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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 6 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, avec vidéoconférence, à 11 h 31 [HE], pour étudier le projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je suis la sénatrice Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider le comité.

[Français]

Je voudrais maintenant que les membres du comité se présentent.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Je m’appelle David Arnot, et je viens de la Saskatchewan. Je remplace aujourd’hui le sénateur Brent Cotter.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, du Québec, sénatrice indépendante, division des Laurentides.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Je m’appelle Kim Pate. Je viens d’ici, sur les rives de la Kichesippi, le territoire non cédé et non abandonné de la nation algonquine anishinabe.

Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue. Je suis le sénateur Marty Klyne de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4.

Le sénateur Oh : Bonjour. Je suis le sénateur Victor Oh, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Gold : Bonjour, je suis le sénateur Marc Gold, du Québec. Je suis représentant du gouvernement au Sénat.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons de l’Alberta, territoire du Traité no 6.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, sénateur du Québec.

[Traduction]

La présidente : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Ce matin, nous accueillons, du Conseil des académies canadiennes, Kent Roach, Comité d’experts sur le maintien de l’ordre dans les communautés autochtones — ce n’est pas votre première comparution devant le comité, alors bienvenue encore une fois — et Jérôme Marty, directeur de projet. Nous recevons aussi, de la Société John Howard du Canada, Catherine Latimer. Madame Latimer, c’est toujours un plaisir de vous accueillir au comité également.

Nous allons commencer par vous, monsieur Roach. Vous disposez de cinq minutes.

Kent Roach, Comité d’experts sur le maintien de l’ordre dans les communautés autochtones, Conseil des académies canadiennes : Je vous remercie beaucoup, sénatrice Jaffer. Je pense que mon collègue, M. Marty, prendra la parole en premier pendant un instant.

Jérôme Marty, directeur de projet, Conseil des académies canadiennes : Honorables présidente, vice-président et membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, je vous remercie de nous accueillir ce matin.

Je m’appelle Jérôme Marty. Je suis directeur de projet au Conseil des académies canadiennes, le CAC, où j’ai appuyé le Comité d’experts sur le maintien de l’ordre dans les communautés autochtones dans la rédaction de son rapport intitulé Vers la paix, l’harmonie et le bien-être : Les services de police dans les communautés autochtones. Ce rapport, commandé par Sécurité publique Canada, a été publié en 2019 par un comité multidisciplinaire composé de 10 experts et présidé par Kimberly Murray, qui a récemment été nommée interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes.

Je suis accompagné aujourd’hui de Kent Roach, professeur de droit et titulaire de la chaire Wilson-Prichard en droit et en politiques publiques à la Faculté de droit de l’Université de Toronto. Le professeur Roach a siégé au Comité d’experts sur le maintien de l’ordre dans les communautés autochtones du CAC et il a donc contribué au rapport de ce comité ainsi qu’à un rapport antérieur sur les services de police au XXIe siècle.

Le CAC serait ravi de vous transmettre des copies de ces deux rapports et de vous fournir davantage d’informations à leur sujet si vous le désirez.

Je vais céder la parole au professeur Roach, qui vous parlera des amendements proposés au projet de loi C-5. Je vous remercie beaucoup.

M. Roach : Je vous remercie beaucoup, sénateurs. Je ferai mon exposé à titre personnel. Mes propos ne représentent pas nécessairement le point de vue du CAC ou d’autres membres de notre comité d’experts. Cela étant dit, nos travaux découlent de l’idée que le système de justice pénale laisse tomber les peuples autochtones. Cet échec est attribuable notamment aux peines minimales obligatoires, qui constituent une injustice en puissance.

Pourquoi s’agit-il d’une injustice en puissance? Tout simplement parce que le Parlement ne voit pas qui écope d’une peine minimale obligatoire. Des peines obligatoires s’appliquent aux cas qui suscitent le plus de sympathie et aux cas où la culpabilité du délinquant est la plus ténue. C’est ce que nous apprend l’avalanche de décisions rendues par la Cour suprême et d’autres tribunaux dans lesquelles ils invalident les peines obligatoires, les jugeant cruelles et inusitées.

Il y a huit ans, dans l’arrêt Lloyd, la juge en chef McLachlin a proposé une solution simple. À ma connaissance, cette solution a d’abord été proposée 25 ans plus tôt par la juge Lynn Ratushny dans le cadre de son examen de la légitime défense, et elle a été reprise en 2015 par la Commission de vérité et réconciliation. Il s’agit de permettre aux juges de première instance, lorsqu’ils l’estiment nécessaire, de ne pas imposer une peine obligatoire et de justifier la peine qu’ils imposent, qui est susceptible d’appel.

Le projet de loi, malheureusement, n’adopte pas cette solution simple et élégante. Il faut reconnaître qu’il élimine des peines obligatoires, mais il le fait de façon limitée, pour certaines infractions, ce qui ne permettra pas d’éliminer les litiges inutiles, même si le projet de loi est adopté, attribuables à la contestation de chacune des peines obligatoires.

La décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Bissonnette est inconciliable, à mon avis, avec ses décisions antérieures dans les affaires Luxton et Latimer, dans lesquelles elle maintenait la peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre. Si les peines obligatoires sont inconstitutionnelles en ce qui concerne la plupart des crimes graves, alors elles le sont certainement dans le cas de tous les actes criminels.

J’ajouterais qu’il faut se réjouir du fait que le projet de loi favorise la déjudiciarisation. Les procès inutiles, particulièrement en ce qui concerne les peuples autochtones, contribuent aux ratés du système de justice, qui produisent un cercle vicieux de surveillance policière excessive et de protection insuffisante des peuples autochtones. Le projet de loi repose sur la décision des policiers de recourir à une mise en garde, mais, à mon avis, il faudrait aussi ajouter une orientation semblable à celle du projet de loi C-75 concernant la libération sous caution, pour prendre en considération les groupes autochtones et d’autres groupes qui sont surreprésentés dans le système de justice et qui ne bénéficient pas autant des avantages de la déjudiciarisation.

J’ai proposé des amendements similaires pour le projet de loi C-75, relativement à la sélection des jurés. Ils n’ont pas été retenus, et j’ai constaté que cette absence d’orientation a amené les tribunaux à annuler cette nouvelle disposition. Je vous recommande d’examiner les dispositions du projet de loi C-75 sur la libération sous caution et l’arrestation.

Je vous remercie beaucoup pour votre attention.

La présidente : Merci.

Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : C’est toujours un plaisir pour moi de comparaître devant le comité, et je vous suis très reconnaissante de solliciter le point de vue de la Société John Howard au sujet du projet de loi C-5. L’opinion de la Société John Howard a été exposée de façon éloquente par Kent Roach, mais je vais la réitérer dans une certaine mesure.

L’aspect le plus important de ce projet de loi, à nos yeux, est le fait qu’il touche aux peines minimales obligatoires. La Société John Howard du Canada s’oppose aux peines minimales obligatoires, car elle les considère comme injustes, inefficaces et inhumaines. Elles sont injustes lorsque la sentence qui serait proportionnelle et juste dans les circonstances est moindre que la peine minimale obligatoire. Elles sont inefficaces, car elles ne permettent pas de réduire la criminalité. Cela fait probablement une décennie que nous considérons les peines minimales obligatoires comme étant la solution à la criminalité, mais je pense que les études à ce sujet menées par le ministère de la Justice démontrent que ce n’est pas la solution. En outre, les peines minimales obligatoires sont inefficaces, car elles empêchent souvent le recours à d’autres options en matière de sentence, comme les peines avec sursis, qui, selon les circonstances, peuvent se révéler beaucoup plus efficaces. Nous les jugeons aussi inhumaines, et je pense que les tribunaux sont également de cet avis, car ils les ont invalidées, les considérant disproportionnées, dures, cruelles et excessives. Le projet de loi C-5 élimine seulement certaines peines minimales obligatoires.

Nous sommes largement en faveur d’accorder aux juges le pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine moindre que la peine minimale obligatoire lorsque cela permet de rendre une peine juste et proportionnelle. Ce point de vue est aussi celui de nombreux autres témoins et experts, notamment Kent Roach, que nous venons d’entendre aujourd’hui, qui recommandent de modifier le projet de loi pour accorder aux juges ce pouvoir discrétionnaire, que certains ont qualifié de soupape de sécurité pour empêcher les injustices qu’entraînent inévitablement les peines minimales obligatoires. Il s’agit d’une importante occasion à saisir pour favoriser la justice, et la Société John Howard vous exhorte à agir à cet égard.

Nous appuyons fortement les mises en garde, les avertissements et les renvois dont fait état le projet de loi. Toute mesure permettant le recours à des moyens justes et proportionnels de traiter les affaires en dehors du système de justice pénale est louable et allégera le système. Trop souvent, les policiers sont appelés pour des cas de santé mentale ou de toxicomanie, avec l’espoir qu’ils fourniront l’aide nécessaire. Trop souvent, cela mène à la criminalisation de la personne et à d’autres démêlés avec le système de justice pénale pour des raisons plus graves ainsi qu’à la discrimination à long terme à cause d’un casier judiciaire. Les dispositions du projet de loi C-5 permettent qu’une personne souffrant d’un problème de toxicomanie puisse être dirigée vers des programmes communautaires qui peuvent véritablement lui venir en aide. Je dois souligner que ce ne sont pas toutes les personnes accusées d’une infraction liée aux drogues qui sont aux prises avec un problème de toxicomanie qui nécessite un traitement, mais les programmes communautaires peuvent être adaptés aux besoins de la personne.

Ces mesures confient aux policiers un important pouvoir discrétionnaire, et, comme les dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents l’ont montré, cela contribue à diminuer le nombre de personnes confiées au système de justice pénale pour des crimes mineurs. Pour s’assurer d’atteindre l’objectif de réduire les inégalités raciales grâce à ce pouvoir discrétionnaire, il faudra investir des sommes considérables pour veiller à ce que des solutions de rechange existent dans des collectivités qui manquent de ressources. Il serait aussi important d’établir quels races et sexes profitent de cet important pouvoir discrétionnaire.

En somme, nous avons entendu le ministre Lametti mentionner que ces dispositions contribueront à réduire la surreprésentation des Autochtones et des Noirs dans le système de justice pénale. Nous espérons que ce sera le cas, mais nous estimons que c’est un très petit progrès dans la lutte contre un problème important et qu’il faudra en faire bien davantage.

En terminant, je peux dire que nous appuyons l’orientation générale du projet de loi C-5, mais nous exhortons le comité à modifier le projet de loi afin d’accorder aux juges le pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine autre que la peine minimale obligatoire en vue de rendre une sentence juste et proportionnelle. Nous aimerions qu’on exige la collecte de données permettant d’évaluer si les dispositions donnent le résultat escompté de réduire les inégalités raciales, et nous appuyons l’élargissement du recours aux avertissements, aux mises en garde et aux renvois ainsi que les dispositions sur les peines avec sursis en vue de couvrir un plus grand nombre de problèmes.

Je vous remercie beaucoup. Je serai ravie de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, madame Latimer.

Madame Latimer, nous en sommes à notre sixième réunion de deux heures. Ma question pour vous ne porte pas sur la mesure législative en tant que telle. Chaque jour, vous côtoyez les membres les plus vulnérables de notre société. Pouvez-vous nous donner un exemple d’une personne à qui la mesure viendra en aide? Je ne cherche pas un nom, je recherche un visage. De quelle façon la mesure législative et vos recommandations amélioreront-elles la vie de cette personne?

Mme Latimer : En donnant la possibilité d’imposer une peine moins sévère que la peine minimale obligatoire, on viendrait en aide à beaucoup de personnes ayant une déficience cognitive qui ne comprennent pas entièrement la nature et les conséquences de leurs actes, ainsi qu’aux personnes qui sont impliquées dans des actes criminels indirectement ou par complicité. Je vous donne un exemple portant sur l’abolition de certaines peines minimales obligatoires liées aux armes à feu. Disons qu’une personne ne faisait que tenir une arme et se prendre en photo, sans avoir la moindre intention d’employer ladite arme pour commettre un geste malveillant. Dans de telles circonstances, la peine minimale obligatoire de quatre ans aurait été tout à fait excessive. En un mot, la mesure viendrait en aide à une foule de personnes qui n’ont pas les mêmes chances que nous et qui pourraient être impliquées indirectement dans un acte criminel pour lequel elles écoperaient aujourd’hui d’une peine minimale obligatoire.

La présidente : Monsieur Roach, je vous ai vu hocher la tête. Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Roach : Je vous remercie, sénatrice Jaffer.

J’appuie les propos de Mme Latimer, mais j’attirerais votre attention sur le rapport produit par la juge Ratushny il y a 25 ans, dans lequel elle soulignait que la peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité forçait certaines femmes à plaider coupable à une accusation d’homicide involontaire pour le bien de leurs enfants ou de leur famille alors qu’elles auraient pu invoquer la légitime défense puisqu’elles avaient été victimes de violence conjugale.

J’ai participé à la Commission Goudge, mise en place après Charles Smith. Nous avons constaté que le problème des faux plaidoyers de culpabilité s’étendait aussi à d’autres affaires. Sauf erreur, cinq femmes marginalisées, dont plusieurs étaient encore adolescentes, ont plaidé coupables à une infraction moindre pour éviter d’encourir la peine d’emprisonnement à perpétuité appliquée automatiquement aux condamnations pour meurtre. Dans de nombreux cas, le procureur avait offert une peine beaucoup moins sévère si l’accusée plaidait coupable à une accusation d’homicide involontaire. Il ne faut surtout pas oublier que ces cinq femmes, ainsi que trois hommes racisés — Richard Brant, qui est Mohawk; O’Neil Blackett, qui est Noir; et Dinesh Kumar, qui était un immigrant récent d’origine indienne, père d’une jeune famille, et qui craignait à juste titre d’être déporté — ont tous plaidé coupable parce que, comme le défunt juge Marc Rosenberg l’a dit, la menace d’une peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité planait sur eux.

Je comprends que l’exception rendra les gens nerveux. Toutefois, elle ne signifie pas que la peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité sera éliminée. Elle deviendra comme un point de départ; le juge aura le pouvoir d’y déroger lorsque les circonstances le justifient. De plus, le procureur conservera le droit d’interjeter appel de la peine s’il considère la dérogation comme injustifiée. En prévoyant cette porte de sortie, qui est utilisée dans d’autres pays et qui est fortement recommandée, je crois, par la Cour suprême, nous n’ouvrons pas la voie à tous les possibles. Chaque affaire sera traitée au cas par cas. C’est d’ailleurs ce que les tribunaux tentent de rappeler au Parlement : nous examinons chaque affaire au cas par cas. Je ne vous fais pas de reproche, mais le Parlement n’a tout simplement pas la capacité d’étudier une affaire dans toute sa complexité. Pour cette raison, d’après moi, la population canadienne ne devrait pas hésiter à permettre les exceptions. Elle devrait faire confiance aux juges de première instance et à la procédure d’appel.

La présidente : Je vous remercie, monsieur Roach.

Je donne maintenant la parole au parrain du projet de loi, le sénateur Gold.

Le sénateur Gold : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Monsieur Roach, je suis particulièrement heureux de vous voir.

Avant de commencer, j’aimerais savoir combien de temps nous avons au total, pour les questions et les réponses.

La présidente : Vous disposez de six minutes.

Le sénateur Gold : Je vais poser ma question en peu de mots.

Monsieur Roach, le ministre de la Justice a clairement fait savoir que le gouvernement n’était pas prêt à légiférer sur l’élimination totale des peines minimales obligatoires...

La présidente : En vous accordant six minutes, j’ai prolongé votre temps avec le comité. Cela vous convient-il?

Le sénateur Gold : Je ne veux pas avoir plus de temps que les autres.

La présidente : Tout le monde aura droit à six minutes.

Pouvez-vous rester plus longtemps, monsieur Roach?

M. Roach : Oui.

La présidente : Merci.

Le sénateur Gold : Le ministre a clairement fait savoir que le gouvernement n’était pas prêt à éliminer toutes les peines minimales obligatoires. Il a aussi exprimé des inquiétudes par rapport à l’opinion publique sur l’élargissement du projet de loi C-5. Monsieur Roach, si vous étiez placé dans la position difficile et malheureuse de devoir choisir entre adopter le projet de loi sous sa forme actuelle et le rejeter, que choisiriez-vous?

J’aimerais aussi entendre Mme Latimer. Je vais commencer par poser ma question à Mme Latimer, et vous pourrez ensuite utiliser le reste de mon temps de parole pour donner vos réponses. Madame Latimer, vous avez parlé en bien du parallélisme entre l’article du projet de loi C-5 qui ordonne aux policiers d’envisager des mesures de rechange aux accusations criminelles de possession de drogue et l’article de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents qui donne la même directive. En fait, comme tous le savent, les libellés sont quasi identiques. Pouvez-vous nous présenter brièvement votre perspective de la mise en application de cet article de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents? Quel emploi les policiers en font-ils et, surtout, quel effet a-t-il?

Je vous remercie tous les deux pour vos réponses.

Mme Latimer : Merci beaucoup pour la question. Nous sommes ravis par la mesure dans laquelle les policiers exercent leur pouvoir discrétionnaire et ont recours à des solutions de rechange. Dans le cadre de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, nous en avons fait une première étape obligatoire : avant de porter des accusations, les agents doivent réfléchir aux autres solutions possibles et ils doivent éviter de porter des accusations lorsqu’ils jugent que la communauté offre une mesure de rechange appropriée au système de justice pénale.

Un autre facteur qui a contribué aux résultats positifs du système de justice pour les adolescents, ce sont les investissements importants qui ont été faits dans les ressources et la formation afin de bien informer les policiers sur l’étendue de leur pouvoir discrétionnaire et sur les programmes communautaires vers lesquels ils peuvent diriger les jeunes à qui ils seraient utiles.

D’après moi, ces deux éléments ont joué un rôle important. L’adhésion était excellente, et le nombre d’adolescents soumis inutilement au système de justice pénale a beaucoup diminué.

Le sénateur Gold : Je vous remercie. Monsieur Roach, pouvez-vous réagir au choix hypothétique difficile devant lequel je vous ai placé? Madame Latimer, j’aimerais aussi entendre votre opinion.

M. Roach : Ma réponse dépendrait en grande partie du nombre de peines minimales obligatoires que les tribunaux ont déjà déclaré inconstitutionnelles. Le Parlement fait toujours bien de remettre de l’ordre dans le Code criminel.

Je comprends que le ministre a fait ces déclarations, mais ce que je vous dirais, sénateur Gold, c’est que l’arrêt Bissonnette rendu cet été a changé la donne. Bien que le tribunal semble croire qu’il peut concilier cette décision et les arrêts Luxton et Latimer, je n’en suis pas convaincu, surtout compte tenu des renseignements troublants que la décision a mis en lumière concernant l’espérance de vie moyenne des personnes incarcérées au Canada. D’après moi, cet arrêt donnera lieu à un autre ensemble de litiges soumis en vertu de l’article 12, une situation qui ne profitera à personne et qui devrait être évitée si possible. Je ne sais pas si je réponds directement à votre question, mais je demanderais...

Le sénateur Gold : Non.

M. Roach : À mon avis, le Parlement a l’obligation de tenir compte de l’évolution de la situation. Même si le gouvernement croyait que sa décision de limiter l’abolition des peines minimales obligatoires était justifiée avant l’arrêt Bissonnette, j’aimerais à tout le moins que le ministère de la Justice dépose un énoncé concernant la Charte pour expliquer pourquoi il maintient cette position malgré l’arrêt Bissonnette.

Le sénateur Gold : Merci.

Madame Latimer, entre adopter le projet de loi sous sa forme actuelle et le rejeter, que choisiriez-vous?

Mme Latimer : Je préférerais une mesure qui accorde aux juges le pouvoir discrétionnaire d’infliger une autre sanction que la peine minimale obligatoire à une mesure fragmentaire qui abolit quelques peines minimales obligatoires par-ci par-là. Comme M. Roach l’a souligné, les tribunaux ont déjà éliminé beaucoup de peines minimales obligatoires, et je suis certaine qu’ils en aboliront d’autres encore. Vous avez la possibilité de mettre au point une mesure réellement juste grâce à laquelle les peines minimales obligatoires ne causeront plus de tort et ne priveront plus personne d’une sanction juste, proportionnelle et appropriée. Selon moi, un amendement au projet de loi qui accorde aux juges un pouvoir discrétionnaire serait préférable au projet de loi sous sa forme actuelle.

Le sénateur Gold : Je vous remercie pour vos réponses.

Le sénateur Dalphond : Je remercie les témoins d’être avec nous ce matin.

Ma première question porte sur les mesures de déjudiciarisation proposées dans le projet de loi et sur le rapport du Conseil des académies canadiennes intitulé Vers la paix, l’harmonie et le bien-être : Les services de police dans les communautés autochtones. D’après vous, les mesures de déjudiciarisation pourront-elles être efficaces dans le cadre du système actuel? Là où les interventions policières sont excessives et où il y a un écart entre les services de police et la communauté, en particulier dans les Premières Nations, mais peut-être ailleurs aussi, ces mesures seront-elles efficaces? Ou bien les interventions policières excessives y feront-elles obstacle, et les agents de la GRC continueront à arrêter les gens et à avoir recours à la voie pénale plutôt qu’à des mesures de rechange?

M. Roach : Je vous remercie, sénateur Dalphond.

Je ne voudrais pas déclarer qu’aucun policier n’aura recours aux mesures de déjudiciarisation. Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que c’est la GRC qui est chargée de maintenir l’ordre dans beaucoup de communautés autochtones. Une des conclusions tirées par le groupe d’experts, c’est que les programmes actuels ne fonctionnent pas vraiment, même dans les cas où une entente a été conclue entre la Première Nation, la province et le gouvernement fédéral pour que la GRC, la Sûreté du Québec ou la Police provinciale de l’Ontario prenne des mesures particulières pour maintenir l’ordre dans la communauté autochtone. En outre, nous savons aussi que le taux de classement des services de police dans les communautés autochtones est plus élevé que dans les autres communautés. Je le répète, les interventions policières excessives représentent un problème épineux.

Cependant, je trouverais pertinent que la loi contienne le plus d’indications possible concernant l’attention à accorder à la surreprésentation des Autochtones. À mes yeux, le Code criminel a une valeur éducative ou incitative.

De plus, en ce qui concerne les ressources, le pouvoir fédéral de dépenser... Comme vous le savez peut-être, j’ai représenté Aboriginal Legal Services il y a de nombreuses années dans l’affaire Gladue. Si cette affaire n’a pas mis un terme à la surreprésentation des Autochtones, d’après moi, c’est en grande partie parce que les communautés autochtones n’ont pas accès au financement stable nécessaire pour mettre en place des solutions de rechange à l’incarcération, y compris les peines d’emprisonnement avec sursis. Il faut aussi faire appel au pouvoir de dépenser.

Une solution possible serait de pousser plus loin la disposition du projet de loi C-5 qui porte sur l’examen parlementaire. Je sais que la capacité du Parlement de mener de tels examens est limitée. Cependant, après avoir collaboré avec le Conseil des académies canadiennes — M. Marty pourrait vous en dire plus à ce sujet —, je peux vous dire que vous avez là une autre ressource, en plus de la Bibliothèque du Parlement. Si, comme le sénateur Gold l’a laissé entendre, la mesure est à prendre ou à laisser, vous pourriez considérer la possibilité de procéder à un examen approfondi dans trois ou cinq ans.

Mon autre préoccupation, c’est que le projet de loi abolit certaines peines minimales obligatoires, mais il ne contient aucune disposition sur les peines maximales. Bien qu’elles soient rarement infligées, les peines maximales influent peut-être sur la détermination de la peine. Qu’ils fassent appel au Conseil des académies canadiennes ou à la nouvelle Commission du droit du Canada, les parlementaires doivent faire preuve de créativité et s’engager à examiner l’efficacité de la mesure temporaire qu’ils adopteront en attendant de pouvoir régler complètement le problème.

Le sénateur Dalphond : Si je comprends bien, vous dites que cette approche fonctionnera seulement s’il y a une nette amélioration du financement et des ressources nécessaires pour prendre des mesures axées sur la santé plutôt que des mesures pénales, et si les agents de la GRC acceptent les changements proposés, qui comprennent une formation appropriée.

M. Roach : Oui. Mon opinion sur la formation de la GRC est peut-être peu connue, mais elle donne certainement matière à réflexion. Dans un livre que j’ai écrit récemment, je recommande que la GRC remplace la formation à la Division Dépôt par un modèle moderne de formation décentralisée qui serait donnée en collaboration avec les établissements postsecondaires. La formation est un élément important.

La présidente : Pouvez-vous nous donner le titre de votre livre, monsieur Roach?

M. Roach : Oui. Je ne veux pas avoir l’air d’en faire la promotion, sénatrice Jaffer.

La présidente : Vous avez ma permission.

M. Roach : Je vous remercie. Mon livre s’intitule Canadian Policing: Why and How it Must Change. S’il a été publié cette année, je pense entre autres que c’est parce que nous nous trouvons à la croisée des chemins : nous reconnaissons qu’il faut transformer les services de police. Je sais que d’autres comités parlementaires se penchent sur la question.

Un aîné anishinabe m’a appris récemment... La majorité des sénateurs connaissent sûrement le Bear Clan, un organisme bénévole. J’ignorais que dans la culture anishinabe, les membres du Bear Clan sont des spécialistes à la fois du maintien de la paix et de la médecine. Je trouve frappant qu’il nous ait fallu autant de temps pour comprendre quelque chose que les Autochtones savent depuis longtemps : qu’il faut considérer les deux côtés de la médaille; qu’il arrive souvent que les mauvais comportements ou les comportements antisociaux signalent qu’une intervention médicale est nécessaire.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins. Je vais poser mes deux questions, puis inviter chaque témoin à y répondre.

Monsieur Roach, vous avez dit que le gouvernement nous place en quelque sorte devant un faux dilemme. Vous avez aussi mentionné qu’il fallait tenir compte de l’arrêt Bissonnette, ainsi que de l’arrêt Luxton. La dernière fois que la peine d’emprisonnement à perpétuité a fait l’objet d’un examen, c’était dans le cadre de l’affaire Latimer, et avant cela, dans la cause Luxton. Le tribunal semble s’être appuyé fortement sur la disposition qui prévoit un examen après 15 ans. Je vous prie de nous en dire plus à ce sujet.

Madame Latimer, Jonathan Rudin nous a rappelé hier que lorsque la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents a été présentée, et vous faisiez partie de ses principaux instigateurs, le gouvernement de l’époque était du même avis. Le Sénat y a pourtant ajouté l’alinéa 718.2e), et, en fait, le ciel ne nous est pas tombé sur la tête, le projet de loi a été adopté, et nous avons observé une amélioration globale grâce à cela. Je me demande si vous pouvez en parler, surtout si — un député m’a d’ailleurs questionnée à ce sujet récemment — c’est vraiment pour pouvoir continuer d’emprisonner des mères autochtones et de prendre leurs enfants que le gouvernement ne veut peut-être pas corriger le projet de loi C-5. Je pensais que c’était un parallèle intéressant avec la notion de laxisme en matière de criminalité, plutôt que de vraiment souligner les conséquences que M. Roach et vous avez observées.

Si vous pouviez tous les deux intervenir, ce serait formidable. Merci.

M. Roach : Sénatrice Pate, vous avez raison de dire que le précédent de 1990 dans la cause Luxton pourrait être revu avant l’affaire Bissonnette, car le tribunal s’est appuyé très fortement sur les soi-disant audiences de la dernière chance, qui ont été abolies. Cela dit, je pense aussi que l’arrêt Bissonnette était plutôt révolutionnaire à l’article 12 de la jurisprudence de la Charte en introduisant la notion selon laquelle il est en soi cruel et inusité de ne pas avoir de possibilité de libération conditionnelle au cours de sa vie. Même dans cette décision, le tribunal semblait être conscient, malheureusement, de la scandaleusement faible espérance de vie des personnes dans nos pénitenciers fédéraux. Je pense que ces deux points laissent entendre que le recours aux arrêts Luxton et Latimer comme raison d’ignorer des exemptions pour la peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre est boiteux lorsqu’on affirme que c’est à cause de la Chartre. Je pense aussi, et je l’ai d’ailleurs soutenu tout au long de ma carrière universitaire, que la Charte est le minimum. Elle ne doit pas nécessairement représenter le maximum.

J’ai parlé des faux plaidoyers de culpabilité, et des collègues en sont conscients. Nous lançons un registre canadien des condamnations injustifiées, et il comprend 18 faux plaidoyers de culpabilité. Parmi ces 18 plaidoyers, 70 % concernent des femmes, des Autochtones, des personnes racisées ou des personnes ayant une déficience cognitive.

Le législateur est toujours libre de ne pas tout simplement suivre les tribunaux, comme c’est trop souvent le cas selon moi et comme c’est le cas, en toute franchise, pour une grande partie du projet de loi C-15, et il est également libre d’exercer son propre sens de la justice. Je crois que Edmund Burke en a parlé. Je ne citerais normalement pas Edmund Burke, mais il a même dit qu’un parlementaire ne doit pas tout simplement se fier à ce qu’un tribunal dit qu’il peut faire et ne pas faire.

Merci beaucoup d’avoir posé la question.

Mme Latimer : Merci, sénatrice Pate.

J’ai écouté le témoignage de Jonathan Rudin hier, et cela m’a donc frappé. Il a parfaitement raison de dire que l’amendement aux équivalents de la disposition de l’arrêt Gladue a été ajouté en raison de l’intervention du Sénat dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

Comme vous le savez, j’étais une bonne bureaucrate à l’époque, et nous étions d’avis qu’un processus itératif était nécessaire pour bien faire les lois et qu’il fallait tenir compte des recommandations du comité de la Chambre des communes et du comité sénatorial pour apporter des améliorations. C’était évidemment une question politique, mais d’un point de vue stratégique, il est éminemment sensé d’entendre ce que les experts ont à dire et d’en tenir compte dans la mesure législative, si c’est possible. Je pense que s’il y a un blocage, c’est probablement plus sur le plan politique que sur le plan stratégique lorsqu’on essaie d’avoir une bonne mesure législative.

Je recommande vivement que l’exception et la disposition sur le pouvoir discrétionnaire des juges fassent partie du projet de loi. Le train quitte la gare. C’est l’occasion de vraiment faire quelque chose qui améliore la justice. Nous reconnaissons tous qu’il y a une énorme injustice lorsque les gens reçoivent des peines disproportionnées à cause des minimums obligatoires. J’espère vraiment que le Sénat fera comprendre aux bureaucrates que c’est souhaitable. Nous allons voir si nous pouvons apporter cet amendement.

La sénatrice Simons : Monsieur Roach, je suis l’une des rares personnes au comité à ne pas avoir fait d’études en droit. Je veux être certaine de bien comprendre. Étant donné que différentes cours supérieures ont déclaré inconstitutionnelles certaines peines minimales obligatoires imposées dans différentes provinces, nous avons un système disparate dans lequel une peine d’emprisonnement obligatoire pourrait être imposée au Manitoba, mais pas en Saskatchewan pour le même geste. Je me demande si vous pouvez me dire, en tant que professeur de droit, ce que ce genre de disposition inégale relativement à la détermination de la peine signifie pour l’administration de la justice.

M. Roach : Vous avez parfaitement raison, sénatrice Simons. C’est la raison pour laquelle j’hésitais à dire que le projet de loi n’a aucune valeur, car il pourrait y avoir des affaires dans lequel, en unifiant la loi d’un océan à l’autre, il ajoute un certain degré d’uniformité. Ces affaires engorgent les tribunaux. Elles progressent lentement. Mais d’ici à ce que la Cour suprême confirme ou infirme chaque décision qui élimine une peine minimale obligatoire, vous avez parfaitement raison de dire que ces peines ne s’appliqueront que dans certaines provinces. En fait, si c’est un juge de première instance qui prend une décision — même s’il est maintenant plus difficile pour ces juges de s’écarter des décisions de leurs collègues, il est même possible d’avoir des disparités au sein d’une même province. Bien entendu, l’une des raisons pour lesquelles le droit pénal et la procédure pénale relèvent exclusivement du Parlement, c’est parce qu’on a estimé en 1867 qu’il serait préférable d’avoir un Code criminel uniforme partout au Canada.

La sénatrice Simons : Ce ne sera pas totalement uniforme puisqu’il n’est question que d’une fraction des infractions. D’après ce que je comprends de l’analyse, des infractions ne figureront toujours pas dans le projet de loi C-5, et il créera encore un système disparate et chaotique d’infractions et de peines en fonction de l’endroit.

M. Roach : En effet. Les dispositions sur les armes à feu du Code criminel constituent depuis longtemps un système d’exemptions obligatoires dans lequel il y a encore une sorte de point de départ, mais le juge peut se justifier en s’appuyant sur les faits du dossier. À vrai dire, je pense que la jurisprudence qui pourrait être créée autour de ces exemptions pourrait être plus saine de certaines façons que celle qui découle de l’article 12 parce que les tribunaux doivent généralement se prononcer à un niveau sous-constitutionnel et ne prendre une décision constitutionnelle que lorsque c’est absolument nécessaire. Il y a beaucoup de confusion concernant la jurisprudence de la Charte et la question des hypothèses raisonnables. Une fois de plus, je ne veux pas m’aventurer trop loin dans les méandres juridiques, mais je pense que ce n’est pas la première fois qu’on permet des exemptions relativement aux peines obligatoires dans notre Code criminel. Ce n’est certainement pas inhabituel en Angleterre et dans d’autres pays.

La juge en chef McLachlin, je crois, est très respectée, et à juste titre, pour son bon sens pratique. J’ai lu sa décision dans l’arrêt Lloyd, qui dit essentiellement au législateur qu’il a deux choix. Il peut soit définir ou tenter de définir les infractions en étant précis au point où il n’y aura jamais de peine cruelle et inusitée — je pense que c’est impossible —, soit permettre aux juges de première instance d’accorder des exemptions, mais en se justifiant.

Je ne pense pas que les cours d’appel vont nécessairement accepter toutes ces justifications, mais je pense que ce sera un débat plus sain que celui que nous avons depuis 15 ans dans d’innombrables litiges constitutionnels.

La sénatrice Simons : Vous avez parlé du projet de loi C-75 et des dispositions relatives à la libération sous caution et aux arrestations sur lesquelles nous devrions nous pencher selon vous. Pouvez-vous les décrire rapidement?

M. Roach : Oui. Elles enjoignent tout simplement, comme l’alinéa 718.2e), l’entité qui applique la loi, dans ce cas-ci la police, à porter attention à la surreprésentation des Autochtones et d’autres groupes racisés qui sont défavorisés au moment de recevoir ces avantages. C’est plutôt vague, mais néanmoins un rappel pour ceux qui applique la loi — dans ce cas-ci les policiers.

Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins. Je vais faire une déclaration à propos du contexte et poser ensuite deux questions. J’aimerais que tous les témoins se prononcent, s’il vous plaît.

Je souscris entièrement à la logique des arguments avancés par les trois témoins aujourd’hui, et je souscris aussi à l’idée d’éliminer les peines minimales obligatoires pour tous les crimes. Je pense que l’arrêt Bissonnette et la Cour suprême du Canada ont lancé une invitation ouverte exactement pour cela.

Mais je veux prendre acte d’une réalité, à savoir, je pense, que le grand public a des préoccupations par rapport au crime. Le grand public a effectivement l’impression que le nombre de crimes graves augmente. Ce n’est pas le cas, mais les gens sont préoccupés parce qu’ils voient quotidiennement plusieurs sources d’information sur tous les marchés décrire des crimes horribles dans différentes communautés. Il est facile de transformer les préoccupations du public en peur lorsque les gens adoptent un discours de répression de la criminalité. Ce discours attaque la confiance que les Canadiens devraient avoir dans l’administration de la justice ainsi que dans la magistrature indépendante, que nous avons la chance d’avoir au pays.

Cela dit, je me demande ce que la société John Howard et le milieu universitaire peuvent faire en général pour permettre au grand public de comprendre la vraie réalité et les vraies conséquences, que vous avez déjà décrites. Le grand public n’est pas avec vous. Cela crée un obstacle pour les politiciens qui veulent faire bouger rapidement ces choses. Je pense qu’il y a encore du travail à faire. Vous connaissez peut-être d’autres organismes qui peuvent aider à mieux sensibiliser le public.

En général, le changement vient graduellement. Cela va à l’encontre de vos arguments, et c’est ce que je pense moi-même, mais serait-il souhaitable d’avoir des changements graduels, d’éliminer ces peines minimales obligatoires pour de nombreuses infractions au Code criminel et d’autres infractions auxquelles cette loi s’applique, et de générer des données éprouvées qui montreraient probablement que le ciel ne nous est pas tombé sur la tête? Comme je l’ai dit, les personnes qui se servent d’arguments axés sur la répression de la criminalité espèrent vraiment créer un climat de peur dans la communauté.

Voici mes deux questions. Premièrement, que pouvons-nous faire de plus pour sensibiliser la population, et quel rôle pouvez-vous jouer? Deuxièmement, les changements graduels pourraient très bien devenir une base pour faciliter les choses à l’avenir, peut-être dans un avenir pas trop lointain, pour passer à ce que la Cour suprême du Canada demande essentiellement dans l’arrêt Bissonnette. Merci.

M. Roach : Merci de poser la question, sénateur Arnot.

Mon collègue, le professeur Anthony Doob, a réalisé des études qui montrent que si les gens prenaient connaissance des particularités des dossiers, ils pourraient être beaucoup plus compréhensifs. Je pense que c’est une chose qu’il faudrait faire.

Je pense également que le directeur parlementaire du budget ou la commission du droit devrait déterminer ce qu’il faut payer pour garder en prison des personnes qui n’ont pas nécessairement besoin de l’être, ou pour les garder en prison plus longtemps que ce qui est nécessaire, ainsi que le coût des contestations fondées sur la Charte. On a l’impression — et j’ai participé à des contestations fondées sur la Charte — que les gouvernements ont des ressources illimitées. J’ai représenté l’Association canadienne des libertés civiles dans l’affaire Latimer pour contester une peine minimale obligatoire devant la Cour suprême du Canada, et la moitié des ressources gouvernementales se trouvaient de l’autre côté, ainsi que des intervenants, pour maintenir la peine obligatoire. Je pense que la population est préoccupée par la sécurité, et à juste titre, mais nous ne devrions pas lui vendre une fausse sécurité ni une sécurité qui coûte plus cher que nécessaire.

Pour terminer, je ne suis pas certain que c’est un cas de demi-mesure, car pour régler la question, le temps du Parlement est malheureusement extrêmement limité, et on pourrait avoir l’impression que la question a été réglée d’une certaine façon. À mon avis, la magistrature indépendante ne se laissera pas du tout intimider, mais elle laisse presque entendre que le Parlement va un peu à l’encontre de certains arrêts, comme Lloyd et Bissonnette. À quel point les tribunaux doivent-ils s’exprimer clairement? En se contentant d’une demi-mesure, le Parlement critiquerait implicitement selon moi les conseils qu’il a reçus, peut-être subtilement, ou l’allusion de la Cour suprême du Canada.

La sénatrice Batters : Monsieur Roach, j’aimerais me concentrer sur la partie du projet de loi C-5 qui porte sur les ordonnances de sursis. Quand elle a comparu devant le Comité de la justice de la Chambre des communes, Mme Jennifer Dunn, directrice exécutive du London Abused Women’s Shelter, a déclaré ce qui suit :

Les femmes et les filles sont cinq fois plus susceptibles que les hommes d’être victimes d’une agression sexuelle, un crime violent en hausse au Canada. Avec l’ordonnance de sursis, de nombreuses femmes seront coincées dans la collectivité avec le délinquant, ce qui les expose à un risque encore plus élevé.

Lors de sa récente comparution devant notre comité sénatorial de la justice, Mme Dunn a fait la déclaration suivante :

Une peine d’emprisonnement avec sursis n’empêche aucunement un délinquant de continuer à commettre des actes de violence. Les femmes ont besoin que les tribunaux le comprennent.

Oui, la condamnation avec sursis est assortie de conditions strictes, mais cela ne signifie pas qu’elles seront respectées, ce qui pourrait mettre la vie d’une femme en danger.

Hier, au Sénat, le ministre Lametti a déclaré que les crimes graves entraîneraient des peines graves. Pourtant, les nouvelles dispositions du projet de loi C-5 incluent certaines agressions sexuelles et certains enlèvements.

Monsieur Roach, que répondez-vous à cet aspect de la question des ordonnances de sursis?

M. Roach : Comme pour les peines minimales obligatoires, les restrictions fondées sur l’infraction qui s’appliquent aux peines d’emprisonnement avec sursis ne sont vraiment efficaces que dans les cas les plus exceptionnels. Cela ne veut pas dire que toutes les agressions sexuelles devraient faire l’objet d’une ordonnance de sursis ou que ce sera effectivement le cas. Il faudra beaucoup de travail, je pense, pour convaincre un juge qu’une peine d’emprisonnement avec sursis est conforme à tous les principes de la détermination de la peine, et le juge ne fermera pas les yeux sur le fait que l’agression sexuelle est un crime très grave qu’il faut dénoncer et décourager.

Je pense que c’est un faux parallèle. Est-ce que je peux garantir qu’il n’y aura aucun cas où une ordonnance de sursis dans une affaire d’agression sexuelle n’entraînera pas une forme de préjudice supplémentaire pour la victime ou une autre femme? Non, je ne le peux pas. Je pense que personne ne le peut. Mais d’après moi, ce n’est pas le cas non plus avec une restriction catégorique de la peine d’emprisonnement avec sursis, si elle aboutit à une peine d’emprisonnement d’un an où la personne — et Mme Latimer pourrait en parler avec plus de compétence que moi — est libérée après trois mois sans que le problème général ait été réglé. Je ne pense pas que cela garantisse également la sécurité des femmes et des enfants. Je pense qu’il faut que nous ayons, comme le dit le sénateur Arnot, un débat beaucoup plus ciblé sur la sécurité publique. Il n’y a pas de réponses faciles dans un sens ou dans l’autre.

La sénatrice Batters : Je suppose que ce que nous sommes en train de dire, c’est que bon nombre des arguments qui ont été invoqués en faveur de l’élimination des peines minimales obligatoires concernaient des cas exceptionnels. Ce que vous dites maintenant, c’est qu’il ne faut pas s’inquiéter des cas exceptionnels où quelqu’un pourrait être condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis, puis récidiver et causer du tort à une victime. Je suppose qu’il s’agit de déterminer la priorité du gouvernement qui établit cette loi, à savoir si nous essayons de protéger la sécurité publique ou si nous utilisons ces circonstances exceptionnelles pour justifier la libération potentielle des délinquants. C’est un argument intéressant, je suppose.

J’ai une autre question à vous poser, monsieur Roach. Croyez-vous que le Parlement a un rôle à jouer dans l’établissement des paramètres en matière de détermination de la peine, qu’elle soit minimale ou maximale?

M. Roach : Absolument. En fait, c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai suggéré que vous réexaminiez la question des peines maximales. Il existe toutes sortes de modèles de détermination de la peine, et je ne pense pas du tout que nous ayons nécessairement tout résolu en 1996. Il se fait beaucoup de recherche à l’échelle mondiale. Je pense que le Parlement est un partenaire, mais je pense aussi que les peines obligatoires peuvent fournir aux juges toutes sortes d’indications qu’ils ne vont pas ignorer. Mais une peine obligatoire ou une restriction catégorique relative aux peines avec sursis limite les cas les plus exceptionnels.

La dernière chose que je voudrais dire, sénatrice Batters, c’est que nous pouvons contourner cela en opposant délinquants et victimes, et je pense que le public le comprendra. Mais, encore une fois, je reviens à mon exemple. Pouvez-vous garantir qu’une courte peine — et la plupart des peines sont courtes — va également garantir la sécurité des victimes de crimes? Parfois, une peine avec sursis qui fonctionne peut apporter beaucoup plus qu’une très courte peine d’emprisonnement. Encore une fois, il n’y a pas de garanties. Nous avons besoin de plus de recherches. Mais je ne pense pas qu’il soit dans l’intérêt du public de tout simplifier en disant qu’on est soit pour le délinquant, soit pour la victime. Dans de nombreux cas, le délinquant et la victime ont beaucoup de points communs.

La sénatrice Batters : Si nous avons besoin de plus de recherche dans ce domaine particulier, le gouvernement devrait-il quand même aller de l’avant avec cette partie du projet de loi avant d’avoir les résultats de cette recherche?

M. Roach : Je pense qu’il serait bon que le gouvernement se penche sur les réformes de 1996 en matière de détermination de la peine, qui ont été les dernières grandes réformes. Depuis, tout se fait à la pièce. Je pense qu’en fait, le gouvernement réagit aux tribunaux qui disent que certaines peines minimales obligatoires et certaines restrictions sur les ordonnances de sursis ne sont pas acceptables. Je ne m’opposerais pas à un examen plus approfondi de la détermination de la peine. La création d’une commission sur la détermination de la peine a été proposée dès 1987, et notamment par le comité Daubney en 1988. Oui, le Parlement a un rôle à jouer en ce qui concerne la détermination de la peine. Ce projet de loi semble simplement se soumettre aux tribunaux au lieu de faire la démonstration du leadership du Parlement quant à la façon dont nous devrions envisager la détermination de la peine et l’évaluer.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci aux témoins de leur présence. J’aurais une question pour vous deux.

Monsieur Roach, vous avez dit tout à l’heure, et je vous cite :

[Traduction]

Les Canadiens devraient pouvoir faire confiance au système de justice.

[Français]

D’ailleurs, j’aime bien l’emploi que vous faites du mot « should », parce que plusieurs témoins nous ont dit... On se retrouve à supprimer certaines peines minimales obligatoires et on veut ajouter une discrétion judiciaire, mais que répondez-vous aux femmes qui nous disent qu’elles ne font pas du tout confiance à l’ensemble du système judiciaire, en commençant par la police jusqu’au juge qui porte le jugement en appel, à cause de leurs mauvaises expériences et parce qu’elles ont été mal traitées par le système judiciaire? C’est une question qui s’adresse aux deux témoins.

À votre connaissance, y a-t-il des données sur les conséquences de l’introduction des peines minimales obligatoires sur la surreprésentation de certains groupes, comme les femmes, les Autochtones et les groupes racisés, par opposition au système précédent, où il n’y avait pas de peines minimales obligatoires? Y a-t-il des données qui nous permettent de conclure que les peines minimales obligatoires sont la cause de cette surreprésentation? Ou alors, les données nous portent-elles à dire, en présence ou non de peines minimales, qu’il y a une surreprésentation, et qu’il y a un problème de base sous-jacent plus important?

[Traduction]

Mme Latimer : Ce sont des questions intéressantes. Je pense que beaucoup de gens ont l’impression qu’à l’heure actuelle, le système de justice n’est pas extrêmement équitable, et l’administration de la justice ne leur inspire pas confiance. Je parle en ce moment des Autochtones, des Noirs, des personnes marginalisées, des personnes ayant des problèmes de santé mentale et des femmes. Je pense que la réponse est d’essayer de rendre le système judiciaire plus juste avant de faire quoi que ce soit d’autre. Nous savons que les peines minimales obligatoires ne rendent pas le système judiciaire plus juste. Elles ont plutôt l’effet contraire. Je ne pense pas que nous renforcions la confiance des gens en augmentant les peines minimales obligatoires ou en ne réglant pas le problème.

M. Roach : Ajoutons à cela l’exemple de la peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité. Je pense que cela contribue au fait que près de 50 % des femmes incarcérées sont autochtones, mais cela incite aussi à plaider l’homicide involontaire parce que tout le monde reconnaît qu’une peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité serait, dans les circonstances, tout à fait disproportionnée. Comme l’a dit la juge Ratushny, il en résulte que les femmes qui pourraient invoquer la légitime défense ne jouent pas le tout pour le tout et acceptent simplement d’être reconnues coupables d’homicide involontaire. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous savons que cela entraîne des condamnations injustifiées.

En ce qui concerne les autres études empiriques, encore une fois, je suis le premier à dire que nous pourrions faire un bien meilleur travail avec les statistiques sur la justice pénale, que ce soit à Statistique Canada ou ailleurs. Un grand nombre des peines minimales obligatoires visées par ce projet de loi ont trait aux infractions liées aux armes à feu. En tant que personne vivant à Toronto, je sais par expérience que la criminalité liée aux armes à feu s’aggrave au lieu de s’améliorer. L’idée derrière une peine minimale obligatoire est qu’elle dissuade les gens au moyen d’une éventuelle punition, mais cela suppose que la personne est rationnelle et capable de penser aux conséquences à long terme et qu’elle ne croit pas à l’impossibilité de se faire prendre. Cela ne reflète tout simplement pas les circonstances de la vie des personnes qui se trouvent dans notre système de justice pénale. En ce qui concerne les armes à feu, je pense qu’il serait difficile de trouver beaucoup de Canadiens qui diraient que, maintenant que nous avons adopté des peines minimales obligatoires pour les armes à feu, nous n’avons pas à nous soucier de ce problème.

[Français]

La sénatrice Dupuis : À votre connaissance, dans les recherches, est-ce qu’on a des enseignements à tirer du fait qu’il y a maintenant une expérience d’environ 50 ans dans l’enseignement de la psychiatrie légale, dans l’évaluation des risques de violence, ainsi que dans le lien entre la santé mentale et le passage à l’acte violent? Avez-vous des informations ou des enseignements que vous voudriez nous communiquer sur ce que l’on devrait apprendre de tout cela?

[Traduction]

M. Roach : L’ouvrage sur le maintien de l’ordre, comme la plupart des ouvrages consacrés au maintien de l’ordre, explique que les personnes en crise de santé mentale sont extrêmement vulnérables dans notre système judiciaire. Elles ont une extrême vulnérabilité à la violence de la police, laquelle violence n’est pas nécessairement malveillante. C’est cependant une violence que la police est formée à employer si une personne en crise de santé mentale refuse, par exemple, de lâcher un couteau. Nous avons vu cela à maintes reprises.

Ce n’est pas une base de données parfaite, mais CBC a créé une base de données sur l’emploi de la force mortelle qui recense plus de 500 personnes décédées depuis 2000 alors qu’elles étaient sous la garde de la police. Certaines de ces personnes ont été abattues par la police. Beaucoup d’entre elles vivaient une crise de santé mentale.

Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos invités, et merci pour vos déclarations liminaires.

J’ai deux questions, monsieur Roach. Je vais les poser toutes les deux, et vous pourrez ensuite y répondre. Si le temps le permet, la personne qui témoigne pour l’autre organisation pourra aussi y répondre.

Il y a ceux qui estiment qu’il ne faut pas abroger les peines minimales obligatoires pour tout crime impliquant des armes à feu. Dans ce projet de loi, quel est le déclencheur ou le seuil à partir duquel certaines infractions liées aux armes à feu seront soumises aux peines minimales obligatoires ou en seront exemptées? Est-ce que cela a du sens, ou est-ce que c’est plus facile à dire qu’à faire?

Ma deuxième question concerne ceux qui ne croient pas que l’abrogation des peines minimales obligatoires contribuera à remédier à la surreprésentation des Canadiens autochtones, racisés ou marginalisés dans le système de justice pénale. Il est certain que nous y parviendrons plus vite en avançant à petits pas qu’en ne faisant rien du tout. Quelles autres solutions, le cas échéant, pourraient avoir été négligées alors qu’elles auraient davantage contribué à résoudre le problème de la surreprésentation dans le système de justice pénale en général et dans les tribunaux et le service correctionnel en particulier?

M. Roach : Pour la dernière question, je ne pense pas que vous puissiez garantir que ce projet de loi va réduire la surreprésentation dans les prisons. L’arrêt Gladue m’a appris qu’il est insensé de faire ce genre de promesses, même avec les meilleures intentions du monde. Je reviendrais à quelque chose comme la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, dont l’objectif est de situer ces questions dans un contexte beaucoup plus large. Il y a cela.

En ce qui concerne les armes à feu, je ne peux pas faire mieux que de revenir sur ce point : si les gens prétendent que nous devrions maintenir des peines minimales obligatoires pour toutes les infractions commises avec des armes à feu, je pense que cela signifie implicitement que la dissuasion fonctionne et que nos problèmes liés aux armes à feu seront encore pires qu’ils ne le sont actuellement si les peines minimales obligatoires sont abrogées. Cette position n’a pas beaucoup de sens. Nous devons regarder d’où viennent les armes à feu et examiner nos lois sur le contrôle des armes à feu, mais je ne pense pas qu’un membre d’un gang envisagerait de ne pas se procurer une arme à feu sous prétexte qu’il serait incarcéré pour trois à cinq ans si on le trouvait en possession de l’arme. Cela ne dissuade pas nécessairement les gens qui ont envie de se munir d’une arme meurtrière.

Mme Latimer : Merci beaucoup.

Il est très difficile de réduire le nombre d’armes à feu en circulation. Un grand nombre des détenus avec lesquels j’ai eu affaire et qui ont été condamnés pour des infractions liées aux armes à feu viennent de quartiers extrêmement dangereux, et ils ont l’impression de se protéger des membres de gangs adverses qui ont déjà des armes à feu. Il est important de se rendre dans ces quartiers et d’essayer d’offrir des solutions de rechange aux personnes qui ont l’impression que leur seul recours est de vendre de la drogue ou de s’engager dans une activité qui mène à la territorialité, aux armes à feu et à une escalade de la violence. Il faut vraiment prendre des mesures de prévention de la criminalité dans ces communautés plutôt que d’essayer de contrôler leurs armes. Ils craignent pour leur vie, dans ces communautés, s’ils sont impliqués dans ce genre d’activité. Nous devons proposer des solutions de rechange à ce type d’activités. Ce serait probablement beaucoup plus efficace que de leur dire qu’ils vont écoper de trois ans de prison plutôt que de cinq. Ils essaient de rester en vie. Nous devons simplement envisager les choses d’une manière totalement différente.

Quant à l’abrogation des peines minimales obligatoires, c’est possible qu’elle permette de résoudre le problème de la surreprésentation, mais il s’agit d’un problème beaucoup plus complexe qui exige beaucoup plus d’efforts. Encore une fois, il faut offrir des solutions de rechange, des choix et des ressources à ces communautés pour qu’elles se portent mieux. Beaucoup d’entre elles sont dysfonctionnelles et marginalisées, et s’il y a tant de crimes, c’est que les gens ne voient pas d’autres solutions.

Le sénateur Klyne : Merci.

La présidente : Sénateurs, nous passons au deuxième tour. Trois sénateurs interviendront, et chacun disposera de deux minutes.

La sénatrice Pate : Vous avez tous deux mentionné que les peines minimales obligatoires empêchent l’application de l’alinéa 718.2e), qui constitue une façon d’atténuer les peines plus longues et de diminuer le nombre de personnes incarcérées.

J’aimerais que chacun de vous se concentre sur le fait qu’on nous pousse à considérer cela comme une première étape constructive, comme s’il allait y avoir une prochaine étape, bien qu’il soit évident, comme vous l’avez déjà indiqué, monsieur Roach, que le Parlement ne prévoit pas de deuxième étape. Que faut-il pour introduire le genre de contestation fondée sur la Charte qui permettrait de poursuivre le processus de sorte que nous nous conformions à ce que la Cour suprême a déjà dit dans les arrêts Lloyd et Luxton?

Pourriez-vous nous parler du fait que nous avons agi à la suite de décisions rendues par des tribunaux inférieurs? Je pense à une décision d’un tribunal inférieur concernant l’aide médicale à mourir et touchant des personnes relativement plus privilégiées et disposant de ressources importantes, comme des médecins. Je pense aussi aux défenses fondées sur l’intoxication, qui sont généralement invoquées par des personnes disposant de ressources importantes et d’une multitude d’avocats et de professionnels qui peuvent attester de leur intoxication. J’aimerais savoir ce qu’il faut faire pour que cela se produise. En particulier, compte tenu de ce que nous savons de la législature précédente, où nous avons vécu la ségrégation, et du fait qu’aujourd’hui, alors que la situation n’est pas résolue, comme le prétend le gouvernement, des organisations comme la vôtre doivent à nouveau porter ces affaires devant les tribunaux, qu’est-ce que cela implique sur le plan des ressources humaines? Comment obtenez-vous les ressources nécessaires pour les contestations fondées sur la Charte? Comment les personnes qui sont en prison peuvent-elles amener ces contestations?

M. Roach : L’accusé doit obtenir de l’aide juridique, car il est généralement pauvre. L’avocat doit être en mesure de faire valoir ses arguments sur la base d’une jurisprudence très complexe. Comme je l’ai dit, s’ils réussissent, le gouvernement porte l’affaire devant la Cour d’appel et la Cour suprême du Canada. À la Cour suprême du Canada, il y a souvent plusieurs gouvernements, et il peut y avoir quelques intervenants de l’autre côté. Il y a beaucoup de ressources juridiques, et tout cela se fait sur le dos de l’individu qui est réellement affecté.

Le sénateur Arnot : J’aimerais donner à Mme Latimer la chance de répondre aux deux questions que j’ai posées précédemment. Premièrement, comment faites-vous pour que la population générale du Canada comprenne mieux les réalités, les conséquences et les injustices inhérentes au modèle actuel des peines minimales obligatoires? C’est un véritable problème sur le plan politique. C’est la réalité. Deuxièmement, si on propose un changement progressif, est-ce qu’il n’est pas préférable d’avancer progressivement et d’essayer ensuite d’obtenir des données découlant de cette réalité pour alors faire cheminer les questions plus vastes des peines minimales obligatoires en matière de meurtre?

Mme Latimer : Je pense que vous avez raison. Il faut un effort ciblé d’éducation du public. Les gens considèrent que les peines minimales obligatoires correspondent au degré de gravité de certaines infractions. Normalement, la peine maximale prévue signalerait la réprobation de la société à l’égard de ce type de crime. Nous avons besoin d’une campagne de sensibilisation du public concernant les peines minimales obligatoires.

En ce qui concerne les mesures progressives, je pense que la meilleure chose à faire en premier lieu pour régler efficacement la question est d’accorder aux juges le pouvoir discrétionnaire d’imposer autre chose que les peines minimales obligatoires. En ce qui concerne les mesures progressives, je pense que la meilleure chose à faire en premier lieu pour régler efficacement la question est d’accorder aux juges le pouvoir discrétionnaire d’imposer autre chose que les peines minimales obligatoires.

Abroger les peines minimales obligatoires représente un véritable défi politique, car les gens en sont venus à croire fermement que cela affaiblit le système, alors qu’en fait, les peines proportionnelles demeurent possibles dans tous les cas et que le système judiciaire est tenu de les imposer. Étant donné que les peines minimales obligatoires ont été vantées au cours de la dernière décennie comme étant une solution aux problèmes de criminalité, il faudra un peu de travail pour essayer d’amener les gens à mieux comprendre les choses. C’est tout à fait réalisable, et je pense que nous devons y réfléchir.

Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse à Mme Latimer, mais M. Roach pourrait y répondre également si le temps le permet.

Ce projet de loi a pour objet de régler les problèmes de racisme systémique au sein du système de justice pénale, qui se compose notamment de la police, des tribunaux et des services correctionnels. Je me demande si les peines minimales obligatoires vont vraiment contribuer à faire tomber les barrières culturelles dans les tribunaux et les services correctionnels. Je doute que les forces policières soient en mesure de donner un avis sur le caractère approprié ou non des peines minimales ou d’autres mesures destinées aux jeunes, mais aussi aux adultes et aux récidivistes. Faudrait-il prévoir une formation pour cet aspect des barrières culturelles pour que le mécanisme soit efficace?

Mme Latimer : Tout à fait. Comme je connais mieux les barrières observées dans le système de justice pénale, je m’en remets donc à Kent Roach, dont le récent ouvrage porte sur la prévalence, au sein des forces policières, de certaines perceptions qui rendraient les décisions qui y sont prises systématiquement discutables. Chose certaine, ce phénomène est présent dans le système correctionnel, car il y règne une méconnaissance des différentes cultures. Les programmes ne correspondent pas nécessairement aux risques à l’extérieur du système. C’est là-dessus que le système correctionnel devrait se pencher.

Tom Cardoso, du journal The Globe and Mail , a réalisé une étude très intéressante basée sur un ensemble de données. Il a conclu que les taux de récidive des personnes noires étaient plus faibles après la réintégration de ces derniers dans la communauté. En revanche, dans le système correctionnel, les personnes noires obtiendraient moins rapidement leur libération conditionnelle et seraient moins facilement transférées dans un secteur à niveau de sécurité inférieur, car leurs caractéristiques culturelles ne correspondent pas au système de valeurs du Service correctionnel du Canada.

Une personne noire m’a confié que conformément aux programmes des services correctionnels, elle serait réhabilitée et réintégrée dans un quartier blanc de la classe moyenne, même si elle ne voulait pas de ce milieu qui lui est étranger. À mon avis, nous devrons examiner ce qui sous-tend le système. Cet exercice demandera énormément de formation et tout devra être entièrement repensé.

M. Roach : Oui. J’ajouterais rapidement que la culture est un élément important dans les services policiers également. À mon avis, les mesures de déjudiciarisation fondées sur des données probantes prévues dans le projet de loi s’inscrivent dans un message général — que la police entendra, espérons-le — selon lequel la police devrait agir en fonction de données probantes et de résultats et non pas selon des conclusions obtenues après avoir feuilleté rapidement le Code criminel.

Le sénateur Klyne : Merci.

La présidente : Monsieur Marty, vous n’avez pas eu beaucoup d’occasions de vous exprimer. Voulez-vous dire le mot de la fin? Vous avez deux minutes.

M. Marty : Merci beaucoup.

J’aimerais seulement ajouter des éléments de réponse à la question du sénateur Arnot concernant la sensibilisation du public. C’est justement ce que le Conseil des académies canadiennes s’efforce de faire. Je ne veux pas faire de publicité pour notre organisme, mais un aspect de notre mandat est de répondre aux questions des gouvernements fédéral, provinciaux ou locaux. Nous sommes ici aujourd’hui pour présenter un document au grand public, mais aussi au gouvernement. Au fil des ans, nous avons répondu de notre mieux aux questions complexes. Nos rapports des services de police ont contribué, je l’espère, à sensibiliser la population et peut-être à changer l’opinion publique.

J’aimerais terminer en disant qu’un des éléments clés de la réussite de nos travaux a été le choix des experts qui ont participé à la mise sur pied des données probantes. Le groupe de 10 experts comportait six Autochtones. Il était extrêmement important d’obtenir le point de vue des Autochtones et de leur communauté pour rédiger un rapport portant sur une problématique qui concerne les peuples autochtones, mais aussi l’ensemble de la population canadienne.

Merci encore.

La présidente : Monsieur Marty, monsieur Roach et madame Latimer, je vous remercie du temps que vous avez consacré et de votre soutien continu envers le comité.

Sénateurs, je prends quelques secondes pour vous communiquer certaines informations. Pour l’heure, le plan est de réaliser une étude article par article vers la dernière semaine d’octobre. Nous entendrons des témoins au retour de la pause, puis nous procéderons à l’étude article par article la semaine suivante. Si vous voulez proposer des amendements, je vous rappelle que vous devez consulter le bureau du légiste et conseiller parlementaire. Si vous souhaitez présenter des observations, veuillez les faire traduire avant l’étude article par article. Je vous mentionne également que la Bibliothèque du Parlement a gentiment accepté de vous aider à rédiger les observations au besoin.

Voilà ce qui conclut la séance d’aujourd’hui. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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