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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 13 décembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour l’étude du projet de loi S-11, Loi no 4 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bienvenue à cette réunion. Avant de commencer, j’aimerais demander aux sénateurs de se présenter.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Brent Cotter, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, sénateur indépendant, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

La présidente : Je suis Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique, présidente du comité.

[Traduction]

Sénateurs, nous sommes ici aujourd’hui pour examiner le projet de loi S-11, Loi no 4 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.

Sénateurs, nous recevons l’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Il est accompagné de Riri Shen, sous-ministre adjointe déléguée, du Secteur de droit public et des services législatifs; et de Me France Allard, avocate générale principale, de la Direction des services législatifs.

Monsieur le ministre, une fois encore, nous vous remercions beaucoup de comparaître malgré le très bref préavis. Nous sommes maintenant devenus habitués de vous rencontrer chaque semaine. Bienvenue. Vous pouvez faire votre allocution d’ouverture.

L’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Je vous remercie, madame la présidente. Je lance parfois à la blague que je passe plus de temps ici que certains de vos honorables collègues.

La présidente : Faites attention.

[Français]

M. Lametti : Je suis heureux, honorables sénateurs et sénatrices, de comparaître devant ce comité dans le cadre de l’étude du projet de loi S-11, Loi no 4 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.

Je suis accompagné de Riri Shen et de ma collègue des 30 dernières années, Me France Allard. C’est formidable de voir France ici aujourd’hui, car elle est une grande experte dans le domaine.

Je dois vous avouer que, durant 20 ou 25 ans, donner des cours a fait partie de ma vie; j’ai donné des cours en droit civil et en common law à l’Université McGill. Les enjeux dont nous allons parler aujourd’hui faisaient donc partie de ma vie quotidienne.

Ce quatrième projet de loi d’harmonisation soutient notre engagement à faciliter l’accès à la justice, en fournissant aux Canadiennes et aux Canadiens un accès à des textes législatifs dans l’une ou l’autre des langues officielles, de tradition de droit civil ou de common law.

[Traduction]

Comme certains d’entre vous le savent déjà, j’ai été professeur de droit à l’Université McGill pendant près de 20 ans, et un des cours que j’ai enseigné portait sur les traditions juridiques. J’ai également enseigné le droit des biens, principalement en vertu du droit civil, mais également en vertu de la common law, ainsi que d’autres spécialités du droit privé. Je suis donc ravi de parler aujourd’hui de l’importance de l’harmonisation du droit et de ses racines dans la tradition canadienne de pluralisme juridique.

Le projet de loi S-11 assurera l’égalité de l’interprétation de la loi et de la protection qu’elle offre à l’échelle du pays. Comme le titre du projet de loi l’indique, le projet de loi S-11 est le quatrième projet de loi de ce genre. C’est également le plus exhaustif des projets de loi d’harmonisation jusqu’à maintenant. Il a pour but de modifier 51 lois qui relèvent de neuf ministères. Ces neuf ministères ont travaillé avec le ministère de la Justice afin d’élaborer les modifications d’harmonisation proposées dans le projet de loi S-11. Une part appréciable du projet de loi concerne les lois régissant les institutions financières. Les modifications proposées sont techniques et terminologiques. Les changements effectués dans le cadre de l’harmonisation ne visent pas à modifier la politique législative qui sous-tend les dispositions concernées.

[Français]

Si les interventions sont terminologiques, le travail d’harmonisation demande une analyse approfondie des textes législatifs quant au fond. Il consiste à réviser toutes les lois et tous les règlements fédéraux, dont l’application requiert le recours au droit privé provincial ou territorial, et ensuite, au besoin, à concilier le contenu afin qu’il intègre à la fois les notions, les principes et les concepts du droit civil québécois et de la common law. Les changements proposés au moyen du projet de loi S-11 sont le résultat d’un examen minutieux par des experts juridiques et linguistiques.

Comme vous le savez, dans la province de Québec, les droits et obligations relevant du droit privé sont généralement régis par le Code civil du Québec, qui est entré en vigueur en 1994, ainsi que par le Code civil du Bas-Canada, qui est entré en vigueur entre 1866 et 1994, tandis que les autres provinces et les territoires sont sous le régime de la common law.

L’objectif de l’harmonisation est d’assurer que chaque version linguistique des lois et règlements fédéraux tienne compte des traditions du droit civil et de la common law. On désigne la coexistence et l’interaction de ces deux traditions par le terme « bijuridisme ». Cette caractéristique est le témoin de l’histoire du Canada et de sa structure juridique et constitutionnelle.

Le système juridique canadien est un système de droit mixte qui se définit notamment par son pluralisme juridique. Ce pluralisme reflète la diversité de multiples sources du droit et de multiples systèmes juridiques qui coexistent et interagissent entre eux. Cela comprend les traditions, ordres et systèmes juridiques autochtones, qu’ils soient inuits, métis ou des Premières Nations. Le bijuridisme qui fonde l’initiative d’harmonisation est une manifestation de ce pluralisme.

Le bijuridisme existe depuis longtemps au Canada, bien avant la Confédération elle-même. C’est en 1774, avec l’Acte de Québec, que les autorités britanniques ont reconnu à la population francophone qui vivait principalement dans ce qui est aujourd’hui le Québec le droit d’avoir un régime d’inspiration française. Comme je l’ai dit il y a quelques instants, le Code civil du Bas-Canada a été publié en 1866, une année avant la Confédération, et était largement fondé sur le Code Napoléon, mais il contenait beaucoup de modifications qui reflétaient la réalité du Canada, le Bas-Canada à l’époque.

[Traduction]

La common law et le droit civil ont évolué au fil de l’établissement, de la conquête, de l’Acte de Québec, de la création du Code civil en 1866, et de la Confédération, cohabitant et agissant en interaction à chaque étape.

[Français]

Les Pères de la Confédération canadienne ont réitéré cette réalité historique dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Encore aujourd’hui, la Loi constitutionnelle maintient cette réalité au Canada en conférant aux provinces une compétence exclusive sur la propriété et les droits civils. Ainsi, depuis l’Acte de Québec de 1774, le droit civil et la common law cohabitent formellement au Canada. Quant aux territoires, leur compétence en matière de propriété et de droits civils découle pour chacun d’une dévolution du Parlement du Canada de certaines de ses compétences constitutionnelles vers les administrations territoriales par voie législative.

[Traduction]

Les droits provinciaux et territoriaux déterminent généralement les concepts utilisés dans les affaires de droit privé. Quand le Parlement fédéral adopte des lois qui font référence aux concepts de droit privé, il le fait en sachant qu’il s’en remet aux droits provinciaux et territoriaux existants.

Je suis accompagné aujourd’hui de mon équipe de la Direction des services législatifs. C’est cette direction du ministère de la Justice qui a le mandat d’harmoniser la législation fédérale. Comme je l’ai déjà indiqué, Mme Shen et Me Allard pourront répondre aux questions techniques sur le projet de loi. Ce sont les expertes. Avec leurs collègues, elles effectueront le travail nécessaire pour les fins de l’harmonisation, en collaboration avec les ministères responsables de l’application des lois et règlements touchés par les propositions de modifications. Une fois cette première phase terminée, les propositions de modifications aux lois et règlements seront élaborées, puis soumises à une consultation publique

II est important de souligner que les lois d’harmonisation sont présentées devant le Parlement une fois qu’elles ont été révisées et commentées par des membres du milieu juridique et des parties prenantes. Dans mon ancienne vie de professeur, j’ai été consulté sur l’harmonisation des dispositions relatives aux biens et j’ai travaillé dans le domaine du bijuridisme à l’Université McGill.

[Français]

L’harmonisation facilite l’accès à la justice en rendant la législation plus compréhensible pour les Canadiens et les Canadiennes. Cela assure ainsi une administration de la justice efficace partout au pays. L’harmonisation clarifie l’application des lois fédérales et réduit les risques et le nombre de poursuites judiciaires inutiles, tout en réduisant les coûts d’administration de la justice pour tous les Canadiens et toutes les Canadiennes.

[Traduction]

L’harmonisation des lois est essentielle au maintien du bijuridisme — un élément fondamental du pluralisme juridique canadien — et assure l’égalité de l’interprétation de la loi au Canada. Je souligne que les trois lois d’harmonisation précédentes ont toutes été adoptées grâce à des motions de consentement unanime. J’espère que ce sera de nouveau le cas aujourd’hui dans les deux Chambres.

Je vous remercie de m’avoir offert l’occasion d’expliquer ce projet de loi important, mais très technique. Comme je l’ai indiqué, mes collègues et moi-même répondrons à vos questions avec plaisir. Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur le ministre.

Je voudrais vous poser une question. Le gouvernement a réalisé de réels progrès au chapitre des questions autochtones, de la réconciliation et d’autres dossiers. Votre ministère envisage-t-il d’examiner également les lois autochtones? Quels progrès avons-nous accomplis ou votre ministère a-t-il faits à cet égard?

M. Lametti : Je vous remercie de cette question, madame la présidente. C’est en fait un dossier auquel je travaille beaucoup en ma qualité de ministre.

Nous en sommes à l’étape à laquelle nous travaillons avec divers dirigeants autochtones, nations, titulaires de droits et organisations autochtones nationales — qu’elles soient métisses, inuites ou des Premières Nations — dans le cadre d’une approche fondée sur les distinctions afin de revitaliser le système normatif autochtone. C’est un dossier que je prends très au sérieux. Pour moi qui suis un ardent pluraliste juridique — et vous pouvez maintenant voir, avec le temps que j’ai passé à l’Université McGill, que c’est dans mon ADN —, il importe que nous permettions aux systèmes juridiques de prospérer comme ils le font depuis des temps immémoriaux.

Par suite des appels à l’action nos 42 et 50 du rapport de la Commission de vérité et de réconciliation, j’ai investi dans des projets élaborés et dirigés par des Autochtones afin de revitaliser, ressusciter ou renforcer les systèmes normatifs sur le terrain. Je continue d’être ouvert à ces initiatives.

Travaillant dans le cadre du processus de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et élaborant un plan d’action avec les dirigeants autochtones dans leurs multiples formes, nous tentons de permettre... « permettre » n’est pas le mot qui convient... Nous tentons, de concert avec des partenaires autochtones, de jeter des bases pour que les systèmes juridiques autochtones prospèrent.

Peut-être qu’en temps et lieu, nous pourrons reconnaître plus officiellement le pluralisme juridique qui existe de facto au Canada. J’espère préparer le terrain à cette fin.

La présidente : Je vous remercie, monsieur le ministre.

J’accorderai maintenant la parole à la marraine du projet de loi, la sénatrice Clement.

[Français]

La sénatrice Clement : Bonjour, monsieur le ministre. Je suis heureuse de vous revoir au comité. J’aimerais remercier les sénateurs Dalphond et Dupuis de leurs beaux discours à l’étape de la deuxième lecture au Sénat sur ce projet d’harmonisation et aussi le sénateur Carignan de son discours à titre de porte-parole. On a parlé de l’histoire entourant le bijuridisme. Vous avez vraiment une expérience très directe, car vous avez enseigné sur le sujet. J’aimerais donc vous poser cette question de manière toute personnelle.

Comment le projet d’harmonisation et le bijuridisme sont-ils reçus au Québec, en particulier par les civilistes? Où en sommes-nous avec ce projet de loi? Serons-nous en mesure de dire un jour qu’on n’aura plus besoin de présenter des projets d’harmonisation et que les lois seront rédigées de façon harmonieuse?

M. Lametti : C’est une bonne question. Pour la dernière partie de la question, je vais me tourner vers mes collègues pour voir ce qui nous attend à l’avenir. Ce sont des questions importantes, surtout pour l’accès à la justice pour les Canadiens de partout au pays — francophones, anglophones, civilistes ou juristes de common law — et pour mieux comprendre le droit. Je donne des exemples un peu plus faciles pour tout le monde.

[Traduction]

Les hypothèques sont un concept de la common law ayant une structure conceptuelle intéressante.

[Français]

En matière d’hypothèque, c’est le même travail en français, sauf que conceptuellement ce n’est pas la même chose. Alors, comment rédiger une loi qui touche le financement, qu’on appelle en anglais « secured financing »? Je vais passer de l’anglais au français, donc je présente mes excuses aux interprètes. Comment bien comprendre tout cela?

C’est la même chose pour des termes comme « trustee », « mandatary fiduciary » et « fiduciaires »; ce sont des termes qui ont un contexte particulier dans ce système particulier. Il faut voir comment on peut les harmoniser, parce que le droit fédéral fait référence à plusieurs reprises soit à la common law, soit au droit civil. Ce sont des questions importantes qu’il faut bien comprendre; elles sont importantes pour l’accès à la justice et pour les citoyens. Lorsque quelqu’un achète une maison et quitte le Québec pour déménager en Ontario ou l’inverse, il est très important que la personne soit à l’aise avec les documents liés à la transaction. Sur ce qu’il nous reste à faire, je pose la question à ma collègue.

Riri Shen, sous-ministre adjointe déléguée, Secteur du droit public et des services législatifs, ministère de la Justice Canada : J’aimerais ajouter quelques informations. En ce qui concerne l’organisation de la Direction des services législatifs, comme vous le savez, nous pratiquons la corédaction, c’est-à-dire qu’il y a deux rédacteurs pour chaque texte législatif. Nous avons aussi plusieurs processus de révision, dont la révision bijuridique.

[Traduction]

Cela étant dit, tous les textes législatifs sont révisés afin de déceler les éléments bijuridiques pendant la rédaction.

Bien entendu, le problème vient en partie du fait qu’il existait déjà un corpus législatif avant le début du projet d’harmonisation du bijuridisme. L’un des principaux objectifs du projet d’harmonisation consiste à régler la question des imposants projets de loi omnibus, puisque de façon générale, la plupart des projets de loi et des textes législatifs apportent, de par leur nature, des amendements et ne permettent donc pas toujours de faire des mises à jour bijuridiques.

M. Lametti : Sénatrice, puis-je ajouter, en réponse à votre question sur le Québec, que cette initiative est extrêmement importante dans cette province. Pourquoi? Parce que pendant une trop grande partie de notre histoire, nos lois ont été rédigées seulement en anglais et en fonction des principes de la common law, puis traduites en français.

[Français]

Nous avons changé le système. Nous en sommes à corédiger les lois avec une sensibilité au droit civil et à la common law en même temps. C’est une amélioration dans le processus de rédaction et de conception des lois. Il faut aussi refaire tout ce qui a été fait. Cela prend du temps. C’est très important d’avoir une égalité entre les systèmes et les langues, non seulement dans la pratique pour les citoyens, mais aussi sur le plan symbolique pour le pays.

La sénatrice Clement : Merci.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur le ministre. Je voudrais faire un préambule très important. Lors de l’adoption du projet de loi C-5, vous nous avez dit qu’aucun criminel dangereux ne serait renvoyé chez lui pour purger sa peine à domicile.

Je vous informe qu’hier, à Montréal, un criminel reconnu coupable de trafic de drogue dure, de possession d’arme à feu et de possession d’arme déchargeant jusqu’à 30 balles a été condamné à une peine de deux ans moins un jour à purger chez lui.

Ce projet de loi fait en sorte que les criminels dangereux n’iront jamais en prison. Je tenais à vous donner cette information.

M. Lametti : Monsieur le sénateur, c’est aux juges de déterminer si la personne pose une menace à la sécurité publique. C’est la responsabilité des juges de le déterminer, selon les faits et le contexte.

Le sénateur Boisvenu : Vous avez dit que les auteurs de crimes graves ne seraient pas condamnés chez eux; dans ce cas-ci, c’est le contraire.

Le projet de loi S-11 va modifier 51 lois qui sont sous juridiction provinciale. J’aimerais savoir comment les provinces ont collaboré à la préparation de ce projet de loi et j’aimerais savoir également si leurs demandes de modification ont été retenues par votre ministère.

M. Lametti : Pour être exact, monsieur le sénateur, ce sont des lois fédérales qui sont modifiées; on ne touche pas aux lois provinciales. Dans l’espèce, il s’agit des lois fédérales qui se réfèrent aux lois provinciales, pour être bien clair; c’est un concept qui tombe sous le droit civil ou la common law. On ne touche donc pas aux lois provinciales.

Nous avons quand même mené un long processus de consultation à chaque étape, avec les barreaux, la Chambre des notaires du Québec et bien d’autres. Ils ont tous eu l’occasion de participer au processus.

Me France Allard, avocate générale principale, Direction des services législatifs, ministère de la Justice Canada : En fait, comme l’a indiqué le ministre Lametti, ce sont des lois fédérales et elles s’appuient, sur le plan conceptuel, sur le droit provincial. Dans ces cas, le législateur, dans l’exercice de sa compétence, a toujours la possibilité de déroger complètement ou partiellement à une règle de droit provinciale, ce qu’il fait fréquemment, comme il l’a fait pour l’article 27, par exemple...

Le sénateur Boisvenu : Les provinces n’ont pas été consultées.

Me Allard : Tous les barreaux ont été consultés, tous les...

Le sénateur Boisvenu : Je parle des ministres de la Justice.

Me Allard : Les ministères de la Justice ont été consultés une fois que le projet de loi a été rédigé. Tous les barreaux ont été consultés.

Donc, plus de 400 intervenants ont reçu les documents de consultation et ont eu l’occasion de faire des commentaires...

Le sénateur Boisvenu : Je sais que la Chambre des notaires du Québec a fait des commentaires. Est-ce que ces commentaires ont été pris en compte? Ils ont demandé des modifications au projet de loi; est-ce que vous avez retenu ces modifications?

Me Allard : Nous n’avons pas retenu toutes les modifications. En fait, tous les commentaires que nous avons reçus de la part de tous ceux qui en ont fait ont été analysés de façon très minutieuse, pour déterminer si cela avait une incidence sur le projet de loi.

Certains commentaires ont été retenus, plusieurs ont été exclus, parce que nous avons certains critères pour intervenir sur le plan de l’harmonisation. Cela veut dire qu’il ne faut pas qu’il y ait de modification, si on inclut un commentaire, à l’orientation législative se trouvant dans le texte de loi. De plus, il faut que les commentaires plus techniques soient conformes aux normes de rédaction fédérales, qui ne sont pas forcément les mêmes.

En fait, on essaie toujours de modifier le moins possible le texte législatif, tel qu’il est, pour ne pas créer de problème additionnel d’interprétation s’il est complètement reformulé. Nous intervenons seulement lorsqu’un terme n’est pas suffisant, par exemple, si on a uniquement un terme de common law pour mettre en œuvre l’orientation législative. Cependant, si la terminologie qui est utilisée n’est pas exactement la même que dans les droits provinciaux, avec les provinces et les territoires, c’est presque impossible d’avoir l’ensemble du vocabulaire précis. L’utilisation des termes dans la loi est quand même conforme à la reconnaissance du droit civil et de la common law, pour qu’elles puissent s’appliquer conformément sans toujours utiliser les mêmes termes.

Dans ces cas-là, on n’intervient pas. Il est clair que lorsqu’on fait référence à un régime juridique, on utilise les termes les plus précis possibles.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.

Le sénateur Dalphond : Bienvenue, monsieur le ministre. C’est un plaisir pour moi de voir Me Allard, qui m’a intéressé au bijuridisme il y a 30 ans, lorsque j’étais un jeune juge à la Cour supérieure. Je suis content de voir que vous en avez fait une carrière. Je crois que c’est un phénomène extrêmement important que de reconnaître la diversité québécoise, la pluralité juridique et le système particulier et distinct qui définissent le Québec.

Ma question s’adresse au ministre. Monsieur le ministre, vous avez parlé d’accessibilité à la justice et d’accessibilité aux lois fédérales. La loi la plus importante du pays, la Loi constitutionnelle de 1867, ne contient que sept articles — et peut-être huit depuis la semaine dernière — qui ont été adoptés dans les deux langues et qui ont une version bilingue. Il reste bon nombre d’articles, plus d’une centaine, qui sont toujours officiels en anglais seulement.

Que fait le ministère pour mettre fin à cette situation inacceptable, qui est contraire à l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982?

M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur, monsieur le juge.

Je partage votre opinion; c’est quelque chose qu’on doit absolument corriger. Ce que je peux vous dire, c’est que le ministère de la Justice a publié une version française complète de la Constitution; elle n’est pas officielle, évidemment, mais elle est publiée sur nos sites Web.

J’espère que, en publiant une telle ébauche, la version va s’enraciner. Quand le moment sera opportun, nous ferons ce changement constitutionnel.

Le sénateur Dalphond : Pourquoi ne fait-on pas des démarches avec les provinces pour finaliser ce processus? Les textes sont prêts depuis plus de 20 ans et on n’a toujours pas fait d’efforts en ce sens. On a abandonné après que la sous-ministre a contacté les provinces à un certain moment; depuis, c’est au point mort.

Pourquoi le gouvernement ne s’engage-t-il pas à faire des efforts pour qu’on termine cette partie du travail constitutionnel de 1982?

M. Lametti : Je partage votre opinion. J’aimerais voir une Constitution bilingue et officielle. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il faut parfois miser sur l’évolution. Donc, j’espère que, dans un proche avenir et au moment opportun, on pourra le faire.

Le sénateur Dalphond : Si je comprends bien, avec la procédure d’amendement qui doit être suivie et celle qui est prévue à la Loi constitutionnelle de 1982, cela signifie que le Parlement pourrait adopter un certain nombre d’articles qui ne relèvent que du Parlement fédéral au moyen d’un amendement constitutionnel qui serait adopté par les deux Chambres.

On pourrait donner l’exemple en commençant à adopter un certain nombre de dispositions qui ne concernent que le Parlement fédéral et dire aux provinces que le temps est venu de traiter des autres dispositions ensemble.

M. Lametti : C’est vrai; je vais y réfléchir.

Le sénateur Dalphond : Merci, monsieur le ministre.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Je vous remercie, ministre Lametti.

Je suis troublée par le peu de transparence dont le gouvernement Trudeau fait preuve sur le plan de la consultation législative. Le sénateur Carignan a dû vous demander par deux fois de nous remettre une liste des parties prenantes dans le cadre de notre étude sur le projet de loi C-28, et vous n’avez toujours pas révélé les conseils que ces parties prenantes vous ont prodigués sur l’orientation du projet de loi.

Maintenant, pour ce projet de loi, le gouvernement a mené des consultations législatives en 2017, mais ce n’est que cinq ans et demi plus tard que le projet de loi S-11 a été déposé au Parlement. Vous ne nous avez toujours pas dit quelles parties prenantes avaient participé aux consultations et quels conseils elles vous avaient prodigués. Votre projet de loi permet-il de résoudre les problèmes soulevés par ces parties prenantes?

M. Lametti : En substance, oui, nous les avons résolus.

Nous avons mené des consultations étendues à chaque phase. Nous en sommes à la quatrième phase d’harmonisation dans le cadre d’un processus qui a commencé à la fin des années 1990 sous différents gouvernements. Le dernier projet de loi d’harmonisation a été déposé par Rob Nicholson. Comme je l’ai indiqué précédemment, il a reçu le consentement unanime. Tous les projets de loi l’on reçu, et j’espère que ce sera le cas de celui-ci également. Nous avons longuement consulté les provinces, les parties prenantes et les associations du Barreau de chaque province, et nous avons pris leurs suggestions au sérieux, en intégrant un grand nombre dans le projet de loi.

Celles qui ont été exclues en principe — je traduis approximativement ce que Me Allard a dit il y a un instant tôt — dépassaient la portée du projet de loi. Les projets de loi d’harmonisation ne doivent pas modifier la substance de la loi, mais l’harmoniser. Un certain nombre de modifications proposées, notamment une série soumise par la Chambre des notaires du Québec, auraient modifié ou élargi la portée du projet de loi. Ces genres de suggestions n’ont pas été retenues.

Ont également été écartées les propositions qui ne correspondaient pas nécessairement aux pratiques de rédaction du gouvernement. Par exemple, le principe de concision veut que les dispositions soient les plus brèves possible. Or, certaines suggestions auraient eu pour effet d’allonger ou de compliquer indûment une définition.

Toutes les suggestions ont été prises en compte, et le même processus a été employé pour chaque consultation pendant les quatre phases, des améliorations étant apportées en cours de route. Nous vous remettrons une liste des parties prenantes avec grand plaisir.

La sénatrice Batters : Nous vous en saurions gré, puisque nous saurions ainsi si leurs propositions ont été suivies ou non.

Monsieur le ministre, l’insistance du gouvernement Trudeau à renvoyer au Sénat cet énorme projet de loi — mais regardez-en la taille — juste avant Noël témoigne de son manque de respect pour le travail du Parlement. Nous devons l’examiner dans un délai très serré, ce qui nous a empêchés de convoquer des témoins aux séances, en dehors des fonctionnaires de votre cabinet et de votre ministère. Il nous est donc difficile d’effectuer un second examen objectif — un premier examen objectif, en fait, puisque vous avez déposé ce projet de loi au Sénat — quand nous n’avons pas le temps nécessaire ou les renseignements que nous avons besoin d’entendre de la part d’un groupe équilibré de témoins. En outre, on s’attend à ce que nous procédions à l’étude article par article cet après-midi.

Je suis fort préoccupée par le fait que nous devions adopter une mesure législative à la hâte, alors que nous savons que notre comité n’aura pas le temps d’entendre et de considérer les préoccupations des principales parties prenantes. Je sais que la Chambre des notaires du Québec a demandé à comparaître devant notre comité, mais nous n’avons pas encore reçu de copie traduite de cette lettre. La Chambre craint que certaines lois fédérales ne soient pas modifiées par le projet de loi S-11. Elle a pris part aux consultations initiales de 2017 et sa lettre contient un certain nombre de recommandations et d’amendements techniques. Toutes ses recommandations ont-elles été intégrées au projet de loi, à part celles dont vous avez déjà parlé? Si ce n’est pas le cas, pourquoi pas?

M. Lametti : J’ai déjà répondu à cette question. Les amendements proposés par la Chambre des notaires du Québec ont tous été dûment examinés et un certain nombre d’entre eux ont été intégrés au projet de loi. Ceux qui ne l’ont pas été élargissaient la portée du concept ou de la substance des lois concernées ou auraient eu un effet semblable. Selon les règles de base de rédaction, elles auraient rendu la structure de la traduction plus lourde, plus complexe ou incompatible avec d’autres pratiques de rédaction.

J’ai vu le texte d’une réponse à ces préoccupations, et je sais qu’il vous a été envoyé. J’ignore si vous y avez déjà accès, mais vous pourrez en prendre connaissance très bientôt.

La sénatrice Batters : Espérons que nous l’aurons avant l’étude article par article.

Monsieur le ministre, je constate qu’à plusieurs endroits dans le projet de loi, le titre de « Her Majesty » a été remplacé par celui de « His Majesty », manifestement pour tenir compte du changement intervenu dans la monarchie par suite du décès récent de la Reine Elizabeth II et de l’ascension du Roi Charles III. C’est notamment le cas à la page 180 du projet de loi, aux articles 528 à 530 portant sur la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels.

Je présume que le projet de loi ne corrige pas toutes les occurrences où il faut remplacer « Her Majesty » par « His Majesty » ou « Reine » par « Roi » dans les lois canadiennes, puisque ces mots sont considérés comme interchangeables en vertu de la Loi d’interprétation. Pourquoi alors avez-vous décidé d’en inclure certains et pas d’autres dans le projet de loi?

M. Lametti : Je demanderai à mes collègues de répondre à cette question.

Mme Shen : Vous avez raison de dire que les références à « Her Majesty » sont maintenant considérées comme des références à « His Majesty » en vertu de la Loi d’interprétation. Conformément aux pratiques de rédaction législative, nous faisons maintenant référence à « His Majesty » dans tous les nouveaux textes législatifs depuis le décès de la Couronne.

La sénatrice Batters : Pourquoi alors le projet inclut-il certains changements à « His Majesty », mais pas tous?

Mme Shen : C’est parce que nous n’avons corrigé que les références qui incluaient expressément « Her Majesty ». Ces références auraient été modifiées, mais, comme vous le savez, ces références abondent dans le corpus législatif. Conformément aux pratiques législatives, nous n’avons apporté ces modifications qu’aux textes qui étaient amendés pour que les dispositions faisant référence à « Her Majesty » indiquent plutôt « His Majesty ». Par exemple, si les modifications d’harmonisation apportées à un des projets de loi visés ne comprenaient pas de référence à des textes antérieurs parlant de « Her Majesty », nous n’y aurions pas apporté de modification.

La sénatrice Batters : Est-ce parce que vous ne modifiez que les 51 projets de loi?

Mme Shen : Non. Dans les textes harmonisés dans les 51 projets de loi, toutes les références à « Her Majesty » auraient été remplacées par « His Majesty ». Mais si un projet de loi est amendé, même si le projet de loi sous-jacent contient des références à « Her Majesty », nous n’y apporterions pas de modification parce qu’il n’est pas amendé par le présent projet de loi, puisque, comme vous le savez, la Loi d’interprétation règle la question.

La présidente : Sénateurs, sachez que la Chambre des notaires a été invitée, mais a décliné l’invitation. Vous savez qu’elle a envoyé une lettre. Le greffier vous la lira après la comparution du ministre. Nous espérons en recevoir la traduction d’ici 14 heures.

Le sénateur Cotter : Je n’ai pas une question particulièrement difficile aujourd’hui, ministre Lametti. Je suppose que c’est en fait un point au sujet duquel j’aimerais m’informer. J’admets que nous examinons ce projet de loi à vitesse grand V, mais tous les groupes ont convenu que nous l’étudierions rapidement.

Avant d’être nommé au Sénat, j’ai eu l’occasion de travailler avec notre ami commun Daniel Jutras dans le cadre d’une refonte substantielle du code de déontologie des juges de la Cour supérieure intitulé Principes de déontologie judiciaire. L’approche adoptée dans le cadre de cet exercice s’apparentait beaucoup à celle que vous avez décrite ici et consistait à rédiger les textes en parallèle au lieu d’écrire le texte anglais, puis de le traduire en français, comme on l’avait fait pour la version précédente.

J’ai deux observations à cet égard. Je pense d’abord que l’exercice nous a donné un aperçu du génie de la langue anglaise. La version française était peut-être légèrement meilleure, mais la version anglaise était bonne également. De plus, nous avons découvert non seulement les délicats choix de mots entre le français et l’anglais, mais également des manières différentes de concevoir le concept.

Je me demande si vous pourriez parler de manière générale des difficultés que posent les différences entre le Code civil et la common law lors de la rédaction et de la réflexion derrière les mots utilisés. Comme je crains que cette question vous incite à vous lancer dans un exposé magistral, peut-être pourrions-nous en avoir la version abrégée.

M. Lametti : Vous n’avez pas idée à quel point je suis tenté. Je suis heureux de réfléchir à certains segments, mais je vais certainement inviter mes collègues à y réfléchir également.

Il y a des années, quand je suis arrivé à McGill, j’ai reformulé la constitution de l’Association des étudiants en droit avec un de mes collègues francophones, qui est toujours un bon ami et qui est professeur à l’Université nationale de Singapour. C’était ma première expérience de cet exercice; j’essayais de corédiger et de le faire de manière à ce que les concepts se parlent, même dans quelque chose d’aussi — je ne dirai pas d’aussi banal, mais d’aussi simple, je pense, qu’une constitution fonctionnelle pour une organisation. Imaginez à quel point ce serait plus difficile pour les concepts.

Il faut regarder la façon dont les systèmes ont évolué. La common law, comme vous le savez, a évolué par l’entremise du droit jurisprudentiel. Il y avait des juges de la Cour du Banc de la Reine depuis 1066 — je vais dire cette date parce que c’est celle que tout le monde utilise, bien que cela se soit produit avant aussi — qui faisaient la loi sur le terrain en fonction des cas. Ensuite, il y a eu cette infusion de terminologie normande après 1066, ce qui a donné le français normand. Puis il y a eu les emprunts constants au droit romain. Chaque fois que la common law avait besoin de s’organiser, elle se tournait vers la tradition du droit romain ou du droit civil pour se doter de concepts organisateurs, puis les lois arrivaient. Je ne veux pas dire qu’il y a un méli-mélo, mais il y a un méli-mélo de sources dans la common law et de concepts — comme l’hypothèque, par exemple — qui prennent forme sur le terrain avec les lois, par l’entremise de cas, d’une façon qui évolue lentement...

Le droit civil a essayé de le faire différemment. Je ne dis pas qu’il n’y avait pas de sources sur le terrain dans le droit civil aussi, mais le droit civil a essayé de faire les choses différemment en prenant de grands principes du droit romain et en essayant de les réécrire tous dans un seul livre. Il y a eu des codifications initiales lors de la première Renaissance, au XIVe siècle, dans toute l’Europe — différents types de codes ont été rédigés, qu’il s’agisse de codes de droit canonique ou de droit civil. Puis, au XIXe siècle, Napoléon a tenté de faire ce que le Code justinien avait fait en droit romain, c’est-à-dire de tout regrouper dans une série de codes ou de livres de manière cohérente sur le plan conceptuel. Le droit civil possède cette merveilleuse architecture qui est rationnelle et tente de l’organiser de cette manière.

Vous avez donc deux systèmes qui partent de points de départ très différents. Encore une fois, j’ai caractérisé les deux — mais permettez-moi cela, car je suis un vieux professeur de droit —, donc parfois les interactions sont différentes. Ajoutez à cela la matrice linguistique du français et de l’anglais. Ce qui est déroutant, c’est que beaucoup de termes de la common law proviennent du français normand, et cela devient très amusant.

Je ne sais pas si l’un de nos collègues souhaite ajouter quelque chose.

[Français]

Me Allard : Ce que je peux dire, c’est que l’exercice lui-même nous force à établir un dialogue entre les deux langues. J’ai une anecdote à ce sujet. Deux conseillers législatifs de la direction ne s’entendaient pas du tout sur la façon d’organiser la disposition. Le francophone disait que la façon dont la disposition était organisée n’était pas logique, qu’elle devait plutôt être rédigée d’une telle façon, que c’était une nouvelle disposition. Sa collègue, elle, incluait tous les détails, les énumérations et même des synonymes dans l’énumération, ce que l’on voit souvent dans la common law. Après qu’on a expliqué aux deux collègues que la conception même de transposer une idée dans un texte se fait mieux avec des catégories qu’avec toutes sortes de listes d’institutions pour en arriver au même résultat, l’un des deux a dit : « Je comprends pourquoi on ne s’entend jamais! »

La difficulté dans le contexte législatif fédéral, surtout sur le plan de l’harmonisation, c’est qu’on a un texte figé. Dans le cadre des révisions, c’est différent, parce qu’on peut jouer avec le texte et qu’on touche à l’orientation. Si on peut toucher à l’orientation législative, cela signifie qu’on laisse tomber la disposition.

Il y a des cas où, en analysant le texte dans les deux langues et en le lisant dans un sens et dans l’autre, si on adoptait une lecture civiliste, on pourrait arriver à un résultat différent. Toutefois, en lisant les deux dispositions ensemble, parfois on se rend compte qu’on toucherait au texte législatif lui-même dans son orientation, alors on les laisse tomber, parce qu’ils ne disent pas tout à fait la même chose. Parfois, si on fait une pure traduction de l’anglais au français, on dit la même chose, mais si on lit une disposition en fonction du droit civil et de la façon dont on va l’appliquer, on n’a pas la réponse. À ce moment-là, cela soulève une question d’orientation législative.

[Traduction]

M. Lametti : Puis-je ajouter autre chose à la question? Je suppose que cela montre à quel point c’est personnel pour moi.

L’un de mes amis et collègues de longue date est décédé la semaine dernière après une longue bataille contre le cancer, le professeur Stephen Smith. Il était l’un des grands avocats du droit contractuel au monde. Il a enseigné à Oxford et à McGill. Il avait ce cours préparé d’avance sur les contrats de common law pour les avocats spécialisés en droit civil. Le contrat de common law commençait par un cas, puis un autre cas, et un autre cas sur un point d’interprétation, et il finissait par faire 100 pages — donc 100 pages de contrats types pour des contextes commerciaux. La réaction civile consistait en quelques dispositions du Code civil, puis à laisser aux parties le soin d’interpréter et de réunir ces deux éléments.

Encore une fois, c’est une caricature, mais il est important de savoir comment les traditions ont évolué. Le libellé évolue, et il faut ensuite essayer de marier les deux d’une manière ou d’une autre. Comme Me Allard vient de le souligner, il s’agit parfois d’une question d’organisation conceptuelle également et de faire confiance à l’interprétation et aux principes d’interprétation du code ou de faire confiance à la common law et à son évolution dans les diverses affaires.

La sénatrice Pate : Merci, monsieur le ministre, d’être ici, et merci, madame Shen et maître Allard.

Je tiens également à remercier la sénatrice Clement qui, lorsqu’elle a présenté ce projet de loi, a parlé des traditions et des cultures autochtones qui ne font pas partie de ce projet, mais qui font certainement partie de la fondation, ainsi que la sénatrice Jaffer qui a posé cette question.

Dans cet ordre d’idées, quels sont certains des processus auxquels vous participez à l’heure actuelle pour réfléchir à l’avance non seulement à l’harmonisation, mais aussi aux droits issus de traités et, bien sûr, à la déclaration des Nations unies? Cela m’a frappée lors d’une récente conversation avec des étudiants en droit du programme de droit autochtone de l’Université de Victoria, qui réfléchissent à ces idées bien avant que des gens comme moi — peut-être pas vous — n’y pensent. J’ai été frappée par l’idée que cela va nécessiter une toute nouvelle conceptualisation qui n’est peut-être pas l’harmonisation, mais une autre construction ou un autre paradigme. Je suis curieuse de savoir si des discussions pourraient avoir lieu là-bas, car elles auront certainement une incidence à l’avenir, comme l’a souligné à juste titre la sénatrice Clement dans son discours.

M. Lametti : Merci, sénatrice. C’est une question qui me touche profondément, car je pense qu’elle est d’une importance capitale.

Nous avons contribué au financement de ce programme UVic par le ministère de la Justice. À ce stade, nous apportons notre soutien de toutes les manières possibles, en créant l’espace métaphorique ou en contribuant à créer l’espace métaphorique ou en apportant un soutien financier lorsque nous le pouvons.

La réaffirmation — c’est peut-être le meilleur mot — des systèmes normatifs autochtones à la suite du travail effectué dans les universités, ce sont les facultés de droit. L’Université d’Ottawa a récemment financé un programme. L’Université de l’Alberta et d’autres facultés, comme McGill, offrent certains cours intégrés. À McGill, c’est maintenant la propriété, où il y a la common law, le droit civil, les Autochtones — un tiers, un tiers, un tiers. Il y a une composante intégrée et des façons de penser.

Nous allons continuer de faire pression. J’espère que lorsque la commission du droit sera en place, elle pourra se pencher sur cette question. Il y a le travail de Rod Macdonald sur le pluralisme juridique, mais aussi celui de John Borrows sur le tissage de la condition autochtone dans la common law. Je pense que John Borrows est le juriste le plus brillant du Canada — je n’ai pas d’autre adjectif. Je pense que le rôle du ministre de la Justice et du ministère est de faciliter et de soutenir ce genre de travail, et je pense qu’à un moment donné, il y aura une autre étape d’évolution dans le droit canadien.

Le sénateur Harder : Le sénateur Cotter m’a demandé la permission de chercher ma propre édification dans mes questions également.

C’est une quatrième mouture. Je suis sûr que lorsque la première a été faite, le ministre de la Justice est venu dire que notre politique de rédaction est maintenant, dans le processus de rédaction, l’intégration du droit civil et de la common law. Pourriez-vous donc nous expliquer pourquoi il a fallu quatre itérations et ce qu’il reste à faire? Dans l’un ou l’autre de ces processus, en particulier celui-ci, modifions-nous des lois qui ont été rédigées au moment où nous pensions avoir réglé le problème au ministère de la Justice? Autrement dit, la correction est-elle un ajustement continu au sein du ministère lui-même, ou l’intégration a-t-elle fonctionné de telle sorte que nous pouvons voir un ensemble déterminé de lois antérieures à cette correction? Et quelle date limite avez-vous en tête pour que nous trouvions une solution?

M. Lametti : C’est une excellente question.

Je vais me tourner vers mes collègues dans un instant, mais je voudrais faire remarquer que j’ai cru comprendre dès le départ que l’on commençait par la propriété et que d’autres domaines essentiels du droit privé étaient abordés par la suite, car c’est là que les distinctions étaient les plus marquées et avaient les conséquences les plus importantes. Je suppose également qu’il y a eu une évolution au fil des quatre moutures, mais je laisserai aux experts le soin de se prononcer.

Mme Shen : Pour répondre à l’un des points, comme je l’ai déjà dit, au sein de la Direction des services législatifs du ministère de la Justice, nous avons eu pour habitude d’incorporer les concepts lors de la rédaction de nouveaux textes législatifs. Par exemple, tout nouveau projet de loi ou règlement fait l’objet d’un examen bijuridique pour s’assurer que ces concepts sont intégrés. Il existe une formation continue pour les conseillers législatifs...

Le sénateur Harder : Cela remonte à quand?

Mme Shen : Je crois que cela remonte aux alentours de l’année 2002.

Le sénateur Harder : C’est relativement récent?

Mme Shen : C’est relativement récent.

En ce qui concerne le corpus législatif qui existait à l’époque, c’est l’analyse qui a commencé lorsque ce projet a été lancé au milieu ou à la fin des années 1990. Il y a eu une analyse des différents domaines du droit en cours où nous pensions qu’il y avait plus de chances d’avoir des concepts de bijuridisme qui devaient être harmonisés.

Le corpus législatif fait continuellement l’objet de changements et d’ajouts. Cela ajoute des couches supplémentaires de complexité pour ce qui est de savoir si c’est le bon moment pour... si un projet de loi est ouvert, nous nous demandons s’il est possible de l’harmoniser? Nous sommes toujours à la recherche des moyens les plus efficaces et les plus efficients pour nous assurer que nous avons harmonisé ces concepts, mais, selon la nature du projet, cela peut ne pas être...

Le sénateur Harder : Si j’ai le temps pour une question complémentaire, êtes-vous sûr que les lois adoptées par le Parlement depuis 2000 ont intégré cette approche bijuridique, ou allons-nous devoir revoir certaines de ces premières lois, car, en un sens, même ce concept a évolué?

M. Lametti : Je crois savoir que nous faisons maintenant de la corédaction. Nous avons internalisé, si vous voulez, les leçons de ces processus. Ils sont maintenant corédigés, en français et en anglais ainsi qu’en common law et en droit civil, le cas échéant, dans la mesure où c’est nécessaire.

Le sénateur Harder : Merci.

La sénatrice Clement : J’ai une question pour le ministre.

Je suis assis ici à vous écouter et je me souviens de mon premier jour à la Faculté de droit. J’ai étudié ici, à l’Université d’Ottawa. Je me souviens de mon premier jour à la Faculté de droit. J’allais étudier les deux systèmes. Nous avons deux systèmes juridiques dans ce pays, et je me demandais à quoi cela allait ressembler d’étudier et de comprendre deux systèmes très différents. Cela nous donne-t-il un avantage au niveau international d’avoir deux systèmes juridiques, et maintenant cette mosaïque de langues autochtones et de systèmes juridiques que nous allons réaffirmer? C’est compliqué. Est-ce que cela nous donne un avantage de pouvoir faire face à cette complexité, ou de ne pas y faire face?

M. Lametti : Absolument. Je parle de l’expérience d’avoir enseigné dans une faculté de droit qui a intégré, autant que possible, ces deux traditions et qui travaille maintenant du côté des Autochtones. Je suppose que c’est un fait, mais c’est un fait dont je suis assez fier, que nous avions un profil assez international en ce qui concerne la carrière des étudiants. Ils partaient dans d’autres pays. Ils partaient aux États-Unis et en Europe. Ils allaient pratiquer le droit en matière des droits de la personne à La Haye et ailleurs. Ils revenaient et disaient que le fait de pouvoir passer facilement de la common law au droit civil, ou de penser — pour revenir à la remarque du sénateur Cotter sur la réflexion — dans différents systèmes et la capacité de passer facilement d’un système à l’autre était un avantage pour expliquer le droit à un client, faire valoir des arguments ou effectuer un travail de service public. C’était très intéressant.

Je citerais également l’histoire. L’Université d’Ottawa est un exemple, et McGill en est un autre. Dans les années 1970, nous sommes passés d’une faculté qui enseignait deux systèmes juridiques côte à côte à une faculté qui a commencé — et c’était à l’époque où j’étais étudiant — à flirter avec l’enseignement des deux systèmes, puis à apporter un changement radical — comme nous l’avons fait, et comme j’y ai participé en tant que jeune professeur — pour vraiment intégrer les cours de base en droit privé.

Vous avez assisté à une explosion de la pensée, ce qui était très intéressant. Je vous dirais qu’une grande partie de la recherche en droit privé qui est ressortie de McGill était à la pointe du progrès dans le monde. Encore une fois, il s’agissait simplement d’une façon de penser dans l’ensemble des systèmes qui ne se faisait nulle part ailleurs. Il y a maintenant d’autres modèles, et il y a maintenant d’autres modèles en ce qui concerne la pensée autochtone. J’ai cité John Borrows — et je le citerais encore — qui, encore une fois, pousse la façon dont nos cerveaux fonctionnent, très franchement.

Désolé si je suis un peu maniaque.

La sénatrice Clement : Oh, non. Allez-y.

M. Lametti : C’était amusant de participer, de regarder et de réfléchir à cette question. C’est l’une des choses qui me manquent.

La sénatrice Clement : Merci.

La sénatrice Batters : Monsieur le ministre Lametti, je préférerais que votre ministère, sinon vous en particulier, nous éclaire sur l’origine de cette hypothèse selon laquelle les amendements d’harmonisation doivent être de nature technique et non de fond. Nous avons interrogé la Bibliothèque du Parlement au sujet de cette affirmation, parce que cette partie particulière était incluse dans le dossier technique sur le projet de loi S-11 que les fonctionnaires nous ont envoyé. Elle se lisait comme suit :

Les amendements d’harmonisation sont de nature technique et non controversés et ne visent pas à modifier la politique législative qui sous-tend les dispositions visées.

La réponse de la Bibliothèque du Parlement est intéressante à ce sujet. Essentiellement, aucun document du gouvernement fédéral du Canada n’a été trouvé qui décrirait l’existence d’une règle ou d’un principe selon lequel une loi fédérale qui harmonise le droit fédéral avec le droit civil ne devrait pas apporter de changements de fond aux lois fédérales.

Pourriez-vous nous fournir quelques détails sur l’origine de cette mesure, sa raison d’être et sa justification?

M. Lametti : Je vais laisser le soin à mes fonctionnaires de confirmer, mais je dirais que c’était probablement une décision politique qui a été prise. Évidemment, le Parlement est souverain, n’est-ce pas? Le Parlement peut changer ce qu’il veut, et il peut changer les choses sur le plan technique ou sur le fond dans tout projet législatif. Il s’agit ici d’un projet législatif. Je pense que — et c’est une supposition éclairée, mais néanmoins une supposition — la décision politique a été prise d’entrée de jeu afin de procéder aussi rapidement que possible et de la façon la plus harmonisée possible compte tenu de l’ampleur de la tâche sans soulever de questions de fond afin que, comme je l’ai mentionné, nous puissions faire adopter les trois premières moutures de cette loi avec des motions de consentement unanime parce que, encore une fois, il faut s’en tenir aux questions techniques. Lorsque vous passez aux questions de fond, il devrait y avoir plus de place pour un débat de fond et une évaluation de fond des changements en question, et c’est un ordre différent qui nécessite plus de temps, d’évaluation, et cetera. Je soupçonne que c’était le fondement de la décision politique prise au départ.

Beaucoup a été fait. Le volume de travail qui a été effectué à ce sujet au cours des trois premières moutures, et maintenant de la quatrième, est carrément énorme. Le fait de s’en tenir aux aspects techniques permet de le faire de manière efficace et rapide. Je ne sais pas si vous souhaitez ajouter quelque chose.

La sénatrice Batters : Lorsque vous dites qu’une décision politique a été prise d’entrée de jeu, parlez-vous de l’année 2000?

M. Lametti : Il semble que ce soit la nature de la chose. Je suis ravi de...

La sénatrice Batters : Il y a 22 ans. D’accord.

M. Lametti : De toute évidence, il y a eu une évolution, mais elle a été saine. Cela a été présenté par différents gouvernements de différentes allégeances. Comme je l’ai mentionné, Rob Nicholson est le dernier à l’avoir fait.

La sénatrice Batters : Il y a 11 ans.

M. Lametti : Nous sommes tous fiers du travail qui a été fait au fil du temps.

La sénatrice Batters : Merci.

[Français]

Me Allard : Pour répondre à la question, il n’y a pas eu de mandat formel au début qu’on a pu retracer nous-mêmes. Le programme a été mis sur pied en 1995, mais une politique d’application du Code civil à l’administration publique fédérale a été adoptée par le ministère de la Justice dès 1993. À ce moment-là, un programme a été mis sur pied pour mettre à jour la législation fédérale par rapport aux modifications qui ont été apportées dans le code. On ne peut pas dire que c’est arrivé en 2000, car les travaux ont véritablement commencé en 1995 avec une section qui s’appelait la Section du Code civil.

À ce moment-là, des politiques ont été établies quant à la façon d’harmoniser rapidement les lois et de prévoir un plan, pour faire en sorte que tout cela soit accepté plus rapidement par les ministères qui seraient éventuellement visés par les modifications, étant donné qu’ils sont tous responsables de leurs lois. C’était une initiative du ministère de la Justice Canada et du gouvernement de l’époque.

On trouve aussi des traces de ces politiques dans le discours que la juge Anne McLellan a prononcé au moment du dépôt du premier projet de loi, dans lequel elle a parlé de ce critère comme étant l’un des plus importants, c’est-à-dire que le critère technique ne modifie pas l’orientation législative, la substance et le fondement même du texte de loi.

Ce principe a toujours été maintenu et a servi d’élément pour convaincre les ministères d’ouvrir leurs lois. D’ailleurs, c’était un principe très important pour le ministère des Finances. Ce principe que nous avons maintenu au fil des années a été établi par le mandat initial de la Section du Code civil.

Je dois dire que j’ai cherché aussi des informations. Je me suis dit qu’il existait peut-être. Un de mes collègues a fait des recherches que je qualifierais d’archéologiques, mais finalement, tout ce qu’on a pu retrouver figurait dans les politiques initiales qui visaient à faire avancer ce qui, au départ, était considéré comme un programme. Ce n’était pas une activité régulière du ministère de la Justice, mais ce l’est devenu à partir des années 2000. C’est à ce moment qu’on m’a engagée comme experte et que le service de révision juridique a été mis en place.

Pour répondre à la question du sénateur Harder, même si en 2002 le service de révision juridique a été établi en 2002, il a fallu plusieurs années de transition avant que tous les ministères et tous les rédacteurs comprennent. En 2006, John Mark Keyes, le premier conseiller législatif, m’a confié la tâche de réviser toutes les lois que le ministère de la Justice avait adoptées pour voir s’il y avait des corrections à apporter, car il arrivait souvent que les rédacteurs ne suivent pas les processus établis. À ce moment-là, il a fallu prendre les mesures nécessaires.

La révision juridique avait pour but de conclure que si nous n’évaluons pas les lois complètement nouvelles, nous devrons toujours en assurer l’harmonisation, parce que nous serons toujours en train de faire des corrections. C’était une façon de dire qu’il y a un corpus existant, un corpus de transition, et qu’éventuellement, lorsqu’on aura fait le tour et qu’il n’y aura que de nouvelles lois, cela fera évoluer le droit.

[Traduction]

La sénatrice Batters : L’année 1995 est l’année où j’ai été admise au Barreau, donc je n’aime pas la référence au fait que vous deviez faire des fouilles archéologiques pour trouver ce genre de choses, mais merci.

Me Allard : Je suis désolée.

M. Lametti : J’ajouterai, sénatrice, que j’ai refusé une offre d’emploi de ce ministère en 1996 environ, au début de ma carrière. Les choses auraient peut-être pu être différentes.

La présidente : Monsieur le ministre, je crois savoir que vous avez également reçu une lettre de la Chambre des notaires et que vous allez y répondre et nous envoyer une copie avant l’étude article par article. Ai-je bien compris?

M. Lametti : C’est aussi ce que j’ai compris, madame la présidente.

La présidente : Allez-vous l’envoyer?

M. Lametti : Oui.

La présidente : Merci, monsieur le ministre, et merci d’avoir été présent. Comme il s’agit probablement de notre dernière réunion avec vous cette année, nous vous souhaitons de joyeuses Fêtes et une bonne année. Merci de comparaître si souvent devant le comité. Nous allons poursuivre notre réunion avec les fonctionnaires.

Nous ne pouvons pas distribuer la lettre tant qu’elle n’aura pas été traduite. Certains d’entre vous voudront peut-être savoir ce qu’il en est. Le greffier a gentiment accepté de vous la lire pour qu’elle puisse être traduite par les interprètes, ou on nous a dit qu’on essaierait de nous fournir une traduction d’ici 14 heures. Que souhaitent les membres du comité? Le greffier a dit que cela prendrait sept minutes.

Le sénateur Harder : Sept minutes, ce n’est pas très long.

La présidente : D’accord. Le greffier va lire la lettre. Merci.

[Français]

Mark Palmer, greffier du comité : C’est la lettre de la Chambre des notaires. La traduction devrait arriver vers 14 heures.

Aux membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Objet : Commentaires de la Chambre des notaires du Québec sur le projet de loi S-11 intitulé Loi n° 4 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.

En mai 2017, la Chambre des notaires participait avec intérêt à la consultation sur la Quatrième série de propositions visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil de la province de Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.

Dans le cadre de cette initiative d’harmonisation, la Chambre des notaires saluait les efforts du gouvernement fédéral pour reconnaître la spécificité notariale au Québec. Elle proposait, toutefois, certains ajustements aux mesures proposées qui permettraient une meilleure adéquation de certains articles de loi avec les concepts de droit civil et de droit notarial. La Chambre des notaires souhaite réitérer l’une de ses propositions, qui n’a pas été retenue par le législateur au projet de loi S-11 Loi n° 4 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law (ci-après « PL S-11 »).

L’article 27 de la Loi sur la preuve au Canada concerne exclusivement les actes notariés au Québec. L’article 520 du PL S-11 modifie cet article de la manière suivante :

520 L’article 27 de la Loi sur la preuve au Canada est remplacé par ce qui suit :

Actes notariés au Québec

27 Tout document donné comme étant une copie d’un acte notarié fait, déposé ou enregistré au Québec, et comme étant certifié, par un notaire ou un greffier, copie conforme de l’original en sa possession à titre de notaire ou de greffier, est admissible en preuve au lieu de l’original et a la même valeur et le même effet que si l’original avait été produit et prouvé. Cependant, il peut être établi en contre-preuve qu’il n’en existe pas d’original, ou que cette copie n’est pas une copie conforme de l’original sous un rapport essentiel, ou que l’original n’est pas un document susceptible, en vertu du droit du Québec, d’être reçu par un notaire, ou d’être déposé ou enregistré par un notaire dans cette province.

Or, la Chambre des notaires constatait en 2017 et réitère aujourd’hui que la rédaction de cet article devrait être revue afin d’éviter toute forme d’ambiguïté que ce soit et afin que cette loi fédérale soit rédigée en parfaite adéquation avec la Loi sur le notariat (RLRQ, c.N-3) et le Code civil du Québec, d’autant plus qu’en vertu de ce Code, l’acte notarié est un acte authentique dont les énonciations des faits que le notaire avait mission de constater ou d’inscrire, font preuve à l’égard de tous. Ainsi, la Chambre des notaires propose une nouvelle rédaction de l’article 27 en prenant en considération les dispositions législatives provinciales suivantes :

- Articles 34, 35 et 38 Loi sur le notariat :

Un acte notarié est reçu en minute ou en brevet. Seul l’acte en minute est versé dans un greffe pour qu’il y soit conservé et qu’il en soit délivré des copies ou des extraits authentiques. L’acte en brevet est reçu par le notaire en original simple ou multiple et aucune copie ou extrait authentique ne peut en être délivré.

Recommandation : préciser « acte notarié en minute »

Selon l’article 34 Loi sur le notariat, un acte notarié est reçu en minute ou en brevet.

Recommandation : remplacer « fait, déposé ou enregistré » par « reçu »

- Article 3110 Code civil du Québec :

Un acte notarié peut être reçu hors du Québec par un notaire du Québec lorsqu’il porte sur un droit réel dont l’objet est situé au Québec, ou lorsque l’une des parties y a son domicile.

Recommandation : retirer « au Québec » dans la première phrase de l’article 27.

- Articles 2815, 2819 et 2820 Code civil du Québec et 55 Loi sur le notariat (c. N-2) :

Pour que la copie de l’acte notarié en minute soit considérée comme authentique elle doit être attestée. La copie est certifiée conforme par le notaire qui a reçu l’acte ou par toute autre personne qui en est le dépositaire légal. Cette copie est authentique et fait preuve de ce qui est contenu dans la minute.

Recommandation : remplacer « certifié, par un notaire ou un greffier, copie conforme de l’original en sa possession à titre de notaire ou de greffier » par « certifié conforme à l’original »

L’acte notarié fait preuve à l’égard de tous. Par conséquent, il n’a pas besoin d’être prouvé. Il en est de même de la copie authentique. Recommandation : retirer « avait été produit et prouvé »

- Article 2815, 2816 Code civil du Québec et 486 à 488 Code de procédure civile

Une copie authentique fait preuve à l’égard de tous et le fait qu’il n’y ait pas d’acte « original » n’est pas fatal pour la validité de la copie certifiée conforme.

Recommandation : retirer « qu’il n’en existe pas d’original »

En résumé, afin que la Loi sur la preuve au Canada soit rédigée en harmonie avec les dispositions législatives entourant l’acte notarié et sa copie authentique, la Chambre des notaires propose, à nouveau, le libellé suivant de l’article 27 :

Tout document donné comme étant une copie d’un acte notarié en minute reçu par un notaire du Québec et certifié conforme à l’original est admissible en preuve et a la même valeur et le même effet que l’original. Cependant, il peut être établi en contre-preuve, sous un rapport essentiel, que cette copie n’est pas une copie conforme à l’original, ou que l’original n’est pas un document susceptible, en vertu du droit du Québec, d’avoir été reçu par un notaire du Québec.

La Chambre des notaires demeure disponible pour répondre à vos questions, recevez nos meilleures salutations.

[Traduction]

La présidente : Merci.

J’ai une question pour les représentantes du ministère. Je ne pense pas qu’elle vous placera dans une situation défavorable, puisque la lettre vient d’être lue. Je pense que vous êtes au courant de cette question, et le ministre en a parlé également. Pouvez-vous répondre à ce qu’a dit la Chambre des notaires?

[Français]

Me Allard : En fait, nous avons considéré cette proposition — comme toutes les autres propositions de la Chambre des notaires du Québec —, par rapport à nos travaux antérieurs et par rapport à leurs commentaires précédents et à cette lettre qui réitère encore plus précisément leurs propositions.

Essentiellement, je reviens aux critères de l’intervention pour les lois d’harmonisation; la proposition ne répondait pas à nos critères pour intervenir sur le plan de l’harmonisation.

Dans un premier temps, la demande de la Chambre des notaires du Québec ne vise pas à harmoniser la législation fédérale en anglais et en français avec le droit civil du Québec; je comprends que cela vise les actes notariés au Québec. Je peux comprendre leur inquiétude, mais l’idée que ces actes notariés soient rédigés en parfaite adéquation avec le contenu de la Loi sur le notariat et du Code civil du Québec n’est pas l’approche qui est privilégiée, puisqu’il ne s’agit pas d’intégrer spécifiquement la règle de preuve du Québec.

Sur cet aspect, si on examine le libellé de l’article 27 tel qu’il est proposé et si on adhérait à la proposition de la Chambre des notaires du Québec, cela aurait une incidence sur la portée de l’application de l’article 27, qui est une dérogation au droit sur la preuve comme il est rédigé au Québec, y compris dans la Loi sur le notariat et le Code civil du Québec. On a circonscrit certains aspects et élargi certains autres aspects dans l’article 27.

De plus, la forme de la rédaction n’est pas conforme aux normes de rédaction que nous privilégions, partant du texte déjà établi et de la politique législative figurant dans le texte.

Nous comprenons tout à fait la préoccupation de la Chambre des notaires du Québec; ce n’est donc pas par manque de respect que nous ne tenons pas compte de leurs propositions. Nous comprenons aussi qu’un notaire peut recevoir des actes notariés à l’extérieur de la province de Québec, mais la règle de preuve qui a été adoptée dans la Loi sur la preuve est celle qui ne s’applique qu’aux actes reçus au Québec. C’est donc là que figure notamment un changement d’orientation législative dans leur proposition.

[Traduction]

La présidente : Merci.

J’ai une deuxième question, que j’ai également posée au ministre. Que faites-vous au ministère ou sur le terrain en ce qui a trait aux droits des Autochtones et à la façon dont nous allons les intégrer à l’harmonisation? Il ne s’agit peut-être pas d’harmonisation, mais quel travail est effectué lorsqu’il s’agit d’examiner la question du droit autochtone?

Mme Shen : Je vous remercie de la question.

Comme l’a indiqué le ministre, le gouvernement est en train d’élaborer un plan d’action au sujet de la déclaration des Nations unies. Plus généralement, nous n’en sommes qu’au début de l’examen des questions relatives aux traditions juridiques autochtones et à la façon dont elles pourraient interagir avec la common law et le droit civil. Nous n’en sommes encore qu’au début du processus quant à la façon d’intégrer ces éléments à l’avenir. Je pense toutefois que la tradition du bijuridisme au Canada nous aide à cet égard, car il s’agit déjà d’une manifestation du pluralisme juridique au Canada, ce qui nous aidera dans notre cheminement vers des principes de réconciliation plus poussés concernant les traditions juridiques autochtones.

La présidente : Je cède maintenant la parole à la marraine du projet de loi, la sénatrice Clement.

[Français]

La sénatrice Clement : J’aimerais revenir à la proposition de la Chambre des notaires du Québec. J’aimerais comprendre le genre de commentaires avec lesquels votre ministère aurait été d’accord, si l’on compare à la situation actuelle où le ministère n’est pas d’accord. Pouvez-vous donner des exemples?

On accepte le fait que ce soit compliqué; je sais que ce n’est pas tout ce qui a été retenu, mais puisque certaines suggestions ont été retenues, peut-être pourriez-vous nous donner un exemple de ce qui a été retenu?

Je vais poursuivre tout de suite avec la deuxième partie de ma question. Vous serait-il possible de communiquer avec la Chambre des notaires du Québec pour répondre à cette correspondance, afin de leur expliquer les motifs de la décision qui a été prise quant à ce qui a été retenu ou non de leurs suggestions, si c’est le cas?

[Traduction]

Mme Shen : Nous pouvons certainement répondre à la Chambre des notaires. Nous devrons examiner de plus près les propositions pour voir si la réponse peut être couverte... Par exemple, je ne sais pas si c’est le cas, mais c’est peut-être couvert par le secret professionnel de l’avocat ou par le secret du Cabinet, mais je n’ai pas fait une telle analyse. Je peux peut-être laisser Me Allard vous répondre.

[Français]

Me Allard : Il faudrait se pencher sur chacun des documents et des commentaires impliqués. De façon générale, pour les commentaires qui ont été faits, je remercie la Chambre des notaires du Québec. Nous avons toujours fait attention; il y a même des notaires qui travaillent au sein de notre équipe. Il y a donc une certaine préoccupation en ce qui a trait à la spécificité des ordres professionnels qui pratiquent le droit au Québec. La Chambre des notaires du Québec est un organisme important qui est très impliqué dans les publications et la transmission du savoir; elle joue aussi un très grand rôle au Québec sur les plans de la connaissance du droit et de la protection du public.

Ils ont vraiment fait un travail minutieux et nous les en remercions, car le temps qu’ils ont pris pour faire tous ces commentaires montre un intérêt confirmé pour le bijuridisme.

Cependant — c’est bête, mais c’est un peu ça pour l’harmonisation —, on en revient toujours à nos critères, et on a considéré tous les critères un à un. Il y a beaucoup de types de commentaires; il y avait des commentaires qui visaient à modifier l’article 27, par exemple. Si on avait tenu compte de leurs suggestions, cela aurait eu pour effet de changer l’orientation législative, puisqu’il s’agissait d’un changement dans le contenu du texte, et pas seulement d’une analyse de fond pour en arriver à un critère terminologique. Il s’agissait plutôt de changer réellement le fondement même ou une partie de l’orientation de la disposition. Ces propositions ont donc été éliminées.

D’autres commentaires étaient plutôt des suggestions de rédaction. Comme l’a déjà indiqué ma collègue Riri, la manière de rédiger les textes juridiques au fédéral se fonde sur les normes de rédaction du gouvernement fédéral. Si vous comparez des lois québécoises et des lois fédérales, il ne s’agit pas de la même structure ni de la même façon de faire. La combinaison de la common law et du droit civil a aussi une incidence sur la façon dont les lois sont rédigées et dont les normes sont établies. Il y a tout un historique du mode de rédaction des lois dont on doit respecter l’évolution.

Nous avons beaucoup refusé ce genre de commentaires de type rédactionnel, parce qu’il aurait fallu parfois reformuler complètement une disposition. S’il faut complètement reformuler une disposition pour une préférence par rapport à un terme, cela signifie qu’on touche trop le texte législatif actuel, ce qui risque de modifier l’interprétation du texte.

Nous avons également retenu certains commentaires. Un commentaire très important a été fait par la Chambre des notaires et par Justice Québec sur le fait qu’on parlait de « courtiers immobiliers » dans une des définitions de la Loi sur les banques. Dans notre proposition ou nos révisions, on n’avait pas désigné correctement le courtier immobilier au Québec. On a donc pu corriger une erreur qui ne provoquait pas de changement d’orientation législative, parce qu’il s’agissait d’une erreur par rapport à notre façon de régler le problème de bijuridisme. En effet, on avait inscrit « agent or mandatary », comme on le retrouve partout — ce qui pourrait être un automatisme —, mais ce n’est pas vrai que le mot « agent » se traduit toujours par le mot « mandatary » en français.

Il a donc fallu ajuster la disposition pour parler de « prestataire de service », ce qui est le fondement de la relation du courtier immobilier, alors qu’en common law, il s’agit plutôt du terme « agency ». Certaines propositions plus importantes et d’autres propositions plus mineures ont été intégrées lorsqu’elles n’avaient pas d’incidence sur le plan rédactionnel ni sur la structure du texte. C’est le cas d’une des dispositions qui parle de « letters and verification, letters probate ». Il y a beaucoup de précisions à apporter. Ils nous ont suggéré d’éliminer certains mots pour rendre le texte plus clair. C’est ce que nous avons fait. Nous les avons tous considérés un à un, selon des critères préétablis, pour faire l’harmonisation.

La sénatrice Clement : J’aimerais obtenir une précision. Avez-vous dit qu’il y avait des notaires qui travaillaient pour le ministère de la Justice?

Me Allard : Il y a des membres au sein de notre équipe qui sont notaires; il y en a toujours eu dans notre équipe.

La sénatrice Clement : D’accord. Merci beaucoup.

Le sénateur Dalphond : Je me souviens que la sous-ministre déléguée, Droit civil et services législatifs, Mme Anne-Marie Trahan, avait même proposé qu’un notaire puisse devenir conseiller de la reine, ou maintenant conseiller du roi, pour reconnaître la spécificité du Québec. Je sais que les notaires ont été intégrés au ministère de la Justice, contrairement à une personne qu’on appelle un « notary public » dans d’autres provinces; ce n’est pas l’équivalent du tout.

Je reviens à la lettre de la Chambre des notaires. Je vous remercie beaucoup, surtout pour le document produit par votre ministère, intitulé Analyse article par article, qui est très utile. Ce que je retiens de votre témoignage, c’est que, en réalité, vous ne voulez pas changer le contenu de la Loi sur la preuve au Canada, mais tout simplement harmoniser l’article 27 de la Loi sur la preuve au Canada avec la nouvelle terminologie utilisée au Québec, qui remplace le terme « protonotaire » par « greffier », par exemple, et utilise l’expression « acte notarié », et non « instrument notarié ». Ce n’est que de la terminologie; il n’y a pas de changement de substance.

La Chambre des notaires a fait quelques commentaires, dont le premier concerne la distinction entre un acte en minute et un acte en brevet. Je comprends les arguments, mais je crois également qu’on ne garde au greffe que les actes en minute, et non en brevet. Lorsqu’on parle de la copie d’un document qui est faite par le notaire, c’est forcément un document en minute, parce que si c’était un document en brevet, le document n’aurait pas pu être conservé et aucune copie n’aurait été possible.

Dans un sens, il s’agit d’une précision qui se comprend du point de vue notarial, mais qui ne change rien à la réalité que l’article 27 ne peut s’appliquer qu’avec un document en minute. Dans un sens, la modification proposée est peut-être une précision additionnelle, mais elle est peut-être aussi redondante jusqu’à un certain point. J’accepte votre proposition.

Ensuite, la Chambre des notaires propose de dire qu’un acte notarié est « reçu », plutôt que « fait, déposé ou enregistré ». L’expression que vous utilisez est plus large que ce que propose la Chambre des notaires.

Cela m’amène au troisième commentaire, où l’on parle de documents concernant un immeuble situé au Québec. Si un notaire québécois va en Floride voir un client québécois qui veut vendre son chalet situé au Québec et s’il veut lui faire signer un acte notarié, qui sera un acte en minute, le document sera parfaitement valide, même si celui-ci n’est pas reçu au Québec, car le bien visé est situé au Québec.

Dans ce cas, le notaire devra publier l’acte reçu au Bureau de la publicité des droits du Québec et il pourra ensuite en donner des copies, puisqu’il aura lui-même dans son dossier une copie du document ou l’original. Dans ce sens, l’amendement proposé pour couvrir la situation des actes non reçus au Québec est, en réalité, probablement couvert par les mots « fait, déposé ou enregistré », parce que l’acte dont je parle serait reçu en Floride, mais enregistré au Québec, au Bureau de la publicité des droits. On pourrait ensuite en faire des copies et probablement déposer une copie des minutes et des registres.

Peut-être que la précision que les notaires suggèrent de faire est intéressante, mais à moins que vous me disiez le contraire, je vois l’article 27 comme pouvant s’appliquer à la situation qui est décrite par rapport à l’acte reçu en Floride, puis enregistré au Québec; c’est ce qu’on appelle maintenant « publié » au Québec. Les préoccupations de la Chambre des notaires seraient plutôt d’ordre terminologique et seraient couvertes par le projet de loi.

Si je comprends bien, l’autre recommandation n’a pas besoin d’être prouvée, et on dit : « avait été produit et prouvé ». Je comprends que le mot « prouvé » serait suffisant, mais avec les mots « produit » et « prouvé », en fait, il y a peut-être un mot inutile. Toutefois, il n’est pas nécessaire de changer cela si on ne veut pas modifier la Loi sur la preuve du Canada telle qu’elle existe actuellement.

En conclusion, maître Allard, vos explications me rassurent : les préoccupations de la Chambre des notaires sont sérieuses, mais elles sont, en réalité, adéquatement couvertes par le texte de loi tel qu’il est actuellement, à moins que j’aie mal résumé votre position et ma compréhension. Corrigez-moi si je me trompe — il en est encore temps, pour les notaires qui nous écoutent —, sinon je crois qu’il n’est peut-être pas nécessaire de faire l’amendement proposé.

Me Allard : Merci, sénateur Dalphond; c’était très bien résumé.

Le sénateur Dalphond : Merci, maître Allard.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Tout d’abord, j’aimerais poser une question sur le tout dernier point que soulevait le sénateur Dalphond. Je me trompe peut-être, mais je l’ai entendu dire quelque chose concernant au moins une des préoccupations de la Chambre des notaires du Québec. Je crois qu’on a dit que c’était une question d’ordre terminologique plutôt qu’un élément vraiment préoccupant. N’est-ce pas au sujet de questions d’ordre terminologique que nous sommes censés intervenir dans le cadre de ce projet de loi?

[Français]

Me Allard : On vise des questions de fond, parce que l’analyse en est une de fond. Il faut comprendre l’orientation législative et la portée de l’application. La manifestation est terminologique, mais si on doit tout refaire, la disposition va bien au-delà de ce qu’on doit faire. En effet, si on arrive au même résultat sur le plan du contenu que si on avait adopté les termes très précis du Code civil et de la Loi sur le notariat, il aurait fallu changer complètement la loi.

Si on l’avait fait, il y aurait eu également une question d’orientation législative. Par exemple, si je lis « fait, déposé ou enregistré au Québec », en précisant « au Québec », il y a une possibilité que le reçu ait été fait au Québec, mais aussi déposé ou enregistré au Québec. Toutefois, cela exclut la possibilité que le document ait été reçu à l’extérieur du Québec, tout simplement pour faciliter de la preuve. La Loi sur la preuve au Canada a déjà une règle, à l’article 40, selon laquelle, en principe, les règles de preuve sont celles de la province ou du territoire, là où le litige a lieu et où la question doit être interprétée, mais les autres articles de la Loi sur la preuve au Canada établissent des dérogations. Ici, ces dérogations sont partielles, les aspects essentiels de la nature de la pratique des notaires sont là, et certaines des propositions de la Chambre des notaires pour ce qui est de ne plus faire référence au notaire ou au greffier feraient en sorte que tout officier public pourrait reconnaître un document pour certifier qu’il est conforme à l’original.

Ce n’est cependant pas prévu par la règle qui est établie dans la Loi sur la preuve. C’est limité au greffier et au notaire.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Je suis désolée. J’ai manqué une partie de la lettre dont le greffier nous a si bien fait la lecture, mais je crois avoir compris l’essentiel. D’après ce que j’ai compris de cette lettre qui fait état des préoccupations de la Chambre des notaires, il est question principalement des actes notariés et de ce genre de choses, et non pas de ce que j’avais compris auparavant comme étant les préoccupations dont votre ministère parlait sur la portée trop large et les préoccupations qui avaient été soulevées par cette organisation. Ces préoccupations concernaient les termes « représentant » et « représentant personnel », etc. De toute évidence, la préoccupation exprimée ici est tout à fait différente. Ai-je bien compris qu’on parlait de différentes parties relatives aux actes notariés et de changements très spécifiques dans la formulation, et du Code civil du Québec? Voici ce qu’indique le titre même du projet de loi S-11 :

Loi no 4 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.

Ai-je raison de dire que la raison pour laquelle vous ne recommandez pas qu’on apporte des changements pour les questions qui sont abordées ici, c’est que les changements souhaités toucheraient une loi provinciale du Québec? Quel est le raisonnement? Puisqu’il est question spécifiquement du Code civil, je ne comprends pas pourquoi vous pensez que c’est une mauvaise idée.

Me Allard : On ne nous demande pas de modifier une loi provinciale. On nous demande de modifier la disposition fédérale, et lorsque nous travaillons à l’harmonisation pour cette disposition fédérale, nous vérifions si notre intervention va changer la substance ou l’orientation sous-jacente.

Ce que nous avons ici, c’est une règle de preuve dans une loi fédérale. Nous ne cherchons pas à modifier une loi provinciale. Nous cherchons à la prendre en compte. Le libellé de la disposition ici n’a pas à être rédigé en adéquation avec le libellé du code ou de la Chambre des notaires parce que nous n’avons pas besoin de tout reproduire. Si nous voulions tout reproduire, il n’y aurait pas une telle disposition dans la loi en raison de l’article 40, qui renvoie aux règles de preuve de la province.

Il s’agit ici d’une petite dérogation à certains éléments des règles du Québec, mais en fin de compte, les principaux éléments qui les préoccupent sont d’ordre terminologique, et certains des changements qu’ils proposent se traduiront par l’inclusion d’autres personnes parmi celles qui peuvent certifier qu’un acte est une copie conforme ou, dans d’autres circonstances, permettront à un notaire — comme ils peuvent le faire maintenant, et ce sera valide ici — de certifier un document lorsqu’il est à l’extérieur du Québec.

Comme le disait le sénateur Dalphond, puisqu’il est écrit — et je vais le lire — « fait, déposé ou enregistré au Québec », l’acte notarié reçu à l’extérieur du Québec finira par être enregistré au Québec. C’est tout simplement pour faciliter la preuve que les mots « au Québec » ou « in Quebec » y figurent. S’il était seulement écrit « reçu au Québec », il y aurait un problème parce que le notaire qui est à l’extérieur Québec ne pourrait pas... Ici, il peut recevoir l’acte, mais nous ne reconnaissons pas cette réception. Nous attendons l’enregistrement à des fins de preuve.

Ce sont des petites choses qui constituent une dérogation. Je n’étais pas là quand la politique a été élaborée, mais quand nous nous penchons sur ce qui en découlerait si leurs propositions étaient prises en compte, cela changerait certaines des orientations quant à la raison pour laquelle la disposition a été rédigée.

La sénatrice Batters : Donc, en ce qui concerne les commentaires qui ont été faits antérieurement au sujet de « représentant » et de « représentant personnel », par exemple, était-ce également des préoccupations que cette même organisation avait soulevées, mais, peut-être, en 2017? D’où cela venait-il? S’agissait-il d’une organisation différente?

Me Allard : En ce qui concerne les termes « fiduciary » ou « représentant » et « personal representative » ou « représentant personnel », la Chambre des notaires a proposé de définir le terme « représentant », « representative ». Les dispositions législatives sur les institutions financières incluaient une définition de « fiduciary », et le mot qui a été choisi comme mot défini est « représentant ».

La sénatrice Batters : Je comprends. Je me demandais simplement si c’était la même organisation qui avait soulevé ces préoccupations dont vous parliez plus tôt.

Me Allard : Ils ont soulevé les préoccupations relatives à la définition du terme « représentant » au sens où on l’entend au Québec. Oui, ils l’ont soulevé, mais, dans ce cas-ci, il s’agit d’un changement vraiment substantiel, que nous avons refusé. Dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions et dans d’autres lois sur les sociétés, les mots qui sont toujours définis sont « representative » et « fiduciary », puis « personal representative ». Il y a tellement d’occurrences, et cela va bien au-delà de « representative », ou « représentant », selon le droit civil québécois. Mais ils l’ont soulevé.

La sénatrice Batters : C’est ce que je me demandais, oui. Je suis certainement au courant des termes « fiduciary » ou « représentant » et « personal representative » ou « représentant personnel », et des répercussions. Je me demandais simplement, parce que c’est la première chose dont vous avez parlé aujourd’hui, et nous n’avions rien entendu au sujet des actes notariés avant que le greffier ne lise cette lettre, alors je voulais simplement que ce soit précisé.

Tout à l’heure, lorsque vous avez répondu à la question de savoir pourquoi vous ne preniez pas en compte certains de ces éléments et ne les mettiez pas en œuvre dans ce projet de loi, encore une fois, si j’ai bien compris, on a dit que ce n’était pas conforme à vos normes de rédaction. Comme vous le savez sans doute très bien, la rédaction législative est une expertise très particulière que presque personne ne possède au Canada. Très peu de gens possèdent ce type d’expertise. Il ne serait donc pas vraiment raisonnable de s’attendre à ce qu’un membre d’une organisation se conforme à des normes de rédaction exactes. De toute évidence, il faudrait qu’une organisation vous soumette ses idées, puis que vous, qui avez l’expertise en rédaction législative, les rédigiez. Conviendriez-vous qu’il s’agit là d’un point auquel il est possible de travailler si l’idée générale est bonne et qu’elle est conforme aux différents éléments avec lesquels vous devez vous assurer qu’elle concorde?

Mme Shen : Je vous remercie d’avoir soulevé ce point.

Au sujet des normes rédactionnelles, cela s’apparente plus à ce que nous appellerions des conventions de rédaction qu’à des normes. Comme vous le soulignez à juste titre, la rédaction législative est un domaine très spécialisé. Il y a une certaine souplesse. Nous ne sommes pas des machines. Même si l’on nous donnait les mêmes instructions, nous ne produirions pas tous le même texte législatif. Cela dit, oui, cela fait toujours partie de l’analyse, la mesure dans laquelle la modification ou le changement terminologique proposés aurait une incidence sur la façon dont nous rédigeons le texte législatif fédéral. Il ne s’agit pas d’une question de norme en tant que telle, mais de l’analyse de l’incidence qu’aurait ou que n’aurait pas la modification proposée. Il se peut qu’elle ne soit pas jugée nécessaire parce que le changement proposé serait couvert par notre interprétation de la loi.

La sénatrice Batters : Pour terminer, madame Shen, tout à l’heure, je crois que, en répondant à une question, vous avez dit que vous n’étiez pas sûre de pouvoir fournir la réponse parce que c’était peut-être couvert par le secret professionnel de l’avocat ou par le secret du Cabinet. Pourriez-vous expliquer ce que vous vouliez dire, car je n’ai pas compris.

Mme Shen : Je m’en excuse. C’était une situation hypothétique. Je ne suis pas au courant des détails des points soulevés par la Chambre des notaires, alors ma collègue serait mieux placée pour répondre à cette question.

La sénatrice Batters : Vous dites donc que ce ne serait probablement pas couvert par l’un ou l’autre de ces types de...

Mme Shen : Je ne le sais pas, parce que, comme je l’ai dit, je n’ai pas personnellement fait l’analyse de ces commentaires ou participé à leur analyse.

La sénatrice Batters : Merci.

Le sénateur Harder : Elmer Driedger, le rédacteur le plus connu, qui est devenu sous-ministre, a été associé à ce qui est devenu le « principe moderne » de Driedger, selon lequel les tribunaux doivent regarder au-delà de l’interprétation juridique du texte, les débats du Parlement, dans certaines références, ou le contexte dans lequel la loi a été adoptée.

Je me demande simplement dans quelle mesure, dans le processus d’amélioration en ce qui a trait au bijuridisme, vous avez dû appliquer ce principe et déterminer ce que le Parlement souhaitait dans le contexte de la question qui nous occupe et que nous devons ajuster. Ou s’agit-il simplement d’un ajustement juridique technique? Autrement dit, est-ce que la façon dont le Parlement voyait la mesure législative lorsqu’elle a été adoptée a été prise en compte dans l’application, dans la plupart des cas, du droit civil?

[Français]

Me Allard : Merci pour la question, monsieur le sénateur.

Comme je l’expliquais, nos changements sont terminologiques. À peu près chaque fois qu’on aborde une loi, qu’on examine un texte de loi et qu’on identifie des problèmes potentiels, avant de faire des propositions, on analyse le texte pour l’interpréter avant de faire des propositions. On utilise le même mécanisme d’interprétation qu’un tribunal pourrait utiliser, c’est-à-dire...

Le sénateur Harder : Les débats aussi?

Me Allard : Non, un tribunal.

[Traduction]

Comment un tribunal, ou tout autre interprète, regarderait-il cela? On doit commencer par le texte, et c’est ce que nous faisons. Nous commençons par examiner le texte, mais nous ne pouvons pas nous y limiter. Ensuite, il faut examiner le contexte de la loi, l’objectif de la loi, l’ensemble du contexte et ainsi de suite, et nous faisons cet exercice pour chaque disposition. Lorsque nous ne sommes pas sûrs du résultat, parce qu’il ne s’agit pas de notre loi — nous ne sommes pas les spécialistes de cette loi —, nous communiquons avec les services juridiques qui travaillent avec les ministères responsables. Souvent, nous proposons quelque chose aux gens, ou dans d’autres situations, ce n’est tellement pas clair que nous leur disons « si c’est notre interprétation, voici ce que nous ferions, mais si nous avons tort et que l’autre interprétation est la bonne, voici ce que nous ferions ». Nous leur demandons de nous donner une confirmation ou de nous dire s’il y a une autre interprétation ou une autre pratique dont ils ont connaissance. Pour chaque disposition, c’est vraiment une question d’interprétation, et pas seulement de termes. Ensuite, lorsque nous lisons le tout, si nous n’avons pas besoin d’ajouter de mots et ainsi de suite, nous ne le faisons pas, car l’idée, c’est de minimis. C’est une analyse substantielle, qui devient un projet de loi technique, ce qui se manifeste dans la terminologie.

Le sénateur Harder : L’ancien sénateur Baker serait ravi.

[Français]

Le sénateur Dalphond : J’ai une dernière question sur la proposition de la Chambre des notaires.

En relisant la proposition, je note qu’ils ne font plus de référence au greffier ou au protonotaire; donc, seul un notaire pourrait faire une copie d’un original, alors que l’article 27 vise à la fois les copies faites par un notaire ou un protonotaire, qui est devenu un greffier, selon la nouvelle terminologie.

Qu’est-ce que vous visez de plus que la Chambre des notaires avec le mot « greffier »?

Me Allard : Non, c’est notre manière de le voir. On avait la mention « certifié par un notaire ou greffier », « copie conforme de l’original en sa possession à titre de notaire ou de greffier », qu’on voulait remplacer par « certifié conforme à l’original ».

Donc, au départ, on visait les notaires et les greffiers. En supprimant la référence au notaire ou au greffier, on se trouverait à élargir le type de personne qui peut certifier une copie d’un acte notarié pour inclure tout officier public, ce qui est reconnu en droit civil québécois.

En ne mentionnant pas le notaire et le greffier, on élargirait la portée des gens reconnus comme pouvant certifier la copie comme étant conforme. Alors que cet acte est maintenant limité au notaire ou au greffier, si on supprime cette référence, ce ne sera plus le cas.

Le sénateur Dalphond : Je comprends. Donc, on pourrait changer la portée de l’article 27 et même potentiellement l’élargir. À première vue, je me demandais si on allait la restreindre, mais vous dites plutôt qu’on l’élargirait.

Pour conclure, modifierait-on la portée de l’article 27?

Me Allard : Oui.

Le sénateur Dalphond : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Clement : Je ne veux faire qu’une brève observation.

[Français]

La sénatrice Clement : J’ai beaucoup apprécié la réponse que vous avez donnée au sénateur Harder. C’est un travail de substance, ce qui signifie qu’il y a du travail de contexte à faire avant d’arriver à une terminologie très technique.

Merci beaucoup pour ce travail fort minutieux; c’est très apprécié.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie beaucoup. Votre matinée a été longue et nous vous remercions vraiment de votre collaboration. C’est très technique pour nous, et votre témoignage nous a été utile. Des modifications ont peut-être été évitées grâce à vos explications et vous avez facilité mon travail. Je vous en remercie beaucoup.

Sénateurs, la Bibliothèque du Parlement a préparé une note d’information. Certaines choses sont difficiles à comprendre et je me demandais si vous souhaitiez obtenir des explications de la part de la Bibliothèque du Parlement lorsque nous reviendrons. Ou, est-ce que c’est bon? Comprenez-vous le contenu du document dans son ensemble? Tout le monde est d’accord? Alors ce n’est pas nécessaire.

Sénateurs, nous nous réunirons aujourd’hui à 15 heures. C’est un changement. La réunion prendra fin lorsque nous aurons terminé. Merci, sénateurs.

(La séance est levée.)

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