Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 24 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 34 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-205, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale).

Le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

J’aimerais d’abord demander aux membres du comité de se présenter, en commençant par ma droite.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernardette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate, du territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Le sénateur Cotter : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan.

Le sénateur Klyne : Marty Klyne, de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, sénatrice indépendante, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, sénateur indépendant, de Lorimier, au Québec.

Le vice-président : Je suis Pierre-Hugues Boisvenu, vice-président du comité.

Aujourd’hui, nous allons poursuivre notre étude du projet de loi S-205, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale).

Comme je suis le parrain du projet de loi, si vous n’avez aucune objection, je vais laisser le sénateur Dalphond présider la séance d’aujourd’hui.

Sénateur Dalphond, veuillez prendre place.

Le sénateur Pierre J. Dalphond (président suppléant) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président suppléant : Sans plus attendre, nous allons passer aux témoins. Le premier groupe comprend deux représentants de sociétés qui offrent des services de surveillance : M. Vince Morelli, de SafeTracks GPS Canada Inc., qui m’entend bien ce matin, et M. Peter Marshall, de Recovery Science Corporation. Monsieur Marshall, m’entendez-vous bien?

Peter Marshall, chef de la direction et directeur juridique, Recovery Science Corporation : Oui, bonjour.

Le président suppléant : Nous recevons également, à titre personnel, M. Brian Simpson, policier à la retraite du Service de police d’Edmonton. J’aimerais tout d’abord vous présenter nos excuses pour la semaine dernière. M. Morelli et M. Marshall étaient en ligne. Ils travaillent dans le domaine de la technologie. Parfois, la technologie nous fait défaut. Nous avons connu quelques problèmes. J’en suis désolé et je vous remercie de prendre le temps d’être avec nous aujourd’hui.

Nous allons commencer avec M. Morelli, qui dispose de cinq minutes. Allez-y.

Vince Morelli, président, SafeTracks GPS Canada Inc. : Merci, et bonjour.

Premièrement, je tiens à dire que c’est un honneur pour nous de participer à la réunion du comité. Je suis le président de SafeTracks GPS Canada, qui se situe à Red Deer, en Alberta, sur les territoires traditionnels issus du Traité no 6. Nous sommes fiers d’être reconnus à titre d’entreprise autochtone accréditée.

Ma déclaration préliminaire vise à appuyer le développement d’une technologie de surveillance électronique pour lutter contre la violence familiale.

Depuis 2009, SafeTracks a pour mission de mettre fin à la violence familiale... pour qu’il y ait plus de survivants et moins de victimes. Nous créons des solutions d’intervention en ayant recours aux technologies et services de pointe qui nous permettent de changer la vie des personnes qui subissent de la violence de la part d’un partenaire intime ou de la violence familiale. Nous avons réalisé un projet pilote ici, à Red Deer, pour surveiller les auteurs de violence familiale. Des intervenants communautaires ont été désignés pour l’exécution et la supervision de ce programme. Les refuges pour femmes, la GRC, les agents de probation et les procureurs de la Couronne ont tous contribué à ce projet, qui, après trois ans, s’est avéré un grand succès.

Notre objectif est d’aider les survivants, de leur permettre de maintenir leur indépendance et leur qualité de vie, et d’accroître leur sécurité. Qu’il s’agisse des bracelets de cheville ou de nos boutons d’alarme avec GPS, notre technologie s’avère essentielle en vue de mettre fin à la violence familiale. La surveillance électronique à l’aide des bracelets de cheville est utilisée pour les délinquants mis en liberté dans la collectivité avant un procès, en probation, en libération conditionnelle ou dans le cadre de toute autre solution de rechange à l’incarcération.

SafeTracks comprend très bien que la réintégration de la collectivité nécessite une structure et une responsabilisation pour réduire les possibilités de récidive et répondre aux besoins des délinquants, ce que peut apporter la surveillance électronique. Cette nouvelle capacité nous permet maintenant d’assurer la conformité avec les ordonnances de surveillance de la cour et d’établir des zones d’accès interdit.

Nos services sont particulièrement importants pour la protection proactive des survivants et la surveillance des délinquants à risque élevé. Par exemple, à l’Île-du-Prince-Édouard, un article de la CBC a fait valoir que notre technologie avait été utilisée dans 155 cas au cours des cinq dernières années, qu’elle avait redonné la paix d’esprit aux victimes et qu’elle avait probablement sauvé des vies. Étant donné l’évolution des technologies, nous avons réussi à mettre en œuvre notre application intelligente de lutte contre la violence familiale, qui s’appelle Empower. Lorsqu’on l’associe à nos bracelets de cheville, cette application offre maintenant une solution plus efficace pour éviter les rencontres indésirées entre les délinquants et les survivants.

Je tiens une fois de plus à remercier les membres du comité de nous avoir invités à leur faire part de nos idées et commentaires. Nous sommes honorés de pouvoir travailler avec le comité sénatorial pour créer une validation de principe dans le but d’orienter toutes les personnes concernées.

Le problème a été désigné. La solution a été mise à l’essai. Il est maintenant temps d’offrir une solution proactive, plutôt que d’agir de façon réactive.

Pour terminer, je dirais que dans le cadre de la lutte contre la violence familiale, il faut faire preuve de fermeté, d’honnêteté et d’intelligence. Si nous ne prenons pas les mesures nécessaires pour mettre fin à la violence familiale, nous devrons expliquer pourquoi nous ne l’avons pas fait, ce qui est encore plus difficile à faire. Merci.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Morelli.

Monsieur Marshall, vous disposez de cinq minutes pour votre déclaration.

Peter Marshall, chef de la direction et directeur juridique, Recovery Science Corporation : Bonjour.

Recovery Science Corporation est une société établie en Ontario. Nous gérons des programmes de surveillance par GPS depuis 2012, notamment notre propre programme privé, qui a été utilisé dans plus de 2 000 cas, principalement dans le cadre de la mise en liberté sous caution. Nous gérons maintenant aussi le programme gouvernemental récemment mis sur pied par le ministère du Solliciteur général de l’Ontario visant une surveillance par GPS pour les cas de mise en liberté sous caution, de peines d’emprisonnement avec sursis, de liberté conditionnelle, de peines discontinues et de permissions de sortir.

Je suis avocat et j’ai une maîtrise en droit pénal. J’espère que notre expérience pratique et ma formation juridique pourront aider le comité aujourd’hui.

Voilà qui conclut mon discours préliminaire.

Le président suppléant : Merci, maître Marshall.

Je demanderais maintenant à M. Simpson de faire sa déclaration préliminaire. Vous disposez de cinq minutes, monsieur.

Brian Simpson, policier à la retraite, Service de police d’Edmonton, à titre personnel : Sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui.

J’ai été policier pendant 36 ans. J’ai passé mes 30 premières années à la GRC et les six dernières années à la Ville d’Edmonton. Au cours de cette période, j’ai aussi travaillé avec les refuges pour femmes, d’abord pour la nation crie d’Ermineskin dans la communauté de Maskwacis, au centre de l’Alberta, puis à Red Deer, pour le Central Alberta Women’s Emergency Shelter et enfin à l’échelon provincial, à l’Alberta Council of Women’s Shelters.

J’ai participé à ce processus en tant qu’agent de police, mais aussi en tant que citoyen préoccupé qui reconnaît la nécessité d’un changement pour lutter contre la violence familiale.

Je vais vous donner rapidement quelques exemples de ce que j’ai vécu dans le cadre de mon travail; je serai heureux de vous en parler plus en détail en réponse à vos questions. Premièrement, nous avons réalisé un projet de recherche pour la Ville de Red Deer, et la chose la plus importante que j’ai constatée dans le cadre de cette recherche, c’est que les victimes étaient reconnaissantes, parce que nous nous souciions d’elles. Nous avons pris des mesures concrètes et leur avons fait comprendre que nous prenions leurs problèmes au sérieux, et que nous allions les aider. Nous avons pu leur offrir plus qu’un simple morceau de papier, et les victimes se sont senties appuyées alors qu’elles vivaient un moment difficile.

J’ai aussi fait une observation anecdotique intéressante dans le cadre de mes interactions avec les accusés : ils étaient souvent surpris de toute l’attention qu’ils recevaient à la suite de leurs actions. Malheureusement, ils ont souvent évolué dans un milieu où ce genre de comportement était minimisé, voire accepté, dans une certaine mesure. Ce processus permettait une certaine responsabilisation; on leur faisait comprendre que l’on prenait la situation au sérieux et que leurs gestes n’allaient pas être tolérés dans la communauté.

Sur le plan du maintien de l’ordre, la surveillance a facilité les enquêtes, puisqu’elle fournissait des preuves matérielles tangibles. Avant, dans certains cas, seulement les deux personnes impliquées étaient en mesure de décrire les événements, puisqu’il n’y avait pas de témoin, pas de technologie et pas de preuve pour expliquer ce qui s’était réellement passé.

De plus, comme la surveillance est faite à l’extérieur des services de police, les agents passent moins de temps à effectuer des tâches administratives dans le cadre du processus de surveillance. Ce sont donc des avantages directs.

En ce qui a trait à l’expérience dans les régions urbaines par rapport à celle des régions rurales, les deux présentent leur lot de défis : dans les régions urbaines, le volume de cas est important et dans les régions rurales, le temps et la distance représentent un enjeu. Il faut procéder à une analyse des risques associés à ces situations et trouver la meilleure solution. L’idée d’une surveillance électronique atténue le problème — sans le régler — et nous permet d’aller dans la bonne direction; c’est un outil qui peut servir dans les deux milieux, selon les circonstances.

Le financement représente aussi un défi. La plupart des provinces et des territoires ont des modèles de financement des programmes qui aident les victimes de crimes. C’est un point à considérer en vue d’aller de l’avant.

La clé ici, c’est l’éducation, surtout celle de la police et des généralistes qui répondent aux appels et doivent avoir une compréhension de base des besoins associés à ces programmes. Il est aussi important pour les spécialistes des services de police de comprendre la surveillance et d’effectuer un suivi courant.

De plus, il faut éduquer les juges et les avocats afin qu’ils comprennent ce que peut faire l’outil et quand il devrait ou ne devrait pas être utilisé. Il existe certains outils d’évaluation des risques — toutes les provinces en ont un — pour déterminer si l’on devrait avoir recours à cette forme de surveillance, parce qu’il n’est pas réaliste de penser que l’on peut surveiller l’ensemble des délinquants. C’est pourquoi l’évaluation des risques est si importante.

Sur ce, je veux simplement dire que j’appuie les modifications proposées dans le projet de loi S-205. Je vous remercie de m’avoir offert l’occasion de témoigner aujourd’hui, et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions. Je vous remercie.

Le président suppléant : Je vous remercie beaucoup, monsieur Simpson. Nous passerons maintenant aux questions. Chaque sénateur disposera de quatre minutes pour être sûr d’effectuer un premier tour complet. Je commencerai par le sénateur Boisvenu, à qui j’accorde cinq minutes parce qu’il parraine le projet de loi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Un gros merci de votre participation aujourd’hui. Elle est très importante pour bien comprendre la technologie qui peut être utilisée pour la surveillance par GPS.

Ma première question est pour M. Marshall. Avoir 2 000 dossiers actifs est un nombre assez élevé pour qu’on puisse tirer des conclusions en matière d’efficacité. Pouvez-vous nous parler un peu de la façon de faire cette surveillance? On parle souvent de deux rayons possibles de déclenchement, un rayon préventif et un autre plus près de la victime. Pouvez-vous nous expliquer un peu comment se fait cette surveillance et nous dire quel est son degré d’efficacité pour ce qui est des erreurs possibles?

[Traduction]

Me Marshall : Je peux commencer à expliquer le processus.

Dans la plupart des dossiers que nous avons eus dans le passé, qui étaient principalement des affaires de libération sous caution, et maintenant aussi dans le cas des condamnations avec sursis qu’on donne en Ontario, c’est un juge qui déciderait si la personne qui comparaît devant lui sera détenue pendant le procès ou si elle sera libérée sous conditions. Il peut imposer la surveillance par GPS en recourant à ce que j’appelle les « dispositions omnibus » du Code criminel, lesquelles permettent aux juges d’imposer les conditions qu’ils considèrent adéquates selon l’affaire en espèce.

Comme M. Simpson l’a indiqué, l’évaluation qu’effectue le juge quand il évalue le risque que présente une personne et applique les critères juridiques pour la libération sous caution joue un rôle de premier plan. Pour être plus précis, l’évaluation vise à déterminer si le risque que la personne présente peut être atténué de manière satisfaisante avec des conditions comme la surveillance par GPS et la détermination de la distance à laquelle l’accusé doit rester par rapport à la victime potentielle pour imposer une distance entre eux en plus de la surveillance électronique. Le juge peut envisager des conditions comme l’instauration de vastes zones interdites; il ne s’agit pas d’un petit rayon autour de la résidence ou du lieu de travail de la victime, mais d’une zone élargie à l’intérieur de laquelle la victime sait que l’accusé n’a pas le droit d’entrer. Elle peut donc s’y déplacer librement, sachant que la présence de l’accusé y serait détectée et signalée à la police.

Si le juge décide que la surveillance par GPS peut faire partie du plan de libération et de l’ensemble de conditions, il ordonne la surveillance, nous installons le bracelet et nous assurons la surveillance, faisant les signalements nécessaires à la police si la personne ne se conforme pas aux conditions.

De même, dans le cas des condamnations avec sursis, un juge qui prendrait cette décision appliquerait les critères juridiques pour déterminer si une personne est admissible à une condamnation avec sursis et si les conditions de la surveillance par GPS atténueraient de manière satisfaisante les risques que présente la personne de commettre une infraction si elle est autorisée à purger une peine conditionnelle dans la communauté. Ici encore, tout dépend de l’évaluation du risque que fait le juge. Je conviens entièrement avec M. Simpson que l’éducation des juges, des procureurs de la Couronne, des avocats de la défense et de tous les intervenants du système de justice pénale joue un rôle crucial chaque fois qu’on recourt à la surveillance électronique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Qu’en est-il de l’efficacité du système?

[Traduction]

Me Marshall : Je ne pense pas qu’il existe une réponse concrète à cette question. Le système est efficace en ceci qu’il fournit des données objectives sur l’endroit où se trouve le contrevenant. Comme M. Simpson l’a indiqué, il fournit des preuves s’il enfreint ses conditions. On ne s’en remet pas aux paroles des personnes concernées, car on dispose de preuves objectives montrant si le contrevenant a violé ou non les conditions.

Pour tenter de résumer l’efficacité par un taux d’erreur ou d’efficacité globale, il faut tenir une discussion longue et approfondie avec des criminalistes, par exemple, sur ce qui est considéré comme efficace. Faut-il considérer le nombre de fois qu’une personne enfreint ses conditions? Si c’est le cas, attribue-t-on la violation ou le respect des conditions à la surveillance électronique uniquement, ou tient-on également compte d’autres variables, cherchant notamment à déterminer si l’évaluation initiale du risque était adéquate, si c’était la bonne décision à prendre ou si la surveillance par GPS s’accompagnait d’autres conditions qui ont été efficaces ou ont contribué à la non-conformité? Il n’existe pas de réponse facile à cette question.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci, monsieur Marshall.

Monsieur Morelli, selon votre expérience, le système de surveillance est-il un moyen efficace pour dissuader le contrevenant qui manque à ses obligations en ce qui a trait au respect de la distance par rapport à sa victime? Selon vous, est-ce que le GPS est un moyen efficace pour protéger les victimes?

[Traduction]

M. Morelli : Je vous remercie beaucoup de me poser cette question. J’appuie sans réserve l’utilisation de la surveillance électronique et le port de bracelets de cheville GPS. L’expérience nous a montré que cette technologie fonctionne. Cette approche fait intervenir de nombreuses factions. Pour les victimes elles-mêmes, nous pouvons établir des zones statiques autour de leur résidence, de leur lieu de travail, des écoles de leurs enfants et de leur famille. Par ailleurs, nous pouvons également créer des zones d’inclusion où le contrevenant doit se cantonner pendant le couvre-feu ou des quartiers où il n’est pas censé se rendre. C’est la première étape du contrôle préventif du contrevenant.

Notre système nous permet également d’installer une application appelée Empower sur le téléphone cellulaire de la victime et de créer autour d’elle une bulle sécuritaire quand elle se déplace dans la vie quotidienne. Si le bracelet de cheville s’approche trop d’elle, nous en serons avisés et nous appliquerons nos protocoles, avec un temps de réaction de trois minutes.

Le système fonctionne très bien et offre la couche supplémentaire de sécurité que la victime désire et dont elle a besoin.

Le président suppléant : Je vous remercie.

Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue aux témoins que nous recevons aujourd’hui.

Ma première question s’adresse à Me Marshall. Quand vous avez répondu à la question du sénateur Boisvenu sur le facteur d’erreur et d’efficacité, vous avez employé les mots « il fournit des preuves ». Qu’en est-il de l’efficacité du système? J’ai quelques questions à ce sujet.

Je ne suis pas certain si votre système fonctionne en dehors de l’Ontario. Peut-être pouvez-vous m’éclairer à cet égard. Craint-on de perdre la capacité de surveillance si l’accusé fuit la province?

Y a-t-il suffisamment de ressources pour suivre les bracelets de cheville partout au pays, y compris dans les communautés éloignées? À ce propos, j’ai été frappé par quelque chose que M. Simpson a dit et à quoi je n’avais pas pensé. J’ai réfléchi à la question dans un contexte urbain, mais le temps et la distance deviennent des facteurs de succès, si l’on veut, dans les communautés éloignées. Je n’y avais pas vraiment pensé. Pouvez-nous nous expliquer comment on peut atténuer ce problème quand la victime se trouve en région éloignée? À ce propos, la limite de la portée des GPS suscite-t-elle des préoccupations dans les régions éloignées?

Me Marshall : J’ai pris quelques notes sur les divers points abordés dans vos questions. Si j’en omets, faites-le-moi savoir et j’y reviendrai avec plaisir.

Au chapitre de l’efficacité — et je pense que cela concerne également votre question sur la situation dans les communautés éloignées —, les concepteurs de programme doivent d’abord réfléchir à leurs attentes en matière de surveillance électronique. S’attendent-ils à prévenir la non-conformité, les comportements délinquants ou les drames? Pensent-ils pouvoir assurer ou faciliter l’intervention immédiate de la police afin de réagir suffisamment rapidement pour empêcher un événement qui se prépare de survenir? Ou veulent-ils avoir un effet dissuasif sur la personne surveillée et faire en sorte qu’elle soit moins susceptible d’enfreindre ses conditions ou de potentiellement poser un geste violent?

D’après notre expérience, c’est cette dernière attente qui est la plus raisonnable, et je pense qu’il y a à cet égard un large consensus. On cherche à avoir un effet dissuasif et à recueillir des preuves objectives de non-conformité. Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que la surveillance puisse prévenir la non-conformité ou assurer l’intervention immédiate de la police pour empêcher quelqu’un de fuir ou de poser un geste violent.

Pour ce qui est de votre question sur la distance entre les gens dans les communautés éloignées, ce que l’on craint le plus quand on fait de la surveillance par GPS dans les régions éloignées, c’est que la transmission des alertes de violation ou des données GPS sur l’endroit où se trouve le porteur de bracelet soit retardée. La fonction GPS de la technologie fonctionne toujours et se connectera au satellite pour fournir les coordonnées de localisation. Cependant, si l’accès au réseau cellulaire est compromis quand vient le temps de transmettre les données cumulatives de géolocalisation et les alertes de violation au logiciel et aux destinataires des alertes, les signalements seront retardés. Cela peut être préoccupant si on souhaite une intervention immédiate en cas de violation, mais moins si on veut avoir un effet dissuasif et recueillir des preuves objectives.

Vous avez posé une question sur les ressources à l’échelle du pays.

Le président suppléant : Répondez-y en 30 secondes. Je vous remercie.

Me Marshall : La réponse est non, il n’y a pas suffisamment de ressources au pays. C’est une raison pour laquelle notre programme privé a pris une telle envergure. C’est parce que nous permettons aux gens de payer de leur poche pour s’en prévaloir. Tout le monde n’en est pas capable, bien entendu. Le gouvernement de l’Ontario le rend maintenant largement accessible en fournissant du financement, mais ce n’est pas le cas dans toutes les provinces.

La sénatrice Batters : Je remercie beaucoup nos témoins de comparaître aujourd’hui. Ma première question s’adresse à M. Simpson. Je suis ravie que nous puissions vous revoir aujourd’hui.

Dans le cadre de l’étude menée récemment sur la violence en partenaires intimes et la violence familiale, le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes s’est fait dire que l’utilisation de dispositifs de surveillance électronique doit aller de pair avec la formation des services de police afin de leur conférer les compétences nécessaires pour réagir aux signaux d’alarme transmis par ces dispositifs. Que faut-il faire pour que les agents de police du Canada soient adéquatement formés afin de réagir aux signaux transmis par les dispositifs et de garantir la sécurité des survivantes et survivants?

M. Simpson : Je vous remercie de cette bonne question, sénatrice.

Deux éléments entrent en ligne de compte ici. D’abord, je me suis intéressé à divers aspects du maintien de l’ordre. Il importe que les généralistes ou les agents de première ligne sachent que ce programme existe et comprennent ce qu’il peut faire pour eux. Ils doivent posséder des connaissances de base pour que lorsqu’ils répondent à une alerte, ils sachent que l’information qu’ils reçoivent est exacte et qu’il importe d’agir sur la foi de cette information.

Il y a également les spécialistes et les unités de lutte contre la violence familiale et d’autres formes de violence, qui soutiennent les victimes et mènent des enquêtes de ce genre. Ils doivent mieux comprendre la communauté et les personnes auxquelles ils offrent des services et avoir avec elles de meilleures relations afin d’assurer une bonne communication sur l’efficacité des outils dans leur application quotidienne et de faire le suivi auprès des victimes pour voir si elles ont des préoccupations ou des problèmes.

Il y a donc deux éléments en jeu.

Les généralistes devraient recevoir la même éducation que la communauté pour qu’ils aient le même niveau de connaissance. Il ne s’agit pas d’un programme de formation spécialisé, mais plutôt d’un processus de communication visant à faire en sorte que la communauté et les agents de première ligne comprennent l’importance de ces outils.

Cette communication est à l’œuvre, car je m’attends à ce que mes agents fassent preuve d’empathie et de compassion, peu importe la situation. C’est un élément clé qui devrait être en place longtemps avant que les événements ne surviennent.

La sénatrice Batters : Monsieur Morelli, vous avez indiqué que vous êtes de Red Deer. Je présume que vous possédez peut-être beaucoup d’expérience dans les communautés rurales et éloignées de l’Alberta avec votre organisation. Je me demande si vous avez des préoccupations quant à la manière dont la surveillance électronique pourrait être assurée en région éloignée.

De plus, si les accusés doivent payer les coûts de la surveillance électronique, craignez-vous que seuls les plus fortunés puissent participer au programme aux termes des conditions de libération provisoire imposées par le juge?

Peut-être pourriez-vous nous donner un aperçu de ce que les coûts pourraient être. Je vous remercie.

M. Morelli : Je vous remercie de cette question.

En Alberta, comme Me Marshall l’a indiqué, nous recevons les données toutes les deux secondes avec notre système. Nous les regroupons et les envoyons par le réseau cellulaire chaque minute. Or, la connectivité cellulaire pose un problème dans les régions où il n’y a pas assez de stations cellulaires.

Heureusement, grâce aux programmes pétroliers de l’Alberta, il y a des stations cellulaires partout. Mais la situation est problématique dans certaines régions. Quand on se dirige vers l’est ou dans l’ouest, la connectivité devient difficile.

Avant d’accepter une demande de bracelet de cheville GPS dans un dossier de libération ou de libération conditionnelle, nous vérifierons que nous avons une bonne connectivité dans la région pour appuyer l’ordonnance de la cour. Notre principale préoccupation consiste à nous assurer que nous pouvons garantir la sécurité de la victime. Si nous jugeons que la situation n’est pas acceptable, nous indiquerons qu’il ne convient pas d’utiliser le bracelet ou de libérer le contrevenant en raison de la connectivité aux liens de communication.

Voilà comment nous procédons.

En ce qui concerne les locations privées, certains diraient qu’ils créent deux classes d’individus et que seuls les riches en bénéficient. Ce n’est pas ce que je pense. Il est possible d’obtenir du financement grâce à l’aide juridique. Si un individu, une fois libéré, prévoit de faire appel à des services de réadaptation ou prendre des mesures quelconques pour améliorer sa vie, nous appuyons cela entièrement. Si le délinquant, qui a été retiré de la communauté, souhaite devenir une personne différente dans la société, améliorer sa situation et sa vie, et qu’il est prêt à payer pour y arriver, alors je n’y vois aucun problème.

Les prix varient au Canada entre 400 $ par mois et 750 $ par mois, selon l’ampleur du travail que nous avons à effectuer. Merci.

Le sénateur Cotter : Je remercie les témoins pour leurs déclarations éclairantes. Nous sommes très reconnaissants.

La sénatrice Batters a posé quelques-unes des questions que j’envisageais de poser, mais la question qui me vient le plus à l’esprit est principalement une question à l’intention de M. Simpson et de Me Marshall. Si j’ai bien compris vos propos durant vos exposés, tous les engagements relatifs à la surveillance électronique, d’après votre expérience et ce que vous avez pu observer dans le cadre de votre travail, sont liés à une surveillance électronique ordonnée par un tribunal dans le cadre d’une ordonnance de mise en liberté. Maître Marshall, vous avez fait référence à la libération sous caution, aux peines avec sursis, à la libération conditionnelle, etc.

Le projet de loi prévoit notamment, dans le cadre d’un engagement pour éviter l’emprisonnement, qu’un policier pourrait ordonner ou exiger un engagement comportant une surveillance électronique.

J’ai remarqué en particulier, M. Simpson, que vous avez parlé de la nécessité d’une formation juridique sur l’évaluation du risque.

Même si la surveillance électronique se révèle utile au tout début, est-elle possible? Deuxièmement, pouvons-nous avoir confiance que les policiers seront en mesure d’évaluer le risque dans les situations pour lesquelles nous demandons actuellement aux juges de faire cette évaluation?

M. Simpson : Je vous remercie pour cette très bonne question.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, il y a des généralistes et des spécialistes. Les membres des unités spécialisées recevraient une formation supérieure à la norme pour traiter ces questions et ils devraient également procéder à l’évaluation du risque.

Comme je l’ai dit plus tôt, il n’est pas question d’y avoir recours dans toutes les circonstances. Il faut utiliser les ressources le mieux possible et accorder la priorité aux individus qui présentent un risque pour la communauté d’après l’information dont on dispose.

Il sera très important de faire preuve de diligence raisonnable afin de s’assurer que le processus d’évaluation du risque est bien appliqué en vue d’établir cette priorité ainsi que le risque perçu que posent ces individus pour la communauté. Il faut certes s’assurer de fournir la formation nécessaire aux personnes qui seront responsables de cette tâche.

Me Marshall : Je ne m’oppose pas catégoriquement à l’idée que des policiers soient en mesure d’inclure la surveillance par GPS à titre de condition dans un engagement.

À l’instar de M. Simpson, je suis aussi d’avis que c’est compliqué. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’ajouter en quelque sorte par réflexe la surveillance par GPS en tant que condition. Afin de que la surveillance soit efficace, il faut soigneusement examiner les circonstances précises du cas en question et déterminer dans quelle mesure les autres conditions, comme les zones d’inclusion et d’exclusion, permettent de gérer ce cas et à quel point la surveillance par GPS peut appuyer ces autres conditions.

Il peut s’avérer que, dans bien des cas, c’est un aspect qui serait mieux géré grâce au processus et à la perspective qu’offre une procédure judiciaire.

Le sénateur Cotter : Merci.

Monsieur Morelli, je vais poursuivre dans la même veine. Vous avez expliqué que vous refuseriez un cas de surveillance électronique dans une circonstance où la couverture GPS est inefficace ou pour d’autres raisons similaires d’ordre technologique. Si un policier obtient un engagement dans ce genre de situation de violence entre partenaires intimes à titre de condition de libération, est-ce que cela fonctionnerait dans la pratique à votre avis? J’essaie d’imaginer un tel engagement et votre refus ensuite d’accepter le cas en question en raison d’une telle circonstance.

M. Morelli : Je vous remercie beaucoup.

Selon moi, et je crois que M. Simpson l’a mentionné, tout le monde doit être consulté lors de ces décisions. Les policiers doivent être conscients et être mis au courant des limites de la technologie cellulaire des GPS. C’est au premier plan. Nous ne voulons pas mettre une victime en danger à cause d’un mauvais service cellulaire. Nous oeuvrons dans l’ensemble du Canada, notamment avec l’Agence des services frontaliers du Canada et avec l’Île-du-Prince-Édouard. Nous venons tout juste de mettre en œuvre un nouveau programme au Québec, dans le cadre duquel nous utilisons notre technologie pour appuyer le ministère de la Sécurité publique en fournissant des bracelets GPS portés à la cheville et notre application Empower pour les cas de violence familiale. Pour ce programme, tout le monde a apporté sa contribution : les policiers, les dirigeants de la communauté et le gouvernement. Toutes les parties doivent participer afin d’obtenir l’adhésion nécessaire et s’assurer qu’elles travailleront ensemble sur toute la ligne.

Le président suppléant : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je remercie les témoins d’être avec nous aujourd’hui.

J’aurais une question pour M. Simpson. Vous êtes le premier, jusqu’à présent, à comparaître et à faire référence au système de GPS comme étant un système qui rend les agresseurs imputables de leur conduite. Si je vous ai bien compris, vous avez précisé que ce sont souvent des gens habitués à ce qu’on accepte des comportements non acceptables. Avez-vous des données plus particulières qui pourraient nous aider à réfléchir sur cet aspect que vous avez soulevé?

[Traduction]

M. Simpson : Merci, sénatrice, pour votre question. Je n’ai pas de données précises à vous fournir. Une bonne partie de l’information que je vous transmets est fondée sur mes expériences, car j’ai discuté avec ces délinquants, j’ai écouté leurs points de vue et leur histoire et ils m’ont parlé de l’impact qu’a eu le fait de porter ce dispositif. Cela a été une révélation pour eux. Ils ont pris conscience que c’était sérieux. Ce dispositif a eu une incidence positive. Comme je l’ai expliqué plus tôt, c’est bénéfique aussi pour les victimes. Cette mesure leur démontre que leurs inquiétudes sont prises au sérieux et que le processus donne un résultat.

Je ne crois pas qu’il existe des données — mais je peux me tromper — permettant de répondre à votre question. Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci beaucoup, monsieur Simpson, pour cette réponse. J’aurais une question aussi pour M. Morelli et M. Marshall. Vous avez évoqué le fait que le GPS ne peut pas être utilisé dans certaines régions rurales ou éloignées. Vous nous dites tout ce que l’on peut faire avec ce système. Pouvez-vous nous préciser quels sont les autres obstacles à l’utilisation du système de GPS? Parce qu’on ne vous a peut-être pas posé les bonnes questions jusqu’ici. Pouvez-vous nous dire quels sont les obstacles, en plus du fait que dans certaines régions, le système n’est pas accessible?

[Traduction]

Me Marshall : L’un des principaux obstacles, et on en a déjà parlé brièvement, est la disponibilité des ressources financières pour assumer le coût de la surveillance. Il n’y a pas seulement le coût de base associé à l’installation du bracelet et à la surveillance de l’individu. Dans le cas des programmes comme celui que M. Morelli a mis en place au Québec et ailleurs, qui impliquent d’envoyer des notifications à la victime, il devient nécessaire d’y affecter des policiers, ce qui a bien entendu une incidence sur les ressources. Comment financer les services de soutien dont aura besoin la victime si elle reçoit des notifications? Les victimes doivent savoir quoi faire si elles reçoivent des notifications. Il faut répondre à leurs questions. Si des unités de police doivent se consacrer à cette tâche, car c’est ce à quoi s’attendent les victimes, cela a d’immenses répercussions sur les ressources des corps policiers. Je vais laisser M. Morelli continuer.

M. Morelli : Ce que nous avons constaté — et je suis pas mal certain que M. Simpson pourrait quantifier cela —, c’est que l’utilisation des bracelets GPS portés à la cheville joue un rôle multiplicateur. Au lieu que ce soient les policiers qui se chargent de surveiller les individus, la technologie permet de produire des données indiquant si l’individu respecte l’ordonnance du tribunal, permettant ainsi aux policiers de faire leur travail. Nous croyons que les policiers doivent participer à tous les aspects de cette mesure.

La surveillance électronique pour les cas de violence familiale et le programme de déjudiciarisation sont d’excellentes mesures, car les policiers, qui sont au courant de ce qui se passe dans la rue et dans les foyers, pourraient offrir la surveillance électronique à ces individus afin qu’ils essaient de reprendre leur vie en main. De son côté, la victime peut retrouver une qualité de vie, tout comme ses enfants, sa famille et ses parents, bref, toutes les personnes touchées. Nous sommes entièrement convaincus que le recours à cette technologie serait gagnant pour tout le monde.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Monsieur Morelli, avez-vous des données sur le degré de non-respect des ordonnances à partir de votre projet pilote?

[Traduction]

Le président suppléant : Monsieur Morelli et maître Marshall, avez-vous des données à nous fournir au sujet des manquements?

M. Morelli : Oui, monsieur.

Le président suppléant : Si vous pouviez les transmettre au comité par écrit, nous vous en serions reconnaissants.

M. Morelli : Oui. Je peux vous fournir des données du projet pilote mené en Alberta et certaines informations et données du projet de l’Île-du-Prince-Édouard, ainsi que certains renseignements concernant le projet qui est en cours au Québec.

Le président suppléant : Pourriez-vous faire de même, maître Marshall?

Me Marshall : Oui. Je vais fournir ce que je peux. Je tiens à préciser encore une fois que ce type de données doit être examiné avec une compréhension des variables. Même si nous signalons une violation ou une violation possible en nous fondant sur les données GPS — des conditions d’une libération sous caution, par exemple — cela ne signifie pas nécessairement que l’individu sera déclaré coupable au bout du compte d’une infraction de manquement. Il est possible que la police décide de ne pas agir ou que les accusations soient abandonnées. Ces données ont un caractère assez flou.

Le président suppléant : Nous vous serions très reconnaissants de nous transmettre ces données le plus tôt possible, si vous les avez à portée de la main, car nous allons procéder à l’étude article par article la semaine prochaine. Nous vous saurions gré de nous les transmettre avant la fin de la semaine. Je sais que je suis exigeant, mais vous évoluez dans un monde où tout va vite et où tout est instantané.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins. J’aimerais revenir sur la question des coûts. On a entendu dire que l’une des entreprises facture entre 400 et 750 $ par mois. J’aimerais qu’on nous dise combien il en coûte par personne et par mois et qu’on nous indique si ces coûts varient en fonction des régions. En outre, s’il existe une carte montrant les régions où il y a une connexion et celles où il n’y en a pas, j’aimerais bien l’obtenir. Comme le président l’a souligné plus tôt, vous avez éprouvé des problèmes de connexion la semaine dernière, et vous vous trouvez dans des régions centrales.

J’aimerais aussi connaître les profits annuels qu’enregistrent vos entreprises pour ce type de travail et savoir si vous êtes encore enregistrés comme lobbyistes.

J’ai une question précise pour Me Marshall. Étant donné votre expérience en tant que procureur de la Couronne et en tant qu’avocat pour la Société d’aide à l’enfance, je crois que vous avez parlé, devant le comité de la Chambre des communes, de l’incidence de ces mesures de surveillance sur les questions de garde d’enfants et les questions de droit familial. Hier, un témoin nous a dit que cette technologie a été utilisée. L’un des risques, c’est qu’elle soit utilisée contre les femmes dans des situations où on informe l’aide à l’enfance des cas de violence au foyer.

Si vous pouviez dire quelques mots à ce sujet également, ce serait fantastique. Merci.

Me Marshall : J’aimerais avoir des précisions au sujet de la dernière partie de la question. Je n’ai pas vraiment compris la question concernant l’aide à l’enfance.

La sénatrice Pate : Lorsqu’il y a un cas de violence à l’endroit d’une femme, il arrive souvent que l’aide à l’enfance en soit informé s’il y a des enfants dans le foyer, afin de déterminer s’ils courent un risque. On nous a dit hier que des femmes risquent de perdre la garde de leurs enfants et que certaines l’ont perdue.

Me Marshall : Ce n’est pas tellement lié…

Le président suppléant : Qui avertissez-vous?

La sénatrice Pate : C’est lié à la surveillance en ce sens que, s’il y a un signalement, et si la femme est vue comme ayant une responsabilité dans la situation…

Me Marshall : Je ne crois pas que l’entreprise de surveillance disposerait de l’information nécessaire pour faire un signalement, par exemple, à la Société d’aide à l’enfance. Chaque personne a le devoir de faire un signalement si elle craint qu’un enfant coure un risque. Je ne suis pas certain que les entreprises de surveillance obtiendraient de l’information qui ne relève pas des conditions prévues dans l’ordonnance du tribunal. Nous ferions un signalement à la police, et ensuite, il appartiendrait à la police, si elle constate que les circonstances font courir un risque à l’enfant, d’accomplir son devoir de signaler cette situation.

La sénatrice Pate : Je voulais savoir, compte tenu de votre expérience à titre de procureur de la Couronne, si vous êtes préoccupé par cela. Vous ne semblez pas l’être.

Me Marshall : Je tiens à préciser que je n’ai pas été procureur de la Couronne. J’ai travaillé au sein du gouvernement en tant qu’avocat-conseil interne et j’ai travaillé à la Société d’aide à l’enfance, mais je n’ai pas été procureur.

La sénatrice Pate : Pardonnez-moi mon erreur.

En ce qui a trait aux profits, aux coûts et à la disponibilité de la technologie, seriez-vous en mesure de répondre à cela tous les deux?

Me Marshall : Pour ce qui est de notre programme à financement privé, les coûts varient entre 360 et 540 $ par mois. Nous avons une échelle variable, et le coût dépend de l’admissibilité de l’individu à l’aide juridique et du montant de la caution. Le montant de la caution est établi en fonction du critère des revenus appliqué par le tribunal.

Les frais demandés à un organisme gouvernemental qui finance un programme varient en fonction des exigences du programme. Comme nous sommes une entreprise privée, je dois refuser respectueusement de dévoiler nos profits.

La sénatrice Pate : Monsieur Morelli, pouvez-vous répondre aux mêmes questions, à savoir les coûts, la disponibilité de la technologie GPS et les profits?

M. Morelli : Je vais répéter ce que Me Marshall a dit, c’est-à-dire que nous sommes une entreprise privée. Nous réinvestissons ce que nous rapporte notre technologie. Par exemple, nous construisons de nouveaux serveurs, nous mettons au point de nouvelles technologies, nous soutenons divers refuges et nous essayons d’apporter notre contribution et de financer des initiatives. Nous ne dévoilons pas notre situation financière. Cependant, nous investissons dans la communauté et dans notre entreprise pour améliorer les technologies et demeurer à jour.

La sénatrice Pate : Et qu’en est-il de la disponibilité de la technologie à l’échelle du pays? Avez-vous une carte indiquant où la technologie est disponible et où elle ne l’est pas?

M. Morelli : Notre technologie est disponible partout au Canada, y compris dans les territoires. Encore une fois, comme je l’ai dit au début, nous procédons à une validation et à une vérification avant de fournir la technologie. Nous faisons largement appel au gros bon sens. Nous ne mettrions jamais une personne en danger parce que nous ne pouvons pas soutenir un programme de façon satisfaisante.

La sénatrice Clement : Je remercie les témoins. J’aimerais revenir sur les commentaires de M. Simpson et de Me Marshall au sujet de l’évaluation du risque. Monsieur Simpson, vous avez dit que chaque province s’est dotée d’un outil d’évaluation du risque. Si vous pouviez nous parler de la mesure dans laquelle ces outils d’évaluation du risque sont uniformes dans l’ensemble du pays, je vous en serais reconnaissante.

Ma deuxième question s’adresse à M. Morelli. Je sais que vous allez nous fournir des données, comme le président l’a demandé, mais je veux mentionner qu’hier, un témoin a expliqué que des individus qui portent le bracelet peuvent trouver des moyens de contourner ce dispositif et continuer à vivre leur vie. Ce n’est pas tellement une punition s’ils peuvent continuer à mener leur vie. Je comprends qu’on y a recours pour protéger la victime, mais pouvez-vous formuler des commentaires sur cet aspect?

J’aimerais donc que M. Simpson nous parle de l’évaluation du risque, et ensuite, ce sera au tour de M. Morelli.

M. Simpson : Je vous remercie, sénatrice. Je connais bien l’outil d’évaluation du risque en Alberta, car je l’ai utilisé, et je sais qu’on utilise des outils d’évaluation du risque partout au pays. Ces outils ont beaucoup d’éléments en commun. Ils se penchent sur la victime, le délinquant et sur ce qui s’est passé. Tous ces éléments — essentiellement, les faits et la situation de l’individu — entrent en ligne de compte pour déterminer le niveau de risque associé à l’événement en question. Les antécédents sont un facteur important dans le cadre du processus. Ils sont pris en considération.

Lors d’une évaluation du risque, il est très bien de prendre en compte la connexion et tout ce qui est disponible, mais, dans une région rurale, s’il faut entre 40 et 50 minutes à un policier pour se rendre sur les lieux, l’outil ne sera pas très utile dans une petite collectivité. Je le répète, il y a des aspects pratiques auxquels il faut penser lorsqu’on procède à une évaluation du risque afin de s’assurer que les personnes concernées ont une bonne compréhension et qu’on situe les choses dans leur juste perspective pour éviter de créer de fausses attentes en matière de sécurité.

M. Morelli : Je vous remercie beaucoup de la question. Nous avons vu des individus qui portaient le bracelet électronique GPS. S’ils veulent réintégrer la communauté et ne pas devenir des récidivistes, nous observons d’excellents comportements — c’est-à-dire qu’ils suivent des programmes de réinsertion, reprennent leur emploi, leur travail, tout. Je crois que nous devrions soutenir cela, tant qu’ils sont responsables et qu’ils respectent les ordonnances judiciaires qui leur ont été imposées. Nous avons vu d’excellents cas où, après six mois ou un an, l’individu fait de son mieux pour redevenir la bonne personne qu’il était auparavant et essaie d’aller de l’avant dans sa vie.

Nous avons eu un cas à Edmonton où un délinquant sexuel à haut risque portait un bracelet. Au moment de le lui enlever, il nous a dit que le bracelet l’aidait. Dans son esprit, il y avait deux personnes, dont celle qui portait le bracelet et respectait les conditions parce qu’elle savait qu’elle était surveillée et qu’elle comprenait ce qu’une violation des conditions signifierait pour elle. Ce qui lui faisait peur, c’était de penser que s’il ne portait pas de bracelet, alors l’autre personne se présenterait, et qui sait?

Je pense que si la technologie est utilisée correctement, nous pouvons résoudre beaucoup de problèmes et remettre certaines personnes sur le droit chemin. Personne ne veut être une mauvaise personne.

Le président suppléant : Puisque nous avons commencé la réunion un peu en retard, nous allons prolonger cette partie de quelques minutes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à M. Morelli.

Monsieur Morelli, ce projet de loi vise essentiellement à protéger les femmes des homicides et de dissuader les agresseurs de ne pas respecter leurs conditions de remise en liberté.

Selon vous, ce projet de loi permettra-t-il de mieux protéger les femmes et de dissuader les agresseurs qui ne respectent pas leurs conditions de remise en liberté?

[Traduction]

M. Morelli : Je vous remercie beaucoup de la question.

Je suis tout à fait en faveur de ce projet de loi. Nous l’avons vu, et nous savons comment il fonctionne. Il s’agit d’une excellente technologie, qui permet à la victime ou à la personne survivante de créer la qualité de vie qu’elle mérite et qu’elle souhaite. J’appuie donc totalement ce projet de loi. Merci.

Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse à M. Morelli. Je serai bref. J’espère obtenir des réponses rapides, car j’ai aussi une question à poser à M. Simpson.

Est-ce que les zones qui sont établies — celles qui leur sont interdites et celles où ils doivent se trouver — le sont par voie d’ordonnance judiciaire, ou parle-t-on ici d’incitation, si je peux me permettre?

M. Morelli : Cela passe par une ordonnance. Le tribunal décide que la personne est, disons, assignée à sa résidence ou soumise à un couvre-feu et qu’elle ne peut pas se rendre au domicile ou sur le lieu de travail de la victime, à l’école de ses enfants, chez les parents de la victime...

Le sénateur Klyne : Je comprends. Merci.

Le GPS a ses limites dans la mesure où il ne peut pas empêcher un accusé d’agir. Si la personne est déterminée, elle ira où elle veut. Le GPS ne peut qu’alerter la police. Je reviendrai sur cette question avec M. Simpson.

Or, je pense que l’objectif idéal ici serait de prévenir la non-conformité ou de dissuader les gens et aussi de favoriser une intervention immédiate et opportune. Vous n’aurez pas le temps de répondre à cette question, mais en ce qui concerne les préoccupations relatives aux lacunes, quelles sont les solutions qui permettraient d’y répondre? Encore une fois, si vous pouvez trouver le temps de répondre par écrit, je vous en serais reconnaissant.

Pour ce qui est des régions éloignées, au sein de votre organisation ou dans l’ensemble du programme, envisage-t-on de recourir à Starlink ou à OnStar, par exemple, pour combler les lacunes en ce qui a trait à la connectivité cellulaire?

M. Morelli : Je pense que je vais répondre à cette question.

Concernant notre solution pour la violence familiale, nous avons un bracelet qui a une sirène de 95 décibels. Nous avons également intégré un téléphone cellulaire qui nous permet de créer une intervention immédiate pour évaluer l’état d’esprit de la personne qui porte le bracelet. De plus, si cette personne franchit la zone d’exclusion et entre dans la maison, nous pouvons, grâce à ce téléphone, vérifier ce qui se passe dans la maison. Ensuite, nous utilisons une application pour téléphone. Nous avons établi un partenariat avec Samsung et TELUS dans tout le Canada pour fournir une technologie cellulaire aux victimes. Une alerte rapide améliorera également les choses sur le plan de la survie et de la sécurité de la victime.

Le président suppléant : Merci beaucoup. Sur ce, nous devons conclure cette partie de la réunion. Avant de remercier les témoins, je tiens à dire que la semaine dernière, nous avons dû annuler la séance non pas à cause d’un problème de connexion, mais parce qu’il y a eu un problème technique de ce côté-ci, au Sénat. Je voulais le préciser.

En terminant, je vous remercie beaucoup, messieurs Morelli, Marshall et Simpson. Vous avez fourni au comité de nombreux renseignements utiles et nous vous remercions beaucoup de votre participation à la réunion d’aujourd’hui.

J’ai le plaisir d’accueillir Mme Emilie Coyle, que ce comité connaît bien, qui représente l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry. Nous recevons également deux personnes qui comparaissent à titre personnel : Mme Diane Tremblay et Mme Mary E. Campbell, qui sont dans la salle; et M. Scott Newark, ancien procureur de la Couronne de l’Alberta et ancien agent exécutif de l’Association canadienne des policiers. Encore une fois, nous n’avons malheureusement pas pu communiquer avec lui hier, mais aujourd’hui, tout fonctionne. Il a le bon microphone. Merci beaucoup à tous les témoins. Nous allons d’abord entendre Mme Coyle. Vous disposez de cinq minutes.

Emilie Coyle, directrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Je suis heureuse d’être à nouveau parmi vous aujourd’hui. Comme toujours, je suis ravie de présenter le point de vue des femmes et des personnes de diverses identités de genre criminalisées au nom desquelles et aux côtés desquelles nous travaillons.

En ma qualité de directrice générale de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, ou l’ACSEF, je travaille principalement sur le territoire de la nation algonquine anishinabe, qui n’a été ni cédé ni abandonné par cette nation, où je me trouve aujourd’hui.

Je parlerai de la position de l’ACSEF au sujet de la surveillance électronique. Je dirais tout d’abord que je comprends qu’on souhaite essayer de protéger les personnes qui ont subi la violence d’un partenaire intime en utilisant toutes les avancées technologiques dont on dispose. En effet, bon nombre des femmes et des personnes de diverses identités de genre auprès desquelles nous travaillons, sinon la plupart, ont subi ce type de violence. Nous nous entendons tous pour dire que le nombre de femmes et de personnes de diverses identités de genre qui sont victimes de violence entre partenaires intimes est disproportionné en raison de la façon dont notre société patriarcale et misogyne les opprime.

Les données du Service correctionnel du Canada indiquent que les femmes et les personnes de diverses identités de genre qui sont incarcérées sont plus susceptibles d’avoir déjà subi de la violence physique ou sexuelle dans leur vie. C’est particulièrement vrai, comme vous l’ont dit d’autres témoins, pour les femmes autochtones, qui subissent, en plus, l’oppression coloniale et qui, de ce fait, sont encore plus nombreuses que les femmes non autochtones à être victimes de violence entre partenaires intimes. Par conséquent, nous sommes préoccupés par les répercussions qu’aura cette mesure législative sur les personnes auprès desquelles nous travaillons, dont certaines sont les plus vulnérables de notre société.

Chaque fois que nous apportons un changement législatif au nom de la protection des personnes vulnérables, nous devons nous poser des questions essentielles. Malgré nos objectifs louables, quelles pourraient être les conséquences imprévues de cette initiative? Pourrions-nous rendre des personnes déjà vulnérables encore plus vulnérables?

Dans le cas du projet de loi, nous devons nous demander si les mesures empêcheront la violence entre partenaires intimes de se produire au Canada ou si l’on utilisera des ressources nécessaires qui pourraient être consacrées à la prévention. S’attaquera-t-on aux causes profondes de la violence entre partenaires intimes, c’est-à-dire la misogynie et le patriarcat? Je soupçonne fortement que ce ne sera pas le cas.

Ces questions nous renvoient à des exemples où des mesures législatives dont l’objectif était louable ont mal tourné et ont causé davantage de dommages au lieu de les prévenir, en grande partie parce qu’elles reposaient sur des solutions carcérales. Un bon exemple de cela est l’inculpation obligatoire dans les cas de violence entre partenaires intimes ici, en Ontario, qui a été initialement bien accueillie par les gens qui travaillaient dans le secteur de la lutte contre la violence faite aux femmes.

Cette mesure législative vise « l’agresseur dominant ». On a supposé qu’il s’agirait de l’homme et que les femmes seraient plus en sécurité. Cependant, la loi a mené à des cas de mise en accusation double, c’est-à-dire que les deux parties sont accusées parce que, dans certaines situations, la police ne peut pas déterminer qui est l’instigateur. Ainsi, les personnes qui étaient censées être protégées ont finalement été punies par notre système de justice.

Je suis sûre que vous avez entendu parler, par exemple, de la femme qui fuit une situation de violence et qui jette un jouet en guise de légitime défense. Ce jouet devient l’arme dans l’accusation d’agression armée qui est ensuite portée contre elle.

Les femmes et les personnes de diverses identités de genre auprès desquelles nous travaillons ne seraient pas — et je l’ai déjà dit à ce comité dans le contexte d’autres projets de loi — considérées comme des victimes parfaites. Ce sont des personnes qui ont été victimes, certes, mais aussi des auteures de méfaits et, à ce titre, il est fort possible que, si ce projet de loi est adopté, ce soient elles qui portent un bracelet de surveillance électronique.

La stigmatisation associée au port du bracelet aurait l’effet d’exacerber la marginalisation à laquelle elles sont déjà confrontées. Nous savons que le racisme et d’autres formes de discrimination existent dans notre système de justice, des services de police aux tribunaux. Si le projet de loi est adopté, il pourrait faire plus de mal que de bien aux femmes et aux personnes de diverses identités de genre auprès desquelles nous travaillons, étant donné qu’elles sont déjà trop surveillées et trop punies.

Pouvez-vous me dire combien de temps il me reste, s’il vous plaît?

Le président suppléant : Il vous reste environ une minute.

Mme Coyle : On ne peut contrer la violence fondée sur le genre et la violence entre partenaires intimes en agissant de manière réactive. Il faut adopter une approche à plusieurs volets. Il faut agir en lançant une série d’initiatives qui visent à s’attaquer à la cause profonde des méfaits.

Nous croyons que, pour ce faire, nous devons nous concentrer davantage sur une approche durable et à long terme plutôt que sur une solution carcérale. Il faut faire un travail de sensibilisation à l’échelle nationale. Nous avons besoin d’un bon système de soins de santé mentale qui permet à chaque personne d’accéder à l’aide dont elle a besoin pour être en bonne santé.

Il nous faut un revenu universel de base pour que les personnes ne restent pas avec leur partenaire violent pour des raisons économiques. Des services de consultation doivent être facilement accessibles. Après tout, la violence entre partenaires intimes est une question sociale et pas seulement une question d’ordre privée.

Concernant les ressources et les services qu’elles demandent, les survivantes mentionnent souvent les travailleurs sociaux, l’aide financière, le logement, les ressources adaptées à la culture, les médiateurs, les spécialistes de la violence familiale, les pairs, la prévention et le désamorçage au sein de la communauté. La liste est longue.

Nous savons que nous devons et que nous pouvons mettre fin à la violence entre partenaires intimes, en gardant les personnes qui y survivent au centre de tous les efforts que nous déployons. Chacun d’entre nous dans cette salle pourrait avoir vécu ce type de violence. Compte tenu de cela, ne pourrions-nous pas et ne devrions-nous pas axer tous nos efforts sur la prévention des préjudices en premier lieu?

En définitive, la surveillance électronique est une entreprise coûteuse qui ne s’attaque pas aux causes profondes de la violence entre partenaires intimes.

Je vous remercie de votre temps.

[Français]

Diane Tremblay, à titre personnel : Bonjour à tous. Merci de m’accueillir à votre comité et merci au sénateur Boisvenu.

Je me présente : je m’appelle Diane Tremblay, je suis Autochtone et je suis une victime de violence conjugale et familiale.

La raison de ma présence ici, aujourd’hui, est pour apporter tout mon soutien au projet de loi S-205 proposé par le sénateur Boisvenu et pour poser enfin un geste représentatif et solidaire envers les victimes, majoritairement des femmes. J’inclus les femmes autochtones aussi, qui sont aux prises avec la violence conjugale et familiale.

Plus particulièrement, j’aimerais parler en gage de soutien aux femmes autochtones qui sont surreprésentées. L’ampleur de la violence commise à l’égard des Autochtones s’observe également dans le nombre élevé des filles et des femmes autochtones qui ont été assassinées ou portées disparues au Canada.

Nous, les victimes, méritons d’obtenir du système de justice une sécurité pour nous et nos enfants.

Je vous parle de mes enfants, parce que je les ai protégés en les sortant de ma maison. J’ai dû m’en séparer pendant trois ans et les placer en sécurité chez leur père. Je n’ai vu ni mon père, ni ma mère, ni mes amis pendant trois ans, parce que tout le monde était menacé autour de moi. J’ai pris en charge la sécurité de tout le monde que j’aime. J’aimerais que tout cela soit pris en considération, parce que cela m’a demandé beaucoup d’efforts et de courage pour me séparer de mes amours.

Encore aujourd’hui, des traces persistent. J’essaie tant bien que mal de protéger les femmes pour qu’elles n’aient plus à vivre ce genre de comportement et de souffrance. On est marqué au fer.

Je suis ici aujourd’hui parce que j’aime la vie, j’aime ma famille, j’aime mes amis et j’aime les femmes et les victimes qui sont aux prises avec ce que je vis. Cela ne devrait pas exister. J’espère qu’on sera entendu aujourd’hui. Il est temps que les choses changent. Cela ne fait pas partie de mon témoignage, mais cela vient du fond de mon cœur.

Nous sommes en 2022. Combien faudra-t-il encore de victimes de violence conjugale, d’assassinats de femmes et d’enfants pour que vous acceptiez d’apporter des changements majeurs aux lois existantes?

J’ai moi-même été une victime de violence conjugale. Durant cette période difficile de ma vie, j’ai vécu des agressions sexuelles, psychologiques, verbales, économiques, deux tentatives de meurtre de la part de mon agresseur récidiviste et des violences inexplicables, inimaginables. Dans mon cas, si le port du bracelet électronique avait été imposé à mon agresseur à l’étape de l’ordonnance 810, comme le propose le sénateur Boisvenu, mes enfants, ma famille, mes parents et moi aurions été en meilleure sécurité. Je n’aurais jamais subi ces multiples tentatives de meurtre. Croyez-moi, vous ne sortez pas indemne de tentatives de meurtre et les séquelles vous suivent toute votre vie.

Je crois sincèrement qu’au moyen de la surveillance électronique, j’aurais facilement pu prouver les non-respects de conditions de mon agresseur récidiviste. Les policiers auraient ainsi pu intervenir plus rapidement pour empêcher ce drame que moi et ma famille avons vécu.

À titre d’Autochtone et pour celles qui vivent en milieu rural, je peux vous dire que ce serait impératif pour leur sécurité, étant donné qu’elles aussi pourraient être munies d’un bracelet de distanciation provenant d’un cellulaire. Elles seraient alors en sécurité et le bracelet électronique aurait l’avantage de dresser un périmètre de sécurité entre la victime et son agresseur et pourrait aussi permettre de prouver les non-respects de conditions, car elles ne sont pas respectées, la plupart du temps.

En plus du bracelet électronique, le projet de loi propose également des solutions de rechange aux hommes violents, comme l’obligation de suivre une thérapie en violence conjugale ou en toxicomanie. Dans certains cas, il est possible de récupérer certains hommes violents et de les faire changer, et c’est le but du projet de loi. Les deux seraient gagnants au fond : l’homme aurait la chance de changer, et les femmes et leur famille seraient en sécurité.

Le président suppléant : Madame Tremblay, vous devez malheureusement conclure, car il y aura beaucoup de questions de la part des sénateurs. Peut-être voulez-vous faire une dernière remarque?

Mme Tremblay : Je vais aller tout de suite à la fin de mon allocution.

En mon nom et celui de toutes les victimes de violence conjugale et familiale, je remercie le sénateur Boisvenu de m’avoir permis de prêter ma voix à ce combat et je demande au Sénat du Canada, à notre premier ministre du Canada, au ministre de la Justice, aux juges, ainsi qu’à toutes les provinces canadiennes, d’adopter ce nouveau projet de loi et d’agir. Sinon, pour plusieurs d’entre nous, demain ne viendra pas.

Il serait impératif de mettre le bracelet électronique en place dès que la sécurité de la victime est en jeu. Nous avons tous le droit de vivre paisiblement, en toute sécurité et en toute justice dans notre pays. C’est ce que nous demandons. Protégez-nous.

Merci. Kitchi meegwetch.

Le président suppléant : Merci beaucoup, madame Tremblay. Je sais comment cela peut être difficile pour une victime de venir parler à un groupe de sénateurs ou des membres du Parlement. Je sais que ce n’est pas la première fois que vous témoignez au Parlement; vous avez déjà témoigné il y a quelques années. Je peux vous dire que, chaque fois que vous venez témoigner, nous apprécions votre témoignage.

[Traduction]

Madame Campbell, vous disposez de cinq minutes. Merci.

Mary E. Campbell, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président, de me donner l’occasion de comparaître une fois de plus devant ce comité. Je remercie beaucoup le comité pour le leadership dont il fait preuve en s’attaquant à ces questions qui sont, comme mon amie l’a si bien décrit, si importantes pour tout le monde au pays. Je pense que nous sommes tous unis lorsqu’il s’agit d’accroître la sécurité pour tout le monde au pays, en particulier pour les personnes qui sont particulièrement touchées.

Mme Tremblay : Merci.

Mme Campbell : Je veux parler très brièvement des deux parties du projet de loi. Nous n’avons rien entendu ce matin au sujet de l’article qui porte sur l’engagement de ne pas troubler l’ordre public, alors je veux en parler un peu.

En tant qu’avocate, j’ai commencé, bien sûr, par les éléments des articles 501 et 515 sur la mise en liberté provisoire en lisant les articles actuels pour voir ce qui s’y trouvait et ce qui pouvait manquer ou ne pas être clair. Je dois dire que ces deux articles sont assez complets. Ils comportent tous deux des dispositions omnibus qui permettent d’imposer toute condition raisonnable. Des conditions spécifiques sont énumérées, mais ce sont des exemples, comme nous le savons tous.

Certaines des modifications qui seraient apportées à l’article 515 posent quelque peu problème, par exemple, l’imposition d’un traitement à une personne qui n’a pas encore subi de procès ou inscrit un plaidoyer. Cette personne est présumée non coupable et, par conséquent, pourrait dire, à juste titre, qu’on va trop loin en imposant une ordonnance de traitement. Essentiellement, je ne pense tout simplement pas que les changements proposés à cette partie de la loi dans le cadre du projet de loi soient nécessaires. Les dispositions actuelles sont amplement suffisantes.

Je ne veux pas passer à une autre question sans d’abord parler de la surveillance électronique. Je suis ce qui se passe à ce sujet, avec mon collègue, M. Jim Bonta, depuis probablement trois décennies maintenant. Pourquoi? Si vous me connaissez, vous savez que je suis prête à saisir toute occasion de garder les gens en sécurité hors de l’enfer de la prison. Vous serez alors peut-être surpris d’entendre que je n’aime pas l’idée de recourir à la surveillance électronique. J’ai commencé par porter attention à ce qui en découlait et j’ai ensuite suivi les recherches et, bien sûr, M. Bonta a joué un rôle central dans ces recherches.

Je suis désolée, mais les recherches ne permettent pas de conclure que la surveillance électronique apporte quelque chose. Il y aura des situations particulières, mais dans l’ensemble, les recherches n’appuient pas l’idée. Quelles idées appuient-elles? Je peux vous donner une longue liste de choses qui fonctionnent, mais la surveillance électronique n’en fait malheureusement pas partie.

Très rapidement, en ce qui concerne les engagements de ne pas troubler l’ordre public, je pense que je fais partie des derniers fonctionnaires encore vivants qui ont travaillé à leur élargissement au début et au milieu des années 1990. Je suis heureuse d’être en vie; c’est la bonne nouvelle. Dans mon document d’information, j’ai essayé d’expliquer les pressions qui s’exerçaient à l’époque où nous avons créé deux nouveaux engagements de ne pas troubler l’ordre public — et il s’agissait de pressions très particulières — et ce que nous avons essayé d’accomplir.

Il y a maintenant, comme je le souligne, un plus grand nombre d’engagements de ne pas troubler l’ordre public. Je pense qu’il y a six ordonnances différentes en vertu l’article 810, un engagement en vertu de l’article 83, et maintenant nous avons potentiellement deux ordonnances supplémentaires en vertu de l’article 810 dans le cadre de ce projet de loi et d’un projet de loi d’initiative parlementaire proposé à l’autre endroit.

J’aimerais pouvoir vous fournir des données sur l’historique des ordonnances en vertu de l’article 810 et vous dire si elles ont porté fruit. Sont-elles respectées? Sont-elles enfreintes? Sont-elles efficaces pour protéger les femmes en particulier contre des partenaires qui pourraient chercher à leur faire du mal? Malheureusement, cette information n’est pas recueillie de façon systématique par le ministère de la Justice du Canada ou par Statistique Canada. J’ai parlé à un collègue de cet organisme de la possibilité de mener une enquête spéciale. Je vous aime tous, mais pas au point de débourser 500 $, j’en ai bien peur.

Si un sénateur essayait d’obtenir les données, je pense qu’il pourrait les obtenir sans frais, de sorte que nous en saurions plus sur le nombre d’ordonnances, le taux de réussite et les problèmes qui se posent. Nous n’avons tout simplement pas cette information.

Pour ce qui est de la nouvelle ordonnance de bonne conduite proposée ici, elle est en fait identique à ce qui existe déjà, plus précisément en vertu de l’article 810, la seule différence étant la sévérité des peines infligées. Les recherches nous indiquent toutefois que cette sévérité n’a pas en soi d’effet dissuasif. La plupart des gens ne savent pas quelles sont les peines qu’ils encourent — ils n’en ont aucune idée — et c’est la dernière chose qui risque de les dissuader.

Il ne faut pas oublier que l’individu qui est sous le coup d’une ordonnance de bonne conduite n’a pas été reconnu coupable de quoi que ce soit. Il est chez lui une bonne journée, et doit se présenter en cours le lendemain pour rendre des comptes quant à la crainte qu’il a pu semer chez certaines personnes, une crainte que je ne cherche aucunement à minimiser.

Je veux seulement faire valoir que l’on pourrait se contenter d’invoquer l’article 810 déjà en vigueur, plutôt que d’instaurer cette nouvelle ordonnance de bonne conduite. En fait, la disposition transitoire du projet de loi indique qu’une dénonciation déposée en vertu de l’article 810 avant l’entrée en vigueur de la loi est simplement réputée avoir été déposée en application des nouvelles dispositions. C’est donc du pareil au même. J’hésiterais grandement à créer une nouvelle ordonnance, car des individus pourraient se retrouver sous le coup d’ordonnances multiples alors même que nous ne disposons d’aucune donnée nous indiquant comment cela pourrait fonctionner.

Merci.

Le président suppléant : Merci beaucoup, madame Campbell.

J’aurais dû vous présenter comme étant directrice générale à la retraite de la Direction générale des affaires correctionnelles et de la justice pénale au ministère fédéral de la Sécurité publique. Vous avez fait valoir votre expertise et je voulais que tout le monde sache d’où vous la tirez. Merci beaucoup.

Nous passons maintenant à notre prochain témoin, M. Newark, qui comparaît par vidéoconférence. M. Newark a été procureur de la Couronne en Alberta et chef de la direction de l’Association canadienne des policiers.

Monsieur Newark, vous avez cinq minutes.

Scott Newark, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président, de m’avoir invité à être des vôtres aujourd’hui.

Je vais utiliser une partie du temps qui m’est alloué pour vous donner une idée du bagage d’expérience que j’ai accumulé pour mettre en contexte mon point de vue au sujet de ce projet de loi.

Je veux d’abord et avant tout féliciter le sénateur Boisvenu pour le dépôt de ce projet de loi. Bien que je souscrive à bon nombre des observations formulées par les témoins qui m’ont précédé, non seulement aujourd’hui mais depuis le début de votre étude, j’estime que le projet de loi permet d’apporter des améliorations d’importance. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi je pense que c’est le cas tout en vous assurant que je suis favorable à cette initiative.

Je dois mentionner d’emblée — et je vous fais grâce des détails — que je me suis retrouvé, un peu par accident, à agir comme procureur dans une poursuite contre des motards criminels au début de ma carrière en 1981. C’est ainsi que j’ai pu nouer des liens avec les services de renseignement des corps policiers, notamment de la GRC, mais également de Calgary et d’Edmonton. Ce fut un élément marquant dans ma carrière, car cela m’a fait prendre conscience de l’obligation d’arriver à composer, que cela nous plaise ou non, avec quelques-unes des plus dures réalités de notre système de justice pénale. J’ai ainsi pu constater — et c’est encore vrai aujourd’hui — qu’un nombre disproportionnellement élevé de crimes sont commis par un nombre disproportionnellement faible de contrevenants. Si vous orientez vos stratégies opérationnelles ou vos politiques publiques en tenant compte de cette réalité, il devient possible de réaliser des gains considérables en matière de sécurité publique.

Toujours sans entrer dans les détails, ces liens que j’avais tissés avec les services de police en Alberta ont mené à mon implication dans certaines causes très médiatisées. La sénatrice Pate se souvient d’ailleurs sans doute de quelques-unes de ces affaires. Nous avons ainsi mis au jour des cas terribles de meurtres commis par des gens qui n’auraient jamais dû sortir de prison. Mes connexions m’ont permis d’obtenir l’information, d’exposer la vérité au grand jour et de mettre en lumière les changements qu’il fallait apporter.

Comme je l’ai dit par la suite, j’adorais le travail de procureur, mais j’en suis venu à avoir marre de devoir régler au tribunal les erreurs commises par le système de libération conditionnelle. Je me suis rendu compte que la seule solution résidait dans les modifications à apporter à nos lois, ce qui incluait, dans le contexte de notre système de justice pénale, nos lois fédérales.

J’ai eu à travailler dans la cause de l’assassinat d’un jeune agent de police d’Edmonton, ce qui m’a amené à œuvrer au sein de l’Association canadienne des policiers. J’ai fondé le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes. C’est en misant de cette manière sur l’apport des services de police de première ligne et les efforts déployés pour que les victimes de la criminalité aient voix au chapitre que l’on a voulu véritablement changer les choses.

Les gens ont tendance à oublier. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Campbell lorsqu’elle parle de l’importance de conserver une mémoire institutionnelle. À l’époque, les victimes ne pouvaient pas être entendues au sein de notre système de justice pénale. Je vous rappelle qu’elles n’étaient même pas autorisées à assister aux audiences de libération conditionnelle.

Il est bien certain que les choses ont changé, et je peux vous dire que j’ai participé directement à la transformation à laquelle Mme Campbell faisait allusion avec l’élargissement du concept d’ordonnance de bonne conduite pour mener à l’engagement préventif. J’ai travaillé en étroite collaboration avec le ministre de la Justice de l’époque, Allan Rock — un chic type — ainsi qu’avec Herb Gray, qui était solliciteur général. Il s’agissait de concevoir des outils plus ciblés permettant d’intervenir dans des circonstances bien précises.

Parmi les constats qui m’apparaissaient manifestes à ce moment-là et qui se confirment encore aujourd’hui, il y a le fait qu’il n’existe pas de solution pouvant convenir à toutes les situations au sein de notre système de justice pénale. Il est important de le garder à l’esprit. Les gens s’en trouvent parfois étonnés, mais j’estime que notre système de justice pénale se distingue du fait qu’il permet de traiter au cas par cas la situation de chaque contrevenant et de chaque infraction. C’est d’ailleurs ce qui me plaît tout particulièrement dans ce que propose le sénateur Boisvenu avec le projet de loi S-205.

J’ai fait parvenir à votre greffier une note suggérant quelques éléments à considérer par votre comité relativement à ce projet de loi, et j’aurais peut-être une ou deux recommandations à vous soumettre en terminant.

Il faut d’abord envisager les autres utilisations qui pourraient être faites des dispositions en ce sens. Je crois qu’il a été question de cette « clause omnibus » qui autorise une éventuelle application lorsque les circonstances s’y prêtent. Il faut savoir que cette possibilité découle de l’arrêt Stillman, une décision rendue en 1997 par la Cour suprême du Canada qui stipulait que toute mesure susceptible de porter gravement atteinte à la vie privée d’une personne doit s’appuyer sur des dispositions expressément articulées par le Parlement ou entérinées par les tribunaux. C’est la raison pour laquelle il est important d’exprimer dans la loi elle-même la volonté de recourir à la surveillance électronique. Il est tout aussi important que cela soit laissé à la discrétion des intervenants, plutôt que d’être rendu obligatoire, car c’est la façon dont notre système de justice pénale fonctionne maintenant, comme on a pu le constater dans différents jugements de la Cour suprême...

Le président suppléant : Nous allons conclure sur ce point, monsieur Newark, car les cinq minutes qui vous étaient allouées sont écoulées. Merci beaucoup.

Nous passons au premier tour de questions en commençant par le sénateur Boisvenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins.

Madame Campbell, lorsque vous dites qu’une ordonnance 810 protège bien les femmes, je vous invite à prendre connaissance d’une étude récente, datant de 2020, de l’Université de Montréal et de l’UQAM, qui démontre que dans 50 % des cas, les agresseurs ne respectaient pas leurs conditions de l’ordonnance 810, notamment la condition de ne pas s’approcher des victimes. Si vous cherchez une étude à ce sujet, l’Université de Montréal en a une.

Madame Tremblay, d’abord, merci pour votre courage. J’ai beaucoup de sympathie pour ce que vous avez vécu. Vous avez eu la chance, comme l’a dit le président, de partager votre expérience de violence conjugale. C’est assez terrible, et c’est vrai que c’est le lot de beaucoup de femmes au Canada. Vous êtes représentative des personnes que le système de justice ne protège pas. C’est la grande contradiction de notre système : on demande aux femmes de dénoncer les agressions, mais une fois que c’est fait, on ne les protège pas.

Je ne vous poserai qu’une question, qui est au fondement même de ce projet de loi. Vous en avez parlé un peu dans votre mémoire : si ce projet de loi avait été en vigueur au moment où vous avez vécu de la violence conjugale, auriez-vous vécu ce calvaire d’avoir à placer vos enfants, fuir votre domicile et vivre encore aujourd’hui cette violence, cette crainte de votre agresseur, qui est encore dans votre environnement? Est-ce que le bracelet électronique aurait pu vous éviter ce calvaire que vous avez vécu en matière de violence conjugale?

Mme Tremblay : Oui, définitivement; j’aurais pu me mettre en sécurité et les policiers seraient intervenus sur-le-champ. Ce projet de loi en est un d’encadrement. Il faut regarder le côté positif de tout cela pour les victimes, la sécurité de nos familles et de nos enfants. Le fait d’encadrer ce projet de loi, de resserrer cet encadrement auprès des agresseurs et des meurtriers, dans plusieurs cas, aurait pour conséquence que ceux-ci seraient sous la loupe avec le bracelet électronique et le projet en général. Les thérapeutes pourraient les prendre en charge.

Je crois également que la loi éviterait des remises d’audience sans fin au tribunal. L’agresseur qui est contrôlant ne supportera pas longtemps d’être pris avec le bracelet électronique et la thérapie. Il y aura une conséquence sur sa propre liberté. Nous, nous n’avons plus cette liberté. Nous sommes enfermées dans des maisons pour femmes. Dans nos maisons, nous ne pouvons pas sortir comme nous voulons. Nous ne savons pas quand nous allons être tuées. Nous ne savons pas quand les fils dans la tête de l’agresseur vont se toucher.

Le fait que cela aurait une incidence sur la liberté de l’agresseur l’inciterait sûrement à changer de comportement, du moins je l’espère. De plus, cela permettrait à la victime d’être en sécurité et de ne plus attendre en raison de ces interminables remises d’audience. Saviez-vous que chaque fois qu’une cause est remise, on revit le drame? C’est interminable. D’ailleurs, il devrait y avoir une loi stipulant qu’un certain nombre de remises devraient être prises en considération et qu’après tel nombre de remises, il faut que la cause procède. Ce serait important de le prendre en considération dans le projet de loi.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.

Sénateurs, je vais laisser mon temps de parole aux autres collègues pour poser des questions.

Le président suppléant : Merci, madame Tremblay.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos témoins et merci pour vos observations préliminaires. J’adresse ma première question à Mme Coyle, mais nos autres invités peuvent également y répondre.

Dans vos remarques préliminaires, vous avez indiqué que l’on pouvait notamment agir de façon proactive en s’attaquant aux causes du problème. On peut alors tabler sur des actions visant la réhabilitation et la réinsertion sécuritaire ou encore un changement de comportement. Il y a aussi la possibilité d’agir de façon réactive sous la forme de mesures dissuasives et d’interventions rapides comme ce projet de loi permet de le faire, ce qui peut procurer bien souvent à la victime un sentiment de sécurité et de liberté, c’est-à-dire la liberté d’essayer de mener une vie normale.

Voici donc ma question. Pourquoi ne pas combiner ces deux approches?

Mme Coyle : C’est une question d’autant plus intéressante que votre comité a maintes fois eu l’occasion de discuter de l’exemple de l’Espagne qui utilise un système de surveillance électronique depuis 2009, si je ne m’abuse. On a pu entendre les récits de personnes ayant eu recours à cette surveillance électronique. Encore aujourd’hui, ces personnes ne se sentent pas en sécurité lorsqu’elles quittent leur résidence, et ce, même si la surveillance électronique est en fonction. Les raisons de telles craintes peuvent varier d’une personne à l’autre. Dans l’un des articles que j’ai lus, une femme disait qu’elle continuait à rester à la maison avec ses enfants et qu’ils avaient toujours un œil sur ce petit appareil qui ne les quitte désormais plus.

Bien que j’espère qu’un tel système puisse être utile, je continue de m’interroger sur la pertinence d’investir dans une mesure semblable. Je préférerais que la victime ne se soit jamais retrouvée dans une situation de la sorte. C’est un peu comme appliquer un sparadrap pour endiguer une véritable hémorragie. Nous cherchons une solution plus satisfaisante pour les personnes auprès desquelles nous intervenons. Lorsqu’on déploie ainsi à d’autres fins les efforts et les ressources nécessaires pour stopper l’hémorragie, je crains fort que l’on croie avoir trouvé la solution et que l’on décide de ne pas en faire davantage.

Le sénateur Klyne : Je pense surtout aux victimes. Si nous parvenions à éradiquer directement les causes de ces crimes, cela mettrait fin aux agressions. Il y a cependant bel et bien des victimes qui souhaiteraient vraiment pouvoir mener une vie normale.

Mme Coyle : Tout à fait.

Le sénateur Klyne : D’après les témoignages que j’ai pu entendre à ce sujet, ce système procure aux victimes ce sentiment de sécurité et cet espoir de pouvoir un jour reprendre le cours normal de leur vie.

Mme Coyle : Si vous me permettez de donner un autre exemple, il y a eu un cas dans le nord du Canada où deux femmes en liberté conditionnelle faisaient la fête avec leurs partenaires. Lorsque ces derniers sont devenus violents, les femmes ont appelé la police. Leurs conditions de mise en liberté ne leur permettaient pas de boire de l’alcool. Les policiers qui se sont rendus chez elle pour assurer leur protection les ont en fait accusées d’avoir contrevenu à leurs conditions de mise en liberté, et elles sont retournées en prison.

Je crains en fait que les mesures carcérales de ce type aient en définitive pour effet de punir ces mêmes personnes auxquelles nous venons en aide et qui sont déjà parmi les plus vulnérables. C’est toujours l’exemple qui me vient à l’esprit lorsque je me demande si c’est la bonne façon d’aider ceux et celles que nous voulons aider.

[Français]

Mme Tremblay : On parle d’un cas en particulier, mais, en tant que victime, j’ai parlé à beaucoup de femmes et j’ai même aidé la victime, qui a été victime du même agresseur que moi. Elle a aussi subi des tentatives de meurtre. Je l’ai accompagnée en cour et j’ai vu beaucoup de non-respect des conditions de probation. Je viens d’aider une autre jeune femme d’une trentaine d’années, qui est aux prises, encore, avec des non-respects des conditions de probation.

Juste le fait d’être ici, cela me sécurise. Je crois sincèrement qu’on a besoin d’adopter d’autres mesures. On est pris dans un système qui est devenu redondant. C’est toujours la même affaire.

Saviez-vous que cela fait 10 ans que je me bats pour que des changements soient apportés aux lois? J’aurais pu faire autre chose, mais j’y crois. Je crois que les victimes ont droit à une sécurité, à une vie normale, et non à une vie brisée. Il faut absolument que les femmes soient entendues. On sait de quoi on parle. On le vit. On a besoin de mesures de protection.

Le président suppléant : Je m’excuse, madame Tremblay. Je suis obligé de vous interrompre. Nous devons passer à une autre question.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci à tous de votre présence aujourd’hui. Je veux d’abord m’adresser à Mme Campbell. Vous avez comparu à maintes reprises devant ce comité depuis que j’en fais partie. Dans vos observations préliminaires, vous avez fait une remarque qui témoignait d’une attitude plutôt désinvolte — sans doute davantage que vous ne l’auriez souhaité, mais cela ne m’en demeure pas moins regrettable — en disant que vous étiez heureuse d’être encore en vie. Vous parliez alors du travail que vous avez accompli dans le dossier des ordonnances de bonne conduite il y a plusieurs années déjà. Je sais que ce n’était pas le sens de votre intervention, mais nous traitons ici de la situation de nombreuses victimes de violence familiale qui n’ont plus cette chance d’être encore en vie parce que nous n’avons pas su mettre en place dans ce pays des mesures de protection adéquates. Je voulais seulement le souligner.

J’aimerais laisser le reste de mon temps à Mme Tremblay. J’ai vu que vous en aviez encore beaucoup à dire au comité dans les observations préliminaires que vous avez préparées, et je souhaite vous donner l’occasion de le faire dès maintenant.

[Français]

Mme Tremblay : Meegwetch. Je vais respecter les trois minutes qui me sont accordées.

Je ne sais pas si le sénateur Boisvenu est d’accord, mais j’aimerais vous exprimer le message que je suis venue vous livrer aujourd’hui. Merci infiniment.

Tout d’abord, j’aimerais dire à Mme Campbell que c’est vrai que cela m’a frappée lorsque vous avez dit : « Je suis en vie. » Je ne vous en veux pas. L’impact que cela a sur nous, c’est que vous êtes chanceuse d’être encore en vie. Profitez-en, parce que, ce que l’on a vécu, cela peut arriver à tout le monde. L’important, c’est d’être en vie et non de survivre, parce que je suis encore en train de survivre.

Une question devait m’être posée aujourd’hui, à savoir ce que j’aimerais dire aux sénateurs, aux législateurs, en tant que victime de violence conjugale.

Je vous remercie de votre écoute et de votre respect envers nous toutes. Nos témoignages sont des cris du cœur. Il faut que cette violence s’arrête et il faut élever nos consciences et la conscience des agresseurs et des citoyens de notre pays. L’importance d’une vie ne s’achète pas. Cela n’a pas de prix. Cela ne se remplace pas. Les victimes de violence conjugale ont droit à la sécurité, à une vie normale et non le droit de simplement survivre.

Grâce à ce projet de loi, vous nous permettrez de sortir de l’enfer de la violence conjugale en nous sécurisant, en encadrant les agresseurs. Durant la crise des camionneurs, je me souviens que plusieurs des ministres ont été victimes de menaces de violence psychologique et verbale. Certains d’entre eux ont dû être protégés par des gardes du corps pour assurer leur protection.

Pour nous, les victimes et citoyens ordinaires, ce sont le bracelet électronique obligatoire, dès qu’une première plainte est déposée, et l’adoption du projet de loi qui nous serviront de gardes du corps. Cet appareil pourra enfin nous protéger de nos agresseurs. Ce droit à la vie est impératif et malheureusement, plusieurs victimes ont été arrachées trop tôt à leur vie.

N’attendons plus et agissons aujourd’hui ensemble, main dans la main, pour que cesse l’irréparable afin que nous toutes ayons le droit de mener une vie normale. J’insiste auprès des femmes autochtones qui n’ont malheureusement pas eu et qui n’ont pas encore tous ces droits. Cela n’a plus de sens.

Il faut que cette forme de violence arrête. Je vous en prie, écoutez-nous. Nous savons de quoi nous parlons. Nous l’avons vécu. Les statistiques sont importantes, mais la vie des femmes et des enfants n’a pas de prix. Vous allez avoir une influence tellement positive sur nos vies. Je le sens déjà. Merci à vous tous.

Le président suppléant : Merci, madame Tremblay.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Merci à tous nos témoins.

Je tiens à souligner le beau geste de la sénatrice Batters qui a renoncé à poser quelque question que ce soit afin de permettre à Mme Tremblay de finir de présenter ses observations au comité.

J’ai deux questions bien distinctes. La première est pour vous, monsieur Newark. Vous vous êtes dit favorable à ce projet de loi en indiquant qu’il allait améliorer considérablement la situation. Relativement à certains aspects de ce projet de loi, Mme Campbell a laissé entendre que les dispositions actuellement en vigueur permettent déjà d’appuyer adéquatement les différentes interventions de notre système de justice. Elle a notamment souligné qu’il est déjà possible d’avoir recours à la surveillance électronique pour assurer le respect des engagements. Pouvez-vous nous indiquer les raisons pour lesquelles vous estimez que cette disposition-là est vraiment nécessaire?

J’aurai ensuite une question pour Mme Campbell.

M. Newark : C’est une simple question pratico-pratique. J’ai pu constater d’expérience — pour avoir aussi travaillé au sein du gouvernement de l’Ontario où nous avons mis en place l’Office des affaires des victimes d’actes criminels — que notre système de justice est conçu de telle manière que, peu importe si une mesure est déjà prévue dans le cadre d’une « clause omnibus » permettant de faire ceci ou cela, le simple fait de la coucher sur papier incite les procureurs et les juges à reconnaître qu’il s’agit d’un outil qui devrait être utilisé. Il est donc bel et bien pertinent de le faire.

Dans l’arrêt Charkaoui concernant les certificats de sécurité, la Cour suprême du Canada entérinait déjà le recours à la surveillance électronique même en l’absence d’une autorisation précise à cette fin. C’est donc chose possible, mais j’ai assurément pu constater, sénateur, que, lorsque de telles dispositions sont écrites noir sur blanc, il y a de bien meilleures chances que les responsables y aient recours.

Le sénateur Cotter : Merci.

Madame Campbell, la question que je veux vous poser va presque dans le sens contraire. Vous avez laissé entendre que la plupart des mesures proposées dans ce projet de loi sont déjà accessibles. Vous avez aussi mis en doute l’efficacité de la surveillance électronique. Différents gouvernements provinciaux ont mis en œuvre des programmes de surveillance électronique, et celui du Québec investit quelque chose comme 40 ou 50 millions de dollars par année dans son nouveau programme en ce sens. J’ai l’impression que vous remettez en question la sagesse de nos dirigeants provinciaux en laissant planer un doute quant à l’efficacité de ces programmes. Pourriez-vous nous dire ce qu’il en est exactement?

Mme Campbell : Voilà une question intéressante. Merci.

Il va de soi que les gouvernements prennent toutes sortes de mesures pour toutes sortes de raisons différentes, et je crois que vous êtes bien placé pour le savoir. Je trouve vraiment tragique de voir, comme vous l’avez indiqué, ces gouvernements investir des dizaines de millions de dollars dans ces programmes de surveillance électronique. On parle en effet de 40 à 50 millions de dollars qu’une seule province investit dans un programme dont la recherche empirique ne prouve pas l’efficacité. Ce n’est pas juste mon opinion à moi. C’est simplement qu’il n’existe aucune donnée de recherche pour le prouver.

En tant que contribuables habitant dans ce pays, nous avons le droit d’exiger des résultats conséquents lorsque des dizaines de millions de dollars sont ainsi dépensés un peu partout au Canada. Imaginez si la famille de Mme Tremblay avait reçu ne serait-ce que 1 million de dollars pour se payer de véritables mesures de protection. Je trouve simplement tragique que nous continuions d’investir autant d’argent dans des mesures qui, nous le savons, n’ont qu’une efficacité très limitée.

Il y a d’autres organisations sur le terrain. Nous collaborons avec les Cercles de soutien et de responsabilité que vous connaissez peut-être. Ils sont sur le point de fermer leurs portes, car leur financement est insuffisant. Ces cercles offrent des services complets de soutien aux délinquants sexuels ayant besoin d’une aide très sentie. Les évaluations de leur travail ont révélé qu’il permet de réduire les risques de récidive. Il leur manque non pas des millions, mais quelques dizaines de milliers de dollars à peine.

Je pense que toutes les personnes ici présentes partagent le même objectif et veulent travailler ensemble. Il s’agit de savoir comment nous pouvons y parvenir et comment investir de façon optimale des deniers publics qui se font de plus en plus rares.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’ai une question pour Mme Tremblay et ensuite j’en aurai une pour Mme Campbell. Tout d’abord, je remercie les témoins d’être ici.

Madame Tremblay, vous nous avez dit très clairement que vous aviez perdu votre liberté. On vient d’entendre un ancien procureur de la Couronne nous dire qu’il est vrai que la surveillance électronique est déjà prévue dans le Code criminel, mais qu’elle n’est pas appliquée. Si on ajoute le port d’un bracelet électronique et que cela n’est pas appliqué, dans votre esprit, est-ce qu’on règle quelque chose? Ma question précise pour vous est la suivante : devrait-on faire en sorte que de la formation soit donnée aux juges, que les groupes de soutien aux femmes fassent partie prenante de notre système, de sorte que si le juge ne s’en rend pas compte, comme l’a indiqué l’ancien procureur de la Couronne, il sera obligé de le lire, car ce sera écrit noir sur blanc?

Envisagez-vous un rôle particulier pour les groupes de soutien aux femmes victimes dans ce processus, à partir du moment où les dénonciations sont faites à la police et jusqu’à la fin?

Mme Tremblay : Tout à fait; je suis en accord avec vos propos. Il faut absolument que nos juges, que les organismes et que les policiers soient formés. Il est impératif qu’il en soit ainsi. Tout le monde comprendra alors le même message et nous travaillerons main dans la main. Une solidarité sera alors présente. L’accompagnement sera beaucoup plus serré pour les victimes et pour les agresseurs. Je crois qu’il est temps d’élever nos consciences. On est prêt pour un changement.

J’écoutais les commentaires de Mme Campbell. Ce qui se passe présentement ne fonctionne pas. Je dis depuis 10 ans que cela ne fonctionne pas. Il faut un changement. De quoi a-t-on peur — de sauver des vies? Sauver des vies n’a pas de prix.

Il faut que de la formation soit offerte. Je suis pour le bracelet électronique. Dès que l’on considère — à la suite de cette formation, bien entendu —, que la vie et la sécurité de la personne est en danger, on doit tout de suite imposer le port du bracelet électronique. Je crois que ce serait approprié pour les victimes.

Merci beaucoup pour votre question.

La sénatrice Dupuis : Monsieur Newark, vous nous avez fait part d’un commentaire très intéressant et que l’on n’a pas entendu jusqu’à présent dans nos séances. Si je vous ai bien compris, vous dites qu’un très petit nombre de personnes commettent le plus grand nombre de crimes. Ai-je bien compris? Avez-vous des données à ce sujet?

[Traduction]

Le président suppléant : Monsieur Newark, si vous voulez bien répondre à cette question.

M. Newark : Il y a effectivement certaines données bien qu’il soit de plus en plus difficile de s’y retrouver. Vous pouvez notamment consulter à ce propos les rapports annuels de Juristat. Il y en a qui portent sur différents sujets. Le rapport présentant les statistiques sur les crimes déclarés par la police a été rendu public il y a quelques mois. À défaut d’avoir une vie sociale, j’ai l’habitude de passer en revue ces différents rapports. La méthodologie utilisée fait en sorte qu’il peut être difficile de tirer les choses au clair. De fait, je vous recommanderais notamment, sénatrice, de leur demander de faire rapport sur la question bien précise que vous venez de soulever. Combien de ces crimes sont commis par des individus qui sont en liberté sous caution, en probation ou en libération conditionnelle, par exemple? Je peux vous dire d’expérience que les procureurs compilent de telles données, mais ne les communiquent tout simplement pas. À mon avis, les choses iraient beaucoup mieux si on pouvait le faire.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, monsieur Newark. Vous m’enlevez les mots de la bouche. On a besoin d’une amélioration à plusieurs points de vue.

J’aimerais revenir à ma question à Mme Campbell. Ai-je bien compris que vous avez eu de la difficulté à obtenir des statistiques? On vient d’entendre que ces statistiques existent, mais qu’elles ne sont pas rapportées. Pour moi, ce que cela pose comme problème, c’est toute l’imputabilité du système judiciaire à l’endroit du public.

[Traduction]

Mme Campbell : Cela devient de plus en plus problématique, et ce ne devrait pas être le cas. Il est très difficile — et je l’ai constaté depuis que j’ai pris ma retraite, il y a presque 10 ans — d’obtenir des statistiques à jour du gouvernement fédéral. Bien sûr, le gouvernement fédéral dépend souvent des rapports présentés par les provinces, comme le dit M. Newark.

Quand on étudie les organismes correctionnels, le ministère de la Justice du Canada ou Statistique Canada — et j’ai beaucoup de respect pour le Centre canadien de la statistique juridique — comme je l’ai dit, en tant que chercheur indépendant, il faut payer pour obtenir des chiffres. Sur de nombreuses questions, notamment sur les engagements de ne pas troubler la paix, il n’y a pas de données. Je suis assez obstinée dans mes recherches, et les données ne sont tout simplement pas accessibles. Je pense que c’est une tragédie et que cela ne sert pas les besoins de ce comité. Vous ne pouvez pas savoir ce que vous faites si vous n’avez pas de données sur lesquelles vous appuyer. Je suis consternée; c’est dire à quel point le problème est grave.

M. Newark : Sénatrice, je peux vous dire qu’il y a quelques années, j’ai aidé mon vieil ami Jason Kenney, qui était alors à la tête du Parti conservateur uni, en Alberta. Il planchait à son programme électoral, et nous y avions inclus un engagement à adopter une loi sur le droit de savoir du public, de connaître le nombre de crimes (de crimes violents, de crimes particuliers) commis dans chaque district judiciaire par les personnes en liberté sous caution, sous probation, emprisonnées avec sursis, en libération conditionnelle, qui font l’objet d’une expulsion ou qui ont déjà été expulsées pour cause de criminalité. Cela n’a pas encore été fait, mais — et je suis d’accord avec Mme Campbell là-dessus — c’est quelque chose qui pourrait être fait.

Le président suppléant : Merci. Comme nous avons fait référence à l’expérience du Québec et comme c’est moi qui l’ai portée à l’attention de la Chambre, je tiens à dire que le programme prévoit 41 millions de dollars sur cinq ans. J’ai les détails sous les yeux au moment où je vous parle. Il prévoit 500 dispositifs de surveillance, ce qui comprend le bracelet lui-même, la surveillance constante et la formation des agents qui l’utiliseront, surtout au sein des services correctionnels. Il s’agit d’un tout, qui comprend la formation, la surveillance et les dispositifs. Cela représente environ 8 millions de dollars par an pour 500 appareils. Afin de contenir les coûts et de garantir que ces mesures s’appliquent aux cas qui le justifient, un juge peut l’ordonner seulement si le procureur général de la province l’exige.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je serai bref. En 2012, lorsqu’on avait étudié le projet de loi C-10, les statistiques démontraient que 70 % des crimes étaient commis par 20 % de criminels, et que le nombre de retours d’un criminel dans un pénitencier fédéral est de quatre fois, alors que, dans une prison au Québec, il est de huit fois.

C’est ce que M. Thériault appelait, à l’époque, les portes tournantes.

Ma question s’adresse à Mme Campbell. Vous dites que l’investissement de millions de dollars dans le bracelet électronique devrait plutôt être fait ailleurs. À combien estimez-vous la perte économique, pour le Canada, d’avoir dû compter, en 2021, 173 femmes assassinées?

[Traduction]

Mme Campbell : Pour rectifier les faits, je ne pense pas avoir dit que c’était trop; j’ai dit que cela ne donnera pas les résultats escomptés pour ce genre de dépense. Nous connaissons de nombreux autres outils qui, dans les faits, seraient beaucoup plus efficaces.

Vous ne connaissez pas l’histoire personnelle de tous les témoins qui comparaissent ici. L’essentiel, c’est que nous sommes tous unis vers un même but. Je pense que ce serait une gouvernance plus prudente d’investir l’argent du peuple dans ce qui peut donner de véritables résultats.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Alors pourquoi la majorité des provinces disposent-elles d’un programme de bracelet électronique? La France, l’Espagne et près de la moitié des États américains adoptent le bracelet électronique dans les cas de violence conjugale. Est-ce que toutes ces personnes se sont trompées?

[Traduction]

Mme Campbell : Je ne peux que répéter ce que j’ai répondu au sénateur Cotter, à savoir que les gouvernements font diverses choses pour toutes sortes de raisons différentes. Je m’en tiendrai à cela.

Le président suppléant : Je vous remercie. C’est sur cette note que se termine la réunion. Nous avons déjà dépassé l’heure à laquelle nous étions censés nous arrêter, et les interprètes et le personnel de soutien ont droit à une pause avant que la séance du Sénat ne débute, à 14 heures.

Merci beaucoup à nos témoins du deuxième groupe : Mme Coyle, Mme Tremblay, Mme Campbell et M. Newark. Vous nous avez tous apporté des perspectives différentes sur les questions importantes que soulève le projet de loi. Je vous en remercie vivement. Je suis sûr que tous les membres du comité sont d’accord avec moi pour dire que votre témoignage nous a été utile et qu’il sera pris en compte dans notre réflexion sur ces questions importantes. Je vous remercie beaucoup.

(La séance est levée.)

Haut de page