairement et ensuite, nous passerons à autre chose.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, il est possible que, lorsque vous avez déposé ce projet de loi, vous ayez cru que les Canadiens étaient d’accord avec vous pour supprimer les peines minimales obligatoires, mais ce n’est absolument plus le cas, monsieur le ministre. Nous sommes à l’heure actuelle au beau milieu de l’enquête de la Nouvelle-Écosse sur les horribles meurtres de Portapique. Dans ma propre province de la Saskatchewan, nous avons assisté ce mois-ci à la terrible tuerie dans la nation crie James Smith à Weldon, où l’un des meurtriers avait été libéré après 59 condamnations au criminel, et certains de ses crimes étaient très sérieux. Vous devriez peut-être parler aux gens qui ont été terrorisés ce mois-ci dans les collectivités rurales et les communautés autochtones de la Saskatchewan de la « véritable sécurité de la communauté » avec laquelle vous êtes aux prises en abordant ce projet de loi.

Monsieur le ministre, en 2015, Myles Sanderson a été trouvé coupable d’avoir attaqué à coups de couteau son ex-beau-père, Earl Burns, et son ex-belle-mère. Il a été condamné à une peine de prison scandaleusement légère de deux ans moins un jour. Et, ce mois-ci, dans la nation crie James Smith, Edward Burns a été assassiné et sa femme a été tellement gravement blessée qu’elle n’a même pas pu se rendre aux funérailles de son mari.

Monsieur le ministre, les Canadiens ne sont plus favorables à l’approche laxiste en matière de criminalité de votre gouvernement qui est parfaitement illustrée dans le projet de loi C-5. Pourquoi ne prenez-vous pas en compte les victimes qui seront très affectées par cette approche et ne renoncez-vous pas à préconiser ce projet de loi?

M. Lametti : Je vous remercie de votre question, sénatrice.

Respectueusement, et j’offre certainement toutes mes condoléances et toute ma compassion aux victimes des événements en Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan, il est toutefois tout simplement injuste d’associer la peine minimale obligatoire avec le fait de supprimer cette peine et de rendre une ordonnance de sursis dans les deux situations que vous avez soulevées. En Saskatchewan, il s’agissait de la libération d’office d’une personne qui avait purgé sa peine, mais il ne s’agissait pas de peine minimale obligatoire, même chose pour la situation en Nouvelle-Écosse. En toute justice, ce sont des crimes graves. Ils doivent faire l’objet d’une enquête. Lorsque l’enquête sera terminée, et l’étude de la Commission des libérations conditionnelles terminée en Saskatchewan, nous aurons une meilleure idée de ce qui a dérapé. Nous avons certainement tous été horrifiés par cela, et je partage ce sentiment d’horreur, mais la peine minimale obligatoire est une question distincte et les ordonnances de sursis sont aussi une question différente.

Si nous voulons faire preuve de respect envers les victimes, les peines minimales obligatoires représentent l’un des plus importants facteurs qui a contribué au ralentissement du système judiciaire, où un certain nombre de crimes ont été rejetés par le biais d’ordonnances basées sur le principe de Jordan. Vous pouvez le vérifier dans les statistiques, c’est vrai. À un moment donné, la moitié de toutes les contestations fondées sur la Charte dans le système pénal, qui ralentissent vraiment les choses — qui ont tout bousillé — sont des contestations de peines minimales obligatoires. Souvent elles ont gain de cause, souvent elles sont référées en Cour d’appel et à la Cour suprême du Canada, et qu’en est-il de la victime dans tout cela? Elle attend que la justice suive son cours. Si nous voulons aider les victimes, il nous faut un système judiciaire plus efficace qui donne des résultats plus justes, parce que c’est plus équitable vis-à-vis des victimes, c’est certainement mieux pour les victimes, et nous l’avons entendu de la bouche même des victimes.

Je crois que ce projet de loi nous donne un meilleur jeu de contrepoids et nous permet de nous concentrer sur les causes réelles de ce qui s’est passé en Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan sans nous embourber dans la question des peines minimales obligatoires.

La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, quand vous comparez la notion de peines minimales obligatoires à la même notion aux États-Unis, les peines que nous rendons au Canada sont beaucoup plus légères que celles des États-Unis. Et de loin. Nous disposons également de la libération d’office, c’est-à-dire que si vous avez une bonne conduite en prison, vous pouvez sortir après avoir purgé un tiers de votre peine. Dans presque tous les cas, vous êtes libéré après avoir purgé les deux tiers d’une peine déjà probablement légère. Comment pouvez-vous comparer les peines du système judiciaire canadien à celles du système américain?

M. Lametti : Je vous concède que, pour les besoins de la discussion, vous avez peut-être cerné quelque chose à propos des peines, mais je ne vais pas vous le concéder complètement.

Il y a une mobilisation importante aux États-Unis en vue d’effectuer un examen législatif de toutes les peines, car elles sont si longues et parce qu’on se rend compte que l’incarcération ne fonctionne tout simplement pas. Je me suis entretenu avec un certain nombre de spécialistes aux États-Unis. Ils aimeraient avoir le genre de système de libération conditionnelle que nous avons ici et, s’ils ne peuvent pas l’obtenir, ils voudraient effectuer un examen législatif du système, parce que de plus en plus, on se rend compte que l’incarcération ne fonctionne pas et qu’il a été prouvé qu’elle ne fonctionnait pas contre la récidive ni contre toutes ces choses qui nous inquiètent dans notre propre système.

Encore une fois, abordons les peines minimales obligatoires. C’est de cela qu’il s’agit ici. Les crimes graves auront toujours des conséquences graves. Ce n’est pas ce dont nous parlons quand nous parlons de minimum obligatoire, et l’hypothèse selon laquelle un juge appliquerait toujours ou automatiquement la peine minimale obligatoire est honnêtement tout simplement fausse.

La sénatrice Pate : Je vous remercie, monsieur le ministre, ainsi que les hauts fonctionnaires, d’être présents parmi nous aujourd’hui. Je vous remercie également du travail que vous avez effectué sur ce sujet. C’est un pas qui va vraiment dans la bonne direction. Aussi tentant soit-il de se lancer dans les données qui ont été proposées par un certain nombre de personnes, je préfère m’en abstenir.

Vous parlez de tout cela comme étant une mesure. Vous avez parlé des incroyables recherches qui s’effectuent à l’international sur la surreprésentation de certains groupes en particulier. Nous savons que les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées ont demandé la suppression des peines minimales obligatoires. D’autre part, l’alinéa 718.2e) ne peut pas s’appliquer à de nombreux Autochtones et à d’autres en conséquence des peines minimales obligatoires.

Vous nous avez dit que le projet de loi C-5 a pour but de résoudre ce problème et se trouve à être un pas dans la bonne direction. Eh bien, je ne suis pas contre. J’allais dire que je ne croyais pas que la plupart des gens seraient contre, mais nous avons déjà vu que ce n’est pas le cas. Quelles étapes suivantes préconisez-vous pour continuer d’avancer dans la bonne direction?

M. Lametti : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice, et je partage certainement la conviction et les hypothèses de base présentes dans votre question.

Outre les investissements que nous consentons, si nous envisageons des ordonnances de sursis, par exemple, et que nous rendons cette latitude au juge en réduisant ou en éliminant certaines peines minimales obligatoires, nous aurons besoin d’autres programmes, et nous commençons à établir un financement pour cela. J’ai mentionné, dans l’exemple judiciaire de la Colombie-Britannique, les centres de justice communautaires de cette province mis sur pied par les dirigeants autochtones, soutenus par notre gouvernement et celui de la Colombie-Britannique afin d’avoir une autre avenue que la peine de prison.

La Commission du droit est un pas dans la bonne direction, qui nous aide à disposer d’une recherche indépendante du gouvernement et à regrouper les meilleures recherches au Canada et dans le monde. En ce qui concerne la collecte et la compréhension des données, nous investissons dans de meilleures données sur l’établissement des peines et ses répercussions disproportionnées sur les populations racisées et autochtones, qui nous permettront de mettre au point les meilleures étapes pour la suite. Je pense être ouvert à l’utilisation de ces données, pour voir où aller ensuite, et entretemps, j’espère que nous aurons convaincu les Canadiens, comme je le dis en français, que le ciel ne nous est pas tombé sur la tête à cause de ce que nous avons fait.

La sénatrice Pate : En ce qui concerne plus précisément les peines minimales obligatoires, vous avez indiqué qu’il s’agissait d’une première étape. Quelle est l’étape suivante pour les peines minimales obligatoires?

M. Lametti : Permettez-moi de répondre que nous allons voir ce que nous disent les données. Il existe d’autres infractions dans le Code criminel. Nous devons travailler sur certaines des causes profondes — par exemple, la relation entre le logement dans le Nord et les infractions sexuelles.

La sénatrice Pate : La violence faite aux femmes et les femmes condamnées pour meurtre.

M. Lametti : C’est exact. L’une de mes collègues, la ministre Ien, travaille sur une stratégie pour la violence fondée sur le sexe, entre autres, alors attendons de voir où cela va mener.

Il y a certainement d’autres parties du Code criminel que nous espérons rendre plus efficaces. Le juge Moldaver, comme vous le savez, a dit publiquement que nous devrions penser à éliminer tous les types d’infractions légères pour concentrer les ressources du système pénal, ses outils rudimentaires, sur les crimes les plus graves, et personne ne pourrait accuser le juge Moldaver d’être laxiste en matière de criminalité. Il veut lutter intelligemment contre le crime, et c’est ce que nous essayons de faire.

Est-ce que vous me permettez de répondre à votre question en disant que je m’engage à rester ouvert aux possibilités?

La sénatrice Simons : Monsieur le ministre, j’ai eu le privilège de visiter l’Établissement d’Edmonton pour femmes le mois dernier avec la sénatrice Pate, où j’ai été choquée d’apprendre, bien que je sache déjà que les femmes autochtones sont surreprésentées dans le système correctionnel, que 70 % des occupantes de cet établissement étaient des Autochtones. La sénatrice Pate et moi-même avons également rencontré un certain nombre de femmes qui nous ont signalé qu’elles avaient accepté de plaider coupables à des infractions moins graves, parce qu’elles avaient peur d’être condamnées pour des crimes avec une peine minimale obligatoire très stricte.

Ce qui me préoccupe vraiment dans ce projet de loi, qui n’élimine qu’un très petit pourcentage de ces peines minimales obligatoires qui ont déjà été jugées inconstitutionnelles par les cours canadiennes, c’est qu’il n’en fera pas assez pour réduire la surreprésentation des femmes autochtones dans des établissements comme celui d’Edmonton. Je me demandais si vous pouviez me dire d’où vous vient cette confiance que les infractions que vous avez choisies changeront de façon marquée les taux d’incarcération des peuples autochtones?

M. Lametti : Merci, sénatrice Simons. C’est bon de vous revoir, et je suis, tout comme vous, horrifié de voir le taux d’incarcération, en particulier chez les femmes autochtones.

Comme je l’ai dit, 75 % des peines minimales obligatoires qui mènent à l’incarcération dans les pénitenciers fédéraux portent sur des infractions liées à la drogue. Oui, il y en a 21, mais il s’agit de 21 infractions très importantes, et les infractions liées à la drogue sont celles qui touchent plus particulièrement les femmes autochtones. L’arrêt Sharma est paradigmatique à cet égard : une dépendance problématique, une mère de famille monoparentale, une personne qui doit mettre du pain sur la table, une femme autochtone qui vend certains de ses médicaments d’ordonnance pour un revenu d’appoint et qui se fait prendre. Il existe d’autres permutations et combinaisons, mais cette personne se retrouve avec une peine minimale obligatoire.

L’autre élément de votre question qui est d’une importance capitale, c’est la distorsion que créent les peines minimales obligatoires dans le système.

La sénatrice Simons : Elles forcent les gens à faire des aveux, par crainte d’écoper d’une peine disproportionnée.

M. Lametti : C’est exact. La négociation de plaidoyers, les retards attribuables à une éventuelle contestation en vertu de la Charte comme solution de rechange — voilà autant de facteurs qui non seulement bousillent le système, mais qui le rendent aussi beaucoup plus injuste. S’en débarrasser est un premier pas, j’en conviens, mais il s’agit d’un premier pas pour les infractions qui touchent vraiment les Autochtones, les Noirs et les Canadiens marginalisés.

Je suis persuadé que cette mesure aura une grande incidence, surtout si elle s’accompagne de la possibilité d’imposer des ordonnances de sursis. C’est de nouveau une option, et nous pouvons réellement utiliser les peines pour aider les gens, la société et les victimes. Je suis convaincu que nous avons ciblé un bon ensemble d’infractions. Comme je l’ai promis à la sénatrice Pate, je serais disposé à examiner les données et à faire avancer les choses.

La sénatrice Simons : Je m’inquiète tout simplement parce qu’un bon nombre d’autres peines ont déjà été jugées inconstitutionnelles par divers tribunaux partout au pays.

M. Lametti : Oui, mais une seule — et nous en avons tenu compte — a été jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême, et il s’agit de l’arrêt Nur. Dans les autres cas, il y a des décisions contradictoires entre les cours supérieures et les cours d’appel. Celle-ci est la plus claire.

Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue au ministre et aux autres invités d’aujourd’hui.

Monsieur Lametti, lorsque vous vous êtes adressé à la sénatrice Batters, vous avez parlé de la nécessité de nous attaquer aux causes de la criminalité. À cet égard, en ce qui concerne plus particulièrement les groupes surreprésentés dans les centres correctionnels, quelles autres solutions ont été envisagées avant d’en arriver aux modifications proposées dans le projet de loi C-5? Avant d’en arriver à cette solution de rechange décisive, avez-vous envisagé d’autres solutions ou alternatives concernant les questions sociales, les questions économiques, le racisme systémique ou les préjugés raciaux dans le système de justice, ou la lutte contre les motivations principales des gangs, à savoir les drogues? Ma deuxième question est liée aux enjeux sociaux et aux autres problèmes économiques qui aboutissent à la pauvreté. En ce qui a trait à la pauvreté plus précisément, quelles autres solutions avez-vous examinées avant d’adopter les deux modifications du projet de loi C-5? Quelles autres mesures le gouvernement fédéral prendra-t-il pour lutter contre la surreprésentation des Autochtones et des Noirs dans le système de justice pénale du Canada?

M. Lametti : Merci, sénateur.

Vous posez une excellente question, mais je la reformulerais puisqu’il s’agit d’une mesure seulement, et je ne prétends pas qu’elle soit révolutionnaire. Je pense qu’elle entraînera des résultats positifs considérables. La CVR l’a recommandée. Des experts autochtones, des criminalistes, des spécialistes en droit pénal et des défenseurs des droits des communautés noires et racisées ont aussi recommandé cette mesure. Tous ces experts conviennent que la mise en œuvre de la mesure s’imposait.

Cela dit, nous travaillons à différentes initiatives dans tout l’appareil gouvernemental. En tant que ministre de la Justice, diverses initiatives me tiennent occupé. Je coopère actuellement avec les leaders autochtones de partout au Canada pour élaborer une stratégie en matière de justice autochtone qui tentera elle aussi de pallier le problème de racisme systémique causé à la source par la surreprésentation. Je m’adonne au même exercice pour une stratégie judiciaire pour les Noirs. Cette dernière stratégie accuse quelques mois de retard par rapport à la stratégie de justice pour les Autochtones, mais elle est en cours et avance bien.

Nous avons investi dans les rapports Gladue. Les rapports Gladue ont fait l’objet de critiques, notamment parce que leur portée et leur qualité étaient inégales. Nous avons donc débloqué des investissements afin de les améliorer et de fournir aux juges qui prononcent les peines un meilleur portrait de la personne comparaissant devant le tribunal. On peut maintenant en dire autant pour la communauté noire. Nous nous attelons au projet d’évaluations de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle qui a aussi profité de nos investissements. Il s’agit d’un projet en Nouvelle-Écosse, en Ontario et au Manitoba ayant le même objectif et qui s’apparente à un rapport Gladue pour les communautés noires et racisées.

Un certain nombre de projets sont en cours. J’ai mentionné la commission du droit. Mes collègues, M. Marco Mendicino, le ministre de la Sécurité publique, et Mme Marci Ien, la ministre des Femmes, de l’Égalité des genres et de la Jeunesse, ont aussi lancé des initiatives. Je le répète, il faut un ensemble de mesures. Il n’y a pas de solution unique. Dans tous les cas, nous devons dialoguer avec les divers leaders autochtones de partout au Canada, leaders noirs et des communautés racisées, forces policières, provinces et victimes — tout le monde doit participer à cet échange. Nous nous efforçons d’inclure tous les groupes.

[Français]

La sénatrice Clement : Bonjour, monsieur le ministre. C’est un plaisir de vous revoir. Merci également à vos collègues d’être parmi nous.

[Traduction]

Je vais commencer par les éléments positifs. Le projet de loi C-5 est un pas dans la bonne direction. Je vous suis reconnaissante de faire la distinction entre les communautés noires, racisées et marginalisées sans les mettre dans le même panier. Le retour de la commission du droit est une formidable nouvelle. Nous devons utiliser des données désagrégées.

Je vous entends toutefois peser minutieusement vos mots pour exprimer que vous voulez renforcer la confiance à un rythme acceptable pour les Canadiens. Eh bien, les Canadiens noirs ont un rythme complètement différent, un rythme qui fait en sorte qu’ils sont de plus en plus surreprésentés. La communauté noire du Canada évolue dans une tout autre réalité. Ce qui m’inquiète, c’est que nous n’aurons pas d’autres occasions de tenir cette discussion. Vous venez de préciser que la stratégie judiciaire pour les Noirs accuse un peu de retard. Les Noirs entendent ce refrain depuis longtemps, et nous attendons. Je veux bien exprimer l’urgence de la situation. Si on me dit une autre fois à quel point les communautés noires sont résilientes, je vais m’effondrer en larmes parce que, oui, nous sommes résilients, mais assez c’est assez. Je pense que tout le monde est mal à l’aise de discuter de racisme systémique parce que nous devrions tous reconnaître notre part de responsabilité dans ce problème. Or, les gens ne veulent pas parler de cet aspect.

Que vous ont dit les Canadiens noirs? Qu’entendez-vous par le fait que la stratégie judiciaire pour les Noirs accuse du retard? Comment allons-nous nouer une relation de confiance avec les communautés noires? Nous attendons encore.

M. Lametti : Merci, sénatrice, de la question.

J’entendais par là que la stratégie pour les Noirs a quelques mois de retard. Elle avance. Le processus de consultation et la mobilisation ont commencé de façon systématique. Je voulais simplement dire que nous avons certaines tâches à effectuer, y compris l’adoption d’un texte de loi. La stratégie judiciaire pour les Noirs existe bel et bien et a toujours été une priorité, alors soyez assurée que le retard auquel j’ai fait allusion est ténu et non pas majeur. Nous y travaillons et, de surcroît, nous coopérons avec les dirigeants de la communauté noire partout au pays. Si vous les sondiez, vous constateriez leur grande satisfaction à l’égard des mesures que je prends à titre de ministre de la Justice.

J’ai une réponse complète au sujet des peines minimales obligatoires et je ressens, tout comme vous, l’urgence immédiate de la situation et la nécessité d’agir sans plus attendre. En ce qui a trait aux peines minimales obligatoires, je répondrai la même chose qu’à la sénatrice Simons. Les changements aux 21 peines visées par le projet de loi — qui s’appuient sur les statistiques que nous détenons — seront extrêmement bénéfiques pour la communauté noire, les autres communautés racisées ainsi que les communautés autochtones. Les peines minimales obligatoires en question entraînaient toutes des effets démesurés chez ces communautés. C’est une mesure très bénéfique pour l’avenir.

Cela dit, nous agissons à différents égards en même temps. Nous nous attelons à d’autres programmes en parallèle. J’ai notamment mentionné les EIOEC, le projet d’évaluations de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle.

La sénatrice Clement : C’est formidable.

M. Lametti : Nous coopérons avec mon collègue, M. Marco Mendicino, du côté des services policiers. Comme on le sait, les services policiers doivent gagner en efficacité pour les communautés noires, racisées et autochtones.

Différents projets sont en cours. Je suis persuadé que nous changeons grandement la donne. Je fais aussi de mon mieux pour que nos juges représentent davantage la population et que les Autochtones, les Noirs et les communautés racisées se reconnaissent ainsi dans la magistrature. S’ils comparaissent en cour, ils verront devant eux une personne qui leur ressemble.

La sénatrice Clement : Nous n’en sommes pas encore là.

M. Lametti : Nous n’en sommes pas encore là, mais nous accomplissons des avancées. Nos statistiques s’améliorent, et je suis fier de nos nominations. Je suis fier de ce projet de loi, qui représente un pas en avant et qui porte sur l’immédiat. Je crois qu’il donnera des résultats favorables.

Le sénateur Cotter : Je suis ravi de vous revoir en comité, monsieur le ministre Lametti. J’aimerais essayer d’améliorer ce projet de loi dès maintenant, alors je vais poser deux questions.

Tout d’abord, vous nommez de nombreux juges. Les juges en chef et de nombreuses autres personnes approuvent la qualité des nominations. La sénatrice Batters croit que c’est insuffisant, mais on encense la qualité des nominations. Nous conférons une énorme autorité aux juges. Dans la plupart des cas, ce sont eux qui tranchent entre les verdicts de culpabilité et d’innocence, mais les peines minimales obligatoires limitent leur capacité à exercer leur pouvoir discrétionnaire judiciaire pour la détermination des peines. C’est même un des arguments que votre gouvernement a fait valoir pour proposer le changement. Ma question est la suivante : pourquoi ne pas aller plus loin si nous faisons confiance à la magistrature? Ces questions sont guidées par des notions robustes de droit sur la détermination des peines, et les décisions peuvent être portées en appel. Pourquoi ne pas en faire davantage à cet égard?

M. Lametti : Je vous remercie de la question, sénateur.

Comme je viens de l’affirmer, je suis fier de ce projet de loi et des mesures proposées. Les peines minimales obligatoires que nous avons choisi de viser dans ce projet de loi réduiront la surreprésentation des Autochtones, des Noirs, des communautés marginalisées et des communautés racisées dans le système de justice pénale.

Après plus d’une décennie de débats idéologiques opposant la vision prônant l’indulgence envers les criminels à celle prônant de sévir contre eux — ces deux visions sont diamétralement opposées —, beaucoup de mésinformation circule encore. Il nous manque des données; les données sont lacunaires. Le processus vise entre autres à obtenir de meilleures données afin de pouvoir un jour affirmer aux Canadiens : « Écoutez, nous avons aboli ces 21 peines minimales obligatoires. Nous avons continué à sévir contre les criminels lorsque c’était nécessaire. Les peines sont demeurées lourdes pour les crimes graves, mais nous avons permis une certaine souplesse pour que les personnes qui ne représentent pas de risque pour la société puissent obtenir l’aide, l’appui social, le programme de justice réparatrice et l’appui communautaire nécessaires. » Forts des données recueillies, nous pourrons proposer d’étudier d’autres infractions. Bien honnêtement, cette mouture du projet de loi reflète la situation actuelle. Pour cette raison, je l’appuie de tout cœur, et j’espère que vous en ferez autant.

Le sénateur Cotter : J’ai une autre petite question, qui n’est peut-être pas si minime. Vous avez écouté l’opinion des juges, y compris celle du juge Moldaver. La Cour suprême du Canada s’est penchée sur des peines minimales obligatoires potentiellement inconstitutionnelles. Dans l’arrêt Lloyd de la Cour suprême, la juge en chef McLachlin propose un mécanisme particulier et encourage le législateur à envisager de l’adopter. Voici le libellé :

Le législateur pourrait par ailleurs recourir à un mécanisme qui permettrait au tribunal d’écarter la peine minimale obligatoire dans les cas exceptionnels où elle constituerait une peine cruelle et inusitée.

La Section pénale de la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, la CHLC, est composée de procureurs, d’avocats de la défense et de chercheurs. Le groupe était favorable à cette approche qui maintiendrait les pouvoirs discrétionnaires des juges et qui pourrait potentiellement remédier aux dossiers inconstitutionnels. L’approche semble avoir l’appui de tout le système de justice pénale.

Êtes-vous ouvert à l’idée d’un mécanisme particulier qui prévoirait entre autres que les juges fournissent des raisons afin que les décisions puissent être révisées?

M. Lametti : Je suis au courant du mécanisme particulier. Aux fins du procès-verbal, je préciserai que je préfère y renvoyer comme étant un ensemble de « pouvoirs discrétionnaires structurés ». Cette formule décrit mieux le processus au terme duquel un juge rend sa décision. J’ai étudié cette possibilité très minutieusement avec — je ne peux trahir les informations confidentielles — disons, mon équipe et d’autres personnes.

Selon moi, ce mécanisme n’est tout simplement pas possible d’un point de vue pragmatique à l’heure actuelle. Je vais vous répondre franchement : je ne pense pas que l’autre Chambre, tous partis confondus, appuierait l’idée.

Le sénateur Cotter : Merci.

La présidente : J’ai une question à vous poser. Vous êtes toujours assez généreux pour nous fournir le rapport sur l’analyse sexospécifique. Pourrions-nous vous demander de nous le fournir également cette fois-ci?

M. Lametti : Je m’engage à le faire.

La présidente : Dans un autre ordre d’idées, monsieur le ministre, rappelons qu’on oublie un groupe. Je suis persuadée que vous vous y intéressez. Je reçois beaucoup de communications de la part de familles et de prisonniers. Je fais référence à la communauté musulmane. Malheureusement, le nombre de musulmans augmente derrière les barreaux. Je ne veux pas vous retenir trop longtemps, alors je ne m’attends pas à une réponse aujourd’hui, mais vous pourriez commencer à vous pencher sur ce groupe. Quand je me suis rendue dans des prisons avec la sénatrice Pate, le nombre de musulmans m’a étonnée. Puis-je vous demander de vous y intéresser? Vous pourriez peut-être nous fournir une réponse.

Troisièmement, vous avez mentionné à quelques reprises les données et le fait que vous vous êtes fié à des chiffres pour préparer le projet de loi C-5. Pourriez-vous nous transmettre ces chiffres pour que nous comprenions comment vous avez pondu ce texte de loi? Est-ce possible, monsieur le ministre?

M. Lametti : C’est possible. Les données sont inégales, mais je crois qu’elles sont sans équivoque.

La présidente : Et vous nous les enverrez, n’est-ce pas?

M. Lametti : Oui.

La présidente : Et vous nous ferez aussi parvenir le rapport sur l’analyse sexospécifique?

M. Lametti : Oui, je m’en charge.

La présidente : Transmettrez-vous la question sur les prisonniers musulmans?

M. Lametti : Nous avons consulté des leaders de cette communauté. Je puis vous dire que j’ai moi-même consulté des leaders de cette communauté. On peut affirmer que ce groupe offre un appui général au projet de loi. Pour revenir à la question du sénateur Klyne, je dirai que les parties prenantes s’entendent globalement — une entente globale règne — pour dire que cette étape est la première à franchir dans la quête plus large.

La présidente : J’hésitais vraiment à vous poser cette question parce que je ne voulais pas donner l’impression à mes collègues de dire : « Oh, moi aussi! Moi aussi! » Les communautés vivent différentes difficultés. Le comité sénatorial des droits de la personne parcourt actuellement le pays pour en apprendre sur l’islamophobie et sur les défis s’y rattachant. Dans bien des cas d’islamophobie sexospécifique — mon observation n’a rien à voir avec les peines minimales —, la femme qui porte plainte, et non pas la personne qui l’a agressée, se fait accuser d’une infraction. Ce n’est pas l’argument que j’essaie de faire valoir. Ce que je dis, c’est qu’on oublie cette communauté et que je vous suis reconnaissante de l’attention que vous y accorderez.

M. Lametti : Je suis conscient de la situation.

La présidente : Merci, monsieur le ministre. Vous avez été généreux de votre temps, et nous vous remercions de vos réponses. Nous avons hâte de vous revoir.

M. Lametti : Je vous remercie tous.

La présidente : Honorables sénateurs, les fonctionnaires sont toujours parmi nous : MM. Taylor, Villetorte et Di Manno. Nous allons recommencer une série de questions; le parrain du projet de loi, le sénateur Gold, va lancer le bal.

Le sénateur Gold : Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de comparaître devant nous. J’ai deux questions, que je poserai aussi rapidement que possible pour vous donner l’occasion de répondre à chacune d’entre elles. Elles abordent toutes deux une perspective provinciale, si je puis m’exprimer ainsi.

Lors du débat en deuxième lecture au Sénat, on a avancé que la partie 3 du projet de loi représente en grande partie un changement superficiel parce que la plupart des accusations liées à la drogue sont du ressort du gouvernement fédéral. On a soutenu que les procureurs fédéraux respectent depuis 2019 l’orientation voulant que des accusations criminelles ne doivent pas être portées pour la possession simple de drogue. Pouvez-vous nous indiquer si c’est réellement le cas ou si des répercussions concrètes sont susceptibles d’être engendrées advenant l’adoption du projet de loi C-5? Par exemple, je crois comprendre que, dans ma province de Québec, les procureurs provinciaux s’occupent habituellement des accusations liées à la drogue. Ainsi, à l’heure actuelle, la ligne directrice fédérale de 2019 ne s’applique pas à la plupart des cas de possession de drogue dans la province.

Le deuxième aspect de cette question se rapporte davantage à l’incarcération. Nous travaillons au Parlement fédéral. Nous nous concentrons sur l’incarcération dans les établissements fédéraux. Nous sommes bien au courant de la surreprésentation des Autochtones et des Canadiens noirs dans les prisons fédérales. Une grande partie de la discussion au débat en deuxième lecture au Sénat portait sur les taux d’incarcération dans les établissements fédéraux, qui sont importants, et le ministre a soutenu que ce projet de loi aurait des répercussions positives à cet égard, ce que je pense également. Mais comme il y a plus de Canadiens dans les prisons provinciales que dans les prisons fédérales, quelle sera l’incidence du projet de loi C-5 sur les personnes qui seraient autrement condamnées à des peines minimales obligatoires d’emprisonnement dans un établissement provincial? Merci.

Matthew Taylor, avocat général et directeur, ministère de la Justice Canada : Je vais répondre à la première question et laisser ensuite mon collègue, M. Di Manno, répondre à la deuxième.

Vous avez raison. Au Québec et au Nouveau-Brunswick, les procureurs provinciaux s’occupent effectivement des poursuites concernant les drogues. Il y aura donc un effet lorsque ces poursuites s’appuient sur des enquêtes menées par des corps de police autres que la GRC, c’est-à-dire la police municipale à Montréal, la Sûreté du Québec; au Nouveau-Brunswick, la police municipale. Il ne fait aucun doute que le projet de loi C-5 aura une incidence dans ces affaires. Vous avez aussi certainement raison à propos des lignes directrices fédérales appliquées par la directrice des poursuites pénales.

Andrew Di Manno, avocat, ministère de la Justice Canada : Pour ce qui est de votre deuxième question, les réformes prévues dans ce projet de loi en ce qui a trait aux peines d’emprisonnement avec sursis, pour lesquelles un juge doit d’abord conclure qu’une peine de moins de deux ans est convenable, auront de réelles répercussions puisque la suppression des peines minimales obligatoires, dans la première partie du projet de loi, permet davantage aux juges d’envisager des peines communautaires. Plutôt que d’envoyer les contrevenants en prison pour de plus petites périodes d’incarcération, ils pourront envisager dans un plus grand nombre de dossiers d’autres peines purgées dans la communauté. Les juges pourront donc imposer des sanctions sévères, mais aussi des conditions de réhabilitation qui tiennent compte des causes profondes de l’infraction.

Le sénateur Gold : Je sais que les données sont incomplètes, mais avons-nous les données sur la surreprésentation des Autochtones, des Noirs ainsi que d’autres personnes racisées et des communautés marginalisées dans les systèmes provinciaux? Je sais qu’il est parfois très difficile d’obtenir les données des provinces dans de nombreux domaines. Quelle est la situation dans ce cas-ci?

M. Di Manno : À l’échelle du pays, 89 % des causes avec condamnation comportant une infraction assujettie à une peine minimale obligatoire — ce qui comprend les infractions en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, les infractions liées aux armes à feu et les infractions sexuelles contre des mineurs — ont donné lieu à une peine d’emprisonnement, et parmi ces causes, 56 % se sont traduites par une peine de deux ans moins un jour purgée dans un établissement provincial ou territorial.

Me Taylor : Pour ce qui est de la collecte de données, la sénatrice Jaffer a raison. Les données désagrégées sont difficiles à obtenir, surtout dans les contextes provinciaux et territoriaux. Le ministre a parlé de l’initiative du ministère et du financement versé pour obtenir de meilleures données. C’est sans aucun doute un morceau du casse-tête.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’aurais aimé poser la question au ministre, mais j’étais limité dans le temps.

Je vais paraphraser, mais en gros, le ministre nous a dit dans son témoignage que les peines minimales ne sont pas efficaces. Dans une autre déclaration, il a dit que, pour les infractions d’agressions sexuelles, il ne faut pas s’inquiéter, car on ne supprime pas les peines minimales, ce qui laisse sous-entendre qu’elles sont efficaces pour ces infractions.

Avez-vous des études qui montrent que les peines minimales sont plus efficaces pour certains types d’infractions, comme les agressions sexuelles, alors qu’elles ne seraient pas efficaces en ce qui a trait aux armes, par exemple? Qu’est-ce qui vous permet de différencier l’efficacité des peines en fonction de certains types de crimes?

[Traduction]

M. Di Manno : Pour ce qui est de la première partie de la question, ce que la Cour suprême du Canada nous a permis d’apprendre dans les arrêts Nur et Lloyd, semble surtout laisser entendre que les peines minimales obligatoires posent problème sur le plan constitutionnel ou risquent de faire l’objet de contestations fondées sur la Charte lorsqu’elles sont appliquées à des infractions générales. Lorsque les infractions sont plus limitées dans la pratique, il y a moins de circonstances où le recours au minimum se traduira par une peine exagérément disproportionnée. Ce serait la première partie de ma réponse.

La deuxième partie est que les peines minimales obligatoires ont des répercussions négatives documentées sur le système de justice pénale. Elles rendent les procès plus longs, se traduisent par un nombre inférieur de plaidoyers de culpabilité et manquent généralement de justifications empiriques.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je comprends cela. S’il y a des cas où on ne veut pas que le procès soit long et qu’il y ait des répercussions sur les victimes, c’est bien pour les victimes d’agression sexuelle. On ne veut pas qu’il y ait de témoignages et on veut éviter qu’il y ait des dommages pour la victime.

Je repose ma question : avez-vous des études qui démontrent que les peines minimales sont plus efficaces pour certains types de crimes, par exemple les agressions sexuelles, par rapport aux crimes liés aux armes à feu?

[Traduction]

Me Taylor : Si je peux ajouter quelque chose aux propos de mon collègue, une partie de l’information à notre disposition montre que les peines minimales obligatoires sont très efficaces pour ce qui est de la dénonciation. Elles envoient un message très clair, à savoir que le législateur estime que la peine prévue est la peine qui convient dans ces dossiers. Il existe des données — et nous les avons fournies à la Chambre — sur l’efficacité des peines minimales obligatoires du point de vue de la dissuasion, et nous pouvons les remettre au comité.

Le sénateur Carignan : S’il vous plaît.

Me Taylor : Je sais également — mes collègues peuvent me corriger — que dans le contexte de la conduite avec facultés affaiblies, des données montrent que les peines obligatoires, de pair avec une solide campagne de sensibilisation, ont eu un bon effet dissuasif.

[Français]

Le sénateur Carignan : Donc, vous allez nous fournir ces informations, particulièrement pour ce qui est des crimes sexuels.

Le sénateur Boisvenu : Merci à nos témoins. Sur le plan de la violence conjugale, le projet de loi va bien davantage augmenter les condamnations avec sursis, le harcèlement criminel, les agressions sexuelles, l’enlèvement de personne, l’entrée par effraction et les voies de fait. Tous ces crimes sont intimement liés à la violence conjugale. Il y a une composante très forte sur le plan de la violence conjugale. On sait que 80 % des gens qui ont commis des agressions liées à la violence conjugale n’auront jamais d’accusation criminelle; ils écoperont plutôt d’un « 810 ». De plus, la majorité des hommes ne respectent pas toutes les conditions fixées par le juge, notamment celle de ne pas s’approcher de la victime.

Quand on regarde l’intention du législateur dans ce dossier, elle semble être de réduire les peines au minimum pour la défense en faisant appel à une peine avec sursis pour éviter le plus possible la prison à ces personnes. Est-ce que vous pouvez déposer devant le comité les consultations que vous avez faites auprès des groupes de victimes et des fédérations de femmes violentées? J’aimerais voir ces consultations pour savoir si les personnes consultées étaient unanimes au sujet de ce projet de loi.

Me Matthias Villetorte, avocat-conseil et chef d’équipe, ministère de la Justice Canada : Merci pour la question. On peut essayer de donner une description de ce qui a été fait du point de vue des consultations, mais j’aimerais ajouter quelque chose. Lorsqu’on parle d’emprisonnement avec sursis, cela ne veut pas nécessairement dire qu’une telle peine sera imposée. Il y a des critères qui seront évalués. Comme vous le savez, pour une peine d’emprisonnement de moins de deux ans, il faut que tout soit aligné avec les principes de la détermination de la peine. Sur ce plan, je note qu’il y a bien des principes de la détermination de la peine qui sont pris en compte et qui s’adressent justement aux cas de violence conjugale.

Il y a notamment une directive demandant à la cour de donner préséance aux objectifs de la détermination de la peine, de la dénonciation et de la dissuasion, mais également de les traiter comme des facteurs aggravants. Donc, tout ceci va faire partie du processus de la détermination de la peine, quand on doit juger si de telles peines sont proportionnelles ou non dans une situation donnée. Je dirais que l’emprisonnement avec sursis, si telle est la conclusion de la cour, est accompagné de conditions. Ces conditions peuvent être notamment de ne pas entrer en contact avec la victime.

Le sénateur Boisvenu : Je comprends bien, mais mon idée est qu’on tire encore la sévérité du Code criminel vers le bas en présentant ces mesures. Tout le monde est d’accord avec cela, et c’est ce que les défenseurs des criminels font le plus habilement possible. On sait qu’il n’existe pas d’harmonisation des sentences dans tous les palais de justice. Le juge a une certaine subjectivité lorsqu’il applique une sentence. On parle de ses valeurs, du contexte, et cetera.

Ce qui risque de se produire, c’est que, pour le même crime commis, certains auront une sentence et d’autres seront renvoyés chez eux. C’est cela qui discrédite la justice quand on élimine les sentences minimales. Pour les mêmes crimes commis, il y aura des juges qui vont traiter les cas différemment... C’est cela qui discrédite la justice du point de vue des victimes. Pour les sentences minimales, il y a un fond. On sait que si une femme est agressée sexuellement, le gars va écoper d’un an de prison. Dans certains cas, il y aura des gens qui ne seront pas envoyés en prison et dans d’autres, oui. C’est ce qui discrédite la justice.

N’y aurait-il pas eu lieu de distinguer les crimes économiques par rapport aux crimes contre la personne? Pourrait-on, dans un premier temps, toucher aux crimes économiques et ne pas toucher aux crimes contre la personne?

[Traduction]

M. Di Manno : Nous avons des données probantes, y compris une partie de la jurisprudence, qui montrent que les restrictions actuelles visant les peines d’emprisonnement avec sursis ont des répercussions négatives sur les Autochtones, les personnes noires et les membres des communautés marginalisées. Les restrictions actuellement en vigueur étiquettent les infractions, et elles empêchent le juge d’imposer une ordonnance de sursis en fonction de la peine maximale, ce qui est souvent le pire scénario possible.

Ce projet de loi vise à promouvoir des politiques en matière de détermination de la peine qui donnent un résultat plus juste, qui rétablissent le pouvoir discrétionnaire des juges et qui ne leur permettent pas de l’envisager dans les affaires plus graves ou dans les affaires où ils concluent d’abord qu’une peine de moins de deux ans est convenable, après avoir tenu compte des objectifs et des principes de détermination de la peine — comme l’a dit mon collègue, la dénonciation et la dissuasion prédominent pour les infractions dont vous avez parlé —, et après s’être assuré du maintien de la sécurité publique. L’une des raisons pour lesquelles ces peines sont particulièrement efficaces, c’est parce qu’elles mettent également l’accent sur la réhabilitation, pas seulement sur la sanction.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : C’est ce qu’ils ont pensé pour le criminel qui a été remis en liberté. Il a tué 12 personnes.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Pour faire suite à ce que le ministre a dit au sénateur Cotter, je vais revenir à l’arrêt Lloyd. La Cour suprême, majoritairement et sous la plume de la juge en chef de l’époque, Beverley McLachlin, a dit :

[…] la peine minimale obligatoire qui s’applique à l’égard d’une infraction susceptible d’être perpétrée de diverses manières, dans maintes circonstances différentes et par une grande variété de personnes se révèle vulnérable sur le plan constitutionnel. […] Si le législateur tient à l’application de peines minimales obligatoires à des infractions qui ratissent large, il lui faut envisager de réduire leur champ d’application de manière qu’elles ne visent que les délinquants qui méritent de se les voir infliger.

Elle dit ensuite qu’une autre solution serait pour le législateur de créer un mécanisme qui permettrait aux juges d’exempter les personnes pour qui la peine minimale obligatoire équivaudrait à une peine cruelle et inusitée. Le ministère a publié en 2005 un document intéressant sur cette possibilité, qui en est une parmi d’autres, et il parle de ce qui s’est fait dans beaucoup d’autres administrations.

Pourquoi le ministère a-t-il choisi la première option qui consiste à avoir un filet plus étroit plutôt qu’un filet trop large, ce qui lui permet d’éviter les contestations plutôt que de recourir au pouvoir discrétionnaire des juges? Est-ce parce que, au bout du compte, c’est une approche plus efficace? Le recours au pouvoir discrétionnaire des juges signifie qu’il y aura des appels, peut-être même devant la Cour suprême dans certains cas. Cela signifie également qu’il faut un système judiciaire sans préjugés et sans discrimination systémique, car si on fait confiance au juge, mais qu’il a des préjugés, peut-être même sans le savoir, certaines personnes pourraient profiter davantage du pouvoir discrétionnaire que d’autres. Est-ce que cela fait partie des raisons pour lesquelles on a choisi la première option plutôt que la deuxième?

M. Di Manno : J’aimerais préciser une chose : la décision finale concernant le choix stratégique fait dans ce projet de loi relève du gouvernement et du législateur.

À propos de la décision dans l’arrêt Lloyd, le tribunal a dit qu’il y avait deux façons de s’attaquer au problème constitutionnel que présentent les peines minimales obligatoires. On pouvait soit réserver les peines minimales obligatoires à des infractions bien délimitées, soit totalement les éliminer.

Quand nous regardons les tendances négatives dans le système de justice pénale, nous constatons que les longs procès en font partie. Le fait que les membres de ces communautés marginalisées et les Autochtones doivent assumer le coût des appels en est une autre. Pour ce qui est des articles sur le pouvoir discrétionnaire résiduel, ce n’est pas une formule magique. Il y a des choses à considérer. Par exemple, quel serait le seuil utilisé pour écarter la peine minimale obligatoire? Ces questions, alors qu’elles progressent dans le système judiciaire, demandent du temps et de l’argent.

Le choix stratégique fait par le gouvernement dans ce projet de loi afin de ne plus y avoir recours pour ces infractions, qui, nous le savons, ont des répercussions disproportionnellement négatives pour les Autochtones, les personnes noires et les membres de communautés marginalisées, élimine le risque de litige.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, messieurs. J’ai deux questions distinctes.

Monsieur Di Manno, dans votre réponse au sénateur Carignan, vous venez tout juste de dire que les peines minimales obligatoires font en sorte qu’il y a moins de plaidoyers de culpabilité. Quand j’étais journaliste, j’ai observé, en préparant mes articles, que les gens optent souvent pour un plaidoyer de culpabilité par crainte d’une peine minimale obligatoire. Ils acceptent une entente de plaidoyer pour une infraction incluse et moins grave. Avez-vous des chiffres pour prouver votre théorie ou la mienne? Y a-t-il des données pour appuyer l’une des deux?

M. Di Manno : Ce que vous décrivez est vrai. Lorsque les procureurs doivent imposer une peine minimale obligatoire, mais qu’ils voient que les circonstances ne la justifient pas, ils proposent parfois des ententes de plaidoyer pour d’autres infractions afin d’éviter la peine minimale. Il est vrai qu’il arrive parfois que des gens acceptent une entente de plaidoyer pour une infraction moindre et incluse.

Cela dit, je parlais des tendances que nous observons, des tendances négatives dans le système de justice pénale. Nous avons des fiches de renseignements — et nous pouvons vous les remettre — qui montrent que le recours accru aux peines minimales obligatoires a eu trois tendances négatives globales pour le système de justice pénale. Les procès sont plus longs et plus complexes, et il y a plus de contestations fondées sur la Charte et moins de plaidoyers de culpabilité dans certains cas. Lorsqu’on fait face à une peine minimale obligatoire, on est incité à se battre. Cela signifie que les victimes doivent souvent témoigner plus souvent, ce qui contribue à leur revictimisation.

La sénatrice Simons : J’étais préoccupée davantage par les gens qui peuvent avoir une ligne de défense légitime, mais qui décident de ne pas courir le risque que l’affaire fasse l’objet d’un procès par crainte de conséquences potentielles.

J’ai une deuxième question. Pour beaucoup de personnes qui s’opposent à l’élimination des peines minimales obligatoires, et je pense surtout à des femmes dans le discours féministe, ce qui est préoccupant, c’est que tout le monde se souvient d’un procès dans lequel le juge a infligé une peine extraordinairement clémente à un délinquant sexuel, qui s’en était pris à une femme ou à un enfant. Tout en gardant à l’esprit le travail que nous avons fait au cours des dernières années pour le projet de loi initialement présenté à la Chambre des communes par Rona Ambrose, je me demande si vous pensez qu’il existe des stratégies de formation des juges qui permettraient à la population de leur faire plus confiance au moment d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, s’ils l’obtiennent. Je le dis avec tout le respect que je dois au sénateur Dalphond, mais ce ne sont pas tous les juges qui se sont bien servi de la latitude à leur disposition.

Me Taylor : C’est une question complexe qui présente plusieurs volets, et je vais essayer d’y répondre.

Je pense que vous avez raison, et je crois que le sénateur Boisvenu a bien expliqué que lorsque la population voit dans des affaires graves des peines qui ne tiennent peut-être pas compte de la gravité de la situation, la confiance dans le système en souffre. C’est bien documenté dans d’autres domaines de la détermination de la peine et dans la réforme du droit qui a eu lieu au cours des 20 dernières années, grâce à laquelle des restrictions ont été mises en place pour réagir à cette préoccupation légitime de la population. C’est un point relevé à juste titre.

J’ai certaines choses à dire pour répondre à la deuxième partie de votre question. Tout d’abord, comme le ministre l’a dit, il est toujours possible d’en appeler d’une peine inappropriée, injuste ou disproportionnée. Bien entendu, à l’échelle fédérale, nous ne sommes pas responsables de ces dossiers. Ce sont plutôt les procureurs provinciaux chargés de l’administration de la justice qui s’en occupent. C’est une mesure de protection importante dans un système qui repose sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à tous les niveaux : les policiers, les procureurs et les juges.

Mon dernier point se rapporte à ce que vous avez dit à propos du pouvoir judiciaire. La formation est extrêmement importante. Je pense que le gouvernement a fait preuve d’un soutien assez constant à cet égard, y compris par rapport à la nouvelle mesure législative dont la Chambre est actuellement saisie concernant la violence entre partenaires intimes.

Ce n’est probablement pas une réponse complète, mais j’espère que cela répond en partie à votre question.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

La présidente : J’ai une question complémentaire. Vous ne gardez manifestement pas les données, mais savez-vous si les juges en chef et les juges de la Cour suprême ont des données sur les juges qui suivent la formation? C’est l’autre chose à retenir. Les personnes converties vont suivre la formation, alors que les autres le feront à contrecœur. Avez-vous des données là-dessus?

Me Taylor : Je n’ai pas la réponse à la question, sénatrice Jaffer. Nous pouvons certainement nous pencher là-dessus. Je peux juste vous dire ce que vous savez déjà, à savoir que le pouvoir judiciaire est indépendant et responsable de son propre perfectionnement. Mais nous allons certainement nous pencher là-dessus, et nous vous transmettrons l’information si possible.

La présidente : Merci, monsieur Taylor.

La sénatrice Batters : Je voulais initialement poser une question au ministre, mais nous n’avons pas eu le temps de faire un deuxième tour. Je voulais ensuite la poser à votre groupe, au sous-ministre, mais il est également parti. Je l’avais notée, mais je ne sais pas pourquoi il n’est pas parmi nous. Je ne sais pas lequel d’entre vous est responsable du dossier ni qui peut répondre à la question, et je ne sais pas ce qui explique la situation. Quoi qu’il en soit, plus tôt, le ministre...

La présidente : Sénatrice Batters, pour être justes envers le ministre, nous savions qu’il allait comparaître pendant une heure. Il n’est pas parti sans prévenir. Nous savions qu’il allait comparaître une heure et que ses collaborateurs allaient rester après. Il ne serait pas convenable que le compte rendu laisse entendre qu’il est tout bonnement parti. Nous lui avons demandé de témoigner pendant une heure.

La sénatrice Batters : Oui. Il a dit qu’il était ici pour une heure. Je ne savais pas que le sous-ministre allait partir. C’est inhabituel.

La présidente : C’est une bonne observation, mais nous avons demandé au ministre de comparaître seulement pendant une heure.

La sénatrice Batters : D’accord. Je voulais poser ma question au sous-ministre.

La présidente : Il n’est pas approprié que le sous-ministre ne soit pas présent. Pouvez-vous lui faire savoir qu’à l’avenir il doit être présent? Nous nous attendons à ce qu’il le soit. Merci.

Me Taylor : Oui, bien sûr. Je pense qu’il y a eu un malentendu. Je suis certain que s’il avait su, il serait resté.

La présidente : C’est ce que font tous les sous-ministres.

Me Taylor : Nous allons lui transmettre le message.

La sénatrice Batters : Le ministre a parlé plus tôt de l’arrêt Jordan, selon lequel les accusations criminelles potentiellement graves portées contre des délinquants criminels peuvent être abandonnées s’il s’écoule trop de temps avant la tenue d’un procès. Cela m’a amenée à vérifier combien il y a de postes de juge vacants au sein du système fédéral. J’ai constaté qu’il y a actuellement 91 postes vacants. Ce nombre est de loin le plus élevé depuis l’entrée en fonction du ministre de la Justice. Il s’agit là d’une responsabilité qui relève entièrement du gouvernement fédéral, à savoir qu’il appartient au Cabinet de nommer les juges, et c’est un élément qui peut contribuer à accroître considérablement les retards judiciaires. Pourquoi ce chiffre est-il si élevé?

Me Taylor : Je ne crois pas que je peux répondre à cette question. Je sais que le ministre Lametti a laissé entendre qu’il travaille à nommer des juges. Je ne suis pas en mesure de vous expliquer pourquoi il y a des retards ni vous dire à quel rythme progressent les choses, mais en ce qui a trait à d’autres questions, nous pouvons essayer de vous fournir davantage d’information.

La sénatrice Batters : Merci. La dernière fois que j’ai interrogé le ministre Lametti en comité au sujet des postes de juge vacants, il a donné comme excuse le fait qu’il y a eu des élections fédérales au cours de l’été précédent et qu’il n’avait pas été en mesure de procéder à des nominations durant cette période. Toutefois, il n’y a pas eu d’élections fédérales cet été, alors il ne peut pas invoquer cette raison. J’aimerais bien, en effet, obtenir davantage d’information à ce sujet et je voudrais bien qu’on commence à faire des nominations.

Ma prochaine question porte sur une chose à laquelle le sénateur Gold, le parrain du projet de loi, a fait allusion dans un discours qu’il a prononcé au Sénat le lundi 20 juin à l’étape de la deuxième lecture, à savoir une peine minimale obligatoire d’un an pour une arme prohibée, qui, d’après lui, inclut le gaz poivré. Je l’ai interrogé à ce sujet, car je savais qu’il serait très rare qu’une peine minimale obligatoire soit imposée au Canada pour du gaz poivré. J’ai dit qu’il était très peu probable que cela se produise.

… au cours des cinq dernières années au Canada, combien de condamnations au criminel relatives au gaz poivré y a-t-il eu où l’accusé a reçu une peine minimale obligatoire d’un an? Je dirais que ce nombre tourne autour de zéro.

Le sénateur Gold a répondu qu’il ne le savait pas et il a dit :

… il vaut mieux poser ce type de questions directement aux fonctionnaires qui ont cette information — même si vous pouvez me la poser, c’est de bonne guerre.

Quelle est la réponse? Je l’attends depuis plusieurs mois.

Me Taylor : Nous sommes, en effet, les fonctionnaires. Pendant que je patine un peu, je vais laisser mon collègue fouiller pour trouver la réponse. Je dirais que la peine minimale obligatoire d’un an dont vous parlez s’applique, bien entendu, à bien d’autres choses que les substances caustiques.

La sénatrice Batters : Bien sûr, mais le sénateur Gold a précisément fait allusion au gaz poivré, alors c’est pourquoi je pose la question.

Me Taylor : Si vous nous donnez une minute, nous allons trouver la réponse. Nous allons vous la fournir. Merci.

La sénatrice Batters : Le ministre Lametti a parlé de la nécessité de considérer la toxicomanie comme un problème de santé plutôt qu’un problème de justice. Je conviens que les Canadiens aux prises avec une dépendance devraient avoir accès à un traitement et ne pas seulement être incarcérés, mais ce projet de loi ne touche aucunement à cette question. Les peines minimales obligatoires que cette mesure législative vise à supprimer ciblent seulement les grands criminels qui s’en prennent aux personnes souffrant d’une dépendance. Le Comité de la justice de la Chambre a entendu le témoignage du chef du service de police des Six Nations, Darren Montour. Il a mentionné au comité qu’on a observé une hausse marquée des crimes violents au cours des dernières années, principalement attribuable à la prolifération des drogues illicites au sein de la collectivité. Il a dit ceci :

Ce sont des étrangers qui fournissent les drogues. En conséquence, les membres de la communauté deviennent dépendants, ce qui entraîne une augmentation des crimes violents.

Il a ajouté ceci :

Sans égard pour les considérations raciales ou ethniques, il faut mettre en place un mécanisme de dissuasion pour faire comprendre aux délinquants que la violence dans notre communauté et envers les autres doit cesser avant qu’il n’y ait une autre perte de vie.

J’allais poser ma question au sous-ministre, mais je vais l’adresser à vous. Croyez-vous que ce projet de loi fait preuve d’indulgence uniquement envers ceux qui s’en prennent aux personnes dépendantes, comme celles dont le chef Montour a parlé, et qui profitent de leur situation? Si vous n’êtes pas de cet avis, alors pouvez-vous me dire quelle disposition dans cette mesure législative permet d’améliorer l’accès au traitement?

M. Di Manno : Les réformes proposées dans ce projet de loi visent notamment à traiter la possession simple de drogues comme un problème de santé et de société. Nous savons que les membres de communautés racisées ne font pas davantage usage de drogues que les membres de communautés non racisées, mais les policiers ont tendance à les surveiller davantage et à porter davantage d’accusations contre eux à cet égard. Le projet de loi vise à les faire sortir du système de justice pénale dès le premier contact.

Comment cette mesure législative y parvient-elle? Pour la première fois, elle édicte une déclaration de principes dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances que tous les policiers au Canada doivent appliquer lorsqu’ils doivent prendre une décision au sujet d’une personne qui subit ou a subi les méfaits de la toxicomanie. Ils ont la possibilité de ne rien faire. Ils peuvent décider de donner un avertissement ou ils peuvent orienter la personne vers un traitement lorsque c’est approprié. Nous savons que les données indiquent que l’une des causes de la crise des opioïdes est la stigmatisation, alors il faut que nous essayions de sortir du système de justice pénale dès le premier contact les personnes qui ont besoin d’aide.

Le projet de loi abroge également toutes les peines minimales obligatoires prévues dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Ce changement en soi permettra aux juges d’ordonner davantage de peines d’emprisonnement avec sursis, ce qui fera en sorte que la peine comportera des conditions de réadaptation.

Toutes ces mesures n’éliminent pas l’obligation fondamentale d’un tribunal d’imposer une peine sévère lorsqu’un trafic de drogues ou une infraction liée aux drogues soulève des préoccupations en matière de sécurité publique.

Je dirais aussi, en dernier lieu, que les procureurs de la Couronne et les policiers, grâce aux principes énoncés dans le projet de loi, seront encore en mesure de porter des accusations pour la possession simple de drogues lorsqu’ils en viennent à la conclusion que la sécurité publique est en jeu.

La sénatrice Batters : Bien sûr, des tribunaux de traitement de la toxicomanie existent, et les policiers et les procureurs disposent d’un pouvoir discrétionnaire, de sorte que, si une infraction ou une peine n’est pas appropriée, ils ont déjà la possibilité de prendre d’autres mesures en vue d’aider la personne plutôt que de porter des accusations contre elle ou de lui imposer une peine.

M. Di Manno : Permettez-moi de répondre. Vous avez mentionné les tribunaux de traitement de la toxicomanie. Il est fait mention de ces tribunaux dans la lettre de mandat du ministre de la Justice et ils constituent un outil utile au sein du système de justice pénale, car nous devons tenir compte de l’étape à laquelle nous en sommes au sein du système.

Les mesures prévues dans le projet de loi C-5 qui concernent la Loi réglementant certaines drogues et autres substances sont souvent prises lors du premier contact avec le système, et nous savons que le parcours d’une personne dans le système de justice pénale a une incidence sur le taux de récidive. Plus une personne a de contacts avec le système de justice pénale lorsqu’elle commet des infractions non violentes qui nécessitent davantage le recours à un traitement plutôt qu’à une sentence, plus elle a tendance à récidiver. Les tribunaux de traitement de la toxicomanie contribuent à fournir des voies de sortie à toutes les étapes du système de justice pénale.

La présidente : Sénatrice Batters, vous n’avez pas eu l’occasion de poser une question au sous-ministre, mais si vous envoyez votre question au greffier, il la transmettra pour que vous obteniez une réponse.

La sénatrice Pate : Je vous remercie tous.

J’ai reçu le rapport de 2017 de Statistique Canada auquel le ministre a fait référence. Comme vous le savez probablement, j’ai demandé les données du ministère à plusieurs reprises et j’ai constaté qu’elles ne soutiennent pas l’affirmation selon laquelle le projet de loi contribuera à diminuer considérablement le nombre de détenus autochtones et noirs dans notre système carcéral fédéral. Il pourrait parvenir à réduire ce nombre dans les pénitenciers provinciaux, mais cet objectif ne sera pas atteint dans les établissements fédéraux.

En outre, vous avez affirmé plus tôt que des données indiquent que les peines minimales obligatoires pour la conduite en état d’ébriété sont efficaces. J’aimerais voir ces données, car toutes les données que j’ai examinées démontrent que ce sont la sensibilisation du public et les contrôles routiers, qui permettent aux policiers de stopper tous les conducteurs, qui ont permis d’améliorer les choses. En fait, cela a permis d’exempter de la peine minimale obligatoire les personnes qui pouvaient négocier avec la Couronne en vue d’obtenir un traitement, ce qui, bien entendu, a favorisé certaines personnes qui disposaient des ressources nécessaires.

Vous savez aussi qu’en 2017, au même moment où ces statistiques ont été publiées, 90 % des Canadiens ont demandé à ce que les juges disposent du pouvoir discrétionnaire — le pouvoir discrétionnaire structuré dont le ministre a parlé — de ne pas imposer une peine minimale obligatoire. Vous êtes également sûrement au courant des données récentes indiquant que la moitié des femmes qui purgent une peine dans un établissement fédéral sont autochtones et qu’elles comptent pour près de la moitié des détenues qui purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité.

Des discussions avec des procureurs de la Couronne — j’aimerais savoir de quelles données vous disposez à ce sujet — nous ont appris que, en ce qui a trait à la question que la sénatrice Simons a soulevée concernant les infractions pour lesquelles une peine minimale obligatoire existe, la juge Ratushny a affirmé que, lorsque les procureurs acceptent un plaidoyer, le procès doit avoir lieu, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un meurtre ou d’un homicide involontaire, conformément au plaidoyer accepté, un plaidoyer de culpabilité avec une sentence établie.

Certains d’entre nous ont discuté avec des procureurs et des avocats de la défense, et d’après les données dont nous disposons, nous savons que, dans la plupart des cas où la défense avise qu’il y aura une contestation fondée sur la Charte, la Couronne retire la peine minimale obligatoire et remplace l’accusation par une autre. Avez-vous des données à ce sujet et pouvez-vous les transmettre au comité?

Deuxièmement, selon vous, quelle sera l’incidence du projet de loi sur les femmes autochtones en particulier, compte tenu de la place qu’elles occupent dans les établissements, de la durée de leur peine et de l’information que je viens de vous donner? J’aimerais savoir également si vous êtes en désaccord avec certaines des données que j’ai mentionnées. Merci.

Me Taylor : Je vous remercie, sénatrice Pate.

Je vais dire tout d’abord que nous allons vous transmettre les recherches auxquelles vous avez fait référence. Elles se trouvent sur le site Web de Justice Canada. Le ministère a publié en mai dernier un Précis des faits sur les conséquences des peines minimales obligatoires sur les Autochtones ainsi que sur les Noirs et d’autres groupes racisés. Nous allons certes vous le transmettre. Il y a eu en effet une version précédente publiée en 2017, mais nous en avons une plus récente. M. Di Manno a parlé d’une autre étude portant sur les répercussions des peines minimales obligatoires sur le système de justice. Nous allons également vous la fournir. Sénatrice Pate, vous avez aussi fait référence au Sondage national sur la justice, et il y a deux autres recherches — l’une sur les peines avec sursis et l’autre sur les peines minimales obligatoires. Nous allons vous transmettre tout cela.

Je crois que vous essayiez de faire valoir que M. Di Manno et la sénatrice Simons ont tous les deux raison. C’est mon impression. Je pense que les données dont nous disposons traduisent le fait que, dans le cas des infractions assorties d’une peine minimale obligatoire, les accusés n’ont pas tendance à plaider coupables, car s’ils le font, ils seront assujettis à la peine minimale obligatoire. Je ne pense pas que nous avons des données — mes collègues peuvent me corriger si j’ai tort — sur les cas dont vous avez parlé où un procureur de la Couronne remplace une accusation assujettie à une peine minimale obligatoire par une autre qui ne l’est pas. Quelque chose me dit que ce ne sont pas des données que nous serions en mesure de recueillir. Peut-être que vous devriez poser cette question à des représentants de Statistique Canada ou du Centre canadien de la statistique juridique.

J’espère que j’ai répondu à votre question.

La sénatrice Pate : En ce qui concerne la peine minimale obligatoire pour meurtre, combien de femmes autochtones… Je suis au courant, par exemple, d’un cas très récent au Nunavut où, jusqu’au moment de la présentation des observations finales, la Couronne exhortait encore l’avocat à encourager sa cliente à accepter un plaidoyer de culpabilité pour homicide involontaire en échange d’une autre peine. La femme a été acquittée, et comme le juge Ratushny l’a souligné, à l’instar de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et notre propre recherche, cette situation est très pertinente pour les discussions que nous avons aujourd’hui.

Me Taylor : Je ne peux certes pas entrer dans les détails de ce cas, mais ce que je peux dire — même si je suis certain que ce ne sera pas une réponse complète ou satisfaisante pour vous — c’est que la jurisprudence de la Cour suprême et l’examen du pouvoir discrétionnaire de la Couronne et des abus de procédure nous montrent que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Couronne peut constituer un procédé abusif. Bien sûr, cela soulève le spectre que la personne concernée doive alléguer le fait et le prouver.

M. Di Manno : Vous avez également demandé dans quelle mesure le projet de loi C-5 contribuera à réduire de façon considérable le nombre de femmes autochtones incarcérées dans des établissements fédéraux. Tout d’abord, il est difficile de prévoir ce qui se passera à la suite du rétablissement du pouvoir discrétionnaire des juges. Le projet de loi vise à rétablir le pouvoir discrétionnaire des juges d’imposer une peine appropriée et proportionnelle à la gravité de l’infraction dans tous les cas. Les crimes et les infractions graves continueront d’engendrer des peines sévères.

Les données indiquent que les deux tiers des femmes autochtones purgent une peine pour une infraction violente, qu’il s’agisse d’un homicide, de voies de fait graves ou d’un vol. Le projet de loi C-5 permettra de s’attaquer à la surreprésentation des femmes autochtones dans le milieu carcéral en abrogeant toutes les peines minimales obligatoires prévues dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Par exemple, le rapport annuel Aperçu statistique du système correctionnel et la mise en liberté sous condition de 2020 souligne qu’une détenue autochtone sur cinq, soit 20 %, purge une peine pour une infraction grave liée aux drogues ou pour complot en vue de commettre une telle infraction.

La sénatrice Pate : Je suis désolée de vous interrompre, mais pouvez-vous me dire pour combien de ces femmes il s’agit de la seule infraction qu’elles ont commise? Le rapport de recherche que nous avons obtenu du ministère indique qu’il arrive très souvent qu’une autre peine minimale obligatoire soit imposée, particulièrement aux femmes autochtones. Il faut ajouter à cela la recherche effectuée depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, car cette loi, qui constitue un merveilleux pas dans la bonne direction, a paradoxalement fait en sorte que les adolescents incarcérés sont des adolescentes autochtones dans 98 à 100 % des cas en Saskatchewan, au Manitoba et dans le Nord. C’est le genre de données que j’aimerais le plus que vous nous fournissiez.

M. Di Manno : Nous pouvons certes nous employer à trouver ces données pour vous.

Le deuxième point que j’allais faire valoir en ce qui concerne les données — car vous avez demandé quelles données sont disponibles, mais les données ne sont pas parfaites — c’est que le projet de loi C-5 supprime également la peine minimale obligatoire de quatre ans pour vol à main armée. Le même rapport que j’ai cité plus tôt indique que 17 % de l’ensemble des femmes autochtones incarcérées purgent actuellement une peine pour vol. Dans certains cas, des femmes autochtones conduisaient le véhicule utilisé pour prendre la fuite. En raison des règles en matière de responsabilité, elles sont incarcérées pour cette raison.

Le troisième point que je ferai valoir est l’élimination des restrictions concernant les ordonnances de sursis. En empêcher l’imposition dans le cas des infractions poursuivies par mise en accusation dont la peine d’emprisonnement maximal est de 14 ans ou à perpétuité pourrait avoir des répercussions positives, compte tenu du fait que 12 % des femmes incarcérées dans des établissements fédéraux purgent une peine pour voies de fait graves, et que 29 % purgent une peine pour homicide.

Je tiens à souligner qu’une infraction d’homicide involontaire commise avec une arme à feu est assortie d’une peine minimale obligatoire, mais si l’infraction a été commise sans arme à feu, il s’agit d’une infraction punissable de l’emprisonnement à perpétuité. L’élimination des restrictions peut avoir un effet positif, mais nous ignorons dans quelle mesure.

La sénatrice Pate : Je ne saurais trop vous conseiller de jeter un coup d’œil sur l’étude concernant l’autodéfense qui indique en fait — à l’instar de la plus grande partie des recherches menées par des gens comme Mme Comack — que la plupart de ces femmes n’ont d’autre choix que d’utiliser une arme à feu.

Le sénateur Cotter : En plus de faire savoir au sous-ministre que nous avons été déçus de le voir nous quitter, vous pourrez lui dire que vous vous débrouillez fort bien pour répondre aux questions que nous aurions voulu lui poser.

On a parlé des peines minimales obligatoires pour des infractions graves, mais ma question se situe tout à fait à l’autre extrémité du spectre. Je voudrais que nous discutions des stratégies visant notamment la déjudiciarisation dans le contexte de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Je veux en fait traiter des dispositions du projet de loi C-5 à ce sujet, mais dans un angle bien particulier. Les individus qui sont accusés d’une infraction liée aux stupéfiants, comme de toute autre infraction d’ailleurs, en subissent des conséquences négatives considérables, et ce, même si ces accusations sont retirées par la suite. C’est ce qu’on peut lire dans bon nombre de vos propres rapports. C’est le premier élément. Par ailleurs, le sénateur Gold, qui est toujours des nôtres, a dissipé une partie de mes préoccupations découlant de la disposition touchant les poursuites en indiquant que cela demeure un message utile à l’intention des procureurs provinciaux.

Mais ce n’est pas ce qui me préoccupe le plus. C’est plutôt le fait que le libellé touchant les accusations portées par les agents de la paix ne correspond pas aux critères que les procureurs doivent appliquer. Et cette différence est délibérée. En voici l’une des répercussions qui va tout à fait dans le sens des inquiétudes soulevées par la sénatrice Clement. En 2021, le Service des poursuites pénales du Canada a indiqué que 7 702 accusations pour possession simple ont été portées par les corps policiers. Les procureurs ont suspendu ou retiré 6 200 de ces accusations, soit pas moins de 81 %. Si vous vous demandez ce qui cause le goulot d’étranglement dans les tribunaux provinciaux, vous n’avez qu’à penser à ces 6 000 accusations qui cheminent dans le système avant d’être retirées par les procureurs. C’est une situation, il faut bien l’avouer, tout à fait inacceptable. J’irais encore plus loin. Les Autochtones et les personnes de race noire sont disproportionnellement ciblées par de telles accusations. Cela ressort très clairement des rapports concernant le Service de police de Toronto.

Voici ce qui est problématique. Les agents de police portent des accusations et les procureurs doivent ensuite faire le nécessaire. Votre loi fait en sorte que les policiers peuvent s’en laver les mains. On leur demande seulement de considérer les solutions de rechange, et ils ne s’exposent à aucune conséquence s’ils ne le font pas. J’aimerais que vous puissiez nous dire pourquoi l’obligation imposée aux procureurs, une exigence stricte qui a tout à fait sa raison d’être, ne s’applique pas aussi aux agents de la paix en vertu de cette loi.

M. Di Manno : D’après ce que j’ai pu comprendre, ces dispositions sont tirées de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents qui se sont révélées très efficaces dans ce contexte.

Je pense que le principe général continue de s’appliquer malgré la différence de libellé entre les exigences applicables aux policiers et aux procureurs. Suivant ce principe, les agents de la paix devront dorénavant exercer leur pouvoir discrétionnaire d’une manière conforme à la déclaration de principes qui figurera dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. S’ils n’exercent pas ce pouvoir discrétionnaire de la façon prescrite par le projet de loi, ce sont les procureurs qui devront en fin de compte, en vertu des pouvoirs discrétionnaires qui leur sont conférés, garder la situation sous contrôle en veillant à ce que les causes en question ne puissent pas aller de l’avant. Si les procureurs continuent de refuser systématiquement que des accusations soient portées, les agents de police vont adapter leur comportement en conséquence. Ils vont cesser de référer aux procureurs tous ces dossiers s’ils savent que ceux-ci n’autoriseront pas que des accusations soient portées.

Le sénateur Cotter : Dans les trois années de données que j’ai analysées — et j’ai cité les chiffres d’une seule de ces années —, il y a encore un nombre très élevé d’accusations portées par des agents de la paix qui ont été retirées par la suite. Cela ne semble avoir tempéré aucunement l’ardeur des policiers. De fait, ces données indiquent que, toutes proportions gardées, le nombre d’accusations retirées par la suite a augmenté, plutôt que de diminuer. Il me semble que si nous demandons à peu près la même chose aux agents de police et aux procureurs, nous devrions l’exprimer de la même manière. En fait, un amendement en ce sens pourrait contribuer à l’atteinte de votre objectif en permettant d’éviter que des accusations soient portées au départ. Merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question sera brève. Le ministre nous a dit que, pour ce qui est des 20 infractions choisies pour abolir les peines minimales obligatoires, il avait des informations non équivoques, mais incomplètes sur la surreprésentation des personnes noires et autochtones.

Cela dit, je m’intéresse aux agressions sexuelles. Je sais que, du côté des victimes d’agressions sexuelles, il y a certainement une surreprésentation des membres de minorités. Cependant, du côté des auteurs des infractions, y a-t-il, pour cette infraction particulière, une surreprésentation des membres de minorités, un peu comme pour les infractions pour lesquelles vous avez supprimé les peines minimales obligatoires? J’aimerais avoir des chiffres.

Me Taylor : Dans le document que j’ai consulté sur le site Just Facts, il y a quelques données qui expliquent l’application des peines minimales obligatoires pour certains groupes.

[Traduction]

Je ne sais pas dans quelle mesure il est possible de cerner ou d’extraire des données précises. Les données portent sur les infractions de nature sexuelle punissables par la voie d’une peine minimale obligatoire, ce qui n’est pas le cas pour toutes les infractions de ce genre. Il est donc possible que les données actuellement en notre possession ne soient pas précises à ce point.

La sénatrice Miville-Dechêne : Qu’indiquent ces données? Nous apprennent-elles, par exemple, que les Autochtones sont surreprésentés?

Peut-être pourrions-nous faire un suivi à ce sujet. Je pose la question parce que j’aimerais bien savoir pourquoi certaines infractions ne sont pas maintenant visées par les peines minimales alors que d’autres échappent à ce seuil. Ce n’est pas une question de juriste, mais plutôt celle d’une ancienne journaliste. Est-ce simplement à cause de l’opinion publique? Est-ce seulement parce qu’il n’est pas acceptable — le gouvernement pense que cela ne serait pas acceptable — dans le cas de certaines infractions que l’on renonce carrément aux peines minimales étant donné le tollé que cela susciterait?

Me Taylor : Je pense que le ministre Lametti y a fait allusion dans ses observations aussi bien sur cette tribune que lors de sa comparution devant le comité de la Chambre en indiquant qu’il s’agit en quelque sorte d’une importante mesure tout à fait pragmatique s’inscrivant dans l’effort plus général de réforme de notre système de justice pénale. Je vais en rester là pour l’instant.

Selon les données que j’ai sous la main, pendant la période de 10 ans visée par cette étude, 3 090 délinquants ont été incarcérés dans un établissement fédéral à la suite d’une infraction sexuelle contre un mineur. Il ne fait aucun doute que la proportion de délinquants autochtones dans cette catégorie a augmenté. Nous pouvons vous fournir également ces chiffres.

Le sénateur Klyne : Le projet de loi C-5 est censé s’attaquer au racisme systémique et aux problèmes liés aux politiques de réduction des peines. Par ailleurs, l’un des motifs évoqués pour l’élimination des peines minimales obligatoires est le maintien de la sécurité publique. Comment cette première étape consistant à supprimer les peines minimales obligatoires pour certaines infractions et à permettre une utilisation accrue des ordonnances de sursis mènera-t-elle à une diminution substantielle de la surreprésentation des Autochtones et des personnes appartenant à une minorité raciale au sein de notre système de justice?

M. Di Manno : Le racisme systémique peut prendre de nombreuses formes. Il peut s’agir d’un agent de police qui exerce son pouvoir discrétionnaire de manière inappropriée. Il peut émaner d’une politique de détermination de la peine…

Le sénateur Klyne : Je pense que vous pouvez nous faire grâce des explications sur cet aspect que je saisis très bien. Ma question est plutôt la suivante. Comment cette première étape consistant à supprimer les peines minimales obligatoires et à encourager un recours accru aux ordonnances de sursis va-t-elle permettre de réduire la surreprésentation des Autochtones et des individus appartenant à une minorité raciale dans le système judiciaire?

M. Di Manno : Ce projet de loi a pour but de supprimer les peines minimales obligatoires, lesquelles affectent de façon disproportionnée les délinquants racisés et les membres des groupes marginalisés dans le processus de détermination de la peine. La première partie des réformes prévues dans ce projet de loi intervient donc à cette étape de la détermination de la peine. La seconde partie des réformes vise en fait à réduire la surutilisation de l’incarcération qui, comme nous le savons, favorise l’intégration à des gangs en plus de contribuer au récidivisme. La troisième partie du projet de loi est sans doute celle qui s’applique dès le premier point de contact quand on sait que les délinquants racisés sont davantage ciblés par les services policiers pour des cas de possession simple de stupéfiants. Nous savons en outre que les membres des minorités raciales ne consomment pas de substances contrôlées dans une proportion plus marquée que le reste de la population.

Le sénateur Klyne : Il s’agit donc de mesures qui sont moins axées sur le crime. D’autres délinquants vont poursuivre leurs activités sans être visés par ces dispositions.

M. Di Manno : Je ne suis pas en train de dire que cela va se poursuivre. Je fais simplement valoir que les réformes apportées dans ce projet de loi feront en sorte qu’au premier point de contact, on évitera les accusations pour possession simple tout en mettant en valeur des solutions à cette problématique dans une perspective de santé et de soutien social. L’effet va être cumulatif. Le système de justice pénale pourra ainsi mieux se concentrer sur les infractions les plus graves.

Pour ce qui est de la première partie du projet de loi, c’est vraiment le processus de détermination de la peine qui est touché. Le gouvernement souhaite ainsi modifier les politiques en la matière qui semblent, à première vue, traiter tout le monde sur le même pied, mais qui ont plutôt des incidences négatives disproportionnées pour certains.

M. Villetorte : Si vous me permettez de compléter la réponse de mon collègue — et nous allons transmettre le tout au comité —, je vous signale que nous avons les Précis des faits qui s’intéressent à ce qui se passe dans quatre ou cinq sphères de compétence. La conclusion est toujours la même. Plus il est possible de déjudiciariser les prévenus tôt dans le processus de justice pénale, plus le taux de récidive diminue. Les peines minimales obligatoires vont à l’encontre d’une telle déjudiciarisation. Il en va de même des restrictions quant aux condamnations avec sursis. En éliminant les peines minimales obligatoires tout en permettant le recours aux ordonnances de sursis quand les circonstances s’y prêtent, on fait en sorte qu’il est possible de moduler ces ordonnances en y adjoignant les conditions appropriées qui vont permettre d’éviter des démêlés ultérieurs avec la justice. Par conséquent, pour ce deuxième aspect dont vous parliez, nous constaterons sans doute une diminution à long terme. La réduction se manifestera probablement au départ pour les inculpés qui devraient être déjudiciarisés dès le début du processus.

La présidente : Merci à nos témoins. Vous avez répondu à nos questions avec beaucoup de patience et une grande ouverture d’esprit. Nous vous sommes vraiment reconnaissants pour toute l’aide que vous nous avez apportée. Nous espérons vous revoir bientôt. Merci énormément.

(La séance est levée.)

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