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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 22 septembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Soyez les bienvenus. Je m’appelle Mobina Jaffer, je suis sénatrice de la Colombie-Britannique et j’ai le plaisir de présider ce comité.

[Français]

Je voudrais prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : le sénateur Boisvenu, vice-président; la sénatrice Batters, le sénateur Campbell, la sénatrice Clement, le sénateur Cotter, le sénateur Dalphond, le sénateur Klyne, la sénatrice Miville-Dechêne, la sénatrice Pate, la sénatrice Simons et le sénateur White.

[Traduction]

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Comme les sénateurs et sénatrices le savent, nous avons entrepris cette étude hier en accueillant le ministre de la Justice.

Dans notre premier groupe de témoins d’aujourd’hui, nous sommes heureux d’accueillir par vidéoconférence Mme Emilie Coyle, directrice générale de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, ou ACSEF — une habituée de notre comité —, et Mme Nyki Kish, directrice de la promotion et de la défense des droits et du changement de système. Nous accueillons aussi, à titre personnel, Me Janani Shanmuganathan, associée chez Goddard & Shanmuganathan LLP, également par vidéoconférence. Bienvenue à vous trois. Nous vous sommes reconnaissants de bien vouloir comparaître de nouveau devant nous.

Nous allons commencer par Mme Emilie Coyle.

Emilie Coyle, directrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Merci beaucoup. Je suis très heureuse d’être ici avec vous et avec le comité aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissantes de nous avoir invitées à venir vous parler de cet important sujet.

Je partagerai mon temps de parole avec ma collègue Nyki Kish. J’aimerais mentionner que même si nous avons du personnel dans tout le pays, notre siège social est situé sur le territoire non cédé et non abandonné du peuple algonquin.

Plus tôt cette année, lorsque le projet de loi C-5 était à l’étude au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, notre association, de concert avec le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes et le Black Legal Action Centre, a présenté un mémoire à la Chambre des communes. Nous serions heureuses de vous le faire parvenir aussi, si vous ne l’avez pas encore vu. Dans ce mémoire, nous exposons en détail notre position sur cinq domaines d’intérêt du projet de loi C-5, dont vous êtes saisis.

Pour mettre les choses en contexte, nous croyons que ce n’est pas un secret pour vous, membres du comité, que le système de justice pénale du Canada est discriminatoire à l’endroit des membres de communautés marginalisées et, en ce qui nous concerne particulièrement, à l’endroit des femmes autochtones, des femmes noires et des personnes de diverses identités de genre.

Nous reconnaissons que le projet de loi C-5 nous rapproche de l’objectif de réduire le racisme structurel, la discrimination systémique et l’inégalité qui sévissent dans l’appareil judiciaire. Cependant — vous ne serez sans doute pas surpris de l’entendre —, nous croyons qu’il ne va pas assez loin, ni pour les populations qu’il va toucher, ni certainement pour les nombreux groupes criminalisés qu’il exclut complètement de sa portée.

Nous sommes ici aujourd’hui pour aider à le situer dans le contexte des coûts humains et sociaux découlant des crises qui affectent notre système juridique, qui comprend le système carcéral, et pour proposer les cinq changements qui, selon nous, permettront de réaliser pleinement l’objectif du projet de loi.

Pour que le projet de loi C-5 permette de s’attaquer de front à l’inégalité systémique dans l’appareil judiciaire, pour qu’il aide le gouvernement à reconnaître et à réaliser son engagement à la réconciliation et qu’il appuie ses efforts de longue date pour promouvoir l’égalité des sexes, nous recommandons au comité d’envisager les cinq solutions suivantes. Nous nous ferons un plaisir de les examiner plus en détail pendant la période de questions.

Premièrement, nous recommandons de supprimer toutes les peines minimales obligatoires ou, à tout le moins, de retirer celles qui ont été jugées inconstitutionnelles par les tribunaux. Deuxièmement, supprimer l’interdiction d’imposer des peines avec sursis pour les infractions passibles de peines minimales obligatoires. Troisièmement, donner suite à l’appel à l’action no 32 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, afin que les juges de première instance, avec motifs à l’appui, puissent déroger à l’imposition des peines minimales obligatoires et aux restrictions concernant le recours aux peines d’emprisonnement avec sursis. Je crois que le Sénat est saisi d’un projet de loi qui propose un libellé pour cet amendement. Quatrièmement, modifier l’alinéa 718.2e) du Code criminel de façon à ce que les juges chargés de déterminer la peine disposent des renseignements nécessaires pour imposer des peines appropriées aux accusés noirs. Enfin, décriminaliser entièrement la possession simple de drogue et radier les dossiers de ceux qui ont été condamnés pour cette raison auparavant.

Je vais maintenant céder la parole à ma collègue Nyki.

Nyki Kish, directrice de promotion et défense des droits et du changement de système, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Merci et bonjour.

À l’ACSEF, nous surveillons les conditions de détention dans les prisons réservées aux femmes dans tout le pays. C’est ainsi que nous voyons des êtres humains subir jour après jour les torts causés par un système de justice qui repose sur des peines minimales obligatoires. Des unités soumises à un dur régime de sécurité maximale sont bondées de femmes autochtones, de personnes de diverses identités de genre et de personnes bispirituelles, qui passent au moins 14 heures et demie par jour enfermées dans des cellules.

Nous voyons incarcérer des femmes noires et autochtones, ainsi que des personnes de diverses identités de genre, provenant de quartiers qui manquent de ressources, mais qui font l’objet d’une surveillance excessive. En fin de compte, ces personnes tombent dans les failles de multiples systèmes et finissent par être punies à tort par notre système judiciaire. Nous voyons en prison d’innombrables personnes ayant survécu à des sévices sexuels et physiques, ce qui dissipe la fausse dichotomie qui persiste au sujet des auteurs et des survivants de la violence.

Lorsqu’ils pensent au système de justice, les gens s’arrêtent souvent à la condamnation. Cependant, en travaillant avec les gens après leur condamnation, comme nous le faisons, nous constatons à quel point les peines minimales obligatoires vont à l’encontre des objectifs de réinsertion en empêchant les gens de mener la vie enrichissante qu’ils pourraient mener s’ils n’étaient pas gardés dans un milieu carcéral nocif qui ne répond absolument pas aux besoins sociaux élémentaires.

Nous avons un système qui transforme un endroit social marginal en un milieu à risque, puis qui punit en s’imaginant que l’augmentation des peines pour certains crimes dissuadera les gens de commettre ces crimes, ce qui, nous le savons, n’est pas vrai. Les peines minimales obligatoires ont pour effet souvent de criminaliser des gens de façon permanente, les privant à tout jamais de la capacité de mener une bonne vie et de contribuer de façon significative à leur collectivité et à la société.

Le message social implicite que nous transmettons au Canada, c’est que si vous êtes pauvre ou que vous n’avez pas la peau blanche, vous êtes indigne de réadaptation et vous ne méritez pas une deuxième chance.

De plus, ce projet de loi exclut les personnes qui purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité ou d’une durée indéterminée, ce qui représente une personne sur quatre dans les prisons fédérales. Ces peines sont imposées en très grande majorité à des personnes pauvres et racialisées, qui sont ainsi maintenues sous le joug des services correctionnels jusqu’à leur mort.

Nous ne devons pas oublier que de nombreux pays considèrent ces peines comme injustes. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-5 ne vise qu’à réduire l’inégalité systémique pour certaines personnes. Il est irresponsable de ne pas reconnaître l’ensemble des preuves qui exposent la multitude de façons dont les gens souffrent sous le régime des lois actuelles. Nous devons les modifier pour prévenir l’injustice, à défaut de le faire correctement la première fois.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant entendre Me Shanmuganathan.

Me Janani Shanmuganathan, associée, Goddard & Shanmuganathan LLP, à titre personnel : Bonjour et merci de m’avoir invitée à prendre la parole aujourd’hui.

Je suis avocate de la défense en droit pénal et j’ai représenté M. Nur à la Cour suprême du Canada, dans une cause où la Cour a invalidé une peine minimale obligatoire pour la première fois en 30 ans. C’était un moment charnière, à partir duquel une foule d’autres peines minimales obligatoires ont été annulées au cours des années dans tout le pays.

Je me présente devant le Sénat aujourd’hui avec l’avantage d’avoir contesté des peines minimales obligatoires devant les tribunaux et d’avoir entendu les histoires de mes clients qui ont dû composer avec les peines minimales que le projet de loi C-5 vise à abroger.

Lorsque j’ai témoigné devant la Chambre des communes, j’ai raconté l’histoire d’un de mes clients. J’aimerais la raconter à nouveau devant vous tous aujourd’hui, parce qu’il est important de se rappeler qu’il y a une vraie personne qui est touchée chaque fois qu’on impose une peine minimale obligatoire dans les salles d’audience à travers le pays.

Une de ces vraies personnes était mon client de 26 ans, sans casier judiciaire, qui est entré dans un dépanneur avec un fusil à plomb qu’il avait acheté chez Canadian Tire, l’a montré à un commis et a volé 100 $. Alcoolique à l’époque, il était complètement ivre lorsqu’il a commis cette infraction, et il a utilisé ces 100 $ pour s’acheter de la bière. Il s’est fait prendre en l’espace de quelques heures et a immédiatement avoué.

Entre son arrestation et sa condamnation, il a complètement redressé sa vie. Il s’est inscrit à l’université, il s’est fait une petite amie, il a fréquenté les Alcooliques anonymes et il est même devenu animateur. La dernière fois qu’il a bu de l’alcool, c’était le jour où il a commis l’infraction.

Ce client, cette vraie personne, a reçu une peine d’emprisonnement de 12 mois parce que c’était la peine minimale obligatoire. Personne dans la salle d’audience, ni les avocats, ni le juge, ne pensait que cette personne devait faire 12 mois de prison, se voir privée de la vie sociale qu’elle s’était construite et se voir enfermée dans une cellule de prison. Mais il n’y avait aucun pouvoir discrétionnaire, aucun choix. Le juge du procès a dit : « C’est déchirant d’envoyer cette personne en prison, mais je n’ai pas le choix. »

J’ai parlé à ce client à plusieurs reprises pendant qu’il purgeait sa peine, et j’ai été à même de constater les terribles conséquences que cela a eues pour lui. Il a fait une dépression et de graves crises d’angoisse avant d’être libéré.

Envoyer cette personne en prison n’a rien donné. Cela a tout simplement coûté très cher et fait grand tort à quelqu’un qui avait complètement redressé sa vie. Ce n’est qu’un exemple de l’effet brutal des peines minimales obligatoires, mais il y en a d’innombrables autres.

En fin de compte, les peines minimales obligatoires privent les juges du pouvoir discrétionnaire de peser des facteurs importants comme les circonstances de l’infraction et la culpabilité morale du délinquant. Un juge de première instance ne peut pas s’arrêter à se demander quelle peine la personne mérite vraiment. La peine minimale a la même taille pour tous, sauf que les délinquants sont de formes et de tailles différentes.

Éliminer les peines minimales obligatoires, ce n’est pas faire preuve de mollesse face à la criminalité. C’est faire confiance à nos juges de première instance et d’appel pour imposer une peine équitable dans un spectre raisonnable établi par le Parlement. Les délinquants qui méritent de longues peines d’emprisonnement continueront de les recevoir. Mais les délinquants qui ne les méritent pas, ceux pour qui ces peines seraient tout simplement cruelles, pourront y échapper.

Le Parlement a souligné dans la loi que nous devons envisager toutes les solutions raisonnables autres que l’incarcération, surtout pour les Autochtones. Mais comment faire cela alors qu’un si grand nombre d’infractions entraînent des peines minimales obligatoires? C’est impossible. C’est pourquoi un projet de loi comme celui-ci marque une étape importante.

Le projet de loi C-5 n’élimine pas toutes les peines minimales obligatoires, mais il en élimine quelques-unes. À tout le moins, nous en avons besoin pour arrêter d’envoyer en prison des gens qui ne devraient pas y être.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de témoigner aujourd’hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup de votre témoignage et de votre rôle dans l’arrêt Nur, que nous avons tous lu attentivement. Merci beaucoup.

Nous allons commencer par le parrain du projet de loi, le sénateur Gold.

Le sénateur Gold : Bienvenue aux témoins. Merci de nous faire profiter de vos compétences et de vos conseils. J’ai une question pour Me Shanmuganathan.

Nous faisons de notre mieux au comité pour recueillir le plus de données empiriques possible, afin de bien éclairer notre étude du projet de loi, mais les données ne sont pas aussi complètes ou détaillées qu’elles le devraient.

Une des principales questions, sinon la principale, est de savoir pour combien de personnes ce projet de loi serait une bonne chose, en particulier dans les communautés autochtones, noires, racialisées ou autrement marginalisées. Vous pourriez peut-être nous faire profiter de votre expérience sur le terrain. Avez-vous eu des clients qui ont été accusés de certaines des infractions visées par ce projet de loi? Avez-vous eu des clients pour qui cette loi serait bénéfique si elle était adoptée dans sa forme actuelle?

Me Shanmuganathan : Je vous remercie de la question. Je ne suis pas statisticienne, alors je ne peux pas vous donner de données empiriques, autant que je le voudrais. Mais je peux vous parler de mon expérience personnelle. Ce projet de loi permet à des avocats comme moi d’aller dans une salle d’audience et de dire à un juge : « Voici en quoi consiste l’infraction. Voici pourquoi mon client l’a commise. Voici toutes les qualités que présente mon client et voici la peine qu’il mérite. » Mais le problème avec les peines minimales obligatoires, c’est qu’elles ne me permettent pas de demander une peine qui soit inférieure, même si c’est celle que mérite mon client.

L’exemple que je donnais tantôt dans ma déclaration préliminaire, à propos du client qui a volé 100 $ pour s’acheter de la bière, ce jeune de 26 ans qui a fait 12 mois de prison, voilà un exemple concret d’une personne qui aurait bénéficié du projet de loi C-5. Sans cette peine minimale obligatoire, il n’aurait peut-être pas fait 12 mois de prison. Il ne serait peut-être même pas allé en prison. C’est pourquoi ce projet de loi est si important, pour permettre à des avocats comme nous d’aller devant les tribunaux et de demander des peines que nos clients méritent vraiment.

Le sénateur Gold : Merci. Si vous me permettez, une brève question de suivi. Encore une fois, je ne vous demande évidemment pas de divulguer des renseignements sur vos clients, mais en avez-vous qui sont inculpés actuellement et pour qui ce projet de loi serait bénéfique s’il était adopté rapidement?

Me Shanmuganathan : Oui. C’est précisément la raison pour laquelle je suis ici. J’ai des clients qui s’accrochent à ce projet de loi parce que s’il est adopté, il va complètement changer leur vie, peut-être leur éviter d’aller en prison. J’ai des clients pour qui ce projet de loi changerait leur vie.

Le sénateur Gold : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci d’être parmi nous.

Je comprends très bien votre combat et votre objectif de réduire le racisme et la discrimination. Ce sont des objectifs très louables. Cependant, je n’ai pas l’impression que vous prenez en compte les dangers du projet de loi C-5 en ce qui a trait à la sécurité publique et surtout les injustices qui seront commises envers les victimes.

J’ai présenté un exemple au ministre hier, et il a eu de la difficulté à me répondre. Prenons le cas d’un agresseur sexuel qui viole une femme et qui est condamné à deux ans moins un jour. Selon le projet de loi C-5, le juge pourrait choisir de l’envoyer en détention chez lui. Est-ce juste pour une victime, une femme qui aurait été violée, que son agresseur ne passe pas une journée en prison pour le crime commis?

[Traduction]

Mme Coyle : Pour l’avocate de formation que je suis, la réponse n’est pas toujours simple — et elle est souvent frustrante. Cela dépend toujours. Comme l’a indiqué l’autre témoin aujourd’hui, c’est toujours du cas par cas. Bien sûr, les peines minimales obligatoires ne laissent pas toujours le pouvoir discrétionnaire aux personnes avec qui nous travaillons.

Nous travaillons dans les prisons désignées pour les femmes à l’échelle du pays, où il y a des femmes qui ont été accusées d’infractions sexuelles. Parlez-leur de leur cas particulier, et vous comprendrez qu’elles ont été marquées par la violence, sexuelle et autre, en particulier, pendant la plus grande partie de leur vie. Pourtant, elles se retrouvent en prison pour une infraction que l’on pourrait peut-être mettre en contexte, mais le juge n’a pas pu déroger à la peine minimale obligatoire, si bien que leurs peines sont deux, trois ou quatre fois plus lourdes. Nous voyons tous les jours des personnes qui ont connu la violence des milliers de fois dans leur vie, sans qu’il y ait eu de répercussions ou de guérison.

C’est une réponse compliquée. Je comprends que ce n’est pas simple, mais je pense qu’il faut un certain pouvoir discrétionnaire...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame Coyle, je comprends votre défense des gens incarcérés, mais je me situe de l’autre côté du spectre. Mettez-vous à la place d’une femme qui aurait été agressée sexuellement, dont la sentence de l’agresseur serait de moins de deux ans et qu’il y aurait une possibilité pour le juge de donner une sentence qu’on appelle de salon, donc chez le criminel. Cette victime voit son agresseur ne pas faire une journée de prison alors qu’elle a été agressée sexuellement. Mettez-vous à la place de la victime. Est-ce que, pour ces victimes, le système de justice a joué pleinement son rôle d’attribuer une sentence proportionnelle au crime commis?

[Traduction]

Mme Coyle : Vous décrivez là une situation très difficile. J’ai beaucoup d’empathie et de compassion pour les victimes de violence sexuelle. Je dirai que nous n’avons pas de système pour vraiment protéger les victimes. Nous n’avons pas le système juridique qu’il faut pour empêcher les personnes d’être sexuellement agressées ou de subir la violence sexuelle.

Par ailleurs, je pense qu’il faut se demander si une peine d’emprisonnement peut vraiment guérir ou lui fournir le genre de soutiens dont la personne a besoin. Je pense que nous avons toutes deux témoigné à la Chambre des communes au sujet de la Charte des droits des victimes plus tôt cette année.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Récemment, même la Cour d’appel du Québec a demandé aux juges d’être beaucoup plus sévères dans les cas d’agression sexuelle. Le projet de loi C-5 ira-t-il à l’encontre de la position de la Cour d’appel du Québec? Sommes-nous à contre-courant?

La présidente : Sénateur Boisvenu, donnons-lui la chance de finir sa réponse et après vous pourrez continuer.

[Traduction]

Mme Coyle : Lorsque nous avons témoigné toutes les deux à la Chambre des communes au sujet de la Charte des droits des victimes, je crois que les deux personnes qui ont témoigné pour les victimes, et les victimes elles-mêmes, ont dit que notre système n’a pas fait grand-chose pour les aider à guérir et les soutenir. Certes, le projet de loi C-5 ne sera pas un fourre-tout pour offrir la guérison et le soutien dont ont tant besoin les personnes qui ont connu la violence sexuelle dans leur vie.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je n’ai pas d’autres questions.

[Traduction]

Mme Coyle : Merci, sénateur.

Le sénateur Dalphond : Maître Shanmuganathan, lors de votre passage au comité de la Chambre des communes, vous avez parlé de l’effet du casier judiciaire sur la réinsertion sociale. Depuis lors, une modification du projet de loi a séquestré automatiquement après deux ans le casier judiciaire pour possession de drogue.

Pouvez-vous nous parler des effets que cela aura sur vos clients?

Me Shanmuganathan : La séquestration du casier judiciaire les avantagerait. En effet, il faut comprendre que le casier judiciaire a des répercussions au-delà de la salle d’audience. Il nuit à la capacité de trouver de l’emploi, de se loger, et de décrocher certains postes. Il a des conséquences sur toute la vie, pas seulement sur la vie du délinquant, mais aussi sur celle de ses enfants ou des parents dont il a peut-être la responsabilité. Donner à une personne la possibilité de se libérer des chaînes d’un casier judiciaire ne peut que lui être profitable.

Le sénateur Dalphond : Essentiellement, c’est probablement l’une des conséquences qui a été ajoutée après que vous et d’autres témoins avez comparu devant la Chambre.

Je vous remercie également de ne pas vous être contentée de plaider, mais d’avoir aussi écrit au sujet de la loi. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre article paru dans le Supreme Court Law Review en 2016. Vous y faites valoir que la réponse doit venir du Parlement et non pas des tribunaux parce que vous êtes convaincue que l’approche du cas par cas n’est pas efficace.

Pour vous, si je comprends bien, la meilleure approche serait que le Parlement exerce son pouvoir et définisse tout ce que doivent couvrir les peines minimales obligatoires et ce qui doit en être exclu.

Me Shanmuganathan : Oui, vous avez tout à fait raison. Pour avoir moi-même plaidé ces contestations constitutionnelles, je sais qu’il est long et frustrant de devoir s’adresser à un tribunal chaque fois que l’on est confronté à une peine minimale obligatoire pour lui demander de la déclarer inconstitutionnelle.

Vraiment, c’est au Parlement de décider. C’est à vous tous et à votre gouvernement que revient le rôle d’éliminer les peines minimales obligatoires et de remettre le pouvoir discrétionnaire aux juges de première instance, comme il se doit.

Le sénateur Dalphond : Merci.

La sénatrice Simons : Merci à tous nos témoins.

Hier, nous avons eu le privilège d’accueillir le ministre David Lametti, à qui j’ai demandé de commenter le fait que plusieurs des peines minimales obligatoires qui n’ont pas été retenues dans ce projet de loi ont été invalidées par diverses cours supérieures des provinces. Le ministre a répondu qu’une seule d’entre elles, l’affaire Nur, avait été invalidée par la Cour suprême du Canada.

Je voulais demander à Me Shanmuganathan et à Mme Coyle si, à leur avis, il suffit que le projet de loi ne dise rien d’un certain nombre de peines minimales obligatoires que de nombreux tribunaux provinciaux ont déjà jugées inconstitutionnelles.

Mme Coyle : Je crois avoir répondu à cette question dans ma déclaration préliminaire. Non, je ne pense pas que c’est suffisant. Selon moi, toutes les peines minimales obligatoires, y compris celles qui ont déjà été invalidées par divers tribunaux du pays, devraient tomber. Dans nos mémoires à la Chambre des communes, nous avons soumis ce rapport avec un addendum qui énumère toutes les peines minimales obligatoires qui ne figurent pas dans ce projet de loi, mais qui ont été déclarées inconstitutionnelles. Je serais heureuse de vous le fournir également.

La présidente : Madame Coyle, pourriez-vous l’envoyer au greffier, qui nous le distribuera? Merci.

Mme Coyle : Oui.

Me Shanmuganathan : Je me fais l’écho des commentaires de Mme Coyle : le projet de loi pourrait certainement aller plus loin et éliminer le reste des peines minimales obligatoires qui ont déjà été invalidées. Mais il pourrait même aller encore plus loin et abolir toutes les peines minimales obligatoires. Vu que, pour celles qui seront éliminées, nous pouvons laisser le juge de première instance exercer le pouvoir discrétionnaire d’imposer la peine appropriée, la même chose serait possible pour toutes les infractions donnant lieu aux peines minimales obligatoires.

Au bout du compte, nous n’avons pas besoin de peines minimales obligatoires pour pouvoir imposer la peine qui convient.

La sénatrice Simons : Plusieurs d’entre nous avons posé cette question au ministre hier. Le ministre nous a expliqué que les deux douzaines de peines qui sont couvertes par ce projet de loi saisissent la plupart des personnes qui sont incarcérées, y compris la vaste majorité de celles qui sont des Autochtones ou des personnes racisées.

Madame Coyle, êtes-vous d’avis qu’il s’agit là d’une évaluation exacte et que cet ensemble particulier de peines pénales englobera une vaste majorité de votre clientèle?

Mme Coyle : Malheureusement, je ne suis pas statisticienne moi non plus. Je ne connais donc pas ces données par cœur. Mais je suppose qu’il est important d’inclure le côté humain dans notre conversation. Nous pourrions toujours voir ensemble comment cela rejoint une masse critique de personnes, sans oublier que chaque personne laissée pour compte est un être humain. Ces répercussions — sur leurs proches et leurs collectivités — sont toutes ressenties lorsque la peine imposée est la peine minimale obligatoire.

Prenons, par exemple, l’une des peines qui n’est pas couverte par le projet de loi, soit la peine pour une première infraction de trafic d’armes à feu. J’ignore quelles seraient les circonstances pour cette infraction particulière, mais nous voyons certainement beaucoup de femmes qui sont soumises à un contrôle coercitif dans leur vie et qui participent, peut-être, à quelque chose qui se produit contre leur volonté. Elles seraient prises dans cette situation particulière et se verraient infliger une peine minimale obligatoire, par exemple. Nous ne voudrions certainement pas l’envoyer en prison en tout cas.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais moi aussi poser ma question en français à nos deux invitées qui pourront répondre selon leur expertise propre. Ce projet de loi abolit une vingtaine de peines minimales obligatoires, et des citoyens s’inquiètent en croyant que le projet de loi engendrera un plus grand nombre de délinquants qui obtiendront une peine avec sursis, c’est-à-dire une peine dans la communauté, donc qui ne feront pas de prison.

Est-ce qu’on a des chiffres qui nous permettent de dire si le fait de purger une peine dans la communauté entraîne plus ou moins de risques de récidive que de purger une peine en prison? Évidemment, c’est pour essayer d’évaluer les risques liés à la sécurité publique lorsqu’il y a un plus grand nombre de libérations avec sursis.

[Traduction]

Mme Coyle : Je vais peut-être demander à ma collègue, Mme Kish, de répondre à cette question.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous n’avez pas de statistiques, mais parlez-nous d’expérience.

Mme Coyle : Oui. Merci.

Mme Kish : Merci beaucoup. Tous les jours, lorsque nous envoyons du monde en prison, nous voyons un système carcéral en crise qui est incapable de réparer le préjudice social qu’il cherche à prévenir.

Je parle presque chaque jour au téléphone avec les représentants du Service correctionnel du Canada, qui me disent qu’ils ne choisissent pas qui leur arrive en prison. Par contre, après l’arrivée en prison, ils ont pour tâche de gérer les conséquences de la pandémie, en plus des crises de longue date qui jouent sur notre système, comme l’accès à des programmes essentiels. Il n’y a pas de counseling en traumatologie; il n’y a pas de traitement de la toxicomanie. La collectivité n’a pas de services pour éliminer les risques que nous cherchons à écarter.

Si nous considérons que le système carcéral est un endroit pour résoudre les problèmes sociaux, nous devons commencer par l’examiner et reconnaître qu’il n’y arrive pas, puis nous tourner vers la collectivité, où notre organisation, par exemple, a des Sociétés Elizabeth Fry locales à l’échelle du pays qui sont en mesure d’offrir ces services, dont il a été prouvé qu’ils évitent la prison aux personnes, et leur donnent l’accès dont elles ont besoin aux déterminants sociaux du mieux-être pour régler le préjudice social que nous cherchons à régler.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que Mme Shanmuganathan aurait un commentaire à ajouter sur la question des risques de récidive?

[Traduction]

Me Shanmuganathan : Je suppose que j’ai deux ou trois choses à ajouter. Premièrement, il ne faut pas oublier, dans l’examen du caractère approprié d’une peine à purger dans la collectivité, qu’il s’établit un équilibre. Il faut voir si c’est une question de sécurité publique; si cette personne peut purger sa peine dans la collectivité sans mettre le public en danger. Ce sont des facteurs à prendre en compte dans la décision de faire purger la peine dans la collectivité.

Ensuite, lorsqu’une personne purge sa peine dans la collectivité, par exemple une peine d’emprisonnement avec sursis, et ne respecte pas une condition de son sursis — c’est‑à‑dire si elle commet un crime ou s’il est allégué qu’elle a commis un crime —, la peine se transforme en peine d’emprisonnement. Elle retourne en prison.

Il faut garder à l’esprit que, lorsqu’on inflige une peine à purger dans la collectivité, il y a tous ces mécanismes pour renvoyer la personne en prison si elle le mérite.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question est plus précise que cela, et peut-être qu’il n’existe pas de chiffres.

Est-ce qu’on est capable de comparer le risque de récidive lorsqu’on purge une peine dans la communauté et lorsqu’on purge une peine en prison?

[Traduction]

Me Shanmuganathan : Cela dépend de ce que vous jugez être le risque. Parlons-nous du risque immédiat? C’est-à-dire, dès lors qu’elle est en prison, elle ne peut faire de tort dans la collectivité. Ou parlons-nous d’un risque à long terme? Nous demandons-nous si la personne concernée deviendra une meilleure personne avec le temps? Va-t-elle vivre une vie prosociale à long terme si elle purge sa peine en prison ou si elle la purge dans la collectivité? On lui donne de meilleures chances d’être plus prosociale si, au lieu de rester en prison à se tourner les pouces, elle peut retourner dans la collectivité, trouver un emploi et un logement et vivre avec sa famille. Qui sera la meilleure personne à la longue? Pour moi, la personne qui purge sa peine dans la collectivité a de meilleures chances.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

La sénatrice Pate : Merci à tous les témoins, non seulement pour votre comparution aujourd’hui, mais aussi pour le travail que vous accomplissez.

Je reviens sur les questions de mes collègues, en commençant par celles du sénateur Gold, puis celles du sénateur Dalphond. J’ai remarqué dans l’article paru dans le Canadian Lawyer dont vous avez parlé, que vous disiez que les peines minimales empêchent les tribunaux de tenir compte des faits précis de l’infraction ou du particulier, ce qui explique qu’à maintes reprises les tribunaux ont jugé que les peines minimales sont inconstitutionnelles. Elles sont une solution universelle qui crée plus d’injustices qu’elles n’en règlent.

Je viens tout juste d’une réunion avec le groupe d’Autochtones où j’ai fait une présentation avec une femme purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité, que nous cherchons à faire casser. L’une des questions soulevées par les dirigeants autochtones était exactement ce que vous venez de répondre à la sénatrice Miville-Dechêne. C’est-à-dire que deux choses se produisent après l’emprisonnement. Ces personnes risquent plus de se retrouver déconnectées de leur collectivité, comme vous l’avez dit, mais elles ont aussi beaucoup de difficulté à se reprendre en main après leur libération. En outre, si elles purgent de longues peines, bon nombre d’entre elles peuvent être en liberté conditionnelle pour longtemps.

Le sénateur Gold vous a demandé ce que signifiera l’adoption de ce projet de loi. Nous savons, par les données limitées que la justice a pu nous fournir, que l’effet sur les taux d’incarcération des Autochtones et des Noirs sera négligeable. Quelles seraient les conséquences du type de modification que vous avez recommandé si toutes les peines minimales obligatoires étaient abrogées ou si les juges étaient autorisés, pour les peines qui ne sont pas abrogées, à exercer leur pouvoir discrétionnaire?

Me Shanmuganathan : Je serai heureuse de répondre en premier. Merci.

Je n’ai pas les données. J’aimerais bien les avoir. Encore une fois, d’après mon expérience personnelle, pour avoir plaidé ces contestations de peines minimales et avoir présenté des instances au nom des délinquants, cela aura une incidence positive sur chacune des affaires que je plaide.

Je peux m’adresser aux tribunaux et demander la peine que mérite la personne. Si cela a un effet positif dans les affaires que je plaide, cela aura aussi un effet positif dans les affaires que tous les avocats de la défense plaident. On ne peut qu’espérer que cela aura un effet, même négligeable, sur le problème de la surreprésentation, mais cela nous permettra au moins de demander.

Mme Coyle : Madame la sénatrice, comme vous le savez très bien — et vous avez visité des prisons; vous avez emmené d’autres sénateurs et sénatrices dans les prisons — selon le Bureau de l’enquêteur correctionnel, les femmes autochtones et les personnes de diverses identités de genre représentent 50 % des prisons désignées pour les femmes au pays. Souvent, à cause du racisme qui existe dans notre système, ces personnes, les femmes noires et autochtones, sont punies plus sévèrement que leurs contemporaines blanches.

S’il n’y avait plus de peines minimales obligatoires, nous aurions la possibilité de travailler avec les avocats de la défense et les juges pour leur présenter la situation particulière de l’accusé afin qu’ils puissent exercer leur pouvoir discrétionnaire dans la détermination de la peine, comme ma collègue vient de le dire.

Mme Kish : Si toutes les modifications que nous proposons étaient mises en œuvre, trois éléments principaux du processus correctionnel seraient touchés positivement.

Tout d’abord, à l’heure actuelle, un si grand nombre de femmes et de personnes de diverses identités de genre poussent la surcapacité du système carcéral à un point tel que l’Établissement d’Edmonton pour femmes, par exemple, est le point d’entrée du système. À l’arrivée en prison de nouvelles détenues, on est forcé d’envoyer les femmes et les personnes de diverses identités de genre dans des prisons d’un peu partout au pays où elles n’ont accès ni à leur collectivité, ni à leurs soutiens, ni encore à leur famille ou à leurs enfants. Elles souffrent vraiment et leurs collectivités souffrent également et les systèmes carcéraux n’ont pas les soutiens et les services culturels en place dans les autres régions pour les accueillir. Nous constatons donc que le système carcéral cause un préjudice intense au premier niveau.

De plus, pour toutes les personnes qui sont en prison en vertu de peines minimales obligatoires et qui ne seraient pas actuellement aidées par ce projet de loi, mais pourraient l’être si elles sont en prison, terminent leur programme et ont accès à une libération graduelle, tout comme nous devrions laisser nos juges décider des peines à imposer, nous devrions faire confiance à notre système carcéral pour décider du moment de la libération. Avec les dates d’inadmissibilité à la libération conditionnelle, voilà qui est impossible. Nous constatons donc que les gens sont incarcérés pour beaucoup plus longtemps qu’on puisse espérer créer un avantage. Au-delà de cela, dans le cas des peines d’emprisonnement à perpétuité ou des peines de durée indéterminée, avec les peines minimales obligatoires, nous voyons des gens en libération conditionnelle pour 20 à 30 ans qui font une contribution vraiment intéressante à la société. Mais le système ne peut réaffecter ses ressources à la réduction du préjudice social réel découlant de ces peines. Merci.

La sénatrice Pate : Merci.

Le sénateur White : Merci aux témoins. Je comprends et je n’ai rien contre les craintes soulevées au sujet des minimums obligatoires; de fait, j’appuierai le projet de loi. Je suis quand même préoccupé par une chose qu’on ne cesse de répéter au sujet des soutiens communautaires pour les délinquants qui ne sont pas dans notre système carcéral.

J’ai travaillé 19 ans dans l’Arctique pour la Gendarmerie royale du Canada, et je peux vous dire que les collectivités de là‑bas n’ont pas les ressources nécessaires pour s’occuper des personnes qui ne seront pas incarcérées par suite de l’abolition des minimums obligatoires. Je ne dis pas qu’il faille par conséquent les éliminer, mais je pense qu’il faut une longue discussion plus nuancée sur l’absence de soutiens dans les collectivités du pays, non seulement pour les délinquants, mais encore pour les victimes. Je prends l’exemple d’Ed Horne, un enseignant qui a agressé sexuellement des centaines d’enfants au Nunavut sur une période de 10 ans, et du nombre de personnes avec qui j’ai eu affaire en tant qu’agent de police et qui non seulement n’ont pas eu d’aide en tant que délinquants, mais qui n’en ont pas eu non plus en tant que victimes.

Pourriez-vous nous parler du fait que, même si nous n’envoyons plus les gens en prison parce que les peines minimales obligatoires ne fonctionnent pas — et je suis d’accord —, ne rien faire dans ces collectivités ne sera pas la solution. À quoi cela ressemblerait-il? Madame Coyle, vous pourriez peut-être commencer.

Mme Coyle : Merci, monsieur le sénateur. C’est une question à laquelle nous pensons constamment. Nous travaillons actuellement dans le Nord, car il a été établi qu’il y avait une grande lacune dans des services offerts aux personnes qui ont été criminalisées ou qui sont à risque de l’être, comme vous le faites si justement valoir. Notre système carcéral nous coûte aujourd’hui plus de 2,5 milliards de dollars, et on pourrait faire valoir que nous devrions réaffecter ces fonds dans les collectivités pour leur donner les ressources dont elles ont besoin pour protéger les populations. Tel devrait être l’objectif de notre système de justice — la prévention du préjudice. Tout ce dont nous parlons en ce qui concerne la police et les prisons arrive après le fait. Mais ne voudrions-nous pas commencer par bloquer le préjudice? La seule façon d’y arriver, c’est la bonne répartition des ressources.

Malheureusement, nous consacrons beaucoup de temps et de ressources à discuter après coup, alors que nous devrions parler d’abord des investissements d’amont à faire dans les collectivités.

Le sénateur White : Je n’ai rien d’autre à ajouter, madame la présidente. J’aurais probablement pu me passer de la question pour faire cette déclaration.

Mme Coyle : Je l’ai aussi souligné avec vous, monsieur.

Le sénateur White : Merci beaucoup.

La sénatrice Batters : Madame Coyle, dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé de votre mémoire, sauf erreur, et je ne pense pas que notre comité l’ait reçu. Vous ai-je mal comprise, ou avez-vous un mémoire à nous remettre? Sinon, vous avez fait une très courte déclaration préliminaire pour présenter certaines de vos recommandations.

Mme Coyle : Oui, nous avons un mémoire que nous avons remis au comité de la Chambre des communes qui s’est penché sur le projet de loi C-5. Je ne savais pas trop si vous l’aviez vu. Nous vous le remettrons, c’est sûr.

La sénatrice Batters : Merci. Il y a tellement de documents qui nous arrivent pour ce genre de choses. Ce serait utile. Merci.

Dans votre déclaration préliminaire, vous avez expliqué que votre principale recommandation était la suppression des minimums obligatoires. Je me demande si vous préconisez l’abolition des peines minimales obligatoires pour meurtre, c’est‑à‑dire 10 ans sans possibilité de libération conditionnelle pour un meurtre au deuxième degré et 25 ans sans possibilité de libération conditionnelle pour meurtre au premier degré. Réclamez-vous vous-même l’abolition de ces peines minimales obligatoires?

Mme Coyle : Précisons tout d’abord que nous ne sommes pas d’avis qu’il ne faut pas remettre en question la responsabilité. Il est certain que la responsabilité du préjudice est au premier plan de nos préoccupations chaque fois que nous faisons ce travail. Cependant, oui, nous recommandons l’élimination de toutes les peines minimales obligatoires, y compris celles que vous avez mentionnées.

La sénatrice Batters : Wow. Madame Coyle, vous avez mentionné la surreprésentation des Autochtones dans les prisons. C’est un phénomène dont le comité est tout à fait conscient et qu’il déplore. Voici ce qu’a déclaré le chef Darren Montour, du Service de police des Six Nations, devant le comité de la Chambre des communes :

La jurisprudence Gladue en matière de détermination de la peine a également une grande influence sur le fait qu’un délinquant soit condamné ou non à une peine d’emprisonnement. Je peux comprendre les statistiques concernant la surreprésentation des délinquants autochtones dans nos prisons, mais parallèlement aux droits des délinquants, les victimes et les familles des victimes méritent également des droits. L’arrêt Gladue est justifié pour la condamnation de certaines personnes, mais ces récidivistes savent faire la différence entre le bien et le mal, et les principes de condamnation de cet arrêt sont exploités au profit de ces délinquants.

De même, le chef Robert Davis, du Service de police de Brantford, partageait les mêmes préoccupations au sujet de l’atténuation des peines et de leurs répercussions sur les victimes autochtones d’actes criminels. Il a déclaré ce qui suit :

Avec le projet de loi C-5 et les changements proposés maintenant, la détermination de la peine va devenir une farce, pour être bien honnête. La perception des victimes d’actes criminels sera, encore une fois, que leurs droits ont été donnés aux criminels.

Donc, madame Coyle, qu’auriez-vous à dire aux victimes autochtones de la criminalité au sujet de l’abolition des peines minimales obligatoires pour les criminels qui ciblent et victimisent leurs collectivités?

Mme Coyle : L’une des choses que nous avons soulevées dans nos mémoires est le fait que nos clients ont été à la fois victimes et auteurs de préjudice dans leur vie et qu’il n’y a pas de dichotomie. Dans notre travail, on ne fait pas de distinction par rapport à celui qui est simplement la victime d’un crime. Il importe donc de comprendre cette nuance.

L’autre chose à comprendre au sujet des principes de détermination de la peine de l’arrêt Gladue, c’est à quel point ils sont appliqués de façon inégale à l’échelle du pays. Bon nombre des personnes qui arrivent dans les prisons désignées pour les femmes autochtones viennent des Prairies. Si nous nous arrêtions à l’utilisation des principes de détermination de la peine de l’arrêt Gladue dans les Prairies, nous verrions qu’ils sont très peu, voire pas du tout, utilisés. Il serait vraiment intéressant d’analyser la fréquence à laquelle ces peines sont utilisées et si elles sont jugées utiles pour la détermination de la peine dans ces régions. Je pense que cela nous donnerait d’excellentes données pour l’examen de toute la question dans l’ensemble du pays.

La sénatrice Batters : Merci. Je suis sûre qu’avant la fin de l’étude, nous en aurons appris davantage sur les données, parce que j’ai entendu bien des choses ce matin sur le fait que nous n’avons pas les données ou les statistiques. Je ne suis pas statisticienne. Bien sûr, ni l’une ni l’autre d’entre vous ne l’est non plus, et nous ne vous en tiendrons pas rigueur. J’espère par contre que nous aurons des témoins qui pourront nous fournir des données, parce que c’est très important pour bien évaluer ce projet de loi. Merci.

La sénatrice Clement : Je remercie les témoins non seulement pour leur présence ici, mais encore pour tout le travail que font ces femmes dans les communautés.

Je suis d’accord avec la sénatrice Batters pour ce qui est des données. J’ai l’impression qu’il nous en manque beaucoup, ce qui rend notre conversation très laborieuse.

Hier, lors de notre discussion avec le ministre, j’ai compris que cette conversation s’inscrit dans un contexte politique très intense. Je me rappelle les conversations sur les peines minimales obligatoires, non pas comme avocate, mais comme Canadienne. On nous disait que nous nous sentirions plus en sécurité avec les minimums obligatoires — que tout serait bien clair; qu’il y aurait de la dissuasion.

Je ne suis pas sûre que nous en soyons là. Je suis sûre — et les données le confirment certainement — que ce qui a fonctionné, c’est l’incarcération disproportionnée des Noirs et des Autochtones. Cela a fonctionné. Mais la dissuasion, le sentiment de sécurité... Madame Kish, vous avez fait des commentaires sur la dissuasion. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Parce que si cela n’a pas fonctionné, pourquoi ne disons-nous pas la vérité à la population, politiquement parlant? Pourquoi ne lui disons-nous pas que cela n’a pas fonctionné et que nous ne nous sentons pas plus en sécurité? Il n’y a pas eu de dissuasion, et ces mesures ne fonctionnent pas, et il faudrait toutes les abolir.

Mme Kish : Merci. Nous sommes parfaitement d’accord, et nous le sommes parce que nous en sommes témoins. Nous croyons que, si les Canadiens voyaient vraiment ce qui se passe — les mécanismes de notre système correctionnel, depuis l’arrestation jusqu’à l’expiration de la peine, si jamais la peine finit par expirer —, ils seraient très troublés, car cela ne fonctionne pas.

Non seulement les peines minimales obligatoires ne fonctionnent pas, mais la structure du système correctionnel même cause un préjudice, à bien des égards, que nous avons mentionné et à bien d’autres dont nous n’avons rien dit.

Bien que nous n’ayons pas de données réelles pour éclairer notre conversation d’aujourd’hui, l’Aperçu statistique du système correctionnel et la mise en liberté sous condition signale qu’il faut tenir compte de l’incidence de la libération graduelle; ainsi donc, le simple fait de libérer un détenu avant la fin de sa peine a d’énormes conséquences sur la réduction de la récidive. La solution, c’est le renvoi dans les collectivités, sans pour autant oublier que celles-ci manquent cruellement de ressources.

Le Canada offre d’excellents exemples de ce qui fonctionne. Je songe à une organisation de justice transformatrice de la Colombie-Britannique, la L.I.N.C. Society, qui vient en aide aux personnes qui ont survécu à un homicide avant de commettre de graves méfaits. Elle vise à reconstruire et à renforcer les collectivités à partir d’un modèle axé sur les soins.

Il y a une foule d’exemples à l’échelle mondiale de ce qui fonctionne. Pourtant, au Canada, nous continuons de mettre la responsabilité de régler des préjudices sociaux selon un modèle qui s’est révélé un échec.

Mme Coyle : Je suis d’accord avec ma collègue. Nous passons des heures et des heures à en parler, et nous considérons certainement que les gens qui sont dans le système carcéral sont ceux que nous avons le plus négligés dans notre société. Ce sont les plus pauvres, qui ont été marginalisés par divers systèmes, comme le système de protection de l’enfance et le système des soins de santé, et nous finissons par les criminaliser de façons trop punitives, qui ne correspondent pas à leur vécu.

Je peux vous donner l’exemple d’une dame avec qui j’ai travaillé. Elle était propriétaire d’une entreprise à Montréal — une mère célibataire noire. Elle a fini par écoper d’une peine de cinq ans parce qu’elle était présente à un combat entre deux personnes. Elle a écopé d’une peine plus lourde que l’homme qu’elle accompagnait et qui était l’auteur du préjudice dans l’affaire. Le juge lui a dit : « Vous auriez dû le savoir. »

Voilà le genre de discrimination raciale et de discrimination fondée sur le sexe que nous voyons constamment dans nos tribunaux. Avec la réduction ou l’élimination des peines minimales obligatoires, nous pourrions au moins voir un début de changement pour les personnes les plus touchées par ces peines.

Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue à nos témoins, que je remercie vivement de nous faire profiter de leur expertise.

J’ai une question pour Mme Coyle et, si le temps le permet, pour Me Shanmuganathan.

Madame Coyle, si le projet de loi est adopté tel quel, quelles en seront, selon vous, les répercussions sur les femmes autochtones, noires et racisées et sur les personnes de diverses identités de genre qui ont déjà eu des démêlés avec le système de justice pénale? Va-t-il assez loin pour réduire la représentation disproportionnée de ces groupes en détention? Sinon, qu’est-ce que le gouvernement fédéral pourrait faire d’autre pour en assurer le succès?

Mme Coyle : Il réussit partiellement. Il pourrait aller plus loin en réduisant toutes les peines minimales obligatoires. Nous verrions ensuite s’il y aurait moyen de prendre un engagement envers la réconciliation dans le cadre de l’appel à l’action 32 de la Commission de vérité et réconciliation, qui demande que les juges de première instance puissent s’écarter des peines minimales obligatoires et réduire les peines avec sursis dans la mesure du possible. Il faut espérer que cela aurait une très grande incidence sur notre clientèle, car les gens qui ont formulé ces recommandations l’ont fait sous l’éclairage des données, après avoir bien assimilé le contexte, et ils étaient certainement des experts en la matière lorsqu’ils ont formulé cette recommandation.

J’espère que le gouvernement prendra cela très au sérieux.

Le sénateur Klyne : Maître Shanmuganathan, je déduis de votre déclaration préliminaire que vous pensez que ce projet de loi aura un effet tangible sur la façon dont les affaires judiciaires seront traitées pour les personnes accusées de crimes qui pourraient ne plus être assortis de peines minimales obligatoires. Pensez-vous que ce projet de loi réglera le problème de la représentation disproportionnée des délinquants autochtones et racisés en détention?

Me Shanmuganathan : Je suis d’accord avec ce que Mme Coyle a dit : je pense que ce projet de loi accomplit certaines choses, mais il ne va pas assez loin. Pour vraiment réduire le problème de la surreprésentation des délinquants autochtones et noirs, il faut aller plus loin. Nous devons nous attaquer aux problèmes dès le départ pour prévenir le crime. Le problème de la surreprésentation survient à la toute fin du processus du système de justice pénale.

Si nous sommes en mesure de demander une peine particulière et la peine qu’une personne mérite dans chaque cas, parce qu’il n’y a plus de peine minimale obligatoire, nous espérons que cela aura une incidence sur le problème de surreprésentation. Cependant, encore une fois, je ne dispose pas de données pour le prouver, et je ne suis pas statisticienne.

Le sénateur Cotter : Je remercie les témoins de leurs mémoires et de leurs exposés réfléchis.

J’ai deux questions. Je devrais peut-être commencer par Mme Coyle. Vous avez décrit cinq recommandations concernant ce projet de loi. Je me demande si elles sont toutes conjonctives en ce sens que vous aimeriez qu’elles soient toutes réglées. Je demande cela surtout dans le contexte, d’une part, de l’élimination de toutes les peines minimales obligatoires et, d’autre part, de la recommandation qu’il y ait, essentiellement, une disposition d’exception concernant les peines minimales obligatoires.

Pourriez-vous nous en parler? Si vous ne parlez pas de l’ensemble, y a-t-il un ordre de priorité pour les deux cas dont je viens de parler?

Mme Coyle : Vous me posez des questions difficiles, monsieur le sénateur. Évidemment, je préférerais que nos cinq recommandations soient retenues, mais oui, si je devais en choisir une, je me tournerais certainement vers les experts qui ont formulé la recommandation de la Commission de vérité et réconciliation et j’envisagerais d’accorder la priorité à l’abandon des peines minimales obligatoires, afin de permettre aux juges de première instance de ne plus tenir compte de ces peines et aussi imposer des restrictions au recours aux condamnations avec sursis. J’accorderais la priorité à cette question.

Le sénateur Cotter : Merci.

Je vais poser une question un peu semblable à Me Shanmuganathan. Vous avez parlé des défis que posent les affaires constitutionnelles, comme vous l’avez vous-même vécu, et du fardeau qu’elles imposent. Si nous examinons la question de l’élimination de certaines peines minimales obligatoires par rapport à l’adoption de l’approche des circonstances exceptionnelles, laquelle des deux selon vous serait probablement la plus efficace et la plus utile — pas tellement pour vous et vos clients, mais qui fonctionnerait le mieux dans le cadre du système de justice pénale?

Me Shanmuganathan : Je pense que l’élimination des peines minimales obligatoires sera plus utile parce qu’elle apportera une plus grande clarté. Elle supprime ce minimum et autorise les juges à faire la part des choses et à utiliser leur pouvoir discrétionnaire, ce qu’ils sont tenus de faire dans chaque cas. Si nous maintenons les peines minimales obligatoires et ne faisons que créer une exception ou une disposition qui leur permet d’exercer leur pouvoir discrétionnaire, selon le cas, nous ne ferons qu’entraîner d’autres litiges sur ce que nous considérons comme une « exception », ce qu’elle signifie pour une personne, et par rapport à quoi. À l’inverse, il est bien simple de dire aux juges de première instance de faire simplement leur travail dans chaque cas, c’est-à-dire examiner les circonstances de l’infraction et la situation du délinquant, et appliquer la peine qui s’impose. C’est ce qu’ils font déjà.

La présidente : J’ai une question. J’aimerais d’abord remercier Mme Coyle et Mme Kish de leur travail. Lorsque j’ai visité des prisons avec la sénatrice Pate, j’ai pu constater à quel point vous travaillez fort. Merci beaucoup.

J’ai une question pour vous, maître Shanmuganathan. C’est une question très fondamentale qui nous ramène aux principes de détermination de la peine.

Dans son discours très éloquent au Sénat, le sénateur Gold, parrain du projet de loi et représentant du gouvernement au Sénat, a parlé de l’importance de faire confiance aux juges pour faire leur travail. Ceux d’entre nous qui ont exercé la profession estiment que c’est ce que nous devrions faire — faire confiance à nos juges pour appliquer les principes de détermination de la peine.

Lorsque nous établissons des peines minimales obligatoires, nous adoptons des lois, dans l’enceinte impersonnelle du Sénat ou de la Chambre des communes, sur ce que devraient être les peines. J’aimerais que vous nous donniez un cours de base; sans le principe de la peine minimale obligatoire, comment procéderait-on? Comment l’avocat et le juge procéderaient-ils?

Me Shanmuganathan : Juste pour préciser, vous voulez dire s’il y avait ou non des peines minimales obligatoires?

La présidente : S’il n’y en avait pas.

Me Shanmuganathan : Nous irions devant les tribunaux et nous serions en mesure de fournir des renseignements sur notre client. Nous pourrions parler des circonstances de l’infraction, y compris des raisons pour lesquelles cette personne a pu commettre l’infraction. Nous pourrions nous tourner vers la jurisprudence, qui n’intègre pas la peine minimale obligatoire, et vers les infractions pour lesquelles cette peine a été imposée. Nous pourrions examiner les affaires d’autres personnes qui ont commis des infractions semblables et les peines qui leur ont été imposées. Nous pourrions nous adresser au juge et lui dire, en fonction des peines que les gens ont déjà reçues, voici qui est cette personne; voici le contexte dans lequel l’infraction a été commise et pourquoi; et voici la peine que cette personne devrait recevoir.

Une peine minimale obligatoire rend essentiellement inutiles certains de ces renseignements de base parce que, peu importe les renseignements de base, elle établit un plancher, et on ne peut aller en dessous de ce minimum. C’est le point de départ. On peut faire valoir ce que l’on veut, mais on ne peut jamais donner moins que ce plancher.

La présidente : La peine minimale obligatoire élimine la question des principes de détermination de la peine sur laquelle les criminalistes travaillent depuis des années. Lorsque je pratiquais le droit criminel, nous pouvions parfois décider de plaider coupable. À l’époque — et cela ne me rajeunit pas —, il n’y avait pas beaucoup de peines minimales obligatoires. Nous pouvions simplement examiner la situation d’une personne et les circonstances dans lesquelles elle avait commis son infraction, et éviter de perdre notre temps et d’embourber le tribunal parce que nous avions peu de chances de convaincre le juge dans l’affaire. Tout cela a disparu avec les peines minimales obligatoires, n’est‑ce pas?

Me Shanmuganathan : En fait, ce que je dirais au sujet du plaidoyer de culpabilité, c’est que l’existence de peines minimales obligatoires peut seulement encourager les gens à plaider coupable lorsqu’ils n’ont pas besoin de le faire ou ne devraient pas le faire, parce que s’ils devaient subir un procès pour une accusation donnée et qu’ils perdaient, ils auraient alors la certitude d’obtenir au moins la peine minimale obligatoire, sinon plus. Si on leur permet de plaider coupable à une infraction moins grave, et d’ainsi obtenir une peine qui ne sera pas la peine minimale obligatoire, il devient d’autant plus intéressant pour eux de plaider coupable.

Lorsque nous avons parlé de l’arrêt Nur dans le cadre de notre mémoire, il y avait une section du mémoire qui expliquait pourquoi les peines minimales obligatoires ne fonctionnent pas. Nous avons parlé de certains documents, qui expliquent pourquoi on ne constate pas d’effet dissuasif, et de certaines des conséquences négatives des peines minimales obligatoires. Si l’un d’entre vous souhaite y jeter un coup d’œil, je peux le fournir au Sénat, ou vous pouvez consulter le mémoire sur le site Web de la Cour suprême du Canada.

La présidente : Pourriez-vous fournir ce document au greffier, s’il vous plaît?

Me Shanmuganathan : Oui, sans faute.

La présidente : Merci beaucoup de votre travail dans l’affaire Nur. Nous avons tous lu le compte rendu de l’affaire et nous sommes très intéressés.

Je remercie les trois témoins de leur travail.

Mesdames et messieurs les sénateurs, le deuxième tour de questions est terminé. Nous allons maintenant recevoir notre deuxième groupe de témoins.

Dans le deuxième groupe de témoins, nous accueillons, à titre personnel, Me Michael Spratt, associé chez AGP LLP, que notre comité connaît bien. Rebienvenue. Du Regina Drug Treatment Court, nous accueillons Judie Birns, gestionnaire, par vidéoconférence, et de l’Association du Barreau autochtone, Me Alain Bartleman.

Maître Bartleman, nous vous avons souvent reçu ici et nous sommes heureux de vous revoir. Merci.

Nous allons commencer par Me Spratt, qui est ici en personne.

Me Michael Spratt, associé, AGP LLP : Merci beaucoup. Je me présente : je suis un avocat agréé en droit criminel par le Barreau de l’Ontario, et je suis associé chez AGP LLP, ici à Ottawa. J’aimerais aborder brièvement les trois principales caractéristiques de ce projet de loi, soit l’abrogation de certaines peines minimales obligatoires, le changement de la disponibilité pour le régime de peines d’emprisonnement avec sursis et les mesures visant les infractions liées à la drogue.

Je vais commencer par la question des peines minimales. L’adoption des peines minimales obligatoires comme outil de détermination de la peine est malavisée. Il est clair que les peines minimales obligatoires sont inefficaces et dangereuses. Elles n’ont pas d’effet dissuasif sur la criminalité. Elles n’améliorent pas la sécurité publique. Elles touchent de façon disproportionnée les Autochtones et d’autres groupes racisés, et elles coûtent incroyablement cher.

Dans les 20 ou 30 fois où j’ai témoigné devant le comité, j’ai beaucoup parlé des peines minimales. Je sais que le comité a examiné des rapports, comme celui du gouvernement fédéral de 2017, qui traitent de certains des problèmes liés aux peines minimales.

En 2016, la Cour suprême a déclaré que les peines minimales obligatoires pour les infractions qui peuvent être commises de nombreuses façons et dans de nombreuses circonstances par un large éventail de personnes sont vulnérables sur le plan constitutionnel parce qu’elles englobent presque inévitablement des situations où la peine obligatoire minimale prescrite exigerait une sentence inconstitutionnelle.

J’ai constaté l’impact des peines minimales obligatoires. Certains de mes clients ont plaidé coupables en sachant qu’ils seraient passibles de la peine minimale obligatoire s’ils devaient subir un procès, et pourtant on leur offre une peine moins sévère. Ce sont les cas les plus difficiles parce que je m’inquiète des plaidoyers et des condamnations injustifiées. D’un autre côté, j’ai vu des clients qui admettent leur culpabilité, mais qui savent qu’ils recevront de toute façon une peine minimale obligatoire. Ils ne sont donc pas incités à faire ce qui s’impose, à régler le problème, à épargner le système de justice et à éviter aux victimes d’actes criminels de devoir témoigner devant les tribunaux.

Il est très positif que le projet de loi C-5 supprime certaines de ces peines minimales corrosives, mais il ne va pas assez loin. Nous devons éliminer toutes les peines minimales du Code criminel. Oui, et je sais que je vais me faire poser des questions, cela comprend les peines minimales pour meurtre.

C’est un cas particulièrement difficile parce qu’il touche un large éventail de personnes. Je pense aux femmes violentées et aux personnes vulnérables qui commettent des infractions à cause de ces abus et qui sont ensuite confrontées à cette peine minimale obligatoire coercitive et perverse qui les victimise de nouveau et les oblige à choisir entre plaider coupable à une infraction moins grave ou subir un procès.

Voici votre leçon d’histoire. La seule raison pour laquelle la peine minimale pour meurtre a été jugée constitutionnelle par la Cour suprême dans l’arrêt Luxton, c’est parce qu’il y avait la possibilité d’une révision de cette peine par l’entremise de la disposition de la dernière chance, qui n’existe plus.

Je vais tout de suite passer aux peines d’emprisonnement avec sursis parce que je sais que notre temps est limité. Les amendements sont absolument nécessaires. Sur le terrain, les peines d’emprisonnement avec sursis améliorent l’efficacité et l’équité du système de justice, mais elles ne peuvent être imposées que dans un nombre restreint de circonstances, malgré cet amendement, pour les infractions passibles d’une peine d’emprisonnement de moins de deux ans et lorsque la sécurité de la collectivité n’est pas menacée.

Les peines avec sursis imposent des restrictions importantes. Elles peuvent exercer un effet dissuasif sur la criminalité. Il s’agit d’un bon exemple de peine pour la collectivité.

Elles peuvent être très restrictives et punitives, mais elles peuvent aussi favoriser la réadaptation. Contrairement à la peine d’emprisonnement traditionnelle, où il n’y a pas beaucoup de réadaptation, les peines d’emprisonnement avec sursis peuvent favoriser cette réadaptation, si elles sont assorties de conditions, et les délinquants peuvent être tenus de demander du counselling, de conserver un emploi, d’effectuer des travaux communautaires et de réparer les torts causés à leurs victimes.

C’est exactement ce que nous recherchons dans une peine. J’ai eu de nombreux clients, probablement plus d’une centaine, qui ont reçu une peine avec sursis. J’ai vérifié mes dossiers avant de venir ici aujourd’hui. J’ai eu trois clients qui n’ont pas respecté la peine avec sursis. Ces peines font l’objet d’une surveillance stricte, le plus souvent en fonction du port d’un GPS. Ces peines permettent à mes clients de conserver leur emploi, de payer leurs impôts, tout en demeurant sous une stricte supervision. C’est exactement ce que nous voulons comme collectivité.

Très brièvement, j’aimerais parler des amendements relatifs aux drogues.

Le Canada est aux prises avec une épidémie de surdoses mortelles aux opioïdes. En 2020, plus de personnes sont mortes d’une surdose en Colombie-Britannique que d’accidents de voiture, d’homicides et de suicides combinés. Depuis 2016, plus de 20 000 Canadiens sont morts d’une surdose. Cette année seulement, 10 de mes clients ont succombé à une surdose.

Le problème, ici, c’est que les gens n’ont jamais de deuxième chance. Nous devons faire plus que simplement donner un pouvoir discrétionnaire aux policiers.

Je vais vous donner un exemple. Je me souviens d’avoir témoigné ici et à la Chambre au sujet d’un projet de loi qui donnait aux policiers le pouvoir discrétionnaire de permettre à des personnes accusées de manquements aux conditions de la mise en liberté sous caution d’échapper à un processus judiciaire. Cela devait désengorger le système et réduire les répercussions sur les communautés vulnérables et marginalisées. À Ottawa, la police s’en est servi quatre fois sur une période de deux ou trois ans, et peut-être même sur une période plus longue. C’est un peu trop long. Les policiers n’utilisent pas ce pouvoir discrétionnaire. Cela ne fonctionne pas. Donc, s’ils n’utilisent pas ce pouvoir discrétionnaire, cette disposition n’offre aucun changement ni aucun espoir. C’est de la poudre aux yeux, tout comme la loi de 2018 portait sur les manquements à la mise en liberté sous caution.

La solution à ce problème croissant ne consiste pas à donner plus de pouvoir et de discrétion à la police, mais plutôt à retirer une partie de ce pouvoir discrétionnaire en décriminalisant toutes les drogues. Ensuite, nous pourrons discuter sérieusement de l’approvisionnement sécuritaire et de la façon de sauver des vies. Nous avons besoin d’une décriminalisation et d’un approvisionnement sûr.

Dans ce projet de loi, j’accorde une note de B+ à la partie sur les peines minimales. Cela nous permet d’avancer un peu. Pour la partie sur les peines d’emprisonnement avec sursis, j’accorde un A. Quant à elle, la partie sur la décriminalisation ne fait que nous mener à l’échec, et nous devons faire mieux. J’espère qu’il y aura des amendements.

La présidente : Merci beaucoup, maître Spratt. Nous allons maintenant entendre Judie Birns, du Regina Drug Treatment Court.

Judie Birns, gestionnaire, Regina Drug Treatment Court : Bonjour. Puisque je suis ici pour vous donner mon point de vue sur les solutions de rechange au traitement, je vais vous parler de ce qu’est un tribunal de traitement de la toxicomanie et de notre fonctionnement en particulier.

Le tribunal de traitement de la toxicomanie de Regina a ouvert ses portes en 2006, en partenariat avec de nombreux ministères, pour offrir des services complets aux toxicomanes qui font face à une peine de détention importante et qui veulent changer leur mode de vie.

Notre organisme applique un modèle de peine différée. À la fin de la phase d’évaluation, les contrevenants présentent des plaidoyers et la Couronne détermine leur peine, s’ils ne terminent pas le programme avec succès. À la fin du programme, ils obtiennent leur peine.

Les accusations portées contre les personnes qui comparaissent devant un tribunal de traitement de la toxicomanie ne sont pas seulement des infractions liées à la drogue, mais elles comprennent le vol qualifié, l’introduction par effraction, la fraude, et cetera, toutes des infractions commises pour se procurer de l’argent et acheter de la drogue à des fins personnelles.

Nous offrons des programmes du lundi au vendredi, de 9 heures à 15 heures 30, et des services sur appel les fins de semaine et les jours fériés. La comparution devant le tribunal est hebdomadaire, et ce lien avec le juge est essentiel au succès du programme.

En raison des besoins complexes de cette population, qui vont de la mauvaise santé, des problèmes de santé mentale, des enfants pris en charge, des traumatismes et des problèmes relationnels, nous offrons une vaste gamme de programmes. Les domaines abordés sont la toxicomanie, la pensée criminelle, les aptitudes à la vie quotidienne, l’identité culturelle, les problèmes de santé mentale, les problèmes de santé physique, la colère, les relations et le rôle parental, l’établissement d’un budget, les compétences à l’emploi et la connexion aux possibilités d’éducation. C’est très personnalisé comme programme.

L’effectif comprend un gestionnaire, moi-même, des conseillers en toxicomanie, une infirmière en psychologie, un agent de probation et un travailleur de l’aide au revenu. Nous avons accès aux aînés par l’entremise des courtiers culturels des autorités de la santé, et nos autres partenaires sont le juge, la Couronne et la défense, qui font partie de l’équipe régulière et comparaissent chaque semaine.

Bon nombre des clients qui participent au programme n’ont jamais cherché à se faire traiter pour toxicomanie. Ils n’ont jamais même envisagé cette possibilité. Ils sont pris dans un cercle vicieux et ne savent pas comment s’en sortir. Il faut beaucoup d’énergie pour continuer à consommer et à commettre des crimes. Lorsqu’ils sont finalement arrêtés, bon nombre d’entre eux se disent soulagés et savent qu’ils pourront maintenant se reposer.

Lorsqu’ils cessent de consommer pendant leur détention et qu’ils se rendent compte qu’ils ont brûlé presque tous les ponts, ils sont plus susceptibles de vouloir de l’aide pour réussir à cesser de consommer, mais ils ne savent pas comment. Ils commencent à soupeser leurs options, et la durée de la peine d’emprisonnement est un facteur déterminant dans leur processus décisionnel.

Il faut s’attaquer à deux causes fondamentales lorsqu’une personne participe à un programme de traitement. Le traitement de la toxicomanie à lui seul pour cette population ne fonctionnera pas. Cela ne veut pas dire que les tribunaux de traitement de la toxicomanie n’ont pas recours au traitement en établissement en plus de leurs propres programmes, mais ils ne s’attaquent pas aux facteurs criminogènes. Les tribunaux de traitement de la toxicomanie offrent non seulement un traitement, mais aussi un élément crucial qui s’attaque à la pensée criminelle.

Certains clients indiquent qu’ils découvrent qu’ils sont tout aussi ou plus dépendants de la criminalité. La poussée d’adrénaline que leur procure la criminalité peut être tout aussi puissante que celle que leur procure la drogue, et ils sont habituellement sous l’influence de la drogue lorsqu’ils commettent leur crime, ce qui accentue cette sensation de puissance.

Nous avons constaté des améliorations importantes du raisonnement moral, du comportement, de la période de sobriété et des taux de réussite du programme grâce à cette combinaison. Les personnes qui réussissent le programme indiquent que le module du programme sur la pensée criminelle est un facteur énorme dans la réalisation du changement et dans leur réussite.

Le programme du tribunal de traitement de la toxicomanie prévoit des peines d’emprisonnement, et c’est le facteur de motivation dont de nombreuses personnes ont besoin, surtout au début du programme. Il y a une corrélation entre la peine envisagée et la motivation à redoubler d’efforts.

Le processus du tribunal est difficile. C’est même parfois plus difficile que de passer du temps en prison. Il n’est pas facile de changer sa vie et de repartir à zéro. Les conditions de libération sont nombreuses, mais chacune d’elles est conçue pour fournir le soutien et la structure dont les personnes ont besoin.

Notre agent de probation fait partie de notre équipe sur place au centre de programme et il travaille d’un point de vue thérapeutique. Il motive en outre le client à respecter les conditions et à apporter les changements nécessaires à sa vie. L’interaction hebdomadaire avec le juge est aussi une grande source de motivation. Recevoir des éloges de la part du juge suscite le désir de continuer à bien faire.

Nous effectuons également un dépistage aléatoire de l’urine, ce qui tient les personnes responsables et fournit à l’équipe les renseignements nécessaires pour élaborer un plan de traitement. Le client approprié pour ce programme est un client à risque élevé et à besoin élevé. Il s’agit de délinquants qui sont dépendants de drogues illicites et qui présentent un risque élevé de récidive criminelle ou d’échec dans les programmes dont les mesures de réadaptation sont moins intensives.

Le traitement du délinquant doit durer au moins un an. La recherche indique que plus une personne passe du temps en traitement, meilleurs sont les résultats. Le programme du tribunal de traitement de la toxicomanie de Regina prend de 12 à 18 mois et est habituellement suivi d’une ordonnance de surveillance ou de probation de six mois. Par conséquent, il faut respecter ou dépasser ce délai pour que le projet de loi soit attrayant dès le départ. Ensuite, nous espérons qu’ils se rallieront et qu’ils auront l’espoir de changer leur vie.

Le succès au tribunal se mesure moins par la conformité ou par l’élimination efficace des dossiers que par les résultats thérapeutiques et la mesure dans laquelle les problèmes sous‑jacents sont corrigés. Ce faisant, une approche de résolution de problèmes vise à s’attaquer au système de portes tournantes en vertu duquel le système de justice pénale crée des récidivistes.

La présidente : Merci beaucoup, madame Birns. Nous allons maintenant entendre Me Bartleman, trésorier de l’Association du Barreau autochtone.

Me Alain Bartleman, trésorier, Association du Barreau autochtone : Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je comparais virtuellement aujourd’hui au nom de l’Association du Barreau autochtone du Canada, ou ABA, à Toronto.

L’ABA est une association nationale sans but lucratif composée d’Autochtones, de professionnels et d’étudiants au Canada. Notre mandat comprend la promotion et l’avancement de la justice pénale et sociale pour les peuples autochtones du Canada et la réforme des lois et des politiques touchant les peuples autochtones du pays.

Avant de passer à mes observations, j’aimerais remercier M. Duncan Stewart, stagiaire, des efforts qu’il a déployés pour préparer la comparution de l’ABA aujourd’hui. Meegwetch, Duncan.

Comme ce sont les peuples autochtones qui font les frais des sanctions pénales d’une manière totalement disproportionnée par rapport à notre poids démographique dans la société canadienne, l’ABA s’intéresse particulièrement à la réforme de la justice pénale. Par conséquent, nous accueillons favorablement les tentatives contenues dans le projet de loi C-5. Cependant, bien qu’il s’agisse d’un premier pas bienvenu, le projet de loi C-5 ne devrait pas être considéré comme l’aboutissement du processus d’élimination des peines minimales obligatoires.

L’Association du Barreau autochtone fait écho à l’appel à l’action 32 et demande que le gouvernement permette aux juges de première instance, avec motifs à l’appui, de déroger à l’imposition des peines minimales obligatoires qui demeurent dans la loi et dont l’imposition entraînerait une injustice à l’égard d’un délinquant si le gouvernement n’est pas disposé à supprimer intégralement les peines minimales obligatoires.

Notre position repose sur deux principes. Premièrement, les difficultés [Difficultés techniques] inhérentes aux peines minimales obligatoires à la lumière des dispositions du Code criminel sur la détermination de la peine et des politiques et pratiques de détermination de la peine des juges au pays, telles qu’elles sont déjà appliquées. Le deuxième principe est l’incidence disproportionnée des peines minimales obligatoires sur les Autochtones au Canada en particulier.

En ce qui concerne le premier point, sur le fond, et comme me l’ont décrit les membres de l’équipe des poursuites pénales, les peines minimales obligatoires expriment le dégoût particulier de la société à l’égard de certains types d’infractions. Cela soulève un certain nombre de problèmes. Du simple point de vue de la détermination de la peine ou de l’efficacité judiciaire, nous devons nous demander si les peines minimales obligatoires ont pour objet de communiquer efficacement la répugnance de la société à l’égard de certaines formes d’infractions ou si l’obligation qu’a le juge, à l’étape de la détermination de la peine, de tenir compte des circonstances dans lesquelles les infractions sont commises, de la situation du délinquant et de ses interactions avec le système de justice permettent déjà d’exprimer le dégoût de la société à l’égard de certaines formes d’infractions sans qu’il soit nécessaire d’imposer une peine minimale obligatoire, assortie du risque connexe que les peines minimales obligatoires posent pour l’intégrité de notre système judiciaire.

Fondamentalement, l’ABA ne croit pas que les peines minimales obligatoires ajoutent quoi que ce soit aux objectifs de détermination de la peine décrits dans le Code criminel. L’ABA reconnaît la nécessité d’imposer une peine aux délinquants pour atteindre les objectifs décrits à l’article 718 du Code, à savoir :

... protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre...

... au moyen des objectifs particuliers décrits aux alinéas 718a) à f).

À ces objectifs, l’ABA ajouterait la nécessité d’une justice réparatrice qui viserait à permettre à ces personnes d’assumer la responsabilité des préjudices qu’elles ont causés et de communiquer et de répondre à leurs besoins par suite d’un crime. Nous sommes d’avis que ces objectifs peuvent être adéquatement atteints grâce au pouvoir discrétionnaire des juges et à l’obligation des juges de tenir compte des facteurs énoncés à l’article 718, sans le fardeau supplémentaire des peines minimales obligatoires.

Nous devons aussi nous demander si les peines minimales obligatoires en cette ère post-Nur et post-Lloyd peuvent servir à assurer l’équilibre dans la société — une société juste et sûre, comme le demande le Code criminel. Selon des statistiques du ministère de la Justice, il semblerait que les contestations des peines minimales obligatoires donnent souvent de bons résultats dans 48 % des cas, en ce qui concerne les contestations des infractions relatives aux armes à feu.

Il y a peu de données probantes examinées par les pairs à l’appui des peines minimales obligatoires. Cependant, comme je vais en parler brièvement, il y a beaucoup de preuves que les peines minimales obligatoires exacerbent les inégalités sociales et contribuent à la surincarcération des Autochtones. L’adoption d’une approche globale n’est pas bien adaptée à un problème qui comporte son lot de nuances.

En ce qui concerne mon deuxième point, à savoir le fardeau disproportionné, comme nous le savons tous, la surreprésentation de la communauté autochtone dans le système de justice criminelle en général et la surincarcération des Autochtones au sein du système de justice pénale en particulier est une source de honte nationale. Bien qu’elles ne représentent que 4 % de notre population, les femmes autochtones représentent environ 50 % de la population carcérale au pays. En Saskatchewan, environ 98 % des femmes incarcérées dans des établissements correctionnels pour la jeunesse sont autochtones.

Les peines minimales obligatoires contribuent à cette crise en plaçant des personnes, surtout des personnes vulnérables, dans des situations où elles se sentent obligées de plaider coupable à des infractions moins graves afin d’éviter le spectre des peines minimales obligatoires, ou encore, à envisager la possibilité de lancer une série de contestations en vertu de l’article 12.

Nous faisons écho aux préoccupations soulevées par les sénateurs Pate et Sinclair au sujet de la situation des femmes autochtones en particulier qui, souvent en réaction à des antécédents de violence, sont reconnues coupables de crimes qu’elles ont commis pour échapper à des situations de violence familiale ou de mauvais traitements, mais se retrouvent avec la perspective d’une peine qui pourrait être nettement disproportionnée par rapport à leur situation.

Nous sommes également conscients des difficultés et des défis uniques en matière d’ordre public auxquels font face les Autochtones, en particulier ceux qui vivent dans les réserves et qui se retrouvent dans une situation de vulnérabilité en raison de leur sexe, de leur expression de genre ou de la maladie, qu’elle soit physique ou mentale.

Cela dit, on ne peut recourir aux peines minimales obligatoires pour tenter de corriger les problèmes d’ordre public auxquels notre peuple est confronté. Les peines minimales obligatoires, en particulier, exacerbent les difficultés auxquelles notre peuple est confronté dans une société trop souvent indifférente ou activement hostile à ses intérêts.

En conséquence bien que l’ABA accueille favorablement les dispositions de ce projet de loi, nous encourageons le gouvernement à mettre en œuvre l’appel à l’action 32 s’il n’est pas disposé à éliminer entièrement les peines minimales obligatoires. Meegwetch.

La présidente : Je vous remercie tous les trois de vos exposés.

J’ai une question pour Me Spratt. Dans votre présentation, vous avez dit que vous étiez d’accord à 100 % avec les amendements concernant les peines avec sursis et peut-être à 90 % avec les amendements relatifs aux peines minimales obligatoires, mais vous êtes déçu des amendements sur les drogues.

Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Qu’entendez-vous exactement par là?

Me Spratt : Le problème, c’est le droit apparent dans la loi en soi. Selon la première déclaration de principe, les problèmes de toxicomanie devraient être traités principalement comme un problème de santé et de société, mais c’est pourtant en invoquant le Code criminel que l’on tente de s’y attaquer.

Le problème, c’est que même si nous supposons que le pouvoir discrétionnaire d’intenter des poursuites ou le pouvoir discrétionnaire des policiers sera utilisé — et je ne suis pas convaincu que ce sera le cas; nous n’avons pas la preuve qu’il l’a été dans le passé dans des circonstances semblables —, le fait que ces infractions figurent toujours dans le Code criminel constitue un préjudice en soi. Quand une personne a des interactions avec la police, ou se sent menacée d’interactions avec la police ou de sanctions pénales, il peut en résulter des situations mortelles dans les cas de consommation de drogues. Même si les accusations sont réglées au moyen d’une déjudiciarisation après le passage de la personne devant le tribunal, le processus judiciaire et le fait que l’accusation soit portée constituent un préjudice en soi.

Il y a environ un an, j’ai parlé à une jeune femme du nom de Tanya dans le cadre de mon balado. Elle réside à Ottawa. Son frère souffrait de problèmes de toxicomanie. Il a été accusé d’une infraction en raison de ces problèmes de toxicomanie, et il n’a pas pu suivre un traitement parce que ces accusations en instance pesaient sur lui. Il faut un certain temps pour que ces accusations passent par le système, même s’il y a déjudiciarisation ou si elles sont éliminées autrement. En raison de ces accusations, il n’a pas pu se faire traiter, et parce qu’il n’a pas pu se faire traiter, il a fait une surdose et il en est mort.

C’est l’expérience de ma cliente, et c’est ce qui se passe concrètement dans nos collectivités. Rien dans ce projet de loi ne règle ce problème.

La présidente : Merci, Maître Spratt.

Le sénateur Gold : Merci à tous les témoins d’être ici.

Ma question s’adresse à Me Spratt. Vous avez appuyé l’élargissement de l’accès aux ordonnances de sursis. De toute évidence, elles comportent un avantage manifeste en ce sens qu’elles permettent à quelqu’un qui n’a pas besoin d’être incarcéré d’éviter la prison. C’est une bonne chose, évidemment.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les avantages indirects des ordonnances de sursis? Quels sont les effets de ces ordonnances au-delà de la personne en soi ou quels sont leurs avantages pour la société en général?

Pendant que j’y suis, j’aurais une deuxième question. Aussi bien la poser tout de suite et vous permettre d’y répondre en même temps. Pouvez-vous nous dire comment les tribunaux ont appliqué les ordonnances de sursis avant qu’elles ne soient restreintes par le gouvernement précédent? Les juges les ont-ils appliquées de façon raisonnable et efficace, à votre avis? Si le projet de loi C-5 est adopté, comment pensez-vous que les tribunaux s’en serviront? Est-ce que ce sera comme avant qu’on les restreigne?

Me Spratt : Je suis assez vieux pour avoir pratiqué avant que les peines avec sursis ne fassent l’objet de restrictions. Je les ai donc vues employées de façon convenable. Comme ce sont là des enjeux sérieux, nous avions droit à des auditions de la preuve et à de longs motifs. Les décisions jugées inappropriées pouvaient être portées en appel.

Évidemment, comme dans toute autre situation, l’inculpé ayant reçu une peine avec sursis peut toujours récidiver. Il est facile de mettre le doigt sur ce genre de cas.

Toutefois, on a constaté un certain nombre de changements après l’imposition des restrictions sur les peines avec sursis. Le premier — et je suis sûr que vous avez pris ou prendrez connaissance des données à ce sujet — est celui de l’augmentation de la population carcérale et de la surincarcération, parfois pour de courtes périodes — 35 ou 45 jours — alors que les justiciables ont peut-être reçu une peine avec sursis plus longue.

L’autre chose est l’effet pervers, contraire à ce dont je viens de parler, soit que, par le passé, quelqu’un aurait pu être condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis moyennant ces restrictions plus sévères, mais que, le milieu carcéral étant inadapté, la personne aurait obtenu une peine suspendue. La peine dans ces circonstances aurait donc été moindre.

Nous avons constaté qu’un plus grand nombre de ces cas aboutissent devant les tribunaux, soit quand les peines avec sursis ne sont pas disponibles. Il est devenu plus difficile de régler certaines causes et de parvenir à un terrain d’entente où tout le monde trouve son compte. Nous avons vu enfler le nombre de dossiers inscrits au rôle. Nous avons vu des salles d’audience pleines à craquer. Il est plus difficile d’obtenir rapidement une comparution. Contrairement à un bon vin, la preuve et le processus de justice pénale ne s’améliorent pas avec le temps.

Aucun de mes clients ne veut que son cas s’éternise. Aucun de mes clients ne m’a dit qu’il fallait étirer le processus aussi longtemps que possible. Je représente des plaignants dans des affaires d’agression sexuelle en vertu des articles 278 et 276 du Code criminel, et ils ne veulent pas que leurs affaires traînent trop longtemps.

Les peines avec sursis permettront d’économiser du temps et de l’argent, d’améliorer l’accès à la justice, de faire en sorte que les peines appropriées permettent de réduire le nombre de détenus et, avant tout, d’imposer la peine la plus appropriée qui permet d’améliorer la sécurité publique, la réadaptation et la réinsertion sociale, ce que tout le monde recherche, à mon avis, peu importe de quel côté de la table on se trouve.

Le sénateur Gold : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue aux témoins.

Ma question s’adresse à M. Bartleman.

Avez-vous l’interprétation, monsieur Bartleman?

Me Bartleman : Non, je n’ai pas l’interprétation, mais je peux vous répondre en français.

Le sénateur Boisvenu : Vous avez beaucoup parlé de violence faite aux femmes dans les communautés autochtones. C’est un vrai fléau au Canada, dans toutes les communautés. Il y a 30 % plus de femmes qui ont été assassinées au cours des trois dernières années. Dans presque tous les cas, les épisodes de violence ont commencé très tôt dans la vie du couple.

Le système de justice a été très permissif à l’égard des agresseurs. Plutôt que de les condamner à une peine de prison, on leur ordonne de ne pas troubler la paix et de ne pas s’approcher des victimes. Dans la majorité des cas, les agresseurs n’ont pas respecté leurs engagements et ont assassiné leur conjointe ou leur ex-conjointe.

Le projet de loi dont nous sommes saisis va élargir les condamnations avec sursis. Je pense notamment au harcèlement criminel, aux agressions sexuelles, aux entrées par effraction, aux voies de fait, aux lésions corporelles. Ce sont tous des éléments qui sont inclus dans la définition de violence conjugale.

Le fait que les juges aient la possibilité de renvoyer ces criminels dans leur maison pour y purger leur peine, n’est-ce pas un message très négatif qu’on envoie aux femmes de ne pas dénoncer leur agresseur, sans quoi le système de justice accordera une peine très mineure à leur agresseur?

Me Bartleman : Tout à fait. Alors qu’on évalue les problèmes associés à la violence conjugale et la nécessité de protéger les personnes très vulnérables de notre société, par exemple les femmes ou les enfants autochtones qui subissent des violences à un taux élevé comparativement au reste de notre société, nous ne pouvons pas laisser le système judiciaire se substituer à des systèmes de gouvernance traditionnelle ou compétente de façon culturelle.

Autrement dit, la réintégration des individus doit se faire d’une façon sécuritaire, d’une façon bien établie afin de permettre à ces individus d’être réhabilités et réintégrés dans la société. C’est ce qui devrait être priorisé. Ces individus, ces accusés, ces condamnés seront éventuellement libérés dans la communauté. Il faut donc prioriser le fait que leur réhabilitation dans la société, dans leur communauté, se fasse dans les conditions les plus favorables possibles.

Le sénateur Boisvenu : Toutefois, que dit-on aux victimes qui, après leur procès, voient leur agresseur réintégrer immédiatement la communauté sans que le système de justice ait été sévère à leur égard? Pourtant, à la Cour suprême et dans les cours d’appel, on dit qu’il ne faut avoir aucune tolérance à l’égard de la violence conjugale. C’est un fléau partout au Canada.

Qu’est-ce qu’on dit aux victimes lorsqu’un juge accorde une peine avec sursis? Quel message envoie-t-on aux victimes?

Me Bartleman : Le message essentiel, c’est que les peines doivent être adaptées au crime et au délinquant, et non aux peines minimales générales ou d’application générale, qui pourraient avoir un effet secondaire, comme la radicalisation de ces individus. Les peines doivent être adaptées selon le crime commis par le délinquant. C’est un exercice judiciaire et non, si j’ose dire, un exercice parlementaire que de déterminer le niveau de peine à infliger à un individu condamné pour un crime.

Le sénateur Boisvenu : En ce qui concerne les peines minimales, je pense que c’est aussi une question de perception du système de justice.

Me Bartleman : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce qu’on ne devrait pas retirer la...

La présidente : Nous allons maintenant passer au deuxième tour de questions.

Me Bartleman : Merci, sénateur.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Maître Spratt, d’aucuns craignent qu’en étendant la mesure aux personnes condamnées avec sursis, ce projet de loi ne permette aux délinquants sexuels de purger leur peine dans la collectivité, dans le même quartier que leurs victimes, ce qui reviendrait à dire aux victimes que le système ne se soucie pas d’elles. Partagez-vous ces préoccupations? Sinon, d’après votre expérience, que devrions-nous faire pour y répondre?

Me Spratt : Je vais vous donner une réponse de Normand en vous disant que je ne partage pas ces préoccupations. Dans l’arrêt Friesen, la Cour suprême a clairement indiqué que les infractions sexuelles devraient être traitées très sérieusement et qu’elles exigeront vraisemblablement une peine privative de liberté. En fait, ces peines s’allongent.

Cependant, j’ai représenté des personnes atteintes de graves retards de développement dont les infractions se situaient au bas de l’échelle, qui ne posaient pas nécessairement un risque pour la collectivité et dont la peine aurait pu être courte moyennant un solide plan de traitement et une supervision. Dans ces rares cas, une peine avec sursis peut être très appropriée. Sinon, la plupart du temps, tout comme pour les peines minimales, ce n’est pas parce qu’une peine avec sursis existe qu’elle sera imposée. Comme pour la plupart des exemples donnés aujourd’hui, ce genre de peine ne serait pas imposée.

Le sénateur Dalphond : Ma prochaine question s’adresse à Mme Birns, de la Cour de Regina. L’approche thérapeutique que vous parrainez repose sur le principe voulant que la personne inculpée doit d’abord plaider coupable, puis que l’affaire suivra son cours à partir de là. Le projet de loi prévoit que les policiers et même la Couronne pourront ordonner aux inculpés de suivre une thérapie médicale plutôt que de passer par le système pénal. Quelle incidence cela aura-t-il sur vos activités et comment votre organisation pourra-t-elle s’adapter à cette nouvelle réalité si le projet de loi est adopté?

Mme Birns : Je crois que le projet de loi donnerait des choix aux gens qui n’en ont pas déjà. Comme je ne suis pas avocate, je ne peux pas vous en parler davantage.

Le sénateur Dalphond : Je crois cependant comprendre que votre organisation sera en mesure de s’adapter et de traiter les cas qui découleront de ce genre d’ordonnances émis par des services de police et du genre de programme convenu avec l’accusé.

Mme Birns : Exact.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Le sénateur Klyne : J’ai une question pour Mme Birns et pour Me Bartleman. Madame Birns, croyez-vous que ce projet de loi puisse donner aux personnes qui se trouvent dans le système de justice pénale un meilleur accès aux mesures de soutien dont elles ont besoin, comme des services de traitement variés et de réadaptation pour leur sécurité en particulier et pour la sécurité publique en général? Sinon, qu’est-ce que le gouvernement fédéral pourrait faire d’autre pour assurer le succès de ce projet de loi à cet égard?

Mme Birns : La Couronne a des critères pour évaluer les personnes qui sont admissibles au programme, et cela donnerait plus de possibilités aux personnes qui sont confrontées à la durée de la peine, quelle qu’elle soit, parce qu’il existe une fourchette. Si elles dépassent cette fourchette, leur admissibilité ne leur permettrait pas d’avoir accès à notre tribunal.

Je crois que le traitement est la solution pour bon nombre de ces personnes qui doivent se reprendre en main, qui ne savent pas comment procéder et qui sont coincées dans ce cycle.

Le sénateur Klyne : Maître Bartleman, je crois comprendre que le projet de loi C-5 vise, du moins en partie, à répondre aux appels à l’action 30 et 32 de la Commission de vérité et réconciliation, à éliminer la surreprésentation des Autochtones en milieu carcéral d’ici 2025 et à permettre aux juges de s’écarter des peines minimales obligatoires avec motifs. Ce projet de loi peut également être considéré comme une réponse à l’appel à la justice 5.14 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées concernant l’évaluation de l’effet des peines minimales obligatoires sur la surreprésentation en milieu carcéral des femmes autochtones, des filles et des personnes ayant une sexualité et un genre différents.

Cela dit, ma question est la suivante : ce projet de loi va-t-il assez loin pour régler les problèmes sociaux et le racisme systémique qui ont créé une surreprésentation des Autochtones dans le milieu carcéral? Y a-t-il autre chose que le gouvernement fédéral pourrait ou devrait faire pour compléter ce projet de loi et le placer sur la voie de la réussite?

Me Bartleman : Je vous remercie de cette question, sénateur. J’étais tenté de vous dire « non, mais », puis j’aurais changé ma réponse pour « oui, mais ». Donc, au lieu de fournir un bref clip sonore, je vais simplement répondre à la question : dans une certaine mesure, le projet de loi va dans le bon sens. mais il ne va pas assez loin pour remédier aux problèmes de racisme systémique au sein du système de justice. Nous sommes confrontés à une crise de surreprésentation des personnes d’origine autochtone dans le système de justice.

Bon nombre de ces personnes ont des démêlés avec le système de justice pénale, notamment à cause des séquelles laissées par les pensionnats, de la Loi sur les Indiens — qui est toujours en vigueur — et des diverses injustices et indignités infligées aux peuples autochtones par la Loi sur les Indiens et des autres textes habilitants.

Toutefois, le projet de loi s’attaque à certaines dispositions du système de justice pénale qui contribuent à la surreprésentation des personnes d’origine autochtone dans le système pénal, en particulier au moyen de peines minimales obligatoires.

Je crois que d’autres intervenants ont parlé du choix très difficile que certains accusés autochtones doivent faire quand ils sont confrontés à la décision de plaider coupable. Soit, ils acceptent des peines privatives de liberté afin d’éviter des peines minimales obligatoires éventuellement plus sévères pour les infractions pour lesquelles ils ont été accusés à l’origine, soit ils envisagent la perspective d’un litige long, coûteux et incertain fondé sur l’article 12 de la Charte.

Ce projet de loi ne s’attaque pas aux effets systémiques des pensionnats ou aux problèmes liés à la Loi sur les Indiens, mais il s’attaque carrément au problème que je viens de décrire, à savoir le spectre des peines minimales obligatoires qui se cachent derrière certaines infractions. Bien qu’il s’agisse d’une première étape encourageante, je ne suis pas certain qu’une loi visant à réformer le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances soit appropriée, mais il conviendrait de dire qu’elle vise à régler les problèmes systémiques plus vastes auxquels sont confrontés les peuples autochtones au pays.

Le sénateur Klyne : Merci.

La sénatrice Simons : J’ai deux questions; la première s’adresse à Mme Birns. Pendant que vous parliez des différents tribunaux spécialisés de ma province, l’Alberta, je me suis rappelé qu’un tribunal de la santé mentale existe à Edmonton. Calgary a un tribunal autochtone et un tribunal spécialisé en matière de violence familiale. Edmonton et Calgary ont des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Toutefois, ils se trouvent tous au niveau provincial. Étant donné que nous avons aussi affaire à des institutions fédérales et à des tribunaux fédéraux qui évaluent apparemment les crimes les plus graves, le gouvernement fédéral doit-il faire davantage pour être chef de file dans l’établissement de ce genre de tribunaux de déjudiciarisation?

Mme Birns : La Couronne fédérale travaille en étroite collaboration avec notre tribunal quant aux renvois, de sorte que nous avons un équilibre entre les accusations provinciales et fédérales, et les renvois viennent des deux parties. En collaboration avec nos tribunaux, les fonctionnaires fédéraux aident à offrir des possibilités à leurs clients.

La sénatrice Simons : Maître Spratt et maître Bartleman, nous avons beaucoup parlé de la crise de la surreprésentation des Autochtones et des personnes noires, autochtones et racialisées dans le système de justice pénale. J’ai l’impression que nous n’avons pas parlé de l’autre crise qui sous-tend une grande partie de tout cela, à savoir la crise de confiance des citoyens à l’égard des tribunaux. À mon avis, la genèse de toutes ces peines minimales obligatoires réside dans cette croyance, ancrée ou non dans la réalité, que les tribunaux sont laxistes en matière de criminalité et que nous ne pouvons pas faire confiance aux juges, qu’il faut les encadrer et restreindre leur capacité à rendre un jugement.

Après avoir écouté le ministre Lametti hier, il me semble qu’il sera très difficile de convaincre une majorité de Canadiens que c’est une bonne idée, même si plusieurs d’entre nous en reconnaissent le côté pragmatique, tant qu’il y aura cette crise de confiance envers le système judiciaire lui-même.

Je crois, maître Spratt, que vous avez plus d’expérience sur le plan des procès que Me Bartleman, mais que faisons-nous pour rétablir la confiance du public à l’égard de nos juges afin que les gens aient l’assurance qu’ils appliqueront la peine de façon juste et responsable si on abat les barrières pour bébés?

Me Spratt : Au Canada, nos juges et notre système judiciaire sont parmi les plus respectés au monde. Nous sommes un modèle et un phare pour les autres administrations quant à la façon dont les systèmes de justice devraient fonctionner. Pendant trop longtemps, la justice pénale a trop facilement été utilisée comme enjeu politique. Voilà la genèse d’une bonne partie des peines minimales, celles qui ont été adoptées par le gouvernement conservateur précédent et par les gouvernements libéraux précédents.

Il est facile de s’en prendre à ces populations et, très franchement, j’ai été très déçu par certains commentaires de nos dirigeants qui déforment les faits, qui mentent sur certaines choses, parce que nous sommes renseignés. Vous connaissez les études. Vous avez vu toutes ces études qui disent que les peines minimales n’ont pas d’effet dissuasif sur la criminalité, ce qui relève du bon sens. Une personne qui cherche à sortir de la toxicomanie et qui, pour y parvenir, cambriole un magasin, ou une personne souffrant d’un problème de santé mentale qui commet un délit ne pense pas aux peines minimales susceptibles de lui être imposées. Ces peines ne sont pas dissuasives. En fait, les études laissent entendre le contraire; elles pourraient accroître le nombre d’infractions dans la collectivité. Mais on ne le dit pas au public.

La première étape devrait être une conversation honnête entre nos dirigeants. Il peut y avoir des désaccords quant aux principes sous-jacents, mais quand le public est bombardé par ce genre de désinformation et que celle-ci est utilisée comme enjeu politique, une désinformation dans le genre : vous êtes trop indulgent envers les criminels; nous, nous sommes sévères à leur égard; nos rues ne sont pas sûres.

Le taux de criminalité fluctue à la hausse et à la baisse, mais de façon générale, nos rues n’ont jamais été plus sûres. Oui, il existe une crise de confiance, mais c’est une crise créée pour des raisons politiques. Cela ne reflète pas les réalités de nos tribunaux.

Il n’y a peut-être pas grand-chose que nous puissions faire dans le projet de loi parce que nous ne voulons pas redoubler d’efforts pour mettre en place de mauvaises politiques simplement pour berner le public et atténuer des craintes qui ne sont pas fondées. Je ne pense pas que vous puissiez faire grand‑chose à propos de ce projet de loi, mais j’exhorte tout le monde à communiquer au moins honnêtement certain des faits bruts sous‑jacents. C’est là où se situe le problème, à mon avis.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup. Maître Bartleman, je ne sais pas si vous avez quelque chose à ajouter, mais vous pouvez y aller si vous le souhaitez.

La présidente : Je suis désolée, nous pouvons maintenant passer à la sénatrice Pate; allez-y, sénatrice.

La sénatrice Pate : Merci à tous les témoins d’avoir accepté de comparaître. Merci également de leur travail constant.

Je vais reprendre là où vous vous êtes arrêté, maître Spratt. Dans votre exposé, vous avez parlé notamment de l’ampleur du travail qu’il reste à accomplir pour abroger ou faire disparaître les peines minimales obligatoires qui subsistent encore. J’ai bien aimé l’historique que vous nous avez proposé, en remontant, pour les affaires de meurtre, jusqu’à la cause Luxton.

L’une des difficultés, pour l’heure, c’est qu’on nous décourage de modifier le projet de loi à cause des impressions que le grand public pourrait avoir. Je voudrais néanmoins que vous et Me Bartleman en particulier m’expliquiez ce qu’il restera à faire, une fois le projet de loi adopté, s’il est adopté sans amendement, pour ensuite contester toutes ces autres peines minimales obligatoires. Combien faudra-t-il de temps, d’efforts, de ressources? Quelles seront les conséquences pour la vie des personnes en cause?

Me Spratt : Je serai bref afin de ne pas voler tout le temps de Me Bartleman cette fois-ci. Il y a encore beaucoup d’autres peines minimales obligatoires, et l’un des problèmes que pose le fait qu’elles ne soient pas toutes abrogées, c’est que nous avons des lois différentes partout au Canada. Des peines minimales s’appliquent en Colombie-Britannique, mais pas en Ontario ni en Alberta, pas plus qu’en Nouvelle-Écosse. Par conséquent, les peines imposées à des délinquants comparables qui commettent des infractions semblables varient d’une province à l’autre, et nous avons une loi fédérale qui s’applique différemment. La justice n’est pas la même d’un bout à l’autre du Canada.

Il faudra des jours, des semaines, des années de contestations judiciaires, il y aura des coûts et, bien sûr, c’est la vie de personnes bien concrètes qui est en jeu. Tous les inconvénients des peines minimales — les incitatifs pervers, les peines à purger, la non-réinsertion sociale de détenus — subsisteront sous une forme ou une autre. Il faut aborder le problème de façon holistique. Attendre que la Cour suprême invalide telle ou telle loi, qui serait abrogée après un certain nombre d’années, ce n’est pas une solution.

Me Bartleman : J’abonde dans le même sens que mon collègue, Me Spratt. Il arrivera donc qu’une loi censée être uniforme soit appliquée de façons diverses selon les provinces ou les territoires. Je ne vais pas mâcher mes mots : c’est un peu absurde. Nous avons l’occasion, en progressant comme nous espérons pouvoir le faire, de continuer à abroger un régime de peines, celui des peines minimales obligatoires, qui ne fonctionne pas et qui, à dire vrai, mine la réputation d’équité du judiciaire. Comme mon collègue l’a souligné à juste titre, notre appareil judiciaire est reconnu dans le monde entier, en tout cas dans les populations autochtones, parce qu’il semble incarner l’équité et l’intégrité. Autrement dit, parmi de nombreuses populations autochtones, on a l’impression que le système judiciaire canadien, au niveau provincial ou fédéral, est raciste, étant donné l’impact disproportionné qu’il a sur les populations autochtones.

Pour répondre à votre question, sénatrice Pate, sur la façon dont nous pouvons continuer d’aller de l’avant, je nous invite à tenir bon et, si possible, à écouter l’appel de la raison, à obéir au souci d’efficacité, que ce soit sur le plan judiciaire ou simplement pour tenir compte des réalités sociales de nos peuples. Meegwetch.

La sénatrice Pate : Je reviens sur un élément qui vient d’être soulevé à propos de la perception : c’est une mesure que les collectivités réclament. Une chose m’a frappée. Un certain nombre de dirigeants autochtones m’ont contactée après les drames qui ont touché la nation crie James Smith et des simulacres de justice. Maître Bartleman, que demandent les dirigeants autochtones à ce stade-ci, en réponse à cette situation, en particulier?

Me Bartleman : Oui. Merci de votre question, madame la sénatrice. Je souligne que — comme je l’ai dit dans mon exposé du début — il est tout à fait conforme à nos enseignements de mettre l’accent sur la justice réparatrice et de s’attaquer aux causes profondes qui poussent certains à agir de façon inacceptable. En ce qui concerne les atrocités dont nous avons été récemment témoins, c’est-à-dire les agressions au couteau perpétrées il y a quelques semaines, il a été réconfortant de constater que les dirigeants de cette communauté, notamment le chef Arcand, ne réclament pas des peines plus sévères ni l’imposition de peines d’application générale pour les auteurs de crimes, mais la poursuite des efforts pour mettre en place un système de guérison pour ceux qui seraient tentés de commettre des crimes semblables ou autrement poussés à le faire.

On ne peut pas améliorer une situation, on ne peut pas aider les gens qui sont blessés en les blessant davantage et en les maltraitant, en les jetant dans une cellule ou en les traitant comme des animaux, ce qui est malheureusement une réalité à laquelle trop d’Autochtones ont été confrontés au cours de leur vie.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Cotter : Je remercie encore une fois les témoins de leurs exposés. J’ai deux questions à poser, toutes deux à Me Spratt. Je comprends vos propos sur ce qu’on pense des juges et des tribunaux, même si cela pourrait faire l’objet d’une discussion une autre fois.

Ma question se rapporte à votre observation voulant que toutes les peines minimales obligatoires doivent être éliminées. Je remarque que, dans le document de travail de la Conférence pour l’harmonisation des lois sur les exceptions aux peines minimales obligatoires, il y a consensus parmi les auteurs du document, qui sont des procureurs, des avocats de la défense, des universitaires, et ainsi de suite, pour dire que le meurtre ne figure pas dans la catégorie des crimes pour lesquels ces peines doivent disparaître. Vous n’êtes sans doute pas d’accord. Sur quoi porte votre désaccord? Et vous voudrez bien me laisser du temps pour poser une deuxième question.

Me Spratt : Le premier point de désaccord porte sur un principe. Si nous faisons confiance aux juges pour imposer des peines équitables en tenant compte de toutes les circonstances, cela vaut pour toutes les infractions, y compris celles qui sont très graves. Il faut reconnaître que ce n’est pas parce qu’une grande latitude leur est laissée que les juges imposeront les peines les plus légères.

Les torts causés par les peines minimales sont peut-être même plus graves dans les cas de meurtre. Je n’ai jamais eu à représenter une femme maltraitée qui est accusée de meurtre au premier ou au deuxième degré parce qu’elle a tué son agresseur et qui peut légitimement plaider la légitime défense ou la contrainte, mais qui est incitée à plaider coupable d’homicide involontaire pour éviter la peine minimale obligatoire. C’est probablement l’un des scénarios les plus déchirants qui soient. Mais j’ai représenté bien des prévenus accusés de ce genre de meurtre et qui se sont fait offrir des peines moindres. Dans ces cas, l’incitation à opter pour ce plaidoyer est la même.

Il est probablement beaucoup plus important dans les cas très graves, comme les meurtres au premier et au deuxième degrés, qu’il n’y ait pas de peine minimale, même si, dans la grande majorité des cas, les auteurs de ces infractions risquent fort de se voir imposer la même peine de toute façon.

Le sénateur Cotter : Ma deuxième question porte sur les modifications relatives aux drogues et votre appel à la dépénalisation. Supposons que cela ne se produise pas — et je pense que c’est un peu optimiste dans cette conversation, pour être franc. Nous avons discuté hier avec des fonctionnaires du ministère de la Justice et avons tenté de savoir dans quelle mesure la police continue de porter des accusations, quitte à ce que la vaste majorité des accusations liées aux drogues soient par la suite suspendues ou retirées par les procureurs.

Le projet de loi prévoit une application très stricte de la part des procureurs, mais assez souple de la part de la police. À votre avis, serait-il utile de préciser dans le projet de loi que la police est tenue de mieux se conformer?

Me Spratt : Oui. Je reconnais que la dépénalisation complète et la politique à adopter au sujet des drogues dépassent probablement la portée des amendements au projet de loi, mais je ne suis pas juriste. Je m’en remets donc à vous, et au greffier et à la présidente du comité. Par exemple, on peut durcir les dispositions. La police devrait avoir l’obligation de tenir compte de ces dispositions. Elle devrait être tenue de montrer qu’elle les a prises en considération et il devrait y avoir des conséquences si elle ne l’a pas fait. Aux termes du projet de loi, c’est l’inverse qui se passe. Il n’y a pas ce genre de contrôle, ce genre de rapport, ce genre de suivi — ce qui nous renseignerait sur la fréquence du recours aux dispositions —, et aucune conséquence n’est prévue. Un agent peut admettre qu’il n’en a pas tenu compte et ne le fera jamais, et le projet ne prévoit aucune conséquence. Selon moi, on pourrait probablement apporter un changement à cet égard.

La présidente : Honorables sénateurs, nous allons probablement prendre cinq ou sept minutes de plus. J’espère pouvoir compter sur votre indulgence. Les témoins peuvent-ils rester un peu plus longtemps? Merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question pour M. Bartleman.

On en a beaucoup parlé, la surreprésentation des peuples autochtones en prison est un grave problème et cela demeure malgré l’arrêt Gladue qui date quand même d’il y a 23 ans.

Est-ce que vous espérez, monsieur Bartleman, que le projet de loi C-5 va renforcer ou modifier la mise en œuvre des principes de l’arrêt Gladue, ou alors que la résistance est plus profonde que la simple question des peines minimales et qu’il y a une résistance dans le système judiciaire qui fait en sorte que cette discrimination va continuer?

Me Bartleman : Je vous remercie pour la question, madame la sénatrice.

Donc, l’application du paragraphe 718.2 du Code criminel fonctionne. Bien évidemment, il y a de nombreux problèmes avec la façon dont le texte de ce paragraphe fonctionne, mais je noterais que le projet de loi C-5 pourrait aider davantage et accorder plus de pouvoirs discrétionnaires aux juges pour qu’ils remplissent correctement leurs fonctions en vertu de cette partie du paragraphe que l’on appelle l’alinéa Gladue du Code criminel.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Je me réjouis de la présence de Mme Birns, du Regina Drug Treatment Court, qui existe depuis 2006, soit depuis 15 ans. C’est une grande réussite et la Saskatchewan en est très fière.

Comme vous l’avez dit dans votre déclaration liminaire, les décisions de ce tribunal peuvent être plus pénibles qu’une peine de prison, et pour cause, car le programme peut parfois aller au cœur des problèmes des délinquants. Madame Birns, pourriez‑vous nous en dire un peu plus sur les critères à appliquer pour décider qui peut bénéficier de la déjudiciarisation? Pouvez‑vous nous orienter vers des données statistiques sur l’efficacité des programmes de déjudiciarisation comme moyen d’aider les délinquants et de réduire le nombre d’infractions?

Mme Birns : Pour ce qui est des données, je suis désolée, je n’en ai pas.

Peut-on offrir le programme à d’autres délinquants? Il serait utile à ceux qui sont dans le système, qui sont prisonniers d’un cycle de délinquance et risquent de recevoir des peines minimales obligatoires. S’ils dépassent le maximum prévu, il faut voir comment on pourrait apporter un rajustement pour permettre ceux qui en ont besoin d’accéder au programme, et non pas seulement en fonction d’un certain niveau fixé en fonction de peines minimales obligatoires.

La sénatrice Batters : Merci.

Maître Spratt, je suis très heureuse de vous revoir en personne. Une étude réalisée en 2020 a révélé que les délinquants autochtones étaient 35 % plus susceptibles que les délinquants blancs d’être reconnus coupables d’un manquement aux conditions d’une peine avec sursis. Quelle incidence cela aurait‑il sur la mise en œuvre du projet de loi C-5? Savons-nous pourquoi il en est ainsi? Pouvez-vous nous éclairer? De plus, quelles sont les conséquences d’un manquement à une peine avec sursis? Pouvez-vous nous expliquer?

Me Spratt : Je vais commencer par la partie facile de la réponse. Le non-respect des conditions d’une peine avec sursis est pris très au sérieux. Normalement, dans la plupart des cas, il s’agit d’une peine d’emprisonnement correspondant au reste de la peine avec sursis. Il peut arriver, selon les circonstances, qu’il y ait une audience et que la condamnation avec sursis soit modifiée. Cela a une certaine importance, car une peine d’emprisonnement avec sursis est habituellement, et même presque toujours, plus longue qu’une peine d’emprisonnement classique. Si la peine normale d’emprisonnement effectif est de l’ordre de cinq mois, la peine avec sursis sera probablement de 10 mois. Donc, un manquement peut être puni d’une période d’incarcération plus longue que celle d’une peine d’emprisonnement effectif.

Pourquoi les manquements sont-ils si nombreux chez les délinquants autochtones? D’autres seraient peut-être mieux placés que moi pour répondre, mais je peux vous parler de mon expérience d’avocat d’accusés autochtones ou issus de communautés marginalisées et racisées. Un surcroît de surveillance policière est l’une des causes. Très souvent, on trouve des manquements là où on les cherche. Les communautés de couleur et ceux qui ont déjà des vulnérabilités sont plus souvent en contact avec la police parce que c’est de ce côté que la police investit des ressources, que cela soit justifié ou non, dans certaines circonstances. Il y a des enjeux sociaux plus importants à cet égard. Mais le taux de manquements dans ces communautés, ou le taux signalé, n’est pas une raison de renoncer aux peines avec sursis.

La sénatrice Batters : Cela vous inquiète-t-il que le projet de loi élargisse le champ des peines avec sursis, puisque cela pourrait avoir un effet disproportionné sur les délinquants autochtones, et que l’un des objectifs du projet de loi est d’aider ceux qui sont dans cette situation?

Me Spratt : C’est préoccupant. Il ne faut pas restreindre les peines avec sursis afin que ces groupes ne puissent pas profiter de leurs avantages. Je suis d’accord avec vous. La solution consiste à vérifier comment le respect des conditions est contrôlé. Comment les ressources policières sont-elles réparties? Comment les forces de l’ordre braquent-elles les projecteurs, d’une façon qui n’est pas toujours justifiée, sur ces groupes marginalisés?

La sénatrice Batters : Merci.

La présidente : Merci beaucoup, maître Spratt. Merci beaucoup, madame Birns et maître Bartleman. Vous nous avez donné beaucoup d’information et amplement matière à réflexion. Nous vous en remercions.

(La séance est levée.)

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