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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 28 septembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), par vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Bonjour à tous. Je suis le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec. Je suis vice-président de ce comité et je remplace notre présidente, la sénatrice Jaffer.

Je vous invite à avoir une pensée particulière pour la sénatrice. On sait qu’elle a eu des problèmes de santé et elle mérite toute notre attention et notre énergie pour qu’elle puisse nous revenir en bonne santé.

Avant d’aller plus loin, je vais présenter mes collègues : la sénatrice Batters, de la Saskatchewan; le sénateur Gold, du Québec; la sénatrice Bellemare, du Québec; la sénatrice Clement, de l’Ontario; le sénateur Cotter, de la Saskatchewan; le sénateur Dalphond, du Québec; la sénatrice Dupuis, du Québec; la sénatrice Miville-Dechêne, du Québec; la sénatrice Pate, de l’Ontario; la sénatrice Simons, de l’Alberta; le sénateur Tannas, de l’Alberta; le sénateur White, de l’Ontario.

Sans plus tarder, je donne la parole à notre premier témoin, Steve Sullivan, chef de la direction de Mères contre l’alcool au volant Canada. Il est accompagné, par vidéoconférence, de Me Eric Dumschat, directeur juridique.

Steve Sullivan, chef de la direction, Mères contre l’alcool au volant Canada : Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Je remercie les membres du comité. L’organisme Mères contre l’alcool au volant Canada, ou MADD, a pour mission de mettre fin à la conduite avec facultés affaiblies et de soutenir les victimes de ce crime violent. MADD est le seul organisme national de lutte contre la conduite avec facultés affaiblies au pays à offrir des services aux victimes et aux survivants d’accidents causés par la conduite avec facultés affaiblies.

Nous appuyons l’objectif du projet de loi C-5, soit de s’attaquer aux problèmes de racisme systémique dans le système de justice. Pour notre part, nous nous penchons sur l’élargissement de l’admissibilité aux peines avec sursis.

Lorsque les dispositions sur les peines avec sursis sont entrées en vigueur en 1996, les familles de personnes ayant perdu un être cher ne pouvaient pas concevoir que le responsable de ce décès puisse recevoir une peine de détention à domicile. Il est extrêmement difficile de vivre avec la mort d’un être cher survenue dans un accident causé par la conduite avec facultés affaiblies, car d’une part, ce type d’accident est totalement évitable, et d’autre part, les décès qui en résultent ne sont pas considérés comme aussi graves que les décès attribuables à des actes criminels tels que l’homicide.

En 2007, le gouvernement fédéral a adopté le projet de loi C-9, qui a réduit le nombre d’infractions passibles d’une peine avec sursis, dont la conduite avec facultés affaiblies causant la mort. D’aucuns pourraient penser que ces limites sont trop restrictives, mais nous croyons que la conduite avec facultés affaiblies causant la mort est une infraction aussi grave que la tentative de meurtre.

Les personnes que nous soutenons souffrent de trouble de stress post-traumatique, de dépression et d’anxiété. Bon nombre estiment que les peines infligées pour les décès causés par la conduite avec facultés affaiblies ne sont pas proportionnelles au tort causé. Pour les familles, l’intention et la motivation du délinquant ne constituent pas un fait significatif par rapport aux conséquences du crime commis.

Au cours des dernières années, les tribunaux partout au Canada ont insisté sur la nécessité d’imposer des peines plus lourdes pour les infractions de conduite avec facultés affaiblies causant la mort, en invoquant les objectifs de dissuasion et de dénonciation. Les tribunaux reconnaissent l’importance de lancer un message fort lorsque des morts auraient pu être entièrement évités si le délinquant n’avait pas pris le volant après avoir consommé de l’alcool ou de la drogue.

Il faut absolument réduire l’admissibilité aux peines avec sursis afin de dénoncer les infractions criminelles qui causent la mort. Nous craignons que l’admissibilité aux peines avec sursis des délinquants déclarés coupables de conduite avec facultés affaiblies envoie le message que leur crime n’est pas grave.

La douleur et la souffrance des familles et des proches de personnes tuées par des individus qui avaient pris le volant avec les facultés affaiblies sont des arguments de taille plaidant en faveur de l’ajout de la conduite avec facultés affaiblies causant la mort et le refus d’obtempérer qui y est associé à la liste des infractions énoncées dans le projet de loi C-5 qui ne sont pas admissibles aux peines avec sursis.

Merci de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je cède maintenant la parole à mon collègue Eric Dumschat, directeur juridique à MADD.

Eric Dumschat, directeur juridique, Mères contre l’alcool au volant Canada : Merci, membres du comité, de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui.

Si le projet de loi est adopté dans sa version actuelle, nous assisterons au retour des peines avec sursis pour les délinquants reconnus coupables de conduite avec facultés affaiblies qui répondent aux critères d’admissibilité, y compris ceux déclarés coupables de conduite avec facultés affaiblies causant la mort ou du refus d’obtempérer qui y est associé. En raison des modifications substantielles que le gouvernement fédéral a apportées en 2018 à toutes les infractions relatives aux moyens de transport prévues au Code criminel, les peines avec sursis pouvaient être imposées pour les infractions de conduite avec facultés affaiblies punissables sur déclaration sommaire de culpabilité.

La conduite avec facultés affaiblies causant la mort n’a pas subi le même sort. Il a été établi qu’elle était non admissible aux peines avec sursis, car cette infraction était considérée comme suffisamment grave pour demeurer un acte purement criminel passible d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité.

Cette décision a renforcé l’avis énoncé dans la décision unanime rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Proulx, selon laquelle les peines avec sursis ne devraient pas être imposées lorsque le besoin de dénonciation ou de dissuasion est si pressant que l’incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement du délinquant ou pour décourager des comportements analogues dans le futur. MADD Canada estime que la conduite avec facultés affaiblies causant la mort et le refus d’obtempérer qui y est associé répondent à ces critères.

MADD Canada admet que l’imposition d’une peine avec sursis à un individu reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies causant la mort serait inusitée. Toutefois, les probabilités que cela se produise sont trop élevées pour risquer que la vie d’une personne soit prise par une autre.

MADD Canada est d’avis que la peine avec sursis ne devrait jamais être imposée pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort. L’imposition de cette peine risquerait de porter préjudice à de nombreuses victimes et à leur famille.

Nous comprenons que les modifications apportées au projet de loi C-5 ont pour objet, entre autres, de contrer le racisme systémique qui gangrène le système judiciaire du Canada. Nous appuyons cet objectif. Toutefois, le gouvernement a déterminé que certaines des restrictions imposées aux peines avec sursis étaient constitutionnelles et que certaines infractions devraient demeurer non admissibles aux peines avec sursis au titre du projet de loi C-5.

MADD Canada recommande fortement que la conduite avec facultés affaiblies causant la mort et le refus d’obtempérer qui y est associé soient ajoutés à la liste des infractions non punissables d’une peine avec sursis dans les circonstances prévues à l’article 14 du projet de loi C-5.

Merci de votre temps et de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

Debra Parkes, professeure et chaire d’études juridiques féministes, Peter A. Allard School of Law, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui. Je me trouve dans les terres ancestrales traditionnelles non cédées du peuple des Salish de la côte, notamment de la bande de Musqueam, et dans les terres appelées aujourd’hui New Westminster, où vivent les membres de la Première Nation Qayqayt.

La reconnaissance des terres ancestrales constitue une bonne entrée en matière pour mon exposé d’aujourd’hui, qui porte sur les effets persistants du système juridique colonial et du racisme systémique que subissent les Autochtones dans le système de justice pénale canadien.

Je m’attarderai plus précisément sur ce que fait et ce que ne fait pas le projet de loi C-5 concernant les peines minimales obligatoires. Le projet de loi comporte plusieurs facettes, mais je vais me concentrer sur cet aspect.

Je suis d’accord avec ce qu’ont affirmé différents témoins dans leur mémoire, c’est-à-dire que l’abolition des peines minimales obligatoires serait dans l’intérêt de la justice. Ce principe est également reconnu dans le projet de loi et dans son résumé législatif produit par le gouvernement fédéral.

Les peines minimales obligatoires pourraient être abolies sous des motifs constitutionnels, des motifs d’équité et des motifs pragmatiques. Toutefois, seules 14 des 72 infractions criminelles passibles d’une peine minimale obligatoire sont touchées par le projet de loi C-5. Je pense que sept autres sont partiellement touchées.

Par conséquent, je ne peux que conclure, sur la foi de ces données, que le projet de loi C-5 est au mieux une demi-mesure. Je dirais respectueusement que ce texte ne repose sur aucun principe, car des problèmes semblables à ceux que le gouvernement tente de régler dans ce projet de loi C-5 en abolissant quelques peines minimales obligatoires, voire des problèmes encore pires, sont associés à d’autres peines minimales obligatoires, qui elles, ne sont pas touchées par le projet de loi.

Je vais surtout me pencher sur la peine de prison à perpétuité pour meurtre et sur la longue période de libération conditionnelle et le délai préalable à la libération conditionnelle pour meurtre. Mais auparavant, je voudrais faire une parenthèse pour dire que lorsque nous effectuons des comparaisons dans le cadre de nos recherches et que nous étudions les lois canadiennes — leur caractère punitif ou non, ou le degré de conformité avec nos valeurs —, nous regardons souvent du côté des États-Unis, nos voisins du sud, qui font piètre figure en matière d’incarcération et, je vous le dis entre nous, qui ne sont pas un modèle à suivre au chapitre de la sécurité publique et des valeurs constitutionnelles si nous regardons les politiques d’incarcération massive qui prévalent dans leur système de justice pénale.

Nous pouvons plutôt nous comparer avec d’autres pays. J’encourage vraiment les sénateurs à jeter un coup d’œil à la Nouvelle-Zélande. Au mois d’août dernier, ce pays a adopté un projet de loi, le Three Strikes Legislation Repeal Bill, qui a abrogé un autre texte législatif qui prévoyait des peines minimales obligatoires pour certaines infractions — je ne me souviens plus si c’était 40 ou 60 —, en fait pour toutes les infractions les plus graves, y compris les infractions violentes.

Il s’agit d’un travail particulièrement important réalisé par le Parlement néo-zélandais, malgré les objections et les préoccupations souvent fondées, je dirais, sur des renseignements erronés concernant l’incidence et les résultats des peines minimales obligatoires. Mais il a suivi les preuves et a mis en place cette abrogation très importante des peines obligatoires en Nouvelle-Zélande.

Brièvement, dans le temps qui me reste, pourquoi inclure les peines minimales obligatoires pour le meurtre dans ces réformes? Mes recherches portent actuellement sur la peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité pour le meurtre et son incidence. À l’heure actuelle, 22 % de la population carcérale fédérale — plus de 5 000 personnes — purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre.

De 2009 à 2019, les femmes autochtones ont représenté 38 % des femmes condamnées à perpétuité pour meurtre. Si nous réfléchissons à l’incidence de ces lois sur l’incarcération des Autochtones, nous devrions examiner toutes ces lois.

Parmi les préjudices créés par les peines minimales obligatoires, certains autorisent et, en fait, exigent des peines disproportionnées, et même nettement disproportionnées.

Nous avons eu un ensemble disparate inacceptable et sans principe de lois au Canada où les peines minimales obligatoires ont été déclarées inconstitutionnelles dans certaines provinces mais pas dans d’autres, et cela persiste même avec le projet de loi C-5. Bon nombre de ces lois ne sont pas modifiées par le projet de loi C-5, de sorte que nous continuerons d’avoir cet ensemble disparate.

Les peines minimales — et plus particulièrement les peines obligatoires d’emprisonnement à perpétuité — créent des pressions pour plaider coupable quand une personne est innocente et quand il y a une défense valable. Nous en voyons l’incidence particulière sur les femmes autochtones.

Pour toutes ces raisons — et j’en ai plus, s’il reste du temps plus tard dans la discussion —, je recommande que le projet de loi C-5 soit amendé pour codifier le pouvoir discrétionnaire de renoncer à la peine minimale prévue dans le Code criminel. Le projet de loi de la sénatrice Jaffer dont le Sénat est saisi fournit un plan pour le faire.

[Français]

Le vice-président : Merci beaucoup pour votre témoignage, madame Parkes. Merci à tous nos témoins.

Je donne la parole au parrain du projet de loi C-5, le sénateur Gold. Aujourd’hui, comme nous avons moins de témoins, vous aurez chacun cinq minutes pour poser des questions et échanger avec eux.

[Traduction]

Le sénateur Gold : Bienvenue, monsieur Sullivan et madame Parkes, et merci de votre présence ici.

J’ai une question pour vous, madame Parkes, de la part d’un étudiant en droit de l’Université de la Colombie-Britannique d’une autre génération, je le crains. La semaine dernière, des avocats de la défense en matière pénale nous ont dit que ce projet de loi ferait une différence très réelle pour leurs clients en élargissant l’accès aux peines avec sursis et en abrogeant plusieurs peines minimales obligatoires, qui représentent un pourcentage important des crimes pour lesquels ces peines sont purgées. L’un d’eux, Janani Shanmuganathan, a déclaré — et je vais paraphraser — qu’il a des clients dont la vie serait vraiment changée par ce projet de loi. Vous ne semblez pas être d’accord avec elle — je ne devrais peut-être pas le présumer —, mais vous avez qualifié ce projet de loi de rafistolage. Je me demande si vous pourriez commenter son point de vue en tant qu’avocate criminaliste?

Mme Parkes : Merci. Oui, je ne veux être mal comprise. Je suis tout à fait d’accord que ce projet de loi changerait des vies et qu’il rendra des peines appropriées et proportionnelles — ainsi que des peines avec sursis — disponibles à certaines personnes. Je ne veux pas qu’on m’entende dire autre chose que cela.

Ce qui est important, à mon avis, est ceci : tout d’abord, les preuves ne laissent pas entendre que ce sont uniquement les infractions visées par ce projet de loi qui nuisent et contribuent à l’incarcération massive des Autochtones et à l’incarcération disproportionnée des Noirs et des autres personnes racialisées. Les mêmes types de pathologies, de problèmes et de préjudices liés aux peines obligatoires s’appliquent également aux autres infractions. Les infractions liées à la drogue et certaines infractions liées aux armes à feu sont visées par ce projet de loi. Il y a beaucoup d’autres infractions, y compris la peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre qui, souvent, nous pensons qu’elle n’est pas sur la table et ne devrait pas l’être.

Cependant, il y a de nombreuses instances qui n’ont pas la peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité et qui ont la soupape de sécurité pour permettre aux juges d’exercer leur pouvoir discrétionnaire — bon nombre des instances australiennes et européennes — et certaines n’ont même pas l’emprisonnement à perpétuité. Ce n’est pas décidé d’avance que nous ne devrions pas l’envisager dans le cadre de ces réformes.

Le sénateur Gold : Merci beaucoup.

Monsieur Sullivan, nous sommes tous d’accord pour dire que la conduite avec facultés affaiblies est une infraction très grave. J’ai longuement débattu des réformes du droit criminel qui, nous l’espérons, ont eu une incidence positive à cet égard. En effet, au cours des deux dernières décennies, les taux de conduite avec facultés affaiblies ont diminué considérablement — grâce, j’en suis sûr, aux efforts de votre organisation et à la sensibilisation du public.

Les données que j’ai vues de Statistique Canada révèlent que les taux de conduite avec facultés affaiblies ont commencé à diminuer radicalement au milieu des années 1980 et se sont stabilisés dans les années 2000. La disposition du projet de loi C-5 dont vous avez parlé — qui porte plus particulièrement sur les peines avec sursis — nous auraient ramenés plus ou moins à la façon dont le Code criminel était en 2007.

Avez-vous des renseignements dont vous pourriez nous faire part qui révèlent si les restrictions de 2007 qui ont été présentées sur les peines avec sursis entraînaient une réduction des taux de conduite avec facultés affaiblies ou des peines qui étaient données lorsqu’il y avait des préjudices réels et graves, comme c’est trop souvent le cas?

M. Sullivan : Merci, sénateur. Nous avons observé une augmentation constante des peines pour conduite avec facultés affaiblies causant la mort — et des blessures, ce qui a évidemment toute une série de répercussions sur les gens. Je pouvais consulter les dossiers que nous avions il y a plus de 10 ans, et les gens étaient condamnés à des peines avec sursis ou à des peines de deux ans. Aujourd’hui, la moyenne, selon la province où vous vous trouvez, est de quatre à six ans, voire cinq à sept ans.

Nous avons constaté une augmentation constante des peines pour conduite avec facultés affaiblies causant la mort. Je pense que c’est en partie dû à la frustration des tribunaux, qui ne semblent pas avoir compris le message.

Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il y a eu une diminution du nombre de décès dus à l’alcool au volant. Nous voyons plus de cas avec la présence de drogues. Nous ne pouvons pas toujours dire qu’il s’agit de personnes aux facultés affaiblies; nous voyons seulement la présence.

Je peux essayer de trouver les chiffres et je serais heureux de les envoyer au comité. Je suis d’accord avec vous pour dire que nous avons constaté une réduction, mais nous avons également constaté une augmentation des peines imposées par les tribunaux au cours de la dernière décennie environ. Les tribunaux ont mis l’accent sur les principes de dissuasion et de dénonciation dans le Code criminel.

La sénatrice Batters : Je peux certainement imaginer qu’il y a d’autres raisons importantes pour la réduction dans les cas de conduite avec facultés affaiblies. Bien entendu, les gouvernements provinciaux prennent des mesures substantielles, y compris des dispositions administratives et des sanctions comme retirer les voitures aux gens, notamment.

Ma question aborde le sujet sous un angle un peu différent, comme on peut s’y attendre. Je sais que les bénévoles de MADD Canada et de votre organisme ont travaillé en étroite collaboration avec le gouvernement conservateur précédent en 2007 à l’élaboration du projet de loi C-9 pour veiller à ce que les peines avec sursis pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort soient impossibles en vertu de cette loi. Mon époux, Dave, était député lorsque le projet de loi a été adopté, et je me rappelle à quel point il était fier de ce projet de loi en particulier.

Le ministre Lametti ou le ministère de la Justice vous a-t-il consultés sur cette mesure législative qui renverserait cette exemption cruciale sur laquelle les bénévoles de votre organisme ont travaillé si fort? Le gouvernement fédéral vous a-t-il donné une raison d’affaiblir précisément les dispositions en matière de détermination de la peine pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort?

M. Sullivan : Merci, sénatrice. Je suis au courant d’une grande partie de ce travail. Il a été effectué avant ma participation à MADD Canada, mais je sais que nos bénévoles à l’échelle du pays et nos sections ont travaillé très fort pour apporter ces changements.

On ne nous a pas consultés lors de la rédaction du projet de loi. Nous avons eu une réunion avec le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice de l’époque et nous avons rencontré des fonctionnaires du ministère après la présentation du premier projet de loi. Nous avons exprimé nos préoccupations à ce moment-là.

Je ne sais pas si nous avons reçu une explication précise quant à la raison pour laquelle la conduite avec facultés affaiblies causant la mort a été incluse. De façon plus générale, comme on l’a dit, le projet de loi vise à s’attaquer aux problèmes systémiques de racisme dans le système de justice.

Nous sommes d’avis qu’il y a encore des infractions pour lesquelles le gouvernement juge qu’il est approprié de ne pas autoriser les peines avec sursis. Nous estimons que la conduite avec facultés affaiblies est aussi grave que l’une de ces trois infractions. Pour ce qui est d’expliquer pourquoi la conduite avec facultés affaiblies causant la mort a été incluse, je ne peux pas dire que nous ayons reçu une explication précise.

La sénatrice Batters : À titre de précision, vous avez eu une rencontre avec le secrétaire parlementaire — pas le ministre — et des fonctionnaires du ministère.

M. Sullivan : Oui.

La sénatrice Batters : C’était après que le projet de loi C-22 avait déjà été présenté?

M. Sullivan : Oui.

La sénatrice Batters : D’après votre interprétation, à la suite de la réunion, des changements du projet de loi C-22 ont-ils été apportés à ce projet de loi particulier concernant la conduite avec facultés affaiblies?

M. Sullivan : Il n’y a eu aucun changement. Nous avons également témoigné au Comité permanent de la Chambre des communes et, encore une fois, il n’y a eu aucun changement.

La sénatrice Batters : Merci. Je vous en suis reconnaissante.

Cette question s’adresse à M. Sullivan ou à M. Dumschat. Vous avez parlé de la conduite avec facultés affaiblies causant la mort et de l’exemption pour admissibilité pour une peine d’emprisonnement avec sursis et du respect de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Proulx, qui a conclu que — et je cite les propos tenus par M. Dumschat au comité de la Chambre :

[...] les peines avec sursis ne devraient pas être imposées lorsque le besoin de dénonciation ou de dissuasion est si pressant que l’incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement du délinquant ou pour décourager des comportements analogues dans le futur.

Nous avons entendu de la part de certains partisans du projet de loi que des peines plus sévères n’ont pas un effet dissuasif sur la criminalité. Comment répondriez-vous à cette affirmation dans le cas de la conduite avec facultés affaiblies?

M. Sullivan : M. Dumschat voudra peut-être intervenir. Nous avons rejeté les appels de certains à soutenir des peines minimales obligatoires pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort ou des blessures. D’après notre analyse, il n’y a pas beaucoup de preuves que la peine est très dissuasive pour les personnes qui prennent cette décision.

Vous avez mentionné tout à l’heure certains des régimes provinciaux, qui ont été très efficaces pour changer le comportement des gens. Dans certaines provinces, nous avons enregistré des réductions importantes de décès et de blessures. Je pense qu’en partie, ce qui motive les gens, c’est souvent la certitude de recevoir une peine et de sa célérité — si c’est juste en bordure de la route et qu’ils ont l’impression d’avoir plus de risques de se faire prendre.

Je ne sais pas si nous dirions qu’il y a beaucoup de preuves qu’une peine plus sévère a un effet dissuasif, mais nous pensons qu’il est important en termes de dénonciation qu’un message soit envoyé au public. Au nom des familles avec lesquelles nous travaillons, elles estiment maintenant que les peines ne sont pas appropriées. C’est leur point de vue, et on peut y souscrire ou non. Mais elles ont l’impression que les tribunaux ne prennent pas suffisamment au sérieux l’incidence du préjudice qui leur est causé et la perte qu’elles subissent. Elles regardent d’autres types d’infractions et se demandent pourquoi il en est ainsi. De notre point de vue, ces considérations sont également importantes.

La sénatrice Simons : Monsieur Sullivan et monsieur Dumschat, je dois dire qu’au cours de ma vie, je suis étonnée de voir à quel point les attitudes sociales à l’égard de la conduite avec facultés affaiblies ont changé. Depuis l’époque de mon adolescence où la conduite avec facultés affaiblies était, bien franchement, normative, jusqu’à aujourd’hui, alors que ma fille est une jeune adulte, où c’est tout simplement inédit dans son cercle d’amis; ils ne l’envisageraient tout simplement pas. Je pense que MADD et les groupes comme eux méritent une grande partie du crédit pour la sanction sociale. La dénonciation, qui est autant sociale que criminelle, a, je pense, vraiment fait évoluer les esprits.

Au cours de mes 30 années de carrière en tant que journaliste, j’ai couvert un grand nombre de cas et d’histoires de ce genre. Il y avait des cas évidents où, franchement, la peine maximale ne me semblait pas suffisante — des cas où les conducteurs avaient agi avec un mépris haineux et insensible. Souvent, il s’agissait de personnes qui avaient un long passé d’infractions au code de la route. Parfois, ils conduisaient sans permis ou sans assurance parce qu’ils avaient perdu ces privilèges, et cela ne les empêchait pas de conduire. J’estime qu’il faut punir sévèrement ces personnes. Je serais la première à le dire.

Mais je pense que nous pouvons tous imaginer d’autres cas où les actions sont plus proches d’un accident ou d’une série de circonstances très malheureuses, où une peine d’emprisonnement pourrait être disproportionnée. Je pense à un cas hypothétique qui pourrait impliquer, disons, une dame âgée qui a eu une interaction entre ses médicaments et l’alcool. Il m’est facile d’imaginer des scénarios où une peine d’emprisonnement serait disproportionnée.

Je me demande si vous ne voyez pas qu’il est judicieux de donner aux juges tout l’éventail des expériences humaines pour qu’ils en tiennent compte.

M. Sullivan : Merci, sénatrice. Je suis d’accord avec vous pour dire que les attitudes ont certainement beaucoup changé au cours de notre vie. Nous le constatons dans les écoles lorsque nous exécutons nos programmes. Nous avons encore beaucoup de travail à faire en ce qui concerne l’incidence des drogues. Nous n’avons pas le même niveau de sensibilisation, je pense. Mais vous avez raison, la situation a changé.

De notre point de vue, ce n’est pas comme si les gens allaient en prison et que nous jetions la clé s’il n’y a pas de peines avec sursis. Les juges disposent désormais d’un éventail de peines qu’ils peuvent imposer; il n’y a pas de minimum. J’ai vu aujourd’hui aux nouvelles un cas où une personne a été condamnée à une peine de 18 mois. Les tribunaux ont donc le pouvoir discrétionnaire de déterminer une peine qu’ils estiment appropriée pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort.

De notre point de vue, lorsqu’il existait des condamnations avec sursis, elles étaient utilisées assez couramment dans les cas de conduite avec facultés affaiblies ayant entraîné la mort. C’était une préoccupation pour un grand nombre de familles avec lesquelles nous avons travaillé. Notre préoccupation est que, si elle est réduite, nous pensons qu’elle serait beaucoup moins courante aujourd’hui qu’elle ne l’aurait été. Lorsque l’option existe, je suppose que nous craignons que les tribunaux y aient recours la plupart du temps.

Je ne sais pas si mon collègue, M. Dumschat, veut ajouter quelque chose à cela.

M. Dumschat : Nous reconnaissons que les cas de conduite avec facultés affaiblies causant la mort ou le refus où une condamnation avec sursis serait admissible en vertu de — ce genre de laissez-passer serait assez rare simplement en raison des critères existants; je crois qu’il faut deux ans moins un jour, et il y a d’autres choses.

Mais de notre point de vue en tant qu’organisme de défense des droits des victimes, en travaillant avec des familles, surtout — principalement, c’était avant mon époque — avant que l’interdiction soit mise en place en 2007, leur proche a été tué, et le responsable se promène simplement parce qu’il est en détention à domicile. Nous considérons que ces infractions sont suffisamment graves. C’est une infraction qui, durant l’hybridation qui a eu lieu, a été jugée comme étant uniquement un acte criminel, et elle est passible d’une peine maximale d’emprisonnement à vie.

Le gouvernement a déjà relevé d’autres infractions qu’il serait constitutionnel d’exclure des peines avec sursis, et nous pensons simplement que la conduite avec facultés affaiblies causant la mort et l’infraction de refus qui lui est associée devraient être ajoutées à la liste.

Le sénateur Dalphond : Merci aux témoins d’avoir pris le temps de comparaître devant nous en personne ou virtuellement.

Ma question s’adresse à M. Sullivan. Avez-vous des données qui ont été recueillies par votre organisme sur la perception du public ou de l’opinion publique concernant les infractions de conduite avec facultés affaiblies et l’admissibilité des peines avec sursis? Est-ce une question qui a été posée aux gens?

M. Sullivan : Merci, sénateur, de la question. Récemment, non. Il faudrait que je revienne à l’époque où les peines étaient disponibles. Nous avons peut-être fait quelque chose, mais pas récemment.

Le sénateur Dalphond : Si je comprends ce que vous avez dit dans votre témoignage, je ne pense pas que les gens qui conduisent avec les facultés affaiblies seraient au courant des peines avec sursis admissibles. Ce sont les reportages des médias à propos d’une personne qui reçoit une peine avec sursis à la suite d’un accident grave où quelqu’un a été tué qui dira, « Oh, vous pouvez conduire en état d’ébriété et vous n’irez pas en prison ». C’est donc ce que vous craignez le plus, je pense?

M. Sullivan : Notre plus grande préoccupation est de savoir quelles seraient les répercussions pour une famille, pour les personnes qui ont perdu un être cher.

Nous pourrions discuter longuement du niveau de connaissance du public au sujet du système de justice pénale.

Dans un tel cas, l’affaire ferait certainement les manchettes; on dirait que telle personne a fait telle chose et a reçu une peine d’emprisonnement avec sursis. Je ne suis pas certain qu’il s’agit d’une façon efficace d’informer les gens sur le fonctionnement de notre système, mais c’est ainsi que la plupart d’entre nous acquièrent des connaissances sur le sujet.

Le sénateur Dalphond : Mais c’est hypothétique, dans une certaine mesure, parce que nous n’avons pas de données qui soutiennent un point de vue ou son contraire.

M. Sullivan : En effet, je ne peux pas être assis ici aujourd’hui et vous dire comment le public se sentirait. Je peux vous parler des familles avec lesquelles nous travaillons, ce qui est loin d’être l’ensemble des familles du pays. J’ai confiance en mes connaissances à cet égard, mais je ne pourrais pas vous dire comment la population se sentirait.

La sénatrice Pate : J’ai une question pour Mme Parkes et M. Sullivan, si nous avons le temps.

Madame Parkes, précédemment — au Comité de la condition féminine, je crois —, vous avez notamment indiqué que les peines minimales obligatoires ont pour effet d’affaiblir les principes de détermination de la peine énoncés à l’alinéa 718.2e). À la lumière des arguments que vous avez soulevés sur l’incidence disproportionnée sur les femmes autochtones de la peine minimale obligatoire imposée en cas de meurtre, pouvez-vous en dire davantage sur le sujet? Qu’avez-vous constaté, dans le cadre de vos recherches, sur les mesures prises à cet égard par d’autres administrations? Je parle de celles qui ont mis en place un mécanisme pour s’éloigner des peines minimales obligatoires ou un mécanisme structuré permettant aux juges d’exercer un pouvoir discrétionnaire structuré?

Deuxièmement, concernant les peines minimales obligatoires qui sont abrogées, bon nombre d’avocats et de criminologues disent que dans la plupart des cas, les gens sont aussi accusés d’autres infractions également assorties d’une peine d’emprisonnement ou d’une peine minimale obligatoire. J’aimerais savoir si vous avez des commentaires à faire à ce sujet. Je vous remercie.

Mme Parkes : Je vous remercie, sénatrice, de ces questions.

Le point concernant l’alinéa 718.2e) est un point important. Le gouvernement a reconnu — comme je l’ai constaté à la lecture du résumé législatif et des documents qui accompagnent ce projet de loi — que cela vise notamment à faire en sorte que les peines particulières touchées par l’abrogation prévue des peines obligatoires dans ce projet de loi tiennent compte des considérations liées à l’arrêt Gladue ou à l’article 718.2, c’est-à-dire le contexte social, l’impact du racisme systémique et de la colonisation sur les Autochtones et aussi, comme nous l’avons vu dans d’autres cas comme Morris et Anderson, en Nouvelle-Écosse, sur les Noirs et les autres personnes racisées condamnées pour des infractions semblables.

Sans rendre Gladue disponible de manière importante — et les autres options prévues à l’alinéa 718.2e) et une considération adéquate des facteurs systémiques — pour les juges qui examinent l’ensemble des infractions, je pense que cela soulève des questions constitutionnelles relativement à une égale protection de la loi, la reconnaissance de la nécessité d’avoir de telles mesures proactives ou des soupapes de sécurité lors de la détermination de la peine de façon à obtenir des peines proportionnées et à permettre aux juges de faire leur travail.

Quant à ce que font les autres administrations, il est assez courant d’avoir un certain mécanisme de sécurité ou un pouvoir discrétionnaire résiduel, en particulier dans les pays où il y a des peines d’emprisonnement à vie, notamment pour de graves infractions comme le meurtre. Les recherches que j’ai menées sur l’impact des peines d’emprisonnement à vie montrent que les femmes autochtones sont très susceptibles d’être reconnues coupables et condamnées à une peine d’emprisonnement à perpétuité, et plus que les femmes non autochtones dans le cas d’accusations de meurtre. Il est prouvé que les Autochtones sont plus susceptibles de plaider coupable et que les pressions liées à la peine obligatoire les poussent à plaider coupables même lorsqu’ils ont une défense valable ou qu’ils sont innocents.

Pour ce qui est de la deuxième question sur les infractions visées par l’abrogation de la peine obligatoire et pour lesquelles il est fréquent que la personne soit accusée d’une autre infraction, c’est absolument vrai. Je n’ai pas de données de recherche probantes à cet égard pour le moment, mais il est plutôt connu, tant du point de vue des avocats du ministère public que de la défense, que la plupart des gens, dans la plupart des cas, sont accusés d’un certain nombre d’infractions. On peut dire qu’on observe dans certaines administrations un nombre excessif d’accusations, ce qui crée une pression pour plaider coupable.

Si elles sont dans l’équation, comme ce sera sans doute le cas — avec l’abrogation à la pièce d’un nombre limité de peines minimales obligatoires —, la pression de plaider coupable en raison des peines obligatoires des divers chefs d’accusation pour un seul incident incitera des personnes innocentes à le faire. Cela contribue à l’incarcération massive des Autochtones.

Ce que je vous propose, c’est d’adopter une approche fondée sur des principes et de suivre les preuves. Voilà pourquoi j’ai mentionné l’exemple de la Nouvelle-Zélande, où l’effet d’une loi de ce genre a été éloquemment démontré.

[Français]

Le vice-président : Je rappelle à nos témoins que plus vos réponses sont courtes, plus cela permet à plus de sénateurs de poser des questions. Cela peut être frustrant de ne pouvoir poser qu’une seule question lorsque nous avons cinq minutes. Je vous demanderais d’être plus concis dans vos réponses, car cela assurera un meilleur échange.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Je remercie les témoins qui sont ici aujourd’hui. Nous vous sommes reconnaissants de votre présence pour notre étude du projet de loi.

Ma question s’adresse à Mme Parkes. C’est un plaisir de vous revoir, madame Parkes. J’aimerais poser une question sur le principe, mais sous un autre angle, et j’aimerais avoir votre point de vue.

Un des arguments qui n’a pas fait l’objet d’une considération approfondie est la façon dont les peines minimales obligatoires — et je me concentre sur les peines minimales obligatoires — créent un contexte qui oblige les procureurs, et parfois les avocats de la défense, à faire toutes sortes de contorsions, tel un bretzel éthique, pour ainsi dire : un procureur, troublé par le caractère disproportionné de la peine minimale obligatoire associée à un chef d’accusation, se trouve à examiner la possibilité de trouver un chef d’accusation différent, moins grave, qui serait plus juste et plus approprié. L’avocat de la défense, qui fait de son mieux pour éviter que son client ne soit reconnu coupable pour une infraction passible d’une peine minimale obligatoire, est prêt à accepter que son client plaide coupable à un autre chef d’accusation qui ne correspond pas tout à fait à l’ensemble des circonstances en cause. Un tel état de fait me semble être une contribution troublante au droit pénal canadien de la part des honorables procureurs et avocats de la défense. Pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet?

Mme Parkes : Merci, sénateur. La réponse courte, c’est que je pense que c’est un problème. Il est bien documenté, dans la littérature, que les peines obligatoires déforment bon nombre d’aspects et de principes du système de justice pénale — notamment le principe de la proportionnalité — et entraînent des peines disproportionnées dans certains cas — pas tous, mais certains.

À cela s’ajoute la position difficile dans laquelle se retrouvent les avocats de la Couronne et de la défense, surtout là où les services de police sont responsables de porter les accusations. La Couronne peut toujours maintenir ou retirer certaines accusations, mais la réalité, c’est qu’étant donné que les peines minimales obligatoires établissent un seuil dont on ne peut s’écarter et qui conduirait à une peine disproportionnée, je pense que les procureurs qui ont le sens de l’éthique souhaiteront alors y substituer une peine différente et éviteront ainsi de contribuer à perpétuer une peine disproportionnée.

C’est un problème, et c’est en partie pourquoi les preuves à l’effet que ces peines ne respectent pas bon nombre de nos principes s’accumulent. Par conséquent, cela nécessite une réponse fondée sur des principes.

Le sénateur Cotter : Je vous remercie.

La sénatrice Clement : Un bretzel éthique — intéressant. J’aimerais poursuivre dans cette veine ou m’appuyer sur la discussion entre le sénateur Dalphond et M. Sullivan au sujet de la perception du public.

Il semble y avoir un réel décalage entre ce que les données révèlent et la perception qu’a le public de la détermination de la peine et de sa propre sécurité. Donc, le profane, qui est résidant d’une ville, tend à se fier à l’information anecdotique. Cela crée un climat politique où la question est de savoir comment parler de cohérence et de la nécessité de se fier aux données.

Madame Parkes, quels aspects de vos recherches pourraient se rapporter à cette difficile réalité politique? Comment peut-on parler aux gens et aux politiciens de l’importance de la cohérence? Et par « cohérence », j’entends l’élimination de toutes les peines minimales obligatoires et de la mosaïque qui en découle.

Mme Parkes : Merci, sénatrice. Il s’agit d’une autre excellente question. Je viens de perdre le fil de mes pensées. Rappelez-moi la question.

La sénatrice Clement : Elle porte sur le décalage entre la perception du public et les données qui indiquent l’état réel de la situation concernant les peines minimales obligatoires.

Mme Parkes : Très bien; je vous remercie. J’allais répondre en fonction de vos derniers commentaires.

La réalité, c’est que souvent, la perception et l’opinion du public au sujet de la détermination de la peine et du système de justice pénale sont plus complexes qu’on le pense.

Au début de son mandat — vers 2016-2017, si je me souviens bien —, le gouvernement fédéral actuel a fait un sondage d’opinion publique pour connaître l’opinion de la population sur les peines minimales obligatoires et a publié des capsules pour les informer sur la façon dont ces peines fonctionnent. Le sondage a révélé que du moment qu’ils sont un peu informés, les Canadiens se montrent assez réfléchis et ouverts à l’idée qu’il n’y ait pas de peines minimales obligatoires.

Une autre étude importante a été réalisée il y a quelques années par Julian Roberts, un Canadien qui est maintenant à l’Université d’Oxford. Cette étude a aussi démontré que dans bien des cas, lorsque les gens ont une description de base, juste et équilibrée des faits d’une affaire et des principes de détermination de la peine, ils ne préconisent pas l’imposition d’une longue peine. Les Canadiens sont plutôt raisonnables à cet égard. Souvent, à mon avis, nous anticipons plus de réactions négatives qu’il n’y en aura en réalité.

Cela dit, c’est aussi une possibilité. Cependant, nous devons aller dans le sens des preuves, car l’adoption d’une politique sans en tenir compte pose problème. Prendre des mesures en fonction des données probantes exige parfois de meilleures explications. Je pense que les médias, nos propres communications et le travail que nous faisons au sein de la collectivité peuvent contribuer à y parvenir.

[Français]

Le vice-président : J’aurais une question pour Mme Parkes. Si l’on s’entend pour dire que les sentences minimales peuvent, dans certaines circonstances, conduire à une disproportion des sentences par rapport au crime commis, peut-on également dire, d’un autre côté, que les peines d’emprisonnement avec sursis peuvent paraître non proportionnelles aux yeux des victimes par rapport au crime commis?

[Traduction]

Mme Parkes : Eh bien, oui, c’est probablement le cas. Cela nous ramène en quelque sorte à la question précédente sur nos perceptions. Je ne voudrais jamais parler au nom des personnes qui ont été victimes et faire des conjectures sur leur perception par rapport à une peine précise. Ce que nous savons, toutefois, c’est que le système de justice pénale et les principes de détermination de la peine reposent sur des principes fondamentaux censés fonctionner et, selon nous, donner les résultats escomptés en matière de détermination de la peine.

Nous savons par exemple que dans certains cas, une peine d’emprisonnement au lieu d’une peine avec sursis peut être une sentence disproportionnée. Je pense que c’est la sénatrice Simons qui en a donné un exemple.

Un autre exemple qui me vient à l’esprit concernant les peines avec sursis et la conduite en état d’ébriété, y compris la conduite avec facultés affaiblies causant la mort, est celui d’une femme qui se fait violemment attaquer chez elle, qui est en état d’ébriété et qui prend sa voiture. Souvent, nos lois relatives à la nécessité et la contrainte n’assurent pas sa protection dans de telles situations.

[Français]

Le vice-président : Je me dois de vous rappeler de garder vos réponses les plus succinctes possibles.

Passons maintenant à la deuxième ronde de questions.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Premièrement, j’aimerais savoir, rapidement, si Me Dumschat a quelque chose à ajouter à la réponse de son collègue, M. Sullivan, à ma question au sujet des propos de certains partisans du projet de loi, à savoir que les peines plus sévères ne préviennent pas la criminalité. À la lumière de la décision de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Proulx, que vous avez mentionnée précédemment, que répondez-vous à cela, dans le contexte de la conduite avec facultés affaiblies?

M. Dumschat : Merci. La théorie de la dissuasion repose sur trois piliers, le premier étant la sévérité, le deuxième, la rapidité, et le troisième, la certitude.

La sévérité est le pilier qui importe le moins dans la dissuasion, ce qui explique, comme vous l’avez mentionné, que des provinces ont créé des systèmes administratifs de grande envergure. Comme M. Sullivan l’a souligné, ils assurent rapidité et certitude.

Je ne peux pas vraiment affirmer que le fait de rendre une peine plus sévère aura un énorme effet dissuasif sur la criminalité. Nous nous concentrons sur les répercussions sur les victimes et les familles, soit des personnes qui ont perdu un frère ou une sœur, un enfant, un parent, un ami ou un oncle ou une tante. Selon nous, les peines plus sévères vont trop loin pour le contrevenant. Nous reconnaissons ici encore que ces cas se feront rares parce que la peine moyenne pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort se situe aux alentours de quatre à six ans. De plus, afin d’être admissible à une peine avec sursis, je crois qu’elle doit être de deux ans moins un jour. Par conséquent, ces circonstances seront rares.

Nous croyons néanmoins qu’une vie a été volée. Cette infraction est grave : il s’agit d’un acte criminel pur et simple assorti d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité. À notre avis, ce type d’infraction devrait s’ajouter à la liste d’infractions du gouvernement qui ne donnent en aucun cas l’option de purger une peine avec sursis.

La sénatrice Batters : Merci.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Ma question s’adresse à la professeure Parkes. Vous avez parlé de la proportion déraisonnable de certaines minorités dans notre système carcéral. Pensez-vous qu’il y a des aspects concernant la possession de drogue et les pratiques en matière de déjudiciarisation qui pourraient être présentes dans ce projet de loi, mais qui ne le sont pas actuellement? Ou alors, pensez-vous que ces aspects n’expliquent pas tant que cela cette disproportion?

[Traduction]

Mme Parkes : La question porte sur la possession de drogue et les infractions s’y rattachant, et vise à savoir si ces facteurs expliquent que la déjudiciarisation n’est pas une option et que les infractions sont de nature criminelle. On me demande si ces circonstances expliquent en grande partie la surreprésentation des Autochtones et des autres groupes marginalisés dans le système carcéral.

C’est sans contredit ce qui explique en partie la situation actuelle, mais rappelons-nous que bien des infractions ne sont pas fondamentalement associées à la possession de drogue ou aux accusations liées à la drogue. Certaines des infractions qui ne figurent pas sur la liste des peines minimales obligatoires abrogées sont des infractions violentes et, oui, l’intoxication peut être incluse. Toutefois, la recherche démontre que la discrimination systémique sur différents plans — dans les services policiers, dans les poursuites et dans notre société en général — intensifie la surveillance, les démêlés avec la police, les poursuites et les condamnations de ces groupes.

Je ne suis pas certaine de bien comprendre la question.

La sénatrice Bellemare : Non, ma question était quelque peu différente. Je me demandais si nos lois comportent des lacunes en matière de drogues qui expliqueraient la surreprésentation de certains groupes. Autrement dit, y a-t-il certaines dispositions de la loi qui ne sont pas proportionnelles aux infractions liées à la drogue et qui devraient se retrouver dans le projet de loi? C’était ma question.

Mme Parkes : Vous cherchez donc à savoir si la déjudiciarisation pourrait jouer un plus grand rôle et si d’autres mesures concernant les infractions liées à la drogue pourraient être ajoutées. Je ne me suis pas préparée pour discuter de ce sujet aujourd’hui, mais, oui, j’imagine que ce serait une possibilité. Je m’en remettrais à d’autres experts dans ce domaine. Je suis désolée.

La sénatrice Bellemare : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci à nos témoins. Ma première question s’adresse à M. Sullivan ou à son collègue. Vous avez tous les deux insisté sur la lourde perte pour les familles et sur les dommages qui persistent à la suite de cette perte. Qu’est-ce qui, selon vous, pourrait dédommager ces familles?

J’essaie de réconcilier ce que vous nous dites, à savoir que, lorsqu’il y avait des peines minimales, les peines étaient généralement plus courtes. Maintenant, on observe une tendance contraire, et les peines sont beaucoup plus longues. Si les peines sont plus longues, selon ce que vous nous dites, on pourrait penser que les tribunaux accordent une grande importance au caractère sérieux du crime. Qu’est-ce qui pourrait compenser cette perte?

[Traduction]

M. Sullivan : Merci, madame la sénatrice. Vous posez une bonne question.

On se fie parfois trop au système de justice pénale pour compenser les blessures, les traumatismes ou les pertes, dans le cas qui nous occupe, subis par les proches et les victimes. Je ne voudrais donc pas suggérer qu’une peine pourrait contrebalancer les torts que subissent les familles qui ont perdu un enfant, les femmes qui ont perdu leurs maris ou les maris qui ont perdu leurs femmes. Nous voulons que le système de justice pénale permette d’éviter de faire subir d’autres torts. L’imposition d’une peine avec sursis s’avérerait très insultante et douloureuse pour certaines familles qui ont perdu un proche.

Cela dit, je n’avancerais pas qu’une autre peine pourrait corriger cette perte. Je ne crois pas que ce soit possible.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’ai une question complémentaire. Est-ce que votre organisme a considéré la possibilité que les familles qui ont perdu un proche en raison de la commission de ce crime devraient être représentées autrement dans le système de justice, d’abord pour faire des représentations et peut-être aussi pour obtenir des compensations qui, même si elles ne remplacent assurément pas la vie de la personne qu’ils ont perdue, pourraient mieux compenser cette perte?

[Traduction]

M. Sullivan : Chaque province et territoire compte son propre régime d’assurance. Ainsi, lorsque quelqu’un perd la vie dans un accident de la route causé par des facultés affaiblies, on peut intenter des poursuites civiles dans certaines provinces, alors que c’est impossible dans d’autres. Les familles peuvent donc recevoir une somme d’argent par le biais du régime d’assurance, comme pour tout accident de la route.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci. Professeure Parkes, on parle d’une cinquantaine d’années de développement de la psychiatrie légale. Est-ce que, à votre connaissance, il y a des données ou des études qui portent sur l’impact des peines minimales obligatoires, soit sur l’évaluation du risque, quand on doit évaluer le risque d’un accusé, par exemple, soit en ce qui concerne la possibilité de réhabilitation? Est-ce qu’il y a des données ou des recherches qui existent sur ce plan, à votre connaissance?

[Traduction]

Mme Parkes : Merci, madame la sénatrice.

En quelques mots, le milieu est fort d’une cinquantaine d’années de recherches et d’études criminologiques tentant de démontrer que la sévérité d’une peine — c’est-à-dire une peine obligatoire ou une peine minimale plus sévère — dissuade les gens de commettre un acte criminel et permet de changer les comportements. Or, la très grande majorité de ces recherches démontre que ce n’est pas ainsi que la population prend des décisions et que les peines n’ont donc pas cet effet. M. Tony Dobb — je ne sais pas s’il a comparu ici en tant que témoin — et Mme Cheryl Webster ont rédigé un article il y a quelques années s’intitulant Searching for Sasquatch: Deterrence of Crime Through Sentence Severity pour manifester que les chercheurs tentent de cerner quelque chose qui n’existe pas. Nous devons accepter que la sévérité des peines ne dissuade pas les personnes d’adopter certains comportements.

Pour ce qui est des mesures qui fonctionnent réellement, si c’est ce que vous cherchez à savoir, la recherche démontre qu’il est bénéfique de donner plus d’occasions aux citoyens d’être actifs dans la communauté et de répondre aux besoins qui ont favorisé leur comportement criminel. Il faut s’occuper des lacunes qui les ont poussés à adopter un comportement précis et à causer du tort. C’est ce qui explique que les données probantes recueillies par la recherche démontrent qu’il est favorable d’imposer davantage de peines avec sursis et de permettre aux contrevenants de rester, dans des conditions très strictes, dans la communauté.

Le sénateur Gold : Quand le ministre de la Justice a comparu devant nous, il a étayé avec franchise ce dont il a tenu compte pour rédiger la loi comme il l’a fait. Aux yeux de certains aujourd’hui, elle va trop loin; pour d’autres, elle ne va pas assez loin. Le ministre a affirmé que nous devons tenir compte de l’acceptabilité sociale dans le cadre de ces réformes, qui sont d’une grande envergure. Même ceux qui trouvent que le projet de loi ne va pas assez loin le reconnaissent, à l’exception près de vous, monsieur Sullivan. Je fais la remarque avec tout mon respect.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas approprié, ou même acceptable sur le plan des principes, qu’un législateur — que nous sommes tous — tienne compte de l’état de l’opinion et de l’acceptation publiques pour les raisons qu’a énumérées le ministre. Il a indiqué que, pour lancer une importante réforme législative, il faut s’assurer qu’elle est viable et acceptable pour la population qui pourra ensuite... Je ne veux pas entrer dans les détails. Je veux garder assez de temps pour vos réponses. Croyez-vous qu’il est approprié de prendre en considération l’acceptabilité publique vis-à-vis des mesures, que vous soyez d’avis qu’elles vont trop ou pas assez loin? La présidente vous saurait gré de répondre brièvement.

M. Sullivan : Lors de réformes d’une telle envergure, je crois que les législateurs prennent de nombreux facteurs en considération. Le système de justice pénale est bien évidemment public et, pour qu’il fonctionne, la population doit croire en lui et lui faire confiance. Je ne peux me prononcer sur la réforme globale : ce projet de loi est beaucoup plus vaste que ce dont nous avons discuté, et je n’ai aucune donnée probante.

Je dirais que certaines parties du projet de loi plairont moins à la population que d’autres. Je m’aventurerais à dire que les dispositions sur la conduite avec facultés affaiblies feront partie des mesures moins populaires.

[Français]

Le sénateur Gold : Puis-je avoir une réponse rapide de l’autre témoin, la professeure Parkes, s’il vous plaît?

Le vice-président : Il ne reste que 10 secondes pour répondre. Je ne pense pas qu’elle pourra vous donner une bonne réponse en 10 secondes.

[Traduction]

La sénatrice Pate : J’ai une question complémentaire à celle du sénateur Gold. Madame Parkes, vous pourriez peut-être vous prononcer sur la dissuasion. Qu’en pense la population et à quel point cette dernière accepte-t-elle les peines alternatives?

Quand M. Michael Spratt a comparu devant nous, il a abordé l’arrêt Luxton de la Cour suprême, la dernière fois où on a envisagé la peine d’emprisonnement à perpétuité. Vous pourriez peut-être expliquer plus en détail en quoi cette cause consiste.

Monsieur Sullivan, je sais que, en 2015, vous avez pris position contre les peines minimales obligatoires, position que vous avez prônée aujourd’hui encore. Vous avez cependant formulé d’excellentes recommandations quant à ce que les constructeurs automobiles pourraient faire. S’il reste du temps, j’aimerais entendre vos observations à ce sujet.

Mme Parkes : Brièvement, Luxton constitue la décision phare sur la constitutionnalité de la peine d’emprisonnement à vie obligatoire pour meurtre au premier degré, qui nécessite une peine d’emprisonnement à vie obligatoire et une période obligatoire de 25 ans excluant la libération conditionnelle. Ce qu’il importe de comprendre — et la raison pour laquelle les peines d’emprisonnement à vie, leur nature obligatoire et la longue période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle sont vulnérables sur le plan constitutionnel — est que la décision a été rendue alors que la clause de la dernière chance faisait partie du régime de détermination de la peine pour les cas de meurtres. À l’époque, on comptait aussi sur différentes dispositions entourant la libération conditionnelle, le contexte était différent, et — bien honnêtement — on analysait différemment l’article 12 de la Charte.

En ce qui a trait aux changements qui ont été apportés, notre recherche démontre que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle connaissent de plus en plus le même sort que les peines d’emprisonnement à vie. Elles sont maintenant susceptibles de faire l’objet d’une nouvelle contestation constitutionnelle, surtout à la suite de la récente décision Bissonnette de la Cour suprême du Canada.

M. Sullivan : En une phrase, madame la sénatrice : on est en train de développer la technologie qui va pratiquement éliminer la conduite avec facultés affaiblies de notre vivant. Nous aimerions que le gouvernement fédéral impose cet enjeu aux constructeurs automobiles à l’avenir.

[Français]

Le vice-président : Je tiens à remercier énormément nos témoins, qui ont livré un très bon message.

Nous accueillons notre deuxième groupe de témoins : du London Abused Women’s Centre, Jennifer Dunn, directrice générale, par vidéoconférence, et du Barreau du Québec, Me Nicolas Le Grand Alary, avocat, Secrétariat de l’ordre et Affaires juridiques, et Me Michel Marchand, avocat, par vidéoconférence également.

Je vous laisse la parole. Vous avez chacun cinq minutes pour faire votre exposé. Ensuite, les sénateurs vous poseront des questions. Nous allons commencer avec Mme Dunn, s’il vous plaît.

[Traduction]

Jennifer Dunn, directrice générale, London Abused Women’s Centre : Merci beaucoup, monsieur le vice-président, et merci au comité de m’inviter à comparaître devant lui aujourd’hui. Je m’appelle Jennifer Dunn et je suis la directrice générale du London Abused Women’s Centre, ou LAWC, ici même, à London, en Ontario.

Le LAWC est une organisation féministe qui appuie et fait la promotion des changements personnels, sociaux et systémiques voués à mettre fin à la violence des hommes à l’encontre des femmes et des filles. Notre organisme, qui n’offre pas d’hébergement, fournit un accès immédiat à des thérapies, des services de défense des intérêts et de l’appui à long terme axés sur les femmes et tenant compte des traumatismes. Nous offrons nos services aux femmes et aux filles de plus de 12 ans qui sont victimes de maltraitance, d’agressions, de harcèlement, d’exploitation, de traite de la personne ou de torture commise par des acteurs non étatiques.

Plus tôt cette année, j’ai comparu devant la Chambre des communes au sujet du projet de loi C-5. C’est avec plaisir que je vous ferai parvenir mes notes d’allocution de cette comparution si l’un d’entre vous pouvait les juger utiles.

Ce sujet est délicat parce que, en tant qu’organisme offrant des services sur le terrain pour soutenir les victimes et les survivantes de maltraitance, d’agression, d’exploitation et de traite de la personne, il est difficile d’examiner ces enjeux de façon tranchée. Par exemple, il n’est pas aisé de déterminer s’il faut appuyer ou rejeter le projet de loi C-5.

Lorsqu’on m’a invitée à m’adresser à vous, j’ai intentionnellement décidé de faire entendre les voix des femmes que nous épaulons. Bien que nous croyions que le projet de loi C-5 pourrait être un pas dans la bonne direction puisqu’il propose de permettre à nouveau les pouvoirs discrétionnaires pour la détermination des peines, nous jugeons qu’il est inquiétant d’élargir la disponibilité des libérations conditionnelles, surtout dans les cas où la sécurité publique pose des problèmes particuliers.

À propos des pouvoirs discrétionnaires dans la détermination des peines, bien qu’une première étape s’impose, nous remettons en question l’opportunité du moment pour apporter des changements. Une femme que nous avons aidée affirme :

Ce projet de loi semble adopter une approche hiérarchique du haut vers le bas. Notre système s’appuie sur la gestion des crises plutôt que sur la prévention. Le système n’est pas prêt à ce que l’on confie aux juges de première instance des pouvoirs discrétionnaires. Ce changement ouvrira la porte à des dérives.

La semaine dernière, madame la sénatrice Simons a demandé — et je paraphrase sa question — s’il existe des stratégies de sensibilisation judiciaire qui pourraient accroître la certitude de la population que les juges se serviraient de façon appropriée de ces nouveaux pouvoirs discrétionnaires potentiels. Certains juges ne se servent pas bien de la latitude dont ils disposent déjà. Les femmes à qui nous venons en aide nous en font part.

Le seul fait de porter plainte est d’emblée très difficile pour les femmes; lorsqu’elles le font, il faut compter des années avant d’en arriver à une condamnation, si condamnation il y a. Cette réalité leur donne l’impression que le système juridique ne les prend pas au sérieux. Pas plus tard qu’aujourd’hui, une femme que nous aidons m’a confié que lorsque les peines offrent moins de protection aux victimes, elles sont moins susceptibles de signaler les infractions. Ce revirement constituerait un réel revers pour nous.

Les libérations conditionnelles prévues dans le projet de loi C-5 pour les infractions telles que le harcèlement criminel, les agressions sexuelles, les enlèvements et la traite de personnes feront en sorte que de nombreuses femmes qui sont des victimes ou des survivantes devront côtoyer le contrevenant dans la communauté, ce qui les rendra très vulnérables.

La libération conditionnelle n’empêche en rien un contrevenant de commettre un autre acte violent. Les femmes veulent que les tribunaux s’en rendent compte. Oui, les libérations conditionnelles sont assorties de conditions strictes. Or, rien ne garantit qu’elles seront respectées, ce qui peut mettre la vie d’une femme en péril.

Pour certaines infractions, la libération conditionnelle peut minimiser la gravité de l’acte criminel. Les femmes nous signalent qu’elles ont l’impression de devoir surveiller leurs arrières dans la communauté lorsque des libérations conditionnelles sont accordées. Nous devons nous rappeler que les victimes et les contrevenants habitent parfois la même communauté.

À notre centre, nous avons eu connaissance de la situation d’une femme dont le bourreau avait reçu l’ordre — parmi de nombreuses autres conditions, bien sûr — de rester à l’écart de sa propriété. L’auteur des crimes a cependant décidé d’installer une chaise de jardin dans une cour voisine pour s’y asseoir, face au domicile de la victime. Cette dernière ne pouvait rien y changer.

Une femme m’a exprimé qu’elle a l’impression qu’on se concentre sur les hommes à la source du problème sans écouter les femmes — les victimes — qui font les frais des crimes.

J’ai été ravie d’entendre le 21 septembre que le rapport sur l’analyse sexospécifique de ce projet de loi sera présenté à ce comité. Je recommanderais au comité de le parcourir minutieusement.

Je l’ai affirmé à la Chambre des Communes, et je le répéterai aujourd’hui : nous devons étudier ce projet de loi sous l’angle de la violence des hommes faite aux femmes. Nous devons mettre l’accent sur les femmes, et en particulier sur les femmes marginalisées; il faut s’intéresser aux conséquences qu’elles subiront à cause de ce projet de loi et constater qu’elles n’obtiendront pas la justice qu’elles méritent.

Au bout du compte, on ne peut limiter la discussion à la race. Il faut aussi parler des sexes. L’incidence sur les femmes est différente de celle sur les hommes. Les femmes qui survivent à l’exploitation sexuelle et à la traite de personnes purgent une peine à perpétuité.

Au London Abused Women’s Centre, nous avons été témoins de situations où, malgré les conditions visant à contraindre les comportements des délinquants, des femmes ont par exemple reçu un texto de la part de leur bourreau pendant un rendez-vous à notre bureau. Les hommes, ayant remarqué la voiture de leurs victimes dans notre stationnement, se trouvaient à l’entrée extérieure de notre édifice.

Les femmes ne sont pas en sécurité. Des changements systémiques s’imposent pour protéger nos femmes. Elles méritent de vivre une vie exempte de violence. Les tribunaux doivent se rendre compte que les femmes se retrouvent facilement dans des situations présentant des risques accrus. Merci.

[Français]

Me Nicolas Le Grand Alary, avocat, Secrétariat de l’ordre et Affaires juridiques, Barreau du Québec : Bonjour, monsieur le vice-président et mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis Nicolas Le Grand Alary, avocat au Secrétariat de l’ordre et Affaires juridiques du Barreau du Québec. Je suis accompagné de Me Michel Marchand, avocat de la défense et membre de notre Groupe d’experts en droit criminel. Nous vous remercions d’avoir invité le Barreau du Québec à témoigner sur le projet de loi C-5.

D’entrée de jeu, nous constatons que le projet de loi prévoit l’abrogation de plusieurs peines minimales d’emprisonnement obligatoires et se veut un effort visant à pallier la surreprésentation carcérale des communautés autochtones, des Canadiens noirs et d’autres groupes marginalisés.

Le Barreau du Québec accueille favorablement toute initiative législative qui a pour effet de renforcer l’indépendance des tribunaux, favoriser la discrétion judiciaire et donner plein effet au principe de proportionnalité des peines prévu au Code criminel.

Le Barreau du Québec tient cependant à rappeler son opposition aux peines minimales obligatoires, en particulier les peines d’emprisonnement, sauf pour les infractions les plus graves, comme le meurtre.

En effet, les peines minimales obligatoires enlèvent aux intervenants judiciaires de première ligne — comme les procureurs de la Couronne, les avocats de la défense et les juges de première instance — la flexibilité nécessaire pour bien appliquer le principe de proportionnalité des peines.

En outre, ces mesures sont contre-productives pour le système de justice, car il existe un risque réel que les peines minimales obligatoires conduisent à l’imposition de peines inappropriées, excessives et déraisonnables.

En effet, une infraction passible d’une peine minimale obligatoire peut être perpétrée de nombreuses manières, dans des circonstances différentes et par une grande variété de personnes.

Ce faisant, la peine se révèle vulnérable sur le plan constitutionnel, car elle s’appliquera inévitablement dans des situations pour lesquelles le minimum obligatoire équivaudra à une peine cruelle et inusitée au sens de la Charte canadienne.

Le Barreau du Québec est ainsi déçu de constater que le projet de loi ne prévoit pas de mesures d’application larges permettant au tribunal d’exercer pleinement sa discrétion judiciaire lors de la détermination de la peine.

Le projet de loi aurait été une bonne occasion d’abandonner une fois pour toutes ce type de peine, qui ne favorise pas une administration efficace et efficiente du système de justice pénale.

Nous saluons d’ailleurs le dépôt, dans le cadre de cette session parlementaire, du projet de loi S-213, qui propose une telle mesure.

Cette mesure largement retenue à l’étranger, cette solution établit un compromis entre le droit du Parlement d’arrêter la fourchette de peines qui convient pour une infraction et le droit constitutionnel de chaque accusé à la protection contre les peines cruelles et inusitées.

De plus, chaque accusé n’aurait plus à supporter le fardeau d’une contestation constitutionnelle, parfois jusqu’à la Cour suprême.

Il faut faire confiance aux juges pour appliquer la loi de manière juste et équitable et selon les objectifs et principes énoncés au Code criminel, ce qui fait en sorte que les peines imposées sont proportionnelles à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

En d’autres mots, la peine la plus adaptée est généralement celle qui est évaluée au cas par cas par le tribunal.

Cela dit, nous invitons également le législateur à considérer la possibilité de procéder à une réforme complète du Code criminel, qui nous apparaît plus souhaitable qu’une réforme à la pièce. Cela permettrait ainsi de réduire les incohérences et de promouvoir l’uniformisation des règles, ce qui augmenterait ainsi la confiance du public envers le système judiciaire.

En terminant, le Barreau du Québec salue la réflexion amorcée dans le cadre de ce projet de loi, qui vise à promouvoir le pouvoir discrétionnaire des juges en matière de condamnation et à contrer le racisme systémique au sein du système de justice pénale du Canada, par l’abrogation de certaines peines minimales obligatoires d’emprisonnement.

Voilà qui fait le tour des principaux enjeux que le Barreau du Québec voulait aborder avec vous. Nous espérons que notre présentation a contribué à votre réflexion et nous sommes maintenant disponibles pour répondre à vos questions.

Le sénateur Gold : Bienvenue aux témoins à notre comité.

Dans votre présentation, j’ai constaté que vous appuyez les objectifs du projet de loi, mais vous avez mentionné que, selon le Barreau du Québec, ce serait une bonne idée de maintenir les peines minimales obligatoires pour meurtre. J’aimerais bien vous entendre sur le sujet et en même temps, je crois comprendre que vous recommandez aussi des changements qui vont plus loin que ce projet de loi.

Afin de clarifier votre position, si on avait le choix entre le statu quo, le retrait des peines minimales et le régime d’ordonnance de sursis élargi que propose le projet de loi, ou même les mesures qui traitent des infractions concernant les drogues, que préféreriez-vous? Pourquoi garder les peines minimales pour le crime de meurtre? Est-ce par principe? Deuxièmement, si vous aviez à choisir entre le statu quo et les changements proposés dans le projet de loi, quelle serait votre préférence?

Me Michel Marchand, avocat, Barreau du Québec : Je vous remercie de la question.

Le meurtre est l’une des plus graves infractions prévues au Code criminel. Le génocide est encore plus grave, mais pour ce qui est des infractions au quotidien, le meurtre est l’infraction plus grave.

Comme l’a dit la Cour suprême, notamment dans l’arrêt Vaillancourt, le meurtre est un crime à très haut niveau de stigmate. Après le décès de la personne, s’il s’agit d’un meurtre prémédité et non d’un homicide involontaire, un mens rea assez important s’y rattache et il faut prouver l’intention. Pour savoir si ce crime mérite une peine minimale, il faut considérer le fait qu’il est irréversible et que la personne est disparue. À cet égard, je crois que la position du barreau est la bonne. Elle s’accorde aussi avec le Code criminel et les bases de la justice canadienne.

Si j’ai bien compris votre deuxième question, le statu quo ne signifie pas la loi telle qu’elle figure dans le projet de loi, mais plutôt ce que nous avons actuellement.

Le Barreau du Québec croit que les peines minimales d’emprisonnement devaient être retirées pour laisser la discrétion aux juges. Les juges sont indépendants. Ils sont nommés par les gouvernements. Ce n’est pas n’importe qui qui est nommé juge. Nous avons des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense qui sont nommés. Les candidats doivent posséder une certaine expérience en droit pour être nommés juges. Ils sont très respectés de la population.

À mon avis, ils sont en mesure d’imposer aux délinquants des peines appropriées. Ce n’est pas parce qu’on retire les peines minimales que les juges n’imposeront pas des peines plus sévères que le minimum. La décision Nur de la Cour suprême, sur les peines minimales, en est un exemple. Dans cette cause, la Cour suprême a annulé les peines minimales, mais les coupables ont écopé de sentences plus importantes que le minimum. On voit donc que le système judiciaire a bien travaillé. Les cours d’appel sont là pour vérifier tout le processus.

Je crois que le statu quo n’est pas tenable. Les peines d’emprisonnement avec sursis ne sont presque plus utilisées. Il existe tellement d’exceptions dans la loi que cela devient impossible à gérer. Ces peines ne sont imposées que très rarement, contrairement à l’époque où elles ont été adoptées. Elles avaient justement pour but de désengorger le système tout en étant punitives. Ce système était bien adapté. Les amendements qui ont été apportés par la suite ont fait en sorte que tout cela est devenu trop restreint. Je ne sais pas si j’ai bien répondu à vos questions, mais je l’espère.

Le sénateur Gold : Merci beaucoup.

Me Marchand : Merci à vous.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Mes questions s’adressent à Jennifer Dunn, du London Abused Women’s Centre. J’aimerais souligner que vous poursuivez la belle tradition de Megan Walker, qui a travaillé au sein de votre organisation pendant de nombreuses années et qui est venue comparaître devant notre comité à maintes reprises afin de militer pour ces femmes vulnérables qui ont réellement besoin de votre aide. Je vous en remercie.

Tout d’abord, comme vous l’avez souligné, le projet de loi étend l’admissibilité aux peines avec sursis aux infractions d’agressions sexuelles. Vous soutenez des victimes de telles agressions. Pouvez-vous nous dire, d’après votre expérience, à quoi ressemble le processus de justice pénale pour les victimes? Pourriez-vous aussi nous expliquer, toujours selon votre point de vue, quel impact le fait de permettre à un délinquant de purger sa peine à domicile, dans sa communauté, pourrait avoir sur sa victime?

Mme Dunn : Je vous remercie de vos questions. Lorsque les femmes veulent porter plainte pour agression sexuelle, le processus pour en arriver là est très long. Le fait de devoir vivre cette expérience est extrêmement traumatisant. Vous devez ensuite expliquer ce qui s’est passé à quelqu’un, ce qui vous traumatise à nouveau. Le processus, depuis la plainte jusqu’à la première audience au tribunal, ou même jusqu’à la résolution de l’affaire, peut être très long. Bien souvent, la femme doit aussi témoigner, ce qui la traumatise une fois de plus.

Prenons l’exemple des agressions sexuelles. Les femmes nous disent déjà se sentir impuissantes dans ce type de situation. Récemment, ce genre de cas a fait la manchette à quelques reprises à London.

Il y a un peu plus d’un an, il y a eu un gros problème d’agression sexuelle dans une université des environs, et puis, bien sûr, il y a eu la situation de Hockey Canada avec l’agression sexuelle qui a eu lieu à London. Les femmes, de leur côté, doivent vivre avec ce qui leur est arrivé et demeurent craintives dans leur collectivité. Il s’agit d’une peine à perpétuité.

Les femmes ont du mal à porter plainte, parce qu’elles ont l’impression qu’on ne les croira pas. Une partie de notre travail consiste à leur montrer qu’elles ne sont pas seules et qu’elles seront crues. Nous pouvons leur fournir un endroit sûr où elles pourront porter plainte pour agression sexuelle, par exemple. La police peut venir ici et nous travaillons très bien ensemble sur ce genre de dossiers. Cela dit, les femmes qui portent plainte subissent de graves conséquences, particulièrement lorsque l’accusé est acquitté.

J’ai donné un exemple un peu plus tôt. Ce n’était pas un cas d’agression sexuelle, mais plutôt de traite de personne. Nous avons reçu une femme ici pour un rendez-vous et son agresseur lui a littéralement envoyé un texto de notre stationnement pour lui laisser savoir qu’il savait où elle était. Elle n’a même pas pu venir nous voir pour accéder à des services et se sentir en sécurité comme elle en avait besoin.

Cette personne s’est-elle retrouvée derrière les barreaux? Oui, mais rien n’a semblé changer dans cette situation précise. Je ne sais pas si j’ai répondu à toutes vos questions, madame la sénatrice.

La sénatrice Batters : Oui, vous y avez répondu. Je vous remercie d’être revenue sur la situation de Hockey Canada. Nous l’oublions parfois. Cet incident s’est déroulé il y a plusieurs années, mais il fait vraiment la manchette ces temps-ci.

On estime que l’agression sexuelle est probablement le crime le moins signalé au pays. Vous en avez déjà un peu parlé, surtout lorsque vous avez cité une victime dans vos remarques liminaires. Vous avez dit : « Si les peines nous protègent moins, nous sommes moins susceptibles de porter plainte. » Cela concernait peut-être la violence conjugale, mais je présume que le sentiment serait semblable pour les cas d’agression sexuelle.

Selon vous, la nouvelle possibilité d’imposer une peine avec sursis pour de tels crimes aura-t-elle une incidence sur la probabilité que les victimes se manifestent?

Mme Dunn : Ce que nous avons entendu, et ce que nous disent les femmes, c’est sensiblement ce que veut dire cette citation. Si elles savent déjà qu’elles seront moins protégées, il leur sera plus difficile de porter plainte en premier lieu.

En fin de compte, c’est ce qui va se produire. Disons qu’une femme a été agressée sexuellement. Elle pourrait décider de ne pas se tourner vers le système de justice pénale. Elle pourrait choisir de ne pas porter plainte. Je pense que les femmes auront plus de mal. Elles dépendront davantage des ressources communautaires et n’obtiendront donc pas justice.

La sénatrice Batters : Merci.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Je remercie les témoins de s’être rendus disponibles aujourd’hui et j’apprécie en particulier l’importante participation du Barreau du Québec.

Je voudrais poursuivre dans la lignée des questions du sénateur Gold. Votre position est que vous êtes défavorable aux peines minimales, sauf pour les crimes les plus sérieux. Comment définit-on ce que sont les « crimes les plus sérieux »?

On s’entend tous pour dire que le meurtre et le terrorisme sont des crimes très sérieux, tout comme les génocides, les agressions sexuelles et le viol.

Où trace-t-on la ligne? Comment distinguer ce qui est une infraction très sérieuse, justifiant une peine minimale, d’une autre qui ne la justifie pas?

Me Marchand : Je vous remercie pour votre question, sénateur Dalphond. La position du Québec, c’est que la peine minimale pour ce qui est du meurtre est raisonnable et rationnelle par rapport à notre système de justice. Cependant, la position du Barreau du Québec n’est pas que tous les crimes graves doivent avoir des peines minimales obligatoires. Je reviens à mon argument de tout à l’heure, lorsque je disais qu’on a un système judiciaire où les juges sont là, et j’ai très confiance en eux; si la sentence est inadéquate, elle sera portée en appel. C’est un manque de confiance envers les juges que d’imposer des sentences minimales.

Parfois, l’infraction est définie de manière tellement large qu’on peut se rendre compte que, pour certains comportements, cela n’a pas de sens. C’est pourquoi la grande majorité des recours devant les tribunaux ont été gagnés sur la base de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Ce n’est pas parce qu’on enlève les peines minimales qu’on va faire en sorte qu’il n’y aura plus de sentences, bien au contraire.

Lorsqu’on regarde les propos de la Cour suprême, dans R. c. Friesen, en ce qui concerne les crimes sexuels contre des enfants, on n’a pas besoin de peines minimales, on sait qu’il y aura des sentences. Lorsqu’on a des clients qui font face à ce genre d’accusations, on le leur dit et ils le savent.

C’est une confiance que l’on doit avoir dans le système judiciaire. Le système judiciaire fonctionne bien et lorsque ce n’est pas le cas, on peut faire appel pour corriger les lacunes.

On parle d’agressions sexuelles, de harcèlement, mais tout cela a été modifié dans le Code criminel également; ce sont maintenant des crimes mixtes. Donc, c’est possible de poursuivre les délinquants par voie de déclaration sommaire de culpabilité, au moyen de laquelle ils peuvent écoper d’une sentence maximale de deux ans moins un jour.

À mon avis, les peines minimales démontrent un manque de confiance dans le système judiciaire.

Le sénateur Dalphond : En ce qui concerne les peines maximales — parce que le Code criminel prévoit également des peines maximales pour presque toutes les infractions —, n’est-ce pas aussi une atteinte à la discrétion judiciaire? J’essaie de comprendre quel genre de politique on doit développer en matière de sentence et le rôle du Parlement à ce sujet.

Me Marchand : En ce qui concerne le rôle du Parlement, je crois qu’actuellement les peines maximales ne sont pas vraiment attaquées; ce sont surtout les peines minimales.

Les peines maximales commencent à poser problème dans certains cas. On l’a vu, par exemple, pour la conduite automobile. Pour un résident permanent au Canada, on lui dit que la peine est de 10 ans; on essaie donc de voir avec la Couronne si l’on ne pourrait pas régler la peine pour conduite dangereuse ou régler cela autrement. Donc, on essaie de s’entendre et de voir si on ne peut pas régler la question.

Tout le débat et ce projet de loi concernent surtout les peines minimales. Le juge a toujours une discrétion concernant les peines maximales, sauf s’il y a une autre loi en jeu. Par exemple, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés fait en sorte qu’il n’y a pas de discrétion, sauf si Immigration et Citoyenneté Canada s’en mêle et s’il y a un débat devant les autorités de l’immigration.

Je trouve que les peines maximales causent certains problèmes, mais pas autant que les peines minimales.

Le sénateur Dalphond : Merci.

La sénatrice Dupuis : J’aurais une question pour le Barreau du Québec, mais ma première question s’adresse à Mme Dunn.

Madame Dunn, merci d’être avec nous aujourd’hui. J’essaie de comprendre, à partir de votre témoignage, ce que la peine minimale change par rapport à la crainte que les femmes vous ont exprimée de ne pas être prises au sérieux. Autrement dit, qu’il y ait des peines minimales ou non, la situation de Hockey Canada nous prouve bien qu’il y a une certaine tolérance en matière de violence contre les femmes, puisque cela a duré pendant de nombreuses années. D’ailleurs, c’est peut-être le hasard qui a fait que cela a été révélé publiquement.

Je comprends très bien pourquoi les femmes hésitent à dénoncer parce qu’elles ont peur de ne pas être crues. C’est un problème quand même important. Pouvez-vous me dire si la question de la peine est un problème majeur ou secondaire par rapport au fait de ne pas être cru dans le système?

[Traduction]

Mme Dunn : Je crois que la question m’était adressée, mais il n’y a pas eu d’interprétation jusqu’à la toute fin, alors j’ai presque tout manqué votre intervention.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ce que je voudrais savoir de votre part... Je pense que ce que vous avez souligné est très important, par rapport au fait que les femmes ont beaucoup de difficulté à dénoncer des actes criminels, parce qu’elles ont peur de ne pas être crues. C’est l’expérience qui le prouve de toute façon; pendant longtemps, les femmes n’ont pas été crues, et encore aujourd’hui, c’est l’expérience de beaucoup de femmes.

Est-ce que c’est plus le fait de ne pas être crues qui les empêche de dénoncer ou le fait qu’il y ait ou non une peine minimale? Autrement dit, la même violence qui est exercée à l’endroit des femmes, qu’il y ait une peine minimale ou une ordonnance avec sursis ou qu’il y ait deux ans de prison, elle va s’exercer quand même; ce n’est qu’une question de temps. La personne qui était dans le stationnement en face de chez vous, elle sera là de toute façon, après avoir purgé sa peine minimale ou sans peine minimale.

Selon votre expérience, est-ce que c’est le fait de ne pas être crues et de ne pas être mieux protégées par le système judiciaire qui amène les femmes à ne pas dénoncer, plutôt que le fait qu’il y ait ou non des peines minimales?

[Traduction]

Mme Dunn : Je vous remercie de la question. Je dirais que c’est les deux. Des femmes nous ont dit ne pas faire confiance au système de justice pénale en raison de ce qu’elles y ont vécu. Elles ne font pas confiance aux juges devant lesquels elles ont comparu. Elles ont dû comparaître au tribunal, elles ont dû témoigner, et le processus ne leur inspire pas confiance.

D’un point de vue sociétal, il y a aussi le fait que les femmes ont peur de ne pas être crues. Leur plainte pourrait ne pas mener à une accusation, par exemple. L’affaire ne se rendrait donc pas devant les tribunaux.

Pour être franche, je pense que c’est une combinaison de ces deux facteurs.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma prochaine question s’adresse à Me Marchand et porte sur la négociation. Vous êtes avocat de la défense; en quoi y a-t-il un intérêt, pour un avocat de la défense, à ce qu’il y ait des peines minimales obligatoires ou non?

Me Marchand : Je vous remercie pour la question, madame la sénatrice. Par exemple, comme je l’ai mentionné plus tôt, l’utilité d’un avocat de la défense dans un dossier pourrait être, même s’il y a une peine minimale, de voir si on peut régler la question d’une autre manière, ou encore attaquer la peine minimale.

Ce matin, j’étais avec un client; il y a une peine minimale prévue pour son infraction et on a discuté de cela. Il faudra faire une contestation, parce que notre Cour d’appel ne s’est pas encore prononcée sur la peine minimale en question dans notre cas. La règle du stare decisis ne peut pas s’appliquer, puisqu’on n’a pas de précédent ni de décision de la Cour suprême.

Donc, j’ai dû en discuter avec mon client pour lui dire combien cela allait coûter. Il faudra contester. Il faudra que j’envoie un avis au procureur général. C’est le procureur général qui va contester la loi. C’est le gouvernement qui va défendre la loi. On verra par la suite ce qui arrivera. Est-ce que la sentence sera déclarée inconstitutionnelle ou non? On fera peut-être appel.

Ce sont des débats. Quand on a un client qui n’est pas criminalisé et qu’on regarde cela avec des criminologues, des experts, ils nous disent parfois que notre client ne peut pas aller en prison parce qu’il va arriver telle ou telle chose. Il va perdre tous ses acquis. Il va subir des abus de la part d’autres détenus. Il va tomber de très haut. Alors, on essaie de voir comment faire pour s’en sortir. On dépense de l’énergie inutilement, parce qu’on pourrait avoir...

Le vice-président : Merci, maître Marchand.

[Traduction]

La sénatrice Pate : J’aimerais remercier tous nos témoins d’être ici. J’aimerais tout d’abord m’adresser à Mme Dunn, mais j’aimerais aussi obtenir une réponse du Barreau du Québec.

Vous avez parlé de l’échec systémique du système de justice pénale, qui n’a pas pris au sérieux la violence envers les femmes, et du fait que cela a contribué à la méfiance et aux préoccupations face à ces révisions. Lorsque vous avez comparu devant le Comité permanent de la justice de la Chambre des communes, vous avez parlé du cas d’Helen Naslund. Cette femme a subi des sévices pendant une trentaine d’années. Elle a tenté de s’échapper, en vain. Elle a par la suite été accusée de meurtre au premier degré et on l’a incitée à plaider l’homicide involontaire. La décision a été infirmée en appel. Vous êtes aussi au fait — comme bien d’autres — du nombre de femmes, et surtout des femmes autochtones, qui ont vécu des choses similaires et que l’on incite à plaider coupable par crainte de subir du racisme au sein du système, sans compter la misogynie et l’incapacité à prendre au sérieux l’enjeu de la violence envers les femmes.

Aimeriez-vous que les juges aient le pouvoir discrétionnaire de ne pas imposer de peines minimales obligatoires dans ce genre de cas où des femmes subissent encore de la discrimination systémique? On parle de femmes qui n’ont pas été protégées par le système, qui ont été forcées de se protéger elles-mêmes, mais qui, lorsqu’elles agissent, se retrouvent souvent en prison pendant longtemps et purgent régulièrement des peines minimales obligatoires.

Mme Dunn : Je vous remercie de cette question, sénatrice Pate. Je suis ravie que vous l’ayez posée.

Nous avons eu du mal à préparer notre exposé, parce que nous avons dû examiner ce que les femmes disent littéralement dans la pièce voisine de mon bureau et nous baser sur leurs expériences. Je pense qu’il serait très inapproprié pour moi d’être assise dans la pièce voisine et de dire que nous approuvons tout ce que vous venez de dire, sénatrice Pate.

Oui, j’ai parlé du cas d’Helen Naslund lors de ma comparution devant le Comité permanent de la justice de la Chambre des communes. C’est un bel exemple de la raison pour laquelle j’ai dit au début de mon exposé que le projet de loi C-5 pourrait être un premier pas dans la bonne direction. Il est très difficile de statuer là-dessus pour le moment, car les femmes que nous servons ne font tout simplement pas confiance au système. C’est difficile.

Ce projet de loi, comme bien d’autres, doit être envisagé sous l’angle de la violence faite aux femmes et de ce à quoi cela peut ressembler. Si l’on pense à Helen Naslund et à tout ce qu’elle a subi, et à la peine qu’elle a reçue, 18 ans, c’était franchement démesuré. Un juge bénéficiant d’une plus grande discrétion aurait pu se pencher sur les injustices qu’elle a vécues et relever certains éléments qui auraient pu facilement démontrer qu’elle a subi une injustice. C’était une femme maltraitée, et elle n’aurait pas dû être tenue responsable de ce qui s’est passé en fin de compte. C’est très important.

La situation est très difficile, parce que les femmes que nous servons sur le terrain ne sont pas encore rendues à ce stade.

C’est une bonne première étape, mais il nous faut réfléchir à la sécurité publique et à tout cela, parce que c’est la situation que nous connaissons.

La sénatrice Pate : Je m’adresse maintenant au barreau : je vous saurais gré de tenir compte de la décision Luxton qui a été rendue en 1990 dans votre réponse, merci.

[Français]

Me Marchand : Merci de la question, madame la sénatrice.

Je pense que si on n’a pas de peine minimale, on n’a pas ce problème. On n’a pas à présenter de disposition particulière pour les femmes autochtones si on dit qu’il n’y a plus de peines minimales. On règle ce problème-là.

Vous avez soulevé un problème important, celui des plaidoyers de culpabilité en raison des peines minimales, qui est un problème sérieux. Parfois, le client ne veut pas et il dit qu’il va prendre autre chose. On lui demande s’il reconnaît les faits. Il y a des problèmes dans le fait de plaider coupable à une infraction quand la personne n’a pas commis d’infraction. Sur le plan éthique, on ne peut pas le faire. Cela se passe quand même devant les tribunaux pour essayer de sauver la peine minimale. On le voit.

Je pense que la position du Barreau du Québec de supprimer toutes les peines minimales, sauf dans les cas de meurtre — je parle des peines d’emprisonnement, pas des amendes minimales —, c’est quelque chose qui irait dans la bonne direction afin d’éviter le genre de problème comme celui que vous avez soulevé.

Le vice-président : Merci, maître marchand.

[Traduction]

La sénatrice Simons : J’aimerais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Pate, madame Dunn.

Je comprends votre point de vue. Je peux imaginer de nombreux cas où il serait totalement inapproprié qu’une personne soit condamnée à une peine non privative de liberté avec sursis à domicile dans la même collectivité que la victime. Cela dit, je peux aussi imaginer des scénarios où cela pourrait être la meilleure situation pour la famille, dépendamment de la nature ou de la gravité de l’agression.

Il semble que les femmes soient en quelque sorte prises au piège d’une part — vous soulevez des préoccupations très légitimes sur le fait que les tribunaux n’en font pas assez pour protéger les femmes victimes de violence — et d’autre part, il n’y a pas que l’affaire Helen Naslund. Il existe des dizaines de cas où des femmes ont riposté contre leur agresseur. Qu’elles l’aient tué ou non, elles ont ensuite été condamnées à des peines très sévères parce qu’elles n’ont pas pu obtenir l’aide et la protection des tribunaux en premier lieu.

Qu’auriez-vous à dire au gouvernement et à la magistrature sur l’élaboration d’une loi qui offrirait aux femmes une protection légitime aux deux extrémités de l’équation?

Mme Dunn : Je vous remercie de votre question. Je pense que je pourrais prendre beaucoup de temps pour y répondre, car il s’agit d’une question très large.

Les femmes que nous servons diraient également que le patriarcat est un gros problème systémique. Je sais que c’est une réponse très vaste à votre question, mais c’est très difficile parce que tous ces systèmes ont été conçus sous l’angle patriarcal. Que sont censées faire les femmes dans une telle situation? C’est vraiment absurde de dire : « Éliminons les peines minimales obligatoires pour les femmes, mais gardons-les pour les hommes. » On ne peut pas dire cela; il faut être juste envers tout le monde.

La sénatrice Simons : Oui, mais c’est un peu ce que vous venez de dire.

Mme Dunn : C’est ce que j’ai dit, mais le problème, c’est que ces structures ont été conçues sans songer au point de vue de la femme.

Lorsque nous avons commencé à en parler entre nous et que nous avons soulevé cet enjeu auprès des femmes que nous servons — et nous avons la chance de disposer d’un comité consultatif de survivantes qui nous aide à orienter notre travail et nous parle de ce qui est préférable pour elles en fonction de leurs expériences —, la question a été sincèrement posée : comment peut-on régler certains de ces problèmes alors que tout ce système est basé sur le patriarcat?

J’ignore si cela répond à votre question, sénatrice Simons, mais je crois que nous devons aller au-delà de la race. Nous devons aussi examiner la situation des femmes face à celle des hommes. Nous devons tenir compte de l’élément racial, mais nous devons aussi garder les femmes à l’esprit.

La sénatrice Simons : C’est la prémisse même de l’analyse sexospécifique. Merci. J’estime que vous avez très bien répondu à ma question plutôt mal formulée.

Mme Dunn : Je suis désolée. Merci.

[Français]

Le vice-président : J’ai une question pour vous, madame Dunn. Je suis très préoccupé par le nombre de femmes assassinées. La grande majorité d’entre elles le sont sans que l’agresseur passe une seule journée en prison. Cela se produit souvent dans le cadre d’une ordonnance de ne pas troubler la paix, ce qu’on appelle un « 810 ». C’est souvent dans ces situations que les femmes sont le plus à risque.

Si le projet de loi était adopté tel quel et que des crimes comme l’agression sexuelle, le harcèlement criminel et les voies de fait, qui sont des composantes très présentes dans la violence conjugale, étaient dorénavant punis et condamnés avec sursis, est-ce que la sécurité des femmes serait encore plus à risque? Souvent, dans le cas d’une peine avec sursis, l’individu revient à proximité de sa victime.

[Traduction]

Mme Dunn : Je vous remercie de votre question. Je crois fermement que les femmes sont plus à risque dans cette situation.

Vous avez raison. Les femmes et les filles sont cinq fois plus susceptibles que les hommes d’être victimes d’agression sexuelle. Ce type de statistique est très alarmant. En fin de compte, les femmes le savent. Elles savent qu’elles sont en danger simplement parce qu’elles sont des femmes dans la société dans laquelle nous vivons.

Est-ce que les femmes sont plus en danger si l’accusé purge sa peine avec sursis? Oui, car même si cette peine est assortie de conditions, cela ne veut pas dire que l’agresseur va les respecter. Je peux vous fournir un exemple rapide, si vous me le permettez.

À notre centre, il y a eu une menace d’alerte à la bombe. Un homme a dit qu’il avait placé une bombe dans notre édifice et le processus judiciaire a pris environ trois ans. Cet homme a dit : « Je n’ai pas à suivre les règles, non, je n’ai pas à faire cela. » Il a littéralement enfreint toutes les conditions qui lui avaient été imposées. Il est rentré et sorti de prison pendant de très courtes périodes, et il est encore en liberté.

Qu’en est-il de la sécurité des femmes et des filles que nous servons? Comment peuvent-elles se sentir en sécurité dans notre centre? C’est là où elles sont censées se sentir le plus en sécurité.

Pour répondre à votre question, il ne convient pas d’imposer des peines avec sursis pour les infractions où les femmes et les filles sont les victimes. Les femmes et les filles — les femmes que nous servons — sentent que cela les met davantage en danger.

[Français]

Le vice-président : Merci.

La sénatrice Clement : Le cri du cœur que je veux faire en écoutant le témoignage de Mme Dunn, c’est que —

[Traduction]

Madame Dunn, vous devriez absolument vous sentir à l’aise de parler de patriarcat. Cela ne pose pas problème. Vous pouvez le faire sans souci. Nous devons parler de ces problèmes et les décrier.

[Français]

Le cri du cœur que je veux faire en écoutant votre témoignage, c’est que les femmes sont encore vulnérables aujourd’hui et ne se sentent pas en sécurité. Elles sont de nouveau des victimes en passant à travers notre système judiciaire. Selon moi, les peines minimales obligatoires n’ont justement pas permis d’amenuiser ce sentiment qu’éprouvent les femmes.

Ma question s’adresse à Me Le Grand Alary. Dans votre témoignage, vous avez parlé de peines minimales obligatoires qui créent un système qui n’est ni efficace ni efficient. Pouvez-vous développer votre idée? Pourquoi dites-vous cela?

Me Le Grand Alary : Comme mon collègue Me Marchand l’a évoqué en réponse à certaines questions, ce qu’il faut retenir, c’est que l’on se retrouve souvent dans des situations où il existe une peine minimale obligatoire. Or, pour une panoplie de raisons, cette peine ne sera pas adaptée à l’accusé, soit en raison de la gravité objective des gestes commis ou des caractéristiques intrinsèques à cette personne. Par exemple, il peut s’agir d’un accusé autochtone ou d’un membre d’un autre groupe marginalisé.

L’avocat de la défense devra peut-être faire une contestation judiciaire de la peine devant les tribunaux. On ne pourra pas régler le dossier en plaidant coupable à une infraction, car la Couronne n’aura pas peut-être pas la discrétion requise pour négocier une suggestion commune qui aurait répondu aux besoins.

Ce sont toutes des choses qui alourdissent le système et le processus. Cela multiplie les recours et cela fait en sorte qu’il y a un problème d’efficacité et d’efficience du système. S’il n’y avait pas de peines minimales obligatoires, ou s’il y avait également une discrétion judiciaire en matière de détermination de la peine, on se retrouverait sans doute moins souvent dans de telles situations.

La sénatrice Clement : Merci à tous les témoins pour leur témoignage et pour leur travail.

[Traduction]

Le sénateur Gold : Madame Dunn, je vous transmets mes félicitations et je vous remercie de votre présence et de votre travail.

Certaines des personnes qui obtiennent des ordonnances de sursis — ou qui pourraient en obtenir si le projet de loi C-5 est adopté — sont des femmes qui ont vécu de la maltraitance et divers types de sévices, tels que des agressions sexuelles, et qui finissent par être condamnées ou accusées d’actes criminels. Nos prisons comptent beaucoup trop de cas de ce genre.

Ne serait-ce pas préférable pour une femme dans une telle situation d’obtenir une ordonnance de sursis plutôt que de se retrouver derrière les barreaux? À cet égard, le projet de loi C-5 ne permettrait-il pas d’aider des femmes qui sont en fait des victimes de maltraitance bien qu’elles soient accusées d’autres crimes?

Mme Dunn : Je vous remercie pour votre question. Comme je l’ai dit plus tôt, ce sujet est très difficile pour un organisme comme le nôtre, parce que la réponse est oui. Pour les femmes, les peines d’emprisonnement avec sursis peuvent être utiles, parce qu’elles leur permettent d’avoir accès à du soutien dans la communauté. Je sais que lorsqu’on évoque ce sujet, on pense à toutes les personnes, alors techniquement, ma réponse devrait être aussi valable pour un homme qui a été reconnu coupable de harcèlement sexuel, par exemple. Je comprends que cela porte à confusion.

Or, les femmes représentent encore une population très vulnérable. Par exemple, certaines femmes ont été reconnues coupables de traite de personne, mais elles sont en même temps des victimes, parce qu’elles ont été leurrées, mais elles sont recruteuses pour les trafiquants et pourraient être accusées de traite de personnes. Je crois que dans un tel cas, une peine d’emprisonnement avec sursis serait très utile.

Est-ce que j’ai répondu à votre question?

Le sénateur Gold : Oui. Merci beaucoup.

La sénatrice Pate : J’aimerais faire un suivi avec le Barreau du Québec.

Est-ce que vous vous opposeriez à une disposition permettant aux juges d’exercer un pouvoir discrétionnaire structuré lorsqu’ils prennent une décision, surtout étant donné la position de Me Le Grand Alary au sujet de la situation, pour les femmes qui sont victimes d’abus, par exemple? Je pense aussi aux nombreux jeunes qui se retrouvent dans ce genre de situation.

La dernière fois que la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de l’emprisonnement à perpétuité de façon particulière, c’était en 1990... cela fait longtemps. Dans l’arrêt Luxton, elle avait fait valoir que la constitutionnalité était protégée par la disposition de la dernière chance... qui a été abrogée en 2011, comme vous le savez.

Croyez-vous qu’une telle disposition discrétionnaire serait utile ou non?

[Français]

Me Marchand : Merci, madame la sénatrice. Si je comprends bien, vous parlez de l’abolition de la possibilité de demander une libération conditionnelle après 15 ans? Justement, j’ai plaidé la première cause au Canada, avec feu Me Sacchitelle dans l’affaire Chartrand, il y a plusieurs années.

Je me souviens du moment où nous sommes arrivés à la prison et de celui où nous avons donné une conférence. Tout le monde était content; les gardiens de prison venaient nous voir, car nous disions aux détenus que s’ils voulaient une libération conditionnelle après 15 ans, il fallait ne pas avoir de dossier disciplinaire à la prison, il fallait suivre les programmes, etc. Tout le monde à la prison était content, les détenus avaient de l’espoir, les gardiens disaient que cela supprimerait la violence dans les prisons et tout le monde nous acclamait.

On a retiré tout l’espoir et c’est une mauvaise idée d’avoir fait cela. Si la personne est dangereuse, elle ne sera pas remise en liberté par la Commission des libérations conditionnelles; elle va rester en prison. Ai-je bien répondu à votre question?

[Traduction]

La sénatrice Pate : Non. Je n’ai peut-être pas été claire; excusez-moi.

Est-ce que le Barreau du Québec s’opposerait à une disposition permettant aux juges d’user de leur pouvoir discrétionnaire dans certaines situations et de ne pas imposer de peine minimale obligatoire, dans les cas où elle ne serait pas abrogée?

[Français]

Me Le Grand Alary : C’est quelque chose que nous appuyons tout à fait. Nous sommes d’accord avec cette disposition et il y a un exemple de cela dans le projet de loi S-213. Il y a eu d’autres projets de loi. Vous avez déjà déposé des projets de loi semblables, qui conféraient une discrétion judiciaire en matière de peine minimale, et nous appuyons de telles mesures.

La sénatrice Pate : Merci.

[Traduction]

Le vice-président : Je remercie les témoins d’avoir comparu devant nous aujourd’hui. Vos témoignages étaient très pertinents.

Je remercie également les sénateurs pour leurs questions qui étaient elles aussi très pertinentes. Nous allons poursuivre le débat sur le projet de loi C-5 demain, à 11 h 30. Merci.

(La séance est levée.)

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