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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 3 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-205, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale).

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je suis la sénatrice Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider ce comité.

[Français]

J’aimerais demander aux membres du comité de se présenter, en commençant par ma droite.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Je suis le sénateur Brent Cotter, de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, du Québec.

Je demanderais que, lorsque je me présente comme sénatrice indépendante de la division des Laurentides, au Québec, ce soit transcrit comme tel, parce que j’ai réalisé que ce n’était pas le cas hier. La raison est très simple : il y a une explication historique, c’est-à-dire qu’au Québec, il y a 24 divisions sénatoriales. C’est la raison pour laquelle je me présente ainsi.

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, division de La Salle, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.

[Français]

La présidente : Aujourd’hui, nous entamons notre étude du projet de loi S-205, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale).

[Traduction]

Pour débuter notre étude, nous sommes ravis d’avoir parmi nous le sénateur Boisvenu, qui est le parrain du projet de loi. Monsieur le sénateur, merci d’être ici ce matin. Vous avez la parole.

[Français]

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu, parrain du projet de loi : Merci de votre accueil chaleureux. Permettez-moi de faire ma présentation en français, puisque je suis plus à l’aise de présenter le projet de loi et de répondre à vos questions en français.

D’abord, j’aimerais vous dire que je travaille depuis trois ans sur ce projet de loi. Je dis « je travaille » et c’est un peu prétentieux, parce qu’une centaine de femmes m’ont accompagné dans ce travail. Elles ont été les artisanes de la rédaction de ce projet de loi.

J’aimerais vous présenter deux personnes qui m’accompagnent aujourd’hui : Mme Jeanson, qui est la coordonnatrice du groupe, et Mme Berglèse, qui fait partie du groupe également. Toutes deux sont des victimes de violence conjugale et de tentative de meurtre. Ce sont des femmes qui ont vécu une expérience très traumatisante.

Avec ce groupe de femmes, nous avons révisé leur expérience dans le système carcéral. Nous leur avons demandé de parler de leur expérience au moment où elles vivaient de la violence conjugale et après des années de violence conjugale, et lorsqu’elles ont décidé de dénoncer à un policier ce qu’elles ont subi. Nous les avons suivies tout au long du processus, au moment de la dénonciation de leur agresseur auprès d’un policier, de la remise en liberté de l’agresseur avec une promesse de comparaître, de la remise en liberté avec une ordonnance appelée « 810 », qui oblige un agresseur à respecter certaines conditions et au moment où leur agresseur est amené à procès, avec une promesse de comparaître, ce qu’on appelle une ordonnance « 515 ».

Nous avons suivi ces femmes tout au long du processus judiciaire, et nous leur avons demandé : « Qu’est-ce que vous changeriez au Code criminel pour vous sentir plus en sécurité? Qu’est-ce que ces changements auraient comme répercussions sur des femmes qui vivent actuellement cette violence en silence? Comment peut-on faire en sorte d’augmenter le nombre de femmes qui dénoncent? » Vous savez que très peu de femmes dénoncent leur agresseur : 80 % des femmes vivent de la violence conjugale sans dénoncer leur agresseur.

À partir de cette expérience, le personnel de mon bureau a entrepris une démarche de recherche de littérature. Qu’est-ce qui se fait partout au Canada? Qu’est-ce qui se fait dans d’autres pays pour ce qui est des suivis électroniques des agresseurs ou des accusés? À notre grande surprise, beaucoup de provinces canadiennes utilisent le bracelet électronique après une condamnation, notamment la Saskatchewan, l’Ontario, le Québec depuis tout récemment, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve. Même le Service correctionnel du Canada a déjà une réglementation qui permet l’utilisation du bracelet électronique dans les cas de violence conjugale. Nous sommes allés voir également ce qui se faisait ailleurs. Nous avons beaucoup appris de l’expérience de l’Espagne, qui utilise le bracelet électronique depuis plus de 10 ans. Nous sommes allés voir aussi ce qui se faisait en France et aux États-Unis, parce qu’une vingtaine d’États américains utilisent le bracelet électronique pour contrer la violence conjugale, ou du moins pour protéger les victimes qui dénoncent leur agresseur.

Par la suite, nous avons rédigé le projet de loi que vous avez entre les mains. Il fallait absolument obtenir aussi l’adhésion de gens qui ne sont pas nécessairement des victimes. Nous nous sommes mis en mode consultation. Les provinces sont parmi les premières organisations que nous avons consultées. Nous avons consulté les ministres de la Justice de la majorité des provinces canadiennes. Au Québec, nous avons consulté le premier ministre, M. Legault, la ministre de la Condition féminine, le ministre de la Justice et la ministre de la Sécurité publique de l’époque, Mme Guilbault.

Nous avons également consulté les fédérations des maisons d’hébergement pour femmes violentées et victimes de violence conjugale au Québec et partout au Canada; l’Association des familles de personnes assassinées et disparues; les fédérations de police; les regroupements autochtones, tant les regroupements qui représentent les femmes autochtones que ceux qui font de la thérapie auprès des Autochtones, surtout dans l’Ouest canadien; des thérapeutes qui travaillent déjà à réhabiliter des agresseurs; des entreprises qui produisent le bracelet électronique, pour connaître la fiabilité et les coûts de cet appareil et apprendre de leur expérience avec le bracelet, surtout au Canada. C’est la démarche que nous avons entreprise préalablement au dépôt du projet de loi, il y a quelques mois.

Le projet de loi est relativement simple. Lorsqu’une victime dénonce son agresseur auprès d’un policier, le projet de loi autoriserait un policier — si la sécurité de la victime est menacée et après consultation d’un procureur de la Couronne — à faire la surveillance électronique d’un agresseur qui porte un bracelet électronique. Il faut comprendre que l’agresseur n’est pas encore accusé et qu’il n’a pas encore comparu devant un juge. Cette surveillance peut se faire pendant une période d’une ou deux semaines. Ce sont les délais que l’on connaît. Cela permettrait d’assurer la sécurité des femmes pendant cette période.

Ensuite, lorsque l’individu a comparu, comme vous le savez, il y a deux possibilités : la première possibilité, c’est un « 515 », donc il est en attente d’un procès, il est appelé à son procès et il est accusé. Là aussi, il y aurait possibilité pour le juge d’ordonner le port du bracelet électronique et d’obliger l’individu à suivre une thérapie. Vous me demanderez : mais la thérapie, est-ce qu’il s’en fait? Oui, il se fait de plus en plus de thérapie pour les hommes agressifs. L’Ontario est l’une des provinces où il se fait le plus de thérapie. En ce qui a trait aux Autochtones dans l’Ouest canadien, j’ai été surpris qu’il y en ait, mais elles ont un grand succès. En effet, tout près de 50 % des hommes ne récidiveront pas, ce qui est très intéressant. Le bracelet électronique doit être porté jusqu’à la comparution devant un juge, et on sait que les délais sont de deux à trois ans avant que le procès ait lieu.

L’autre possibilité, c’est que l’individu ne soit pas accusé, et la cour ordonnera alors un « 810 ». Le « 810 », c’est une ordonnance de ne pas s’approcher des victimes. Ce qui est particulier ici, c’est que le projet de loi crée une nouvelle ordonnance « 810 ». Actuellement, il y en a une, mais cette ordonnance est générale; c’est un fourre-tout, dans le fond, car elle s’adresse autant à des gens qui font du tapage qu’à ceux qui ont des chiens méchants. Ce sont des gens qui vont en cour et qui ne sont pas accusés, mais qui reçoivent une ordonnance assortie de conditions assez sévères, comme de ne pas troubler la paix, de ne pas jouer de la musique trop tard, etc.

Nous nous sommes dit qu’il fallait créer une ordonnance spécifique à la violence conjugale et inclure dans cette ordonnance des éléments qui sont liés à la violence conjugale. L’ordonnance « 810 » est d’une durée d’une année, mais cette nouvelle ordonnance serait d’une période de deux ans. Pourquoi deux ans? Pour qu’il y ait un détachement de l’agresseur par rapport à la victime. Le problème d’un agresseur qui est dénoncé et qui se présente devant un juge, c’est une perte de contrôle, et la perte de contrôle qu’il a sur la victime, c’est ce qui le rend le plus apte à agresser de nouveau, et même à assassiner. Le fait d’avoir une période de deux ans où la victime serait protégée au moyen du bracelet électronique et d’imposer des conditions strictes à l’agresseur permet un détachement aussi bien physique qu’émotif de l’agresseur par rapport à la victime.

Si le juge a un récidiviste devant lui, le juge pourrait imposer une période de trois ans. Quand on parle de deux ou de trois ans, ce n’est pas une période minimale, mais maximale. Donc, le juge pourrait ordonner jusqu’à trois ans s’il s’agit d’un récidiviste. Il y a donc le port du bracelet électronique, comme je l’ai dit; il y a aussi la possibilité d’obliger l’agresseur à suivre une thérapie, et on ajoute à tout ceci l’obligation de la cour d’informer la victime des conditions. Souvent, les victimes nous ont dit que leur agresseur avait reçu un « 810 », mais qu’elles n’avaient pas été mises au courant du tout des conditions et qu’elles auraient aimé ajouter certaines conditions, ce qui les aurait rassurées ou leur aurait donné un sentiment de sécurité. Si la cour rend l’obligation d’informer la victime de ce qui se trouve dans le « 810 », la victime peut avoir une rétroaction avec le procureur de la Couronne, qui peut alors intervenir auprès du juge.

L’autre élément très important est le suivant : si l’agresseur demande une modification à son « 810 », la victime en sera informée. Voici un exemple : un individu avait reçu un « 810 » au Lac-Saint-Jean; six mois plus tard, il avait un emploi en Abitibi, et il a donc demandé au juge de supprimer la condition de distance, car il se trouvait alors en Abitibi. Puis, l’agresseur s’est retrouvé au Lac-Saint-Jean, près de la victime. Si vous enlevez des conditions qui sont liées à la sécurité de la victime, si l’agresseur demande de faire supprimer certaines conditions, il faut avertir la victime que l’individu a demandé de modifier son « 810 ».

Je vous ai fait part des grandes lignes du projet de loi S-205. J’ai déjà fait un discours plus pointu au Sénat sur son contenu, mais je pense que ce qui est vraiment intéressant aujourd’hui, c’est d’échanger avec vous sur ce qui vous semble nébuleux ou inquiétant. Il y aura plus tard une étude détaillée au comité. Voilà, madame la présidente.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie de votre présentation. C’est fort intéressant.

Monsieur le sénateur, quand vous parlez de deux ans — à l’évidence, ce n’est pas dans le projet de loi — vous voulez dire que les juges mettront ce genre de chose dans les conditions de la libération sous caution, n’est-ce pas?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Oui. Les conditions à propos du temps et de la durée de l’ordonnance appartiendront toujours au juge, comme le juge a aussi la discrétion d’imposer le bracelet électronique et la thérapie.

[Traduction]

La présidente : Cela restera à la discrétion du juge, exact? Ce n’est pas indiqué dans le projet de loi, mais la durée serait à la discrétion du juge selon les circonstances de chaque cas. Est-ce bien cela?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Exactement.

[Traduction]

La présidente : Vous avez mentionné l’Espagne. Je vois que vous avez examiné comment d’autres pays utilisent les dispositifs de surveillance électronique à distance dans le cas de personnes accusées d’infraction contre le partenaire intime. Vous avez parlé de l’Espagne. Il y a aussi le Royaume-Uni et l’Australie. Que vous ont appris les résultats obtenus dans ces pays?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : L’efficacité du système lorsqu’il est bien géré. C’est un système électronique et il est faillible. Cela n’aurait pas sauvé la vie des 173 femmes assassinées au Canada l’an dernier, mais c’est efficace pour alerter la victime et alerter l’agresseur. Dans le fond, nous avons appris qu’il ne s’agit pas uniquement d’un avertisseur en possession de la victime. C’est un système binaire : la victime porte un avertisseur comme un téléavertisseur et l’agresseur porte le bracelet électronique à la cheville principalement. Lorsque le juge établit le périmètre pour la protection de la victime, il y a deux alertes : une alerte préalable, qui se produit à une distance de trois, quatre ou cinq kilomètres, et une alerte qui se produit quand l’agresseur est proche de la victime.

L’alerte se fait à trois niveaux : elle se fait d’abord auprès de la centrale qui gère le tout. Dans la majorité des cas, ce sont des entreprises privées. Au Québec notamment, avec la loi 24, c’est une entreprise privée qui gère les alertes. L’alerte se fait là et elle permet d’avertir rapidement la centrale de police; elle se fait chez l’agresseur et l’avise qu’il est en train de manquer à ses obligations et elle se fait chez la victime, ce qui lui permettra d’avoir une alerte préalable, pour l’informer que l’individu arrive chez elle. Elle pourra alors appeler les policiers ou fuir chez un voisin. Elle pourra se protéger et protéger ses enfants.

L’Espagne est plus avancée sur le plan de la recherche. Le pays avait un groupe de travail qui pilotait la recherche; 900 femmes environ ont porté ce bracelet au cours des dernières années et il y a eu trois meurtres. Donc, cela prouve quand même l’efficacité du système. Je le répète, c’est un outil parmi d’autres, ce n’est pas le seul outil auquel on pourra se fier pour réduire de 50 % les meurtres de femmes. La thérapie est un outil, le bracelet est un outil. La victime elle-même doit assurer sa propre sécurité. Donc, il y a toutes sortes d’outils, et on vient y ajouter un outil moderne.

Une étude a été menée par l’Université de Montréal et l’UQAM en 2019 en ce qui concerne les « 810 », si ma mémoire est bonne. Il faut dire que la majorité des agresseurs ne vont pas en prison; environ 10 % des hommes écopent d’une sentence, et la majorité aura soit une sentence avec sursis — donc ils retourneront chez eux — ou un « 810 ». Dans le cas des « 810 », les deux universités ont démontré que 50 % des conditions et des obligations n’étaient pas respectées. Voilà qui prouve, à mon avis, l’efficacité du bracelet électronique. La plus grande délinquance que l’on observe avec le « 810 », c’est le non‑respect de la distance entre l’agresseur et la victime.

En outre, le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (CSN) — donc les agents qui travaillent dans les prisons québécoises — a fait une étude semblable sur les sentences avec sursis, soit les gens qui retournent chez eux pour un an ou deux. L’étude a conclu que cela représentait 44 % du taux de délinquance. On constate donc que même si l’on donne un « 810 » ou un « 515 » à ces agresseurs, il y a un pourcentage de délinquance très élevé. C’est pour cela qu’à notre avis, le bracelet électronique peut être un outil ayant un impact immédiat sur les agresseurs, car ils se savent surveillés — c’est ce que les entreprises nous ont dit. Dès qu’ils portent le bracelet, la dissuasion est la principale conséquence.

Pour la victime, la principale conséquence, c’est qu’elle sera avertie si l’individu manque à son obligation de respecter la distance.

[Traduction]

La présidente : Votre projet de loi est louable. C’est une très bonne idée. Cependant, les policiers et les tribunaux me disent qu’il est très difficile de suivre ces dispositifs de surveillance à distance électrique dans les régions éloignées. Il se peut qu’il n’y ait même pas de postes de police aux environs. Avez-vous réfléchi à la façon dont la surveillance s’effectuerait?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Lorsqu’on a consulté les communautés autochtones qui vivent ce phénomène —

La présidente : Il n’y a pas que les communautés autochtones; il y en a d’autres aussi.

Le sénateur Boisvenu : Je le souligne à titre d’exemple. Il y a d’abord l’éloignement; souvent, certains endroits n’ont même pas l’Internet, et la victime et l’agresseur vivent dans de petits milieux. Le bracelet ne réglera pas ces situations. Il faudra pousser notre réflexion pour déterminer comment protéger ces femmes qui vivent dans des milieux isolés ou dans la campagne québécoise. Je pars de Montréal chaque semaine, j’emprunte l’autoroute 50 et, à un moment donné, je n’ai plus de signal. Bien sûr, il y a des endroits plus isolés où ce bracelet fonctionnera peut-être à 50 %. Je pense qu’au cours des années à venir, avec l’amélioration des technologies et de la couverture cellulaire, cela n’ira qu’en s’améliorant.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Je vous remercie, sénateur Boisvenu. Comme chacun le sait, vous et moi travaillons sur ces questions depuis des décennies, quoique parfois sous des angles différents. Je vous remercie pour tout le travail que vous avez accompli et pour vos efforts visant à continuer d’assurer la protection des femmes.

Vous avez mentionné que vous avez rencontré différents groupes. Moi aussi, quand je rencontre ces groupes, je vois trop souvent que dans un premier temps il n’est question que de nouvelles lois pénales ou de nouvelles peines. Or, fréquemment ce qu’ils demandent, c’est de mettre fin à la violence. Ces personnes veulent éviter que ce qui leur est arrivé arrive à d’autres.

Comme vous l’avez souligné, et comme nous l’ont dit les témoins auxquels nous avons parlé dans d’autres contextes, le droit pénal et le droit criminel ne suffiront pas à eux seuls à régler ces problèmes. En outre, des mécanismes sont déjà en place pour permettre aux juges de recourir à la surveillance électronique. La science n’est pas infaillible, comme vient de le faire remarquer la sénatrice Jaffer. Il y a aussi des problèmes quant aux interventions ou absences d’interventions policières. Pourquoi mettre l’accent sur cette approche en particulier plutôt que celle de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, les appels à la justice et les autres préconisent, c’est-à-dire se doter du genre de protection économique et sociale qui permet aux femmes non seulement d’échapper à la violence, mais aussi de prévenir les circonstances qui les mettent à risque?

Pendant nos débats, nous avons parlé du manque de places dans les refuges et d’aide financière, soit toutes les raisons qui font souvent que des femmes sont plus à risque. Pourquoi croyez-vous que nous devrions consacrer des ressources à cette approche en particulier puisque nous savons qu’elle crée un faux sentiment de sécurité non seulement parmi les personnes à risque ou les victimes potentielles, mais aussi au sein de la population, laquelle croit que nous avons fait quelque chose pour régler ce problème?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Il y a plusieurs éléments dans votre question, et c’est avec plaisir que j’y répondrai, car vous touchez des aspects très importants. Tout d’abord, pourquoi cela sauvera‑t‑il des vies? On a constaté qu’ailleurs, dans d’autres pays, on sauve des vies. On ne sauve pas toutes les vies, mais on sauve des vies. Ensuite, je ne crois pas qu’il faut envoyer tous ces hommes en prison; en matière de coûts, cela dépasse de 10 fois l’usage du bracelet électronique. Des femmes nous ont même dit de ne plus envoyer les hommes dans les prisons provinciales. Les dernières statistiques montrent qu’en matière de violence conjugale, 80 % des hommes, comme je l’ai déjà dit, reçoivent une peine avec sursis, et parmi ceux qui vont en prison, le taux de séjour est de six mois. Les femmes nous ont dit d’arrêter, car les hommes sont encore plus violents quand ils sortent de prison.

Voilà pourquoi notre projet de loi compte deux volets importants : la thérapie et le contrôle coercitif de l’agresseur. J’ai beaucoup confiance en la thérapie. C’est quelque chose qui n’a pas été beaucoup développé au Canada pour ce qui est de la violence conjugale. On a beaucoup développé les refuges, comme au Québec. Presque toutes les villes ont un centre pour femmes victimes de violence, mais on en fait très peu pour les agresseurs.

On a travaillé sur les conséquences de la violence, mais très peu sur la cause. C’est pour cela que mon projet de loi a deux volets : d’abord, un volet coercitif pour les agresseurs, pour les contrôler, puis un volet thérapie, pour essayer de les soigner et leur offrir des services. Or, ce n’est pas en prison qu’ils peuvent avoir accès à ces services. Les prisons canadiennes dans lesquelles les individus purgent une peine de moins de deux ans n’ont pas de services, ou très peu de services pour les agresseurs ou les hommes violents. Donc, c’est pour cela que mon projet de loi est relativement bien équilibré sur le plan de la thérapie et du contrôle. Je dirais, madame la sénatrice, que c’est un outil parmi d’autres.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Vous venez de faire allusion à une réalité. Dans la majorité des cas, si une personne ne rapporte pas la situation c’est qu’elle n’a pas l’habitude d’être crue — c’est souvent le cas des femmes et des jeunes filles, ainsi que des personnes qui se désignent comme telles —, mais aussi que son expérience du système de justice pénale ne lui inspire pas un sentiment de confiance ou de sécurité, comme vous l’avez déjà indiqué. Cela dit, quand je parle à des femmes, elles me disent qu’elles ont besoin de sécurité sur le plan économique.

En ce qui a trait aux dispositifs de surveillance électronique, vous avez mentionné qu’il y a eu trois décès pendant l’exercice de cette surveillance électronique par rapport à ce qui aurait été prédit s’il n’y avait pas eu de surveillance électronique. Cependant, le pourcentage de femmes tuées n’a pas diminué. Par conséquent, les ressources qui doivent être mises en place pour que les femmes aient un logis où aller, un statut d’immigration sûr, l’aide dont elles ont besoin pour garder leurs enfants avec elles et des appuis dans le droit de la famille leur permettant de partir font toutes partie des besoins dont me parlent les femmes. Lors de la consultation sur le projet de loi, l’Association nationale Femmes et Droit, ou ANFD, ainsi que d’autres organismes ont posé la question suivante : « S’il y a de l’argent à dépenser, mais que celui-ci est en quantité limitée, pourquoi ne pas le dépenser sur certains autres facteurs qui permettraient de prévenir davantage d’actes violents plutôt que sur une initiative de surveillance électronique? » Nous pouvons reparler de la valeur de la thérapie.

Pourquoi dites-vous que les ressources devraient être consacrées à cette initiative plutôt qu’à d’autres secteurs?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Il y a beaucoup d’éléments dans votre question. Je vais commencer par le premier. Les femmes ne sont pas crues, mais les femmes ont peur de dénoncer leur agresseur, parce qu’elles protègent leurs enfants. Elles ont peur de dénoncer, parce qu’elles ont peur d’être assassinées si elles le font; elles se trouvent dans un contexte de contrôle optimal, ce qui fait qu’elles n’ont plus de contrôle sur l’homme.

Ce n’est pas uniquement parce que le système de justice ne les croit pas, c’est d’abord parce qu’elles ont peur de dénoncer leur agresseur. Avec la formation obligatoire qui sera donnée aux juges sur la violence conjugale, cela améliorera les choses. L’autre élément, c’est le soutien économique. Vous avez raison de dire que les femmes qui dénoncent leur agresseur risquent leur vie et leur sécurité financière. Je travaille donc actuellement avec le sénateur Yussuff pour faire en sorte que le projet de loi C-13, que j’ai fait adopter en 2012, qui vient en aide aux familles dont un enfant a été assassiné ou a disparu, intègre les femmes qui dénoncent leur agresseur.

J’ai rencontré récemment une femme au foyer qui était dans un centre d’hébergement. Elle n’avait pas de ressources, elle a dénoncé son agresseur et elle a dû faire appel à l’aide sociale, car elle n’avait pas de revenus ni de fonds de pension. Le gouvernement fédéral peut faire sa part, et on peut sensibiliser les provinces à faire leur part. Si on pouvait étendre l’application du projet de loi C-13 aux femmes qui ont dénoncé leur agresseur, on pourrait avoir jusqu’à 45 semaines de soutien financier. Je travaille actuellement pour modifier cette loi.

En effet, il y a eu seulement trois meurtres en Espagne, mais de combien de victimes a-t-on sauvé la vie? Lorsqu’une femme est assassinée et que l’homme se suicide ensuite, leurs enfants se retrouvent à l’aide juridique et c’est l’État qui devra les soutenir pendant des années. Il y a donc un coût économique. Si on parle du coût économique d’un meurtre et de ce qui s’ensuit par rapport aux coûts que représente un bracelet électronique, c’est un investissement, pas une dépense. Dès que vous sauvez la vie d’une femme, peu importe qu’elle soit une professionnelle ou une ménagère, vous aidez l’économie, parce que cette femme pourra continuer de travailler et de payer des impôts. Les enfants ne sont pas à la charge de l’État. Il faut examiner aussi l’ensemble des coûts auxquels doivent faire face les victimes en matière criminelle.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Je vous remercie, sénateur Boisvenu, d’avoir présenté cet important projet de loi sur un sujet aussi crucial. Ma province natale, la Saskatchewan, a malheureusement le plus haut taux de violence conjugale au Canada. Vous avez indiqué dans vos remarques liminaires que vous avez consulté de nombreuses provinces. Avez-vous consulté le gouvernement de la Saskatchewan ainsi que des groupes autochtones et des groupes de victimes de cette province? Si oui, comment ont-elles accueilli votre projet de loi?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Oui, nous avons consulté l’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba.

Les réponses ont été très positives. Nous avons consulté les groupes autochtones qui font de la thérapie là-bas. Nous avons de très beaux échanges positifs. Cela m’a motivé encore plus. Je croyais qu’il y aurait de la résistance dans ces communautés; loin de là. Elles nous ont fait part de leur expérience du point de vue de la thérapie, que les hommes suivent une thérapie parce qu’ils y sont obligés ou qu’ils la suivent de façon volontaire. J’ai été surpris parce que nous avons obtenu les mêmes résultats dans les deux cas. L’homme que l’on envoie en thérapie de manière obligatoire, quelques semaines plus tard — parce qu’il est avec un groupe d’hommes —, commence à faire un cheminement. Ceux qui suivent la thérapie volontairement font le même cheminement. Nous avons eu une très bonne réception dans votre province, sénatrice.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Avez-vous eu l’occasion de consulter un représentant du gouvernement de la Saskatchewan?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Nous avons consulté la majorité des ministres de la Justice des provinces. Nous avons eu des contacts directement, et non en leur envoyant une lettre pour leur demander ce qu’ils en pensaient.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Il y a eu un changement relativement récent.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Nous les avons consultés pendant la pandémie. Donc, les contacts se sont faits par téléphone, parce que nous ne pouvions pas nous déplacer. Nous avons eu des entretiens d’une durée d’une heure à une heure et demie avec chaque province.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Il y a récemment eu un changement à la tête du ministère de la Justice de la Saskatchewan. Nous avons maintenant une ministre, Bronwyn Eyre. Lors de votre consultation, vous vous êtes peut-être adressé à l’ancien ministre, Gordon Wyant?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Oui. Toutefois, si vous croyez qu’il serait intéressant —

[Traduction]

Si vous croyez qu’il serait intéressant de communiquer avec lui, nous le ferons.

La sénatrice Batters : Oui. Pourriez-vous nous en dire plus au sujet des autres endroits où les dispositifs de surveillance électronique sont utilisés dans les cas de violence conjugale et sur les résultats obtenus?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : La majorité des provinces utilisent le bracelet. Nous avons très peu de données en ce qui concerne le Canada, parce que les lois provinciales sont généralement assez récentes. Les juridictions ont modifié leur législation pour avoir des données. Le pays qui a le plus de données est l’Espagne, et certains États américains en ont beaucoup aussi.

Nous avons vraiment approfondi nos recherches en Espagne, parce que son modèle de surveillance électronique semble le plus performant. C’est vraiment là qu’on s’est attardé. Il faut comprendre que l’Espagne, avant qu’elle adopte l’utilisation du bracelet électronique, était l’un des pays avec le plus fort pourcentage de criminalité lié à la violence conjugale. Nous avons surtout examiné ce pays, parce qu’on a une situation quelque peu pandémique au Canada.

Si on pense à la France, qui a exigé le port du bracelet électronique — la loi est récente d’une année —, elle a une population de 80 millions de personnes et elle compte 50 % moins de femmes assassinées que le Canada. Cela veut dire qu’elle s’est quand même dirigée dans cette voie-là, à partir de l’expérience de l’Espagne.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Dans le projet de loi, vous apportez aussi des modifications aux engagements à ne pas troubler l’ordre public. Vous en ajoutez une nouvelle catégorie qui ne s’appliquerait qu’aux cas de violence entre partenaires intimes. L’une de ces modifications prévoit que ce nouveau type d’engagement aurait une période de validité maximale de deux ans plutôt que d’un an, comme c’est le cas en ce moment.

L’engagement à ne pas troubler l’ordre public au titre de l’article 810 du Code criminel sert sans doute déjà dans les cas de violence conjugale. Savez-vous quel pourcentage d’engagements accordés dans des cas de violence conjugale serait admissible à ce nouveau type d’engagement advenant l’adoption de votre projet de loi?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je ne suis pas un juge, je ne suis pas sur le banc et je n’ai pas d’accusé devant moi. Toutefois, dans les cas de récidive, le bracelet électronique devrait être obligatoire. Dans les cas où le procureur de la Couronne peut prouver que l’individu menace la vie ou la sécurité d’une victime, même s’il ne s’agit pas d’un récidiviste, je crois que la priorité doit être de protéger la femme. Tout ce processus se fera par l’entremise de négociations entre la Couronne et la défense. La Couronne devra démontrer que l’individu est dangereux.

Avec le projet de loi C-75, si on a devant nous un récidiviste, c’est lui qui doit prouver qu’il n’est pas dangereux. Ce que je n’ai pas dit, c’est qu’on vient toucher au projet de loi C-75. Ainsi, ceux qui ont obtenu une absolution permanente, sans condition ou avec condition, et qui récidivent ne bénéficient pas des mêmes conditions qu’une personne qui n’a pas récidivé. Si une personne a reçu une absolution et qu’elle récidive, le fait d’avoir obtenu une absolution ne devrait pas signifier que cette personne n’est pas considérée comme un récidiviste. Recevoir une absolution dans notre système de justice, c’est un privilège. Ce n’est pas un droit. Ce privilège doit être assorti du respect des conditions, notamment de ne pas récidiver. Notre projet de loi vient aussi modifier le projet C-75, pour que ceux qui ont obtenu ce type d’ordonnance de la cour soient considérés comme des récidivistes. Combien de personnes vont-elles porter le bracelet électronique? Je ne sais pas. Ce sera au juge d’en décider.

J’espère une chose : dans le Code criminel, les juges ont la possibilité de demander des évaluations pour déterminer la dangerosité des agresseurs, mais cela se fait très peu. Dans les cas de violence conjugale ou d’agressions sexuelles, dans tous les cas, surtout s’il s’agit de récidivistes, le juge devrait toujours ordonner une évaluation de la dangerosité, ce qui lui donnerait un outil supplémentaire pour imposer le port du bracelet électronique. Toutefois, cela se fait très rarement.

[Traduction]

La sénatrice Simons : En un sens, j’aime beaucoup l’expression « violence entre partenaires intimes » parce qu’elle s’applique aussi aux personnes qui n’entretiennent pas une relation hétérosexuelle conventionnelle et traditionnelle. D’un autre côté, cette expression ne s’applique pas à toutes les personnes que vous pourriez vouloir protéger. Pensons à une personne séparée ou divorcée de son conjoint violent ou cherchant à mettre fin à une relation avec un ancien partenaire qui présente un danger. Pensons aussi à une personne qui s’imagine avoir une relation avec une autre personne alors que ce n’est pas le cas, comme dans le cas d’un harceleur obsessionnel qui croit que vous êtes son partenaire intime alors que vous ne l’avez jamais été. Elle fait également abstraction d’une tout autre catégorie de violence familiale qui se produit entre des parents et leurs enfants d’âge adulte ou entre frères et sœurs.

Y a-t-il une autre expression que « partenaires intimes » qui pourrait englober toutes les personnes susceptibles de bénéficier de cette mesure législative?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Je crois que nous avons autour de la table des gens qui ont beaucoup d’expérience en matière juridique. Je pense notamment aux sénateurs Dalphond et Cotter. Si cette définition ou ce terme exclut des gens qui sont à risque dans une relation quelconque, je peux dire que je suis très ouvert à l’amendement.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Comme vous, je m’adresserais à des membres du comité ayant une plus grande expérience sur le plan juridique. Mon autre question porte sur les dispositions interdisant au défendeur de communiquer avec les enfants en cause. J’imagine que dans certains cas, cela pourrait être compliqué, s’il y a des ordonnances de garde. Je ne veux pas minimiser la violence conjugale, mais il y a tout un continuum entre une volée de coups atroces qui mène aux soins intensifs et une violence de moindre gravité.

Je crois qu’une femme a parfaitement le droit de partir et de porter des accusations, mais un juge de tribunal de la famille pourrait considérer que le degré de violence conjugale ne justifie pas d’interdire au défendeur d’avoir des visites surveillées avec ses enfants, par exemple.

Comment rédiger une loi qui tient compte du fait qu’une allégation peut être mensongère ou que le comportement allégué n’est pas grave au point d’exiger une rupture complète de la relation entre le parent accusé et les enfants?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : C’est une très bonne question. Il est certain que quand on touche à la garde d’enfants ou aux droits de visite, on est régi par le Code civil du Québec. Dans plusieurs cas de violence conjugale, on remarque que la DPJ est souvent dans le portrait. Cela ne vient pas nécessairement faciliter les choses. On sait aussi que beaucoup d’hommes au Québec, à défaut de toucher la femme ou de l’agresser, vont assassiner les enfants.

Il faut faire preuve de très grande précaution. J’ai toujours dit : mieux vaut y aller fort que ne pas y aller du tout. Dans un cas de violence conjugale, on l’a vu, dans 44 % des cas, les enfants ont aussi été violentés. Ma priorité, c’est de protéger la femme et les enfants et de laisser le Code civil ou la cour familiale gérer la garde des enfants — qui est, à mon avis, une autre problématique. Il est évident que cela complexifie beaucoup les choses.

Dans la majorité des cas où la femme dénonce son agresseur, l’agresseur va à son tour dénoncer la femme à la DPJ. C’est l’enfer. Je ne voulais pas toucher à cela dans mon projet de loi, parce que cela aurait rendu la situation complexe. J’aurais empiété sur les compétences provinciales, et ce n’est pas ce que les femmes veulent. Il y a déjà un combat qui se mène au Québec à la suite de la mort d’une petite fille à Granby — vous en avez sûrement entendu parler —, où il y a eu une enquête publique sur la DPJ.

Je pense que le gouvernement va apporter des correctifs. En présentant ce projet de loi, on souhaite que la priorité soit donnée aux enfants. Le but de ce projet de loi est vraiment de protéger les femmes. Dans la majorité des cas, une femme va se cacher parce qu’elle a peur que l’homme s’attaque aux enfants, faute de s’attaquer à elle. Notre priorité est de protéger les femmes, mais si on protège les femmes, on pourra sans doute protéger les enfants.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Évidemment, l’intérêt des enfants doit être une priorité. Je me suis occupée de trop nombreux cas en Alberta.

Tout d’abord, selon moi, un enfant est victime de violence quand il voit sa mère se faire maltraiter. C’est en soi traumatisant pour les enfants. Je suis certaine que nous connaissons tous des cas — et il y en a un dont je me souviens tout particulièrement en Alberta — où le conjoint décide de tuer les enfants pour se venger de sa partenaire. C’est un thème qui remonte à Médée, dans la mythologie grecque.

Cela dit, il faut, selon moi, prendre garde à ne pas mettre quelque chose dans le projet de loi qui empêche le tribunal d’envisager l’intérêt de l’enfant, surtout, comme vous le dites, lorsqu’il y a une demande reconventionnelle. On pourrait se retrouver avec une situation où chaque conjoint accuse l’autre, de sorte que les enfants n’auraient plus accès à aucun parent et se retrouveraient en foyer d’accueil.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Malheureusement, je devais quitter la réunion pour rejoindre un groupe afin de discuter du projet de loi C-233, qui traite d’objectifs semblables. Je suis d’accord avec l’objectif poursuivi dans le projet de loi S-205 et les efforts du sénateur Boisvenu.

Comme je l’ai dit dans mon discours sur le projet de loi C-233, le bracelet électronique n’est pas la réponse à tous les problèmes, mais c’est une étape qui permet d’accorder une protection. Je vais me permettre de faire des commentaires plutôt que de poser des questions. Le Québec a lancé son programme de 41 millions de dollars sur cinq ans pour mettre en place de 500 bracelets électroniques partout dans la province. Cela représente 8 millions de dollars par année, ce qui signifie que l’on parle — si je ne me suis pas trompé dans mon calcul — d’environ 1 600 $ par année par bracelet électronique. Ce n’est pas une somme excessive.

Il faut comprendre qu’en Ontario, le bracelet électronique est disponible. Souvent, c’est l’accusé qui suggère de le porter pour être remis en liberté. C’est une compagnie privée qui l’offre et le coût est de 600 $ par mois. La mesure n’est pas nécessairement utilisée beaucoup dans d’autres provinces, parce qu’il faut que l’accusé ait les moyens de payer le montant requis.

Je pense que le sénateur Boisvenu a raison de proposer cette mesure et de dire qu’il faut que cela vienne avec un certain encadrement et avec du soutien.

J’ai mentionné, dans le discours que j’ai fait le 17 octobre, que, depuis 2004, les statistiques en Espagne montrent une baisse de 25 % des féminicides. C’est quand même considérable, important et non négligeable. Cela vient avec un encadrement bien structuré. Il y a de la formation auprès d’escouades policières spécialisées dans la violence familiale et la violence entre partenaires intimes, et on a augmenté les ressources pour avoir des refuges où les femmes peuvent aller. Comme l’a dit la sénatrice Pate, les gens restent dans des situations de violence non pas parce qu’ils aiment cela, mais parce qu’ils n’ont pas d’endroit où aller. Il faut de plus en plus de refuges et de places disponibles.

Quant à la remise en liberté, notamment après la comparution où un partenaire est accusé de violence envers un partenaire intime ou un ex-partenaire — tout cela est couvert dans la définition de « partenaire intime » dans le Code criminel —, pour obtenir le bracelet, il faut également que la victime y consente, parce qu’elle doit porter elle-même un dispositif lui permettant de signaler quand les zones ne sont pas respectées.

Il y a beaucoup de petits détails à étudier, mais l’objectif global de ce projet de loi est excellent. J’endosse tout à fait la proposition qui est devant nous dans ses objectifs. Je pense que ce n’est pas la réponse à la violence familiale, mais c’est un élément dans la réponse globale à ce fléau que le système doit étudier.

Le sénateur Boisvenu : Contrairement à l’alcool au volant, où l’on installe un détecteur dans les voitures et où c’est le conducteur qui paie, dans ce cas-ci, je crois que c’est l’État qui doit payer. La violence conjugale existe aussi dans les milieux défavorisés. Si on oblige un agresseur issu d’un milieu défavorisé à payer ce montant, on va accentuer le problème de la pauvreté. Il faut que l’État paie.

On entend souvent dire, quand un meurtre se produit, que l’individu va nous coûter 5 millions de dollars en incarcération. Ces 5 millions de dollars représentent une économie relative pour le gouvernement. Je pense qu’il faut que l’État paie, parce qu’en fin de compte, il y a des économies qui vont couvrir tous les cas.

Je suis très content que vous parrainiez le projet de loi C-233. Je pense que nous allons faire du bon travail ensemble.

Le sénateur Cotter : Je suis d’accord avec l’observation du sénateur Dalphond et avec votre réponse.

[Traduction]

Il faut s’occuper de l’ensemble du système. La sénatrice Pate a parlé de l’un des aspects, soit la crédibilité accordée aux victimes pour que le système se saisisse du cas. C’est là principalement l’affaire de la police, à laquelle il faudra donner de la formation. Il faudra aussi davantage de sensibilisation, une meilleure compréhension des outils disponibles et une intervention rapide.

La Saskatchewan a mis au point un très bon programme auquel la sénatrice Batters a fait allusion. Il offre du soutien aux femmes qui sont dans des maisons d’hébergement.

À cet égard, les choses se passent moins bien dans notre province. Cependant, il y a une autre dimension à cela, soit l’idée de la réhabilitation dont vous parlez.

J’appuie sans réserve ce qui motive cette approche. Nous trouverons peut-être des moyens de moduler les priorités, comme la sénatrice Simons l’a dit. Toutefois, ma question est dans la même veine que celle de la sénatrice Batters.

[Français]

Pour que cette loi soit efficace, les ressources provinciales seront critiques. Avez-vous discuté de ce projet de loi avec les provinces pour ce qui est des ressources supplémentaires?

[Traduction]

Je parle de l’équipement et du système. Croyez-vous qu’ils appuieront ces investissements?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Oui, on a parlé des coûts. Ce que j’ai reçu comme message général de la part des ministres de la Justice, c’est de dire que nous en sommes là. Nous sommes en 2022, et il y a maintenant des moyens électroniques relativement fiables qui permettent de protéger des vies. C’est notre responsabilité comme État. Si l’on demande aux femmes de dénoncer, on ne peut pas les laisser dans la peur d’être assassinées. L’État a la responsabilité de protéger les femmes lorsqu’elles dénoncent leur agresseur. Sinon, notre message, notre invitation à dénoncer n’a pas de sens. C’est la réponse générale que nous avons reçue des ministres de la Justice.

Évidemment, je dirais que toutes les provinces sont très sensibles au fait qu’il faut fournir les ressources nécessaires aux femmes qui dénoncent leur agresseur. Elles sont très sensibles à la réhabilitation. Je pense que le fait de s’adresser aux hommes est une avenue incontournable; sinon, on verra des portes tournantes dans le système de justice. Je pense qu’il y a une espèce de prise de conscience que j’ai vue quand j’ai eu ces contacts avec les ministres de la Justice : il ne s’agit pas d’une dépense que l’on va faire, mais d’un investissement.

Il n’y a pas un ministre de la Justice qui nous a dit de ne pas aller là. Ils nous ont tous dit : « On est tous en réflexion pour doter nos provinces d’outils destinés à ceux qui sont dans les prisons provinciales. » Quand ils voient que le gouvernement fédéral va dans cette voie, les ministres sont très rassurés.

Le sénateur Cotter : Merci.

La sénatrice Dupuis : Merci, sénateur Boisvenu. J’ai quelques questions. Ma première est la suivante : le projet de loi C-233, qui a été adopté à la Chambre des communes, modifie le Code criminel et la Loi sur les juges pour ce qui est de la violence contre un partenaire intime. Il recoupe votre projet de loi. Dans le projet de loi C-233, qui a été adopté aux Communes et qui est étudié au Sénat, on prévoit que le juge a l’obligation, avant de remettre une ordonnance de remise en liberté à l’égard d’un prévenu inculpé d’une infraction contre son partenaire intime, de considérer s’il est souhaitable, pour la sécurité de toute personne, d’imposer la surveillance à distance. On prévoit donc une obligation de considérer la question. Vous avez choisi, d’après ce que j’ai compris de votre présentation, de laisser la question à la discrétion de ce juge.

Est-ce que cela rassure les femmes victimes de violence de laisser cela à la discrétion des juges, par rapport à la discrétion que les juges ont déjà de fixer des conditions? Le système actuel n’a pas l’air de rassurer les femmes, avec raison d’ailleurs. C’est un système qui les discrimine d’un bout à l’autre; elles le sentent et elles le savent. J’essaie de comprendre ce qui vous a amené à choisir la discrétion judiciaire, outre le fait que les juges préfèrent avoir la discrétion de décider eux-mêmes s’ils vont considérer la chose plutôt que d’y être obligés. C’est ma première question.

Le sénateur Boisvenu : J’espère que mes consœurs ne me contrediront pas. Je serai très franc. On aurait pu préparer avec elles un projet de loi dans lequel on aurait tout inclus, avec ceinture et bretelles, comme on dit en français, avec un conservateur qui dépose un projet de loi dans le contexte d’un gouvernement libéral, et ce projet de loi aurait été acceptable. On a fait un choix stratégique.

Il s’agit d’un premier pas. Ce n’est pas le seul pas qu’il faut faire, mais on ouvre la porte sur quelque chose que les femmes demandent depuis des années, soit d’avoir un minimum de protection. C’est pour cette seule et unique raison. On a dit : « Écoutez, on reviendra peut-être l’an prochain avec quelque chose d’autre, avec plus d’expérience et à la lumière de la façon dont les juges vont gérer tout cela. » C’est un peu comme l’inscription au registre des prédateurs sexuels. Quand on a créé le registre en 2004 et quand on a révisé la loi en 2010, on s’est aperçu que certaines provinces inscrivaient les délinquants à 20 %, et d’autres à 70 %.

On s’est dit qu’il fallait que ce soit une mesure uniforme. Si, dans deux ou trois ans, on s’aperçoit que le bracelet électronique est utilisé dans 90 % des cas dans les provinces de l’Ouest et dans 20 % des cas au Québec, on modifiera le projet de loi pour obliger le bracelet électronique. Si les projets de loi S-205 et C-233 sont adoptés par les deux Chambres, on aura fait d’une pierre deux coups, parce que le procès sera obligatoire, mais je préférerais que ce soit un député libéral qui le demande.

La sénatrice Dupuis : J’allais vous poser la question. Vous n’envisagez pas que ce soit un député conservateur dans un gouvernement conservateur qui présente ce genre de projet de loi?

Le sénateur Boisvenu : Je n’en suis pas encore là.

La sénatrice Dupuis : Merci pour votre réponse. J’aimerais revenir à votre projet de loi. Pour tout ce qui concerne la personne qui dénonce, vous avez proposé un certain nombre de choses. La personne qui dénonce, il faut qu’on s’assure qu’elle a été consultée. En pratique, pouvez-vous nous dire comment cela se passera? Il faut que ce soit aussi applicable et concret. Si on dit aux femmes qu’on leur fait un beau projet de loi, dans la pratique, pour une raison X, Y ou Z, vous avez dû examiner cette question. Jusqu’à quel point cela pourra-t-il se faire dans la réalité?

Le sénateur Boisvenu : Il y a trois possibilités avec le bracelet électronique. La victime appelle le 911, les policiers se rendent à la maison et la dame est blessée physiquement. Il y a une ordonnance de comparaître devant un juge. Cela peut prendre une semaine ou deux. Le policier dit à l’agresseur : « Tu vas porter le bracelet électronique, parce que je crains que quand madame sortira de chez toi, tu sois à ses trousses. » C’est la première situation.

Dans l’autre situation, l’individu est amené devant le juge. Le juge a deux choix. Si l’agression est assez grave, il peut dire : « Je cite l’individu à procès et cela prendra un à trois ans. » Le bracelet électronique est alors imposé. Si c’est un « 810 », donc si c’est moins grave, même si la violence conjugale est toujours grave, mais le monsieur dit : « Monsieur le juge, je regrette, oui, je l’ai agressée, je vous promets de ne pas recommencer. Ne m’envoyez pas en cour. »

Le juge dit : « D’accord, mais tu vas signer cette ordonnance avec les conditions. » Quand les conditions seront inscrites là, le procureur de la Couronne a l’obligation de demander à la victime : « Qu’est-ce qui vous permettrait de vous sentir en sécurité? Quelles conditions voulez-vous que j’inscrive sur papier? » Si c’est le policier qui craint pour la vie de madame durant ces deux semaines, le policier lui demandera ce qu’elle souhaite comme conditions. Donc, la victime sera consultée. Notre projet de loi va aussi interdire à l’agresseur d’utiliser les réseaux sociaux dans le « 810 », parce qu’aujourd’hui, c’est le moyen par lequel les agresseurs entrent en contact avec leur ex-conjointe ou entrent en contact avec des amis ou des frères et sœurs. C’est dans ces situations qu’on va gérer le bracelet.

La sénatrice Dupuis : Je me demandais ceci : quand prévoyez-vous que le juge de paix va vérifier auprès du poursuivant que le partenaire du prévenu a été consulté au sujet de ses besoins? De quoi parle-t-on, quand on parle de consulter? Je t’ai appelé, je l’ai appelé et on procède? J’imagine que vous avez eu l’occasion de discuter avec ces femmes. Est-ce qu’elles pourront être rejointes?

Comment cela va-t-il se passer? Autrement dit, pour que cela se passe dans la vraie vie, et pas seulement dans la ligne 2 ou 3 de l’article 3.1 de votre projet de loi.

Le sénateur Boisvenu : Il y a des femmes qui sont en contact avec le procureur de la Couronne ou avec le CAVAC, avec qui elles peuvent communiquer. Donc, ce sont tous ces intervenants qui auront à intervenir auprès de la victime pour dire, par exemple : « L’homme ne sera pas cité à son procès et il y aura un “810”. Que voulez-vous que l’on inscrive à l’intérieur? »

Je pense qu’il faudra que cette information soit transmise au procureur de la Couronne. Lorsque le « 810 » sera rédigé et que le prévenu va signer ou avant qu’il signe, la Couronne devra le montrer. Il ne faut pas oublier que la Charte canadienne des droits des victimes contient deux principes fondamentaux : le droit à l’information et le droit à la protection. Cela veut dire qu’il y a une obligation d’informer la victime du contenu du « 810 », parce que le « 810 », c’est pour sa protection.

Il était tout à fait inconcevable, par le passé, qu’on donne un « 810 » au prévenu pour protéger la victime, mais qu’on n’informe pas la victime de ce qui se trouve à l’intérieur.

La sénatrice Dupuis : Je vais vous expliquer pourquoi je pose cette question.

On voit bien que le mécanisme... Ce n’est pas pour rien que, dans certains projets de loi, on parle d’un contrôle coercitif, lorsqu’on parle de la violence entre conjoints. Donc, il y a une relation entre deux personnes, et c’est une relation très fermée, qui est dans l’isolement et le contrôle.

Si on veut se sortir de cela, ce que j’essaie de savoir, lorsque vous me parlez du CAVAC — et je pense que c’est important de soulever cela —, c’est ceci : avez-vous prévu que l’on trouve dans une réglementation qui viendrait après, ou dans des directives qui seraient données au poursuivant, certaines obligations de consulter des organismes, pour que cela devienne des intermédiaires reconnus, que ce soit un refuge ou le CAVAC, peu importe l’organisme, pour que cela s’installe dans le système, pour qu’on sache que lorsqu’on parle de « s’assurer que le partenaire a été consulté », cela veut dire qu’on sait qu’il y a...

Le sénateur Boisvenu : La victime.

La sénatrice Dupuis : Oui, c’est cela. Cela veut dire qu’on sait qu’il y a des intermédiaires qui rompent cette espèce de relation binaire et qui deviennent des partenaires obligés du poursuivant dans le système de judiciaire.

Le sénateur Boisvenu : C’est parce que la loi parle d’une « obligation ».

La sénatrice Dupuis : Oui, on vérifie si la victime a été consultée. Ma préoccupation, c’est qu’on inscrive dans le système des façons de s’assurer que, oui, on sera capable de rejoindre la victime; vous comprenez ce que je veux dire?

Le sénateur Boisvenu : Je travaille actuellement sur un projet de loi pour améliorer la Charte canadienne des droits des victimes. Hier, j’ai parlé des gens qui mettaient des photos des victimes; lorsqu’on va parler de droit à l’information, c’est ce genre d’information qu’on va inscrire dans la charte. En effet, la charte ne fait pas beaucoup allusion actuellement à l’utilisation des grands principes, comme l’information. Qu’est-ce qu’on entend par « information »?

On va inclure le type de commentaire que vous venez de faire dans la Charte des droits des victimes.

La sénatrice Clement : Merci. Bonjour, sénateur Boisvenu, et merci pour ce projet de loi et pour votre présentation de ce matin.

J’aimerais, madame la présidente, me présenter un peu, faire un commentaire, et enfin terminer avec une question.

Je me rends compte que je suis nouvelle au Sénat; donc, les gens ne me connaissent pas et je vois que j’ai une obligation. Je suis membre du Barreau de l’Ontario depuis 31 ans et, pendant mes 31 ans de carrière, j’ai représenté des victimes devant le Criminal Injuries Compensation Board de l’Ontario.

C’est un tribunal qui est vraiment basé sur la victime, son expérience et son témoignage et ensuite, sur le traitement et la réconciliation qu’elle doit faire en tant que victime. J’ai aussi siégé au conseil de direction d’un refuge à Cornwall pendant plus de 10 ans. D’ailleurs, je pratique encore le droit; je veux juste que cela soit clair.

J’apprécie beaucoup votre projet de loi, en raison de l’équilibre que j’y vois entre le bracelet et les traitements. Ce que j’ai vécu dans ma communauté à Cornwall, c’est qu’on n’avait vraiment pas accès à des ressources pour les hommes; cela a toujours été un défi. Ce n’est pas parce qu’il manquait de compétences, c’est qu’il manquait de ressources. Je sais que vous en avez parlé et que la province a joué là-dessus, mais j’aimerais avoir plus de commentaires là-dessus.

J’ai aussi apprécié la question de la sénatrice Simons pour ce qui est de l’usage de l’expression « partenaire intime ». La sénatrice Audette en a aussi parlé en Chambre, parce que, de plus en plus, on voit que les victimes peuvent être des journalistes, par exemple, qui sont victimes de situations ou d’obsessions particulières, et c’est intéressant que vous soyez ouvert sur ce plan.

J’aime aussi la volonté d’impliquer la victime et de la consulter, de l’aviser, parce que c’était toujours une plainte que faisaient mes clientes qui ne pouvaient pas participer au processus qui les protégeait. Je vous dis tout cela pour commencer.

Ma question porte sur la Charte canadienne des droits de la personne. Sur le plan de la recherche, comment ce projet de loi vient-il combler la faiblesse de l’attaque de ce projet de loi sur la base de la Charte canadienne?

Lorsque vous utilisez le mot « agresseur », c’est tout à fait approprié. Par contre, avant que cette personne soit condamnée, c’est un accusé, et non un agresseur. C’est délicat, et c’est là où je ressens personnellement un inconfort.

J’aimerais vous entendre au sujet de la Charte et sur le fait que porter un bracelet pourrait être perçu comme une condamnation, avant même que les cours se soient prononcées.

Le sénateur Boisvenu : Vous aviez le droit de parole.

D’abord, merci beaucoup de m’avoir appris ce qui se fait en Ontario. Nous avons eu la chance de faire une marche ensemble l’autre jour à l’intérieur du Sénat, et vous m’avez beaucoup appris.

Évidemment, les ressources pour les hommes sont le parent pauvre actuellement en matière de violence conjugale. On commence à peine au Canada. L’Ontario est très avancé, plus avancé que les autres provinces. Le Québec a commencé, et je crois qu’il a prévu d’investir 26 millions de dollars pour les deux ou trois prochaines années afin de donner des ressources à des centres qui existent déjà, mais qui n’ont pas la capacité financière requise pour recevoir beaucoup de gens en thérapie.

Par rapport à la Charte canadienne des droits et libertés, l’usage du bracelet électronique existe déjà dans le Code criminel. Il existe pour les crimes liés au terrorisme. La loi régissant la Commission des libérations conditionnelles du Canada prévoit l’usage du bracelet électronique lorsque le criminel est remis en liberté et qu’il pose une menace sur sa victime.

Donc, cela existe déjà dans le Code criminel et dans les lois fédérales. En ce sens, si c’est déjà dans les lois et que cela n’a pas été contesté, je ne crois pas que l’on conteste l’usage que l’on souhaite en faire, qui est de protéger les femmes.

La sénatrice Clement : Vous avez donné l’exemple du terroriste; quel est l’autre?

Le sénateur Boisvenu : L’autre, c’est la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

Je peux vous le dire, car j’ai l’article de son règlement dans mes papiers. Il s’agit des paragraphes 57.1(1) et 57.1(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

La sénatrice Clement : Il n’y a pas eu de contestation sur le plan de la Charte?

Le sénateur Boisvenu : Pas à ce que l’on sache. Je ne peux pas vous donner une réponse absolue. Est-ce qu’il y en a eu par le passé? Peut-être. Le bracelet électronique a été utilisé à deux ou trois reprises pour des gens qui ont été arrêtés en attendant leur comparution. Le bracelet a été utilisé, et cela n’a pas été contesté.

[Traduction]

La présidente : Sénateur Boisvenu, le projet de loi S-205 ajoutera-t-il une disposition au Code criminel qui n’existe pas déjà pour obtenir une ordonnance d’engagement? Comment s’insérera-t-elle dans le Code criminel?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Actuellement, la violence conjugale est répartie un peu partout dans le Code criminel. Cela peut être du harcèlement criminel, de l’intrusion de domicile... C’est comme un genre de pizza à l’intérieur.

On ne crée donc pas un chapitre sur la violence conjugale, mais un « 810 » spécifique à la violence conjugale. On le sort des « 810 » généraux, en espérant que, dans trois ou quatre ans, il y ait un chapitre dans le Code criminel qui s’adresse aux femmes victimes de violence conjugale, comme pour les agressions sexuelles et les meurtres. Je crois que cela permettra aux juges d’avoir un outil spécifique, car lorsqu’ils devront prendre des décisions sur des ordonnances, ils pourront se référer à quelque chose de spécifique à la violence familiale.

[Traduction]

La présidente : Il y aura donc quelque chose dans l’avenir, mais comment la mesure s’insérera-t-elle dans le code dans l’intervalle?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le projet de loi va créer une ordonnance spécifique aux femmes. Je souhaite que ce soit un premier pas pour que le Code criminel ait un outil d’une plus grande portée en ce qui concerne la violence conjugale. Bien sûr, nous aurions pu être ambitieux et avoir un projet de loi encore plus étoffé. Cependant, je crois que nous avons fait preuve de réalisme et je remercie les femmes, car elles auraient aimé aller plus loin. Nous sommes maintenant convaincus que c’est un très bon premier pas, et il faut convaincre mes collègues au Sénat d’adopter ce projet de loi. J’ai rencontré à quelques reprises la députée qui parraine le projet de loi C-233. Je suis très content que la Chambre des communes ait son propre projet de loi. Cela veut dire que, maintenant, il y a une sensibilité dans les deux Chambres pour faire avancer le projet sur les bracelets électroniques.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci.

Je veux expliquer quelque chose pour que les gens qui nous écoutent et qui ont entendu l’intervention de la sénatrice Simons comprennent bien. Dans ce projet de loi, le sénateur Boisvenu propose une modification au Code criminel. Celle-ci n’a rien à voir avec le droit de la famille et les questions de garde d’enfants et d’accès à ceux-ci où l’on détermine ce qui est dans l’intérêt de l’enfant. Ces questions sont l’affaire des tribunaux de la famille. Il est ici question d’une modification au Code criminel, qui propose des mesures en vertu du Code criminel, notamment un nouveau genre d’engagement qui s’appliquerait au cas de violence entre partenaires intimes.

Je voulais simplement préciser cela. Merci.

La sénatrice Pate : Je vous remercie, sénateur Boisvenu.

Ma question procède en partie de votre réponse à la sénatrice Clement. Avez-vous consulté le Service correctionnel du Canada, et plus particulièrement les chercheurs de Sécurité publique Canada? Il y a eu pas mal de recherches sur la surveillance électronique. Vous vous souviendrez peut-être que j’ai parlé, en tant que porte-parole du projet de loi, de l’inefficacité de la technologie et des raisons pour lesquelles il y avait certaines contradictions entre le service correctionnel et les chercheurs du ministère de la Sécurité publique.

Je me demandais donc si vous aviez eu l’occasion de les consulter.

J’ajoute, madame la présidente, que si nous accueillons d’autres témoins, nous voudrons peut-être inviter aussi ces chercheurs à faire une présentation.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Tout d’abord, le projet du Service correctionnel mené en Ontario a été conçu à ma demande, parce que je travaille sur le projet des bracelets électroniques depuis 2012. Je travaille aussi sur la violence conjugale et sur les criminels qui sont remis en liberté avec un risque presque assuré de récidiver. Cette expérience n’a pas obtenu des résultats concluants, parce que la technologie de l’époque était très différente de celle d’aujourd’hui. L’expérience nous le dit. Les technologies de la surveillance à distance ont beaucoup évolué au cours des 10 dernières années et elles évolueront encore plus dans les prochaines années.

Donc, non, nous n’avons pas consulté directement le Service correctionnel, car environ 1 % des hommes qui subissent une condamnation en matière d’agression sexuelle vont dans un pénitencier fédéral. Quatre-vingts pour cent vont dans une prison provinciale. Nous avons donc surtout consulté les provinces, parce que ce sont elles qui traitent avec la clientèle des agresseurs.

[Traduction]

La sénatrice Pate : J’allais dire que le ministère de la Sécurité publique a mené des recherches. C’est l’expérience des provinces, absolument, mais il pourrait être utile que celles-ci participent.

Par ailleurs, puisque c’est prévu dans le Code criminel, comme vous l’avez dit, cela s’est déjà fait dans un certain nombre de provinces.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je suis convaincu, madame la présidente et sénatrice Pate, que ces gens seront invités à venir nous parler de leur expérience. Je le souhaite.

[Traduction]

La présidente : Voilà qui conclut nos questions. Je vous remercie tous de votre présence. Je vous remercie à nouveau, sénateur Boisvenu, du zèle que vous déployez pour protéger les femmes au Canada. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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