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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 17 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 31 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-205, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale).

[Traduction]

Mark Palmer, greffier du comité : Honorables sénateurs, en tant que greffier du comité, il est de mon devoir de vous informer de l’absence forcée de la présidente et du vice‑président, et de présider à l’élection d’un président suppléant. Je suis prêt à recevoir une motion à cet effet.

Le sénateur Cotter : Merci, monsieur Palmer. Je propose que le sénateur Dalphond préside la réunion d’aujourd’hui.

M. Palmer : Une motion voulant que le sénateur Dalphond assume la présidence est proposée. Y a-t-il d’autres nominations? Non. L’honorable sénateur Cotter propose que le sénateur Dalphond occupe le fauteuil de la présidence. Y consentez-vous?

Des voix : Oui.

Le sénateur Pierre J. Dalphond (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant : Merci, sénateurs, pour votre confiance. Je suis membre du comité de direction, et c’est la première fois que j’ai l’occasion de présider une réunion en raison de l’absence inattendue de la présidente et du vice‑président. J’espère que notre présidente se sentira mieux et pourra reprendre le fauteuil à notre réunion de la semaine prochaine.

[Français]

Aujourd’hui, nous continuons notre étude du projet de loi S-205, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale).

Honorables sénateurs, comme vous le savez, en raison des problèmes techniques qui sont survenus hier, la séance du Sénat a dû être annulée. Nous reprendrons donc nos travaux à 13 h, aujourd’hui, ce qui nous oblige à réduire le nombre de témoins.

Je demanderais à mes collègues de poser des questions courtes. Je m’assurerai que chacun ait la chance de s’exprimer. Comme nous ne sommes pas très nombreux ce matin, vous aurez l’occasion de poser vos questions.

Sans plus tarder, nous allons commencer par le premier groupe de témoins, puis nous passerons immédiatement au deuxième groupe de témoins.

Nous recevons des représentants de deux sociétés qui offrent des services de géolocalisation. La première compagnie est SafeTracks GPS Canada Inc., représentée par son président, M. Vince Morelli.

Monsieur Morelli, vous avez la parole.

[Traduction]

Le président suppléant : Monsieur Morelli, vous disposez de cinq minutes.

Vince Morelli, président, SafeTracks GPS Canada Inc. : Bonjour. Je m’appelle Vince Morelli et suis président de SafeTracks GPS Canada Inc., une entreprise située à Red Deer, en Alberta.

Puisque nous sommes en pleine semaine nationale des Métis au Canada, je précise que SafeTracks est située sur le territoire visé par le Traité no 6. SafeTracks a le privilège d’être une entreprise autochtone accréditée.

Nous sommes très honorés de faire partie de ce programme et avons hâte de répondre à toutes vos questions [Difficultés techniques].

Le président suppléant : Je suis vraiment désolé, messieurs Marshall et Morelli. Comme je l’ai dit d’emblée, nous avions prévu de nous entretenir avec vous jusqu’à 12 h 10, ce qui nous laisse actuellement 25 minutes. Accepteriez-vous de comparaître plutôt la semaine prochaine? Nous aurions ainsi une heure complète en votre compagnie. Vous pourriez prendre cinq minutes chacun pour présenter votre point de vue avant de répondre à des questions. Aujourd’hui, nous vous bousculerions. Je ne sais pas si vous pouvez vous libérer, mais la prochaine réunion est mercredi, à 16 h 15. Est-ce que cela vous convient?

M. Morelli : Oui, monsieur.

Peter Marshall, chef de la direction et directeur juridique, Recovery Science Corporation : Oui, je vais me libérer.

Le président suppléant : Je vous en remercie. Je suis vraiment désolé. Je n’assume pas la présidence souvent. Ce n’est pas ma faute si tout s’effondre de la sorte. Je ne veux pas jeter le blâme sur qui que ce soit, mais nous avons un malencontreux problème technique le jour même où nous tentons de réduire le temps consacré aux groupes de témoins. Je suis tout à fait conscient que vous avez dû vous libérer tous les deux ce matin. Veuillez m’excuser une fois de plus, et au plaisir de vous voir la semaine prochaine.

[Français]

Le président suppléant : Pour ceux qui nous écoutent, nous nous excusons pour le problème technique. Nous allons passer maintenant au deuxième groupe de témoins.

Nous accueillons aujourd’hui Mme Martine Jeanson, Mme Khaoula Grissa et Mme Dayane Williams.

[Traduction]

Merci d’être là. Je sais que vous vous êtes déplacées pour être des nôtres ce matin. Merci d’avoir fait le voyage et d’être arrivées plus tôt que prévu. Notre premier groupe de témoins, malheureusement, a dû être repoussé à la semaine prochaine, donc nous allons commencer par vous. Nous serons ici pendant encore une heure. La procédure veut que vous ayez chacune cinq minutes pour faire votre déclaration, puis que les membres du comité vous posent des questions.

Avant de commencer, je prierais les membres du comité de se présenter.

La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan, qui a accueilli la coupe Grey en fin de semaine.

Le sénateur Cotter : Sénateur Brent Cotter, de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Marty Klyne, un sénateur de la Saskatchewan et du territoire visé par le Traité no 4.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Sénatrice Dupuis, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.

Le président suppléant : Pierre J. Dalphond, du Québec; je préside exceptionnellement la réunion ce matin, la présidente étant incapable d’être avec nous.

Nous allons commencer par vous, madame Jeanson.

Martine Jeanson, à titre personnel : Bonjour à tous.

Je me présente : je suis Martine Jeanson, ex-victime de violence conjugale, fondatrice de la Maison des guerrières et intervenante en violence conjugale et familiale.

Aujourd’hui, je ne vous raconte pas seulement mon histoire, mais aussi celle de Cindy Gosselin battue à coups de marteau sur la tête, de Marianne, étranglée et violée par son conjoint, et de Josiane Boucher, victime d’un traumatisme crânien après avoir été battue, ou encore de Louise, dont l’ex-conjoint avait à son actif 28 non-respects de conditions.

En 1992, victime de violence conjugale, enceinte de cinq mois et refusant de me faire avorter, j’ai eu droit à un viol collectif qui m’a laissée pour morte. J’avais tenté à plusieurs reprises de quitter mon conjoint et d’appeler la police un nombre incalculable de fois. Toutefois, peu importe où j’allais, il me retrouvait toujours. À ce jour, cet homme compte sept autres victimes, à part moi.

Malgré les interdictions d’entrer en contact avec moi, il continuait de revenir dans ma vie allant même jusqu’à blesser ma fille. Les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale existent, mais pendant combien d’années encore devrons-nous cacher des femmes au lieu de travailler directement à la source du problème, qui est l’homme violent?

Je remercie les maisons d’hébergement qui viennent en aide aux femmes violentées. Toutefois, cela demeure une solution temporaire, car les femmes y demeurent un, deux ou trois mois et, à leur sortie, malheureusement, les hommes violents sont toujours là. Ils reviennent vers leurs victimes avec plus de violence et plus de colère, puisqu’ils ont complètement perdu le contrôle sur leurs victimes.

Nous, les femmes, devons vivre traquées, harcelées, épiées et poursuivies par ces hommes, peu importe où nous allons. Cette situation ressemble à un acte de terrorisme. Chaque matin en nous levant, nous nous demandons si ce ne sera pas la fameuse journée où il viendra nous assassiner. Pourquoi continuons-nous de construire des maisons pour femmes victimes de violence conjugale pour simplement les cacher? Il serait plutôt sage de bâtir des centres de thérapie pour hommes violents afin qu’ils soient entourés d’experts en violence pour les aider à corriger, voire régler leurs problèmes de violence, car la violence de ces hommes diminue rarement.

L’homme violent perd complètement le contrôle de lui-même lorsqu’il n’a plus accès à sa victime. La source du problème est la violence commise par l’homme. C’est à ce moment-là que le système de justice devrait agir.

Les bracelets électroniques seraient également un outil à mettre en place pour protéger les femmes et leur permettre d’être averties de la venue de leur agresseur près de leur domicile pour qu’elles puissent se cacher avant son arrivée. Cet outil permettrait aussi de prévenir les policiers.

Le bracelet électronique m’aurait permis d’être protégée de cette tentative de meurtre par mon ancien conjoint. Actuellement, il est impossible de se protéger adéquatement de nos anciens conjoints violents, car nous ne sommes pas prévenues de leur présence. Les victimes n’osent plus dénoncer leur agresseur. Elles ne font plus confiance au système de justice, car elles ne se sentent pas protégées. Lorsque nous dénonçons les abuseurs et que nous ne sommes pas protégées, nous mettons encore plus nos vies en danger.

Les victimes préfèrent encaisser les coups pour rester en vie même si elles risquent d’être assassinées.

Merci.

Le président suppléant : Merci, madame Jeanson. Merci beaucoup.

Madame Grissa, vous avez la parole.

Khaoula Grissa, à titre personnel : Bonjour à tous.

Je m’appelle Khaoula Grissa, je suis une ex-victime de violence conjugale et une survivante.

En 2016, je me suis mariée à la suite d’une véritable histoire d’amour. Je pensais que mon rêve de trouver mon prince charmant venait de se réaliser. Trois ans plus tard, en 2019, j’ai été victime d’un acte criminel. Vous devez comprendre que la violence conjugale frappe à toutes les portes.

Un jour, une procureure m’a dit qu’il me fallait déménager. Ma réponse a été « non ». Non, parce que j’avais déjà fait l’impossible. J’ai été hébergée dans une maison pour femmes victimes de violence conjugale. Puis, j’ai changé d’appartement, de modèle et de couleur d’auto, selon mes moyens, j’ai fait couper mes cheveux et les ai fait teindre et j’ai changé mes lunettes. En l’espace d’un mois, ma fille avait fréquenté cinq garderies différentes. Mon employeur a pris tous les moyens nécessaires pour me protéger. On avait établi tout un scénario pour me rendre à ma voiture en toute sécurité.

J’ai dit à madame la procureure que, cette fois-ci, c’était au système de justice de me protéger. J’avais déjà fait une vingtaine de signalements aux policiers et, malgré tous mes efforts, cela n’a pas empêché le pire d’arriver. Mon ex-conjoint s’était caché dans ma garde-robe pour tenter de m’enlever la vie ainsi que celle de ma fille. J’ai été violée et séquestrée et, par la suite, il s’est enlevé la vie dans ma chambre, devant mes propres yeux.

Quand je regarde ma blessure au poignet gauche, je revois l’ambulancier qui m’a secourue. Il avait les yeux pleins d’eau, et je regardais le policier en pleurant alors qu’il fuyait mon regard. J’ai pensé souvent à leur quotidien : sont-ils toujours aussi envahis par l’impuissance qui les habite lorsque de telles tragédies se produisent?

J’ai vécu cinq semaines dans une maison d’hébergement et j’ai vu des femmes de toutes les classes sociales. D’ailleurs, je relance une invitation au premier ministre du Québec, M. Legault, au premier ministre du Canada, M. Trudeau, et à tous les autres premiers ministres des neuf autres provinces, pour qu’ils aillent visiter ces femmes dans une maison d’hébergement et qu’ils soient auprès d’elles pendant 24 heures. Ils vont vivre avec elles et ils verront comment elles ont peur. Ils vont comprendre. Quelqu’un qui n’a pas vécu la violence conjugale ne peut pas comprendre.

Pourquoi toutes ces femmes et tous ces enfants doivent-ils fuir leur demeure pour pouvoir se protéger? Encore en 2022, au Canada, malheureusement, l’endroit le plus dangereux pour ces femmes et ces enfants est leur maison, comme c’était le cas pour moi. Ma fille, qui n’a que cinq ans, ne verra jamais son père. Suis-je outillée pour affronter cette épreuve et pour affronter l’avenir?

Son père avait manifestement besoin d’aide. Comme le coroner l’a mentionné dans son rapport, les policiers, les intervenants, les agents de probation et tous les autres intervenants ne connaissaient pas tout le contexte pour venir en aide à mon ex-conjoint à accepter la séparation et reprendre sa vie en main.

Ma tragédie se répète plus souvent qu’on l’imagine, avec de nouveaux auteurs, dans différents lieux, mais toujours avec le même motif. La violence conjugale et la violence familiale sont un problème réel. Ce n’est pas une simple chicane de couple. C’est un fléau social. Comme société, nous devons savoir protéger et éduquer les enfants au sujet de la violence conjugale, parce qu’elle existe.

Faisons en sorte que chaque femme puisse fuir la violence et vivre en sécurité et en paix avec ses enfants. Redonnons l’espoir à celles qui l’ont perdu. Ne tolérons plus la violence faite aux femmes et aux enfants, car ce sont eux qui représentent notre avenir et notre relève.

Je tiens à vous dire également que j’avais fait des signalements aux policiers plusieurs fois. J’ai dû déménager. J’habitais dans un gros bâtiment avec un grand garage et, chaque jour, ma fille, qui avait deux ans à l’époque, me disait : « Je n’ai jamais pensé que papa était là. Comment il va rentrer, comment il va savoir ».

Mon ex-conjoint me suivait constamment. Il a su où j’habitais et s’il avait porté le bracelet électronique, il ne se serait pas caché chez moi dans ma garde-robe. Il n’aurait pas pu me suivre et se retrouver dans mon garage. Lorsque j’ai été séquestrée pendant deux heures et demie, il m’a avoué qu’il me suivait tout le temps, qu’il savait tout à propos de mon déménagement. Il était au courant de tout. Malgré tous les signalements que j’ai faits aux policiers, il s’est retrouvé chez moi, dans ma garde‑robe.

J’espère que vous allez prendre en considération mon témoignage pour pouvoir aider plein de femmes et plein d’enfants.

Merci.

Le président suppléant : Merci beaucoup, madame Grissa.

Madame Williams, vous avez la parole.

Dayane Williams, à titre personnel : Bonjour et merci.

Je m’appelle Dayane Williams et j’ai vécu une situation de violence conjugale avec un citoyen algérien. L’accusé a été arrêté par la police de Montréal et a été remis en liberté sous conditions, et il n’a pas respecté cette ordonnance. J’ai dû déménager avec mes enfants. Cette personne a menacé d’enlever la vie à mes enfants pour se venger.

J’ai également été victime d’une agression sexuelle, ce qui a chamboulé ma vie. Je suis actuellement suivie par un psychologue pour me sortir d’un choc post-traumatique que j’ai vécu. Si mon ex-conjoint avait porté un bracelet électronique, la police aurait été alertée à la seconde où il se serait approché de ma résidence pour me violer.

D’après mes recherches, j’ai appris que le bracelet électronique peut être configuré afin que la police soit alertée dès qu’un accusé se trouve dans une zone interdite. Je suis dans une situation d’insécurité, car l’accusé est en liberté et il peut arriver chez moi à tout moment. Je vis avec un problème d’anxiété généralisée, car le système ne me protège pas.

Je demande au gouvernement d’agir; c’est la moindre des choses, surtout dans un pays libre comme le Canada. En toute honnêteté, je n’ai pas de liberté en ce moment. Je ne sors plus par peur de me faire agresser.

Je pense que le système de justice a des limites. On ne peut pas lire l’intention des gens ni les arrêter lorsqu’ils se préparent à commettre un acte criminel. Ni les policiers, ni le système, ni la victime ne peuvent savoir ce qui se passe d’avance.

Voilà la raison pour laquelle le bracelet électronique a une telle importance. Il n’est pas normal que je doive rester enfermée chez moi, alors que lui se balade dehors comme si rien ne s’était passé. J’ai pleuré et je me suis dit que si c’est le cas, alors je dois penser à déménager dans un autre pays qui assure ma sécurité. Je n’ai pas confiance en notre système de justice.

Merci d’écouter mon témoignage.

Le président suppléant : Merci beaucoup.

Mme Williams : Ce que je me dis, c’est que si lui avait le bracelet électronique, moi, j’aurais déjà appelé la police puis il aurait déjà été arrêté, mais il ne respectait pas les conditions. On l’a averti et on lui a dit qu’il ne fallait pas qu’il s’approche de mon domicile. Il avait des conditions à respecter. Chez moi, il y a eu quelqu’un qui a sonné à ma porte. J’ai juste ouvert, car je pensais que c’était ma fille qui revenait de l’école, mais c’était lui. Je ne pouvais pas appeler la police, je ne pouvais rien faire, j’ai vécu le viol.

Cependant, s’il avait porté le bracelet électronique, ça m’aurait protégée. Encore là, c’est lui qui se balade en liberté, il se balade partout. Je n’ai plus de vie, je ne vais plus au gym, je ne fais plus rien, je reste tout le temps enfermée chez moi, parce qu’il m’attaque dans la rue. Je ne sais même pas quand il va m’attaquer dans la rue; je suis inquiète. Cependant, s’il porte le bracelet, c’est sûr que moi, je pourrai retrouver ma liberté.

Le président suppléant : Merci beaucoup, madame Williams.

Nous allons passer maintenant à ce que nous appelons la période de questions. Chaque collègue aura cinq minutes pour pouvoir vous poser des questions et vous inviter à y répondre.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Merci à vous trois de partager vos histoires et de militer en faveur de dimensions importantes de ce projet de loi.

J’ai travaillé à un bureau d’aide juridique universitaire, à Halifax, bureau que j’ai d’ailleurs dirigé pendant un certain temps. Mon travail consistait entre autres à me rendre dans des refuges pour aller fournir des conseils juridiques aux femmes. Il fallait leur bander les yeux pour les mener là parce que l’on souhaitait garder secret l’endroit de l’hébergement de première et de deuxième étape pour les femmes et les enfants. Nous procédions ainsi et c’était correct, mais j’avais l’impression, et c’est ce qui ressort de ce dialogue, que nous demandons aux victimes de se cacher, mais pas aux agresseurs réels ou potentiels. C’est comme si nous faisions les choses à l’envers. Ainsi, je suis fortement en faveur de ce qui peut être accompli grâce à ce texte législatif.

La difficulté réside dans la façon dont nous pouvons limiter les libertés des agresseurs réels et potentiels de façon à respecter les exigences légales légitimes tout en assurant la liberté et la sécurité des victimes de ce genre de violence entre partenaires intimes. Croyez-vous qu’il soit ici possible de rompre la quadrature du cercle, de votre point de vue, pas forcément grâce à des termes juridiques miraculeux, mais bien d’après votre interprétation du projet de loi?

Aussi, nous avons entendu des témoignages sur l’imperfection des bracelets électroniques. D’un point de vue que l’on pourrait presque qualifier de psychologique, l’ampleur de l’apaisement qui découlera de l’adoption du recours aux bracelets de surveillance à distance m’intéresse, puisque vous vivez probablement dans l’angoisse à chaque instant de votre vie.

Cette question s’adresse à chacune d’entre vous.

[Français]

Mme Jeanson : Je travaille comme intervenante et présentement, comme vous dites, on cache les femmes dans des centres.

Savez-vous qu’il y a aussi beaucoup d’hommes qui demandent de l’aide? Il y a une différence entre un pervers narcissique et un homme impulsif.

Je donne des ateliers à des hommes impulsifs et on voit le changement chez ces hommes; il est possible. Ce sont des hommes qui ont du vécu, qui ont des blessures et qui ont des réactions inadéquates. Cependant, ils n’ont pas les outils, ils ne savent pas comment changer ce comportement. Ça prend des gens spécialisés pour leur apprendre à changer ces comportements. On le voit. Je travaille avec des hommes violents et on a de belles réussites quand il s’agit de changer ces hommes-là.

Comme je le disais tantôt, pendant que la femme est dans une maison pour femmes, les comportements violents de l’homme restent les mêmes, ou au contraire, ils ne restent pas les mêmes; ils augmentent de plus en plus.

Le gouvernement investit beaucoup dans les maisons de femmes, il investit de l’argent et il ouvre toujours plus de maisons de femmes, car il y a de plus en plus de violence envers les femmes. Pourquoi ne pas ouvrir des maisons de thérapie pour les hommes? Il existe des thérapies pour la consommation, il y a des thérapies pour plein de choses. Il faut qu’il y ait des thérapies pour les hommes violents. Le juge peut donner une ordonnance et demander à ce que cet homme soit suivi, comme pour une personne qui consomme, le juge le fait déjà, il dit déjà à ces hommes qu’ils doivent aller trois mois, six mois en thérapie. On peut faire la même chose. Il y a déjà des endroits, il y a déjà des bâtiments pour envoyer ces hommes.

Vous savez que lorsqu’on est à la cour, c’est la victime contre l’abuseur. On n’a personne pour venir avec nous, nommer la dangerosité de cet homme. Si cet homme était en thérapie, était vu par des experts, on aurait des experts pour venir dire que cet homme s’engage, que ses comportements changent, ou pour dire non, cet homme-là est dangereux, il risque de tuer la femme, parce que les experts connaîtraient ses comportements. Je vous le dis, la solution, dans tous les cas, c’est que ces hommes reçoivent des soins.

En matière de violence conjugale, n’oubliez pas que les enfants en sont témoins. Pour beaucoup d’entre eux, les schémas se reproduisent, ils deviennent violents. Cependant, il n’y a aucune aide. Ce n’est pas à raison d’une journée par semaine ou d’une petite rencontre d’une heure que ces hommes vont changer. Ils ont besoin d’être vus, encadrés, de voir toutes les sautes d’humeur de haut en bas. Je vous le dis, je le fais, il y a une possibilité d’aider ces hommes et d’arrêter plus que les trois quarts des féminicides.

Quand un homme tue et qu’il se tue après, c’est qu’il est souffrant; il a besoin d’aide. Comme c’est arrivé, il s’est pendu. Il avait besoin d’aide. Si on leur avait donné de l’aide, ces hommes ne tueraient pas les enfants et ne se tueraient pas après, ne tueraient pas leurs femmes et ne se tueraient pas après. S’ils avaient eu de l’aide, tout cela aurait pu être évité.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Merci à vous toutes d’être ici. Il faut une bonne dose de courage, et vous vous exposez ainsi à toutes sortes de difficultés.

[Français]

Je m’excuse, je suis née au Québec, mais je ne suis pas bilingue.

[Traduction]

Pendant de nombreuses années, j’ai travaillé avec des femmes et marché avec elles. Dans ma propre famille, j’ai été témoin de ce type de violence que chacune de vous décrivez, ce qui comprend malheureusement un meurtre. Vous êtes peut-être au courant de ce que j’ai dit, car je crois que vous étiez à la Chambre quand nous y discutions de ce projet de loi.

J’ai aussi travaillé avec des hommes violents. J’ai arrêté de travailler auprès de détenus en partie parce que beaucoup des comportements dont vous parlez étaient renforcés par la société en général et par bon nombre des personnes qui travaillent auprès de ces hommes. Les hommes qui essayaient concrètement de changer avaient rarement le soutien pour ce faire. Ils étaient diminués parce qu’ils essayaient de régler ces problèmes. J’ai aussi travaillé avec des personnes qui ont fait l’objet de surveillance à distance et je sais que ce n’est pas très fiable. Je sais que, bien souvent, le fait que les femmes ne soient pas prises au sérieux constitue le nœud du problème. La police ne vient pas quand on l’appelle. Elles ne sont pas protégées. Comme nous venons de le voir dans une enquête du coroner sur le décès de trois femmes ici, en Ontario, même si les hommes doivent suivre un traitement, s’ils ne le font pas, la réaction se résume à peu de chose, quand il y en a une. J’ai aussi travaillé auprès de femmes emprisonnées parce qu’elles avaient réagi à la violence de menaces à leur égard et qu’elles ont fait usage de la force, parce que, dans un affrontement corps à corps, comme vous le savez, beaucoup d’entre elles seraient mortes.

La création d’un faux sentiment de sécurité, d’abord, qui donne l’impression qu’on résoudra ainsi le problème, est l’une des choses qui m’inquiètent par rapport à ce projet de loi. La possibilité de recourir à ce genre de mesures existe déjà dans la loi, et le fait qu’un nouveau projet de loi soit déposé quand cette mesure existe déjà m’indique que le problème n’est pas tant l’absence d’une loi, mais bien la réaction du système. Ensuite, quand on a recours à la majorité de ce type de mesures, qu’il s’agisse de la mise en accusation obligatoire pour les hommes ou la surveillance, elles sont finalement employées contre les femmes qui tentent de fuir la violence.

C’est peut-être tout ce qui est proposé, mais je vous entends de façon nette et précise, madame Jeanson, j’entends chacune de vous parler de votre désir de sécurité. Beaucoup de femmes avec qui je travaille aspirent à la sécurité économique, elles veulent que la police vienne quand on l’appelle et que le système réagisse. Outre ce qui figure dans le projet de loi, sur quoi devrions-nous continuer de travailler selon vous? Puisque nous sommes au service de la population, il est de notre devoir de poursuivre notre travail là-dessus. Sur quoi devons-nous travailler?

[Français]

Mme Jeanson : Honnêtement, il n’y a rien d’autre à proposer parce que la police, on l’appelle déjà, l’homme est arrêté et relâché, et il revient vers nous. On va dans une maison de femmes, on perd nos emplois; vous parlez d’économie, c’est nous qui nous cachons. Nous perdons notre emploi, nous perdons notre maison, nos enfants et nos animaux; on perd tout. Le côté économique, on ne l’a pas plus. Si on pouvait rester dehors, on aurait le côté économique. Si l’homme n’était pas là, on pourrait garder notre emploi, on pourrait continuer à vivre. La police est déjà appelée. Vous avez dit qu’on ne se sentirait pas en sécurité. Présentement, ce n’est pas juste qu’on ne se sent pas en sécurité, on n’est pas en sécurité.

Peut-être que le bracelet ne serait pas parfait, mais ce qu’il pourrait nous donner pourrait sauver beaucoup de vies. Les bracelets ne sont pas juste défectueux, déjà là, il y aurait des vies qui seraient sauvées. On ne se fie pas juste là-dessus, mais présentement, on ne peut se fier sur rien. On ne le voit pas venir tandis que là, on aurait une chance, quelle que soit la petite chance que vous allez nous donner, mais on a une chance de les voir arriver. Si j’avais eu le bracelet, ça ne serait pas arrivé, quelles que soient les chances qu’il ait fonctionné. Je ne l’ai pas vu arriver, j’ai subi un viol collectif et j’ai été retrouvée comme morte, et peut-être que s’il y avait eu ce bracelet, ce ne serait pas arrivé. Quelles que soient les chances ou la probabilité que ce soit meilleur avec la technologie, ça pourrait sauver beaucoup de vies.

Mme Williams : Des fois, on appelle la police et elle n’arrive pas à comprendre l’idée de l’homme ou de la personne violente. Quand j’avais appelé, il avait été arrêté, mais la deuxième fois, quand il est venu avec l’idée de me violer, personne ne le savait, il n’y avait que lui. Moi non plus, je ne le savais pas. Des fois, il y a des hommes qui arrivent et la police arrive, mais c’est trop tard. C’est comme ce qui est arrivé aux deux enfants, le garçon et la fille qui ont été tués à Laval par leur papa. Ces enfants étaient amis avec ma fille. Ils avaient déjà dit que leur père était dangereux, mais quand la police est arrivée, ils étaient déjà noyés dans le bain. S’il y avait eu un bracelet électronique pour avertir de la présence de l’homme, on ne peut pas le savoir, l’idée, elle est dans la tête, il n’y a personne qui peut le savoir, même la police elle-même, elle n’est pas en mesure de le savoir ils se préparent à quoi. Si on lui impose une interdiction de contact et qu’il ne la respecte pas, le bracelet sonne et on peut le programmer, donc on est plus en sécurité et rassuré. Il va sonner et ensuite, l’homme va être arrêté et après, ce qu’il voulait faire, ce sera à lui à régler ça avec la police, qui fera son enquête. Au moins, ça va éviter l’action et ça va quand même protéger.

Mme Grissa : J’ajouterais, comme l’a dit Mme Jeanson, que si on ne l’essaie pas, on ne pourra pas le savoir, qu’il soit défectueux ou pas. Il faut toujours commencer par l’essayer pour pouvoir l’améliorer. Dans ma situation, il n’y aurait pas mieux que ça pour le décrire : s’il avait eu le bracelet électronique, il ne se serait pas caché dans ma garde-robe. La veille, il avait visité sa fille pour la première fois depuis six mois. C’était une visite supervisée chez mon meilleur ami qui est médecin et il m’a dit que s’il détectait des signes de détresse psychologique, il appellerait la police. Il a joué le jeu jusqu’à la fin. Il étudie sa victime et la connaît bien. Il connaît mes nouvelles habitudes.

J’étais dans un nouvel appartement après mon hébergement dans une maison de femmes. Lui, pendant la nuit, il a réussi à entrer dans l’immeuble où j’habitais et il est resté caché toute la nuit dans la cage d’escalier. Le matin, je suis descendue dans mon garage et j’avais laissé la porte ouverte. Quand je suis rentrée chez moi, je suis restée 20 minutes dans le salon et je suis allée chercher quelque chose dans ma chambre. Il est sorti avec un couteau de ma garde-robe. S’il avait eu un bracelet électronique, même s’il avait été défectueux à moitié, il aurait pu me sauver de ce traumatisme.

Aujourd’hui presque trois ans après, je ne sors jamais la nuit, je dors seulement avec l’aide de médicaments. J’essaie d’être fonctionnelle, je travaille, je continue et je veux rester debout pour ma fille et lui donner de bonnes valeurs. Elle me donne aussi la force de continuer, mais elle a quand même perdu son père. Je ne sais pas comment je vais vivre avec ça à l’avenir, quelle explication je vais lui donner. On n’est pas rendu là, mais là où je suis rendue, je ne descends jamais dans mon garage après être montée chez moi. Si j’ai oublié du lait ou quelque chose, je me le fais livrer. Je ne vais jamais ressortir.

Il n’est plus là depuis trois ans, il est enterré et je ne me sens pas plus en sécurité, parce que j’ai vécu ce traumatisme. Je suis suivie par une équipe de psychologues avec ma fille, qui vit aussi beaucoup d’insécurité. Il y a beaucoup de facteurs qui peuvent entrer en ligne de compte, mais c’est un outil à utiliser parmi d’autres.

On doit parler de la violence conjugale et briser les tabous. Mon ex-mari, il a vécu dans la violence, l’intimidation et le racisme. Moi, je suis immigrante et lui Québécois, mais il a vécu toutes ces expériences qui ont fait de lui un homme violent. On doit éduquer nos enfants pour qu’ils sachent que la violence existe et que ce n’est pas un tabou, qu’on doit en parler. Oui, le bracelet électronique aurait pu me sauver de ce tout ce traumatisme et il aurait aussi pu le sauver, lui.

Peut-être qu’il aurait pu aller en thérapie, parce que quand il est sorti de prison, c’était la période des Fêtes, il est sorti le 26 novembre et le 15 décembre, il a commis un acte criminel. Il a dit à son agent de probation qu’il voulait passer Noël avec sa famille, avec sa femme et sa fille. C’est un message très alarmant parce que mon ex-conjoint, il n’a pas compris et il n’a pas accepté la séparation. Les policiers n’ont rien fait parce que pour eux, ce n’était pas un non-respect de condition de dire ça. Pourtant, il avait écrit en gros dans son Facebook qu’il voulait passer Noël avec sa femme et sa fille. Pour moi, c’est un message très alarmant, mais pas pour les policiers, malheureusement. Ma réponse est oui, s’il avait eu un bracelet, je n’en serais pas là aujourd’hui.

Le président suppléant : Merci, madame Grissa.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci énormément à vous toutes d’être ici. Je suis désolée de ne pas pouvoir m’adresser à vous dans votre langue, puisque je n’ai pas vraiment eu l’occasion de m’exercer durant la pandémie. Je tiens à vous remercier pour les histoires fort touchantes que vous nous avez transmises aujourd’hui à propos d’expériences marquantes que vous avez vécues. Vous êtes si courageuses. J’espère que vous savez que, par votre présence aujourd’hui, par le courage dont vous faites preuve, vous aidez ainsi de nombreuses femmes et leur montrez que, même si elles ont vécu cette terrible violence familiale, elles peuvent aussi avoir le courage de demander de l’aide, de partir et de trouver un endroit sûr, pour éventuellement transmettre ce vécu fort tragique afin d’aider d’autres personnes.

Madame Jeanson, je comprends que vous accompagnez tous les jours des femmes victimes de violence familiale dans le processus judiciaire, bien que vous ayez vous-même vécu ce genre de tragédie. Vous avez déclaré aujourd’hui qu’il y a eu de merveilleuses histoires de réussite dont vous avez été témoin, où certains de ces hommes qui étaient autrefois si violents ont pu trouver de l’aide. Ce sont de merveilleuses histoires de réussite. Je trouve que c’est tellement une histoire remplie d’espoir. Je me demande si vous pourriez nous en dire plus là-dessus.

Aussi, dans le projet de loi du sénateur Boisvenu, il y a une condition selon laquelle le tribunal peut imposer une thérapie à une personne assujettie à une ordonnance relative à l’article 810, ce qui réduirait les risques de récidive chez certains hommes violents. Qu’en pensez-vous? Peut-être pourriez-vous nous expliquer un peu plus de quelle façon vous croyez qu’il est possible de réhabiliter ces hommes violents?

[Français]

Mme Jeanson : Je crois que oui, autant que pour celle des femmes. Je reconstruis des femmes. Je ne fais pas que les accompagner en cour. Je reconstruis des femmes et des enfants victimes de violence conjugale. Je crois aussi que c’est possible pour les hommes.

Plus tôt, la sénatrice Pate a dit qu’il n’y avait pas de succès en prison. On ne parle pas de thérapie en prison, présentement. Dans le système carcéral, les hommes sont avec des hommes. Ils suivent une thérapie pour ensuite être remis dans des situations de violence. Ce n’est pas ainsi qu’on change les hommes : tu lui donnes une heure de thérapie pour ensuite le réinsérer parmi des hommes violents. Le conditionnement doit se faire.

Quand nous travaillons avec eux, nous faisons les suivis. Nous voyons tous les hauts et les bas, et cela se déroule dans le moment présent. L’homme nous dira qu’il se sent d’une certaine façon, qu’il n’a pas de nouvelles de sa femme, par exemple. Immédiatement, nous sommes avec eux et nous rattrapons la balle au bond — comment se sent-il, comment voit-il la chose? On lui donne alors des outils, comme des exercices de respiration ou on lui suggère d’aller marcher. Il existe plein de façons d’apprendre à l’homme à se contrôler. Nous travaillons avec eux tous les jours. On ne saute pas une seule journée. C’est tous les jours que l’on doit aider l’homme. On l’accompagne et, de jour en jour, on voit les exercices. Ils ne peuvent pas changer en une seule journée. On les voit appliquer le comportement et alors ils développent une certaine fierté.

En réalité, ces hommes n’ont pas de fierté. Ils n’ont pas d’estime d’eux-mêmes. C’est ce qui fait qu’ils perdent le contrôle. Quand on les aide à se rebâtir de l’intérieur, ils acquièrent de la fierté. Ils apprennent à s’occuper d’eux plutôt que de se préoccuper de leur conjointe, à savoir où elle se trouve et ce qu’elle fait.

Nous avons même réussi à sauver des couples. Il s’agissait d’hommes violents, mais qui n’ont pas explosé ni ne sont allés plus loin. Toutes les femmes avec qui j’ai travaillé qui sont allées en maison pour les femmes y sont retournées à plus d’une reprise à cause de ces hommes, soit parce qu’elles avaient peur ou parce qu’elles ne s’étaient pas reconstruites. Nous devons profiter de cette chance qu’on a d’aider ces hommes. S’ils n’ont pas d’outils, la violence ne fait qu’augmenter. Un jour ou l’autre, si ce n’est pas l’une, ce sera l’autre victime qui écopera.

En regardant dans le dossier de ces hommes et leur plumitif, on voit qu’en majorité, ils ont fait plus d’une victime. Même si qu’on cache la première victime, il y en aura une autre, car le comportement de ces hommes n’a pas changé. Il y aura alors une deuxième et une troisième victime. Si nous ne leur donnons pas d’outils, personne ne le fera et les féminicides se poursuivront.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Madame Williams, vous avez fait un commentaire très avisé quand vous avez dit : « Si mon ex-conjoint porte le bracelet, [...] je vais retrouver ma liberté. » Vous avez été nombreuses à souligner le fait que les femmes sont cachées dans des refuges comme si c’étaient elles qui devaient avoir honte, alors que ce n’est pas le cas. Ce sont les victimes. Ce sont de ces agresseurs dont nous devons nous occuper adéquatement. Je voulais vous entendre, madame Williams. Croyez-vous que le port d’un dispositif de surveillance à distance tel que proposé dans le projet de loi du sénateur Boisvenu vous aurait aidée à éviter cette tragédie et qu’il contribuerait à protéger d’autres femmes qui sont victimes de violence familiale?

[Français]

Mme Williams : S’il portait le bracelet, oui, je pourrais aller au gymnase et avoir ma liberté. Or, s’il m’attaque dans la rue, je me cache à plusieurs reprises, j’appelle au 911 et je n’ai pas cette liberté. Si mon ex-conjoint porte le bracelet, cela va faire diminuer mon anxiété et je vais retrouver ma liberté. Je suis des séances de thérapie et on me dit qu’il faut aller marcher, aller au gymnase, que je ne peux pas rester enfermée. Je pense toujours à la possibilité qu’il m’attaque pendant que je me trouve avec mes enfants. S’il décide de m’enlever la vie, je ne suis pas en sécurité.

S’il porte le bracelet et qu’il s’approche de l’endroit où je me trouve, avant que j’appelle au 911, la police sera déjà sur place. Le bracelet les alertera. Alors qu’il a commis un acte criminel, voilà qu’il se balade comme s’il n’avait rien fait, et c’est moi qui dois me cacher chez moi. Il est donc, pour l’instant, gagnant : lui a sa liberté et moi je ne l’ai pas. Je n’ai pas cette liberté.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Je remercie nos témoins de leur présence. Je tiens à réitérer ce que ma collègue a déclaré un peu plus tôt à propos de votre présence ici et du courage que cela demande. C’est très important, et nous vous sommes extrêmement reconnaissants de partager vos histoires avec nous. Elles viennent mettre l’accent sur les préoccupations et l’importance de tout cela. J’ai deux ou trois questions et je vous invite toutes à y répondre, si vous le souhaitez.

J’ai l’impression que vous serez d’accord pour dire que le bracelet électronique porté à la cheville suffirait à donner un sentiment de sécurité aux victimes de violence familiale et à leurs proches. Je dis cela parce que certains affirment qu’il améliore la probabilité, si vous voulez, mais aussi qu’il contribue à diminuer l’anxiété. Je pose la question parce que la surveillance GPS n’empêche pas concrètement un prévenu d’entrer quelque part. Elle alerte la police, sans plus. Ce que j’entends, c’est que la police ne répond pas toujours sur‑le‑champ et que, parfois, elle ne prend même pas la situation au sérieux. Je me demande quelles sont vos préoccupations par rapport aux limites de la technologie et si quelque chose devrait être ajouté. Par exemple, quand on porte ce bracelet et qu’on entre dans votre espace, ce que vous pourriez juger votre zone de sécurité. Si le prévenu franchissait cette limite et que vous aviez un bouton de panique pour vous opposer à leur présence, il pourrait ainsi voir qu’il entre dans votre espace, qu’il y a panique et que c’est bien réel. Cela pourrait inciter davantage la police à intervenir avec un plus grand sentiment d’urgence.

Je me demande également si vous pensez que la police — on dirait presque qu’il faut une unité spéciale — bref si toute la police devrait recevoir une formation de sensibilisation à la gravité de cette situation de sorte que tout le monde saisisse bien que vous vous trouvez dans une situation sinistre.

[Français]

Mme Jeanson : Normalement, l’homme porte un bracelet et nous portons un bracelet. Disons que les policiers ne nous prennent pas au sérieux. Nous le prenons au sérieux. Cela nous permet de sortir, alors qu’on sait qu’il s’en vient. Si on est à notre travail, on ne sortira pas et on restera cachée. Ainsi, nous devons barricader notre maison avec des chaises. Cette femme qui s’est fait battre à coups de hache, elle a ouvert la porte et a reçu la hache sur la tête. Or, on n’ouvrirait pas la porte si on savait qu’il se trouve dans notre zone.

La possibilité d’ajouter un bouton de panique est bonne. Toutefois, nous devons être avisées, autant que les policiers. Cela nous permet d’aller chez le voisin, de crier à l’aide et de vraiment nous protéger. Nous devons nous protéger, en premier lieu, en attendant l’arrivée des policiers. Toutefois, nous ne sommes pas avisées du tout. S’il arrive ici, je ne le vois pas arriver. S’il arrive, je vais me dépêcher d’entrer dans le premier édifice et crier à l’aide. Or, en ce moment, je ne le vois pas arriver. Je ne sais pas qu’il est là.

Mme Grissa : Je suis tout à fait d’accord. Dans mon cas, il se trouvait caché dans ma garde-robe et je ne savais pas qu’il était chez moi. Je suis restée 30 minutes dans mon salon avant d’entrer dans la chambre et de voir qu’il était là.

Si j’avais été informée, je ne serais pas montée. Je serais sortie immédiatement pour aller chez le voisin, crier ou demander de l’aide. Je trouve l’idée excellente que les victimes aussi soient informées pour se protéger et protéger leurs enfants. Quand ce genre d’événement se produit, c’est vraiment un cauchemar.

Mme Williams : Je dirais la même chose. Les policiers m’ont rassurée. Ils m’ont dit qu’ils l’avaient arrêté et que maintenant, il avait des conditions à respecter, de ne pas m’inquiéter, que tout allait bien aller.

Toutefois, le jour où il est revenu, mon enfant revenait de l’école. J’étais en train de cuisiner. J’ai appuyé sur le bouton de l’interphone pour ouvrir la porte. Je n’ai pas de caméra et je ne peux rien faire. C’est un immeuble à logements. Même avec toute la technologie, je ne pouvais pas savoir qui avait sonné. Je croyais que c’était mon enfant, étant donné que c’était son heure. Par habitude, j’ai donc ouvert, pensant que c’était mon enfant qui arrivait. C’est lui qui est entré. Je ne pouvais pas appeler la police, il était déjà là.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Croyez-vous que l’obligation pour un juge de paix de vérifier auprès du poursuivant que le partenaire intime du prévenu a été consulté au sujet de ses besoins en matière de sécurité contribuera à assurer une certaine forme de consultation sur ce que vous pensez avoir besoin à cet égard pour vous sentir en sécurité?

[Français]

Mme Jeanson : Oui, parce qu’on n’est pas au courant des conditions présentement. Même avec le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) ou l’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), on n’est pas au courant. On sait qu’il y a eu un 810, une interdiction de nous approcher, mais c’est tout ce qu’on sait. C’est le policier ou la cour qui vont nous le dire, mais en tant que tel, on ne sait absolument rien. C’est important d’être avisées parce que nous sommes les victimes. On ne sait rien puis on part de la cour et on ne sait rien de plus qu’avant d’aller en cour. Ce n’est pas normal du tout, du tout.

Mme Grissa : Je suis tout à fait d’accord. Nous ne sommes pas considérées. C’est toujours la victime qui doit faire ses preuves, demander et voir ce qui se passe. On a une grosse responsabilité et une grosse charge. En plus, on doit fuir notre maison et il reste que notre maison est toujours l’endroit le plus dangereux.

Mme Williams : Je suis d’accord.

La sénatrice Dupuis : Merci, madame Jeanson, madame Grissa et madame Williams de vos témoignages. Ce qui est très frappant dans votre témoignage est que, jusqu’ici, on a présenté les bracelets électroniques comme un outil de contrôle ou de surveillance de l’agresseur, de l’homme violent, mais je pense que vous avez fait ressortir l’autre volet de cet outil, c’est-à-dire le besoin de sécurité et l’élément de sécurité que ce genre d’outils pourrait apporter aux femmes victimes. Est-ce que c’est un outil qui peut être mieux développé? Peut-être. Dans vos trois témoignages, le besoin de mettre en place des éléments qui assurent la sécurité des femmes me frappe.

Je veux faire le lien avec le tabou dont vous avez parlé, madame Grissa. C’est extrêmement important de le dire très clairement et vous l’avez fait. Lorsque Mme Jeanson dit qu’on a lancé un appel au premier ministre du Québec pour qu’il aille dans les refuges pour prendre le pouls de la peur et de l’insécurité que les femmes vivent, pensez-vous que, à part ces moyens mécaniques comme le bracelet électronique ou d’autres outils, il y a un travail à faire de la part des autorités?

Vous avez parlé du premier ministre du Québec et il y a d’autres premiers ministres, dont le premier ministre fédéral. Il y a une stratégie pour prévenir et contrer la violence fondée sur le sexe depuis 2017, mais je pense que vous soulevez une question très importante quant à lever le tabou et reconnaître le fait que la place des femmes dans le système judiciaire, à l’heure actuelle, quand elles sont victimes, ne leur donne pas la possibilité d’être informées, comme vous l’avez dit, madame Jeanson.

Ma question pour vous est la suivante : en dehors du bracelet électronique, y a-t-il des choses — vous avez cette expérience à titre d’intervenante — qui devraient s’ajouter à ce genre d’outil? Vous avez sûrement réfléchi à la question. Vous dites être intervenante et soutenir des femmes et des hommes. Est-ce que vos organismes devraient être partie prenante dans le processus judiciaire et engagés pour soutenir les femmes? Est-ce que les femmes devraient avoir recours à des programmes de soutien dans le processus judiciaire? Y a-t-il d’autres moyens? Si on vous donnait le choix des moyens à adopter, selon votre expérience, y a-t-il d’autres choses que vous imaginez qui devraient être mises en place?

Mme Jeanson : Je l’ai nommé à plusieurs reprises, mais c’est dans notre gros système : c’est la base de l’école, l’éducation, de bâtir l’estime de soi, au départ. C’est ce qu’on fait, justement avec les hommes, lorsqu’on est en réhabilitation.

Malgré les féminicides — les gens les voient tous à la télévision; on les voit et on voit les femmes décédées. Les gens sont au courant et, pourtant, cela ne s’arrête quand même pas. On a beau faire de l’éducation, mais on croit — le projet de loi n’a pas été proposé seulement par le sénateur. J’ai un groupe, on est plus de 150 femmes qui avons travaillé sur le projet. On se penchait sur tous les besoins pour dire de quoi on a besoin pour pouvoir — qu’est-ce qu’il nous faut pour rester en vie? Parce que chacune de nous a vécu l’expérience.

On est passées par le système. On est allées aux policiers et on a toutes crié à l’aide. On avait déjà toutes appelé les policiers. Dans le système, il y a une grosse faille pour nous, les victimes de violence conjugale. On a toutes travaillé ensemble pour dire ce que cela prendrait. On n’a pas sorti cela comme cela. On a travaillé et on a dit qu’il nous fallait quelque chose pour être avertie et pour que ces hommes aient de l’aide, et qu’on soit au courant des 810. On est vraiment tannées et à bout.

Aujourd’hui, en tant que survivantes, on regarde tout cela et on se demande quel respect le système a envers nous, même en tant que survivantes. On n’est rien. Merci, on est en vie aujourd’hui, mais le système nous a ignorées, abandonnées et laissé tomber. Chacune de nous sommes allées à la cour et, aujourd’hui, on se sent humiliées et incomprises. Ce n’est pas normal qu’on ait à supplier un gouvernement de nous protéger. Ce n’est pas normal. On n’arrête pas de vous dire que cela augmente. Aidez-nous et sauvez ces victimes. On ne sait plus comment vous le demander.

En tant que victimes, ce sont les outils. On a toutes travaillé ensemble et c’est nous qui parlions. Le sénateur Boisvenu s’occupe de la justice et de nous, mais il nous consultait vraiment en tant que femmes. Il n’est pas victime, aucun de vous ne l’êtes. C’est nous qui sommes passées dans le système. Vous êtes en haut et vous voyez la surface, mais on est toutes passées à travers toutes les étapes. On sait que ce sont de ces étapes dont on a besoin pour enrayer la plus grande partie du problème, jusqu’à ce que les choses deviennent de mieux en mieux, sans jamais être parfaites.

Mme Grissa : Au fond, j’aimerais ajouter — oui, le bracelet électronique et la réhabilitation des hommes — que la violence existe et qu’on doit en parler, dénoncer les agresseurs et surtout, qu’on ne doit pas juger.

Comme l’a dit Martine, cela commence dans les écoles. Je suis personnellement enseignante et j’avais demandé à la direction de mettre des affiches de SOS violence conjugale, des numéros et des vidéos de la maison La Dauphinelle, où je suis allée. La direction l’a fait pour briser le tabou et commencer à en parler. Quand on commence à en parler, c’est quand on a besoin de voir la lumière au bout du tunnel et de sortir de cette noirceur.

Également, mon souhait est surtout d’avoir un système judiciaire et policier qui nous comprend. Quand j’appelais les policiers et que je disais que mon ex-conjoint avait contacté mes amis, avait mis des photos de moi sur Facebook et avait écrit qu’il voulait passer Noël avec sa femme et sa famille, ils m’ont dit que ce n’était pas des menaces, que je n’étais pas toute nue sur les photos et qu’ils ne pouvaient pas prendre cela en considération. Je suis contente pour les policiers qui n’ont pas subi cette violence, mais on n’a pas besoin de la vivre pour la comprendre. Il faut peut-être les outiller et les former.

Également, lorsque j’avais dit à la procureure qu’il m’avait suivie, elle m’avait répondu qu’il avait nié. Moi, j’avais regardé au centre commercial où j’étais et il y avait une caméra. Il fallait qu’elle obtienne les vidéos pour me croire. Après, elle m’a crue et elle a dit qu’elle était désolée. Tout ce que j’ai dit — je n’ai pas ajouté un mot. Tout est enregistré par la caméra du centre commercial. Il faut croire les victimes, parce que moi, chaque fois que j’appelais les policiers, je me sentais incomprise.

Une fois, j’avais appelé les policiers pendant que j’étais en train de déménager et mon ex-conjoint est passé en moto. J’ai appelé les policiers parce qu’il n’avait pas le droit d’être là. Le policier m’a demandé si j’avais pris une photo. J’ai répondu que je descendais quand il passait. C’est moi qui ai acheté la moto, les souliers, le manteau, le casque, mais il m’a dit qu’il ne pouvait pas. Il faut croire les victimes, parce qu’on ne peut pas leur dire « non, tu n’as pas bien vu ». C’est notre vie qui est en danger.

De plus, moi, je suis en colère encore; j’ai lancé l’invitation à M. Legault et à M. Trudeau et je la lance à tous les ministres : allez vivre auprès de ces femmes dans les maisons d’hébergement pour voir comment cela fonctionne, parce que lorsque tu quittes ta maison, ton appartement ou ton condo pour aller vivre dans une petite chambre avec tes enfants et partager une salle de bain, partager toutes tes affaires, te plier à des obligations, ce n’est pas parce que tu adores cela, mais parce que tu es obligée et que tu dois surtout protéger tes enfants. Alors, je vous remercie.

Mme Williams : Par exemple, quand on arrive — je vais parler des policiers. Moi, quand l’acte criminel s’est produit, j’ai vécu ce que j’ai vécu, mais le policier, tout ce qu’il m’a dit pour me soulager, c’était :

[Traduction]

« Je suis vraiment désolé. Vous ne méritez pas ça. » Je peux comprendre la situation, mais personne ne m’a protégée.

[Français]

J’ai perdu la confiance. Il a pris ma liberté. Je n’ai pas cette liberté aujourd’hui, et encore là, il a essayé de détruire le système électronique de ma voiture. J’ai dit que je n’avais de problèmes avec personne, que je suis aimée quasiment par tout le monde, je ne suis pas une femme violente ni une personne à problèmes, mais il n’y avait pas de preuves. C’est moi qui ai subi un accident, le 7 janvier, qui a chamboulé ma vie, mais il manque de preuves, parce que là où j’habite, les caméras n’ont rien enregistré.

Quel sera son prochain acte? Je m’attends à ce qu’il enlève la vie à l’une de mes enfants. Il a dit qu’il faudrait appeler le directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) pour nous protéger. Qu’est-ce que le DPJ va faire? Est-ce qu’il a plus d’outils? Parce que moi, je n’ai plus de liberté. Je lui ai dit qu’on parle d’une liberté que moi je n’ai pas et lui, il se balade et pense chaque fois à une autre surprise, et c’est moi qui dois composer avec tout cela.

Mme Jeanson : Quand on va en cour et qu’il y a des non‑respects de conditions, des conditions qu’il n’aurait pas su respecter en vertu de l’article 810, on n’a pas de preuve. Avec le bracelet électronique, il y aurait une preuve qu’il est venu, qu’il a dépassé les limites. Ce serait enfin une preuve.

Le président suppléant : Passons à la prochaine question pour que chacun ait la chance de poser des questions.

La sénatrice Clement : Je n’ai pas de questions, mais je veux simplement vous remercier. Je suis en train d’écouter. Vous avez été très éloquentes. C’est un travail très émotionnel que vous faites. Vous êtes transparentes et c’est un travail. Nous l’apprécions et nous allons continuer à vous en être reconnaissants. Vous êtes enseignante, c’est super puissant que vous parliez des choses que vous faites, même dans votre propre école. Madame Williams, le fait de nous dire que vous ne faites pas confiance au système judiciaire, c’est dévastateur, mais cela nous lance en action, évidemment.

Alors, on comprend. C’est justifié, ce manque de confiance.

Mme Williams : C’est lui qui avait touché à ma voiture, mais il n’y avait aucune preuve. S’il y avait eu un moyen d’alerter les policiers, il y aurait eu une preuve que c’était lui qui avait touché à mon système électronique, que mon volant a bloqué en pleine autoroute, et que j’ai failli perdre la vie et laisser deux enfants derrière moi.

[Traduction]

C’en est trop. Ça suffit. Il faut faire quelque chose.

[Français]

La sénatrice Clement : On vous écoute. Merci à vous aussi, madame Jeanson, pour la Maison des guerrières et le travail que vous faites, et merci de parler de toutes les choses qu’il faut faire.

Le président suppléant : Nous passerons à la deuxième ronde. Deux sénateurs veulent parler, je vous alloue un maximum de trois minutes à chacun.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Très brièvement, sur la question du degré de sécurité que vous ressentez par rapport à l’utilisation des bracelets électroniques, la sénatrice Pate a fait la remarque que, dans certaines circonstances, ils s’avèrent moins fiables. Avez-vous l’impression que vous et les femmes avec qui vous travaillez et que vous côtoyez bénéficieraient d’un plus grand degré de sécurité et de paix psychologiques ou qu’il y aurait encore des angoisses par rapport à l’utilisation de ces techniques pour assurer votre protection, votre sécurité et votre liberté?

[Français]

Mme Jeanson : C’est, honnêtement, vraiment significatif. Comme Dayane, ce sont des femmes avec qui je travaille. Dayane sortirait de chez elle. On en parle tous les jours, présentement, elle ne sort pas de chez elle. Ce serait notre objectif de dire : je suis libre, je peux me promener et je suis en sécurité. Actuellement, comme je vous l’ai dit tantôt, nous ne le sommes pas du tout. Là, on le serait. Ce serait notre chance de dire qu’on a le droit de vivre, de se promener, d’aller travailler, d’aller voir les membres de notre famille et oui, ce serait pour nous une des plus grandes sécurités.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : À un moment donné, vous avez déclaré que nous sommes en haut, mais que vous êtes en bas. Je suis donc grandement réconforté par le fait que ce système de bracelet vous procure un certain réconfort et qu’il sera très utile.

Pendant que nous sommes assis ici à vous écouter, comme la sénatrice Clement l’a dit, y a-t-il quoi que ce soit d’autre que nous devrions envisager pour accroître votre sentiment de sécurité?

[Français]

Mme Jeanson : Parlez-vous juste des bracelets? La thérapie pour les hommes — on veut que ce soit les hommes qui soient enfermés, et pas nous. On sait qu’en prison, jusqu’à présent, cela n’a pas fonctionné. On vous demande sincèrement, de tout notre cœur, d’envoyer ces hommes en thérapie pour qu’ils reçoivent des soins. C’est une autre sécurité pour nous. Ce n’est pas à nous d’aller nous cacher. Nous sommes tannées de nous cacher. Nous sommes tannées, tannées, tannées. Ils nous ont nommées, avec nos enfants — ce n’est pas nous qui devrions nous cacher. Déjà, on subit la violence; déjà, on a tout perdu. C’est nous qui sommes en prison. Arrêtez de nous mettre en prison et réglez le problème à la base : ces hommes ont besoin de thérapies. C’est comme les thérapies de lutte contre l’alcool, s’ils ne font pas les choses comme il le faut, le juge les enverra en prison, mais nous, on a le droit de vivre en liberté. On est au Canada ici, on a le droit à la vie, de vivre libre et de vivre en sécurité. C’est cela qu’on vous demande.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Merci. Y a-t-il d’autres remarques?

[Français]

Mme Grissa : Il y a trois ans que j’ai vécu ce drame et encore aujourd’hui, je ne me sens pas libre. Chaque fois qu’une garde‑robe est ouverte, je le vois en sortir. Je ne suis pas encore capable d’aller dans mon garage le soir parce qu’il est toujours là, dans ma tête. Ce bracelet électronique aurait pu m’éviter ce drame, à moi et à ma fille. Je fais tout mon possible pour rester debout, je fais tout mon possible pour être une bonne maman, une bonne enseignante et une bonne amie, et je fais tout mon possible pour être une bonne personne, mais c’est toujours le drame. Dès que j’ai un instant libre, je ne pense qu’à cela. Un bracelet électronique aurait pu m’éviter cela.

[Traduction]

Mme Williams : J’ai perdu le sourire. Je trouve que c’en est trop. J’ai constamment peur. Je ne suis pas en sécurité. Je crois qu’il faut faire quelque chose.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Vous avez parlé de vos enfants.

Le bracelet électronique que vous auriez permettrait de vous alerter et d’une certaine manière de diminuer votre niveau d’insécurité. Y a-t-il des mécanismes particuliers, selon votre expérience, qui devraient être mis en place pour assurer la sécurité des enfants en dehors du bracelet électronique?

Mme Jeanson : C’est vraiment compliqué en raison de la Charte canadienne des droits et libertés, mais si l’on parle du Québec, on a le DPJ. Je ne sais pas comment cela fonctionne dans toutes les provinces, mais habituellement, ce sont les provinces qui doivent gérer les enfants. Cela nous est impossible de prendre des décisions. Tout est géré par les provinces. Comme moi, je travaille dans les dossiers du DPJ, je peux vous garantir que si vous appuyez notre projet de loi, cela va nous permettre de changer des lois aussi pour le système de la protection de la jeunesse, parce que pour l’instant, la violence conjugale n’est pas reconnue. Lorsqu’on arrive dans les dossiers avec les enfants et qu’on demande de l’aide, ils séparent les enfants de la famille et la violence conjugale n’est pas reconnue.

Automatiquement, si vous acceptez les thérapies, cela va nous permettre d’arriver et de démontrer au DPJ que l’homme est allé en thérapie et qu’il est vraiment violent, au moyen de rapports d’expert qu’on pourra remettre, et cela va protéger nos enfants aussi.

La sénatrice Dupuis : Est-ce que cela va les protéger aussi dans leurs écoles?

Mme Jeanson : Oui, parce que des rapports vont démontrer la dangerosité de ces hommes, alors que présentement, on n’a pas cela dans le système de justice. Les enfants, c’est familial, c’est le DPJ qui s’en occupe; nous, c’est criminel. Ils ne sont pas liés du tout, du tout, mais avec ce projet de loi, on a pensé à nos enfants d’abord, puis ce serait le projet de loi qui nous aiderait.

La sénatrice Dupuis : Est-ce que cela aiderait vos enfants en même temps que vous?

Mme Jeanson : Oui, cela aiderait nos enfants en même temps que nous, parce qu’on aurait des rapports d’expertise.

Mme Grissa : Également, quand il y a une interdiction au début, par exemple, quand j’ai fait ma demande à la police et tout cela, quand j’ai fait ma plainte, il y avait uniquement une interdiction de me voir, moi, mais pas ma fille.

Après avoir brisé ses conditions plusieurs fois, il n’avait plus accès à ma fille non plus, mais il avait accès à ma fille au début. C’est pour cela que j’avais arrêté toute ma vie et que j’étais allée me cacher dans une maison d’hébergement pour femmes. Quand je voulais aller voir ma fille à la garderie, il pouvait me suivre. Dans mon cas, il était violent envers moi, mais qui dit qu’il ne l’était pas envers ma fille? Qu’est-ce qui me garantit qu’il ne sera pas violent envers elle pour me punir, moi?

Normalement, quand cela arrive, un 810, comme on l’appelle, c’est vraiment l’interdiction envers les enfants aussi et pas juste envers la maman.

Mme Williams : Je suis d’accord avec le témoignage de ma collègue Martine. Parce que, moi, j’avais appelé au 911 et il y a eu un signalement au DPJ.

J’ai vécu un autre traumatisme, parce qu’on a demandé que mes filles soient placées, parce qu’elles n’étaient pas en sécurité. Ils disaient que parce que j’avais vécu cela et une agression sexuelle, on demandait à ce que les enfants soient placés d’urgence, alors qu’il ne faut pas en rajouter. Déjà, après ce que j’avais vécu, ce n’était pas mon choix, ce n’était pas voulu, ce n’était pas ce que je voulais vivre. Déjà que je suis en thérapie, c’est moi qui dois gérer cela et me soigner, et vous venez encore m’enlever la chose la plus chère dans ma vie; c’est trop.

C’est pour cela que si j’avais été alertée, on m’aurait évité le stress du DPJ et de demander la garde de mes enfants, parce qu’il y a eu un homme violent dans ma vie, on ne peut pas le savoir.

Le président suppléant : Malheureusement, je dois mettre un terme à notre rencontre.

Je voudrais vous remercier beaucoup, mesdames Jeanson, Grissa, et Williams, d’être venues aujourd’hui.

Je retiens d’abord de vos témoignages l’importance de deux choses : vous avez parlé de la mise en place d’un bracelet, mais un bracelet antirapprochement, c’est à dire qui est aussi lié à un bracelet ou à votre téléphone cellulaire, qui vous envoie des messages, et cela vous donnerait une mesure de protection. Vous êtes conscientes que ce ne serait pas une protection nécessairement efficace à 100 %, mais que ce serait un niveau de protection que vous n’avez pas actuellement et que vous apprécieriez d’avoir.

Je comprends aussi que vous apprécieriez également qu’il soit clair que, lorsque les juges font des ordonnances pour remise en liberté avant le procès, à la suite d’accusations, on n’envoie pas les hommes violents en prison, mais qu’on les oblige à suivre des thérapies. On doit suivre ces thérapies pour savoir s’ils participent et font des progrès, et veiller à ce que tout cela soit présenté en cour dans le cadre du processus judiciaire, pour que le juge sache si ces gens font des progrès. Sinon, le juge les envoie en prison parce qu’ils sont dangereux et ne font pas de progrès, si je résume bien vos messages.

Je veux vous remercier beaucoup et souligner que, madame Jeanson, vous avez même écrit un livre qui s’appelle Guerrière — Avant que l’amour tue. Je ne sais pas si cela serait trop vous demander, mais s’il vous plaît, pourriez-vous peut-être nous envoyer deux ou trois exemplaires de votre livre, aux soins du greffier. On pourrait le mettre à la disposition des membres du comité et lorsqu’on aura terminé, on va s’assurer qu’ils seront déposés à la Bibliothèque du Parlement.

Je voudrais aussi remercier madame Grissa et madame Williams. Non seulement, aujourd’hui, vous faites une œuvre très utile, comme l’a souligné la sénatrice Clement, vous ne faites pas cela juste pour vous, mais pour les autres femmes, pour les enfants et pour veiller à ce que ces drames ne se reproduisent pas. Je pense que c’est important pour nous. Comme vous le dites, on a une vision qui est d’ici, d’en haut; on n’est pas au courant de tout. C’est important que vous soyez venues nous parler aujourd’hui.

Madame Grissa, vous avez donné une entrevue à Radio-Canada, vous avez alerté le public de la situation. Nous vous en sommes extrêmement reconnaissants.

Madame Williams, vous avez donné une entrevue à La Presse, qui a raconté votre histoire, et je crois que la société en bénéficie beaucoup.

Malheureusement, c’est beaucoup vous imposer que de raconter vos drames, parce qu’on vous les fait revivre, mais en même temps, je dois vous remercier parce que pour moi, pour mes collègues et pour la société, ce que vous faites, c’est de l’éducation, de l’information, de la sensibilisation et cela devrait apporter des résultats.

Merci beaucoup d’être venues aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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