LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 23 mars 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.
Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, nous allons commencer. Je demanderais aux sénateurs de se présenter.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Kim Pate, des rives du Kitchissippi, sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.
[Français]
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, sénatrice indépendante du Québec, division sénatoriale des Laurentides.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire visé par le Traité no 4.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Pierre J. Dalphond, De Lorimier, Québec.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique. Je vous souhaite la bienvenue.
Le président : Je suis Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité.
Mesdames et messieurs, nous entamons ce matin notre étude du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges. Nous commençons notre étude en accueillant l’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Bon retour, monsieur Lametti. Il est accompagné de ses collaborateurs de la Section des affaires judiciaires, soit Me Patrick Xavier, avocat principal, Me Shakiba Azimi, avocate, et Me Toby Hoffmann, directeur et avocat général.
Conformément à notre pratique habituelle, monsieur le ministre Lametti, nous allons vous inviter à prononcer votre déclaration liminaire, pour laquelle vous disposez de cinq minutes, après quoi les sénateurs vous poseront des questions. La parole est à vous.
L’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Je tiens à remercier votre prédécesseur ainsi que tous les autres membres présents aujourd’hui.
Encore une fois, c’est un plaisir d’être avec vous pour parler du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges. Comme vous le savez, ce projet de loi vise à réformer le processus de traitement des plaintes contre les juges de nomination fédérale. Je tiens à remercier les membres de mon équipe du ministère qui m’appuient aujourd’hui et qui vont poursuivre la discussion avec vous une fois que je serai parti.
[Français]
La magistrature canadienne jouit d’une réputation d’excellence et d’intégrité sans pareil qui est bien méritée. Les allégations d’inconduite visant les jugent sont rares et celles qui sont assez graves pour justifier une éventuelle révocation le sont encore plus. Il n’en demeure pas moins que notre système de justice a besoin d’un processus efficace pour l’examen de ces allégations, même si elles sont peu nombreuses. L’efficacité à cet égard contribue à conserver un des piliers de la primauté du droit : la confiance du public dans l’intégrité de la justice.
En 1971, lorsque le Parlement a édicté la Loi sur les juges, la responsabilité de traiter les plaintes contre les juges a été confiée au Conseil canadien de la magistrature (CCM). Indiscutablement, il s’acquitte de cette responsabilité de façon exemplaire depuis plus de 50 ans. On peut dire sans exagérer que sans son engagement indéfectible à cet égard, notre situation ne serait pas aussi enviable qu’elle l’est aujourd’hui, en ce sens que nous bénéficions d’une excellente magistrature dans laquelle le public a confiance.
En revanche, le CCM est particulièrement bien placé pour confirmer que le cadre législatif établissant le processus a fini par manifester d’importantes lacunes. Ces lacunes ont pris de l’ampleur au cours des dernières années et elles risquent maintenant de miner la confiance non seulement à l’égard du processus, mais aussi à l’égard de la magistrature elle-même. Il est donc nécessaire d’y remédier.
[Traduction]
Le projet de loi que vous avez devant vous aujourd’hui est une solution. Le projet de loi C-9 propose un ensemble de réformes qui comblent les lacunes du processus actuel. Je suis convaincu que ce projet de loi mettra en place un processus d’examen de la conduite des juges qui servira exceptionnellement bien les Canadiens pendant les décennies à venir.
Avant de passer en revue certaines des principales caractéristiques du projet de loi C-9, j’aimerais souligner qu’il est le fruit d’un processus d’élaboration de politiques approfondi qui a fait l’objet de consultations tout aussi approfondies. Parmi les parties prenantes consultées figure le Conseil canadien de la magistrature, l’Association canadienne des juges des cours supérieures, l’Association du Barreau canadien, la Fédération des ordres professionnels de juristes, ainsi que les provinces et les territoires. Le grand public a également été invité à se prononcer au moyen d’un document de consultation en ligne qui recueillait des commentaires sur un document de travail détaillé. Ce projet de loi bénéficie de leur soutien, ce qui est essentiel. Je dis « essentiel » parce que l’Association canadienne des juges des cours supérieures exprime les préoccupations au quotidien des juges de nomination fédérale de l’ensemble du pays. Le Conseil canadien de la magistrature — ou le CCM —, pour sa part, est un organisme qui a plus d’un demi-siècle d’expérience dans la gestion du processus actuel de déontologie judiciaire, et c’est lui qui va gérer le processus proposé par ce projet de loi.
Ce projet de loi a également reçu le soutien de tous les partis à la Chambre des communes. Le Comité de la justice a étudié le projet de loi et n’a apporté que deux amendements mineurs qui créent l’obligation de fournir les motifs par écrit lorsqu’une plainte est rejetée aux deux premières étapes du processus. Je signale qu’il s’agit déjà d’une pratique courante au sein du CCM et que cette disposition est donc facile à mettre en œuvre.
J’ai mentionné les lacunes du processus actuel. À ce stade, permettez-moi de vous décrire sommairement les quatre principales préoccupations et la façon dont le projet de loi C-9 propose d’y remédier.
La première est l’efficacité. La procédure actuelle est trop longue et trop coûteuse. La Constitution exige à juste titre que les plaintes contre les juges soient traitées avec rigueur et équité; pourtant, lorsque la résolution des plaintes s’étale parfois sur des années, avec de longues contestations judiciaires qui sont très coûteuses pour le contribuable, les Canadiens se demandent avec raison s’il n’y a pas une meilleure façon de procéder. De telles situations se sont produites plus d’une fois dans un passé récent.
Le projet de loi C-9 répond directement à cette préoccupation en améliorant considérablement l’efficacité du processus. Le contrôle judiciaire des décisions du CCM par de multiples instances sera remplacé par une procédure d’appel simplifiée qui aboutira à un droit d’appel avec autorisation auprès de la Cour suprême du Canada. Il est tout à fait approprié de confier le contrôle à la Cour suprême, compte tenu des juges qui siégeront aux audiences et aux commissions d’appel du CCM, et du fait que ces instances fonctionneront, dans la pratique, comme les tribunaux de première instance et les cours d’appel dans le système judiciaire normal.
De telles réformes assurent un équilibre approprié entre l’objectif central qui est de simplifier la procédure et l’équité pour le juge qui est soumis au processus d’audience.
Deuxièmement, le processus actuel est conçu pour ne répondre qu’à une seule question, à savoir si la plainte justifie la révocation du juge. Aucune sanction n’est expressément prévue pour les fautes moins graves, et de telles sanctions ne peuvent être imposées qu’avec l’accord du juge en cause.
Le projet de loi C-9 répond à cette préoccupation en créant le pouvoir d’imposer des sanctions pour des inconduites qui exigent une forme de réparation et de responsabilité autre que la révocation. Ces sanctions comprennent, par exemple, des réprimandes formelles et l’ordre de suivre une formation ou une thérapie.
Troisièmement, le projet de loi C-9 vise à accroître la confiance du public dans le processus en augmentant la participation des non-juristes. Le processus actuel prévoit un rôle très limité pour les non-juristes. En effet, un non-juriste ne participe qu’à une seule étape du processus, celle qui consiste à déterminer si des audiences publiques doivent être organisées sur la conduite d’un juge.
Les réactions aux consultations publiques ont révélé un fort soutien à une participation accrue de non-juristes. Des non-juristes participeraient à deux étapes : il y en aurait au sein des comités d’examen chargés d’imposer des sanctions pour les fautes les moins graves, et au sein des comités d’audience pléniers qui tiendraient des audiences publiques et recommanderaient au ministre de la Justice de révoquer ou non un juge dans les cas les plus graves.
[Français]
Enfin, le financement du processus actuel est très difficile à prévoir dans le cadre du cycle budgétaire ordinaire. C’est attribuable au fait que le coût des audiences publiques à tenir pour déterminer si un juge doit être révoqué peut être beaucoup plus important que les coûts modestes liés à la gestion du processus au quotidien.
Le projet de loi C-9 propose de résoudre ce problème en prévoyant que les coûts étroitement liés à ces audiences publiques sont prélevés directement sur le Trésor. Pour assurer la surveillance de ces coûts et l’application du contrôle financier approprié, un examen indépendant de tous ces coûts et des contrôles en question sera effectué tous les cinq ans et les résultats seront rendus publics. C’est une solution qui établit un équilibre judicieux entre la nécessité de superviser la façon dont les fonds publics sont utilisés et la nécessité d’assurer un financement stable de ce processus essentiel.
[Traduction]
Il ne s’agit là que des améliorations les plus marquantes du processus relatif à la conduite des juges que propose le projet de loi C-9. Il y en a d’autres, mais pour laisser le temps aux questions et à la discussion, je vais m’en tenir à cela pour l’instant.
Permettez-moi de conclure en soulignant que je suis convaincu que le Canada possède le système judiciaire le plus solide au monde, en grande partie parce que nous avons la magistrature la plus exceptionnelle et la plus engagée au monde. C’est le résultat de notre engagement et de nos efforts constants pour maintenir nos institutions en bonne santé et pour préserver l’indépendance et la robustesse de notre système judiciaire. Le projet de loi C-9 s’inscrit dans le cadre de cet effort constant.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis impatient de répondre à vos questions. Merci.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Je vais inviter le sénateur Dalphond, qui est le parrain du projet de loi au Sénat, à poser les premières questions.
Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup de votre présence parmi nous, monsieur le ministre.
[Français]
Je vais commencer par une question de précision. Je vais laisser tout le temps à mes collègues de poser des questions, car j’ai pu assister à la réunion d’information de votre ministère. J’ai eu l’occasion de présenter ce projet de loi deux fois. C’est ma troisième tentative aujourd’hui.
Vous avez parlé d’une large consultation menée avant le dépôt de ce projet de loi et de tous les gens qui ont été consultés.
J’aimerais citer le communiqué de presse du 27 mai 2021 du Conseil canadien de la magistrature, qui dit ce qui suit :
Au cours des dernières années, le Conseil n’a cessé de réclamer le dépôt d’une nouvelle loi afin d’améliorer le processus d’examen de la conduite des juges.
Je comprends qu’il y a eu beaucoup de consultations, mais c’est un processus qui répondait à la demande du juge en chef Wagner et du Conseil canadien de la magistrature auprès de vous et du gouvernement pour modifier et moderniser la loi. C’est donc une réponse à une initiative judiciaire; ce n’est pas le gouvernement qui décide de se mêler de quelque chose.
M. Lametti : Je crois que c’est un commentaire plutôt qu’une question. Je vais vous donner des précisions.
Le sénateur Dalphond : Je voulais confirmer qu’effectivement le gouvernement n’a pas agi de lui-même, mais qu’il a agi en réponse aux demandes de la magistrature.
M. Lametti : D’abord, il faut souligner qu’il y a un équilibre entre la législature et la magistrature pour protéger l’indépendance de la magistrature. C’est un principe fondamental de notre système et j’adhère à ce principe.
Il y a certaines causes célèbres. L’effort a été amorcé et largement mené par le Conseil canadien de la magistrature pour protéger la confiance du grand public à l’égard du système. Les juges ont déterminé eux-mêmes la nécessité de procéder à une autre étape de réforme pour protéger leur réputation en tant que membres du système judiciaire.
Le sénateur Dalphond : Cela répond à ma question.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Merci, monsieur le ministre. Je vois un représentant des médias dans la salle. Il y en a peut-être d’autres. Je tenais à préciser d’emblée que ce projet de loi, en raison de l’intérêt qu’il pourrait susciter auprès du public et des médias, ne s’appliquerait pas à une affaire en cours, comme celle du juge Russell Brown de la Cour suprême. Ce projet de loi ne s’appliquerait pas à cette affaire. C’est la procédure disciplinaire judiciaire actuelle qui s’applique dans ce cas. Est-ce exact?
M. Lametti : Tout à fait exact.
La sénatrice Batters : Merci.
Monsieur le ministre, vous avez apparemment mené, pour ce projet de loi, un processus de consultation assez étendu auprès de la communauté juridique et judiciaire, comme vous l’avez décrit et comme le sénateur Dalphond vient de l’évoquer.
Vous n’avez pas consulté l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels ni personne d’autre au sujet des préoccupations des victimes d’actes criminels. Étant donné que l’indignation du public à l’égard de la conduite des juges est principalement liée au mauvais traitement des victimes d’actes criminels dans certaines affaires, il semble évident que cette perspective revêt une grande importance. C’est ce qui avait motivé le projet de loi sur la formation des juges de mon ancienne collègue du caucus et ancienne cheffe intérimaire du Parti conservateur, Rona Ambrose.
Pourquoi votre gouvernement n’a-t-il pas consulté les victimes d’actes criminels ou leurs représentants au sujet d’un projet de loi qui pourrait avoir une incidence marquée sur leur confiance dans le système judiciaire?
M. Lametti : Merci, sénatrice. C’est juste. Je le dis d’emblée. Nous aurions pu faire mieux. Le processus a été essentiellement mené au départ par les juges eux-mêmes et le Conseil canadien de la magistrature.
Cela étant dit, depuis que vous avez soulevé ce point pour la première fois, et j’en suis heureux, nous avons contacté l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels. Il est très favorable à l’initiative. Il nous a transmis quelques suggestions mineures. Nous allons continuer de discuter avec l’ombudsman fédéral. Je vous remercie de nous avoir rappelés à l’ordre à ce sujet.
La sénatrice Batters : Très bien. Si vous pouviez nous fournir ces suggestions — je suis sûre que nous pourrions l’inviter à témoigner —, cela nous serait utile.
M. Lametti : Certainement.
La sénatrice Batters : Merci.
J’aimerais aussi savoir, monsieur le ministre, où se trouve votre document d’analyse comparative entre les sexes pour ce projet de loi. Je n’ai pas pu le trouver en cherchant rapidement ce matin. Le dernier document d’analyse comparative entre les sexes que nous avons examiné de la part de votre ministère concernait le projet de loi C-39, et ce document était plutôt dévastateur pour vous.
Dans beaucoup d’affaires pour lesquelles le public s’est indigné d’une conduite judiciaire méritant une sanction disciplinaire, ce sont des femmes qui avaient été gravement maltraitées. Il semblerait qu’un document sur l’analyse comparative entre les sexes pourrait fournir des renseignements précieux sur cet enjeu. Comme sénateurs, nous devrions probablement disposer de ce document avant de vous interroger, afin d’obtenir un meilleur examen critique de ce projet de loi.
M. Lametti : Merci. Je pensais que ce document vous avait été fourni. Nous allons vous le transmettre. L’analyse a été réalisée.
La sénatrice Batters : Merci.
Monsieur le ministre Lametti, le projet de loi C-9 modernise la Loi sur les juges, entre autres choses, afin de renforcer la confiance du public dans le système judiciaire. Si une telle modernisation de la procédure disciplinaire était assurément nécessaire, il faut dire, comme nous en avons déjà discuté, que les lenteurs des tribunaux constituent un problème criant de notre système de justice pénale.
Les nominations judiciaires constituent un problème important à cet égard, et c’est un facteur sur lequel vous, qui formez le gouvernement fédéral, avez un contrôle total. Lorsque je vous ai interrogé à ce sujet en octobre, vous m’avez dit qu’à ce moment-là, 89 postes de juges étaient vacants à l’échelle du pays. Vous m’avez alors affirmé que d’importantes améliorations allaient être apportées.
Au début du mois de mars, il y avait toujours 86 postes vacants dans l’ensemble du pays. C’est un nombre assez stupéfiant. Comme vous le savez, monsieur le ministre, les retards judiciaires qui en résultent ont conduit à l’annulation d’accusations criminelles très graves. Cela peut vraiment ébranler la confiance des Canadiens dans le système judiciaire.
Monsieur le ministre, quand allez-vous faire de la nomination des juges une véritable priorité dans l’exercice de vos fonctions?
M. Lametti : Je vous remercie de cette question, sénatrice. C’est hautement prioritaire. Je travaille avec acharnement avec mon équipe pour contrôler les parties du processus qui relèvent de notre compétence. Je peux vous assurer que nous nous occupons très efficacement de ces éléments.
Je n’ai pas le contrôle de toutes les parties du processus. Je ne ménage pas mes efforts pour accélérer les autres parties du processus, qui sont là pour garantir la rigueur et la participation du public par l’intermédiaire des comités de nomination des juges, ainsi que d’autres mesures de sécurité liées au processus, telles que les contrôles de police et autres. Je fais de mon mieux à cet égard. Diverses procédures ont cours et se poursuivent.
Je tiens toutefois à souligner que 95 % des affaires pénales au Canada ne sont pas entendues par des juges de nomination fédérale, mais par des juges de nomination provinciale. Je travaille avec les provinces et les territoires pour m’assurer que nous pouvons contribuer à faire avancer ces procédures également.
La sénatrice Batters : Comme vous le savez parfaitement, les Canadiens subissent vraiment les conséquences des postes vacants de juges dans d’autres secteurs du système judiciaire, comme les tribunaux de la famille et les tribunaux civils, car leurs affaires prennent beaucoup de temps, que ce soit en droit de la famille, en droit des assurances ou dans d’autres domaines de ce genre.
M. Lametti : J’ai la même préoccupation, sénatrice. Merci.
La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, je souhaite également vous interroger sur les sanctions qui peuvent être imposées à un juge, en vertu du projet de loi C-9, si l’inconduite n’est pas suffisamment grave pour justifier sa révocation.
Selon le nouveau processus que vous proposez dans ce projet de loi, il pourrait y avoir d’autres sanctions, notamment l’expression de préoccupations, l’avertissement, la réprimande, l’obligation de présenter des excuses, la formation, l’éducation ou la thérapie, mais le projet de loi C-9 ne propose pas l’option de suspendre temporairement un juge ou de réduire son salaire. Est-ce que les sanctions proposées que vous avez incluses dans le projet de loi sont le résultat de consultations?
En ce qui concerne l’obligation de présenter des excuses, quel serait l’avantage d’une telle mesure, que ce soit pour le juge ou pour le plaignant? Ne pensez-vous pas qu’une suspension ou une sanction pécuniaire pourrait être une solution plus appropriée dans certaines circonstances?
M. Lametti : Avant de céder la parole à Me Xavier, en ce qui concerne les conséquences financières, je vous rappelle que nous nous sommes attaqués à une partie de ce problème dans une précédente loi d’exécution du budget, en empêchant l’accumulation des droits à pension dans l’attente d’une décision. C’était une chose que les juges estimaient nécessaire, et nous l’avons fait en utilisant les leviers financiers à notre disposition.
L’idée générale qui sous-tend les autres sanctions est que ce sont les comités qui vont déterminer les sanctions appropriées pour les juges. Ce sont vraiment les juges qui vont se surveiller eux-mêmes. Cela va donc continuer de la même manière.
D’après ma propre expérience dans divers contextes, les excuses peuvent être très efficaces et avoir un effet profond, tant pour la personne qui s’excuse que pour celle qui reçoit les excuses. Mais d’autres mécanismes sont envisagés. Peut-être que Me Xavier peut nous en dire plus à ce sujet.
La sénatrice Batters : [Difficultés techniques] Me Xavier, qui nous a beaucoup aidés, au cours de la prochaine heure, mais en ce qui concerne les conséquences financières, oui, je reconnais que la question des pensions est une bonne chose. Mais je m’interrogeais sur une réduction de salaire ou quelque chose de ce genre. Pourquoi cette possibilité n’a-t-elle pas été envisagée?
Me Patrick Xavier, avocat principal, Section des affaires judiciaires, ministère de la Justice Canada : Sénatrice, en ce qui concerne la réduction du salaire, l’idée qui sous-tend la liste des sanctions prévues dans le projet de loi C-9 est qu’elles sont censées permettre à un juge de reprendre ses fonctions avec la pleine confiance du public. Dans le cas où un juge aurait commis un acte si grave que sa rémunération devrait être réduite, il a été généralement admis lors des consultations, y compris par les membres de la magistrature, que les actes étaient probablement d’une gravité telle qu’ils justifiaient la révocation du juge.
Les exigences sont très élevées en ce qui concerne la conduite des juges. La Cour suprême a été très claire à ce sujet; on attend vraiment des juges qu’ils se comportent de manière exemplaire, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la salle d’audience. Si vous parlez de quelque chose de si grave qu’une réduction de salaire est justifiée, c’est probablement parce que la révocation est justifiée.
L’idée était de créer une liste de sanctions qui ne serait pas... Nous devions trouver un équilibre entre une liste de sanctions permettant de remédier à un comportement inapproprié et une liste qui irait trop loin et qui permettrait l’imposition de sanctions alors que la révocation serait souhaitable. Nous ne voulions pas créer une telle incitation. Nous voulions être sûrs que la liste des sanctions reflétait de manière appropriée une conduite de haut niveau.
Le président : Nous pourrions revenir sur ce point au cours de la deuxième heure, maître Xavier. Nous allons profiter de la présence du ministre pour discuter avec lui autant que possible.
La sénatrice Batters : S’il reste du temps au deuxième tour...
Le président : Oui. Nous verrons. Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur le ministre.
Je vais faire un suivi à la question que la sénatrice Batters a posée. En 2019, lorsqu’on a adopté le projet de loi C-75, il y avait 65 postes de juge vacants au Canada. Il y en aurait 89 aujourd’hui. J’essaie de comprendre quelle stratégie on a adoptée pour pourvoir ces postes.
J’ai entendu, au printemps dernier, la déclaration du Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec, qui disait que le système de justice québécois frôle la catastrophe. Près de 60 000 dossiers ont du retard dans le système de justice. On craint que beaucoup de criminels, je dirais même des assassins, puissent se sauver du système de justice. En 2019, juste avant la pandémie, il y avait des délais considérables dans les cours de justice. Au Québec, deux assassins n’ont pas subi de procès à cause de délais indus et de l’arrêt de la Cour suprême.
Je comprends qu’il y a un processus actuellement pour discipliner les juges — ce qui est très important pour moi, sans aucun doute —, mais j’essaie de comprendre pourquoi, en 2023, on est encore embourbé à ce point dans notre système de justice, ce qui a un impact direct sur la confiance des citoyens à cause des retards et des reports. Je songe notamment aux dossiers liés à la violence conjugale au Québec. Le nombre de reports que subissent les femmes victimes est énorme, ce qui fait en sorte qu’on s’approche des délais prescrits par la cour et que ces gens ne seront jamais condamnés. J’essaie de comprendre pourquoi la situation est plus grave aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2019.
M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur. La situation n’est pas plus grave. D’abord, il faut ajouter qu’on a créé 116 nouveaux postes partout au Canada dans les cours fédérales. On continue de nommer des juges à un rythme important. Il arrive qu’il y ait des retraites et la synchronisation n’est pas toujours facile, mais on travaille avec acharnement pour pourvoir les postes. Je dois dire qu’on a plus de postes à combler, beaucoup plus qu’on avait des postes vacants. Aussi, pour ce qui est des délais, il faut souligner, comme je viens de le faire avec la sénatrice Batters, que 95 % des procès criminels sont assurés par les provinces dans les cours provinciales. Cela n’a rien à voir avec le fédéral.
Le sénateur Boisvenu : Il reste que le nombre de juges nommés par le fédéral est plus élevé en 2023 qu’il ne l’était en 2019.
M. Lametti : Ce n’est pas le cas, parce qu’on a créé plus de postes.
Le sénateur Boisvenu : Je vous avais posé la question quand vous étiez venu en 2021. On sait que les juges prennent leur retraite à 75 ans dans la grande majorité des cas. Une nomination se fait généralement six mois après que le juge a pris sa retraite.
Pourquoi n’a-t-on pas un processus pour faire en sorte qu’on commence à pourvoir un poste six mois avant qu’un juge prenne sa retraite, ce qui ferait en sorte que, quand cela se produit, on a déjà un titulaire en poste?
M. Lametti : On regarde les dates qui approchent. Il faut ajouter qu’il y a beaucoup de juges qui prennent leur retraite de façon surnuméraire. Il y a des postes vacants, mais il y a aussi des juges qui sont considérés comme ayant pris leur retraite, mais qui continuent de siéger à temps partiel. On travaille en équipe justement pour pourvoir les postes. On travaille avec les provinces et les territoires pour que le système puisse mieux fonctionner. On va continuer de le faire. Pour le fédéral, ça se passe assez bien.
Le sénateur Boisvenu : J’ai une dernière question. Effectivement, il est important que la gestion des juges ait une influence sur la confiance du public. Vous avez dit — je ne sais pas si j’ai bien compris — que vous aviez fait une consultation en ligne pour que les citoyens puissent se prononcer. Ai-je bien compris?
M. Lametti : Pour ce projet de loi, oui.
Le sénateur Boisvenu : Combien de citoyens sont allés sur le site pour faire des commentaires par rapport au projet de loi?
Me Xavier : Environ 72 personnes ont fait des commentaires.
Le sénateur Boisvenu : D’accord. Il me semble essentiel de consulter les groupes de victimes. Est-ce qu’ils seront appelés à se prononcer? Parce qu’au premier chef, ce qui a un impact sur la confiance sur le plan de la justice... Ce sont les victimes qui sont au centre du système.
M. Lametti : Comme je l’ai dit dans ma réponse à la sénatrice Batters, il est vrai qu’on aurait pu mieux faire. On a créé des mécanismes comme le Bureau de l’ombudsman. Maintenant, on s’habitue à les employer régulièrement et quotidiennement dans nos affaires. Comme je l’ai dit, après les démarches de la sénatrice Batters, on a contacté l’ombudsman pour avoir ses commentaires. Je veux vous assurer qu’on va continuer en ce sens à l’avenir.
Le sénateur Boisvenu : Merci, monsieur le ministre.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Bienvenue, monsieur le ministre. Je tiens également à souhaiter la bienvenue à votre équipe. Je vous félicite pour le personnel que vous embauchez. C’est un grand jour pour moi et pour les gens qui nous écoutent.
Je suis ici depuis longtemps. Vous avez reçu mon message. Merci infiniment. Nous sommes très reconnaissants aux hauts fonctionnaires de votre ministère. Merci.
Monsieur le ministre, la sénatrice Batters a posé une question sur l’analyse comparative entre les sexes. Vous savez comme nous qu’il s’agit de l’ACS Plus. Qui avez-vous consulté pour le « Plus »? Personne parmi nous ne le sait. Vous faites de l’excellent travail et je vous en félicite encore une fois. Qui consultez-vous pour le « Plus », afin de comprendre les problèmes?
M. Lametti : Je vais laisser le soin à mon équipe de soutien de répondre à ces questions et, si nous ne pouvons pas y répondre, je vous ferai parvenir une réponse.
Me Xavier : Merci, sénatrice.
L’analyse comparative entre les sexes plus ne requiert pas de consultations en particulier. Il est important que le processus s’applique à bien des égards de la même manière, peu importe qui dépose la plainte. Il en va de même pour les juges. L’indépendance judiciaire, en fait, exige que le processus s’applique de la même manière aux juges, peu importe la façon dont ils peuvent s’identifier. Avec une procédure de la sorte qui s’applique à tout le monde, c’est d’une importance capitale.
Le conseil élaborera des règles et des procédures pour les différentes étapes du processus. Dans la mesure où il y a des aspects précis de certaines étapes qui peuvent s’appliquer différemment à différentes personnes, en fonction de la manière dont elles s’identifient, il s’agit de quelque chose qui sera davantage précisé dans les règles de procédure que dans la loi. Ce qui figure dans la loi, ce sont les éléments de haut niveau qui ne devraient pas varier d’une personne à l’autre.
La sénatrice Jaffer : Je n’ai peut-être pas été très claire. Je m’en excuse.
Je demandais, dans le cadre de votre consultation, comment vous pourriez savoir ce que veulent les communautés « plus »? Vous tenez compte des questions de genre, d’ethnicité et de tout le reste, de tous les éléments, dans n’importe quel projet de loi? Comment les avez-vous évaluées? C’est ce que je demandais au ministre.
Me Xavier : Les groupes à la recherche d’équité n’ont pas été précisément consultés indépendamment du grand public dans le cadre du processus de consultation pour ce projet de loi.
M. Lametti : Sénatrice, Toby Hoffmann aimerait intervenir également.
Me Toby Hoffmann, directeur et avocat général, Section des affaires judiciaires, Ministère de la Justice Canada : Merci, monsieur le ministre. Merci, sénatrice, de votre question. J’allais ajouter, et j’espère que cela vous éclairera un peu plus à ce sujet, que nous avons des professionnels au sein de notre ministère qui sont précisément chargés de nous aider avec ces analyses.
En tant qu’avocats, nous mettons nos connaissances au service de ces projets législatifs, mais nous les consultons. Je peux affirmer avec certitude qu’ils ont une vision beaucoup plus vaste du domaine et qu’ils sont sensibilisés à ce type de questions. J’ajouterai cela pour vous, sénatrice.
La sénatrice Jaffer : Monsieur le ministre, je suis désolée. Je ne veux pas insister là-dessus.
Avec la consultation sur l’analyse comparative entre les sexes, vous ne vous adressez pas à des gens à l’extérieur de votre ministère? Je ne parle pas du « plus ». Consultez-vous uniquement des gens au sein de votre ministère?
M. Lametti : Ma réponse rapide est que cela dépend du contexte. Cela peut arriver, mais pas nécessairement. Cela dépend de la nature et de la complexité du projet de loi.
Je vais céder la parole à Me Hoffman pour qu’il vous donne une réponse plus procédurale.
Me Hoffmann : Désolé, monsieur le ministre, mais j’allais me fier à votre réponse. Il peut effectivement y avoir des cas de consultations externes. Si j’ai bien compris ce qu’a dit Me Xavier, cela ne s’est pas produit dans le cadre de ce projet de loi.
Ce que je dis, sénatrice Jaffer, c’est que les préoccupations ne sont pas mises de côté. Nous avons également des professionnels à l’interne qui examinent ces questions en vue d’apporter une analyse exhaustive. Je peux dire, en tant qu’avocat, que nous sommes souvent incités à veiller à ce que ces questions soient prises en compte.
Merci, monsieur le ministre.
La sénatrice Jaffer : Je reviendrai sur ce point et en discuterai avec le président.
Monsieur le ministre, depuis le jour où votre gouvernement est arrivé au pouvoir, l’une des raisons que j’ai comprises, et que j’ai continué à expliquer à notre juge en chef, est que vous avez examiné les comités originaux qui recommandaient les juges. Pardonnez-moi de le dire, mais ces comités se tournaient normalement vers les grands cabinets dans le passé. Les avocats des grands cabinets étaient nommés ou désignés comme juges.
Vous avez un meilleur processus, mais vous y travaillez encore. Si vous êtes à l’aise de répondre, puis-je vous demander si c’est le problème? Dans le passé, on nous a dit que c’était le problème. Je ne sais pas comment mieux l’expliquer, mais vous tentiez de mettre en place un processus plus équitable afin que les nominations proviennent de l’ensemble du Barreau, plutôt que des grands cabinets d’avocats.
M. Lametti : Vous faites référence au processus des nominations judiciaires, sénatrice? D’accord, oui.
Nous avons travaillé dur pour veiller à ce que les comités de nomination des juges soient représentatifs. Cela peut être l’une des parties les plus lentes du processus, non pas une fois que les juges sont nommés, mais lorsqu’ils doivent être reconduits dans leurs fonctions. Nous avons prolongé la période de deux ou trois ans, précisément parce que nous nous sommes aperçus que le fait de devoir reconstituer les comités tous les deux ans entraînait des retards supplémentaires.
Nous corrigeons le tir. Il ne s’agit pas, en soi, d’un défi supplémentaire ou d’un défi temporel dans le système. Il s’agit d’un processus complexe pour être transparent. Nous devons faire en sorte que toutes les parties du système fonctionnent.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
Le sénateur Klyne : Comme l’ont déjà mentionné mes collègues, je comprends moi aussi que les dispositions du projet de loi C-9 sont le fruit de consultations approfondies avec les intervenants concernés.
D’après vos consultations avec les intervenants concernés, quels aspects du projet de loi C-9, concrètement, auraient l’incidence la plus marquée pour accroître la confiance dans le système judiciaire?
M. Lametti : Je dirais qu’il y a deux choses que j’ai soulignées dans mon discours. D’une part, un système qui ne s’éternise pas pendant des années, un système qui ne s’éternise pas à cause de procédures de révisions judiciaires latérales chaque fois qu’une décision est prise cinq, six, sept fois comme une tactique dilatoire évidente.
Nous avons éliminé cela en créant un système d’appel vertical avec des nombres d’appels limités et précis. L’équité envers la personne est toujours protégée. Nous avons supprimé la possibilité de paralyser la procédure en ayant constamment recours à la Cour fédérale pour obtenir une révision judiciaire. C’est en soi le plus grand avantage.
Le deuxième avantage est que nous pouvons prévoir d’autres sanctions en plus de la révocation. Si un juge doit suivre une formation obligatoire, cette entité peut l’y contraindre. En tant que ministre de la Justice, je ne peux pas le faire. Le principe de l’indépendance judiciaire signifie que je ne peux pas intervenir et dire, « Vous devez faire ceci ». Ce sont les juges qui doivent le faire, et c’est ce que fera cette entité.
Le sénateur Klyne : Cela peut mener à une autre question. À l’heure actuelle, le Conseil canadien de la magistrature ne peut que recommander ou refuser la révocation d’un juge à l’issue d’un processus disciplinaire. Il n’existe pas de sanctions moins sévères.
Quelles sont les options dont dispose actuellement le Conseil canadien de la magistrature lorsqu’un juge est soupçonné de s’être livré à une inconduite qui n’est pas suffisamment grave pour justifier sa révocation? Comment cela changerait-il en vertu du projet de loi C-9?
M. Lametti : Pour l’instant, si la norme n’est pas atteinte, si la procédure actuelle ne permet pas d’atteindre la norme de révocation, ou si le conseil estime qu’elle ne permet pas d’atteindre la norme de révocation, le processus s’arrête là.
Si le niveau de révocation est atteint, les cas sont transmis au ministre de la Justice. Le ministre de la Justice devra alors présenter un projet de loi au Parlement. J’ai atteint ce stade dans un passé récent. La personne en question a alors pris sa retraite. Il n’y a aucune possibilité de recourir à l’un de ces autres moyens.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci, monsieur le ministre, de nous confirmer chaque fois que vous allez déposer l’analyse. Je pense que vous avez bien apprécié la question. Nous aurions aimé la recevoir avant nous aussi. Vous pensiez que le document avait déjà été déposé.
Je veux revenir sur ce qu’a soulevé la sénatrice Jaffer au sujet des personnes qui se trouvent en dehors du processus judiciaire. Vous avez fait référence, avec raison, au fait que nous sommes très fiers de l’indépendance de notre système, qui a une bonne crédibilité. Cela dit, au Canada, sur le terrain, il y a un sentiment de déficit quant aux délibérations, à la participation et à la prise de décisions.
Il me semble que cela se reflète dans le fait que les groupes de victimes ne sont pas inclus dès le départ dans la consultation. Je trouve que c’est inquiétant de savoir qu’on n’a pas changé la façon de procéder et qu’on n’a pas décidé d’inclure dès le départ non seulement ceux qui sont visés directement par une potentielle révocation, donc les juges eux-mêmes, mais aussi ceux qui subissent les décisions des juges. Je le dis avec le plus grand respect pour la magistrature. Il y a des gens qui subissent des décisions de juges et d’autres qui subissent des propos inacceptables, et vous visez à corriger cela.
J’ai une question plus précise par rapport à la portée de ce qui deviendrait maintenant l’article 157. La Constitution prévoit... Même les sénateurs ne sont pas toujours conscients qu’ils peuvent révoquer un juge, car c’est un pouvoir exorbitant. On se vante d’avoir un système indépendant et on est bien heureux de l’avoir. C’est déjà dans la Constitution, à l’article 99 de la Loi constitutionnelle. Je comprends que se trouve déjà dans la Loi sur les juges, qui a été adoptée en 1985. Pourquoi maintenez-vous l’article 157, et y a-t-il un changement de substance dans ce nouvel article 157 par rapport à ce qu’était l’ancien article 71?
M. Lametti : Je vous remercie de la question. Le changement se trouve dans le processus qui mène à l’application de l’article 157; substantiellement, le système actuel a été créé en 1971, il y a donc plusieurs décennies.
L’article 157 en soi maintient l’indépendance de la magistrature, car c’est un processus exceptionnel qui mène à la révocation d’un juge devant le Parlement. Comme je l’ai dit, je ne sais pas si cela a déjà été fait, mais cela n’a jamais été fait au cours des 50 dernières années.
La sénatrice Dupuis : Ce n’est donc pas un obstacle à l’indépendance de la magistrature et cela ne compromet pas l’indépendance des juges en raison du fait que c’est exceptionnel.
M. Lametti : Oui, exactement, et les juges mènent eux-mêmes le processus substantiel qui anticipe l’article.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Merci, monsieur le ministre, et merci à tous les membres de votre équipe de leur présence ici.
Depuis que le projet de loi C-9 a été présenté, j’ai reçu un certain nombre d’appels de personnes préoccupées par la transparence du processus et, plus particulièrement, pour la raison pour laquelle les plaintes anonymes ne feront pas partie du processus de sélection initial et par la manière dont le public sera informé de ce qui est reçu. Nous ne parlons pas de violation de la vie privée, évidemment, mais de savoir combien de plaintes sont anonymes, quelles sont les raisons de cet anonymat, et je peux imaginer certaines des questions qui ont été soulevées concernant la misogynie systémique, le racisme, le capacitisme, les préjugés fondés sur la classe sociale et ce genre de choses.
Je suis curieuse de savoir comment vous comptez révéler ces données — car je sais que vous vous êtes fermement engagé à veiller à ce que des données ventilées soient disponibles à ce sujet — et comment elles seront mises à la disposition.
Par ailleurs, des inquiétudes ont été exprimées concernant le manque de transparence du processus et la manière d’y accéder. Je suis curieuse, pour commencer, de savoir ce qu’il en est.
Voulez-vous que je pose toutes mes questions, pour que vous puissiez...
M. Lametti : Il y a déjà beaucoup de choses.
La sénatrice Pate : Oui, d’accord, je vais attendre.
M. Lametti : Avant d’aborder les aspects techniques, je tiens à souligner que la transparence est un élément essentiel du processus. En règle générale, nous ne voulons pas décourager quiconque de déposer une plainte. N’importe qui peut déposer une plainte. Nous ne voulons décourager personne de déposer une plainte, qu’il s’agisse d’une personne anonyme ou du procureur général du Canada.
Ce qui a été envisagé, c’est un processus de révision différent, en fonction de l’origine de la plainte. S’il s’agit d’une plainte anonyme, deux membres du Conseil canadien de la magistrature, CCM, l’examineront pour déterminer s’il convient d’y donner suite.
Encore une fois, il faut prendre les choses au sérieux, mais comme les plaintes sont anonymes, il y a une protection supplémentaire. Je pense qu’il est juste de dire qu’il y a différents contrôles tout au long du processus. Les profanes jouent un rôle plus important dans le processus, encore une fois pour contribuer à accroître la transparence, et je crois comprendre que le CCM, en fonction du processus, peut autoriser d’autres formes d’intervention écrite de la part des profanes — des citoyens — susceptibles d’être impliqués dans le processus.
Il y a d’autres aspects techniques de la réponse, maître Xavier, que vous pourriez peut-être ajouter.
Me Xavier : Non, en ce qui concerne le nombre de plaintes anonymes, je pense qu’il incomberait au Conseil de l’indiquer dans son rapport annuel lorsqu’il fournit des détails sur le processus chaque année.
Ce projet de loi l’obligera à présenter un rapport annuel, mais c’est déjà la pratique du Conseil.
Le président : Sénatrice Pate, vous disposez de quelques minutes pour poser votre prochaine grande question.
La sénatrice Pate : Je m’excuse si ce détail m’a échappé.
Même s’il s’agit d’une plainte anonyme, on s’attend à ce que le Conseil canadien de la magistrature rende compte du nombre et de la nature de ces plaintes, n’est-ce pas?
Me Xavier : À tout le moins en ce qui concerne le nombre. Pour ce qui est de la nature, je ne suis pas sûr que le Conseil puisse donner beaucoup de détails. Compte tenu des circonstances, cela variera probablement un peu d’une plainte à l’autre. C’est peut-être une question qu’il vaudrait mieux poser au Conseil.
La sénatrice Pate : Je me ferai plaisir de le faire. Je vous signale que l’un des défis de la collecte de données ventilées n’est peut-être pas de connaître la nature de ce type de plaintes.
Ma deuxième question porte sur le fait que le projet de loi, comme bon nombre de ces processus, est plus réactif que proactif. Je sais que la formation obligatoire pose certains problèmes, mais la formation des nouveaux juges a considérablement augmenté. Je suis curieux de savoir quelle sera l’incidence sur la formation continue. Quel sera le moyen de l’alimenter?
De toute évidence, s’il y a un grand nombre de plaintes pour cause de sexisme, de misogynie ou de racisme, comment cela sera-t-il pris en compte dans le processus de formation? Encore une fois, je poserai la question au Conseil canadien de la magistrature, mais il me semble que c’est quelque chose que vous pourriez connaître également, en termes de suivi.
M. Lametti : C’est tout relié, il y a un cercle vertueux qui est créé par l’ensemble de ces mesures.
En tant que politiciens élus, nous ne pouvons pas dire aux juges de suivre une formation. Ce que nous avons fait avec le projet de loi C-3, et le génie de ce projet de loi C-3, c’est d’utiliser, en fait, le processus de demande pour dire, « Si vous voulez devenir juge, vous devrez suivre cette formation ». Nous disposons donc, en quelque sorte, d’un argument de nature contractuelle pour dire, « Vous devez suivre cette formation ».
Les juges en chef vous diront que cela les a aidés, non seulement parce que tous les nouveaux juges reçoivent une formation, mais aussi parce que cela leur donne des leviers supplémentaires auprès des juges en exercice, qui auraient pu autrement se montrer réticents.
C’est donc utile. Ce processus aide, compte tenu du fait qu’il y a un meilleur processus disciplinaire. Le fait qu’il existe d’autres types de sanctions impliquant une formation, où un juge en chef pourra dire à un membre du tribunal, « Vous devez faire ceci parce que c’est la décision du CCM », contribuera, je pense, à créer une attitude beaucoup plus proactive à l’égard de la formation continue.
Nous offrons des formations dans toutes les professions. Nous proposons des formations continues dans pratiquement toutes les professions. Pourquoi ne pas l’offrir ici?
Le président : Merci, monsieur le ministre.
[Français]
La sénatrice Clement : Bonjour, monsieur le ministre; bienvenue à vous et à votre équipe. Sur la question de la confiance du public canadien dans ses institutions, le Globe and Mail a publié samedi un sondage Nanos qui nous donne des informations troublantes en matière de confiance du public.
Pourquoi dites-vous que cela aidera la confiance des Canadiens à l’endroit du haut système de justice, surtout les femmes? Il n’y a quand même pas de transparence complète, si on regarde l’article 102; il y a aussi un élément de confidentialité entourant les remèdes. Dès que le public entend le mot « confidentiel », il se dit qu’il y a quelque chose de caché et il n’est pas satisfait de cela. Qu’est-ce qui vous fait dire que cela aidera la confiance du public?
Je vous pose tout de suite ma deuxième question : comment allez-vous communiquer avec le public après l’adoption de cette loi pour discuter de ce manque de confiance?
M. Lametti : Merci. Évidemment, il y aura une stratégie de communication, menée non seulement par nous, les élus, mais aussi par le Conseil canadien de la magistrature. Cela augmentera la transparence.
Je crois que la participation de non-juristes au processus va augmenter la confiance du grand public dans le système, tout comme le fait que notre processus donne des résultats plus efficaces et plus justes en ce qui concerne les sanctions. Parfois, des sanctions mineures peuvent aider le grand public à dire : « D’accord, il a fait une erreur, on corrige le tir et on va donner une chance au coureur. »
En général, je crois que le grand public a confiance dans le système. Je suis en train de nommer des juges qui sont non seulement d’une grande qualité, mais d’une grande diversité. Ils reflètent le visage du Canada. C’est très important. J’ai reçu bon nombre de commentaires positifs, non seulement de juristes, mais d’autres personnes, quant au fait qu’ils se voient reflétés dans la magistrature. C’est très important pour augmenter la confiance.
Il n’y a pas un seul facteur, mais plusieurs facteurs en même temps. Je crois que nous allons dans la bonne direction.
[Traduction]
Le sénateur D. Patterson : Bienvenue, monsieur le ministre. Pardonnez-moi de mon retard.
J’aimerais poser une question sur la disposition de la Loi sur les juges et maintenant du projet de loi C-9 selon laquelle un ministre de la Justice, ou le procureur général d’une province ou d’un territoire, peut demander la constitution d’un comité d’audience complet pour déterminer si un juge devrait être démis de ses fonctions. Cette disposition a été conservée dans le nouveau projet de loi.
Le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs protège le pouvoir judiciaire de toute influence politique. Cette disposition soulève-t-elle des questions liées à la séparation des pouvoirs?
M. Lametti : Je ne pense pas, car le pouvoir décisionnel reste entre les mains du pouvoir judiciaire. D’après ce que je comprends de ce pouvoir et de cette disposition, il s’agit d’une autre contribution. Tout Canadien peut déposer une plainte. Dans certains cas, il peut s’agir d’un procureur général ou, dans d’autres cas, de personnes qui vont voir un procureur général et lui disent, « Écoutez, j’ai ce dossier ici ». Ils le déposent sur votre bureau et vous devez décider, en votre qualité de procureur général, si vous en saisissez le conseil.
Mais c’est le conseil qui l’examine et décide, après une procédure, si la plainte est valable. Si la décision est prise, les plaignants doivent s’adresser à nouveau au procureur général fédéral pour demander la révocation.
C’est encore le CCM qui gère la partie importante du processus.
Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie.
Les procédures à suivre dans les plaintes pour inconduite contre des juges nommés par le gouvernement fédéral sont actuellement énoncées dans le document d’orientation et le règlement du Conseil canadien de la magistrature. Or, en vertu de ce projet de loi, elles sont codifiées dans la Loi sur les juges, ce qui leur confère une certaine rigidité. Quelle est la raison pour laquelle les procédures ont été établies dans le projet de loi au lieu d’être confiées au Conseil canadien de la magistrature?
M. Lametti : Je pense qu’il y avait une volonté — de la part du Conseil canadien de la magistrature — d’avoir un ensemble de procédures plus rigides.
D’une part, elles se sont renforcées parce que nous les avons inscrites dans la loi. D’autre part, nous avons créé un ensemble de procédures plus souples et plus efficaces sur le fond. Mais, si j’ai bien compris, la volonté est venue des juges. Ils voulaient que le système soit plus ancré dans la loi que dans la politique.
Le sénateur D. Patterson : Merci, monsieur le ministre.
Très rapidement, dans le cadre de la nouvelle procédure telle que je la comprends dans le projet de loi C-9, les plaintes alléguant un harcèlement sexuel ou une discrimination contournent l’examen initial par un agent de sélection. Quelle est la raison de sauter cette étape?
M. Lametti : Je crois savoir qu’en raison de la gravité de la plainte, elle est immédiatement transmise à un comité qui comprend non seulement un membre du CCM, mais aussi un juge et un profane. Mais je serais heureux que Me Javier ou Me Hoffman apportent des précisions à ce sujet.
Me Xavier : C’est tout à fait exact. Nous voulions nous assurer, dans le cas de ces plaintes, qu’un décideur qui connaît la nature du processus et la nature de l’inconduite judiciaire examine la plainte et qu’elle ne soit pas simplement traitée par un agent de contrôle, qui n’aurait peut-être pas la même connaissance de la nature de l’inconduite, parce que le contrôle est une fonction de bien plus haut niveau.
Le président : Merci, monsieur le ministre. J’ai trois questions sans lien entre elles. Je vais vous poser les trois.
D’abord, au sujet des consultations, l’Association canadienne pour l’éthique juridique est une partie prenante majeure, par exemple, sur les enjeux d’éthique juridique, dont l’avis a été bien accueilli et qui a pu observer le processus. Vous n’avez pas mentionné l’avoir consultée. Pouvez-vous confirmer si elle a participé à l’exercice de consultation?
Ensuite, même si le processus est simplifié, je constate qu’il existe encore au moins sept paliers d’évaluation des plaintes. Vous avez mentionné le parallèle avec les professionnels. Je ne connais aucun autre organisme qui doive passer par sept étapes avant d’arriver à une conclusion. J’aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.
Enfin, d’autres professions, notamment juridiques, prévoient une disposition selon laquelle il n’est pas permis aux avocats de démissionner lorsqu’ils font face à des mesures disciplinaires. Cette disposition n’existe pas dans le cas présent. Conséquemment, dans chaque affaire grave où le Conseil canadien de la magistrature a procédé à l’évaluation de plaintes, on a vu les juges prendre leur retraite avant que l’affaire soit résolue. Le public, à mon avis, ne sait donc pas si le juge a véritablement dépassé les bornes. J’aimerais donc savoir si vous avez songé à ne pas permettre aux juges de démissionner pour éviter des mesures disciplinaires et à intégrer cette idée dans le projet de loi. Voilà ma troisième question. Merci.
M. Lametti : Merci. Je passerai la parole à mes collègues dans un moment.
Au sujet de votre dernière question, comme j’y ai fait allusion dans ma réponse à la sénatrice Batters, vous avez raison : la tactique de retarder le processus, puis de démissionner avant que soit abordée la disposition de révocation était un immense problème. Nous avons mis fin à l’incitatif financier de retarder la décision en gelant la pension au moment où commence la procédure disciplinaire, pour que la personne en cause ne puisse continuer à toucher et à accumuler une pension.
Le président : Ma question concernait le point de vue inverse, qui consiste à ne pas lui permettre d’atteindre cet objectif, de manière à ce que le conseil ou le Parlement puisse prendre une décision.
M. Lametti : Votre argument est valable. Je laisserai Me Xavier ou Me Hoffmann vous répondre.
La notion de simplification est également valable. Nous avons réduit le nombre d’échelons tout en conservant la hiérarchie du processus, mais nous croyons qu’il doit demeurer un certain nombre de garde-fous pour la personne qui fait l’objet de l’enquête.
Je laisse le soin à Me Xavier de répondre au sujet de l’Association canadienne pour l’éthique juridique et de la permission accordée aux juges de démissionner.
Me Xavier : L’Association canadienne pour l’éthique juridique a été consultée. Elle a offert des commentaires pendant les consultations.
Sur la possibilité pour les juges de démissionner, il y a très peu de cas où le juge démissionne pendant que la procédure est en cours. Il démissionnera lorsqu’il n’y a plus d’autre solution, autre que celle de subir une procédure de révocation au Parlement; en d’autres termes, quand le verdict est déjà tombé quant à savoir si leur inconduite était suffisamment grave pour justifier une destitution. C’est habituellement le moment que le juge choisit pour démissionner. Il est très inhabituel qu’un juge démissionne pendant la procédure.
La Cour suprême a énoncé clairement que l’objectif du processus est de déterminer si le juge, dans ces cas graves, doit continuer de siéger ou si le fait de conserver ses fonctions mine la confiance du public. L’arrêt de la procédure au moment où le juge démissionne semble venir de la façon qu’a eue la Cour suprême d’en définir l’objectif en ce qui concerne les plaintes les plus graves.
Le président : Merci, maître Xavier.
Nous passerons bientôt au deuxième tour de questions.
Monsieur le ministre, je me demande si vous pourriez nous accorder encore 5 ou 10 minutes. Nous avons commencé un peu en retard. Cela permettrait que l’on vous pose quelques autres questions brèves. Notre dialogue est très riche, et j’espère que nous en profitons tous.
M. Lametti : J’ai une journée chargée — nous siégeons —, mais je ferai de mon mieux.
Le président : Sénatrice Batters, allez-y, brièvement.
La sénatrice Batters : Absolument.
Monsieur le ministre, en ce qui concerne les consultations au sujet du projet de loi C-9, je remarque que celles auprès du public ne semblent pas avoir été très robustes. Les consultations publiques, apparemment, ont pris la forme d’un sondage en ligne et d’un examen de la correspondance reçue de la population. J’ai peut-être mal compris, mais je crois que votre équipe a indiqué que 72 personnes seulement ont répondu au sondage en ligne. Peut-être était-ce le chiffre pour la correspondance — je n’en suis pas certaine —, mais si ce ne sont vraiment que 72 personnes, c’est un nombre terriblement bas.
Étant donné le temps que vous avez consacré à ce projet de loi et le fait que la population s’est à l’occasion insurgée contre les enjeux liés à la conduite des juges menant à des mesures disciplinaires, pourquoi n’avez-vous pas mené des consultations publiques plus robustes?
M. Lametti : J’ai l’impression que le contenu du projet de loi est technique et qu’un groupe restreint de Canadiens pensent avoir l’expertise ou des motifs pour s’exprimer au sujet du projet de loi, et que cela explique les chiffres assez bas. Nous avons eu des centaines de milliers d’intervenants qui se sont exprimés au sujet de l’aide médicale à mourir, et ce, sans que nous ayons fait de grands efforts. Je crois que la faible participation est attribuable au contenu pointu et très technique du projet de loi.
Cela dit, je suis convaincu, étant donné les parties prenantes que nous avons consultées, étant donné les experts que nous avons consultés et grâce au travail que les juges ont accompli sur ce projet de loi, que nous avons atteint un bon équilibre qui reflète un ensemble de changements favorables pour l’avenir.
La sénatrice Batters : Est-il vrai que seules 72 personnes ont répondu au sondage en ligne? Est-ce exact?
Me Xavier : C’est bien mon souvenir, sénatrice, en effet.
La sénatrice Batters : D’accord. Merci.
La sénatrice Jaffer : Monsieur le ministre, à ma connaissance, vous êtes le premier ministre à mettre l’analyse comparative fondée sur les sexes, ou ACS, à la disposition du comité, et je vous en remercie. Comme prochaine étape, j’aimerais vous demander — parce que les réponses n’étaient pas claires pour moi — comment vous effectuez cette analyse. Vous ne pourrez pas répondre tout de suite, en si peu de temps. Peut-être pouvez-vous nous répondre par écrit, car je ne suis pas convaincue par les réponses sur le contenu technique — pas relativement à la question de la sénatrice Batters, mais à ma question. Comment la population est-elle consultée? D’après ce que je comprends, cet enjeu relevait de votre ministère, et j’ai des inquiétudes à ce sujet.
Le président : Serait-il possible, monsieur le ministre, que votre ministère réponde par écrit?
M. Lametti : Oui, je m’en occupe.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’ai une question concernant l’article 80 du projet de loi. On introduit une notion, à savoir que la révocation d’un juge... On évoque la question de la « situation qu’un observateur raisonnable, équitable et bien informé jugerait incompatible avec les devoirs de la charge de juge ». On semble introduire de nouveaux concepts juridiques dans la version française. On semble aussi en introduire dans la version anglaise, « reasonable, fair-minded, informed observer ».
Pourquoi introduire ce genre de nouveaux concepts plutôt, par exemple, que de faire référence à une personne raisonnable? Autrement dit, le choix du concept et le choix des qualificatifs semblent être un traitement de faveur réservé à la magistrature. Je ne sais pas pourquoi. J’aimerais comprendre le raisonnement derrière tout cela.
M. Lametti : Avant de céder la parole à Me Xavier, je dirais que ce n’est pas un nouveau concept. On a déjà le concept non seulement d’une personne raisonnable, mais d’une personne raisonnable compte tenu des circonstances ou avec une connaissance. Cela existe dans la Loi sur la preuve et dans les interprétations de la Charte. À mon avis, ce n’est pas nouveau; je ne sais pas ce que Me Xavier en pense.
Me Xavier : C’est exact. Le ministre a tout à fait raison. C’est un concept qui existe déjà dans la jurisprudence. En fait, c’est la perspective de l’observateur raisonnable, équitable et bien informé qu’on doit appliquer pour savoir si le juge doit être révoqué de ses fonctions. C’est précisément cette perspective qui doit être appliquée à l’alinéa d) de l’article 80.
Je pense que vous faisiez référence à cet alinéa. On a simplement rendu cet alinéa un peu plus explicite. L’alinéa d) est une nouvelle formulation de ce qui existait déjà. Ce n’est pas vraiment un changement substantiel.
La sénatrice Dupuis : Je vous remercie de le préciser.
[Traduction]
Le président : Sénatrice Dupuis, excusez-moi de vous interrompre, mais je veux donner au sénateur Klyne l’occasion de poser une dernière question, si vous le permettez.
Le sénateur Klyne : Le ministère de la Justice a-t-il un comité consultatif autochtone? Si oui, l’avocat de ce comité a-t-il été inclus dans la vaste consultation?
M. Lametti : Nous réussissons mieux grâce à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA, et grâce aux discussions constantes visant à créer un plan d’action pour la mise en œuvre de la déclaration et des principes qu’elle sous-tend. Ainsi, la participation des Autochtones — la co-élaboration, l’élaboration, les commentaires, la consultation, selon les circonstances — sera mise en œuvre plus efficacement dans tous les aspects du projet de loi. Nous en sommes encore à un stade précoce, et bien que nous tentions déjà de procéder ainsi pour la création de tous les projets de loi, cette façon de faire deviendra de plus en plus courante pour toute mesure législative.
Nous croyons que le présent projet de loi aidera une personne autochtone qui veut, par exemple, déposer une plainte au sujet d’une procédure judiciaire qui a pu l’offenser, l’insulter, l’humilier ou violer ses droits. Ces situations se sont produites; nous l’admettons. Grâce à un meilleur processus de plainte, qui puisse inclure une personne autochtone comme non-juriste, ou grâce à plus de nominations de juges autochtones, les choses s’amélioreront.
Ce projet de loi en particulier a-t-il été conçu selon le même processus que s’il avait été conçu après la déclaration? La réponse est non, mais nous y arriverons un jour.
Le président : Merci. Si nous pouvons vous retenir une autre minute, monsieur le ministre, le sénateur Boisvenu a une question.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vais y aller très rapidement. Merci beaucoup, monsieur le ministre, d’être resté encore quelques minutes.
La confiance du public est très liée aux peines équitables que donnent les juges.
Dans le cadre du projet de loi C-9, vous avez dit que vous étiez persuadé que les juges donneraient des peines de prison pour des crimes sérieux, comme des agressions sexuelles.
Il y a eu deux cas au Québec, où les gens ont été renvoyés à la maison pour purger leur peine. Le ministre de la Justice du Québec vous a interpellé pour vous demander de modifier le projet de loi C-9. Comment avez-vous reçu la demande du ministre de la Justice du Québec?
M. Lametti : Dans le deuxième cas, c’était seulement dans les plaidoiries. En tant que procureur général, le fait de m’exprimer publiquement pendant qu’un juge est en train de rendre une décision dans une cause irait à l’encontre de mes obligations envers le système judiciaire.
Le sénateur Boisvenu : Toutefois, c’est le ministre lui-même qui vous a interpellé.
M. Lametti : Je ne vais pas commenter les propos du ministre sur une cause qui est actuellement devant les tribunaux ou une cause qui aurait pu être portée en appel.
Le sénateur Boisvenu : L’homme est retourné chez lui pour purger sa peine. Il n’est plus devant le tribunal.
M. Lametti : Je suis encore du même avis, à savoir que les crimes graves méritent des conséquences graves. On a redonné la discrétion aux juges. Je ne crains pas une vague de cas d’agressions sexuelles, où la personne coupable va tout simplement rentrer chez elle. L’agression sexuelle est un crime grave qui mérite des conséquences graves.
[Traduction]
Le président : Je vous offre, monsieur le ministre, à vous et à vos collègues, nos remerciements pour cette discussion riche et stimulante, comme à l’habitude. Certains d’entre nous — et vous aussi, peut-être — seraient ravis de la poursuivre pendant des heures, mais je sais que vous avez d’autres engagements, et nous aussi. Nous vous laissons maintenant vaquer à vos autres occupations.
Nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins.
Des représentants du ministère de la Justice se joignent à nouveau à nous. J’aimerais présenter, en particulier, une autre membre de l’équipe de fonctionnaires qui est avec nous, Mme Riri Shen, sous-ministre adjointe déléguée du Secteur de droit public et des services législatifs. Il n’y aura pas d’allocution, et nous passerons directement aux questions à l’intention des collègues légistes qui sont parmi nous.
La sénatrice Batters : Je remercie les témoins et les fonctionnaires. Vous m’avez grandement aidée à bien me renseigner sur ce sujet précis, afin d’agir comme porte-parole de ce projet de loi. Vous avez ma reconnaissance et je vous remercie.
J’ai pu aborder plusieurs sujets avec le ministre Lametti, alors j’ai moins de questions pour vous. J’aimerais me concentrer sur le sujet des consultations publiques. Nous avons découvert que seules 72 personnes ont répondu au sondage en ligne. L’autre partie des consultations publiques a consisté à examiner la correspondance reçue du public sur le sujet. Combien d’éléments de correspondance y a-t-il eu pour cette partie des consultations publiques sur le projet de loi C-9?
Me Xavier : C’est une bonne question, sénatrice. Je n’ai pas de chiffre à vous donner. La correspondance a été reçue sur une période de 10 ans, alors il y en a eu une bonne quantité. Je dois dire que l’exercice a été utile pour avoir une idée de ce que pensait la population de ce processus. Le ministre a tout à fait raison. Le contenu technique du projet de loi l’a rendu peu propice aux commentaires de la part de la population en général. En examinant la correspondance, nous avons constaté qu’une grande quantité de missives provenait de personnes ayant eu affaire au processus et qui en ont été insatisfaites, ou alors les auteurs offraient des commentaires sur des renseignements qu’ils avaient lus. Les commentaires étaient ceux de citoyens informés, ce qui nous a été particulièrement utile. Les thèmes qui sont ressortis de cette correspondance correspondent aux objectifs principaux du projet de loi : l’élimination des sanctions liées à un contrôle judiciaire pour les cas d’inconduite qui ne sont pas suffisamment graves pour justifier une révocation, et la participation de non-juristes au processus.
Il en ressortait aussi clairement que les personnes qui ont eu affaire au processus le trouvaient déroutant. Elles ont eu de la difficulté à comprendre son fonctionnement, puisqu’il est énoncé à trois endroits. À l’heure actuelle, il y a dans la loi des dispositions habilitantes, puis une procédure qui s’applique à une partie de l’étape initiale du processus, puis un règlement. Le règlement et la procédure se chevauchent un peu. Les gens ne s’y retrouvent pas et veulent que le processus soit établi dans la loi. Ce sont probablement les commentaires qui sont revenus le plus souvent au fil de la correspondance.
La sénatrice Batters : J’imagine que bien des gens, peut-être même parmi notre auditoire d’aujourd’hui, seront perplexes devant le fait que ce ne sont pas tous les juges qui sont nommés par le gouvernement fédéral.
Me Xavier : C’est un exemple, oui.
La sénatrice Batters : Cette loi ne s’applique qu’aux juges nommés par le gouvernement fédéral. Dans le cas de la Saskatchewan, il s’agirait de la Cour du Banc du Roi — auparavant la Cour du Banc de la Reine —, la Cour d’appel de la Saskatchewan et toutes les cours d’appel du pays, la Cour fédérale du Canada, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada, ainsi que certains autres juges nommés par le gouvernement fédéral. Cependant, les juges, par exemple, de l’instance inférieure des tribunaux pénaux, des cours provinciales et des cours des petites créances ne sont pas visés par ce projet de loi. Ils relèvent de leurs gouvernements et organismes provinciaux respectifs, qui s’occupent de ces questions.
Je me demande quand ont eu lieu vos consultations avec les gouvernements provinciaux et territoriaux. En effet, le gouvernement les a commencées en 2016, je crois, ce qui remonte à un assez long moment — sept ans, maintenant —, et de nombreux gouvernements provinciaux et territoriaux ont changé, ne serait-ce qu’au cours des dernières années. Le contenu de la discussion est technique, mais il est certain qu’une passation de pouvoirs pourrait entraîner des différences quant à l’approche adoptée en la matière. Je me demande si vous pourriez nous dire quand ces consultations ont eu lieu. Ont-elles eu lieu très tôt dans le processus et moins au cours des dernières années? Quand ces consultations ont-elles été faites?
Me Xavier : C’était tôt dans le processus, en 2016. Je ne sais pas si cette information vous est utile, mais nous avons écrit aux autres ministères de la Justice. Les réponses sont donc venues des sous-ministres provinciaux de la Justice. La participation de l’échelon provincial n’a pas été très grande. En fait, nous n’avons reçu que quatre réponses...
La sénatrice Batters : Quatre, dites-vous?
Me Xavier : Seulement quatre, oui. Seules quatre provinces ont souhaité répondre.
La sénatrice Batters : Vous souvenez-vous de quelles provinces il s’agissait?
Me Xavier : Il s’agissait de l’Alberta, de la Saskatchewan, de l’Ontario et du Québec.
La sénatrice Batters : Excellent.
Me Xavier : Leurs réponses ciblaient principalement deux questions du document de travail. Nous leur avons envoyé l’ensemble du document, mais les provinces se sont concentrées surtout sur deux questions, qui les touchent directement. Nous avons demandé si les procureurs généraux devraient toujours avoir la possibilité d’exiger des audiences publiques sur les plaintes. Toute personne peut porter plainte, mais en ce moment, les procureurs généraux peuvent exiger des audiences publiques. Nous avons demandé si cette façon de faire devrait se poursuivre et, le cas échéant, si les procureurs généraux devraient ne pouvoir demander des audiences publiques que pour les juges de leurs propres provinces ou territoires. Ces deux questions figuraient dans le document de travail, et la plupart des commentaires des quatre provinces mentionnées abordaient uniquement ces deux questions. Pour le reste, les provinces ont simplement indiqué ne pas avoir d’inquiétudes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour votre présence. J’ai trois ou quatre petites questions. Premièrement, une fois le projet de loi mis œuvre, d’autres sanctions que la révocation pourraient être imposées aux juges, n’est-ce pas? Quels mécanismes prévoit-on? Par exemple, si un juge commet une erreur par rapport à une agression sexuelle, qu’on lui dit de suivre une formation et qu’il ne se plie pas à cette directive, quel sera le mécanisme par la suite?
Me Xavier : La loi ne prévoit pas de mécanisme comme tel. Si le juge ne suit pas les consignes qu’on lui donne, cela pourrait donner suite à une autre plainte déposée par le juge en chef du juge. Ce serait le mécanisme utilisé, et cette deuxième plainte serait plus sérieuse.
Le sénateur Boisvenu : Disons que c’est le cas et que le mécanisme d’étude reprend. Dans le fond, c’est comme une deuxième plainte. Quelles seraient les conséquences si un juge ne se pliait pas à une sentence moins sévère qu’une révocation en cas d’erreur ou d’impair sur le banc?
Me Xavier : Ce serait au conseil de décider. Il se pourrait bien que cela devienne de plus en plus sévère, au point où la révocation serait méritée. Ce serait au conseil de décider.
Le sénateur Boisvenu : Cela veut dire qu’il pourrait y avoir une espèce d’évolution et que cela pourrait prendre des mois, voire des années, avant d’en arriver à une révocation?
Me Xavier : J’étudie beaucoup de cas d’inconduite judiciaire à l’échelle des provinces. Plusieurs provinces autorisent déjà l’imposition de sanctions moins sévères que la révocation. Je ne me souviens pas d’un seul cas où le juge ne s’est pas plié aux sanctions qu’on lui a imposées. C’est très rare. Si cela s’est déjà passé, je ne suis pas au courant.
Le sénateur Boisvenu : J’ai comparé l’ancienne procédure à la nouvelle procédure proposée dans ce projet de loi. Il y a une étape de plus par rapport à l’ancienne procédure. J’essaie de comprendre fondamentalement ceci : qu’est-ce qui va changer dans la vraie vie des juges qui commettraient des erreurs graves?
Me Xavier : Vous voulez dire...
Le sénateur Boisvenu : Si l’on applique l’ancienne loi par rapport à la nouvelle loi.
Me Xavier : Cela dépend de l’étape du processus envisagé. Pour les plaintes les plus sévères, le juge aura accès à de meilleures procédures, particulièrement en matière d’appel. En ce moment, l’étape du conseil, dans son ensemble, n’offre pas grand-chose en matière de procédures pour le juge. Le juge a le droit de soumettre des observations sur le rapport du comité d’enquête au conseil dans son ensemble, et c’est tout. Il n’y a pas d’audience ni quoi que ce soit d’autre. Devant un comité d’appel, le juge aura droit à une audience et pourra répondre à des questions.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous avez fait une simulation en matière de délais entre l’ancienne loi et la nouvelle? Si, par exemple, dans l’ancienne loi, il fallait deux ou trois ans avant de destituer un juge, la nouvelle loi prévoit-elle des délais?
Me Xavier : Il est difficile de le savoir de façon certaine. Le conseil devra élaborer des politiques pour chaque étape, et ces politiques contiendront des délais. Par exemple, combien de temps le juge a-t-il pour soumettre des observations sur la plainte et pour répondre à l’avocat qui jouera le rôle du procureur? Il reviendra au conseil de stipuler tout cela dans la procédure. Cela affectera la longueur du processus.
En matière de gains, nous aurons plus de contrôle judiciaire. Il sera remplacé par un processus d’appel beaucoup plus rapide. Nous allons éliminer à peu près deux ans. Pour une plainte qui irait jusqu’au contrôle judiciaire, jusqu’au droit d’interjeter appel à la Cour suprême, on éliminera à peu près deux ans.
Le sénateur Boisvenu : Quel est le délai actuel pour destituer un juge?
Me Xavier : Encore une fois, si on passe...
Le sénateur Boisvenu : Il n’y a pas eu beaucoup de destitutions depuis 100 ans. Les juges ont presque tous démissionné avant qu’une sentence soit donnée.
Me Xavier : Les juges ont démissionné avant que le Parlement puisse procéder à une révocation.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous connaissez des cas de destitution de juges?
Me Xavier : Pas par le Parlement, non. Le Parlement n’a jamais destitué un juge.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que la nouvelle loi permettra de dire aujourd’hui qu’on peut destituer des juges, ou est-ce qu’on aura le même système où le juge se fait réprimander pour une faute grave et démissionne?
Me Xavier : Ce sera le même système. Il est difficile de voir pourquoi un juge resterait en fonction pendant que le Parlement le destitue de ses fonctions.
Le sénateur Boisvenu : Alors, quel est l’objectif du projet de loi puisqu’on sera toujours dans la même finalité où le juge va décider de démissionner avant de passer devant un tribunal disciplinaire?
Me Xavier : Le juge va passer devant le tribunal disciplinaire. En ce moment, les juges démissionnent une fois que la révocation a été recommandée par le processus. Les juges passent à travers le processus, la révocation est recommandée, et c’est là que le juge démissionne habituellement, avant que le Parlement puisse entreprendre le processus de révocation, qui n’est vraiment qu’une formalité. La sentence est prononcée. Il est clair que le juge a commis une inconduite grave et qu’il doit être révoqué de ses fonctions. Habituellement, c’est à ce moment-là que le juge démissionne.
Le sénateur Boisvenu : Quelle différence y a-t-il sur le plan...
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous beaucoup et, madame Shen, je vous souhaite la bienvenue dans ce groupe de témoins.
Maître Hoffmann, je veux revenir — et vous n’en serez pas étonné — à votre dernière réponse. J’ai du mal à m’y retrouver quand vous dites que vous vous consultez ou que vous avez des discussions entre vous sur l’analyse. Je vous ai peut-être mal compris, et j’en suis désolée. Vous ai-je bien compris?
Me Hoffmann : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice Jaffer. Je voulais simplement dire que le ministère de la Justice compte des professionnels chargés spécifiquement d’évaluer ces types d’enjeux. En tant qu’avocats, nous aidons le ministre et le sous-ministre du ministère à se pencher sur ces dossiers, mais nous savons que nous ne détenons peut-être pas toutes les connaissances nécessaires. Par conséquent, nous nous fions à nos collègues experts dans le domaine pour nous aider à soulever des enjeux, à nous mettre au parfum de certains dossiers et à mettre en question nos analyses. C’est tout ce que je voulais dire. J’aimerais prétendre que nous sommes les meilleurs, mais nous ne savons pas tout, sénatrice. Nous devons donc consulter nos collègues du ministère.
De façon globale, je dirais que notre ministère est érudit grâce à nos employés à qui on confie d’examiner différents aspects du projet de loi : l’analyse comparative entre les sexes, ou ACS, et l’analyse s’appuyant sur la Charte.
La sénatrice Jaffer : Oui, c’est vrai, vous êtes les meilleurs. Je suis d’accord avec vous.
Me Hoffmann : Merci, sénatrice.
La sénatrice Jaffer : Le ministère de la Justice a toujours pu compter sur les meilleurs employés. Je vous dis dans le plus grand respect, sans vouloir être impolie, que je ne crois pas que vous connaissez nécessairement les communautés. Certains d’entre vous les connaissent peut-être. Je ne cherche pas à vous manquer de respect, mais comment pouvez-vous analyser la communauté entière alors que votre ministère ne reflète pas vraiment le Canada moderne? Je suis perplexe à ce sujet. Vous pouvez peut-être mener des ACS Plus étant donné la proportion de femmes qui dépasse les 50 %, mais pour les autres communautés — pour le « Plus »... Il existe toute une panoplie de communautés. Je me fourvoie peut-être complètement et je comprends que vous dites avoir des professionnels pour ces analyses. Je comprends cet aspect. Or, je ne veux pas une personne qui analyse les besoins ou les lacunes de la communauté : je veux que la communauté s’exprime elle-même. Je suis certaine que vous saisissez mon raisonnement. Voilà pourquoi je pose la question.
Me Hoffmann : Merci, sénatrice. Vous posez une excellente question. J’espère que mes propos ne vous ont pas donné l’impression que nous nous sommes approprié ce que tous les membres de toutes les communautés pensent. Pas du tout.
La sénatrice Jaffer : Non, ce n’est pas ainsi que je vous ai interprété.
Me Hoffmann : Merci. Je le répète : votre question est excellente. Me Xavier a décrit le processus de consultation qui a eu lieu dans ce dossier. Les membres des communautés ont toujours l’occasion, même en l’absence de processus, de manifester leurs inquiétudes sur tout projet législatif auprès du ministère ou du ministre. Je ne peux les dénombrer, sénatrice, mais notre ministère reçoit un nombre énorme de messages de personnes qui posent des questions sur toute une gamme d’enjeux.
Au ministère, nous, les fonctionnaires, sommes mandatés pour aider le ministère à répondre aux questions rapidement. J’espère que les personnes qui ont des inquiétudes précises se prévalent des possibilités de communiquer avec nous.
La sénatrice Jaffer : Merci. J’aimerais attendre que les ministres nous envoient les analyses de la méthodologie des ACS Plus et, si j’ai d’autres questions à ce moment, je vous demanderais respectueusement, au comité de direction et à vous, d’envisager de convoquer à nouveau les fonctionnaires.
Le président : Oui, c’est ce que nous ferons, sénatrice Jaffer.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je veux poursuivre la discussion sur cet aspect, maître Hoffmann, et peut-être qu’un autre témoin voudra intervenir. Merci d’être avec nous aujourd’hui.
Il y a d’abord le processus de consultation avec un certain nombre d’organismes et avec le public en général pour ce projet de loi sur la magistrature, mais aussi mon commentaire de tout à l’heure. Ma question portait sur le fait qu’il y a des groupes ou des parties du public ou de la société qui ne se sentent pas engagés dans ces consultations. La réponse du ministre m’a amenée à m’interroger à cet effet, car ils sont intervenus tard dans le processus. Les victimes ne sont pas là; on parle pourtant de gens qui estiment aujourd’hui que les processus publics en général, y compris ceux liés à la justice, devraient inclure une consultation obligatoire de tous ceux qui interviennent, soit parce qu’ils interviennent directement et qu’ils appliquent les lois, soit parce qu’ils subissent ces lois ou de mauvaises décisions ou interventions.
Voici ma question. Je comprends qu’il y a des objectifs politiques et que vous avez des objectifs d’efficacité — on vous fait des commandes et ce doit être rapide —, mais y a-t-il une ligne claire au sein de Justice Canada sur le plan des consultations? Je comprends très bien que, pour faire l’analyse comparative entre les sexes plus que vous devez faire, vous avez des collègues à l’intérieur, mais eux aussi peuvent avoir une expertise. Y a-t-il une politique claire à Justice Canada qui prévoit de consulter les gens à qui s’appliquera la loi? Pas seulement ceux qui vont appliquer la loi, mais ceux à qui la loi s’appliquera et ceux qui sont susceptibles de se retrouver dans les maillons de cette loi.
Me Hoffmann : Merci de la question, madame la sénatrice.
Selon moi, dans notre ministère, nous sommes très conscients de l’importance de tenir des consultations avec plusieurs personnes. Je pense que le ministre a dit qu’à l’heure actuelle, nous sommes en train d’augmenter nos connaissances et nos processus liés à cette nécessité.
Me Xavier : Je voudrais juste mentionner, comme la sénatrice Batters l’a déjà fait, qu’un processus de consultation a été mené en partie en 2016-2017; cela fait sept ans, malheureusement, et les choses ont beaucoup changé depuis. Voilà l’explication. Il y a eu des délais inévitables dans le cadre de l’introduction d’un projet de loi, et je peux en dire un peu plus long à cet effet si vous voulez. Cela explique pourquoi cela fait aussi longtemps que le processus de consultation a été mené; les choses ont certainement changé depuis.
La sénatrice Dupuis : J’imagine que, dans la nouvelle politique de votre ministère, il y a une ligne qui a été ajoutée pour élargir la consultation, puisque cela a pris autant de temps entre le premier dépôt d’un projet de loi et le troisième dépôt d’un projet de loi; c’est ça?
Me Hoffmann : Dans notre ministère, il y a aussi des changements avec des personnes comme moi et Mmes Shen et Azimi.
[Traduction]
Nous n’accaparons pas le marché, mais notre perspective est plus vaste. Le ministère a énoncé sans équivoque qu’il espère que les employés embauchés permettront qu’on y consacre toute notre énergie.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Votre réponse est très intéressante, car ma question porte justement sur cet aspect, à savoir que l’on ne veut pas vous faire porter, sur le plan individuel, une responsabilité institutionnelle qu’il faut établir avec la société.
Maître Xavier, vous n’avez pas eu beaucoup de temps pour répondre à la question que j’ai posée concernant le concept d’observateur raisonnable et équitable. Le Barreau du Québec s’inquiète de cette formulation. Pouvez-vous préciser quelle est la nouveauté exacte et ce que cela reprend comme concept, s’il vous plaît?
Me Xavier : C’est plus ou moins l’alinéa 65(2)d) qui existe actuellement dans la Loi sur les juges qui est repris en des termes quelque peu différents. Cet alinéa a fait l’objet de consultations importantes avec la magistrature parce qu’il permet, en quelque sorte, qu’un juge puisse être démis de ses fonctions à cause de quelque chose que quelqu’un d’autre aurait fait.
C’est vraiment difficile de trouver un exemple; ce n’est pas tout à fait clair. Le conseil voulait s’assurer que toutes les possibilités sont incluses dans l’article 80, que toutes les possibilités qui pourraient mener à la révocation d’un juge sont envisagées. Il fallait donc trouver une formulation qui semblait juste et capturer ce concept. On a inclus dans l’alinéa d) ce concept de l’observateur raisonnable, qui est la perspective qui doit être adoptée de toute manière. La Cour suprême a rendu cela de façon claire dans ses arrêts sur la déontologie judiciaire, donc on a exporté ce concept plus expressément dans la loi pour communiquer ce fait.
La sénatrice Dupuis : Merci beaucoup, maître Xavier.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Bienvenue. Le projet de loi C-9 prévoit l’invalidité comme motif pour la révocation. On peut comprendre le raisonnement intuitivement, mais veuillez approfondir votre compréhension de cet élément et votre intention.
Me Xavier : Nous avons conservé le concept d’invalidité parce qu’il a été contesté devant les tribunaux et qu’il a été maintenu. Les tribunaux ont tranché qu’il s’agit d’un problème médical qui rend un juge complètement inapte à s’acquitter de ses fonctions. Puisque le terme a fait l’objet d’un examen judiciaire, nous l’avons laissé dans le projet de loi. Voilà ce qu’il veut dire.
Le sénateur Klyne : Par conséquent, ce qui a déjà été déclaré constituerait le cadre ou l’orientation entourant cette notion.
Me Xavier : Oui, la notion doit être appliquée dans le respect complet de la Charte canadienne des droits et libertés. Par exemple, elle ne peut viser un handicap pour lequel des accommodements raisonnables seraient possibles.
Le sénateur Klyne : Merci.
Le sénateur Dalphond : Je veux poursuivre sur la question de la sénatrice Dupuis à propos du concept.
[Français]
Le Barreau du Québec s’inquiète, parce que la terminologie habituelle, c’est « personne raisonnable et bien informée », mais là on a plutôt utilisé le concept de l’observateur. En anglais, on dit « reasonable, fair-minded and informed observer », mais je vois que c’est un concept que la Cour suprême a utilisé dans la décision Cojocaru en 2013; ce n’est donc pas un concept inconnu du droit non plus, mais dans notre terminologie, c’est quand même assez nouveau.
Ma question fait suite à la question du sénateur Boisvenu, qui se demandait plus tôt si on avait vraiment simplifié le processus. Je voudrais vérifier auprès de vous deux aspects du processus.
Ma compréhension du processus actuel, c’est que lorsqu’une affaire est suffisamment sérieuse, un comité d’examen fait un filtrage et décide que l’affaire pourrait exposer le juge à une destitution. L’affaire est ensuite renvoyée devant un comité d’enquête.
Ce comité peut recommander la destitution du juge, mais selon le processus actuel, cette recommandation doit être entérinée par le Conseil de la magistrature au complet, c’est-à-dire les 40 ou 47 juges en chef, adjoints et associés. Dans le nouveau système, la décision du comité d’enquête devient finale et n’a pas à être confirmée par le Conseil de la magistrature, qui ne participe plus au processus. C’est la première étape qui disparaît par rapport au processus actuel. Ma compréhension est-elle bonne?
Me Xavier : Oui, tout à fait.
Le sénateur Dalphond : Il y a une deuxième étape qui disparaît : dans le système actuel, une fois que le conseil a réussi à confirmer la décision — je peux vous dire que j’ai déjà été proche de cela... Quand on a un comité de 40 personnes, qu’il y a un membre du comité qui est malade et qu’on ne peut pas prendre des juges de la même province que le juge, que c’est difficile d’avoir un quorum de 22 ou 23, c’est compliqué.
À cette fin, le conseil a dû amender ses règlements pour que le quorum soit de 17, parce qu’on ne trouvait pas assez de personnes disponibles ou qualifiées ou assez de personnes qui n’étaient pas disqualifiées à cause de possibles conflits d’intérêts. À cette étape, il y a eu des avocats qui ont plaidé que le processus devait se faire dans les deux langues. Des juges en chef ne parlaient pas français et il y avait des causes provenant du Québec qui étaient en français. Tout devait être traduit devant le conseil pour qu’il puisse se prononcer. Cette étape longue et coûteuse disparaît-elle?
Me Xavier : Oui, exactement.
Le sénateur Dalphond : Cette deuxième étape qui disparaît était longue et coûteuse, une fois que le conseil confirmait la décision selon laquelle la juge Unetelle — en fait, je vais dire le juge Untel, parce que ce fut toujours des hommes dont on a recommandé la destitution, jamais une femme — que le juge Untel était destitué. Ce juge pouvait aller devant la Cour fédérale pour contester la décision.
S’il perdait en Cour fédérale, le juge pouvait aller devant la Cour d’appel fédérale. S’il perdait encore, il pouvait aller devant la Cour suprême sur permission. Cette deuxième étape, que je vais appeler le « contrôle judiciaire », est donc remplacée par le comité d’appel, qui jouera le rôle de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale?
Me Xavier : C’est exactement cela.
Le sénateur Dalphond : On réduit donc encore le délai d’un an et demi à deux ans, parce que si on va devant la Cour fédérale, puis devant la Cour d’appel fédérale, le minimum est d’un an, mais en réalité de deux à trois ans?
Me Xavier : C’est exactement cela, oui.
Le sénateur Dalphond : Ensuite, on peut aller devant la Cour suprême sur permission, comme dans le système actuel?
Me Xavier : Oui.
Le sénateur Dalphond : Si on regarde cela de façon objective, on a soustrait du processus deux étapes importantes, dont les étapes en Cour fédérale, et on a enlevé un an à trois ans de délai?
Me Xavier : C’est cela, exactement.
[Traduction]
Le président : Nous avons finalement entendu la question. Y a-t-il d’autres questions? Je vous demanderais une réponse très brève.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Je n’étais pas sûr que le sénateur Boisvenu avait compris ces étapes.
Voici mon autre question : dans l’histoire du Canada, combien y a-t-il de juges pour lesquels la destitution a été recommandée depuis 1970, soit depuis qu’on a le processus actuel en place, et combien ont démissionné? On sait qu’aucun n’est venu au Parlement et qu’ils ont tous démissionné à la fin, mais combien de juges ont été impliqués dans un processus comme celui-là depuis les années 1970?
Me Xavier : Cinq juges ont complété le processus, et il y a eu une recommandation pour leur révocation à la fin dudit processus qui a été acheminée au ministre de la Justice. Trois d’entre eux ont démissionné à cette étape. Le juge Girouard a décidé de mener une contestation judiciaire en Cour fédérale. Il a démissionné lorsqu’il a perdu en Cour fédérale. Il y a le juge Dugré qui est en train de contester la recommandation pour sa révocation devant la Cour fédérale. Ce sont donc cinq juges en tout.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Je vous remercie de ces renseignements. Or, comme nous le savons, ce projet de loi — et deux autres moutures, voire plus — a été déposé en partie parce que ces plaintes ont rarement été prises au sérieux par le passé. C’est la prise de conscience récente qui a entraîné le dépôt de ces types de projets de loi.
Je suis curieuse quant aux statistiques — vous avez entendu ma question au ministre — que vous exigez et quant aux données non regroupées que vous demandez au Conseil canadien de la magistrature de prendre en considération. Je sais que vous ne pouvez lui ordonner d’en tenir compte, mais un lien de collaboration et de coopération fructueuse vous unit, de toute évidence. Que pensez-vous de ce projet de loi et des approches? Quelles initiatives corollaires sont menées? Manifestement, le travail ne se résume pas à ce seul enjeu. Des efforts de sensibilisation, de négociation et d’élaboration de politiques vont contribuer à cette intervention. Selon vous, comment devrions-nous intervenir pour éradiquer les problèmes flagrants de prédisposition judiciaire?
La population demande de la transparence entre autres parce qu’une abondance de preuves démontre des prédispositions judiciaires à l’égard de la race, de la classe sociale, du sexe et de la capacité. Quelle sera la solution? Quels autres mécanismes s’offrent à nous? Quels éléments — que vous n’avez pas encore mentionnés — ce projet de loi améliorera-t-il, et pour quels éléments surveillerez-vous la diversité et proposerez-vous d’autres changements à l’avenir?
Me Xavier : Dans cette veine, l’inclusion des non-juristes dans le projet de loi constitue une amélioration marquée. Vous remarquerez que le projet de loi C-9 exige du Conseil canadien de la magistrature de tenir compte de la diversité du Canada pour établir des comités. Ce facteur doit être pris en considération pour dresser la liste de non-juristes. Le conseil doit également en tenir compte pour le choix des juges participant au processus.
Comme on l’a mentionné tout à l’heure, les plaintes sur la discrimination potentielle, le harcèlement sexuel et certaines autres allégations ne seront pas traitées par l’agent de contrôle. Elles seront renvoyées directement à quelqu’un détenant une connaissance approfondie de l’inconduite judiciaire. Ainsi, ces plaintes seront examinées par quelqu’un qui comprend très bien la nature de l’inconduite judiciaire et les façons dont elle peut être teintée de discrimination, notamment.
En ce qui concerne les données, dans un sens, votre question est excellente, madame la sénatrice, mais il est un peu trop tôt pour y répondre, car le projet de loi n’a pas encore été adopté. Nous devrons discuter avec le conseil du type de données qu’il fournira dans son rapport annuel. Le projet de loi l’oblige à présenter un rapport annuel et, comme je l’ai dit, il s’agit déjà d’une pratique courante. Nous espérons que les données contenues dans le rapport annuel nous aideront à évaluer la situation et à déterminer si des rajustements s’imposent. L’autre source de données pourrait se trouver à l’article 147, qui prévoit des examens périodiques de tous les coûts prélevés sur le Trésor. Cela permettrait également de fournir des données supplémentaires sur la nature des plaintes, la durée du processus de traitement des plaintes, et tout le reste.
J’espère que cela répond à votre question, du moins en partie.
La sénatrice Pate : Oui, tout à fait. L’une des choses qui me frappent dans les discussions que j’ai eues avec certains représentants du ministère de la Justice dans le passé, c’est la question de savoir si on a analysé les situations où des juges ont été pénalisés, si je peux m’exprimer ainsi, pour avoir admis d’office des domaines qui relèvent de leur expertise. Je pense à Corrine Sparks et à d’autres, dont l’expertise a été qualifiée de traitement discriminatoire, au lieu de reconnaître qu’il est de plus en plus nécessaire de diversifier la magistrature. A-t-on examiné certains de ces exemples au moment d’élaborer une mesure législative comme celle-ci?
Me Xavier : J’ignore si c’est exactement de cette manière que la partialité a été examinée dans la prise de décisions judiciaires ou dans le processus d’élaboration du projet de loi en tant que tel, car cela fait partie des facteurs qui constituent une inconduite. D’ailleurs, c’est au pouvoir judiciaire qu’il revient de déterminer en quoi consiste une inconduite. Un projet de loi comme celui-ci ne peut donc pas vraiment prescrire ce qui constitue une inconduite d’une manière précise. J’ai peut-être mal compris votre question?
La sénatrice Pate : Eh bien, c’est possible, ou c’est peut-être moi qui ne l’ai pas bien formulée. Je m’en excuse.
Je pense qu’il y a de nombreux exemples de cas où une conduite autrefois considérée comme inappropriée de la part d’un juge est maintenant jugée appropriée dans la situation actuelle où nous nous trouvons. La seule chose qui me porte à croire que ce facteur a été pris en compte, ce sont les efforts déployés pour fournir une formation supplémentaire lorsque ce genre de mesures offrent d’autres possibilités, d’autres façons d’accroître la motivation. Je crois comprendre, d’après ce que le ministre a dit, que vous cherchez notamment à fournir une plus grande...
Me Hoffmann : Je comprends maintenant la question. Je pense que la formation des juges et les dispositions de la Loi sur les juges concernant le contexte social seront essentielles à la sensibilisation, comme le ministre l’a laissé entendre — c’est-à-dire dans des cas comme celui de la juge Sparks. Cela se fait dans le cadre d’un processus : c’est parce qu’elle a admis d’office l’existence d’un problème lié à un fléau social qu’elle a ensuite été soumise à des mesures disciplinaires. J’espère que nous avons progressé comme société.
Le président : J’ai quelques questions à vous poser avant que nous ne passions à un bref deuxième tour de table.
Vous avez fait remarquer que l’une des caractéristiques du projet de loi est le fait qu’il permet une plus grande représentation des non-juristes, mais leur participation n’a lieu qu’à deux paliers. Dans certains cas, ils sont curieusement exclus; par exemple, dans le comité d’audience restreint, les non-juristes ne sont pas représentés. Dans le comité plénier, ils le sont. Par ailleurs, les juges ont le choix entre le comité restreint ou le comité d’audience plénier. S’ils choisissent le comité restreint, le projet de loi impose le recours à un tel comité.
La question de savoir si des non-juristes participeront est tranchée presque au cas par cas. Prenons l’exemple des plaintes anonymes. En ce qui concerne le Conseil canadien de la magistrature, nous avons vu des décisions, si je puis dire, bizarres en première instance. Si l’on pense au juge Smith à Thunder Bay, presque personne ne peut comprendre pourquoi cette affaire a été instruite. Il se peut que beaucoup d’affaires inhabituelles aient été retirées du processus. J’aurais toutefois pensé que ce serait là un endroit naturel pour une représentation de non-juristes.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? J’aurai ensuite une autre question à vous poser.
Me Xavier : Certainement. Les non-juristes seront représentés aux deux étapes principales qui mènent à une conclusion d’inconduite. Le comité d’examen sera principalement chargé de déterminer s’il y a eu une inconduite qui n’est pas suffisamment grave pour justifier la révocation. Le comité d’examen est également l’entité de contrôle pour les comités d’audience pléniers qui examineront tout cas susceptible d’être suffisamment grave pour justifier une révocation. Le comité d’audience plénier comptera également un non-juriste, et c’est ce comité qui sera chargé de déterminer si un juge devrait être démis de ses fonctions et de présenter un rapport au ministre de la Justice.
Les juges ne peuvent pas choisir entre le comité plénier et le comité restreint; ils n’ont pas cette option. Si le comité d’examen, à ce stade initial, estime que la plainte est si grave que la révocation pourrait être justifiée, il s’adressera au comité d’audience plénier. Le juge n’a pas d’option; il n’a pas le choix. L’affaire sera alors instruite devant un comité d’examen plénier.
Le comité d’audience restreint n’intervient que si le juge n’est pas satisfait. Si le comité d’examen estime que l’affaire n’était pas suffisamment grave pour justifier la révocation, mais qu’il y a eu inconduite, et s’il a imposé une forme de sanction et que le juge n’est pas satisfait de certains aspects du processus du comité d’examen, il pourra alors porter l’affaire devant un comité d’audience restreint.
Le comité d’audience restreint ne comprend pas de non-juristes, car il sert à régler un problème potentiel très précis lié au processus du comité d’examen. Le comité d’examen ne procède que par écrit; il ne tient pas d’audiences. Pour la grande majorité des plaintes, cela devrait suffire. Il peut arriver qu’en raison de la nature de la plainte, les principes d’équité procédurale garantissent au juge le droit à une audience ou, par exemple, le droit de contre-interroger un témoin particulier ou de produire certains types de preuves.
Si le juge estime que ses droits procéduraux n’ont pas été respectés ou qu’il souhaite un processus plus complet — par exemple, s’il veut une audience publique —, il peut alors exercer son droit de saisir un comité d’audience restreint. Celui-ci aura pour mission de veiller à ce que le processus respecte le degré requis d’équité procédurale.
Les questions auxquelles fera face un comité d’audience restreint — et nous ne nous attendons pas à ce qu’elles soient nombreuses — seront probablement de nature plus technique et porteront sans doute sur des éléments de preuve. Par conséquent, il nous a semblé préférable que la troisième personne qui y siège soit un avocat plutôt qu’un non-juriste, car la connaissance technique des procédures judiciaires serait, à notre avis, plus importante dans ce type d’audience.
Le président : Ma deuxième question porte sur les statistiques. Je vais revenir aux questions posées par les sénatrices Jaffer et Pate. Le projet de loi, au paragraphe 160(1), prévoit l’exigence de présenter un rapport annuel et de fournir certaines statistiques précises. Toutefois, ce qui serait bien plus utile, ce n’est pas seulement le nombre de plaintes reçues et de plaintes rejetées, mais leur répartition en sous-catégories. J’en citerai quelques-unes qui m’ont été proposées : les plaintes fondées sur le sexe, la race ou le handicap, si ces éléments sont révélés dans les plaintes, ainsi que les domaines du droit qui font l’objet de plaintes. La profession juridique, par exemple, catégorise le nombre de plaintes en matière de droit pénal ou de droit immobilier afin de pouvoir déterminer si les avocats manquent de compétences dans certains de ces domaines ou s’ils ne comprennent pas leurs obligations éthiques.
Il me semble que vous auriez pu facilement exiger, aux termes du projet de loi, que ces renseignements figurent dans les rapports annuels, mais vous ne l’avez pas fait. Ma question est de savoir si vous devriez le faire. Aussi importante que soit la question de la sénatrice Jaffer, il est extrêmement important, me semble-t-il, de comprendre d’où viennent ces plaintes et ce qu’il advient d’elles selon les catégories de personnes.
Me Xavier : Nous nous sommes gardés d’imposer trop d’exigences au CCM. Nous ne nous occupons pas du processus disciplinaire au jour le jour. Rien n’empêche le CCM d’intégrer tous ces renseignements dans son rapport annuel; nous espérons vivement qu’il le fera. C’est une question que je vous invite à poser aux représentants du CCM lorsqu’ils comparaîtront devant vous. Il incomberait au conseil de fournir, dans son rapport annuel, autant de renseignements que possible sur la nature des plaintes.
Il n’y a aucune raison pour que le conseil ne le fasse pas, et je crois comprendre qu’il a la ferme intention de le faire.
Le président : Merci beaucoup. J’ai dépassé mon temps de parole et je m’en excuse auprès de mes collègues. Ou c’est peut-être vous, maître Xavier, qui m’avez fait dépasser mon temps de parole.
Me Xavier : C’est fort probable. Je parle beaucoup trop. Je m’en excuse.
Le sénateur D. Patterson : C’est une prérogative du président.
Chers témoins, je crois comprendre qu’à la suite de l’étude du projet de loi par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, des modifications y ont été apportées afin d’obliger le comité d’examen à informer le plaignant que sa plainte a été rejetée, motifs à l’appui. Voilà une mesure qui favorise la transparence, et je sais que le gouvernement l’a acceptée. C’est une bonne chose.
Toutefois, y a-t-il lieu d’accroître la transparence du processus proposé pour les plaignants? Par exemple, y a-t-il moyen de faire participer davantage les plaignants au nouveau processus? Serait-il possible, par exemple, de leur permettre de présenter un mémoire sur la plainte au comité d’examen ou d’audience? Qu’en pensez-vous?
Me Xavier : Il est possible que, dans un processus donné, le plaignant se voie accorder la qualité pour agir. Cela s’est déjà produit. Il appartiendrait au conseil d’en prescrire les modalités dans ses procédures.
Il est important de comprendre que le processus relatif à la conduite des juges ne crée pas ce que les avocats appellent un litige officiel entre le plaignant et le juge. Le plaignant se présente en tant que représentant du grand public, et la question est de savoir si, à la lumière des renseignements fournis, le public peut encore faire confiance au juge — pas le plaignant, mais le grand public. Il est important de veiller à ce que le processus demeure axé sur la confiance du public.
Cela semble découler de la manière dont la Cour suprême a décrit l’objectif des procédures relatives à la conduite des juges. Si un juge a lésé le plaignant d’une manière ou d’une autre, et que le plaignant a droit à une forme de réparation, la réparation ne fera pas partie de ce processus. Le juge peut avoir commis un crime, enfreint le Code des droits de la personne ou une autre mesure législative. Ce sera tranché dans le cadre d’une autre procédure ou d’un autre processus, par une autre cour, un autre tribunal ou un autre organisme.
La procédure relative à la conduite des juges est très axée sur la confiance du public. Cela ne signifie pas que, dans certains cas, le plaignant ne sera pas appelé à présenter un mémoire ou même à comparaître. C’est une situation qui s’est déjà produite et qui pourrait se reproduire à l’avenir.
Le sénateur D. Patterson : Quel est le mécanisme qui permet à un plaignant d’avoir qualité pour agir? Où se trouve l’autorité à cet égard?
Me Xavier : L’autorité se trouve dans les procédures que le conseil élaborera pour les différentes étapes du processus. Le conseil et ses différents organes décisionnels ou administratifs, ainsi que tous les organismes administratifs, ont implicitement le droit — et la capacité — de publier des politiques qui définissent des procédures pour réglementer la manière dont les différentes étapes se dérouleront. Je parle de quelque chose qui sera plus ou moins comparable aux règles de procédure judiciaire. Le conseil devra le faire pour les différentes étapes du processus, et les questions relatives à la qualité pour agir — et aux intervenants ou à toute autre chose de cette nature — seront traitées par l’entremise de ces...
Le sénateur D. Patterson : C’est implicitement de leur ressort?
Me Xavier : La seule fois où cela s’est produit, le plaignant a simplement retenu les services d’un avocat et a demandé la qualité pour agir au comité d’enquête, qui la lui a accordée, dans un but très limité, pour contre-interroger certains témoins.
Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie.
Le président : Je suis maintenant le seul à intervenir au deuxième tour. J’ai donc une petite question, qui porte sur la discussion que nous avons eue avec le ministre tout à l’heure et avec vous, maître Xavier.
Vous avez dit que les seuls juges qui démissionnent à la dernière minute sont ceux qui risquent la peine capitale en matière d’emploi, pour ainsi dire, c’est-à-dire une recommandation de révocation. Or, il y a des cas où une affaire fait l’objet d’une procédure et d’une résolution négociée sans que la plainte soit réglée. Je pense, par exemple, à la juge en chef adjointe Douglas de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba et, à ma connaissance, l’affaire s’est terminée par son départ à la retraite à un moment donné, mais la plainte n’a pas été réglée. La capacité d’un juge à faire cela avant qu’une décision finale ne soit rendue me paraît injuste pour le plaignant qui ne pourra jamais vraiment savoir si la plainte était justifiée ou non.
Dans ce nouveau processus qui permet d’imposer différentes sanctions aux juges, il y a un argument plus solide, me semble-t-il, pour que l’affaire soit réglée et que le juge ne puisse pas s’éclipser en démissionnant ou en prenant sa retraite. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Je n’accepte pas l’argument selon lequel les cinq affaires... il y a eu une décision, alors ce n’est pas vraiment un problème. Je soutiens qu’il y a d’autres cas où aucune décision n’est rendue, et c’est ce qui pose problème.
Me Xavier : Vous avez raison. Cela arrive parfois. La juge Douglas en est probablement l’exemple le plus médiatisé. Je crois qu’il y a eu un autre cas il y a environ 20 ans, où le juge — je crois que c’était le juge Flahiff, un juge accusé d’actes criminels — a simplement démissionné. Il arrive donc que cela se produise.
Une fois encore, la procédure vise à établir si le juge doit rester en fonction, compte tenu des allégations formulées et, dans l’affirmative, de déterminer s’il y a eu faute de conduite et s’il y a lieu de prendre des mesures en conséquence. Une fois que le juge n’est plus en fonction, le processus perd sa raison d’être. Comme je l’ai dit plus tôt en réponse à la question du sénateur Patterson, le processus ne crée pas un litige entre le plaignant et le juge. Il ne s’agit pas d’un litige juridique officiel. Il ne s’agit pas d’une procédure plaignant contre juge. Il s’agit plutôt d’une procédure qui oppose le juge à la confiance du public. C’est donc là l’essentiel. Il peut être frustrant pour le plaignant de ne pas se voir offrir de solution dans le cadre de la procédure relative à la conduite des juges, mais d’une certaine manière, la résolution de ses problèmes personnels n’est pas l’objectif de la procédure. Elle peut certainement en faire partie. La confiance du public peut exiger que le juge présente des excuses au plaignant parce que, dans les circonstances, cela semble manifestement faire partie de ce qui est nécessaire pour restaurer la confiance du public. De façon générale, l’accent est mis sur le rétablissement de la confiance du public...
Le président : Je dirais simplement que des critères similaires s’appliquent aux avocats et en ce qui a trait à la confiance du public dans l’administration de la justice et le rôle qu’y jouent les avocats. Or, nous avons bel et bien établi des règles pour empêcher les avocats de démissionner pour éviter la sanction. C’est là où je voulais en venir, mais je vous remercie de votre réponse à ce sujet. Merci beaucoup.
Ceci met un terme à notre conversation avec les fonctionnaires du ministère. Je tiens à remercier Me Xavier, Me Hoffmann, Mme Shen et Mme Azimi de s’être joints à nous aujourd’hui. Comme d’habitude, nos discussions ont été étoffées et fort utiles. Je tiens à remercier les sénateurs des questions intéressantes qu’ils ont eues pour nos témoins et de leurs échanges avec ces derniers.
Il est possible, chers collègues, que le Sénat siège au-delà de 16 heures mercredi prochain. Ce n’est pas encore clair. Quoiqu’il en soit, je voulais vous faire part de mon intention de présenter une motion au Sénat qui nous permettrait de siéger. J’aimerais avoir votre avis et vos conseils à ce sujet.
Mark Palmer, greffier du comité : [Difficultés techniques] aurait le droit de siéger.
Le président : C’est ce que ferait notre motion, et il pourrait y avoir des motions provenant d’autres sources.
La sénatrice Batters : Je ne sais pas vraiment ce qu’il en est, mais si on nous demande de siéger, c’est en partie parce que nous allons nous pencher sur d’importantes mesures législatives émanant du gouvernement. Je ne voudrais pas vraiment être en comité pendant que le reste du Sénat traite de mesures législatives importantes dans l’hémicycle.
La sénatrice Jaffer : J’aurais tendance à être d’accord avec la sénatrice Batters, surtout lorsque le projet de loi qui nous attend — ou ses différentes versions — circule depuis déjà un bon moment. Il n’y a pas d’urgence. Si c’était le cas, je vous appuierais et j’irais de l’avant avec la motion, mais comme il n’y a pas d’urgence, devrions-nous renoncer à ce qui se passe au Sénat?
Le président : Dans ce cas, puis-je proposer quelque chose? Sénateur Patterson, nous vous écoutons.
Le sénateur D. Patterson : À titre d’information, je crois que les projets de loi qui seront examinés la semaine prochaine sont des budgets supplémentaires des dépenses.
Le président : Dans ce cas, puis-je proposer que nous mettions cette motion en veilleuse, mais — peut-être, si cela semble sage — que nous en présentions une pour demander qu’elle soit examinée immédiatement? Nous serons bien sûr aussi constructifs que possible dans ce sens. Est-ce une façon acceptable de gérer la situation pour l’instant? Je vous remercie. Je ne demande pas une garantie qu’elle obtiendra le feu vert, mais simplement qu’elle sera gérée de manière respectueuse, si nous devons en arriver là.
Voilà qui met fin à cette réunion. En l’absence d’autres engagements, la séance est levée. Merci à tous.
(La séance est levée.)